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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

etudes historiques sur lieux saints

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

LE CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN.

PAR MGR JEAN SÉBASTIEN ADOLPHE DEVOUCOUX.

Consécration de l'église dédiée à saint Lazare.

Cette grande construction, d'une ornementation si riche et si expressive, fut commencée vers 1120, comme nous l'avons dit. On travaillait encore à l'achèvement de sa décoration dix-huit ans plus tard.

Reprenons la suite de son histoire. Vers le commencement de 1132, le pape Innocent II, se rendant d'Auxerre à Cluny, s'arrêtait à Autun et consacrait de sa main cet édifice qu'il dédiait à saint Lazare, frère de Marthe et de Marie, ressuscité par Jésus-Christ, et depuis évêque de Marseille. Au mois de février, pendant qu'il résidait à Lyon, le même pape accordait une bulle afin d'assurer aux chanoines de la Cathédrale d'Autun la possession de la nouvelle basilique et des terrains adjacents. Voici la teneur de ce précieux monument que nous traduisons sur la pièce originale conservée aux archives de l’Évêché.

« Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos très chers fils les chanoines de l'église d'Autun, tant présents que futurs à perpétuité. L'autorité de notre charge nous engage à veiller au bon état des églises et à pourvoir utilement, avec l'aide de Dieu, à leur repos et à leur tranquillité. Or, nos très chers fils, comme vous nous avez demandé humblement de confirmer, en vertu de notre autorité apostolique, les propriétés et les biens qui appartiennent de droit aux églises de Saint-Nazaire et de Saint-Lazare ; cédant aux instances de notre vénérable frère, Étienne, évêque d'Autun, prélat recommandable et tout dévoué à l’Église romaine, nous avons résolu de satisfaire votre vœu. Nous avons en effet décrété que toutes les possessions et tous les biens dont vous jouissez légitimement, selon les canons, ou que vous posséderez, grâce à Dieu, dans la suite par la concession des pontifes, la libéralité des rois, et les donations des princes, vous soient définitivement assurés et demeurent à perpétuité dans votre domaine. Parmi ces biens nous avons jugé convenable de spécifier ceux qui suivent : c'est d'abord la terre au milieu de laquelle s'élève l'église de Saint-Lazare selon ses limites certaines indiquées, d'un côté par la voie publique qui se dirige de la porte du Château au cloître des chanoines, d'où part une autre rue conduisant à Riveau et limitant de ce côté ladite terre au carrefour de Saint-Quentin. De la porte du Château une seconde voie tirant immédiatement sur la droite, mais fléchissant bientôt vers la gauche, continue de limiter ladite terre jusqu'au carrefour de Saint-Quentin déjà cité. Par la teneur du présent écrit nous confirmons l'acte solennel par lequel l'illustre seigneur Hugues, duc de Bourgogne, vous a cédé cette terre libre de toutes exactions et de toutes servitudes.

Ce sont ensuite les églises de Tillenay, de chandostre et d'Ouge, avec toutes leurs dépendances, que Gauthier, évêque de Chalon, de bonne mémoire, à restituées ou accordées à votre manse capitulaire, en se réservant le droit synodal d'hiver. Ce sont encore l'église de Sainte-Marie de Reclenne et la terre adjacente, pour laquelle le grand-chantre Guillaume vous payait un cens annuel, l'église de Laizy et le domaine de même nom, avec les hommes, les moulins, les pêcheries, les usages, que Gauthier de Glaine vous donna pour le bien de son âme, avec l'assentiment de l'illustre seigneur Aldon. C'est enfin la rente annuelle de quinze sols et une obole que vous doivent les moines du château de Saint-Brice, au territoire de Bourges.

Nous ordonnons en conséquence qu'il ne soit permis à personne de troubler témérairement ou de vous enlever la possession de ces biens, de les retenir après les avoir enlevés, de vous fatiguer de quelque manière que ce soit, de telle sorte que vous puissiez en jouir intégralement et pour tous vos légitimes intérêts, sauf néanmoins les droits de l'évêque d'Autun et les égards qui lui sont dus. Donc, si dans la suite des clercs ou des séculiers, connaissant la teneur de notre présente Constitution, étaient assez téméraires pour la violer, et pour ne pas donner une satisfaction convenable après deux ou trois punitions, qu'ils soient privés de la dignité de leur puissance et de leur honneur ; qu'ils sachent la rigueur de la sentence divine qui sera portée contre leur crime ; qu'ils soient privés du corps et du sang de notre Dieu, de notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ; qu'ils soient soumis à la céleste  vengeance du jugement dernier. Que ceux au contraire qui respecteront nos décrets, obtiennent, par les mérites des bienheureux apôtres Pierre et Paul, la grâce de Dieu tout-puissant et la récompense de la félicité éternelle. Ainsi soit-il.

Donné à Lyon, par la main d'Aimeric, cardinal diacre de la sainte Église romaine, et chancelier, le quatrième jour avant les calendes de mars, indiction dixième, l'an de l'Incarnation mil cent trente-deux, la troisième année du pape Innocent. » Parmi les cardinaux qui signent cet acte on remarque le nom du célèbre Mathieu, évêque d'Albano.

En 1147, le sculpteur Gislebert. Dont le nom se trouve inscrit sur le portail de l'édifice, n'avait pas encore mis la dernière main aux riches décorations confiées à son talent. Cependant les croisés bourguignons qui allaient se rendre à la Terre-Sainte demandèrent comme une grâce qu'on leur ménageât la satisfaction d'assister, avant leur départ, à la translation du corps de saint Lazare qui devait être porté de la Cathédrale, où il reposait depuis plus d'un siècle, dans le temple majestueux que l'on venait d'élever à son honneur.

Leur empressement était d'autant plus grand qu'à ce moment le sol de l'Europe et de la France en particulier se couvrait de maisons de charité dédiées à saint Lazare, et que le nom de l'hôte de Jésus-Christ était porté par un ordre religieux rendant de grands services aux pèlerins. Nous allons traduire le récit un peu oratoire et emphatique d'un témoin oculaire qui a raconté néanmoins les faits dans le plus grand détail.

« Nous avons attaché, dit-il, un grand prix, frères bien-aimés, à discourir brièvement, avec l'assistance du Saint-Esprit, sur la révélation du bienheureux Lazare, mort pendant quatre jours, et ressuscité par

Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous confions à votre mémoire cet important souvenir que nous relatons dans un écrit authentique. Avec quelle piété ne devons-nous pas célébrer annuellement le souvenir du jour où se sont passées les choses que nous allons raconter qu'un juste et solennel tribut de louanges, de gloire et d'actions de grâces soit rendu à notre Créateur et à notre bienfaiteur qui, par sa seule bonté et non par nos mérites, se montre de jour en jour admirable dans ses saints ! que la dévotion des peuples de cette contrée s'affermisse et se perpétue au nom du Seigneur ! Nous avons entrepris d'écrire ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu, afin de satisfaire le désir religieux qui est en nous de transmettre à la postérité, appelée à s'en réjouir par une fête anniversaire, le sujet d'allégresse tant désiré par nos prédécesseurs, qu'il nous a été donné à nous plus heureux de contempler de nos yeux. La joie de nos successeurs et la ferveur de leurs âmes dans cette solennité seront d'autant plus grandes, que leur intelligence plus éclairée par notre écrit saisira plus promptement la réalité des faits dont ils n'ont point été les témoins oculaires. Les choses que notre présomptueuse faiblesse, enhardie par un pieux sentiment, va confier à votre sage autorité, sont certainement grandes ; elles ont pour vous un intérêt spécial ; elles importent au bien de la contrée tout entière. Si vos nobles intelligences découvrent des imperfections dans notre travail,

la charité qui, mettant de côté la crainte et l'amour du repos, nous a pressé d'exprimer nos pensées, nous servira d'excuse. La charité n'est-elle pas la source vraie qui jaillit jusqu'à la vie éternelle ? N'est-elle pas la fin de la loi et des prophéties ? N'est-elle point la gardienne de toutes les vertus ? Si l'on ne veut rien pardonner à notre infirmité, qu'on accuse celui dont nous sommes comme l'instrument. Si quelqu'un censure notre opuscule, guidé par un zèle qui n'est point celui du Seigneur, nous aimons mieux l'exposer à refuser de lire des choses simples et humbles mais utiles, que de négliger ce qui importe à l'édification commune. Vous devez nous supporter volontiers, vous qui êtes nos frères et nos maîtres. Nous ne dirons rien en effet que nous n'ayons reçu par tradition des sages et qui ne soit conforme aux règles de l’Église, ajoutant cependant plusieurs choses selon notre capacité. C'est du reste un devoir pour nous de rapporter tout à Dieu. Revenons, avec son secours, à notre récit. »

« Dans le temps où Louis, roi des Français et duc d'Aquitaine, fils du roi Louis, se disposait, par l'inspiration de l'esprit de Dieu, à combattre les nations ennemies du nom chrétien et à les conquérir au Christ, son Créateur et son Rédempteur ; alors que ce prince généreux prenait la croix au mont de Vézelay, dans la grande fête de Pâques où l’Église célèbre la résurrection du Seigneur ; alors que les grands du royaume et une foule de barons venus de tous les pays se croisaient avec lui et que des larmes de joie coulaient de leurs yeux attendris, le seigneur Humbert, évêque d'Autun par la grâce de Dieu, prélat issu du sang royal, plus noble encore par la gravité de ses mœurs, se sentit pressé par un mouvement surnaturel de fixer le jour de l'ouverture solennelle du tombeau de saint Lazare, après avoir pris l'avis de son chapitre et d'un grand nombre de religieux. »

« Dans le conseil secret qui eut lieu pour examiner la question proposée, il y eut un grand conflit d'opinions, et ceux qui défendaient chacune de ces opinions présentaient leurs arguments avec chaleur. Les uns disaient que le temps n'était pas venu de faire apparaître un trésor aussi précieux ; que l'église dédiée et consacrée par la main même du seigneur Innocent, ministre du siège apostolique, n'était pas suffisamment prête ; que le vestibule projeté pour orner la basilique et la rendre plus splendide n'était pas achevé ; que les compartiments du pavé n'étaient pas encore taillés et appareillés selon que le proposait un ingénieux artiste, et comme il convenait de le faire dans un édifice de cette importance; que beaucoup de travaux enfin restaient à faire pour que l'entrée de la maison du Seigneur fût digne de sa destination. »

« D'autres au contraire, alléguant des raisons nombreuses, faisaient observer que jamais moment plus favorable ne se présenterait, pour ouvrir et exposer à tous les yeux celui des trésors des églises auquel on attache plus de prix et qui excite de plus ardents désirs.

Ne devait-on pas en effet le montrer à ces hommes généreux qui, renonçant à leurs possessions, suivant le conseil de l’Évangile, ont préféré l'amour de Dieu à celui de leurs pères, de leurs mères, de leurs épouses, de leurs enfants, et qui, crucifiant leur chair pour le Christ leur maître dont ils sont devenus les fidèles disciples, ont reçu la croix et ont compris cette parole du Seigneur : Celui qui n'accepte point sa croix pour me suivre n'est point digne de moi ! »

« Il est hors de doute que les hommes les plus élevés en dignité de presque toutes les provinces s'empressent de grossir les rangs de l'armée chrétienne, comme s'ils y avaient été appelés par un honorable suffrage. Ils sont en effet des élus ceux dont le cœur est embrasé par les ardeurs de l'Esprit saint ; ils sont prédestinés de toute éternité à la vie, ceux qui, attirés par l'odeur des parfums du vase brisé de l'amante de Jésus-Christ, et peu soucieux de la gloire mondaine marchent avec joie à la conquête des trophées que Dieu leur promet. A eux il convient d'ouvrir et de communiquer de suite, avec l'aide du Seigneur, un trésor caché que l'on est résolu de manifester tôt ou tard. Ils porteront parmi les nations diverses qu'ils vont bientôt traverser la nouvelle de notre bonheur, recueilleront les félicitations de ceux auxquels ils en feront part, plus assurés de la victoire lorsqu'ils s'élanceront dans les hasards des combats, et pénétrés d'une sainte joie qui remplira leurs âmes généreuses. »

(Nous publions ici le sceau dont on se servit pour sceller les lettres dont nous allons parler. Ce précieux monument en bronze, trouvé dans la Saône, est conservé au musée de Lyon.)

« Ce parti finit par triompher et les débats cessèrent, car il fut comme le port où l'on jeta l'ancre au milieu de la tempête que la discussion avait soulevée. On l'adopta unanimement, et l'on arrêta avec joie le jour de la Révélace. Des lettres d'invitation furent expédiées aussitôt. L'archevêque de Lyon, à qui l'église d'Autun doit annoncer avant tout autre les cérémonies qu'elle se propose de faire, fut prévenu le premier. On informa ensuite les évêques, les abbés et les autres personnages de distinction. Beaucoup d'entre eux se rendirent à l'appel qui leur était fait. Un grand nombre aussi restèrent chez eux en s'excusant toutefois. »

« Voici un fait que nous devons inscrire ici et que nous ne pourrions passer sous silence. Deux évêques de Normandie qui allaient à Rome, ayant connu l'annonce de la solennité qui se préparait, ayant vu l'affluence du peuple qui s'y rendait, interrompirent leur route. Ils arrivèrent à la cité d'Autun la veille même de la Révélace. Ils n'avaient pas reçu d'invitation ; mais l'ange du Seigneur qui dirigeait leur marche leur avait inspiré cette bonne pensée. Ils vinrent comme envoyés d'en haut. Le Créateur du ciel et de la terre, le Seigneur des seigneurs, qui dispose avec bienveillance et à son gré toutes choses, avait dit à son ange saint de parcourir aussitôt les voies et les places publiques, de convier à cette cène solennelle, d'admettre à la contemplation d'une telle splendeur ces pieux prélats destinés à remplacer ceux qui n'avaient pas répondu à l'appel officiel. En apprenant cet heureux événement, le seigneur Humbert, évêque d'Autun, reconnut l'action de la divine Providence et, pénétré de la plus vive allégresse, il se rendit, accompagné de tout le clergé et pour ainsi dire de tout le peuple, hors des murs de la cité, afin de recevoir les deux étrangers qui apparaissaient comme des envoyés célestes et de les conduire dans son palais où il leur donna la plus honorable hospitalité. Rassasiés par le pain du ciel, fiers d'avoir été les témoins de la découverte et de la manifestation de la perte précieuse, ils purent continuer leur voyage. Nous lisons quelque chose d'analogue de Loth, serviteur de Dieu, accueillant avec honneur deux anges qui par une disposition bienveillante du Très-Haut étaient descendus chez lui, et qui, le lendemain, reprirent leur route. »

« Nous devons rappeler une autre circonstance qui tient du prodige. Pendant quatre semaines des nuages amoncelés avaient, par une pluie forte et continue, comme inondé la terre, de telle sorte que presque personne n'osait quitter sa demeure pour aller à ses affaires, et l'on commençait à craindre qu'une fête aussi grande que celle de la Révélace ne manquât de spectateurs. Mais, par l'effet de la divine sollicitude, deux jours avant la solennité et un jour après, on vit cesser la tempête et la pluie s'arrêter. Les étrangers qui désiraient vénérer les reliques du saint martyr, trouvant les routes aussi sèches qu'elles le sont dans les jours de l'été et n'ayant point à redouter les inconvénients d'une atmosphère humide, arrivèrent en foule. Aussi, par la seule faveur divine, ceux qui naguères s'étaient retirés tristes et timides au fond de leurs réduits, en sortirent joyeux et pleins de sécurité, et se contentèrent de vêtements légers pour voyager plus facilement. Dès qu'ils furent rentrés, la pluie se mit à tomber de nouveau, comme par un ordre du ciel. Rarement on la vit aussi abondante. Il sembla que les sources de l'abime s'étaient frayé un passage et que, dans un violent déluge, les eaux s'étaient multipliées.»

« Tout étant préparé, ainsi que nous l'avons dit, on vit approcher du tombeau du saint martyr les évêques Humbert d'Autun, Gauthier de Chalon, Ponce de Maçon, Geoffroi de Nevers, et ceux d'Evreux et d'Avranches, dont nous avons oublié les noms. Ils furent suivis par les abbés Rainard de Cîteaux, Ponce de Vézelay, Gâlon de Corbigny, Pierre de Tournus, et plusieurs autres parmi lesquels Pierre de Saint-Pierre de Chalon, Barthélemy de La Ferté, Guillaume de Fontenay, Pierre de La Bussière, l'abbé de Sept-Fonts [1] et celui du lieu nommé Stotheria. Une foule innombrable de nobles seigneurs et d'hommes de grande réputation les accompagnait. C'était pendant la nuit qui précéda la fête ; on avait fait sortir de l'église tous les laïques et les portes avaient été fermées avec soin. Le peuple veillait en dehors, s'associant, par la ferveur de ses prières, à la célébration des matines que l'on chantait avec harmonie dans l'intérieur de la basilique. L'office que l'on célébrait avec une pieuse joie étant achevé, le seigneur Humbert, évêque d'Autun, couvert d'un ornement de pourpre, comme il convenait, entra dans le sanctuaire avec les chanoines de son église, les évêques, les abbés et quelques religieux. Les autres ne quittèrent pas le choeur. Le pontife commença aussitôt la messe du Saint-Esprit qui fut chantée avec tant d'harmonie et de ferveur par les clercs réunis dans l'église, que tous les assistants croyaient entendre non des voix d'hommes, mais des voix d'anges. »

« Après l'évangile, les évêques, revêtus de leurs ornements pontificaux, afin de se présenter avec l'habit nuptial à la table de l'ami spécial de Jésus-Christ, restèrent dans le sanctuaire, les abbés et les chanoines étant retournés au choeur. Deux tailleurs de pierre dont le secours était indispensable pour détacher et soulever le couvercle du sépulcre avaient été seuls introduits. »

« Les oraisons étant achevées, les prélats récitèrent encore quelques psaumes. Alors ils s'approchèrent du tombeau avec une frayeur religieuse et en versant d'abondantes larmes. Au moment où, à la fin d'un répons, les mots tollite lapidem furent prononcés par eux, comme ils l'avaient été par le Sauveur lui-même au jour de la résurrection du bienheureux martyr, les deux ouvriers enlevèrent par leur ordre la tombe qu'ils avaient trouvée artistement scellée. »

« Les pieux pontifes, en se baissant, reconnurent le corps de saint Lazare avec la tête et les autres membres. Puis par la même affection de l'âme, par le même instinct de dévotion, rendant grâces à Dieu notre bienfaiteur pour une découverte si glorieuse, ils entonnèrent le Te Deum. Le vif sentiment d'allégresse qui les dominait ne leur permit pas d'achever cette hymne ; mais l'assistance en continua le chant.

«Le doute exprimé par quelques-uns sur l'existence de la tête du saint, excita les félicitations les plus vives lorsqu'on aperçut cette précieuse relique. »

« Au même instant une agréable odeur s'échappa du sépulcre ouvert. Elle surpassait tout ce que pourraient offrir de plus suave des aromates composés de nard, de roses, de lis, et des autres plantes et des autres fleurs les plus odoriférantes. C'est le témoignage qu'en rendirent ceux qui ayant pu s'avancer plus près, baisèrent avec respect un des bras du saint. »

« Le vénérable Humbert, par la grâce de Dieu évêque de la noble cité d'Autun, environné des spectateurs de sa joie si spéciale, enveloppa tous les ossements ainsi que le suaire et une peau de cerf intacte, dans une pièce d'étoffe de soie très riche, et lia le tout avec des courroies sur un brancard de bois. »

« On acheva ensuite le saint sacrifice. Cependant le jour tant désiré commençait à luire. Bientôt les portes de la Cathédrale furent ouvertes ou plutôt brisées. L'empressement du peuple qui s'y précipita fut telle que les barrières de fer placées à l'entrée du chœur eussent été renversées sans les efforts que firent les clercs pour les soutenir. »

« Témoins de ce désordre, Eudes, duc de Bourgogne, Guillaume, comte de Chalon, et les autres très vaillants barons déposèrent leurs clamydes, et s'armant de leurs bâtons, voire même de leurs épées, ouvrirent un passage au clergé qui transportait en pompe les saintes reliques. Ce ne fut pas sans de grandes difficultés que le cortège parvint à l'église de Saint-Lazare. La foule était si pressée à l'intérieur de ce temple, qu'il fut impossible d'arriver en procession jusqu'à l'autel. Ceux qui portaient le dépôt sacré, haletants de fatigue et d'inquiétude, le placèrent sur deux ais élevés, que nous voyons encore dans la nef. Pendant l'octave entière la foule religieuse se pressa en ce lieu pour vénérer les saintes reliques ; ce qui glorifia Dieu et fut grandement utile aux malades.

Le nombre des cures merveilleuses par lesquelles le Sauveur tout-puissant fit resplendir les hommages rendus à son ami le bienheureux Lazare, au jour de la translation de ses ossements sacrés, ne saurait être exprimé par aucun mortel. La vue fut rendue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, les infirmes recouvrèrent le libre usage de leurs membres, les possédés retrouvèrent le calme et la lucidité des pensées ; des malades en danger revinrent à la santé. Nous qui écrivons nous avons vu ces choses. La guérison des diverses infirmités était si fréquente, et l'on voyait succéder si vite un homme en santé à un malade, que les clercs et les moines, occupés à rendre grâce à Dieu pour un prodige obtenu, n'avaient pas le temps d'achever le Te Deum avant qu'un autre malade ne s'écriât que, par la miséricorde du Seigneur et l'invocation de son serviteur Lazare, il était délivré de son mal. Les spectateurs d'une si prodigieuse quantité de miracles furent tellement stupéfaits que, ne pouvant plus suffire à louer le Seigneur par des paroles, ils satisfirent l'élan de leur piété en modulant des neumes.

Qui pourra dire ce que furent les expressions de la gratitude ? Qui pourra décrire l'abondance des larmes versées dans l'émotion de la reconnaissance ?»

« Pendant que le peuple étonné admirait toutes ces choses et que le bienheureux Lazare, venant de prendre possession de sa propre demeure, conviait ses amis au festin qui leur avait été préparé, le diable qui persécute la vérité, qui aime le mensonge et la malice, voyant la gloire dont jouissait l’Église, l'édification publique qui dilatait son règne, et l'augmentation de l'honneur dû au nom du Christ son époux, nom qui est au-dessus de tous les noms, il en éprouva du dépit. Entrant en fureur, il se mit à chercher une proie qu'il pût dévorer. Il voulut, ce que Dieu empêche, déraciner le culte de l'ami du Seigneur, et vérifia cette parole du Saint-Esprit : l'ennemi a exercé sa méchanceté contre le saint. On vit en effet cet inique Satan profiter d'une occasion légère en elle-même pour exciter entre les barons réunis une discussion telle que plusieurs désespérèrent de se retirer la vie sauve. Levant en effet-leurs bâtons, puis bientôt courant aux armes, ils laissèrent beaucoup d'hommes à demi-morts dans les rues et sur les places. Mais Dieu qui ne se lasse point de prendre pitié de nous, qui a peine à retenir l'essor de sa miséricorde, profita de la circonstance pour faire éclater davantage encore sa puissance. Son action fut si visible, que, malgré le grand nombre de blessés, personne ne mourut et n'éprouva même de longue maladie. »

« Le lundi après l'octave, pendant la nuit, le seigneur Humbert, évêque, accompagné de ses chanoines, entra dans l'église où le bienheureux martyr non enseveli reposait sur les deux ais. Le chœur se mit à psalmodier avec larmes, et des prêtres portant, comme il convenait, de riches ornements, entourèrent le prélat. Celui-ci, couvert de ses vêtements pontificaux, plaça l'un après l'autre dans un sarcophage neuf les ossements du bienheureux Lazare, ne réservant qu'un bras et la tête pour l'Église-mère qui était désolée de la perte du corps entier. Elle recueillit avidement de précieux dépôt qu'elle conservera jusqu'à la fin des siècles. Le seigneur Humbert trouva encore parmi les ossements les gants du saint martyr, signes de l'épiscopat, et la bourse, indice de l'apostolat et de la prédication. Toutes ces choses furent renfermées avec le saint corps, au milieu des témoignages d'une vénération qui s'exprima même par les larmes. »

« Pour nous, auguste martyr, bienheureux Lazare, l'honneur des évêques, qui reposez, par la grâce de Dieu et pour le salut de nos âmes, dans l'église d'Autun, nous vous supplions doucement de reconnaître les hommages que nous vous rendons, en nous protégeant contre tous les assauts de l'ennemi, d'écarter de nos esprits les mauvaises inspirations qui ne laissent que la honte, d'ouvrir la source des vertus, de donner  la main à ceux qui vous servent, de leur octroyer l'indulgence, de les délivrer du mal, de secourir les opprimés, de guérir les infirmes, de nous présenter, le dernier jour au véritable Juge dans le palais duquel vous habitez plein de gloire, afin que nous attendions avec confiance une sentence de miséricorde, nous qui n'avons pas cessé de nous déclarer vos fidèles serviteurs. Que le Dieu de tout bon conseil, notre vraie consolation dans l'adversité, qui nous a rempli de joie par la vertu de son Esprit saint, nous fasse abonder dans l'espérance de la vocation céleste. Que le denier, accordé par le divin Père de famille à son ami Lazare, en récompense de ses travaux, nous soit donné par une bienveillante miséricorde, quand nous occuperons les demeures moins brillantes, il est vrai, qui nous sont réservées. Les choses que nous venons de rappeler telles que nous les avons vues ou ouï raconter ont eu lieu en l'année onze cent quarante-sept depuis l'Incarnation du Seigneur, au mois d'octobre, le dimanche après la fête de l'évangéliste saint Luc, sous le pontificat d'Eugène III qui siège sur la chaire de Pierre, du temps de l'archevêque de Lyon Amédée et de l'évêque d'Autun Humbert, sous le règne de Louis, roi des Francs,  Eudes étant duc de Bourgogne, à la gloire de Dieu qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. »

[1] Il y a dans le manuscrit de Sancto Loco, c'était le nom de l'abbaye de Sept-Fonts.

 

DU CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN. PAR MGR ADOLPHE DEVOUCOUX
DU CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN. PAR MGR ADOLPHE DEVOUCOUX
DU CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN. PAR MGR ADOLPHE DEVOUCOUX

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Publié le par Rhonan de Bar
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LE CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN.

PAR MGR JEAN SÉBASTIEN ADOLPHE DEVOUCOUX.

Construction de l'Église dédiée à saint Lazare.

L'architecte chargé de diriger cette importante construction avait sous les yeux des monuments élevés par les Romains au temps de leur plus grande puissance. Il connaissait sans aucun doute le temple auguste que l'on achevait alors à Cluny. Ces divers types influèrent sur sa pensée. Le plan basilical combiné avec la forme d'une croix latine était alors d'un usage presque général ; il l'adopta. Une grande nef, accompagnée de transepts et terminée par une abside, domina deux nefs collatérales moins élevées, mais terminées comme la nef principale. Deux lignes de sept piliers, partant du mur de la façade et aboutissant au transept, divisèrent cette première partie de l'église en sept travées. Deux lignes de trois piliers chacune ajoutèrent, au-delà du transept, deux travées aux précédentes, La grande travée de la maîtresse-nef et du transept fut surmontée, au point central, d'une coupole octogone soutenue par des pendentifs. Les arcs-doubleaux qui relièrent chacun des piliers, soit à un autre pilier isolé, soit à une portion de pilier engagé dans les murs, reçurent la forme du tierspoint.

Les piliers de la grande nef et les arcs qui les relièrent dans le sens de l'axe de cette nef portèrent une muraille divisée en deux rangs de baies superposées.

Le premier rang accusa la pensée d'un triforium. Le rang plus élevé présenta de véritables fenêtres. L'arc triomphal et la voûte de l'abside s'appuyèrent sur le triforium, au-dessous duquel régnèrent, dans cette partie de l'édifice moins élevée que la grande nef, deux rangs de baies destinées au passage de la lumière. La voûte de la maîtresse-nef suivit la forme des arcs-doubleaux qui la divisaient en travées, de telle sorte qu'elle offrit un vaste berceau d'une seule masse retombant tout entière sur les murs latéraux.

Quant aux travées des nefs latérales, chacune d'elles fut couronnée par une voûte d'arrêté dirigeant ses points d'appui vers les piliers eux-mêmes. Les divers caractères de construction que nous venons d'énumérer appartiennent au style de transition qui régna généralement en France pendant la première moitié du douzième siècle. Le caractère spécial de l'architecture bourguignonne qui consiste dans l'emploi fréquent du pilastre cannelé ne pouvait manquer d'apparaître dans l'église Saint-Lazare. Il y devint même tout-à-fait dominant. Car pendant que les autres églises de la contrée mélangèrent l'emploi de la colonne encastrée et du pilastre cannelé dans la décoration des piliers et des murailles, l'architecte de Saint-Lazare évita ce mélange. Les pilastres furent tous striés et dans toute leur longueur. Seulement des colonnettes furent employées, ou pour orner les pieds droits de quelques baies, ou pour interrompre la monotonie des piliers de la grande nef. Ces piliers, octogones à leur base, se découpent ensuite en forme de croix à branches égales : chacune des extrémités de cette croix fut ornée d'un pilastre cannelé avec rudentures, et trois de ces pilastres reçurent sur leur chapiteau ou la retombée de l'arc-doubleau de la basse nef voisine, ou l'archivolte de l'entre-colonnement.

Du côté de la grande nef, le pilastre, après avoir rencontré une frise composée de rosaces et de moulures saillantes qui formait comme une ceinture au-dessus de l'entre-colonnement, traversa le triforium, puis la région des baies servant de fenêtres, et arriva jusqu'à la naissance de la grande voûte où les moulures de son chapiteau se marièrent avec celles d'une corniche qui fait le tour de l'édifice. C'est à partir du triforium jusqu'à cette corniche que l'architecte accompagna chaque pilastre de deux colonnettes pourvues de bases et de chapiteaux. Le triforium se composa de trois arcades séparées par des pilastres striés et couronnées par un petit entablement. L'arcade du milieu fut seule ouverte dans toute l'épaisseur du mur. Les autres ne sont que des cintres aveugles. Le pignon du grand portail fut percé de trois baies. On décora celle du milieu, plus grande que ses compagnes, par des colonnettes et par une archivolte avec rinceau. Un nombre de baies, que nous ne pouvons plus indiquer aujourd'hui, et peut-être même une ouverture circulaire, avaient été pratiquées dans le mur qui s'élevait du sommet de l'arc triomphal au sommet de la grande voûte. Le pignon du portail latéral, pratiqué dans une des extrémités du transept, présente aussi trois baies, dont l'une plus grande est décorée de colonnettes ; mais ces baies ne sont point placées à la même hauteur comme dans le pignon de la façade. L'autre pignon du transept fut percé de cinq baies sur deux

Rangs superposés, l'un de trois, l'autre de deux. Cette partie de l'église fut disposée d'une manière spéciale qu'il convient de remarquer. La base des pilastres se prolonge jusqu'à la hauteur de celle des pilastres du choeur et des deux absides collatérales. Evidemment on se proposa d'y établir un autel élevé sur un plan auquel on arrivait par une suite de marches égale à celle du sanctuaire, de telle sorte que la grande nef et le transept étaient disposés à l'instar de deux églises qui se couperaient à angles droits[1].

Comme les reliques de saint Lazare reposaient à Saint-Nazaire, dans la chapelle de Sainte-Croix, on voulut que les deux autels principaux fussent consacrés l'un à Saint-Lazare, l'autre à la Sainte-Croix. L'iconographie du monument démontrera cette préoccupation du signe distinctif des croisés, uni au culte du patron des frères hospitaliers.

Dans le plan du premier architecte, le grand portail se composa d'un avant-corps percé d'une large baie divisée par un trumeau et servant de porte. L'archivolte couvrit un large tympan. Elle fut divisée en trois cintres reposant sur des colonnes. Au-dessus de cette archivolte, l'architecte disposa une grande baie absidaire décorée d'arcades portées par des pilastres cannelés. Cette baie fut accompagnée de deux ouvertures dont les pieds-droits se trouvèrent décorés de colonnettes. Dans deux arrière-corps disposés des deux côtés de l'avant-corps, on pratiqua des portes peu larges, correspondant aux basses-nefs ; des colonnes décorent les pieds-droits de ces portes et en supportent l'archivolte. Le portail latéral, divisé par un trumeau, offrit un tympan couronné par une archivolte divisée en deux cintres portés aussi par des colonnes. Une arcature avec pilastres cannelés décora la partie supérieure de cette portion de l'édifice. Du reste, tout le côté de la grande nef et du transept situé vis-à-vis de l'église Saint-Nazaire reproduisit exactement à l'extérieur les formes du triforium pratiqué dans l'intérieur de l'édifice.

En traçant le plan de l'église Saint-Lazare, en coordonnant ses lignes, en arrêtant les proportions des diverses parties, l'architecte n'obéissait pas seulement à l'influence des types qu'il voulait imiter, il cédait à une inspiration conçue dans les enseignements les plus intimes de l'art religieux. M. l'abbé Crosnier, dans son Iconographie Chrétienne qui est aujourd'hui l'un des traités élémentaires d'archéologie religieuse les plus accrédités, a cité quelques-unes des formules numériques adoptées par le constructeur de la Cathédrale d'Autun[2]. Mais les formules qui pouvaient plaire à l'imagination des moines artistes voués à la contemplation, ne disaient rien à la foule incapable d'en pénétrer le mystère ; c'est par l'iconographie qu'il fallait s'appliquer à lui parler.

« Les images que l'on voit dans les églises, dit Honorius d'Autun, ont une triple fin ; elles ont pour but d'enseigner la religion au peuple, de rappeler le souvenir des événements passés, et de servir d'ornement aux basiliques[3].» Fidèle à ce principe, l'architecte de Saint-Lazare combina l'ornementation de l'édifice de manière à offrir aux yeux, à travers des motifs variés empruntés à l'ordre végétal, des motifs historiques fournis par la Bible et par les légendes.

D'habiles archéologues ont voulu contester la pensée systématique qui a présidé au choix et à la distribution des motifs historiques à Saint-Lazare et qui en fait un véritable enseignement de la religion ; mais une précieuse découverte due à l'un d'entre eux rendra plus sensible l'idée d'unité qui a dirigé le décorateur de notre église.

Nous avons prouvé que la fondation de ce monument fut comme une solennelle expiation des dommages causés à l'église d'Autun par les ravisseurs de son trésor. La liaison de ce fait avec le système des images dont ce monument est orné nous oblige à entrer dans quelques détails préliminaires.

Rien n'était célèbre dans les traditions poétiques des peuples germains comme les diverses fortunes du trésor des Nibelungen, ces enfants des brouillards, ces nebulones, dont l'histoire se confond avec celle des fils du vent les Bor-Gundar [4] ou Burgundes. Une malédiction était attachée à cet or qui, d'après la prédiction du nain Anduari, « deviendrait une cause de mort pour deux frères, et un sujet d'inimitié entre huit princes [5]. » L'héroïne de ces poèmes est la Walkyrie Brynhilde, comme le principal héros est Sigurd ou Siegfried, nom identique à celui de Sigebert[6], époux de la reine Brunehauld. Ce qui a fait dire au savant auteur des Questions Bourguignonnes :

« Il est impossible de ne pas reconnaître dans les traditions épiques, soit de l'Edda, soit des Minessingers allemands, des souvenirs confus de notre histoire mérovingienne, du vaillant et malheureux Sigebert d'Austrasie, assassiné par la femme de son frère, et de cette fameuse Brunechilde ou Brunehault, venue des pays enflammés du Midi pour causer parmi nous la mort de tant de princes. » Si l'on ajoute à cette observation cette autre, à savoir : que tous les noms qui apparaissent dans l'un des poèmes cités sont précisément les noms généalogiques des princes qui se partagèrent, au temps de Charles-Martel, les biens immenses donnés à l'église d'Autun par Brunehauld et augmentés par saint Léger, on nous pardonnera la digression dans laquelle nous croyons devoir entrer.

En 531, Childebert fait une expédition en Septimanie contre les Wisigoths ariens, persécuteurs de sa soeur Chrotechilde. Il rapporte avec lui d'immenses trésors dont il se sert en partie pour doter beaucoup d'églises[7]. Un an ou deux après, il s'empare d'Augustodunum, met en fuite le roi bourguignon Godemar[8], et devient ainsi maître des Etats et des trésors des enfants des brouillards et du vent. Un peu plus tard les troupes des Burgundes, conduites par leurs nouveaux maîtres d'origine Franque, vont combattre en Italie, et Theudebert, neveu de Childebert, reçoit d'immenses richesses que ses ducs victorieux lui font parvenir. Les ancêtres de saint Léger, d'après D. Pitra, faisaient partie de cette expédition. En 543, Childebert assiège Sarragosse et rapporte à son retour la tunique de saint Vincent, diacre et martyr. Ce roi, en se rendant en Espagne, avait fait voeu de construire une église en faveur d'un pieux solitaire habitant, alors les environs de Bourges, mais qui avait pris l'habit monastique à Perrecy, ancien domaine des patrices romains ou burgundes, dans lequel un monastère avait été établi. A la suite de l'expédition, Childebert accomplit son voeu et fit élever la célèbre basilique de Paris dédiée à saint Vincent, qui fut confiée aux moines de Saint-Symphorien d'Autun. Vers le même temps une église dédiée à saint Vincent s'élève à la porte du monastère autunois, et les deux églises Cathédrales de Chalon et de Mâcon sont mises sous l'invocation du même saint par leurs augustes fondateurs. Childebert est enterré dans la basilique de Saint-Vincent de Paris. Ses trésors passent entre les mains de son frère Clotaire[9].

La reine Ultrogothe qui avait contribué aux grandes fondations religieuses de Childebert est envoyée en exil [10]. Clotaire meurt en 561 ; son trésor devient l'héritage de Chilpéric son fils[11], qui veut s'emparer de la capitale du royaume de Childebert ; mais il est obligé de partager bientôt avec Charibert qui obtint Paris, avec Gontran qui eut Orléans, et avec Sigebert auquel échut la ville de Reims. Ce dernier prince qui eut à combattre les Huns, dont le nom occupe une si grande place dans les poèmes des Niblungen, épousa bientôt la célèbre fille d'Athanagilde, qui lui fut donnée avec de grands trésors[12] .

On connaît sa gloire tristement mêlée à des luttes à main armée avec ses frères. Au moment où, installé dans Paris avec sa femme Brunehilde et ses enfants, il se préparait à poursuivre à outrance Chilpéric, l'Autunois Germain, le grand saint de l'époque, lui dit : « Si tu pars d'ici, situ renonces à tuer ton frère, tu retourneras chez toi vivant et glorieux ; si tu persistes dans de funestes pensées, tu mourras. Le Seigneur dit en effet par Salomon : Tu tomberas dans la fosse que tu as préparée pour ton frère. » Sigebert, aveuglé par ses péchés, négligea cet avis. Au moment où les Francs l'élevaient sur le bouclier, deux valets envoyés par Frédégonde l'assassinèrent à coups de couteaux. Son corps fut déposé dans cette célèbre abbaye de Saint-Médard de Soissons, dont les privilèges ne devaient avoir d'égaux que ceux des royales fondations d'Augustodunum, et qui devait abriter un jour sainte Sigrade, mère de saint Léger. Childebert II son fils lui succède. Il recouvre plus tard le trésor de Sigebert, que les ducs EIlnodius et Arnegisile avaient essayé de ravir à son légitime possesseur[13]. A la mort de son oncle Gontran, enterré dans la basilique de St Marcel de Chalon, Childebert unit la Bourgogne à son royaume d'Austrasie. Il meurt en 596. Son royaume est divisé entre ses deux fils, Theudebert et Theuderic. Le trésor d'Autun se révèle alors par une suite de monnaies sur lesquelles apparaissent la tête de Brunehilde unie à celle de ses petits-fils. Les basiliques d'Autun acquièrent des richesses presque fabuleuses. Elles excitent la cupidité du maire du palais Warnahaire, qui après avoir soumis la malheureuse Brunehilde au plus affreux supplice, vient mourir à la villa d'Auxy, près d'Augustodunum, frappé lui-même par la justice de Dieu, si on en croit les légendes.

Plus tard le riche évêché d'Autun, convoité par différents partis, donne lieu à des luttes sanglantes. Saint Léger, l'un des plus nobles enfants de l'Austrasie, est appelé à pacifier cette église et à l'enrichir encore.

Ebroin trouve dans le duc de Champagne Waimer le digne exécuteur de ses entreprises cupides. Le charitable évêque d'Autun Ansbert répare les maux causés par les intrigues des ducs, et meurt vers la fin du septième siècle en laissant son église dans un grand état de prospérité. Trente ans après, les Arabes, faisant irruption par les Pyrénées, arrivent jusqu'en Bourgogne. La destruction d'Autun et le pillage des immenses trésors qui s'y trouvaient renfermés est un des principaux faits de celte invasion que les chroniques du temps enregistrent avec une sorte de solennité.

Charles-Martel refoule les Arabes vers les Pyrénées, mais solde ses guerriers avec les biens des églises. Le comté d'Autun devient la part de son frère Childebrand, dont le fils se nomme Nibelung, dont les petits-fils se nomment Childebrand, Nibelung et Théodoric.

Dans cette famille qui se distingue par ses grandes richesses et par ses goûts littéraires, on ne peut s'empêcher de remarquer l'usage spécial de tous les noms qui apparaissent avant tous les autres dans les poèmes dits Nibelungen.

La généalogie des nobles Nibelungs, perpétués sur le sol éduen jusqu'au onzième siècle, nous est fournie, pour l'époque carlovingienne, par le Cartulaire[14] (1) de la villa du Patrice (Patriciac aujourd'hui Perrecy).

 

[1] Une intention semblable se trouve encore mieux accusée dans la Cathédrale de Soissons. En entrant dans l'église, soit par la porte du nord ouverte dans le transept, soit par le grand portail, le spectateur se trouve dans une nef terminée par une abside. [2] À l'époque qui vit élever l'église Saint-Lazare, l'école Cathédrale d'Autun était dirigée par l'un des écrivains du douzième siècle qui a poussé le plus loin le symbolisme liturgique. Ceux qui voudront parcourir le premier livre du traité d'Honorius d'Autun, qui a pour titre Gemma animæ. depuis le chapitre cinquantième jusqu'au cinquante-huitième et sa préface sur l'Hexaméron, comprendront l'importance qu'on attachait alors à certains nombres, et comment on pouvait exprimer par ces nombres des noms divins. [3] Ob tres causas fit pictura : primo, quia est laicorum literatura ; secundo, ut Somus tali decore ornetur : tertio, ut priorum vila in memoriam revocetur. — Gemm. anim., lib. I, cap..132. [4] Questions Bourguignonnes, par M. Roger de Belloguel, p.13. [5] Mélanges  d'Archéologie, T.III, p. 98, 99. [6] Id., p.114, note I. [7] Gregor. Tur. Hist. Franc., lib. III, C. X. [8] Chlothacharius vero et Childebertus in Burgundiam dirigunt, Augustodunumque obsidentes, cunctam fugato Godomaro Burgundiam occupaverunt.— Id., C. XI.[9] Cujus regnum et Thesauros Ghlothacharius rex accepit. — Greg. Tur., lib. IV, C. XX. [10] Wltrogotham vero et filias ejus duas in exiliulli millit.Ibid. [11] Chilpericus vero, post patris funera, Thesauros, qui in villa Brinnaco erant congregati, accepit.— Ibid, cap. XXII. [12]  Quam pater ejus non denegans, cuni magnis theauris antedicto régi transniisit. - Ibid, cap. XXVII. [13] Hist. Franc., lib. VIII, cap. XXVI. [14] Le comte Eccard, qui donna le prieuré de Perrecy à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, était fils de Childebrand, fils de Nibelung, fils de Childebrand. C'est à ces princes que l'on doit la troisième et la quatrième partie de la continuation de la Chronique de Frédegaire. Quant à Eccard, dont nous connaissons les riches trésors par son testament authentique, il légua à Anchesise, archevêque de Sens, les Gestes des Lombards et la Chronique de Grégoire de Tours ; à l'abbesse Bertradane, l'Evangile en langue tudesque ; à Thierry, fils de Nivelung, une épée indienne et des tables sarrasines.

Les actes de ce Cartulaire sont précisément ceux par lesquels les Nibelungs disputèrent cette riche villa aux successeurs du moine Eusice dont nous avons parlé en rappelant les expéditions guerrières et les fondations pieuses de Childebert. Au douzième siècle, les traditions poétiques qui se rattachent au nom des Nibelungs avaient perdu en partie leur caractère primitif appartenant à l'Odinisme. Dans les Nibelungen de la fin du douzième siècle, dit le P. Arthur Martin[1] , l'ancien Sigurd, le Siegfried des Allemands, n'est plus qu'un chevalier chrétien. » On ne sera donc pas surpris de retrouver avec ce savant archéologue la légende germanique de Sigurd mêlée à celle du chevalier romain saint Eustache, dans un monument conçu sous l'empire des idées chevaleresques excitées par les Croisades, et dédié à saint Lazare, modèle et protecteur des frères hospitaliers. On ne sera pas surpris non plus de voir la même légende germanique du VICTORIEUX possesseur des trésors des fils de la splendeur, le héros Sigurd de la race des Sicambres, unie à la légende du VICTORIEUX défenseur des trésors de l'Eglise, le diacre saint Vincent, dans un édifice religieux élevé en réparation des dommages causés par les leudes austrasiens aux fondations mérovingiennes, et particulièrement à celles de Brunehilde, l'épouse de Sigebert. Le chef de l'école Cathédrale d'Autun au douzième siècle, Honorius, ne pouvait ignorer notre histoire locale. Il est certain qu'il connaissait beaucoup l'Allemagne. Après une digression trop longue peut-être, mais en elle-même nécessaire, exposons le plan iconographique de Saint-Lazare.

Nous avons dit que le plan ichnographique donne l'idée de deux églises se coupant à angles droits, terminées, l'une par un autel dédié à saint Lazare, l'autre par un autel dédié à la Sainte-Croix. Ce fait qui est indiqué par quelques détails architechtoniques, a pour raison l'union du culte de la Sainte-Croix à celui de saint Lazare dans la basilique Saint-Nazaire, ainsi que les préoccupations auxquelles donnaient lieu les Croisades.

Les sculptures du portail latéral, représentant la résurrection de saint Lazare et l'importance donnée à la légende de saint Eustache et aux apparitions de croix, dans les figures du grand portail, démontrent l'intention formelle d'unir ces deux cultes, intention dont on trouve une autre preuve dans les méreaux de la même église qui représentent d'un côté une croix ancrée[2], de l'autre saint Lazare ressuscité.

L’union du culte de saint Lazare, auquel était dédiée la grande abside, au culte de ses deux soeurs, dont les autels étaient placés dans les absides latérales, se trouvait indiqué sur le trumeau du grand portail. On y voyait en effet, de face, l'image de saint Lazare en costume d'évêque, et par côté les images de sainte Marie -Madeleine et de sainte Marthe. On sait que saint Lazare et ses soeurs sont, dans l'enseignement traditionnel, le type des trois faces de la vie chrétienne, vie de pénitence, vie d'action, vie de contemplation[3].

L'idée de conversion, de passage de la mort du péché à la vie de la grâce, figurée, d'après les saints Pères, par la résurrection de saint Lazare, était exprimée u portail latéral par le parallélisme établi entre la représentation de ce fait évangélique et celle du fait biblique de la chute d'Adam. Les vases de parfums placés entre les mains des deux soeurs de Lazare indiquaient les oeuvres de miséricorde et les œuvres de piété[4].

La nécessité de réparer les torts faits à l'église par les déprédateurs de ses biens, d'expier les désordres auxquels entraînait la cupidité, se trouvait trop liée à la fondation de la basilique Saint-Lazare pour n'avoir pas été fortement exprimée par le sculpteur énergique au ciseau duquel nous devons la décoration principale. Aussi voit-on, dans la grande composition du tympan, d'affreuses griffes sortant de l'enfer pour saisir un malheureux damné, placé entre le symbole de l'avarice et celui de la luxure[5].

Pénétré de toutes ces idées et voulant les ramener à l'unité, le décorateur de Saint-Lazare combina une suite de sujets iconographiques dont on ne peut méconnaître la liaison et l'enchaînement.

Le portail latéral placé en face de la Cathédrale Saint-Nazaire, là-même ou fut jadis l'entrée de l'établissement de charité fondé par saint Léger, indiqua la dédicace principale du monument et comme l'histoire abrégée de sa fondation. On y remarquait, d'après un procès-verbal du quinzième siècle, de grandes images de pierre placées dans le tympan, qui représentaient la résurrection de saint Lazare et au-dessous desquelles on voyait les figures d'Adam et d'Eve. Ce grand motif n'existe plus. Le linteau sur lequel on reconnaissait l'histoire de la chute de l'homme a disparu également avec le trumeau chargé de figures ; mais nous voyons encore sur les chapiteaux des colonnes placées de chaque côté de ce portail Adam et Eve se couvrant de feuilles après leur péché ; les soeurs de saint Lazare aux pieds du Sauveur qui ressuscite son ami ; le mauvais riche repoussant le pauvre Lazare, et enfin le pauvre Lazare reçu dans le sein d'Abraham qui à son tour repousse le mauvais riche.

Le règne du Christ vainqueur est représenté au grand portail[6]. Le Fils de Dieu environné de la gloire que portent des anges est assis sur un trône. Près de lui se trouve Marie sa mère et deux personnages dont l'attribution est indécise. Il est là pour juger l'univers, comme l'indiquent deux vers [7] gravés sur le bord de l'ornement elliptique en forme de bouclier auquel les iconographes donnent le nom de gloire. A ses pieds les mortels sortent de leurs tombeaux avec des attributs qui révèlent leurs bonnes ou mauvaises œuvres.

Un ange placé au centre du linteau et armé d'un glaive sépare les méchants d'avec les bons. Ceux-ci tendent vers la Jérusalem céleste placée à droite de Jésus-Christ, les autres sont entraînés dans l'enfer placé à sa gauche. Là on voit l'archange saint Michel, pesant les âmes que le démon lui dispute avec audace.

La grande archivolte s'épanouit autour de cette vaste composition et se divise en trois cintres. Celui qui environne immédiatement le tympan était couvert par les figures des patriarches et des prophètes. Il reposait sur deux chapiteaux offrant l'un l'image de la présentation de Jésus au temple, l'autre les vieillards de l'Apocalypse chantant les louanges du Verbe triomphant. Le cintre qui suit est décoré par des branches de mûrier, symbole de la croix et de la translation de la grâce des juifs aux gentils[8]. Les chapiteaux sur lesquels il retombe représentent l'apparition de la croix à saint Eustache et les épreuves de ce généreux chevalier. Les signes du zodiaque auxquels se trouvent intercalées les figures des douze travaux de l'année ornent le troisième cintre qui est reçu par des chapiteaux sur lesquels on remarque d'un côté l'apologue du Loup et de la Cigogne, et de l'autre l'histoire du Lion de saint Jérôme, symboles d'ingratitude et de reconnaissance. Quand on étudie le symbolisme du douzième siècle, il est difficile de ne pas voir dans la disposition iconographique des trois cintres l'indication de la loi de nature, de la loi écrite, et de la loi de grâce[9]. Deux consoles sur lesquelles on voit l'image du destructeur de l'Apocalypse, monté sur un hippogriffe et armé d'une massue, ainsi que celle du faux prophète Balaam, supportent le linteau.

David allant attaquer Goliath avec cinq pierres, puis rapportant la tête coupée du géant, est figuré sur les chapiteaux des colonnes qui ornent la petite porte conduisant au collatéral de sainte Marie-Madeleine.

Ses combats victorieux contre les lions et les ours[10] sont représentés sur les chapiteaux de la petite porte conduisant au collatéral de sainte Marthe. Dans les idées d'Honorius d'Autun, ces images sont une exhortation à embrasser la croix avec confiance, afin de combattre victorieusement l'ennemi du bien. Le chapiteau du trumeau du grand portail offre du côté extérieur l'image de deux personnages entrelacés par des rinceaux et dont les bras supportent le linteau. On voit du côté intérieur Jacob partant pour la Mésopotamie, luttant avec l'ange et consacrant la pierre Bethel. Cette image a évidemment pour but de rappeler les passages du chapitre vingt-huitième de la Genèse relatifs au respect dû à la maison du Seigneur.

Le tombeau de saint Lazare, comme nous le verrons, occupait le fond de la grande abside. L'enseignement symbolique attaché à sa mort et à sa résurrection et qui n'est autre que la réparation du genre humain par la grâce, entrait si bien dans les intentions de l'artiste chargé de décorer l'église dédiée à ce saint, que sur les vingt-huit chapiteaux recevant la retombée des arcs-doubleaux de la maîtresse-voûte, soit dans la nef, soit dans le transept, trois seulement sont historiés. Ils représentent l'histoire de la chute de l'homme et de l'Incarnation. La place qu'occupent les différents motifs est tellement choisie que la pensée de l'artiste ne laisse aucun doute. Le fait de la tentation et de la chute du premier homme, ainsi que celui de l'Annonciation, sont placés précisément là où se trouverait la plaie faite au côté de Jésus-Christ, si l'on se représentait le Sauveur des hommes étendu sur la croix formée par le plan de la basilique. L'image des quatre fleuves du paradis terrestre que l'on voit à la naissance de l'arc triomphal sont un symbole très connu des grâces abondantes répandues sur l'humanité par l'Incarnation divine et par le sacrifice de l'Homme-Dieu [11].

Il convenait de spécifier le collatéral dédié à sainte Madeleine par l'indication des consolations ménagées par le Seigneur aux âmes qui se confient en lui au milieu des séductions de ce monde, et le collatéral de sainte Marthe par l'indication des épreuves de la vie active et de la force qu'elles exigent. Aussi voyons nous apparaître l'action des bons anges dans presque tous les sujets sculptés sur les chapiteaux du collatéral de sainte Madeleine, et celle des mauvais anges sur les chapiteaux du collatéral de sainte Marthe. Ne perdant pas de vue la pensée d'unité que nous avons indiquée, l'artiste a résumé les tentations auxquelles on résiste soit avec les consolations des bons anges, soit avec l'énergie contre le démon. D'un côté les suites de la luxure sont indiquées par le combat acharné de deux coqs, de l'autre côté l'image du veau d'or signale l'apostasie à laquelle conduit la cupidité. La série des images du collatéral de sainte Madeleine commence par la hideuse figure d'un monstre qui se repaît de ses excréments, symbole évident des désordres d'une âme qui, ne vit que pour les choses des sens. —

Vient ensuite la légende de la naissance de la Vierge immaculée, combinée avec celle de la naissance d'Isaac et du sacrifice d'Abraham. Il y a comme un résumé de l'Ancien Testament dans ce rapprochement du fait biblique et de la légende. On voit successivement les trois jeunes hébreux jetés dans la fournaise pour n'avoir pas voulu partager les usages impurs de Babylone, mais assistés par des anges qui empêchent l'action corrosive des flammes ; — les chaînes de saint Pierre brisées par un esprit céleste ; — des guérisons miraculeuses ; — le prophète Habacuc transporté par un ange et venant nourrir le prophète Daniel jeté dans la fosse aux lions ; — Jésus tenté dans le désert, transporté par Satan sur le pinacle du temple, mais assisté par les anges ;-- Marie Madeleine et les saintes femmes, allant au tombeau de Jésus-Christ et apprenant d'un ange l'heureuse nouvelle de sa résurrection ; — l'image de la concorde et la prospérité représentée par deux princes nourris par les fruits d'un même arbre; — la punition de la polygamie dans la légende de Lamech tuant Caïn ; — l'union de la force et de la grâce dans les deux colonnes Jachin et Booz ; — l'union d'un prince et d'un abbé pour offrir une église à Dieu; - la jalousie d'Hérode; -- l'adoration des Mages ; - leur retour dans leur pays sans passer par Jérusalem à cause d'un avertissement céleste ; — la fuite en Egypte ; - deux figures[12] empruntées peut-être aux traditions germaniques pour indiquer la fureur des passions déchaînées contre l'innocence, qu'indiquerait un enfant à genoux, et les mains croisées sur sa poitrine, attendant le coup de la mort ; — enfin Jésus-Christ apparaissant en frère hospitalier pour soulager toutes les misères.

La série des images du collatéral dédié à sainte Marthe et destinée à représenter la lutte que les saints ont à soutenir contre la cupidité et les désordres qu'elle entraîne, commence par trois sujets bien significatifs. Une femme nue cachant son désespoir et sa honte en couvrant son visage de ses mains, est entraînée au moyen d'un instrument à dents par un géant accompagné d'un monstre. — En face se trouve, suivant une savante

dissertation du P. Martin[13], la victoire du héros Sigurd sur le dragon Fafnir. Le sujet était tellement usité pour indiquer la vertu de force et de courage, qu'il était traité de préférence par les artistes anciens sur les boucliers et sur les tentures[14]. On leremarque aussi sur l'un des piliers de la Cathédrale de Frisingue[15]. A Autun le héros Sigurd se relevant de la fosse dans laquelle il s'est blotti, perce avec la merveilleuse épée Grani, fabriquée des débris du glaive de son père Sigmund, le dragon Fafnir, possesseur des trésors du nain Anduari, au moment où le monstre suit le sentier dans lequel Sigurd lui a dressé un piège. — Sur le même pilier, mais sur un autre chapiteau, on remarque deux oiseaux défendant le corps de saint Vincent contre les attaques de deux ours. Cette légende indique, dans les traditions iconographiques, le repos dû aux reliques des saints, comme le mythe germanique de Sigurd indique la noble mission des chevaliers, appelés à défendre la faiblesse opprimée et à combattre les ravisseurs des trésors sacrés. Cette observation nous porte à croire que la femme nue, entraînée par un géant qu'accompagne un monstre, pourrait bien être la Valkyrie du Valhalla, la vierge Criemhild, fille du roi bourguignon Gibich de Worms, enlevée par un infâme géant transformé en dragon, mais délivrée par le brave Siegfried ou Sigurd[16]; à moins cependant qu'il ne s'agisse ici de la Valkyrie Brynhilde, entraînée dans le Château des flammes d'où la fit sortir la valeur du même héros.

L'instrument à dents recourbées ressemble en effet aux instruments de fer qui servent à faire mouvoir les objets jetés dans les fournaises.

A la suite de ces trois sujets qui paraissent avoir eu pour but de rappeler avec quel zèle les chevaliers doivent employer leur bravoure pour défendre les opprimés et protéger les richesses consacrées au culte des saints, on voit un personnage placé sur un arbre, combattant, avec le bâton double des lépreux, un autre personnage placé au pied de l'arbre et armé d'une hache. — La simonie, désordre contre lequel on faisait alors tant de règlements, est indiquée ensuite par la légende de Simon le Magicien, cherchant à voler dans les airs pour nuire à la mission des apôtres, mais précipité honteusement sur la terre, par la vertu des pouvoirs de saint Pierre et des prières de saint Paul.

On remarque plus loin un personnage chargé de sonnettes qu'il fait mouvoir. D'habiles archéologues y voient une figure de la musique. Le rapprochement de ce sujet avec celui qui est placé en face, et qui représente Jésus-Christ lavant les pieds des apôtres et  donnant par là l'un des plus mémorables exemples d'humilité et de charité à tous ceux qui sont chargés d'exercer l'hospitalité, nous avait fait penser que  l'homme aux sonnettes indiquait la fausse charité appelée par saint Paul cymbalum tinniens.-Un lion terrassé par un personnage monté sur lui et qui de ses mains écarte ses mâchoires paraît être le symbole de la vertu de force. — Vis-à-vis on voit saint Etienne lapidé par les Juifs pendant que Saul, non converti, garde ses vêtements. — Samson ébranle les colonnes de la salle dont les ruines doivent écraser les Philistins.

— L'arche de Noé est arrêtée sur le mont Ararat. C'est un symbole bien connu de l'Eglise véritable. — Judas, appuyé sur le démon de l'avarice qui tient une bourse, livre le sang du juste au prince des prêtres qui a pour escabeau le démon de la haine et de la jalousie. Le sang du juste est représenté par une coupe. — En face le Seigneur vient reprocher à Caïn la mort de son frère Abel[17]. — A côté, Judas est pendu par les deux démons qui l'ont conduit à trahir son Maître. — En entrant dans la chapelle de sainte Marthe, on voit un sujet compliqué dans lequel nous croyons devoir reconnaître la lutte d'Enoch et d'Elie contre l'antechrist[18], si on le lie surtout à un chapitre voisin sur lequel on remarque un guerrier poursuivant un sphinx avec une fronde. — Il y a bien de l'apparence que les oiseaux à plusieurs têtes placés près de là, et sur l'un desquels on voit un homme armé, symbolisent aussi cette lutte suprême du bien contre le mal. — Le dernier sujet représente Jésus-Christ tenté par le démon qui lui présente une pierre en l'invitant à la changer en pain, ce qui amène cette réponse du Sauveur: l'homme ne vit pas seulement du pain matériel, mais de toute parole sortie de la bouche de Dieu; en face on voit un prince richement vêtu et montant un cheval caparaçonné dont le pied foule un petit homme nu. Ce sujet, dont l'analogue se retrouve en beaucoup de lieux de l'ancienne Aquitaine surtout, n'a pas une signification unanimement admise par les archéologues. — Plusieurs ont cru l'expliquer convenablement en disant qu'il représente la punition d'Holopherne, déprédateur du temple de Jérusalem. — Il nous a semblé, qu'à Autun, l'opposition de ce sujet à celui de Jésus-Christ, humilié par le démon qui lui présente le problème social le plus important pour les âmes vouées aux bonnes œuvres extérieures, semble indiquer la lutte de la puissance orgueilleuse contre la gloire de l'humble charité.[19]

Nous avons fait observer ailleurs que depuis la sculpture qui représente l'adoration des Mages jusqu'à celle-ci, il y a une suite de motifs dont Honorius d'Autun, dans son Commentaire sur le Cantique des cantiques[20], se sert pour symboliser les six épreuves, sous la loi de grâce.

La première épreuve, selon lui, est la lutte de l'Eglise contre la synagogue. Elle commence à Hérode et s'étend jusqu'à la vocation des gentils. — Nous avons vu les sujets relatifs à Hèrode et à ses persécutions.

— La deuxième épreuve est la lutte entre les chrétiens et les païens. Elle est symbolisée par Simon le Magicien s'opposant aux apôtres et par le martyre de saint Etienne. Ces deux sujets viennent, à Saint-Lazare, à la suite de la persécution d'Hérode. — La troisième épreuve est la lutte entre les catholiques et  les hérétiques dont le chef est Arius. — On se rappelle la sculpture représentant l'arche, symbole bien connu de la véritable Eglise. Brunon d'Asti, contemporain d'Honorius d'Autun[21], dit positivement que le corbeau sorti de l'arche est la figure d'Arius. —

La quatrième épreuve est la lutte des religieux rencontrant des faux frères, dont le type est Judas trahissant son divin Maître. — A la suite de l'arche nous voyons, à Saint-Lazare, la trahison de Judas et le meurtre d'Abel. — La cinquième épreuve est la lutte d'Enoch et d'Elie et des prédicateurs évangéliques contre l'antechrist. — Nous avons expliqué la sculpture qui se rapporte à ce sujet. — La sixième épreuve est le combat du Roi de Gloire contre le roi de la Superbe, c'est-à-dire de Jésus-Christ contre le démon. — Or le dernier sujet sculpté rappelle la parole par laquelle le Verbe divin confond la sagesse diabolique en montrant la supériorité de la vie spirituelle sur la vie matérielle, solution dernière de tous les problèmes posés par la cupidité orgueilleuse.

Le lecteur, en réfléchissant sur la suite et l'ensemble des diverses sculptures de Saint-Lazare et sur le rapport manifeste de plusieurs d'entre elles avec les idées d'Honorius d'Autun, pensera sans doute que les circonstances dans lesquelles cette église a été construite, et que l'enseignement du célèbre écolâtre d'Autun, ont laissé dans son plan et dans les images qui la décorent une empreinte profonde qui mérite d'être étudiée.

 

[1] On a vu par une note placée plus haut que les noms germaniques Sigurd, Siegfried, Sigebert sont synonymes ; ils signifient le victorieux comme le nom latin Vincentius. On sait toute l'importance que les anciens attachaient à la synonymie et à la valeur poétique des noms propres. « Quand nous autres fils de la victoire nous serons rassemblés, dit Sigurd dans l'Edda, on saura lequel naquit plus valeureux. » (Mélanges d'Archéol., vol. Ill, p. 102). « Vincentii victoriam maria celabunt, disent les officiers de Dacien en jetant le corps de saint Vincent à la mer. « Christi miles post mortem quoque ostenditur invictus, quem nec supplicia vincere nec maria quiverant » ajoute la légende de saint Vincent. (Bolland., XXII jan. p. 397.) [2] Les armes de l'église Saint-Lazare sont une croix de sable sur un champ de gueules. Il est bien probable que l'on avait voulu indiquer ce signe héraldique au tombeau renfermant les reliques de saint Lazare ; car l'entrée du caveau était fermée par une pierre carrée de porphyre rouge, fixée par deux bandes de fer croisées en fer de moulin. — Il ne faut pas oublier non plus que la croix était l'un des attributs spéciaux de sainte Marthe, soeur de saint Lazare, qui avait remporté une victoire signalée contre le monstre nommé Tarasque. — Monum sur l’apost. De sainte Madeleine. -T I, col 208 et suiv.  [3]Consideremus, fratres, quemadmodum tria haec distribuerit ordinatio caritatis, Marthae administrationem, Mariæ contemplationem, Lazaro poenitentiam. Habet haec simul quaecumque perfecla est anima : magis tamen yidentnr ad singulos singula pertinere. — S. Bern. Serm. 2, In. Assumpt. [4] Intret ergo domum Salvator, et frequenter visitet eam, quam poenitens Lazarus mundat, ornât Marlha, et Maria replet internae dedita contemplationi. — Ibid. [5] On doit faire observer que trois ou quatre conciles, tenus à Autun dans les dernières années du onzième siècle, avaient eu pour objet de réprimer l'envahissement des biens de l'Eglise et les mariages incestueux. [6] La grande scène du jugement dernier est un sujet trop souvent répété sur le portail des églises pour qu'il faille chercher une raison spéciale de son existence sous la grande archivolte de l'église Saint-Lazare. Toutefois on peut noter que les saints Pères aimaient à rapprocher cette grande scène de celle de la résurrection de son ami. — Quid enim sibi vult, quod Dominus ad monumentum accessit, magna voce clamavit : Lazare, exi foras : nisi ut futurae resurrectionis specimen praestaret, exempluin daret? — Ambros. De fide resurrecf. Voir aussi S. Augustin. Tract. 49, In. Evang. [7] Omnia dispono solus meritusque corono, Quos scelus exercet, me judice, poena coercet. « Seul, je dispose toutes choses et je couronne la vertu ; je suis constitué le juge des hommes criminels, et ma sentence est la règle de leur punition. »  [8] Dicetis huic arbor moro :  eradicare et transplantare in mare : et obediet vobis. — Luc XVII 6. — Huic arbori moro, hoc est ipsi Evangelio crucis Dominicoe, per poma sanguinea, tanquam vulnera in ligno pendentia, victum populis praebiturae. Dicant ergo illi ut eradicetur de perfidia Judoeorum et in mare gentium transferatur alque plantetur. - August., Quest. Evang., lib. II, quest. 39. [9] Honorius d'Autun revient à tout propos, dans ses Explications liturgiques, sur ces trois temps, dont le premier commence à Adam et s'étend jusqu'à Moïse ; tandis que le second s'écoule de Moïse à Jésus-Christ ; comme le troisième s'accomplit de la prédication évangélique à la gloire céleste. [10] Reg. I 17. — Honorius d'Autun comparant le saint sacrifice de la messe à un combat du Christ contre les démons, dit : Cum ecclesiam intramus, quasi ad stationem pervenimus. Cum campanae sonantur, quasi per classica milites ad praelium incitantur; quasi vero acies ad pugnam ordinantur, dum utriusque in choro locanlur. Cantor qui cantum inchoat, ut tubicina qui signum ad pugnam dal. Cum ergo a subdiacono et aliissacrificium inslituitur, quasi a David, a Saul, et populo armis induitur. Porro cum pontifex ad allare venit, quasi David adversus Philisteum procedit. Per calicem mulctrale accipitur, per corporale funda, per oblalam petra intelligitur. David contra Philisteum baculum portavit, et Christus contra diabolum crucem bajulavit. Per fundam Christi caro, per lapidem ejus anima. — (Gemm. Illlim., lib. i, cap. 73, 74, 79, 81.) [11] On conçoit qu'on ait réparti avec sobriété les chapiteaux historiés dans la partie la plus élevée de l'église, la distance du spectateur à l'objet figuré en rendant la vue plus difficile. Mais alors le choix des sujets n'en est que plus instructif ; puisque l'existence de ses sujets n'est motivée que par le besoin d'écrire en images la pensée qui a dirigé le plan de l'édifice. [12] L'une de ces figures représente un homme honteusement nu, ayant une tête de chacal, portant une hache de la main droite et saisissant de la main gauche les cheveux d'un enfant qu'il veut frapper. L'autre figure est celle d'une femme éhontée, dont les cheveux sont hérissés comme ceux d'une furie ; elle est armée d'un glaive et d'une pierre. L'homme-chacal indique la gloutonnerie, ainsi que la luxure et la cruauté qui en sont les résultats ordinaires. — Voir D. Pilra. Spicilegium Solesm. T.III, p. 64. Il est indubitable que l'artiste a voulu représenter les caractères indiqués dans ce passage. [13] Mélang. d'archéol., vol. III, p. 100. [14] ld., p. 113. [15] Id., p. 95. La ville de Frisingue appartient à la Bavière, et est située près des bords de l'Isar. On sait que la Bavière tire son nom d'une colonie de Boii, frères d'origine des Boii du sol éduen. Or c'est dans cette partie du pays éduen qu'avaient leurs principaux domaines les comtes dont la généalogie présente fréquemment le nom Nibelung. Cette église reconnaît pour ses principaux bienfaiteurs l'empereur Frédéric Barberousse et sa femme Béatrix de Bourgogne, très proche parente de la principale bienfaitrice de l'église Saint-Lazare, Ermentrude de Bar. Un prêtre nommé Sigefrid écrivit vers l'onzième siècle, pour l'évêque de Frisingue Valdo, un livre d'Evangiles écrit en langue theotisque, comme celui que le comte Eccard, bienfaiteur de Perrecy, donna, dans le siècle précédent, àl'abbesse Bertradane. A l'époque où le sculpteur Gislebert travaillait aux sculptures de la Cathédrale, le célèbre Othon, depuis évêque de Frisingue, habitait Citeaux. [16] Id.,p.114. [17] Nous ne pouvons nous empêcher ici de faire remarquer un parallélisme bien sensible. Dans le collatéral de Sainte-Madeleine deux princes vivent en paix des fruits d'un même arbre. Dans le collatéral de Sainte-Marthe, au lieu correspondant, on voit l'arche, symbole d'unité. Dans le premier collatéral, on remarque le meurtre de Caïn par Lamech; dans le second, le meurtre d'Abel par Caïn : deux symboles de discorde auxquels vient mettre le sceau la trahison de Judas.  [18] Saint Brunon d'Asti, moine de Cluny, applique à l'antechrist plusieurs passages de Job relatifs à Léviathan. (Biblioth. max. PP. T. 20, col. 1676.) Sur le chapiteau d'Autun on voit un monstre dont la queue se recourbe pour porter un guerrier armé d'un glaive; la gueule du même monstre est ouverte et se fait remarquer par ses dents aiguës contre lesquelles est dirigée la flèche que lance un sagittaire. Or, d'après Brunon d'Asti, le glaive et la queue de Léviathan figurent l'antechrist. Ses dents représentent les hérétiques. Le sagittaire indique la prédication d'Enoch et d'Elie, ainsi que le guerrier armé d'une fronde. Aussi, sur un chapiteau voisin de celui-ci, on voit un guerrier poursuivant un sphinx avec une fronde. [19] On doit se rappeler que sur le chapiteau correspondant Dans le collatéral de Sainte-Madeleine, Jésus-Christ est représenté en frère hospitalier, portant le bâton double et l'aumônière  [20] In capit. VIII. [21]Lib. 1, Sentent, cap. II.

DU CULTE DE SAINT LAZARE À AUTUN. MGR ADOLPHE DEVOUCOUX.
DU CULTE DE SAINT LAZARE À AUTUN. MGR ADOLPHE DEVOUCOUX.
DU CULTE DE SAINT LAZARE À AUTUN. MGR ADOLPHE DEVOUCOUX.

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

 

LE CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN.

PAR MGR JEAN SÉBASTIEN ADOLPHE DEVOUCOUX.

Il est rare que la fondation des édifices religieux d'une grande importance ne se lie pas à quelque fait merveilleux dont la trace est restée profondément gravée dans les traditions populaires.

« L'évêque d'Autun Aganon, dit l'auteur de l'Autun Chrétien[1], se trouvant dans une grande oppression causée par la violence de Robert, duc de Bourgogne, convoqua un concile à Autun, pour chercher par l'avis des prélats de son voisinage les moyens de mettre en sûreté les biens de son Église, et jouir de la paix et tranquillité dont il avoit besoin pour la gouverner. Ce concile fut tenu en l'an 1055. Les histoires ne font aucune mention du succès de cette assemblée. Mais on peut juger avec raison qu'il fut heureux, et qu'il obligea Robert de changer de conduite, de donner la paix à Aganou, et d'empêcher les désordres et les brigandages qui se commettoient impunément dans toute l'étendue de ses Etats. Car on voit que ce même duc, quelque temps après, ayant appris qu'un gentilhomme d'Autun possédé du démon en avoit esté délivré par les mérites et l'intercession de saint Lazare, il fit bâtir cette auguste église qui est aujourd'hui dédiée en son honneur, et qui n'aïant pas été achevée de son temps, le fut de celuy d'Hugues son fils et successeur, pendant qu'Estienne Ier en tenoit le siège. »

Le récit de Saulnier contient quelques inexactitudes que Gagnare a relevées. Quant à nous, il nous semble convenable de citer textuellement l'auteur contemporain qui a rapporté les circonstances du concile, que l'on place communément à l'an 1063.

« Je vais raconter, dit l'auteur de la Vie de saint Hugues, abbé de Cluny [2], des choses prodigieuses, mais je les tiens du témoignage authentique de Geoffroi du Mont-St-Vincent et de Rainaud d'Autun. Le duc Robert opprimait Haganon, évêque d'Autun, d'une manière très dure, et la Bourgogne avait à souffrir des diverses incursions d'un grand nombre de malfaiteurs. A cette occasion les évêques Geoffroi de Lyon, Hugues de

Besançon, Achard de Chalon et Drogo de Mâcon, s'assemblèrent à Autun et prièrent Hugues, abbé de Cluny, de venir diriger leurs délibérations par sa sagesse. Il se trouvait là une grande multitude d'hommes illustres et un peuple immense qui demandait par des cris incessants qu'on obtînt enfin la paix. Le duc, ou plutôt le tyran, vint lui-même à Autun ; mais par un orgueil plein de malice il refusa d'entrer dans l'assemblée. Le vénérable Hugues, excité par les ardeurs de la charité, alla trouver cet homme indomptable, lui adressa de vifs reproches, et, au grand étonnement de tout le monde, il l'amena avec lui comme s'il eût été une douce brebis.

Les évêques ayant supplié Hugues de parler en faveur de la paix, la foule gardant un respectueux silence, et semblant comme attachée à la bouche du saint homme, il dit : « Que ceux qui désirent la paix, qui aiment Dieu, nous écoutent et nous secondent ! que celui qui n'est point le fils de la paix, qui ne vient point de Dieu, mais est notre ennemi, que celui-là, je le lui ordonne au nom du Dieu tout-puissant, se retire du milieu de nous, et ne mette pas obstacle à l'oeuvre du ciel ! » A peine avait-il prononcé ces mots, qu'un personnage d'une haute stature, et au regard farouche, sortit avec une foule d'autres et disparut. Parmi la multitude des spectateurs, il ne s'en trouva pas un qui pût reconnaître aucun des fuyards. La surprise fut universelle. On se demandait l'un à l'autre quels pouvaient être ces gens, et pour toute réponse à cette question on disait que, selon toute apparence, les démons avaient quitté visiblement l'assemblée à la voix du saint, et s'étaient ensuite évanouis comme des ombres.

Après la retraite de ces mauvais esprits, la parole du saint fut tellement efficace que, par son ordre, le duc lui-même pardonna aux meurtriers de son fils et accorda la paix à l'Eglise. 0 bienheureux homme ! dont Satan ne pouvait soutenir la présence, à l'aspect duquel Satan ne savait résister. Cette merveille fut dépassée par une autre merveille. Pendant tout le temps que le saint homme fit entendre ses saints enseignements, on vit apparaître sur sa tête une sorte de blanche colombe. Ceux qui virent ce prodige en glorifièrent Dieu, car tous ne méritèrent pas cette faveur.

Etienne, archiprêtre de Perrecy, nous a attesté de la manière la plus positive que, malgré son indignité, il avait contemplé ce miracle.

Quoi qu'il en soit d'un fait qui peut facilement s'expliquer par la surexcitation des esprits et par les grâces nombreuses que Dieu accordait à saint Hugues, le duc Robert résolut de satisfaire à des voeux si unanimes, fondés sur la justice. D'ailleurs Hélie, sa femme, fille de Dalmace de Semur et d'Aremburge de Vergy, était la propre soeur de l'abbé de Cluny. Le meurtrier de Hugues, fils du duc Robert, était Guillaume, comte de Nevers, qui avait voulu venger l'incendie de la ville et de l'église de Saint-Brice, situées entre Auxerre et Avallon. Depuis quelques années la principale église de cette dernière ville possédait un ossement de saint Lazare. C'était un don du duc Henri. Vers le temps du concile dont nous venons de parler et auquel prit part l'archevêque de Besançon, des liens de confraternité s'établirent entre les chanoines d'Autun et ceux de la capitale de la Séquanie.

Ceux-ci commencèrent à honorer spécialement saint Lazare, et à inscrire sur leur martyrologe l'annonce suivante[3]  : « Le premier septembre, à Autun, réception du corps de saint Lazare, que le Seigneur Jésus ressuscita d'entre les morts. » Ce corps précieux, transporté de Marseille à Autun, dans l'un des deux siècles précédents, était en effet déposé sous une tombe, non loin de l'autel de St-Nazaire. On voyait sur cette tombe la châsse d'argent qui avait servi à la translation[4].

Les voyages à la Terre-Sainte, si nombreux à cette époque, donnèrent un élan de circonstance au culte d'un saint regardé dès les premiers âges du Christianisme comme le protecteur des pèlerins [5]. Les Croisades augmentèrent cette dévotion des peuples. En 1077, le duc Hugues, petit-fils de Robert, avait donné au chapitre d'Avallon une statue d'or représentant l'ami et l'hôte de Jésus-Christ. Dès l'année 1106, le pape Paschal II consacra, sous l'invocation de Notre-Dame et de St-Lazare, l'église de ce chapitre qui venait d'être reconstruite. En outre du concile tenu à Autun, en 1065, il y eut en cette ville des conciles en 1077, en 1091, en 1100. Le projet d'une expédition contre les Mahométans, conçu par saint Grégoire VII, exécuté par Urbain II, occupait alors tous les esprits. Il en était question à chaque réunion d'évêques[6]. Dans l'année même où la croisade fut résolue et proclamée au concile de Clermont, alors que la proposition du père commun des fidèles fut accueillie avec le cri « Dieu le veut, » répété par mille bouches, le Souverain-Pontife vint à Autun et y passa plusieurs jours [7].

Afin de mieux assurer le succès de l'entreprise annoncée, il s'appliquait à pacifier les Eglises et à concilier tous les intérêts. Il encourageait aussi les actes d'expiation.

Parmi les exemples de pénitence donnés par des seigneurs qui après avoir persécuté l'Eglise l'avaient consolée par leur piété et leurs aumônes, on citait Hilduin, comte d'Arcis-en-Champagne. Ce seigneur, pour expier ses injustices, avait suivi en pèlerinage à la Terre-Sainte Adson, abbé de Monthier-en-Der.

On disait de plus qu'il avait imité Waimer, duc de Champagne, conduit jadis par saint Bercaire au tombeau du Christ pour obtenir que Dieu lui pardonnât d'avoir été le bourreau de saint Léger. Saint Bercaire, selon une conjecture de Mabillon[8] confirmée par les monuments, était ce moine, ami dévoué de l'évêque-martyr, qui l'avait averti des funestes desseins du roi Childéric. C'était à lui que saint Léger avait confié l'administration d'un établissement de charité, nommé Matricula, qui occupait, sur l'un des côtés de l'atrium de la Cathédrale dédiée à saint Nazaire, remplacement où s'élève aujourd'hui l'église Saint-Lazare [9]. On sait que le duc Waimer avait assiégé Autun vers 675, et que saint Léger s'étant livré à lui, pour éviter à sa ville épiscopale et à son peuple les terribles conséquences d'une prise d'assaut, ce seigneur inhumain lui fit arracher les yeux. Touché par la patience du généreux martyr, qu'il avait conduit en Champagne, Waimer essaya de lui faire oublier son crime et vint déposer à ses pieds sa part des trésors enlevés à l'église d'Autun. Ces richesses furent rapportées dans la cité par le moine Berton. C'est dans le lieu même, témoin de l'amour de saint Léger pour son Eglise et pour les pauvres ; c'est dans le lieu où ce grand évêque avait été menacé de la mort par le roi Childéric, où, après avoir distribué tous ses biens à ses enfants spirituels, il leur avait annoncé sa résolution de donner sa vie pour eux ; c'est là, et aussi près de la tombe qui recouvrait les précieux ossements de saint Lazare, qu'Urbain II fit restituer au chapitre d'Autun et la garde du trésor de la Cathédrale, et l'église de Couhard[10], où, selon une tradition locale, saint Léger avait enduré le plus douloureux supplice. Il semble que l'idée de la réparation due aux injustices dont saint Léger et ses oeuvres avaient été l'objet, se soit trouvée inséparable alors des idées de pénitence, de satisfaction et de générosité que rappelle le nom de l'hôte et de l'ami de Jésus-Christ. La famille des ducs de Lorraine, qui comptait saint Léger parmi ses plus illustres membres, se glorifiait aussi du nom de Gérard de Roussillon [11]. Or, ce héros des poèmes carlovingiens est celui auquel on attribue la fondation de l'abbaye de Vézelay et du chapitre d'Avallon[12].

C'est à son influence que les moines de Vézelay assuraient devoir la possession des reliques de sainte Madelaine, et il y a bien de l'apparence que la translation du corps de saint Lazare de Marseille à Autun se fit par ses soins. C'est l'opinion de l'homme savant qui a le mieux étudié la question[13].

De tous les comtes d'Autun, ceux qui contribuèrent le plus à faire restituer à l'église Cathédrale les biens donnés par saint Léger, furent Richard-le-Justicier et son fils Raoul. On sait que Richard descendait de Bavin ou Beuve des Ardennes, et était frère de Boson, d'abord comte d'Autun, puis roi de Bourgogne et de Provence. Un fils de Richard[14], nommé Boson, s'établit en Champagne ; il fut très puissant et étendit sa domination sur les terres de Toul et de Verdun. Au commencement du douzième siècle, un comte de Bar, allié à la famille des ducs de Bourgogne, vint résider à Autun[15] . C'est à ce moment que les restitutions prennent un caractère d'expiation plus marqué, et que l'érection d'une grande église en l'honneur de saint Lazare couronne pour ainsi dire les oeuvres réparatrices ; c'est alors aussi que les fils de saint Bercaire et de saint Mansuet établissent des confraternités avec ceux des monastères bourguignons que les comtes de Bar protègent d'une manière spéciale[16].

Le dernier jour du concile tenu à Autun, en 1100, par le légat du Saint-Siège Hugues de Die, le duc de Bourgogne, Eude I, cousin germain et beau-frère d'Ermentrude de Bar et de Gui, archevêque de Vienne, depuis pape sous le nom de Callixte II, vint déposer sur l'autel de Saint-Nazaire une charte par laquelle il renonçait à d'injustes usages et restituait à la mansecapitulaire la terre de Chenôve, une de celles que saint Léger avait données à son Eglise par testament. En signe de réconciliation et pour que la mémoire s'en conservât plus sûrement, il donna un baiser à l'un des chanoines[17].

En 1113, le chapitre d'Autun présenta à Hugues II, fils d'Eude, le témoin de l'acte de son père et la charte elle-même. Les conditions de la convention avaient été si peu observées qu'il fallut, pour convaincre le duc de son devoir, le verdict d'un jury composé de dignitaires de l'Eglise et d'officiers du duc, parmi lesquels se trouvait Tescelin Sorus, père de saint Bernard[18]. Théobald de Damas, l'un des jurés, formula le verdict ainsi qu'il suit : « Nous sommes d'avis qu'en vertu de son droit et de la remise faite par le duc, l'Eglise d'Autun est appelée à jouir de la terre de Chenôve, de ses dépendances, des hommes qui l'habitent et qui l'habiteront, en toute liberté et sans contestation aucune. » Le duc se soumit aussitôt ; et pour sanctionner cette reconnaissance d'un droit, il fut dit que celui qui oserait en violer la teneur encourrait l’anathème de saint Léger, évêque et martyr[19].

En 1077, le duc Hugues I, frère d'Eude, renonçant à tous ses droits sur l'église d'Avallon, l'avait donnée à l'abbaye de Cluny [20]. En 1116, le pape Paschal II reconnut que cette donation avait été faite contrairement aux droits des évêques d'Autun. Il décida en conséquence que l'église de Sainte-Marie et de Saint-Lazare d'Avallon appartiendrait à ces évêques ; que les biens qui en dépendaient seraient employés, partie à leur usage, partie à celle des clercs et des pauvres.

Il prononça ensuite un anathème contre ceux qui oseraient attenter à ce droit solennellement établi, et causer des vexations à ses légitimes possesseurs[21].

L'année 1119 fut marquée par des évènements bien glorieux pour la Bourgogne et particulièrement pour Autun. Le pape Gélase II, dans l'intention de réunir un grand nombre d'évêques pour terminer la grave question des investitures, se rendait à Vézelay où il avait donné rendez-vous au roi Louis-le-Gros. En arrivant de Lyon à Mâcon, il tomba malade d'une pleurésie.

Se sentant atteint mortellement, il se fit transporter à Cluny, afin de terminer ses jours au lieu même où il avait autrefois embrassé la vie monastique.

Quelques jours après son arrivée il y mourut saintement. Un grand nombre de prélats et de seigneurs s'étaient rendus dans cette ville pour les funérailles de Gélase. Les cardinaux qui s'y trouvaient presque tous pensèrent que le bien de l'Eglise exigeait que l'on procédât immédiatement à l'élection d'un nouveau pape. Leur choix tomba sur Gui, archevêque de Vienne. Ce prélat, distingué par ses vertus et par sa sagesse, était fils de Guillaume, comte de Bourgogne, oncle de la reine de France, parent de l'Empereur et du roi d'Angleterre. Elu, le premier jour de février, il se rendit à Vienne où son couronnement eut lieu le neuf du même mois. Après avoir tenu un concile à Toulouse au mois de juin, puis un autre à Reims au mois d'octobre, il résolut de se rendre à Rome, passant auparavant quelques jours, soit à Autun, où résidait sa soeur Ermentrude de Bar, soit à Cluny, lieu de son élection. Le 21 décembre, il se trouvait à Saulieu. Plusieurs cardinaux et archevêques l'accompagnaient, et les évêques d'Autun, de Langres, d'Auxerre et de Nevers, s'étaient rendus auprès de lui. Il présida à la translation solennelle des reliques des SS. Andoche, Tyrse et Félix, qui furent portées, de la crypte qui les avaient conservées pendant 900 ans, dans l'église supérieure[22]. Le 23 du même mois il approuva la charte dite de charité, qui réglait les rapports des maisons de l'ordre de Cîteaux avec l'abbaye-mère[23].

Il arriva à Autun assez à temps pour célébrer solennellement la fête de Noël, dans l'église de Saint-Nazaire, près de la tombe renfermant le corps de saint Lazare. Turstin, archevêque d'Yorck, et Brunon, archevêque de Trêves, étaient venus dans cette ville afin de converser avec lui sur de graves affaires[24].

Ce dernier venait spécialement réclamer contre les entreprises d'Etienne, fils d'Ermentrude de Bar. Ce neveu du pape et ancien chanoine d'Autun, devenu évêque de Metz, voulait se soustraire à la juridiction du métropolitain de Trêves. Callixte passa les fêtes près des membres de sa famille. Il était à Cluny, le jour de l’Epiphanie ; de là il se rendit à Rome. On le vit bientôt embellir la capitale du monde chrétien. Il fit même reconstruire la basilique de Saint-Pierre qu'il dota des plus riches ornements.

Le séjour du pape Callixte à Autun détermina sans doute la construction de l'église Saint-Lazare, car cette année est celle que nos historiens locaux les plus anciens indiquent pour le commencement des travaux [25]. On doit regarder Thierry de Montbelliard, comte de Bar, et Ermentrude sa femme, soeur du Souverain-Pontife, comme les principaux bienfaiteurs de cette église, car jusqu'au dernier siècle leurs tombeaux élevés se virent dans le choeur de Saint-Lazare.

Il est certain que le duc de Bourgogne Hugues II, leur neveu, contribua de son côtéà l'érection de ce grand édifice. Eude, son père, pour faciliter l'entreprise, avait cédé la terre dite le Champ de Saint-Mansuet [26].

Cette terre, qui occupait un des côtés de l'ancien atrium de Saint-Nazaire, était précisément l'emplacement de la matricule, ou trésorerie fondée par saint Léger et sujet de tant de luttes.

 

[1] Page 32. [2] Bolland. die 29 aprilis, p. 659. [3] Bolland. mens. Junii, t. vi, part. 1, p. 507. — Monuments inédits sur l'Apostolat de sainte Madelaine, etc., T. I, p. 723, note a. [4] Procès-verbal du douzième siècle, que nous traduirons plus-bas. [5] Hist. des Ordres religieux, 1714, in.4°, liv. I., p. 262. [6] Hist. de l'Eglise de France, par M. Guettée, T. IV, p. 328, id. p. XXVIII et suiv.

[7] Domnus Papa Urbanus, cum Galliaruin partes quamplurimas permeasset, viris religiosis concitatus, ad usque urbem Heduorum pervenit, quo in loco ab episcopo et a clero cum suis non indecenter exceptus, cum dies perpaucos demoraretur, Agano praefatae urbis episcopus et cum ipso B. martyris Nazarii universus canonicorum conventus Sublimitalis ipsius praesentiam adiverunt. — (Chartular. Eduense citatum in Gall. Christ., T. IV, col. 83 Instrum.) [8] Acla SS. ord. S. Bened. saecul. secund., p. 831. — Il est dit positivement dans la vie de saint Bercaire que saint Léger était l'un de ses principaux protecteurs. Aussi le nom du saint évêque d'Autun paraît-il dans les chartes de fondation des divers monastères dus au zèle de saint Bercaire. Il est évident que saint Léger mit sous sa direction l'organisation établie par lui pour le service de l'église Cathédrale d'Autun.[9] Hist. de saint Léger, par D. Pitra, p. 208, 194, 456. [10]Altare quippe principale S. Nazarii martyris et ecclesias Casleii (Cheilly) et Cucurbitissae villae (Couhard-), Thesauri quoque custodiam. — Gall. Christ., T. IV, col. 83 Instrum. [11] Voir le tableau généalogique de la famille de saint Léger. — Histoire de saint Léger, p. 420. [12] Gall. Christ., T. IV, col. 466. — Histoire de Chatillon, par Gustave Lapérouse, p. 103. Histoire de Bourgogne, par D. Plancher, T. I p. 138. [13] Monuments inédits sur l'Apostolat de sainte Marie-Madelaine, etc., p. 727 et suiv.[14] D. Plancher, T.I, p. 237, 238.[15] Hist. de l'Eglise d'Autun, p. 330.[16] En 1020, le roi Robert tint un concile à Héry, sur les limites des diocèses d'Auxerre et d'Autun. Les reliques de saint Bercaire furent apportées à ce concile. (Acta ord. S. Bened. secul. secund., p. 859.) Ce n'était pas la première fois qu'elles étaient venues en Bourgogne ; car, pendant les courses des Normands, elles furent transférées près les rives de la Saône, parce que ce pays se trouvait sous la protection de Raoul, fils de Richard-le-Justicier (id. p. 846). — L'abbaye de Monthier-en-Der fut réformée au dixième siècle par celle de Saint-Evre de Toul, qui possédait alors le corps de saint Mansuet. (Ibid. p. 848. — Bolland., die 3 sept., p. 626.) En 1119 le pape Callixte II releva les reliques de saint Andoche, à Saulieu. Peu après les moines de Saint-Mansuet de Toul établirent une confraternité entre eux et ceux de l'abbaye de Saint-Audoche de Saulieu. (Courtépée, édit. nouv., T. IV, p. 97.)[17] Gall. Christ., T. IV, col. 87 Instrum. Le siège épiscopal d'Autun était alors occupé par l'un des plus entreprenants de ses évéques. Il se nommait Norgaud, nom qui rappelle celui du comté de Nortgaw, appartenant à l'une des branches les plus certaines de la famille de saint Léger. Le comté de Nortgaw, situé dans ce qu'on appela le palatinat de Bavière, avait été l'une des stations des Burgondes, aussi bien que la résidence des Boii. [18] L'année 1113 est celle ou saint Bernard, âgé de 23 ans, quitta le monde et se rendit au monastère de Citeaux avec trente de ses amis.[19] Si quis hoc violare prarsumpserit, ferialur analhemate S. Leodegarii episcopi et martyris. (Gall. Christ.) [20] D. Plancher, T. I, p.273. [21] Gall. Christ., T. IV, col. 88. [22] Tous les ans, la veille de Saint-Thomas, on annonçait jadis à Saulieu les indulgences par la concession desquelles le Souverain-Pontife termina celle translation. Comme l'église était très fréquentée ce jour-là par les étrangers, il y avait une brillante illumination qui a été très longtemps en usage. (Courtépée, T. IV, p. 97.) [23] Datum Sedeloc iper manum Chrysogoni s. R. E. diaconi, cardinalis ac bibliothecarii. X. kal. januarii, indictione XIII, Incarnationis Dominiez, anno M. CXIX, pontificatus autem domini Calixti secundi, Papoe anno primo. [24] Turstinus archiepiscopus Eboracensis ita Gelasius excepit in solemnibus processionibus equitando factis, quando more apostolico coronatus fuit, sicut in die Natali Domini, Augustodunum, et, die Epiphania;, Cluniaci, episcopus Ostiensis, qui magister inter eos el dignior erat, eum parem esse voluit. (Critic. Pagi ad anum 1119.) Bruno, archiepiscopusTrerirensis, placui1 Romam tendere, ut renovaret privilegia sedis suae. Cum igilur Augustodunum usque processisset, Callixtus Papa ibi ei occurrit, et eum amicè suscepit, et cum eo in eodem loco Nalalem Domini celebravit. Transactis autem diebus solemnibus, pariter Cluniacum iter dirigeret. — (Scriptor anonymus Trevirensis Historiae, T. XII. Spicilegii Acheriani, p. 248). — Histoire manuscrite des Evêques d'Autun à l'année 1120.) [25]Estienne premier du nom, 52mt évesque d'Ostun, Vivoit du temps du pape Calixte second du nom. Lequel Calixte est issu de noble famille de Vienne et estoit appellé auparavant en son propre nom Guy, environ l'an de Nostre Seigneur 1120, auquel temps l'Esglise Saint-Ladre a commencé d'estre construicte. — (Manuscrit composé par Bonaventure Goujon, p. 87, 88.) [26] «Le corps de Monsieur saint Ladre estant à Marsaille…, de là fust apporté en la ville d'Ostun et chasteaul et mis en la chapelle de Saincte-Croix, estant en l'esglise Cathédrale. Puis le duc Hude donna la place où est l'esglise du dict Saint-Ladre qui s'appelloit le Champ Saint-Mens. » — (Notes manuscrites du quinzième siècle, dans les liasses du procès entre Autun et Avallon, archives de l'Evêché.) Saint Mansuet est appelé vulgairement saint Mansu. On découvre facilement la raison qui fit mettre sous son patronage la trésorerie ou marguillerie de l'Eglise d'Autun. Le grand nombre des pèlerins qui visitaient le sanctuaire ou reposait le corps de saint Mansuet, avait engagé les évêques de Toul à fonder près de ce sanctuaire un grand établissement d'aumônes appelé la marguillerie de saint Mansuet. (Matricula Domin Mansueti. — Voir Bolland., T. I, sept., p. 625, 626.) La réputation dont jouissait cet établissement en fit un modèle pour les institutions du même genre.

 

 

LE CULTE DE SAINT LAZARE À AUTUN. MGR ADOLPHE DEVOUCOUX
LE CULTE DE SAINT LAZARE À AUTUN. MGR ADOLPHE DEVOUCOUXLE CULTE DE SAINT LAZARE À AUTUN. MGR ADOLPHE DEVOUCOUX

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

EXTRAITS DE LA MONOGRAPHIE

DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES. PAUL DURAND,

EXPLICATION DES PLANCHES.

PLANCHE 3.

(Planche II de la table in-folio.)

PLAN A LA HAUTEUR DES GALERIES.

Après les détails dans lesquels nous venons d'entrer au sujet de la planche précédente, nous aurons peu de chose à dire sur ce second plan.

Ce qui frappe au premier coup d'œil, c'est la forme si visible de la croix, résultant de la rencontre de la nef et du chœur avec les transepts. L'intention symbolique étant connue et certaine, nous n'avons pas à en parler.

Les contours de cette croix sont accompagnés dans toute leur étendue par un triforium ou petite galerie garnie de colonnettes, supportant des arcs en ogive et formant une décoration élégante tout autour de l'intérieur du monument. Au moyen de cette galerie, fort étroite du reste, on peut suivre avec sécurité le contour de la nef, des transepts et du chœur, parties qui sont toutes de la même époque.

Ce triforium s'arrête à la grande façade Ouest, à l'extrémité de la nef, du côté de l'Ouest. Là se trouve, à la même hauteur, la grande rose occidentale, devant laquelle la galerie fait défaut, et l'on ne peut passer d'un clocher à l'autre.

Nous trouvons sur cette planche l'indication des nervures des voûtes hautes, qui n'ont point été indiquées dans la planche précédente. Nous reconnaissons que la nef est formée de neuf travées, puis d'un carré central, ensuite du chœur à quatre travées et d'un rond-point; enfin des transepts, ayant chacun trois travées.

En dehors de ces parties, nous voyons le dessus des toits situés au-dessous de ce plan. Les bas-côtés de la nef et la première portion du chœur sont simples et à une seule pente.

Les chapelles et la seconde portion des bas-côtés du chœur sont recouverts de toits, dont plusieurs sont de forme pyramidale.

Enfin, l'on domine la toiture des deux porches latéraux, celle de la sacristie et celle de la chapelle de Saint-Piat.

Les contreforts et les arcs-boutants, tranchés par les sections faites à une hauteur déterminée, ne paraissent point ici avec le volume considérable qu'ils nous ont montré plus bas.

Cette même planche nous permet de saisir la disposition et l'emplacement des huit tours et des clochers qui accompagnent le vaisseau de la cathédrale. On en- voit ici la section qui, à chacune des tours, interrompt l'indication des pentes des toits, des bas-côtés et des chapelles. En voici l’énumération : Les deux grands clochers à la façade occidentale; leurs dimensions sont bien plus considérables que celles des six autres tours, comme le plan le fait bien comprendre ; Deux tours à l'extrémité du transept Sud ; Deux tours à l'extrémité du transept Nord ; Et enfin deux tours placées sur les deux flancs du chœur.

Ces tours nombreuses, si elles eussent toutes été terminées et surmontées de flèches pyramidales, eussent produit un effet merveilleux. Elles n'avaient pas pour unique but la décoration ou l'embellissement du monument. Dans l'intention du constructeur, elles avaient une véritable fonction d'utilité : c'était de fournir, par des masses résistantes, des points d'appui robustes qui venaient renforcer les contreforts et les arcs-boutants. La hauteur considérable où s'élèvent les voûtes de la cathédrale et leur immense largeur réclamaient des moyens énergiques et d'une grande puissance pour résister à leur poussée considérable.

En ceci, comme en tant d'autres points, il faut reconnaître combien, à cette époque reculée, la science de l'art de bâtir était perfectionnée en France, et combien la disposition savante de ces différents membres d'un monument avait pour résultat d'obtenir une solidité durable et un aspect satisfaisant pour la vue. Ces deux conditions ne sont jamais séparées dans les œuvres du moyen âge comme dans celles de l'antiquité ; en est-il de même dans les œuvres modernes.


PLANCHE 4 : GRAND PORTAIL.

La porte d'un édifice est, de toutes ses parties extérieures, la plus importante. C'est dans sa construction, - dans sa disposition et dans sa décoration que l'architecte met en œuvre toutes les ressources de la science et de l'art. C'est là que se trouvent toujours les inscriptions capitales; c'est là que la sculpture et la peinture déploient toutes leurs richesses et captivent notre attention pour nous plaire et pour nous instruire. Le nom même de façade donné à l'ensemble d'un portail exprime bien l'idée que l'on attache à cet ensemble de constructions ; car, de même que la face d'un personnage exprime et représente à elle seule ce personnage tout entier parce que c'est sur le visage que se peignent les passions et le caractère de chaque individu, de même sur la façade d'un monument nous trouvons de suite des indications et des avertissements, sorte de préparation nécessaire à quiconque va pénétrer dans son intérieur.

La grandeur et la beauté d'une porte ont donc été, de tout temps et en tout pays, l'indice de l'usage et de l'importance du monument auquel elle donne accès. Le moyen âge en ceci, principalement en France, nous offre des exemples d'une incomparable beauté. Cette époque, vraiment extraordinaire, a produit à son origine des ouvrages qui l'emportent sur tout ce que nous connaissons des œuvres, justement vantées, de l'antiquité profane, grecque ou romaine. Il nous semble permis d'affirmer que, dans le monde occidental, rien ne saurait entrer en comparaison avec les portails des cathédrales de Paris, de Reims ou d'Amiens.

Lorsque, par un faible effort de notre esprit, l'on se représente ces belles constructions, telles que les avaient conçues leurs auteurs et avant qu'elles n'eussent subi les outrages du temps et les injures, encore plus funestes, de la main des hommes, notre imagination ne peut rien se figurer de plus splendide et de plus magnifique que ces belles pages d'architecture avec leurs innombrables statues et leurs décorations, répandues avec abondance et profusion sur d'immenses surfaces.

La cathédrale de Chartres n'est pas de celles qui frappent la vue par la magnificence et la splendeur de leur grand portail; ce sont les deux porches latéraux qui exciteront notre admiration. Ici, la façade occidentale forme comme un hors-d'œuvre à l'ensemble si harmonieux et si homogène que le 13ième siècle a produit. L'incendie qui avait dévoré la précédente cathédrale (celle du 11ième et 12ième siècle) n'avait point endommagé la façade primitive; elle était encore en place, accompagnée des deux clochers : l'un était entièrement achevé depuis une vingtaine d'années seulement et devait être fort admiré; le second était privé d'une flèche terminale. Quelque goût que l'on eût pour la nouveauté, on ne pouvait pas raisonnablement penser à refaire à neuf, au moins immédiatement, des constructions aussi énormes, et le maître des œuvres songea plutôt aux moyens de souder ces portions de l'ancienne église à celle dont il avait conçu le plan et qu'on devait désirer voir s'élever au plus tôt.

Quelles que soient les raisons qui nous aient conservé ces portions de l'église du 12ième siècle, nous devons nous en féliciter, car nous trouvons là des détails très précieux et pleins d'intérêt pour l'histoire de l'art et du symbolisme à ces époques reculées. Le public et surtout les antiquaires trouvent ici des compensations et sont amplement dédommagés; ils ne songent pas, en présence de tels objets d'étude, à s'affliger de la disparate qui existe entre le frontispice de la cathédrale et le reste du monument.

Examinons sommairement, en les énumérant, les différentes parties que reproduit cette gravure d'ensemble. D'autres planches nous donneront des détails; nous pourrons les examiner alors avec plus de facilité, La façade entière peut se diviser en trois parties : une médiane, et deux latérales formées par les clochers.

Les trois grandes portes que nous voyons au milieu, et les trois hautes fenêtres qui les surmontent, faisaient partie de la façade de l'église du 12ième siècle. Il faut savoir tout d'abord que cette façade, beaucoup moins élevée que celle qui existe aujourd'hui, n'était pas alors au nu des faces antérieures des clochers. Elle était reportée en arrière de toute l'épaisseur de ces clochers, c'est-à-dire d'une dizaine de mètres.

Entre ces deux clochers se trouvait à rez-de-chaussée un porche profond, s'ouvrant au dehors par trois arcades à jour, semblable aux porches de Vézelay, de Saint-Benoît-sur-Loire, de Paray-le-Monial et d'autres églises du 11ième  et du 12ième siècle. C'est au fond de ce vestibule, et à l'abri des intempéries atmosphériques, que s'ouvraient les trois belles portes, entourées de statues, de bas-reliefs et d'ornements sans nombre, aujourd'hui pâles et décolorés, mais apparaissant autrefois resplendissants d'or et enluminés des couleurs les plus vives et les plus harmonieuses. Des traces nombreuses en sont encore visibles.

Lorsque l'on peut examiner le monument sur place, on reconnaît avec évidence comment cette portion de façade a été transportée de sa première place à celle qu'elle occupe aujourd'hui. Les assises de pierre ne se suivent pas avec exactitude et n'ont aucune liaison avec les clochers; on retrouve à l'intérieur de l'église, sur les clochers, les mêmes moulures et les mêmes ressauts qu'à l'extérieur.

Au-dessus des trois portes règne une corniche supportée par des modillons sculptés suivant le style du XIIe siècle; ce sont des têtes humaines ou des animaux fantastiques.

Sur cette corniche reposent les bases de deux faisceaux de colonnettes engagées, qui encadrent les trois fenêtres placées au-dessus des portes.

De plus, de chaque côté de la fenêtre du milieu, il y a aussi des pilastres et des colonnettes qui supportent des groupes de sculptures à leur partie supérieure. D'un côté, on voit un lion dévorant une tête humaine qu'il tient entre ses griffes; de l'autre côté, il ne reste plus qu'une énorme tête de taureau. Ce sont des imitations, lourdes et grossières de ces représentations si fréquentes en Italie à la porte des églises, mais rares en France. La tradition et l'usage vont s'affaiblissant; ils existent cependant encore ici, et rappellent à notre esprit l'avertissement de l'apôtre saint Pierre : Sobrii estote et vigilate quia adversarius vester Diabolus lanquam leo rugiens circuit, quœrens quem devoret, avertissement que les Offices de l'Eglise nous rappellent souvent et sous des formules variées.

Les trois grandes fenêtres nous montrent aujourd'hui de grandes surfaces, sans aucune division ni aucun compartiment. Ordinairement, à cette époque, l'armature en fer qui supporte les panneaux est placée en dehors et forme une sorte de décoration, ôtant à une grande superficie la nudité qu'on peut blâmer ici. Nous attribuons cette imperfection à quelque restauration inintelligente faite autrefois à ces fenêtres : le démon de la restauration a passé par là.

C'est à cette hauteur que se termine la partie de la façade appartenant au 12ième siècle. Avant de nous élever plus haut, remarquons la suite des claveaux qui, de chaque côté, se voient près des clochers. Ce n'est pas, comme on pourrait le penser, le commencement d'inclinaison du pignon primitif; il devait être un peu plus haut. C'est plutôt, pensons-nous, un arc de décharge destiné à reporter en dehors, contre la masse des clochers, le poids des constructions supérieures et à protéger les arcs formant le haut des fenêtres.

Au-dessus du bandeau ou corniche qui est au-dessus devait être le pignon de la façade primitive, qui laissait ainsi dégagée de toute construction la portion des clochers placée à cette hauteur. Qu'on se figure combien le - clocher vieux, ainsi isolé, devait paraître élancé et élégant.

A la place de ce pignon primitif on a placé une grande rose, destinée à éclairer la nef de la nouvelle cathédrale, dont la hauteur surpasse de beaucoup celle de l'église du XIIe siècle, soit que celle-ci eût une voûte en pierre, soit, ce qui est plus probable, qu'elle fût surmontée, comme l'église de Saint-Remy à Reims et d'autres églises contemporaines, d'une voûte en bois.

Nous aurons à nous occuper plus loin de cette rose, œuvre du commencement du 13ième siècle, en examinant la planche IX sur laquelle sont réunis les détails de son architecture et de sa sculpture. Nous ferons ici quelques remarques seulement. Ces immenses fenêtres circulaires qui se voient aux extrémités des nefs de nos grandes églises en sont un des plus beaux ornements. Celle-ci peut être mise au-dessus de tout ce .que nous montrent nos monuments du moyen âge. Nulle part on n'en voit une aussi robuste, aussi ferme, et décorée avec-autant de gout; nulle part on n'en voit une offrant, comme celle-ci, les conditions de solidité et de durée aussi savamment et aussi artistement combinées.

Ce ne sont pas de ces meneaux grêles et délicats qui nous surprennent par leur élégance et leur légèreté; c'est une réunion de petites ouvertures , richement brodées sur les bords, dont l'ensemble forme à l'extérieur une immense décoration, circonscrite dans un grand cercle de moulures et de feuillage sculpté, tandis qu'à l'intérieur les vitraux qui garnissent ces ouvertures semblent, par un effet d'optique, ne former qu'une seule fenêtre.

Il faut noter que le centre de cette rose n'est pas exactement au-dessus de la porte principale. Il est reporté, d'une manière fort appréciable à la vue, sur le côté gauche; on ne saurait expliquer la cause de cette irrégularité.

Au-dessus de la rose règne une corniche formée par des fleurons qui datait du 14ième siècle. Depuis peu d'années, on les a refaits complètement en se conformant au motif existant. Cette corniche supporte en encorbellement une balustrade derrière laquelle est un passage qui, à cette hauteur, met en communication les deux clochers. Au-dessus de ce passage se trouve la galerie des Rois. Cette rangée de statues est un accessoire important et, pour ainsi dire, obligé des portails des grandes cathédrales. Elle se compose ici de seize statues, placées chacune sous une arcature ogivale et trilobée reposant sur des colonnes. Il faut convenir qu'ici l'effet est loin d'égaler celui de la galerie des Rois de l'église Notre-Dame à Paris. Nos statues paraissent placées à une trop grande hauteur; elles cachent une partie du pignon supérieur et coupent d'une manière disgracieuse la base du grand triangle ou pignon qui termine ordinairement les façades des églises du moyen âge. Ces statues royales ont suscité bien des discussions et des controverses. Quels sont les rois qu'elles représentent? Les archéologues ne sont pas d'accord pour répondre à cette question. Pour les uns, ce sont des rois de France; pour les autres, ce sont des rois de l'ancien Testament, ancêtres de Jésus-Christ. On a souvent cité le passage d'un manuscrit du 13ième siècle dans lequel un paysan, prenant la parole en regardant les rois de la cathédrale de Paris : ce Voilà, dit-il, Pépin, voilà Charlemagne"; mais on peut supposer qu'il faut prendre ces paroles dans un sens ironique et qu'on a voulu rappeler une erreur populaire.

Le roi terrassant un lion serait alors David, et le roi tenant une croix serait Salomon prophétisant le supplice du Sauveur, et non Pépin le Bref ou Philippe Auguste.

Il nous semble que nous trouvons à Chartres même, dans la cathédrale, une représentation iconographique qui doit nous faire regarder ces statues comme des rois de Juda. La grande rose septentrionale nous montre peints sur verre douze de ces rois; leurs noms écrits auprès d'eux ne laissent à cet égard aucune incertitude, aucun doute possible. Ces rois, solennellement rangés en cercle, entourent dans les espaces célestes Jésus-Christ enfant, reposant sur les genoux de sa sainte mère, la Vierge Marie.

Ne devons-nous pas voir dans cette galerie seize rois de Juda, formant un cortège d'honneur auprès de Jésus-Christ et de la Sainte Vierge, qui sont placés au-dessus d'eux, sous un édicule, renfermant aussi deux anges?

Il faut noter que, parmi ces statues, la septième (en commençant par la gauche) est moderne. Un accident avait fait disparaître celle qui se trouvait là. Or, entre les mains de ce nouveau roi on a mis un rouleau sur lequel on lit : CAPITULARIA, donnant à entendre que la statue représentait Charlemagne, la restauration voulant consacrer l'opinion qui voit ici les rois de France. Cette restitution pourra, dans l'avenir, être une cause d'erreur pour les antiquaires, ce qui est certainement regrettable.

Puisque je suis en train de censurer les restaurations, j'ajouterai quelque chose encore à ce propos. La statue de la Sainte Vierge portant l'Enfant Jésus, et les deux anges qui les accompagnent, et dont nous venons de parler, sont aussi une œuvre moderne. Ces statues étaient dans un tel état de destruction qu'il fallut, dans ces dernières années, les refaire à neuf. Il faut convenir que ce travail a été fait avec grand soin et par un artiste de talent. Je me permettrai seulement de demander pourquoi l'on a mis des flambeaux entre les mains des anges au lieu des encensoirs que tenaient les statues anciennes ? Il y avait ici une particularité qu'il faut consigner dans notre travail. Ces encensoirs étaient en cuivre, et leurs cordons formés par de fines tiges de fer. On trouvait là un exemple de l'association du métal et de la pierre dans la sculpture, association que les artistes contemporains pourraient considérer et imiter utilement. -Aux meilleures époques de l'antiquité, et aussi assez fréquemment au moyen âge, ce procédé était employé. Certains détails, certains accessoires des statues ou des bas-reliefs présentent une grande fragilité et se cassent facilement s'ils sont exécutés en pierre ou en marbre; l'emploi du métal permet d'exécuter ces parties avec légèreté et solidité. Pourquoi l'art moderne n'admet-il point cette ressource ingénieuse ? L'exemple que nous donnent les âges précédents ne pourrait-il pas être imité?

La pointe du pignon de cette façade supporte une grande statue de Christ. Il est debout, enveloppé d'une simple draperie, qui laisse apercevoir la plaie de son côté. Les mains ouvertes et étendues montrent la trace des clous dont elles furent transpercées. Lorsque l'on considère cette belle et simple figure du Sauveur, la mémoire vous rappelle une strophe de la Prose que l'on chantait il y a peu d'années dans nos églises le jour de l'Ascension, avant le regrettable changement de liturgie, cause de l'anéantissement de nombreuses traditions antiques dans les églises de France. Le sculpteur du XIVe siècle qui avait exécuté cette statue avait probablement présente à l'esprit cette strophe, que nous transcrivons ici :

Patri monstrat assidue

Quœ dura tulit vulnera,

Et sic pacis perpetuae

Nobis exorat fœdera.

Après avoir examiné la partie médiane de la planche IV, nous allons porter nos regards sur les clochers qui l'accompagnent. A droite, ou du côté méridional, est le clocher vieux. C'est une des plus belles productions de l'architecture du 12ième siècle, et parmi les nombreux clochers se terminant par une flèche en pierre, c'est incontestablement celui de France qui occupe le premier rang.

Depuis sa base, qui repose sur un soubassement garni de moulures d'une exécution fort remarquable, jusqu'au sommet de la pyramide, on peut suivre une gradation de décorations qui accompagnent avec goût et avec intelligence la construction et la disposition de l'intérieur.

L'étage inférieur, ou rez-de-chaussée, contient une vaste salle, dans laquelle prend naissance un des deux escaliers descendant dans l'église souterraine. On entre dans ce vestibule par une porte située du côté du Midi et par deux autres situées côté du Nord. A l'extérieur, sur la face occidentale, sont deux petites fenêtres et deux arcades aveugles s'élevant assez haut et indiquant au dehors la hauteur de cette salle.

L'escalier dans sa partie supérieure est en hors-d'œuvre du côté Est.

Au-dessus de la corniche, ornée de modillons, est le sol d'un premier étage où se trouve encore une grande salle, dont la hauteur s'élève jusqu'à la seconde corniche accompagnée, comme la première, d'une rangée de modillons ou de corbeaux. Sur sa face extérieure nous remarquons deux fenêtres encadrées dans des arcades supportées par des colonnettes avec leurs chapiteaux; au-dessus, sont des arcades appliquées contre un mur plein, et dont la destination est d'orner avec simplicité une grande surface dont la nudité n'aurait rien de satisfaisant pour la vue.

Depuis le sol, que supporte la voûte de cette salle, jusqu'au sommet de la flèche, l'intérieur de ce clocher est entièrement vide. Avant les restaurations qui ont été faites après l'incendie de 18 36, l'œil étonné plongeait dans les profondeurs-de ce cône immense sans rencontrer aucun arrêt, aucun obstacle, aucun point saillant. Les parties inférieures étaient éclairées par les fenêtres basses et par les grandes lucarnes situées au-dessus; mais, toute la partie haute dans l'intérieur de la grande pyramide étant dans l'obscurité, on restait frappé d'étonnement par l'aspect fantastique de cette immense construction. Depuis l'incendie de 1836, un plancher en fer et en poterie, établi au bas de la pyramide, s'oppose à ce coup d'œil extraordinaire.

Si nous examinons l'extérieur de ces parties élevées, nous ne pouvons qu'admirer l'ingénieuse disposition des fenêtres et de leurs accessoires.

Des lucarnes, surmontées de pyramidions et de gâbles percés à jour, s'élèvent plus haut et accompagnent avec grâce la base de la grande pyramide.

Les faces de cette pyramide sont décorées d'écaillés et de gros cordons, fort saillants, interrompus de distance en distance par des têtes de monstres dévorants; ils se terminent à leur partie supérieure par des fleurons en forme de lis. Les angles sont aussi garnis de ces cordons, sur lesquels la lumière est comme accrochée, ce qui produit un effet des plus heureux pour la vue.

La sculpture des chapiteaux, des animaux fantastiques et des ornements les plus originaux, tout à fait remarquable, mérite d'attirer l'attention.

Nous sommes ici en présence d'une des merveilles de l'architecture française au 12ième siècle, et nous devons tous admirer sans réserve ces beautés extérieures; pour l'homme de l'art et pour le théoricien pouvant se rendre compte des difficultés de construction et d'exécution qui se sont rencontrées pendant, qu'on élevait dans les airs cette flèche gigantesque, l'étonnement et l'admiration ne peuvent se lasser dans leur contemplation.

La solidité de ce clocher n'est pas moins surprenante que sa beauté.

Voici près de huit siècles qu'il affronte les injures destructives des intempéries, si violentes dans ces régions élevées de l'atmosphère, et pendant ce laps de temps il a subi les épreuves de deux incendies effroyables sans être ébranlé.

Lorsqu'on regarde attentivement sa partie supérieure, on aperçoit au sommet des indices d'une restauration qui ne semble pas fort ancienne. La pierre n'est pas de la même couleur et les écailles ne sont pas d'un travail aussi soigné que dans la partie inférieure de la pyramide. Nous avons pu nous convaincre de ce fait, et nous pouvons en donner la date. Après l'incendie de 1836, on fit faire à l'intérieur de cette flèche des échafaudages afin d'examiner si la construction n'avait pas subi quelque avarie. J'eus la curiosité de monter sur ces échafaudages, et arrivé presque au sommet, à la hauteur où se trouve, du côté de l'Est, une petite fenêtre et où commence l'échelle de fer qui va de ce point au pied de la croix, j'ai pu copier l'inscription suivante, gravée sur une des pierres qui font partie de la construction : -

M. DE. MONTIGNI. ABBÉ - D'IGNI - ET DOYEN-DE-CETTE ÉGLISE M'A - POSÉE LE 5 JUILLET .1753.

Je n'ai pu avoir la mesure exacte de la partie du clocher refaite à cette époque; on peut l'évaluer à environ 12 mètres.

Nous n'avons pas mentionné au rez-de-chaussée de ce clocher une statue d'ange, tenant un cadran solaire, parce qu'elle appartient autant à la face Sud qu'à celle du couchant. La statue est du XIIe siècle, mais le cadran a été refait au 16ième. Il ne faut pas le passer sous silence.

Du côté gauche de la façade, ou au Nord, s'élève le clocher neuf.

La salle du rez-de-chaussée, comme celle du clocher que nous venons de décrire, sert aussi de vestibule et contient un des deux grands escaliers par où l'on descend dans les cryptes, ainsi que nous l'avons dit ailleurs. Les deux étages inférieurs sont contemporains du clocher vieux et les dispositions en sont pareilles. La décoration des fenêtres et des arcades qui les entourent est semblable aussi, quoique moins riche et moins élégante.

A la hauteur de la galerie des Rois; la tour reste carrée, mais la date de la construction n'est plus la même; à partir de ce- niveau jusqu'à l'arc de la grande fenêtre que nous voyons ici, c'est une œuvre du 14ième siècle. Puis, le sommet de cette fenêtre et le haut de ce même étage ont été exécutés au 14ième siècle et font partie de la flèche qui termine ce clocher. Précédemment, un clocher en bois, recouvert de plomb, occupait ce sommet du clocher Nord. Il fut dévoré par un incendie en i5o6, comme cela se lit encore sur une table de pierre placée à l'intérieur, sur laquelle est gravée une inscription de huit vers.

C'est sur le sol qui recouvre la voûte de cet étage ou de cette salle que prend naissance la flèche du clocher neuf[1]. A cet endroit et derrière la seconde balustrade elle a pour bases ou pour points d'appui huit piliers, qui déterminent sa forme octogonale et que renforcent quatre autres piliers, un à chaque angle de la tour. Chacun de ces quatre piliers angulaires reçoit deux arcs-boutants, qui vont en remontant s'appliquer contre la grande flèche et affermissent sa base. La flèche, depuis cet endroit jusqu'au sommet, est construite avec une extrême élégance, et toutes ses surfaces, fort compliquées, sont couvertes de sculptures à jour d'une extrême délicatesse. Au milieu de ces petites pyramides, de ces clochetons et de ces pinacles, où les motifs d'architecture les plus variés sont répandus à profusion, on remarquera que l'élément hagiographique n'est pas absent et qu'il vient là, comme dans toutes les productions du moyen âge, apporter la vie et la pensée.

Chacun des quatre piliers angulaires dont nous venons de parler abrite, sous des dais très finement sculptés, trois statues de saints : ce sont les Apôtres, accompagnés des signes caractéristiques qui les font reconnaître. Toutefois, il y a ici une infraction à la nomenclature habituelle; car, parmi les personnages figurés, on reconnaît saint Jean-Baptiste à son agneau et à la légende ecce agnus Dei qu'il tient en main. 'Saint Jean étant l'un des grands patrons de la cathédrale, on l'a mis à cet endroit à la place de l'un des douze Apôtres; il remplace saint Jude. Aux pieds de chaque saint, il y a les écussons portant les armoiries, fort mutilées aujourd'hui, d'un donateur.

Ce n'est pas tout. Si vous élevez votre regard un peu plus haut, vous pourrez distinguer, sur cette planche IV, la statue de Jésus-Christ, complétant cette assemblée sacrée. Cette statue est placée sur le gable à jour qui surmonte l'arcade du milieu. Le Sauveur est représenté bénissant de la main droite, et de la gauche tenant le globe du monde. Sur ce globe est implantée une croix en fer, garnie de pointes sur lesquelles on peut assujettir des cierges. Il est peu probable que le vent, qui règne toujours avec violence à cette hauteur, ait jamais permis d'y faire une illumination durable. Les pieds du Christ écrasent un démon, dont la figure énergique et violente est sculptée à cette place. Sur le soubassement de cette statue, à sa partie postérieure, on lit, écrite en beaux et grands caractères gothiques, cette inscription :

1513 Jehan de Beance macon qui a faict ce clocher m'a faict faire –

Que n'avons-nous pu trouver aussi en quelque coin la signature du maître des œuvres, de l'architecte de la grande cathédrale du 13ième siècle?

Malgré ce qui a été avancé au sujet de cette prétendue humilité si fort admirée chez les artistes du moyen âge, je suis convaincu, pour ma part, qu'il y a ici erreur et exagération. En aucun temps, en aucun pays, un homme de génie et de talent ne s'est soustrait aux justes éloges que ses œuvres méritaient. Que ces hommes aient donné des preuves de désintéressement, on ne peut en douter; car, pour eux, les richesses de ce monde n'étaient point ce qu'ils enviaient le plus : ils en faisaient bien souvent le sacrifice avec générosité; ce dont ils étaient avares, c'était de la gloire et des louanges, prœter laudem nullius avari. Ces louanges et cette honorable réputation, on en était aussi désireux au moyen âge que dans l'antiquité, et plus que de nos jours, où l'on met le profit en première ligne. Nous accordons volontiers que parmi ces artistes la vertu d'humilité et d'abnégation fut pratiquée par eux : mais comment leurs contemporains ne les ont-ils loués et célébrés? Dès les temps les plus anciens nous voyons Moïse inscrire dans les livres saints et nous transmettre avec de magnifiques éloges les noms des artistes Beséléel et Ooliab, qui travaillèrent à la construction du tabernacle et de ses accessoires. L'Italie du moyen âge nous a conservé avec un soin jaloux beaucoup de noms de ses artistes et nous les cite avec orgueil. Comment expliquer que nous n'avions de notre moyen âge, et surtout de la belle époque des 12ième et 13ième siècles, le nom de presque aucun de ces hommes de génie qui ont produit alors tant de chefs-d'œuvre dans tous les genres. Par quelle inexplicable fatalité la France a-t-elle laissé tomber dans le gouffre ténébreux de l'oubli le souvenir de ses artistes et de ses poètes, à la plus belle période de sa gloire! Voilà un sujet d'études et de méditations bien digne d'occuper les philosophes, et je ne puis douter que ces questions ne soient éclaircies quand on daignera s'en occuper.

Achevons cependant notre description, en nous élevant dans les plus hautes parties du clocher neuf.

L'étage qui se trouve à la même hauteur que la statue du Christ est un chef-d'œuvre d'élégance et de légèreté qui séduit les regards ; le mérite de cette construction a d'autres avantages que de plaire aux yeux. La science et l'art qui ont inventé et exécuté cette œuvre satisfont notre esprit et augmentent notre admiration. Cette planche, et d'autres que nous verrons plus loin, permettent de se rendre compte des combinaisons et des moyens employés par Jean de Beauce dans cette création de son génie. Toutefois, il nous semble indispensable, si l'on veut en connaître tout le mérite, de venir faire cette étude sur place, en présence du monument lui-même.

L'étage où nous sommes contient une salle octogonale, dont la voûte en pierre a pu arrêter l'incendie de 1836 et l'empêcher d'atteindre le beffroi auquel est suspendu le timbre de l'horloge. Il y a dans cette salle une grande cheminée, dont le tuyau, disposé avec intelligence, traverse les sculptures et les ornements supérieurs, sans se dissimuler et sans nuire aux décorations environnantes. Une cheminée est indispensable en cet endroit, car c'est là que se tiennent les guetteurs; ils sont exposés pendant les longues nuits d'hiver à la rigueur du froid et du vent, qui ne seraient pas supportables sans le secours d'un peu de feu. En 1674, la négligence de ces hommes occasionna un incendie dont on a voulu conserver le souvenir dans l'inscription suivante, fixée au mur :

OB VINDICATAM SINGULARI DEI MUNERE

ET A FLAMMIS ILLEASAM HANC PYRAMIDEM

ANNO 1674 NOVEMB. 15 PER INCURIAM VIGILU

HIC EXCITATO AC STATIM EXTINCTO INCENDIO

TANTI BENEFICII MEMORES SOLEMNI POMPA

GRATIIS DEO PRIUS PERSOLUTIS DECANU

ET CAPITULUM CARNOTENSE HOC POSTERI

TATI MONUMENTUM POSUERE

On a aussi gravé, au-dessus d'une des deux portes de cette salle, cette pensée que contient le psaume CXXVI (verset 1), et dont le sens est bien applicable à ceux qui occupent ce poste d'observation :

NISI DOMINUS CUSTODIERIT

CIVITATEM FRUSTRA

VIGILAT QUI CUSTODIT EAM

Au-dessus de cette salle est le dernier étage, formé par une lanterne ou galerie à jour, dans laquelle est une charpente supportant le timbre de l'horloge. C'est une belle cloche, pesant environ 5,ooo kilogrammes, et dont la circonférence dépasse six mètres.

Le nom du fondeur : Petrus Savyet, me fecit. On voit entre les vers, des ornements, tels que des monogrammes de Jésus et de Marie, les armes de France, des dauphins, et la tunique de Notre-Dame, telle qu'elle fut adoptée au XVe siècle pour les armes du Chapitre.

Cette inscription ne nous donne pas seulement la date de la cloche; elle fait allusion à un fait historique, l'entrevue du Camp du drap d'or entre François Ier et Henri VIII; elle nous apprend le nom du fondeur et se pare d'ornements royaux et ecclésiastiques.

C'est au-dessus de cette lanterne à jour que commence la flèche aiguë qui s'élance dans les airs avec élégance et légèreté. Ses faces sont recouvertes d'imbrications à nervures comme des feuilles, et les angles sont renforcés par des cordons, d'où sortent de distance en distance des expansions végétales, en forme d& crochets recourbés, qui ôtent à cette pyramide l'uniformité de la ligne droite.

La pointe extrême de ce clocher ayant été ébranlée et fort endommagée par un violent ouragan le 12 octobre 1690, on fut obligé de la refaire à neuf, ainsi que nous l'apprend Sablon, l'un des historiens de la cathédrale. En 1691, cette pointe du clocher fut rétablie, en pierre de Vernon, sous la conduite de Claude Auger, artiste lyonnais, qui l'éleva de 41 pieds plus haut qu'elle n'était, et, pour affermir davantage son ouvrage, il reprit et reposa les assises à plus de 20 pieds au-dessous de la fracture. Le même artiste fit exécuter un support en cuivre pour la croix qui est au sommet du clocher. Autour de ce support, des serpents s'entrelacent et forment une garniture à jour. Sur le renflement de ce support il y a, d'un côté, une Vierge assise sur des nuages, portant l'Enfant Jésus sur ses genoux : le relief est assez peu saillant; du côté opposé on lit l'inscription suivante :

OLIM LIGNEA TECTA PLUMBO DE COELO TACTA DEFLAGRAVIT ANNO M DVI VIGILANTIA VASTINI DES FVGERAIS SVCCENTORIS

ARTE JOANNIS DE BELSIA M D XVII AD SEXPEDAS LXII OPERE LAPIDEO EDVCTA STETIT AD ANNVM M D C LXXXX QVO VENTORVM

VI CVRVATA AC PCENE DISJECTA SED INSEQVENTI ANNO M DC LXXXXI PARI MENSE DIE PROPE PARI QVATVOR PEDIBVS ALTIOR OPERE

MVNITIORI REFECTA JVSSV CAPITVLI D. HENRICO GOAVLT DECANO CVRA ROBERTI DE SALORNAY CANONICI ARTE CLAVDI AVGÉ LVGDVNENSIS

CONFERENTE IN SVMPTVS MILLE LIBRAS PHILIP. GOVPIL CLERICO FABRICAE SACRVM NVBIBVS CVLMEN INFERT QVOD FAX1T DEVS ESSE DIVTVRNVM.

IGNACE GABOIS FONDEVR

Cette inscription est formée de cinq lignes superposées. Les caractères sont en relief, excepté la signature du fondeur, qui est gravée en creux. Après avoir ici examine étage par étage les dispositions et la construction de ces deux clochers, et après avoir passé plusieurs années à leur pied, je demande la permission de résumer en peu de mots l'impression qu'ils produisent sur notre esprit.

Premièrement : ces deux clochers, d'époques fort différentes, sont chacun dans leur genre une démonstration manifeste de la supériorité de Fart français au moyen âge sur celui des autres pays. Strasbourg, Vienne, Anvers, ont des flèches beaucoup plus élevées que celle de Chartres, on ne peut le nier; en Angleterre et en Suisse, on voit des clochers tout à jour et d'une légèreté de sculpture extraordinaire. Cela n'est pas contestable; mais sous le rapport du bon gout et du bon sens nous ne connaissons rien qui 1'emporte sur les œuvres françaises, dont la cathédrale de Chartres nous donne des exemples si précieux.

Secondement: le clocher du 12ième siècle, œuvre simple, robuste et inébranlable, rappelle à notre pensée la puissance épiscopale et ecclésiastique aux époques où cette puissance était si grande et si respectée, aux époques où les sciences, les lettres et les arts étaient cultivés avec ardeur et désintéressement dans les écoles et dans les monastères. Le monde traversait en ce moment ce qu'on pourrait appeler la phase de l'autorité et de la théocratie. Les hommes de ces temps héroïques, étaient soulevés et emportés par un enthousiasme qui leur a fait produire des merveilles en tout genre. C'est le siècle des grands poèmes, des grands monuments et des Croisades !

Le clocher du 15ième siècle, construction élégante et légère, mais fragile, nous transporte à ce moment brillant où toutes les connaissances humaines, s'émancipant et secouant le joug de toute autorité, ont produit des œuvres élégantes et légères aussi, comme les monuments contemporains, dont le charme et la grâce captivent et enchantent ceux qui les voient; mais elles ne présentent plus les mêmes conditions de stabilité et de durée. Le monde s'est transformé; il se vante de renaître. Les traditions antiques sont abandonnées; elles tombent dans le dédain et l'oubli. En pratique, en réalité elles ont cessé d'exister, quoiqu'en théorie elles conservent une apparence de vie ; mais ce n'est qu'une vie factice, et seulement un sujet d'occupation et de discussion pour les savants et les érudits.

Pour nous, hommes du 19ième siècle, faut-il se réjouir de cette évolution dans les habitudes humaines, ou faut-il en gémir ? C'est une question à laquelle je ne me permettrai pas de répondre ! Je laisse à nos maîtres la tâche de prononcer un jugement. Mais tous, nous sommes obligés de méditer sur ces questions intéressantes.

Il nous reste à examiner sur cette planche, avant de la quitter, les deux parties que l'on aperçoit de chaque côté des clochers : ce sont les extrémités des transepts qui se projettent en dehors du corps de la cathédrale.

A chacun de ces deux côtes, nous voyons une des tours non terminées qui flanquent les portails latéraux. Le parti de décoration adopté par l'architecte n'est pas identique, comme l'examen le fait reconnaître.

Plus au dehors sont les profils des deux porches latéraux, pour lesquels aussi la variété de composition existe pareillement. Le porche du Midi est orné de statues et de clochetons sur sa partie supérieure : cela n'a jamais existé du côté du Nord ; il est vrai que ce dernier n'est pas terminé.

Au sujet de ces deux porches, nous ferons deux remarques : 1° Par une exception fort rare (je n'en connais pas d'autre exemple dans l'architecture du moyen âge) on trouve en ces deux constructions, si remarquables à tous égards, l'emploi de la plate-bande remplaçant 1'arc en plein cintre ou l'arc en ogive; 2° Le contrefort qui s'élève jusqu'au haut de l'édifice est en porte-à-faux et s'interrompt au niveau du toit des deux porches. Par ce système d'allégement, la lourde masse de ces contreforts se trouvant supprimée en approchant du sol, les sculptures avoisinant les portes prennent une expansion et une importance que rien ne vient arrêter.

Du côté du Sud, on aperçoit au pied du clocher vieux la statue d’une auge, surmontée d'un dais et soutenant un cadran solaire: nous en avons fait mention plus haut.

Du côté du Nord, est un petit édicule refait au 16ième siècle, contenant, comme nous l'avons dit, le mouvement de l'horloge. Tout à fait à gauche on aperçoit le bâtiment de la sacristie, dont on voit une des deux fenêtres.

N'oublions pas de mentionner, tant à droite qu'à gauche, deux de ces petites portes signalées dans notre description de la crypte, lesquelles sont percées au bas dans le massif des contreforts. Enfin, par une dernière observation, nous signalerons la crête qui couronne le haut du toit dans cette planche et dans d'autres de ce même ouvrage; c'est une chose projetée et non exécutée.


 

[1] C'est-à-dire sans séjour. —  Les cloches de la cathédrale sont aujourd'hui à cet étage.

 

EXTRAITS DE LA MONOGRAPHIE  DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.  PAUL DURAND
EXTRAITS DE LA MONOGRAPHIE  DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.  PAUL DURAND
EXTRAITS DE LA MONOGRAPHIE  DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.  PAUL DURAND

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

PREFACE

 

Le lecteur trouvera dans ce volume l'histoire complète et détaillée des tombeaux de la royale église de Saint-Denis. Toutefois, je ne veux point tromper sa bonne foi : le présent volume n'est pas une réédition du travail que j'ai publié, d'abord en 1866 chez Rouquette, sous ce titre : Extraction des cercueils royaux à Saint-Denis en 1793, puis encore en 1868 et sous le même titre, mais avec de nombreuses additions, à la librairie Hachette. Je me suis aujourd'hui borné à habiller de neuf les quelques exemplaires de cette dernière édition qui me restaient, en y ajoutant divers documents nouveaux, que je publie pour la première fois.

Ces documents figurent dans un supplément annexé à ce volume et lui donnent une petite physionomie d'actualité qui a son intérêt. Je veux parler d'abord du récit de l'abbé Testory, qui doit trouver sa place, à la honte de nos  ennemis, dans toutes les histoires futures de l'abbaye de Saint-Denis. Ce récit est une pièce précieuse; qui vient se joindre, hélas! à tant d'autres pour montrer à quels barbares nous avons eu affaire, combien nous avons dû supporter d'humiliations et de destructions, et surtout combien les merveilles de notre belle France ont excité de jalousies chez nos inexorables vainqueurs. Car c'est la jalousie seule qui a pu les pousser à «vandaliser » des monuments comme ceux que renferme la basilique de Saint-Denis. Au point de vue de l'attaque et de la victoire, de quelle utilité pratique pouvait bien leur être la démolition de nos tombeaux séculaires, et comment s'expliquer autrement la destruction de nos colonnes et de nos statues? La somme des gracieusetés prussiennes, dont la France doit toujours garder le souvenir, à propos de cette cruelle lutte, se trouve ainsi accrue de la déposition irréfragable d'un témoin oculaire.

Je signale encore au lecteur, comme une relation d'un haut intérêt historique, les détails que je lui donne sur la mort, et surtout sur la découverte du cercueil du cardinal de Retz.

Ce supplément complète l'histoire de l'église de Saint-Denis et de ses tombeaux. D'ailleurs, cette histoire pourrait être modifiée un peu tous les jours. Aujourd'hui la basilique a encore un caveau vide qui ne s'ouvrira peut-être jamais : le caveau impérial est fermé; quel César futur y viendra dormir un jour?... Mais j'oublie que chez nous les rois ne meurent plus sur le trône, et que maintenant nous ne voulons même plus de roi !... Cette belle et admirable basilique verra-t-elle jamais le renouvellement des splendides cérémonies qui l'ont illustrée jadis ? ou bien son histoire est-elle subitement terminée? Son histoire, c'est celle de la monarchie tout entière, celle de nos grandeurs et de nos abaissements; c'est aussi l'histoire de l'humanité et elle offre l'exemple le plus terrible qui lui ait encore été donné du néant et des grandeurs de ce monde. Ces rois, ces reines, ces princes, si grands, si puissants, si glorieux, qui semblaient devoir dormir là leur éternel et dernier sommeil... en un jour de démence publique leurs royales cendres ont été jetées au vent, et ce qui restait de leurs corps augustes a été brûlé dans de la chaux. Et sur ces restes profanés et dispersés, une populace ivre vint danser la Carmagnole et jurer qu'elle n'aurait jamais plus de tyrans. Et pourtant elle en a eu bien d'autres, et de bien grands, pleins de force, de grandeur et de génie, et de bien ignobles aussi, choisis jusque dans son sein ! Saint-Denis!

Ce  « cimetière des tyrans», disait encore Marat, qui a exercé, lui aussi, son genre de royauté sur cette même populace, et qui, comme les rois qu'il avait tant conspués, passa à son tour du Panthéon à l'égout !

 

GEORGES D'HEYLLI.

Février 1872.

 

Après cette préface de l'auteur, le lecteur peut retrouver l'ensemble de l'ouvrage de Georges d'Helly :

LES

 

 TOMBES ROYALES

 

DE SAINT-DENIS

 

HISTOIRE ET NOMENCLATURE DES TOMBEAUX.

EXTRACTION DES CERCUEILS ROYAUX EN I793

CE QU'ILS CONTENAIENT.

LES PRUSSIENS DANS LA BASILIQUE EN 187I.

 

en format PDF qui devait paraitre aux Éditions Lacour et qui n'a pas vu le jour. Je m'excuse par avance des éventuelles erreurs qui pourraient résulter de la retouche du texte effectuer par mes soins. Je vous en souhaite une bonne lecture et une bonne découverte.

Rhonan de Bar. 10 Mai 2020

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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L'ÉGLISE PAROISSIALE

DE

SAINT-GERMAIN-EN-LAYE

 

Saint-Germain-en-Laye, nommé d'abord Lida, ensuite Ledia, Leia, Germanopolis Ledia, enfin Montagne-du-Bon-Air en 1793, était autrefois une ville essentiellement religieuse : Outre les églises de la Paroisse, de Saint-Léger, de Saint-Eloi ou des Recollets, elle avait les chapelles de Sainte-Radegonde, du Château-Vieux, du Château-Neuf, du Prieuré ou Saint-Nom de Jésus, de Saint-Michel, de la Muette, des Vieillards, de la Charité, des Ursulines, de la congrégation des hommes et des femmes, de Saint-Thomas de Villeneuve, de Saint-Fiacre, de Saint-Sébastien et de Saint-Remi. Çà et là -s'élevaient des croix qui ont disparu depuis la Révolution française. — Nous citerons entre autres la croix du Marché, au pied de laquelle se trouvait le carcan public[1], la croix Dauphine sur la place qui en conserve le nom, la croix de la Mission dans la rue de la Grande-Fontaine, la croix de la Paroisse et celle de Filliacum-Curtis (Fillancourt).

Dans notre antique et belle forêt plusieurs chênes étaient ornés de petites  statues de saints : tels étaient les chênes de Sainte-Barbe, de Saint-Joseph, de Sainte-Anne, de Saint-Hubert, de Saint-Léger, de Saint-Yves, de Sainte-Honorine, de la Vierge et de Sainte-Geneviève. Ce fut aussi sous l'influence d'un esprit éminemment chrétien, que furent fondés l'Hôtel-Dieu(1225), dans un emplacement voisin de la Gour-Larcher (rue de Paris, entre les numéros 40 et 42), l'hospice de la Charité en 1670,entre la rue de Poissy et la rue aux Vaches (maintenant rue de la République), l'hôpital des Vieillards, en 1678,dans la vallée de Fillancourt et l'Ecole des frères, en 1745; ces derniers installes d'abord dans une maison appartenant à la Fabrique, furent cinq ans après transférés rue de Pontoise, dans l'hôtel de la Chancellerie.

Une étude sérieuse de tous ces pieux et vénérés souvenirs fournirait matière à un livre qui ne serait pas moins attrayant qu'instructif. Amateur des vieilles gloires de notre patrie adoptive, un jour, s'il plaît à Dieu, malgré l'insuffisance de nos ressources, nous essayerons d'accomplir cette oeuvre intéressante. Aujourd'hui, c'est à notre église paroissiale et à ses dépendances que nous dédions la présente notice. Ce monument, dont l'origine remonte au commencement du XIe siècle, a subi de nombreuses transformations ; nous aurons soin de les faire connaître aussi exactement que possible ; puis, après quelques mots sur l'ancien Prieuré, nous consacrerons un chapitre spécial aux prêtres. Qui ont exercé les fonctions curiales dans notre cité depuis le XVe siècle, jusqu'à nos jours. Nous avons pensé qu'il était convenable, disons mieux, qu'il était juste, de perpétuer la douce mémoire de ceux qui furent nos pères dans la foi chrétienne. Colligite fragmenta ne pereant. « Recueillez les fragments afin qu'ils ne périssent pas. »

 

I

Église primitive —brûlée par les Anglais, elle est rebâtie sous le règne de Charles V, dit le Sage ; agrandissement, cloches, chapelles, cimetière, fontaine de Charles IX.

 

A l'endroit où s'élève aujourd'hui notre église paroissiale, il y avait dès le principe une humble chapelle sous le vocable de Saint-Gilles, patron d'un grand nombre de monastères ; elle dépendait-alors d'un village qui a joui d'une certaine réputation jusqu'en 1793/mais dont il ne reste guère plus que le souvenir, Saint- Léger-des-Bois ou en Laye[2].

A la place de cette antique chapelle, un roi de France que sa dévotion a rendu célèbre, Robert-le-Pieux, fit édifier, vers l'an 1020, une église qu'il dédia à saint Vincent et à saint Germain. Il existe plusieurs saints du nom de Vincent, mais ici, et les historiens sont unanimes sur ce point, il s'agit de Vincent diacre, Espagnol de naissance et l'un des plus illustres confesseurs de la foi. Quant à saint Germain, est-ce l'évêque d'Auxerre, contemporain de sainte Geneviève, ou bien l’évêque de Paris, grand aumônier du roi Childebert ? D'après un auteur qui écrivait en 1647, ce serait l'évêque d'Auxerre[3].

Nous lisons aussi dans un martyrologe portant la date de 1686, et composé spécialement pour notre église paroissiale. «On garde dans cette église un morceau du crâne de saint Germain apporté de la ville d'Auxerre par Robert, roi de France, lequel pour réparer les torts, griefs et dommages faits à l'église d'Auxerre, pendant le siège qu'il avait mis devant cette ville, apporta ladite relique et fonda cette église à l'honneur de saint Germain en la forêt de Laye[4] ».

Dans le cas où cette opinion serait réellement établie, la fête patronale de notre cité devrait avoir lieu le 31 juillet et non pas le 28 mai, comme cela se pratique habituellement.

Selon d'autres historiens, parmi lesquels nous remarquons le savant abbé Leboeuf, le patron titulaire de notre paroisse serait, au contraire, St Germain, évêque de Paris[5].

Ce dernier sentiment, que nous trouvons également dans un « Propre » de l'an 1769, nous semble mieux fondé. Déjà, sous le règne de Robert-le-Pieux, voulait-on indiquer l'évêque d'Auxerre, on ajoutait l’épithète : « Antissiodorensis » tandis que l'on disait tout simplement saint Germain, lorsqu'il était question de l’évêque de Paris ; mais, faute de preuves concluantes, nous laissons aux érudits le soin de trancher la controverse.

Robert-le-Pieux enrichit notre église de bienfaits et de privilèges, qui furent confirmés par ses successeurs, comme l'attestent plusieurs lettres patentes dont nous possédons des copies parfaitement authentiques.

Voici en quels termes débute une charte donnée par Louis-VI, dit le Gros, l'an de grâce 1124 : Universa bénéficia quae antecessores nostri Francorum reges ecclesiae Beati Vincentii et Sancti Germani de Leia, videlicet Robertus rex qui ecclesiam ipsam a fundamento fundavit et Henricus rex ipsiu & filius et Philippus pater noster conlulerunt, concedimus et firmamus.[6] « Nous accordons et  confirmons tous les bienfaits qui ont été concédés à l'église de Saint-Vincent et de Saint-Germain-en-Laye par les rois, nos prédécesseurs, savoir : Robert, fondateur de cette église, Henri, son fils et Philippe, notre père». En quoi consistaient ces bienfaits ? C'étaient diverses donations, parmi lesquelles figurent la terre de Fillancourt, l'autel d'Orgeval-en-Pincerais, celui de Boran-en-Beauvoisis et l'église de Sainte-Marie, dans l'Ile-de-France ; c'était aussi le droit de percevoir la dîme sur les terrains d'Auvert, de Montfort, de Triel et de Charlevanne [7].

Cette église, que Robert-le-Pieux avait entourée d'un monastère dont nous parlerons plus loin, était restée depuis son origine dans une indépendance absolue de tout Ordinaire, quand Imbert, évoque de Paris, obtint qu'elle fût mise sous son autorité  ; mais bientôt ayant reconnu le peu d'importance d'une concession qu'il avait d'abord ardemment sollicitée, il en abandonna sans peine le gouvernement spirituel aux bénédictins de Colombes (diocèse de Chartres)lesquels en avaient déjà la possession temporelle ; ceux-ci se chargèrent définitivement de son administration vers 1090, après que Philippe Ier, roi de France, eût fait reconstruire en partie les bâtiments du monastère.

Lorsque St-Germain-en-Laye devint résidence royale et, par conséquent, localité importante, on vit un autre évoque de Paris, Maurice de Sully, soutenir, contrairement aux bénédictins de Colombes, que l'église et le monastère étaient sous quelques sa juridiction, attendu, disait-il, qu'ils se trouvaient situés dans son diocèse et que depuis longtemps, il avait préposé un prêtre aux habitants du lieu. Deux chanoines, désignés pour arbitres, mirent fin à ce débat par une transaction signée l'an de grâce 1163, le 13 des calendes de mai.

Voici les principales conditions qui furent  stipulées entre les deux parties : « Si l'église de St-Germain avait besoin d'une nouvelle consécration, elle serait faite par l'évêque de Paris ; à celui-ci appartiendrait également le droit de donner la tonsure et de conférer les ordres sacrés à ceux de la ville qui voudraient se consacrer à Dieu ; l'abbé de Colombes recevrait dudit pontife les pouvoirs spirituels et la charge d'âmes ; il pourrait, s'il le voulait, charger des fonctions curiales, dans ladite église, ceux des curés voisins relevant du diocèse de Paris, soit celui d'Aupec, soit celui de Mareil ; il ne devait être soumis ni au droit de visite, ni au droit de synode, mais en signe de respect et de  soumission, il ferait hommage d'un besan à chaque évoque de Paris, l'année de son élévation à l'épiscopat[8]

A partir de cette époque, notre église ne porte plus dans les anciens titres le vocable de Saint-Vincent, mais uniquement celui de Saint-Germain ; elle fut incendiée par les Anglais en 1346, sous la conduite du Prince-Noir, quelques jours avant la fameuse bataille de Crécy ; reconstruite pendant le règne de Charles V, celui-là même qui, selon Christine de Pisan, fist moult reidifier le Castel de Saint-Germain, on y éleva deux clochers d'inégale hauteur et aux flèches très élancées. Les rois François Ier, Henri II et Charles IX déléguèrent sur les coupes des forêts de Laye et de Marly les fonds nécessaires à ses réparations annuelles. En 1586, deux chapelles (Saint-Michel, Saint-Pierre et Saint-Paul) y furent bâties aux frais de messire et vénérable Dominique Boullard, curé de la paroisse ; Henri de Bourbon, prince de Condé, lui donna de superbes ornements le jour où en présence de toute la maison royale, (23janvier 1596), il y fit sa profession de foi catholique ; en 1610, elle s'enrichit des reliques de Saint-Victor pape et de Saint-Honoré, évêque[9]. Au milieu du chœur apparaissait une belle châsse où étaient conservés plusieurs ossements de Saint-Clément et de Saint-Charles Borromée[10].

En mars 1632, durant la fête d'un de ces grands pardons que l'on nomme Jubilé, on vit se presser dans son enceinte une foule considérable  de prêtres et de pontifes, parmi lesquels figuraient les cardinaux de Lion et de Richelieu ; elle reçut de la reine Anne d'Autriche un grand soleil en vermeil paré de riches émeraudes ; Louis XIII à qui elle était redevable d'une magnifique croix tout en cristal, y vint en 1638,entouré des princes et des seigneurs de la cour, rendre à CELUI de qui émane toute puissance, de solennelles actions de grâces, pour la victoire remportée sur les Impériaux devant la ville de Rhinfeld ; on remplaça en 1660 ses deux clochers par une tour fort basse, mais très solide ; son campanille renfermait alors quatre cloches : là première portait le nom de Marie, à cause de la chapelle de la Vierge ; la seconde due aux libéralités de Jean de la Salle, capitaine du Roi, s'appelait Jérémie ; on nommait la troisième Catherine[11] et la quatrième Marguerite pour rappeler la mémoire de deux princesses, dont l'une était sœur et l'autre fille de Henri II.

Le premier novembre 1670, Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, après un vif démêlé avec Monseigneur de Chartres, vint prendre possession de notre église paroissiale par un service solennel où parut toute la Cour [12]. Louis XIV lui témoignait une affection particulière : nous lisons dans les auteurs contemporains qu'il lui accorda plus de cent mille francs et que maintes fois il y présenta le pain bénit avec une magnificence vraiment royale. En 1677, on y construisit un portail surmonté de deux frontons triangulaires et dont le plus grand était intercepté par une rosace. Quelques années après, cet édifice étant insuffisant à contenir le nombre toujours croissant des fidèles, on résolut de l'agrandir en prenant sur la cour du prieuré le terrain qui serait nécessaire. Messire Jacques Desoleux, alors prieur, fut obligé d'en céder 23toises de long sur 4 de large pour placer la sacristie et les salles destinées aux catéchismes ; mais comme il ne pouvait en aliéner les fonds, il fut passé entre lui et les marguilliers, Antoine, porte-arquebuse du roi, et François Ferrand, seigneur de Fillancourt, un acte par lequel la paroisse s'engageait à faire célébrer tous les ans une grand'messe à l'intention du prieur, quel qu'il fût, et à lui payer une redevance annuelle de six sols ; au moyen de cet accord, on put faire travailler à la démolition d'un ancien bas-côté dont les arcades et les piliers se trouvaient minés par les eaux. Le 12 septembre1681, vers quatre heures, une grande partie du chœur et de  la grande nef s'écroula pendant l'office ; mais heureusement il n'y eut personne de blessé ; Colbert se transporta sur les lieux pour vérifier l'état des bâtiments et sur le compte qu'il en rendit, Louis XIV ordonna une reconstruction générale.

Dans cette église, dont le célèbre artiste Israël Silvestre nous a laissé une gravure, reposaient les cendres de Jacques Hecquet, de Boullard et de Claude Benoist, curés de la paroisse ; outre le maître autel, elle avait les chapelles de St-Roch, de St-Sébastien, de St-Michel, des apôtres Pierre et Paul, de St-Firmin, de St-Glaude, de St- Crespin, de St-Fiacre, de St-Nicolas et de l'Annonciation. Celle-ci avait été fondée en 1598 aux frais de Louis Alberti[13].

C'était auprès de l'église (place actuelle de la paroisse) que se trouvait le premier cimetière public de Saint-Germain. Dans ces âges de foi, nos pères n'avaient pas songé, sous prétexte de salubrité, à transporter leurs chers défunts loin des habitations ; mais ils aimaient à les posséder au milieu d'eux. Et pourquoi cela ? Ils pensaient sans doute que la vue des tombeaux, salutaire pour eux-mêmes, devait l'être également pour les morts, en rappelant ces derniers à leur souvenir, quand l'heure de la prière les appelait au Temple.

On voyait aussi sur cette même place une pyramide en pierre, aux armes de

France, surmontée d'un globe qui portait une couronne royale. Le pied de la colonne était environné d'un bassin auquel on arrivait par trois marches circulaires et qui recevait les eaux d'une fontaine perpétuelle ; dans plusieurs grandes circonstances, la fontaine jeta du vin.

Ce monument encore debout en 1807 avait été bâti en mémoire de la naissance de Charles-Maximilien, plus tard Charles IX.

 

[1] On appelait carcan un cercle de fer au moyen duquel l'exécuteur des hautes œuvres fixait par le cou, à un poteau, celui était convaincu d'avoir commis certains crimes. [2] Précis historique de Saint-Germain-en-Laye (1848), par MM. Rolot et de Sivry, page 92. [3] ANDRÉ DUCHESNE, Antiquités des Villes de France, page 219. [4] JACQUES ANTOINE, Marguillier, porte-arquebuse de Louis XIV, ouvrage manuscrit, conservé dans les archives de la Fabrique.

[5] Histoire du diocèse de Paris, tome 7, page 211. [6] Voir DOM MARTENE. Amplissima Collectio scriptorum veterum, tome 1 ; Antoine l'Aîné, Histoire des Antiquités de Saint-Germain- en-Laye et des environs, ouvrage manuscrit dont notre bibliothèque municipale possède une copie.[7] Charlevanne, ainsi nommé d'une vanne ou pêcherie, dont l'origine remonte à Charles Martel, était situé sur les bords de la Seine, près Rueil ; voir la preuve de ce fait dans l'Histoire de Saint-Germain-en-Laye, par GOUJON, page 314. Charlevanne ne fut donc pas le nom primitif de notre cité, comme l'ont prétendu bien à tort auteurs. [8]Voir pour les détails : Gallia Christiania, tome VIII, colonne 1254 et aux Preuves, colonnes 388, charte LXIV ; Antoine l'aîné, ouvrage déjà cité. Le besan, monnaie de Byzance ou de Constantinople représentait sept francs d'aujourd'hui. [9] Voir dans les archives de la un Fabrique procès-verbal relatif à ces reliques.

[10] Ce dernier était le patron du clergé de la Paroisse, voir Propre de 1769, page. 129, 4 novembre. [11] Cette troisième cloche s'étant sera refondue cassée et bénite en 1739. Voici quelle en était la suscription : « L'an 1730, je lus nommée Louise par Louis Quinze, roi de France et de Navarre et par la reine Marie-Félicité de Leczinska, son épouse. » [12] L'évêque de Chartres prétendait que la cure de Saint-Germain ressortissait de son diocèse ; mais il fut débouté de ses prétentions par un arrêt du Conseil d'Etat. Voir à ce sujet Gallia Christiana, tome VII colonne 183 ; Antoine l'aîné, Antiquités de Saint-Germain. [13] On trouve un plan de cette église dans, le martyrologe manuscrit de l'Eglise paroissiale de Saint-Germain-en-Laye. Par Jacques Antoine, marguillier.

II

Reconstruction de l’Église sous les auspices de Louis XIV. — Première pierre, feu de joie, façade. — Projets d'agrandissement sous Louis XV, médailles. État de l’Église au moment de sa démolition en 1824.

 

La première pierre du nouvel édifice lut posée par le duc de Noailles, chargé de représenter Louis XIV. Au jambage d'une petite porte qui menait au Prieuré, on déposa trois médailles, dont deux en argent aux effigies du roi et de la reine ; dans la troisième qui était en plomb furent gravés les titres du duc de Noailles et les noms des marguilliers, Antoine et Ferrand, avec l'inscription suivante : Cette église a été rebâtie du règne et des bienfaits de Louis XIV, dit Le Grand, en 1682[1]. Ce fut Hardouin--Mansard, architecte de la couronne, qui dirigea les travaux ; on les poussa avec une telle activité qu'ils furent achevés dans l'espace d'une année. Le10avril 1683, veille des Rameaux, l'archevêque de Paris, Monseigneur François de Champvallon, vint consacrer le nouveau temple, et les habitants, en reconnaissance des bontés de Louis XIV, arrêtèrent qu'on fêterait tous les ans l'anniversaire de sa naissance (5 septembre), par une procession autour de la ville, qui serait suivie d'un Te Deum et d'un feu de joie. Après le décès du roi, un service des morts devait remplacer la procession. Cet hommage fut rendu notoire par une épigraphe sur un marbre blanc que l'on plaça dans le choeur de l'Eglise. A ce sujet, l'archevêque de Paris fit un mandement dans lequel il exhortait les paroissiens à se rendre exactement à cette cérémonie qu'il célébra lui-même, pour la première fois, en présence du clergé et du marquis de Montchevreuil, gouverneur de St-Germain. Jacques II, roi d'Angleterre et la reine, son épouse, Marie d'Esté, n'oublièrent jamais, pendant leur séjour dans notre ville, d'assister à cette fête. C'étaient eux-mêmes qui 'allumaient le feu[2].

La façade de cette église se composait de deux parties distinctes : le clocher et le portail. Le clocher, à forme rectangulaire, était armé de deux contreforts entre lesquels on remarquait une porte à cintre surbaissé et couronnée d'un attique supporté par deux consoles. Une plaque encastrée dans un chambranle ornementé faisait connaître l'époque où le bâtiment avait été construit. Le campanille ouvert d'arcades ayant chacune quatre abat-sons se terminait par une balustrade dont les angles étaient ornés de Vases en forme d'urne funéraire.

Le portail présentait aussi, du moins dans sa partie basse, la surface d'un rectangle ; au centre s'ouvrait une grande porte à laquelle on montait par neuf marches que séparait un palier intermédiaire ; dans l'imposte deux dauphins soutenaient un écusson timbré de la couronne royale ; on voyait ensuite deux anges, un lis à la main, tourner leurs regards vers l'effigie de sainte Véronique, au-dessous de laquelle on avait gravé la face de l'Homme-

Dieu ; les statues de saint Germain et de la Sainte Vierge surmontaient deux petites portes bâtardes presque à niveau du sol ; ces statues étaient couronnées d'arcades et de macarons ; au-dessus de l'entablement était un acrotère avec un oculus qui avait à droite et à gauche des attributs héraldiques. Dans le tympan rayonnait un soleil ; assis sur le fronton, deux anges, aux ailes éployées, se trouvaient séparés par une croix latine.

On peut voir, dans le martyrologe de Jacques Antoine, un plan de cette église en 1682 ; soixante-quatre ans après, Louis XV ordonna de lui donner de plus amples proportions et pour assurer l'exécution de ses ordres, il assigna par un édit du 20 juillet 1746 certaines sommes annuelles qui, s'étant accumulées, formèrent, au bout de 18ans, un capital assez élevé pour pouvoir commencer les travaux ; de tous les plans qui avaient été présentés, on adopta celui de M. Nicolas Potain, parce qu'il offrait au clergé et à la ville une foule d'avantages notables. Ce fut le duc d'Ayen qui posa au nom du roi la première pierre, le 20 novembre 1766, dans le quatrième pilier à gauche, quand on entrait par le grand portail ; on mit dans cette pierre, enfermées dans un coffre de bois de cèdre, six médailles d'égale grandeur : une en or du poids de six jouis de 24livres deux en argent valant chacune 9 livres et trois de bronze ; elles portaient d'un côté : Lud. XV, rex christianiss, et de l'autre : Pietas Augusta novi sancti Germani templi primum lapidem posuit anno M.DCCLXVI [3].

Cette première pierre fut bénite par messire Jérôme Legrand, curé de la paroisse ; la justice qui assista en robe à cette cérémonie était composée de MM. Claude Jouanin, lieutenant ; Plouvyé, Duchateau, Blondeau, Panniers, procureurs ; Parizot, greffier ; Séjourné, huissier et premier audiencier ; Mathieu Bataille, Jacques Cordier, huissiers priseurs et Lemoine, huissier de police ; on y remarquait aussi MM. Potain, architecte, Leroux, Foulon, Sandrier et Gaudron, entrepreneurs[4].

Les travaux se poursuivirent assez activement jusqu'en 1787, année où l'intendant du roi invita l'architecte à réduire ses premiers plans par mesure d'économie.

Cette réduction opérée, on adjugea l'entreprise aux frères Sandrier, moyennant la somme de 359.400 livres, qui devait leur être payée au fur et à mesure de l'avancement des travaux, à la charge par eux de les avoir terminés dans l'espace de trois ans ; mais les versements n'étant effectués qu'à de grandes distances et par acomptes insuffisants, les sieurs Sandrier se virent forcés de ralentir les travaux, lesquels allaient être entièrement suspendus par les événements de la Révolution française. Le 21août 1816, le conseil municipal demanda l'allocation annuelle de la somme de 15.148fr. 51cent., à l'effet de reprendre les constructions abandonnées.

A cette époque, notre église était partagée en deux grandes nefs ; égales et voûtées ; celle du choeur et celle de la Vierge. On entrait dans la première par la porte principale, tournée alors sur la place de la paroisse. Là étaient l'orgue, placé dans une tribune-de-bois que supportaient deux colonnettes de fer, le banc de l'oeuvre surmonté d'un Christ, un grand aigle qui servait de-pupitre et la chaire donnée par Louis XIV en 1681[5].

Des colonnes corinthiennes dont le soubassement portait les chiffres entrelacés d'Anne d'Autriche et de Louis XIII, ornementaient le retable du Maître-Autel [6].

Un porche sombre, percé sous le clocher, donnait accès à la nef de la Vierge, qui était séparée de celle du choeur par trois arceaux reposant sur des piliers carrés ; l'autel était orné de colonnes couronnées d'un fronton circulaire ; au bas delà nef se trouvaient les fonts baptismaux et une porte qui communiquait avec la chapelle du Prieuré, au moyen d'une galerie couverte [7].

Avant la Révolution, cette église était richement pourvue d'ornements de toute espèce, comme le prouve l'inventaire qui en fut fait en 1743 ; dans son enceinte avaient eu leur sépulture Louis Lenormand, sieur de Beaumont et gouverneur de Saint-Germain, Ramsay, chevalier baronnet d'Ecosse, le duc d'Orléans, second fils du roi Henri IV, messires François Converset et Pierre Cagny. Ces deux derniers avaient été curés de la Paroisse.

Là aussi furent placés quelques restes de Jacques II, roi d'Angleterre, de sa femme Marie d'Esté et de leur fille Marie-Louise.

[1] On a dit parfois que ces médailles avaient été retrouvées en 1824 ; c'est erreur. Les médailles retrouvées en une constataient la 1824 sous Louis pose de la première pierre dessous XV, comme nous le disons ci-dessous. [2] Voir l'abbé Leboeuf Diocèse de Paris, t. VII. Paris, p. 223 ; Mercure de Septembre, 1695 ; Goujon, Hist. de St-Germain, p. 315 ; Rolot et de Sivry, Précis, p. 195. [3] Ces médailles ont été retrouvées en 1824 ; celle en or est à la bibliothèque municipale ; elle s'était égarée, on vient de la remettre à sa place : les cinq autres avaient été déposées dans le trésor de la Fabrique ; il n'en reste plus que deux, une en argent et l'autre en bronze. [4] Nap. Laurent, dans l'Industriel de Saint-Germain-en-Laye, 1868, 5 décembre, page 195. [5] Cette chaire actuelle se trouve dans l'église. [6] Elles ornent aujourd'hui l'autel de la chapelle Sainte-Anne. [7] Pour plus de détails voir Rolot et Sivry.

III

Église actuelle : Façade, clocher, orgue, sanctuaire, Notre-Dame-de-Bon-Retour, peintures d'Amaury Duval.

 

Une loi du 21 juillet 1824 ayant autorisé la ville à faire un emprunt de quatre cent mille francs et à s'imposer extraordinairement pendant douze années, les constructions de l'église furent reprises et conduites sous la direction de M. Moutier, architecte et de M. Malpièce, vérificateur expert, mais avec de grandes modifications dans les données primitives de M. Nicolas Potain[1] . Monseigneur l'évêque de Versailles consacra le nouvel édifice le 2 décembre 1827. Quelques années après, d'énormes vices de construction donnèrent lieu à un grand procès contre MM. Moutier et Malpièce[2]. La ville Payant perdu fut contrainte de faire à ses propres frais la restauration générale d'un monument pour l'édification duquel elle s'était déjà imposé de bien lourds sacrifices Les travaux commencés en 1849, sous les ordres de M.Nicolle, architecte, furent confiés aux entrepreneurs et artistes suivants : Blard, maçonnerie ; Bayonne , charpente ; Lerenard, serrurerie ; Féry, menuiserie ; Monduit, plomberie ; Blanchin, peinture ; Sauzin, aîné, Delafontaine et Oltin, sculpture ; Amaury Duvaly. Peinture monumentale (fresques) ; Gornuelle, vitraux.

La façade de l'église est précédée d'un vaste perron en pierre, élevé de neuf marches et entouré d'une grille de fer due à la piété de madame Oger, née Lecomte. Sur ce perron s'élève un portique soutenu par six colonnes, dont quatre de face et une de chaque retour ; le plafond en plates-bandes forme des caissons qui produisent un bel aspect, entablement est couronné d'un fronton triangulaire dans lequel apparaît sculptée en bas-relief la Religion assise sur un trône ; à l'un de ses côtés sont la Foi, l'Espérance, la Charité, et à l'autre saint Mathieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean avec leurs attributs : L'homme, le lion, le bœuf et l'aigle[3]. Au-dessus de la porte principale on lit ces mots : D.O.M. SVB.INV. S. GERMANI. « Au Dieu très bon, très grand, sous l'invocation de saint Germain ».

Le clocher se trouve à l'extrémité de l'église : C'est une tour carrée reposant sur quatre piliers réunis au moyen d'une double voûte d'arête et formant un petit porche auquel on arrive par un perron de 13marches[4]. Le campanille a des pilastres surmontés d'arcades à jour et couronnées d'un entablement. Le toit est à quatre plans inclinés ; on y remarque à la partie inférieure un cordon d'antéfixes renfermant chacune une croix grecque pâtée ; autour du cadran de l'horloge sont les douze signes du zodiaque en bas-relief avec quatre têtes d'ange soigneusement sculptées. Nous lisons au-dessus delà frise : AEDIFICA VIT CIVITAS SANCTI GERMANI. ANNOM DCCCXXVII « Construit par la ville de Saint-Germain, l'an 1827. « Sur la face nord, à un mètre environ du sol, est cette inscription : Ville de Saint-Germain - en - Laye. Nivellement, repère central 66 m. au-dessus de zéro de l'échelle du pont de la Tournelle. Le zéro de l'échelle du pont de la Tournelle à Paris est à 26m.25c. au-dessus du niveau de la mer.

Bâtie sur un plan en forme de croix, l'église se compose d'une grande nef flanquée de deux côtés latéraux ; le fond est demi-circulaire; il n'y a pas ici de voûte, mais un plafond formant des caissons renforcés : C'est un lointain écho des riches plafonds que l'on admire dans plusieurs basiliques de la Ville Eternelle ; à droite et à gauche de la grande porte, on apercevait en 1817deux belles statues en pierre représentant saint Pierre et saint Paul ; vers 1855, elles furent transportées sous le portique de la chapelle Sainte-Anne où nous regrettons de ne plus les voir ; que sont-elles devenues?

Nous l'ignorons. Le grand orgue, œuvre de Clicquot, le plus célèbre facteur du XVIIIe siècle a subi en 1852 une métamorphose qui le place au nombre des meilleurs instruments dont s'honore la capitale ; il a quarante jeux et quatre claviers dont un de pédales ; ajoutons qu'il possède plusieurs jeux des vieilles orgues, tels que tierce, quarte, quinte et nazard.

A gauche, entre deux colonnes, est la chaire que supporte un superbe lion doré ; elle avait d'abord été faite pour la chapelle du château de Versailles ; le maréchal Anne-Jules de Noailles l'obtint de Louis XIV et les marguilliers François Ferrand et Jean Antoine la firent transporter à Saint-Germain en 1681 ; il est probable, dit un historien moderne, que plusieurs des illustres orateurs du XVIIe siècle y sont montés pour faire entendre ces voix puissantes dont l'écho est arrivé jusqu'à nous.

Dans l'ancienne église, la chaire était appliquée contre le mur gauche qui formait un des-côtés de la rue de la Paroisse ; son escalier était d'une grande richesse, on l'a remplacé par un tambour sans valeur ; les peintures primitives qui faisaient admirablement ressortir tout le fini du travail, ont également disparu. Au milieu apparaissait un écusson portant les armes de France aux trois fleurs de lys avec deux coqs gaulois pour supports ; on lui a substitué, en 1830, une croix rayonnante surmontée d'une corbeille de fruits et de fleuri[5]. Nous n'approuvons pas ces changements que nous taxerions volontiers de vandalisme.

L'orgue du choeur, remarquable par la puissance et la variété de ses timbres, possède dix jeux et deux claviers ; il sort de la maison renommée du facteur Cavaillé-Coll. Quant au grand orgue dont nous avons parlé précédemment, qui passe communément pour être l'œuvre de Clicquot, il serait, d'après M. Arthur Coquard, contemporain de Louis XIV ; commencé en 1698, il aurait été complété en 1709.

Dans quelle mesure les Clicquot qui sont très postérieurs y ont-ils mis la main ?

C'est un point ajoute M.Coquard que nous que nous n'avons su élucider[6].

Les stalles proviennent de l'ancien hôpital des vieillards dans la vallée de Fillancourt. Le sanctuaire se trouve séparé du choeur par une balustrade en marbre à hauteur d'appui ; la grille de communion, d'un beau travail, était jadis dans la chapelle du Château-Vieux de Saint-Germain. Revêtu de marbre et de jaspe, le maître-autel est d'une forme noble et sévère. Les candélabres à branches que nous y remarquons, à droite et à gauche, tenus par deux anges, sont une donation de Notre-Dame-des-Victoires.

Autrefois, la partie circulaire était fermée par une grille de fer couronnée de fleurs de lys ; nous y voyons aujourd'hui neuf colonnes ioniques sur lesquelles repose une demi-coupole dont nous parlerons plus loin[7].

Quelques auteurs ont écrit que notre église était orientée. Plût à Dieu qu'ils eussent dit vrai, mais ils se trompent.

Une église est orientée lorsque son chevet regarde le levant ; lorsque, pendant la célébration des saints mystères, nous avons le visage tourné vers ces plages d'où nous vient la lumière, image du Christ, la lumière par excellence. Dans cette disposition de nos temples, il y a un magnifique symbolisme que les architectes du moyen-âge avaient soin de ne pas oublier. Or, ici, quand le prêtre est à l'autel, ce n'est pas vers l'endroit où le soleil se lève, mais c'est au contraire vers l'occident que nous tournons les regards.

A gauche du sanctuaire, dans les bas-côtés, il est une statue de la Vierge tenant dans ses bras l'enfant Jésus ; trouvée sur la place du Château, lors des fouilles pour la construction de la nouvelle église, elle fut déposée dans un jardin du voisinage, où elle resta environ cinquante ans, exposée aux intempéries des saisons, jusqu'au jour où le curé de la paroisse, le vénérable M.Collignon, la fit transportée dans l'ancienne sacristie[8] (1835).

C'est par les soins de notre dernier et regretté pasteur, M.Louis Chauvel, qu'elle fut placée, le 25mars 1868,à l'endroit où elle reçoit aujourd'hui nos pieux hommages ; il y eut à cette occasion une cérémonie très émouvante, suivie du chant d'un cantique dont voici le début:

 

Ah ! la voilà La Madone chérie,

Qui si longtemps à nos yeux se voila

Elle revient dans sa chère patrie

Et nous crions d'une voix attendrie

Ah ! la voilà.

 

Cette statue, un des plus purs spécimens de la statuaire catholique au moyen-âge, remonte au 13e siècle ; le bloc de marbre où elle fut taillée était sorti des carrières.de Mesnil-le-Roy et tiré du banc royal. Quelques-unes de ses parties, qui avaient clé endommagées, furent rétablies dans leur état primitif par M. Dagand, d'après les indications de M.Millet, l'habile architecte si connu dans notre cité. C'estau pinceau de M.Desouches qu'est due l'ornementation[9](1).On invoque cette statue sous le titre de Notre-Dame de Bon-Retour. Un bref du Saint-Père, daté de Rome, 5 mars 1869, contresigné par le cardinal Paracciani Clarelli, approuve le vocable et accorde à cette dévotion des grâces spirituelles, entre autres une indulgence plénière à tous ceux qui, vraiment pénitents, après avoir confessé leurs fautes et s'être nourris du pain eucharistique, vénéreront dévotement la susdite statue, le jour de l'Annonciation de la Bienheureuse et Immaculée Vierge-Marie, ou l'un des sept jours suivants, au choix de chacun[10].

Les peintures à fresques sont l'œuvre de M Amaury Duval, un des premiers élèves du célèbre Ingres. Voici, en commençant par la droite, une description sommaire de celles qui décorent la nef, le chœur et la demi-coupole du sanctuaire.

Au-dessus de l'entablement de la nef entre les croisées, nous apercevons six grands tableaux portant les titres suivants : Merces, Misericordia, Redemptio, Humilitas, Caritas, Verbum ; ils sont accompagnés de petits cadres avec des figures qui viennent compléter la signification du sujet principal. Dans tous ces, tableaux on a gravé des textes empruntés aux Saintes Ecritures, mais que l'œil distingue bien difficilement ; afin qu'ils ne restent plus lettre morte pour le commun des fidèles, nous avons eu la précaution de les reproduire et de les interpréter.

1° Merces (récompense). Le père de famille distribue un égal salaire aux ouvriers qui ont travaillé dans sa vigne.

Comme l'un d'eux blâme sa manière d'agir, Amice, lui dit-il, non fado tibi injuriam, nonne ex denario convenisti mecum ?

St Matthieu, chapitre XX, verset 13. « Mon ami, je ne te fais point d'injure ; n’étais-tu pas convenu avec moi d'un denier[11]

La figure d'un jeune homme drapé en bleu dans le premier plan témoigne au contraire sa joie et son étonnement.

Derrière le père de famille, un ouvrier satisfait de son salaire paraît s'inquiéter fort peu de cette générosité ; à gauche est un homme d'âge mûr plongé dans la réflexion. Ce sujet est tiré de la Parabole : Les Ouvriers dans la Vigne. Le père de famille, c'est Dieu ; par la vigne il faut entendre l'église, c'est-à-dire la société des disciples du Christ. Les ouvriers ce sont les hommes qui sont appelés à travailler à l'œuvre du salut.

Madeleine, pénitente, celle dont il a été dit qu'il lui sera beaucoup pardonné, parce qu'elle avait beaucoup aimé. Ubi abundavit delictum, superabundavit gratia Epître de St Paul aux Romains,V. 20.

«Là où il y a eu abondance de péché, il y a eu aussi abondance de grâce. »

3°La femme qui a retrouvé sa drachme. Congratulamini mihi quia inteni drachmam quam perdideram. St Luc XV,9. « Réjouissez-vous, car j'ai trouvé la drachme que j'avais perdue. »

Misericordia. Groupe de onze personnes. C'est le retour de l'enfant prodigue ; il se jette aux pieds de son père qui lui ouvre les bras avec tendresse et commande à ses serviteurs de lui apporter ses premiers habits ainsi que ses anciens ornements. Comme l'aîné manifestait un certain mécontentement, il est bien juste, lui répond son père, que je témoigne ma joie : Perierat et inventus est, S. Luc. XV. 24«Mon fils était perdu et il est retrouvé.»

5° Le Bon Pasteur. Plein de joie, il place sur ses épaules la brebis égarée qu'il vient enfin de retrouver : Cum invenerit eam, imponitin humeros suos gaudens, S. Luc XV.5.

Le Centurion. A la vue des prodiges qui s'opèrent à la mort du Christ, il s'écrie : Vere filius Dei erat iste, S. Mat. XXVII.54. « Certainement cet homme était fils de Dieu. » D'après une respectable tradition, ce centurion s'appelait Longin ou Longis ; il reçut en Cappadoce la palme du martyre et les Grecs célèbrent sa fête le 16 octobre.

7° Redemptio. Jésus meurt sur la croix. Tradidit semetipsum pronobis, épitre de S.Paul aux Ephésiens.V. 2. « il s'est livré lui-même pour nous. » Quatre anges reçoivent dans des coupes le sang qui découle des mains mutilées du Sauveur. Au pied de la Croix est un admirable groupe de huit personnes parmi lesquelles nous remarquons le disciple bien aimé, Saint-Jean ; il soutient la Vierge qui vient de s'évanouir.

8° Le bon larron. Domine memento mei S. Luc. XXIII. 42. « Seigneur, souvenez-vous de moi. « Il paraît qu'autrefois les Juifs croyaient s'assurer l'entrée du Paradis, en assistant à la mort d'un juste, et en se recommandant à ses prières.

Aujourd'hui encore, l'Israélite sur son lit de mort adresse à Dieu cette demande : « Quand je mourrai, pensez à moi dans la Vie Eternelle, afin que j'aie part au jardin de l'Eden. » Le bon larron est honoré à Rome sous le nom de Saint Dima.

Saint Pierre. Tibi dabo clavesregni coelorum, S. Math. XVI. 19. « Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux.» Vient ensuite le texte suivant : Dedit semetipsum pro nobis ut nos redimeret ab omni iniquitate. « Il s'est donné lui-même pour nous, afin qu'il nous délivrât de toute iniquité.»

10° Humilitas. Ce n'est pas la Cène, comme nous l'avons entendu dire quelquefois ; le sujet est emprunté à la parabole du Christ sur ceux qui ont été invités. Ne prenez pas la première place, mais bien la dernière afin que le maître vous dise : Amice, ascende superius, S. Luc. XIV.10 « Ami, montez plus haut. »

11° Le Publicain. Deux hommes allaient au temple pour prier ; l'un était Pharisien, c'est-à-dire du nombre de ces sages qui faisaient profession d'une très haute vertu ; l'autre était Publicain. C'est ce dernier qui est justifié par l'humilité de sa prière : Deus, propitius esto mihi, S. Luc XVIII. 13. « Mon Dieu, soyez-moi propice. »

12° Veuve donnant son obole. «Celui qui donne au pauvre ne connaîtra pas  d'indigence. » Qui dat pauperi non indigebit, proverbes, XXVIII.verset 27.

13° Caritas, groupe de neuf personnes. Un homme venant de Jérusalem tombe entre les mains de voleurs qui le laissent à demi-mort. Passent un lévite et un prêtre sans être touchés de son infortune ; sur ces entrefaites arrive un Samaritain qui le relève et le place sur son cheval : Samaritanus autem misericordia motus est, S. Luc X. 33«Mais le Samaritain fut ému de compassion.»

14° La glaneuse. Allusion à la bonté de Booz qui commande à ses moissonneurs de laisser tomber à dessein plusieurs épis, afin que Buth puisse les ramasser : Nesciat sinistra tua quid faciat dexteratua, S. Mathieu VI. 3. «Que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre droite. »

15° Un guerrier. Il remet l'épée dans le fourreau ; « Bienheureux les pacifiques. » Beati pacifici, S.Mat.V; 9.

16° Verbum. C'est le Sermon sur la montagne. L'homme Dieu, au milieu de ses apôtres, résume toute la doctrine de l'Evangile et proclame les huit béatitudes. Docebat eos clicens, S. Mat.V. 2. « Il les enseignait, en disant. »

17° Une femme. Son nom n'est pas arrivé jusqu'à nous ; elle venait de s'écrier : Heureuses les entrailles qui vous ont porté, quand Jésus lui répondit : « Bien plus heureux sont ceux qui écoutent la parole de Dieu ». Beati qui audiunt verbum Dei, Saint-Luc, XI, 28.

18° Le Bon Semeur. Semen est verbum Dei, Saint-Luc, VIII, 11. «La semence est la parole de Dieu. » Nous lisons ensuite ces mots ; Fides ex auditu, auditus autem per verbum Dei, Saint-Paul aux Romains. X. 27. «La foi vient de l'ouïe ; or l'on entend par la parole de Dieu » Sur l'arc-doubleau qui est devant nous, on remarque deux anges, dont l'un dans l'attitude de la douleur présente la croix à l'adoration des hommes, tandis que l'autre, aux traits graves et majestueux, client à la main le livre des Saintes Ecritures.

Dans le choeur, entre les demi-rosaces, sont représentés les évangélistes et leurs attributs, puis quatre anges avec la trompette, la balance, le glaive et la palme.

Sur la demi-coupole du sanctuaire, le Christ dans sa gloire, appelle les bénis de son père à venir prendre possession du royaume préparé pour eux dès la constitution du monde : Venite, Benedicti Patris mei, possidete paratum vobis regnum a constitutione mundi. On voit à sa droite : saint Louis, roi, saint Joseph, saint Jacques le mineur (Humilitas), sainte Fr. De Chantal, sainte Elisabeth de Hongrie, saint Martin (Caritas), sainte Geneviève, sainte Marthe, saint Germain (Fides); et à sa gauche : le bon larron, Madeleine, Marie d'Egypte (Poenitentia), le Centurion, saint Paul, saint Augustin. (Gratia), saint Etienne, saint Laurent et saint Denys (Martyrium). Au-dessus de la tête de saint Laurent, apparaissait, il y a quelques années, la trace d'un obus que les Prussiens avaient lancé sur notre cité le 28 septembre 1870.

On a dit au sujet de ces peintures : Si l'on peut en regretter la tonalité un peu sourde, le dessin et la composition font un grand honneur à M. Amaury-Duval[12].

 

[1] On ne conservait guère que la colonnade de la nef et les premières fondations. [2] Voir à ce sujet Pièces relatives à l'église Saint-Germain, par M. de Breuvery, maire ; on peut les consulter soit à la Fabrique, soit à la Bibliothèque municipale. 

[3] Ces sculptures sont l'œuvre de M. Ramey fils. [4] La grille de fer qui enferme ce perron séparait dans l'ancienne église le chœur de la nef. [5] Voir MM. Rolot et de Sivry, précis historique, page 50. [6] Voir journal le Monde 1er novembre 1888. [7] Dès le principe, il y avait seulement cinq colonnes ; les autres ont été ajoutées beaucoup plus tard : Notes fournies par le vénérable frère François Xavier. [8] Cette sacristie est aujourd'hui une dépendance de la chapelle Sainte-Anne. [9] Voir Notice sur Notre-Dame de Bon-Retour, par M.Devrais, ancien vicaire de la paroisse. [10] Ce bref est affiché dans plusieurs endroits de l'église. [11] Le denier alors usité chez les Juifs valait environ 10 sous de notre monnaie. [12] M. Amaury-Duval est décédé en 1885 ; il avait envoyé à l'Exposition Universelle 1855 les quatre cartons de peintures qui ont pour titre : Redemptio, Verbum, Misericordia, Humilitas.

 

IV

Sacristie — Chapelles — Ancien

Prieuré.

 

La sacristie actuelle n'a été terminée qu'en 1845 ; voici les principaux objets que l'on y conserve :

1° Deux christs en ivoire, d'un travail vraiment digne de remarque ; l'un, dont la croix d'ébène massif, renferme une parcelle de la vraie croix, sert à l'église pour l'adoration du Vendredi saint. D'après une note qui nous a été fournie par un de nos anciens vicaires, aujourd'hui curé du Vésinet, M. l'abbé Bergonier, sa Sainteté Pie VII aurait eu ce Christ à son usage, pendant sa captivité à Fontainebleau (1812).

2° Un médaillon avec une parcelle du manteau de saint Joseph et d'un os de saint Louis de Gonzague ; le titre qui atteste leur authenticité est daté de Rome 18 octobre 1804. C'est un don de M.Dubusc, ancien secrétaire en chef de notre Hôtel de Ville.

3° Un reliquaire d'argent de forme ovale et fermé par un verre de cristal ;  il contient une parcelle de la vraie croix, du  voile de la sainte Vierge et quelques restes de saint Pierre, de saint Paul, de sainte Anne et de Philippe de Néri. (Authentique datée de Versailles, 2 décembre 1829.)

4° Plusieurs ossements dans un reliquaire, mais dépourvus de toute date authentique. Ne serait-il pas utile de jeter sur ce point quelque lumière ? Nous soumettons la question aux autorités compétentes.

5° Sept reliquaires dont six en métal doré ; ils renferment des parcelles de saint Laurent, diacre et martyr, de saint Jean-Baptiste, de saint Louis, roi de France, de saint Philippe, apôtre, de saint Denys évêque et martyr, de saint Jacques le Majeur, de saint Martin, évêque de Tours, de saint François-de-Sales, de saint Germain, évêque d'Auxerre, et de saint Charles Borromée. (Don de M. Albert Vasserot, ancien architecte des hospices civils de Paris, décédé dans notre cité, rue de Pontoise, n° 21.)

6° Plusieurs tableaux, entre autres ceux qui représentent Louis XIII, Anne d'Autriche, Saül évoquant l'ombre de Samuel, Elie jetant son manteau à Elysée, l'Annonciation, la Nativité et les quatre parties du monde en adoration devant le Sacré-Coeur. Notre église possédait autrefois les sept sacrements de Poussin, dont quatre entre les croisées de la nef et les autres dans l'hémicycle du chevet. Nous n'avons pu savoir ce qu'ils étaient devenus.

Six chapelles ouvrent sur les bas-côtés ; nous en ferons la visite en commençant par la droite, quand on entre dans l'église (porte principale). Nous disons la droite pour nous conformer au langage ordinaire des-architectes ; ce serait, au contraire, la gauche, si nous suivions les enseignements de la liturgie chrétienne.

1° La première chapelle renferme un mausolée qui a été bâti à la mémoire de Jacques II, par le prince régent d'Angleterre, depuis roi sous le nom de Georges IV[1]. Ce mausolée, tout en marbre blanc, est couronné d'un fronton triangulaire dont les angles et le sommet sont ornés de motifs symboliques. On lit sur l'architrave : Regio cineri pietas regia, c'est-à-dire ; A la cendrée d'un roi, la piété royale. Entre les pilastres qui soutiennent l'architrave est une table d'où se dégagent en bas-relief les armes de la Grande-Bretagne ; l'écu est surmonté de la couronne royale et entouré de l'Ordre de la Jarretière avec ces mots : Honi soit qui mal y pense ; il a pour supports à droite un léopard et à gauche une licorne colletée et enchaînée ; suit la devise : Dieu et mon droit. Au-dessous est gravée en lettres d'or l'inscription suivante :

 

Ferale quisquis hoc monumentum suspicis

Rerum humanarum vices meditare.

Magnusin prosperis, in adversis major

Jacobus II Anglorum rex

Insignes aerumnas dolendaque fata

Pio placidoque obitu exsolvit

In hac urbe

Die XVI septembris anni MDCCI

Et nobiles quaedam corporis ejus partes

Hic reconditae asservantur

 

« Qui que vous soyez, à la vue de ce monument funèbre, méditez les vicissitudes humaines ; grand dans la prospérité, plus grand encore dans les revers, Jacques II, roi d'Angleterre, voit finir ses malheurs insignes et ses tristes destinées, par une mort pieuse et paisible, dans cette ville, le seizième jour de septembre 1701 ; ici sont conservées « quelques-unes des parties les plus nobles de son corps[2]».

Le soubassement du tombeau est décoré de deux urnes en demi-relief et flanqué de deux petits autels funéraires. Celui de gauche porte ces trois hexamètres :

Qui prius augusta gestabat fronte coronam,

Exigua nunc pulvereus requiescit in urna;

Quid solium, quid alta juvant? Terit omnia lethum.

 

« Le prince qui naguère ceignait d'une couronne son front auguste, repose maintenant vile poussière dans cette petite urne ; à quoi sert un trône? A quoi servent les grandeurs ? La mort broie tout. »

On lit sur l'autel de droite :

 

Verum laus fidei ac morum haud peritura manebit ;

Tu quoque,summe Deus, regem quem regius hospes

Infaustum excepit, tecum regnare jubebis[3]

 

« Mais le renom de sa foi et de ses moeurs restera impérissable ; vous  aussi, Dieu tout puissant, vous ferez régner avec vous ce même prince qu'un  hôte royal accueillit dans son infortune[4]».

 

Les murailles de cette chapelle sont parsemées des attributs héraldiques de la couronne d'Angleterre, le lion, le léopard, la licorne, le J couronné et le blason royal. A la voûte est une belle peinture qui représente saint Georges à cheval et perçant de sa lance un dragon ailé. On la doit à l'habile pinceau de M.Amaury-Duval.

2° Chapelle Saint-Charles Borromée— Archevêque de Milan au XVIe siècle, ce saint était autrefois, comme nous l'avons déjà fait observer, le patron du clergé de la paroisse. —Dans le tableau de l'autel il est représenté parcourant, pendant la peste, les rues de sa ville épiscopale, la croix à la main, les pieds nus et la corde au cou[5].

3° Chapelle Saint-Joseph. Elle a été construite par les soins de M. le curé

Louis Chauvel. Au-dessus de l'autel est une Sainte Famille que l'on doit au pinceau d'une artiste qui a laissé au milieu de nous les meilleurs souvenirs, Mme de Lacroix. Un cartouche que soutiennent deux anges avec ces mots : Ite ad Joseph, couronne le retable. A la voûte, une fresque d'Amaury-Duval nous montre le Christ dans la maison de Simon le pharisien, Madeleine se jette à ses pieds qu'elle oint de ses parfums et essuie de ses cheveux.

Entre cette chapelle et la suivante étaient jadis les statues de deux évangélistes.

4° Chapelle du Sacré-Coeur. A droite est un tableau où le bon pasteur tend les mains vers la brebis égarée[6] ; à gauche, dans un magnifique vitrail, Nôtre Seigneur découvre son divin coeur à la Bienheureuse Marguerite-Marie [7](2). De chaque côté de l'autel se trouve un joli reliquaire avec des authentiques qui portent les noms suivants : saint Sulpice, saint Louis, roi de France, saint Vincent, martyr, saint Hyacinthe, sainte Placide, sainte Valentine, saint Basile, martyr, saint Eugène, saint Félix, martyr, sainte Juste, saint Bon martyr, saint Just, sainte Anne, sainte Félicité, sainte Blanche, saint Justin, sainte Modeste, saint Donat, martyr, sainte Victoire, saint Sévère. Les colonnes corinthiennes du retable proviennent de l'ancienne chapelle de la vierge ; la frise porte ces mots : cor Jesu miserere nobis.—Ex corde scisso ecclesia Christo jugata nascitur[8]. En face de cette chapelle, auprès de quelques marbres ex voto, se trouve une véritable effigie du visage sacré de Notre Seigneur: Vera effigies sacri vultus Domini Nostri Jesu Christi.

Un diplôme daté du 18 novembre 1887 nous apprend que cette effigie est très religieusement conservée et honorée à Rome, dans la sacro-sainte basilique de Saint-Pierre au Vatican : Quae Romae in sacro sancta basilica S. Petto in Vaticano religïosïssime asservatur et colitur.

5° Chapelle de la Sainte-Vierge.— Elle occupe l'emplacement de l’ancienne sacristie.

Son autel est privilégié, altare priviligiatum, c'est-à-dire que l'âme du défûnt, pour laquelle on y célèbre la messe, reçoit la grâce d'une indulgence plénière ; le bref du pape qui accorde cette faveur insigne est daté de l'an 1841. Au-dessus de l'autel, dans une niche cintrée, la Vierge tient dans ses bras l’Enfant Jésus.

Du côté de l’Epître nous remarquons deux tableaux : Un crucifiement, œuvre de M. Ansiaux et l'Institution du Rosaire par St-Dominique, fondateur de l'ordre des Frères prêcheurs. A gauche, un vitrail nouvellement inauguré présente, dans sa partie supérieure l'ange Gabriel, un lys à la main, annonçant à Marie qu'elle deviendra

la mère de Dieu : Ave Maria. Au-dessous sont Notre-Dame-de-Bon-Retour

et le véritable portrait de notre dernier pasteur avec ces mots : «Né en 1810, ordonné en 1834, à la mémoire de M.l'abbé Louis Chauvel, curé en 1859, décédé en 1894.» Une fresque représentant la Vierge entourée d'anges décore la voûte en demi-coupole.

6° Chapelle St-Vincent-de-Paul.— Ce saint prêtre méritait bien un souvenir dans notre église. C'est lui en personne qui, l'an 1643, installa dans notre ville les soeurs de charité. Dans le tableau du retable il est représenté exposant devant les dames de la Cour la malheureuse situation des enfants trouvés. La femme que l'on aperçoit dans le premier plan est Mme Legras, née de Marillac ; restée veuve elle se donna tout entière au service des malades et des pauvres[9].

7° Chapelle St-Louis.—C'est encore une fondation de l'abbé Louis Chauvel. Le tableau qui orne le retable figure la translation de la Couronne d'épines, que St-Louis, pendant sa résidence au château de St-Germain, avait obtenue de l'empereur de Constantinople ; il la porta lui-même depuis Sens jusqu'à Paris, pieds nus et la tête découverte. La fête de ce pieux monarque, que l'on célébrait dans notre cité, sur le parterre, le 25 août, a été supprimée en 1893, afin de donner plus d'éclat à l'antique fête des Loges [10].

8° Chapelle des Fonts baptismaux.— On y remarque une vasque ovale qui semble très ancienne ; elle est ornée d'une guirlande en pierre sculptée ; derrière ce bassin, on aperçoit, dans une niche cintrée, le Baptême du Christ par St-Jean-Baptiste. Celui-ci tient d'une main une coquille et de l'autre une croix enroulée d'une banderole avec ces mots : Ecce Agnus Dei. En 1848 on y voyait sainte Anne faisant lire la Sainte Vierge.

A l'église paroissiale se trouve contiguë la chapelle Sainte-Anne, que l'on appelle aussi chapelle basse ou du Prieur ; elle était autrefois sous le vocable du Saint Nom de Jésus[11]. Son entrée principale, qui donne sur la place du Château, présente un joli portail de quatre colonnes doriques. Cette chapelle a subi, en 1865, d'importantes réparations[12] ; le chœur fut séparé de la nef par un arc doubleau qui repose sur deux piliers où l'on voit deux reliquaires dont l'Un renferme quelques restes de sainte Anne. La porte du tabernacle est décorée d'un Christ en relief qu'accompagnent les quatre évangélistes[13]. Le retable envieux chêne a deux colonnes corinthiennes cannelées, dont le soubassement porte les chiffres entrelacés de Louis XIII et de sa royale Epouse[14].Une belle statue, de grandeur naturelle, représente sainte Anne faisant lire la sainte Vierge ; elle fut bénite le 16 janvier 1866 et les prières usitées dans ces circonstances furent suivies du chant d'un cantique composé par le-R. P. –Mansion et mis en musique par le neveu de ce dernier. Au-dessus de l'autel, un tableau figure l'apparition du Christ à Emmaüs ; c'est l'œuvre de M. Couverchel, un des premiers élèves d'Horace Vernet ; il a choisi le moment où les deux disciples reconnaissent Notre-Seigneur à la fraction du pain ; le disciple de gauche, Cléophas, est plongé dans un recueillement d'adoration, tandis que celui de droite, dont le nom n'est pas venu jusqu'à nous, exprime, par son attitude, un profond étonnement.

Jadis, il y avait à la place de cette toile un Père Eternel, à la barbe blonde, une main appuyée sur le globe terrestre avec ces mots : Fiat terra et terra facta est[15]. Du côté de l'évangile, une statue en pierre, représentant la Vierge et l'Enfant Jésus, mérite une mention particulière ; elle se trouvait primitivement dans l'Ecole des Frères, alors rue des Bûcherons, n°9. Comment était-elle venue en ce lieu ? On l'ignore. Les Frères l'apportèrent plus tard dans le bâtiment occupé aujourd'hui par l'Ecole Communale, rue de la Salle ; c'est de là que, par les soins de M. l'abbé Chauvel, elle fut transférée dans la chapelle Sainte-Anne. On a dit qu'elle était aussi précieuse que la statue de Notre-Dame de Bon-Retour. Les traces de peinture que l'on y avait remarquées semblaient lui donner une très ancienne origine[16].

Outre l'apparition du Christ à Emmaus, on voit dans cette chapelle les tableaux suivants : Résurrection de Lazare, par Laire ; Le Bon Samaritain de Comeiras ; La Juive Esther aux pieds d'Assuerus, qui passe pour une copie de Rembrandt Van-Ryn, peintre célèbre né en Hollande en 1606 ; Baptême du Christ par saint Jean-Baptiste ; Madeleine pénitente ; Sainte Famille et une Déposition du Christ au tombeau, copie fort remarquable d'une toile de Michel-Ange de Caravage[17], dont l'original est au Vatican. Cette dernière copie écrivaient en 1848 MM.Rolot et de Sivry, venait de la Maison des missionnaires du Mont Valérien où elle avait été déposée par Mgr Forbin Janson, évêque de Nancy.

La chapelle Sainte-Anne, avons-nous dit, s'appelait également chapelle du Prieur ; c'est en effet un dernier vestige du monastère que les Bénédictins de Colombes érigèrent en prieuré vers 1090 ; il avait eu pour fondateur Robert-le-Pieux, comme nous l'apprend une charte datée de l'an 1073, et dont voici le début : Ego Philippus, gratia dei, Francorum rex, notificare volo tam praesentibus quam aetali posterum quatenus avus noster Robertus rex in honorem Dei et sancti Germani apud silvam quai Leia vocatur quoddam construxit monasterium[18].

«Moi, Philippe, par la grâce de Dieu, roi des Francs, je veux qu'il soit notifié aux générations présentes et futures, que le roi Robert, notre aïeul, a fondé un monastère dans la forêt de Laye en l'honneur de Dieu et de Saint-Germain. »

Louis VI, dit le Gros, lui fit diverses donations en 1122 : Il se disposait à bâtir une forteresse à Charlevanne, près Rueil, quand les religieux de notre prieuré lui députèrent un de leurs moines, Robert, pour l'informer que cette dernière localité, la plus belle partie de leurs revenus, leur avait été concédée par les rois ses prédécesseurs ; Louis VI leur répondit que loin d'avoir l'intention de révoquer les privilèges dont ils pouvaient jouir, sa piété le portait au contraire à les confirmer et même à les accroître ; en conséquence, il leur abandonna Charlevanne avec son église, en échange du terrain dont il avait besoin pour construire son château qu'il résolut, dès lors, de faire élever dans notre ville ; il ordonna au moine Robert de déposer l'acte de donation sur l'autel de Saint Germain, tant en son nom qu'en celui de sa royal épouse, Adélaïde :

Proecepit monacho ut poneret hoc donum super altare sancti Germani ex sua parte necnon ex regina Adeladis. A ces libéralités il ajouta, quelquetemps après, un muid de grain sur le moulin bâti par Barthélémy de Fourqueux, le chauffage sur la forêt, et le droit de pâture pour cent porcs. C'est aussi de Louis-le-Gros que le prieur obtint le droit d'infliger aux coupables les châtiments encourus par les lois ; à partir de ce moment, il prit le titre de Seigneur de Saint-Germain, et, pour preuve de sa juridiction, il fit dresser des fourches patibulaires sur l'ancienne route de Poissy, dans un endroit appelé Clos-Victor [19].

Vers 1140, Nivelon, surnommé Paganus de Thorate donna à notre prieuré un muid de blé apud Stagnum (Etang-la-Ville) quand il quitta les vanités du

Siècle pour se retirer dans le couvent de Marly[20]. Il fut statué en 1163 qu'il serait compris désormais dans le diocèse de Paris ; un de ses moines devait célébrer chaque jour la messe et les vêpres dans la chapelle que Philippe-Auguste avait fondée dans le château de Saint-Germain, sous l'invocation de la Bienheureuse Vierge Marie[21]. Saint Louis le déchargea en 1228 de l'obligation où il avait été jusque-là de fournir un certain nombre de lits complets pour le roi et les gens de sa suite. Vers 1547, ses bâtiments subirent de grandes transformations[22].

Lorsqu'il fut réuni à la paroisse en 1693, il se trouvait limité par le château et ses dépendances, par les rues des Bûcherons, de la Surintendance des Louviers, du Vieux-Marché, de Paris, du Poteau-Juré et du Vieil-Abreuvoir ; un mémoire écrit en 1682 porte qu'il y avait plus de 250 maisons dans la justice de ce prieuré ; dans les anciens documents il est désigné sous le nom d'abbatiola.

Le premier prieur dont les annales locales ont conservé le souvenir, s'appelait Ulric ; il fut envoyé, vers 1090, à Saint-Germain, par les Bénédictins de Colombes[23] .

 

 

[1] Le 26janvier 1857, l'ambassade d'Angleterre versa à la ville de St-Germain-en-Laye, 1,255fr. ; donnés par la Reine Victoria pour la restauration de cette chapelle. [2] Ces restes de Jacques II furent transférés ici en 1827 auparavant, ils reposaient dans une ancienne chapelle qui fut démolie en  1824, quand on construisit le clocher actuel. Voir dans La Liberté de Seine-et-Oise, Notre Notice sur Jacques II. [3] Ces inscriptions ont été composées par M. L’abbé Collignon, curé de la paroisse, décédé en 1843.  [4] Allusion à la généreuse hospitalité que Louis XIV accorda à ce monarque exilé : il mit à sa disposition le château de Saint-Germain. [5] Ce tableau, œuvre de M.Garnier, a été donné à l'église par Mme Oger. [6] On attribue ce tableau à M. Tournier. [7] Marguerite-Marie, dont le nom de famille était Alacoque, naquit en 1647, dans le Charollais, au hameau de Lhautecour, diocèse d'Autun. [8] Ces dernières paroles dont le sens est que l'Eglise a pris naissance dans le cœur de Jésus, sont tirées de l'Office du sacré-coeur. Hymne des Matines, 3e strophe. [9] Ce tableau a pour auteur Mlle Boucharlat. Jenny Boucharlat. [10] Voir brochure sur les Loges, 1893, par M.M. Dulon et Corti.[11] Nous lisons dans un Propre de l'an 1769: « Office du saint Nom de Jésus, titulaire de la Compagnie de Charité, établie dans l'église de Saint-Germain-en-Laye dont la fête se célèbre le 2e dimanche après l’Epiphanie.» [12] C'est alors qu'elle fut placée sous le vocable de sainte Anne. [13] Ces figures sont l'œuvre de M. Dagand. [14] Elles proviennent du Maître-Autel de l'ancienne église. [15] Ce vieux tableau est aujourd'hui dans la salle de la Maîtrise. [16] Renseignements fournis par le vénérable Frère François-Xavier. [17] Michel-Ange Caravage, que l'on nomme aussi Amerigi, naquit dans le Milanais en 1590. [18] Voir cette charte dans le manuscrit d'Antoine : Recueil des Antiquités de l'Eglise royale, du château de Saint-Germain-en-Laye et des lieux dépendant de son gouvernement. [19] Sous le règne de Louis XIV, ces instruments de supplice seront transférés, près de Fourqueux ; le nom de Chemin de Justice resté au terrain qui longe la Maison Verte indique la voie que l'on suivait pour s'y rendre. [20] L'abbé Leboeuf, Diocèse de Paris, tome VIII, page 243.

[21] On lit en effet dans une charte donnée par Philippe-Auguste 1223: Capella nostra quam in honore Beatae-Virginis in domo nostra Sancti Germani in Laia fundavimus. (Archives nationales, J, 461. n°10).C'est donc à tort que l'on attribue à saint Louis la fondation de cette chapelle. [22] Ils furent destinés aux offices et communs du château. [23] L'abbé Leboeut, Hist. Du Diocèse de Paris, tom.VII, p. 212.

 

L'ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE. J. DULON
L'ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE. J. DULON

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

1 L'ABBAYE D'AIGUEBELLE

LA FONDATION.

Ce fut à la mi-Juin 1137, que douze moines partis du Monastère Cistercien de Morimond, sous la conduite de Dom Guillaume Leuzon, arrivaient au désert de Derzas, pour y installer un nouveau monastère de leur ordre.

Le fait et la date sont confirmés par une Charte Lapidaire que l'on peut voir encore à Aiguebelle, et qui est ainsi conçue :

« VI KAL JULLI ANNO AB INCARN M. C. XXX

VIJ DEDIT GONTARDUS LUPI DOMINUS ROCHEFORTIS

LOCUM ISTUM ARBATIAE MORIMONDI AD ABBATIAN

IBIDEN CONSTRUEDAM IN HONOREM BEATAE MARIAE »

Ce lieu, que Gontard le Loup, Seigneur de Rochefort donnait aux moines de Morimond, 13e fille de Citeaux, était un vallon âpre, sauvage, impénétrable, tout couvert de ronces,, de buissons et d'épais taillis qui lui avait valu ce nom de DERZAS ; ses flancs étaient hérissés de rochers escarpés, et de collines à pic, déchirées par de nombreux éboulements. Trois ruisseaux l'arrosaient : le Ranc, la Flammanche qui se jetait dans la Vence, laquelle allait au sortir du vallon, joindre ses eaux à celles de la Berre.

En somme, ce désert était pour plaire aux Cisterciens, amis de ha solitude et des sites sauvages, et qui, allaient y installer un nouveau monastère. Mais il est à supposer, toutefois, que la dotation de Derzas à l'illustre Abbé de Clairveaux, Bernard, remontait à quelques années, car, lorsque les moines de Morimond y arrivèrent, déjà la nouvelle Abbaye commençait à sortir de terre. Ils n'apportaient pour tout bagages, nous apprend la Chronique, qu'un Missel, un Bréviaire, les Livres pour les Chants de l'Office, la Sainte-Règle et la « Charte de Charité » qui régissait leur ordre !,....

Cette nouvelle Abbaye, en ce XIIe Siècle, était telle, en somme, qu'on peut la voir aujourd'hui ; d'ailleurs, certaines parties ne datent-elles pas de cette lointaine époque ?  Elle se composait d'une Eglise, orientée, et dans le pur style Cistercien qui bannissait tout ornement ; un cloître accoté à l'Eglise et qu'entouraient la Salle du Chapitre, le Réfectoire, le Chauffoir, le Dortoir, l'Infirmerie et le Scriptorium.

Alors les douze moines se mirent à l'œuvre. Selon la règle de Cîteaux, ils devaient partager leur temps entre la prière et le travail manuel, et afin de n'avoir aucun contact avec le monde, ne vivre que du produit de leur labeur. Aussi, bientôt, l'affreux Derzas perdit de son horreur ... les ronces et les broussailles furent arrachées, le terrain défriché, et une abondante et utile végétation apparut dans cet horrible vallon tout égayé par le murmure des eaux de ses trois torrents, qui lui valut enfin le nom sous lequel il devait être désormais connu : Aiguebelle.

L'AGE D'OR.

La jeune Abbaye d'Aiguebelle allait désormais connaître une prospérité incomparable et qui ne dura pas moins de deux cents ans. A peine née, elle était devenue le centre religieux le plus important du Diocèse de- St-Paul des Tricastins, fier de posséder un monastère Cistercien !..

De toutes parts on accourait pour suivre la bienheureuse règle sous la crosse paternelle et vénérable de Dom Guillaume Lauzon, son premier Abbé. La Noblesse, le Clergé, la Bourgeoisie fournissaient dés religieux de chœur et le peuple comme les artisans augmentaient chaque jour le nombre des Frères Convers !

Dix ans après sa fondation, en 1147, Aiguebelle était si florissante, que Saint-Bernard, le grand Abbé de Clairvaux, revenant du Languedoc, s'arrêtait dans le vallon sacré, pour y bénir ses nouveaux Frères, comme l'indique une inscription que l'on peut lire dans l'Eglise :

Hic Deum adora

Hic Belmardum honora

Qui, locum istum

Illustrauit proespntia.

La légende veut même que St-Bernard, lors de son passage, excommunia les pies qui dévoraient les récoltes des Saints Religieux et qu'il obligea le Denion a remplacer la roue de son char que sa malice avait brisé !..

D'ailleurs le nombre des Moines et des Convers devenait si considérable, que l'on fut contraint d'essaimer !..

Pourtant le domaine d'Aiguebelle s'était agrandi depuis la première donation de Gontard le Loup, Seigneur de Rochefort !.. Le Seigneur de Valaurie - lui avait déjà cédé sa terre de St-Nizier ; puis ce furent le moulin de Ramas, le Ruinel, St-Pancrace, Montjoyer, Citelles, qui peu à peu augmentaient le domaine primitif!.. Mais sous l'Abbatiat de Dom Alberic Boyer, qui avait succédé à Dom Guillaume Lauzon, on dut fonder à Pierrelatte, N. D. du Frayssinet, qui n'eut a vrai dire, qu'une existence bien éphémère !.. Pillée en 1200 par les Albigeois, elle fut bien reconstruite, mais pour être abandonnée en 1228, ou elle n'était plus qu'une grange exploitée par quelques Frères Convers !.. Encore debout aujourd'hui, Frayssinet montre ses vieux murs en grand appareil, d'un aspect fort imposant !..

II n'en fut pas de même, heureusement, de la seconde fille d'Aiguebelle, cette Abbaye du Val-Honnête ou de Féniers, en Auvergne, qui subsista jusqu’à 1828 Elle avait été également fondée par Dom Alberic pour recueillir le trop plein d'Aiguebelle !..

La puissance des Abbés d'Aiguebelle, en ces deux premiers siècles de leur existence, n'était pas moins grande au spirituel qu'au temporel ! S'ils étaient désormais reconnus comme Seigneurs de Derzas et d'Espeluche leur influence religieuse s'étendait de tous cotes !. C'est ainsi que les Bénédictins de Pigiers, à Valaurie, échangeaient leur froc noir contre la robe blanche des Cisterciennes ; l'Abbaye des Filles de Boucher se soumettait a la juridiction d'Aiguebelle ; les Moniales de Bonlieu acceptaient la règle d'Aiguebelle augmentant ainsi sa singulière puissance !..

Et cependant quelques affreux désastres étaient venus désoler cet âge d'or !.. En 1196, sous l'Abbatiat de Dom Elzar, qui avait succédé à Dom Alberic, le Comte de Toulouse s'en vint piller les Abbayes de Pigiers, de Bouchet et de Frayssinet !.. Le Saint Abbé, la tourmente passée, put les reconstruire, et l'on peut dire que jusqu'au XIVe Siècle, Aiguebelle jouit d'une prospérité sans précédent !...

Hélas la décadence allait se faire sentir !...

LA DÉCADENCE[1].

L'Auteur de l’lmitation, parlant des Moines de Cîteaux, dit : « Ils sortent rarement ; ils vivent retirés ; ils sont nourris très pauvrement et grossièrement vêtus ; ils travaillent beaucoup, parlent peu, veillent longtemps, se lèvent matin, font de longues prières, de fréquentes lectures et observent en tout une exacte discipline ».

Ainsi, certainement vivaient les Moines d'Aiguebelle !

Mais cela allait changer !

Peu à peu les Religieux s'écartaient du but primitif de leur vocation et abandonnaient la vie purement contemplative pour se mêler plus intimement a l'activité extérieure !..

La sévère règle commence à leur peser, et ils oublient cette Charte de Charité, qui était le fondement de leur ordre ! Les Papes s'en alarment mais en vain Au relâchement de la règle primitive s'ajoute l'esprit de lucre, si contraire à celui de pauvreté !.. Ils sont trop riches, trop puissants et ne veulent plus se priver des biens de la Terre qu'ils possèdent en trop d'abondance !..

L'Abbé, puissant Seigneur, agit comme tous les Seigneurs de l’Époque !.. La crosse de bois est désormais trop dorée, et ce ne sera plus la houlette qui retiendra le troupeau indiscipline et gagne par le  mal du Siècle !

D'ailleurs l'Abbaye se vide.... Le nombre des religieux décline avec rapidité.... Ceux qui restent ne sont plus les Cisterciens, modèles de sainteté de la première heure !.. La table est mieux servie... le froc est plus élégant.... Mais l’église ne retentit plus des louanges du Seigneur... On oublie de se lever pour chanter Matines.... La règle Cistercienne a vécu !...

A cette décadence intérieure, il est bon, toutefois, d'ajouter la guerre, les ravages des Grandes Compagnies qui dévastaient le Royaume, et s'attaquaient surtout, comme de juste, aux grasses et riches Abbayes. Et surtout, dans nos Pays, les rapines et dévastations du trop célèbre Ravmond de Turenne !...

Ce gentilhomme, si tristement fameux, faisait la guerre à la fois à Louis II d'Anjou qui -lui avait confisque ses domaines, et au Pape qui n'avait pas voulu lui faire fendre justice !

Au Pape sans Rome,

Au Roi sans couronne,

Au Prince sans terre,

A ces trois feray la Guerre !

Terrible guerre qui ne dura pas moins de dix ans, et au cours de laquelle, Raymond, a la tête des débris des Grandes Compagnies qu'il avait pu rassemblé, ravagea la Provence, le Comtat Venaissin et le Tricastin !..

Ce n'est pas que parfois il ne rencontra pas quelques résistances... C'est ainsi que dans notre Pays, à Salles, il fut arrêté par la courageuse défense des deux frères nobles, Milet et Isnard d'Audifred. De même, Grignan était bien trop fortifie et trop bravement défendu pour que Turenne osât s'y attaquer, surtout après son échec de Salles. II porta plus loin sa fureur !

Pourtant, trois ans après l'affaire de Salles, les Raymonds, comme on appelait les soldats de Turenne, purent pénétrer par escalade dans le castel de Grignan et s'emparer du Seigneur lui-même !.

C'est alors que Charles VI ordonna a tous ses féaux et fidèles sujets de courir sus aux rebelles, de les chasser du castel et de délivrer le Seigneur!

Et Aiguebelle, en somme, la plus riche Seigneurie du Terroir, si, grâce à son isolement et à sa solitude avait-pu échapper aux dévastations du ter-- rible Turenne, n'en dut pas moins obéir aux ordres du Roi et contribuer à la défense commune par des vivres, de l'argent et des munitions en même temps que par des hommes choisis parmi les meilleurs de ses vassaux et équipés a ses frais !..

Ces excès de dépenses épuisèrent les ressources de I' Abbaye, et si l'on y joint l'inondation de la Vence et de la Berre en 1402, qui dévastèrent tout le Pays, on comprendra que la prospérité d' Aiguebelle était bien compromise !...

Au commencement du XVième siècle, Aiguebelle - ne comptait plus que quatre ou cinq religieux et Convers, incapables de cultiver le domaine, et commença alors 1'heure des aliénations !..

D'ailleurs, la Commende allait arriver qui devait achever J’œuvre de la décadence !..

LA COMMENDE.

II est bien évident que la richesse territoriale des Monastères ne pouvait qu'exciter l'envie de la Noblesse, comme aussi du Cierge Séculier !.. Et les uns comme les autres n'eurent de cesse qu'ils ne s'en furent emparées !...

Le Pape se prêta d'ailleurs, il faut le dire, à cette sorte de spoliation et le Roy lui-même, François Ier, y aida grandement.

Ce fut exactement en 1515 que l’affaire fut à jamais conclue !... A partir de cette époque, les Abbés ne furent plus élus par la Communauté, comme l'avait toujours voulu la règle, mais nommés par le Roi, avec l’approbation pontificale !...

Ces Abbés ne furent plus des Moines, mais des Séculiers et bien souvent même des Laïcs, à qui le Roy, par amitié ou en récompense de leur service, remettait les riches bénéfices des Abbayes et le droit d'en user à leur volonté

C’est ce que l'on appela les Abbés Commendataires !

Cet état de choses devait durer jusqu’à la Révolution.

II est bien certain que ces Messieurs Commendataires se souciaient fort peu de la vie régulière et des exercices religieux ordonnes par la règle !.. Comme ils prenaient les trois-quarts des revenus des Abbayes, c'est à peine s'ils laissaient aux Religieux de quoi ne pas mourir de faim ! Quant aux bâtiments, par esprit de lucre, ils les laissaient tomber en ruines, et ne se gênaient nullement, afin de faire de l'argent, de vendre les domaines monastiques !...

A vrai dire, Aiguebelle n'eut pas trop a souffrir - - de ses trois premiers Abbes Commendataires, qui furent Jacques de Vesc, Jean d'Urre et Adrien de BazenHHlÍ.

Jacques de Vesc était fort riche, son revenu comprenant outre Aiguebelle, le prieuré d'Espeluche, le Dovennat de Montélimar, le Ganoriat de Saint Paul des Tricastins, et le prieuré des Roches, près Viviers: aussi ne présuma-t-il pas trop son Abbaye. Quant à Jean d'Urre, il avait exactement neuf ans quand une bulle pontificale le fit Abbé d'Aiguebelle, et il était déjà Chanoine de Valence, Prieur du Bourg St-Andéol, Doyen de St-Genis de Laudun et Vicaire de Die !... Aussi, pourvu d'aussi riches prébendes, ce trop jeune Abbé ne pouvait trop pressurer son Abbaye ! Pour ce qui est du troisième, Dom Adrien de Bazemont, il eut certes d'autres soucis, car c'est sous son Abbatiat qu'eurent lieu les terribles ravages que l'on attribue généralement au Baron des Adrets, alors qu'ils ne furent l’œuvre que de ses farouches lieutenants, Montbrun, Blacons et autres !...

En cette année 1562, et tandis que le baron des Adrets courait vers Orange pour venger la mort du Capitaine Parpaille, des hordes Huguenotes envahissaient le Tricastin, pillant les maisons, rançonnant les châteaux et brulant les Églises !...

La cruauté des Protestants s'abat sur Bolleme,

Valréas, Salles, Grignan, Valaurie ; puis ils s'attaquent aux divers couvents de la région, les Prieurés de Donzère, de Sarcon, des Tourettes, les granges du Frayssinet, de Barret, de Prélacourt, qu'ils détruisirent et enfin ils se présentent aux portes d'Aiguebelle !...

Alors leur fureur dévastatrice s'accroit ; ils se ruent sur le vieux Moustier ; brulent les ateliers, enlèvent les toitures des dortoirs, brisent les colonnettes du cloitre, et ne s'arrêtent que lorsqu'un 0rdre du Baron les rappelle à Montélimar !... Mais derrière eux ils ne laissent que des ruines !... Seuls sont encore debout la Salle. Capitulaire, le Réfectoire, la cuisine et une partie de L’Église !...

Dom Adrien de Bazemont eut fort à faire pour restaurer le malheureux monastère, et encore ne le-fit-il qu'en hypothéquant les biens que l'Abbaye possédait à Roussas, à Combemaure et en quelques autres lieux !...

Aussi l’antique Abbaye, vieille déjà de quatre siècles ne fit-elle que péricliter sous les Onze Abbés Commendataires qui suivirent, et qui d'ailleurs s’occupaient plus ou moins de leur charge. II v en eut certes quelques-uns de sympathiques au religieux ; mais combien d'autres ne daignaient me-me pas leur adresser la parole, ne voulant avoir de rapport qu'avec le Père Prieur !...

Malheureux Prieurs, nommes, eux, par le Supérieur Régulier, l'Abbé de Morimond, et qui devaient sauvegarder les droits et les privilèges de l'Ordre! ' Et comment pouvaient-ils veiller à l'entretien du couvent et à l'intégrité du domaine, alors que les Abbés ne cherchaient qu'a les dilapider à leur profit !...

Tout allait de mal en pis !... On ne trouvait, à Aiguebelle, que deux et même un seul Religieux vu la pauvreté d'icelle, disent les documents de l'époque !....

Et cela allait durer jusqu'à la Révolution, qui allait sonner la fin du Saint Monastère !...

 

[1] Pour nous être rendus dernièrement sur les lieux, nous notons que la décadence ici décrite est désormais révolue. Le tocsin résonne à nouveau. Les chants s’élèvent vers les voûtes. 

LA TOURMENTE.

La nuit du 4 Aout 1789, on avait aboli tous les Privilèges, et le 2 Novembre l’Assemblée Nationale mit tous les Biens Ecclésiastiques à la disposition de la Nation.

C’est ainsi que la Municipalité de Réauville reçut l’ordre d'en cadastrer les biens monastiques d'Aiguebelle, et dut signifier à l'Abbé, Dom de Reynier, d'avoir à quitter l'Abbaye, lui et ses moines.

Il n'y en avait plus que trois : Dom Guerin, Prieur, Dom Seguin, économe, et Dom Dumont.

Ce dernier se retira et accepta la pension du Gouvernement ; Dom Guerin 1'imita et se retira dans sa famille ; seul Dom Seguin demeura, et ne quitta sa chère Abbaye et n'en remit les clefs que sur sommation de l'autorité !...

La Municipalité de Réauville procéda à l'inventaire des meubles et immeubles, puis ne s'occupa plus de rien...

Mais c'est alors que survinrent les pillards, tout heureux de cette proie que nul ne gardait, et qui dévastèrent tout, enlevant les portes et les fenêtres, emportant les meubles qu'ils pouvaient trouver, faisant main basse sur tout ce qui leur agréait ou leur paraissait avoir quelque valeur, arrachant tout ce qui était a leur portée ou à leur convenance !....

Cependant, de tout le domaine, le Gouvernement ne s'était réservé que la forêt ; les terres et les bâtiments avaient bien été mis en vente, mais nul acheteur ne s'était présenté... Et ce ne fut que en _ 1810, la Tourmente passée, que l'on finit par adjuger tout le domaine monastique à Jean, Joseph Petit, propriétaire a Allan, pour la somme de vingt-deux mille neuf cent francs...

Celui-ci, tout aussitôt, le revendit par parcelles à divers particuliers....

Aiguebelle n'était plus.... L'antique Abbaye fondée au XIIe siècle était redevenue un désert !... Le sanctuaire abandonne restait a jamais muet !...

L'ordre de Cîteaux, lui-même, n'était plus qu'un souvenir !...

Mais Aiguebelle ne pouvait pas mourir, et l’heure de sa résurrection allait sonner !...

LA RÉSURRECTION.

En effet, vingt-cinq ans après sa dévastation, des Moines revenaient à Aiguebelle et allaient lui faire connaitre une splendeur, plus éclatante encore que celle des deux premiers siècles de son existence !

Mais ce n'étaient plus des Cisterciens !...

Des anciens Moines il n'était plus question ; on ne savait même ce qu'ils étaient devenus ; les nouveaux venus arrivaient sous la conduite de Dom Etienne Malmy, prieur de la Trappe de la Val-Sainte : c'étaient des Trappistes !..

A la vérité, les Trappistes sont des Cisterciens !.. La Trap-Dieu, plus tard Maison-Dieu, Trap voulant dire Maison, avait été fondée à Mortagne en 1120, et peuplée par des moines de l’ordre de Savigny. Mais en 1140 l'Abbé de la Trappe de Mortagne, ami de Saint-Bernard, avait demandé d'être admis dans la grande famille cistercienne ainsi que les trente-deux monastères de sa dépendance. Sa demande ayant été acceptée par le Souverain Pontife, la Trappe fut agréée a Cîteaux, sous la direction de l’Abbé de Clairvaux !...

Mais au XVIIe siècle, comme tous les monastères, la Trappe était tombée dans le relâchement le plus complet, et il ne fallut rien de moins que le zèle et la piété du célèbre Abbé de Rance, pour remettre de 1'ordre dans les choses et soumettre les Trappistes à l'étroite observance de la règle de St-Bernard.

Quand arriva la tourmente révolutionnaire, les ordres religieux durent se disperser et disparaître Mais les Trappistes, sous la sage houlette de Dom Augustin de Lestrange, qui avait senti venir 1'orage, avaient heureusement pris les devants et avaient fondé un autre monastère en Suisse, la Val-Sainte.

Et c’est de la que, en 1815 ils arrivaient a Aiguebelle pour ressusciter 1'ancienne Abbaye.

Ce ne fut pas sans peine !...

Le Père Bernard Bouisse était, parti le premier, en éclaireur, à la recherche de quelque vieux monastère que l’on put acheter, et tour à tour, il avait visité Cîteaux, Clairvaux, Morimond, Senanque, Boniveaux, Léoncel, quand il arriva a Aiguebelle qui lui plut particulièrement !...

C’était là que les Trappistes allaient s'installer !,.

Le 16 Novembre 1815, par acte passe devant Maitre Marcon, Notaire à Grignan, le Père Bouisset achetait l’antique Abbaye, c'est-à-dire les bâtiments, les terres bordant la Vence depuis le Vallon de la Solitude jusqu'à l'extrémité du Lignol, l'aire ancienne, l’ermitage et la vigne vieille, le tout pour La somme de 22.000 francs.

Il ne s’agissait plus que de les trouver !... Heureusement, il y avait, en Avignon, patrie du Père Bernard, un excellent homme, le Comte de Broutet, que l’on appelait le Père des Pauvres et encore le Bourru bienfaisant. Et ce fut lui qui voulut bien fournir 1'argent pour l'achat d'Aiguebelle !...

Ce fut en décembre 1815 que, sous la conduite du Père Louis de Gonzague, les Trappistes de la Val-Sainte arrivèrent a Aiguebelle !...

Hélas ! Dans quel état ils trouvèrent cette Abbaye ou ils allaient vivre !....

Le Réfectoire et le chapitre étaient transformés en écurie ; le chauffoir était devenu une cave ; dans les cloitres s'amoncelaient les fumiers ; quant à l’Église, le pavé en avait disparu, une bergerie occupait le vaisseau, le presbytère avait dû abriter les bœufs et les vaches !... Un plancher établi sur les chapiteaux supportait le foin, le bras gauche du transept était privé de sa toiture et quant au bras droit, il avait servi de poulailler et l'on y voyait un perchoir à poules !...

Seules les cuisines et une salle à manger subsistaient et c'est là que les nouveaux moines s'installèrent !....

Le 27 janvier, arriva enfin Dom Étienne Malmy, qui devait être le premier Abbé de cette nouvelle Trappe, et qui en fut le restaurateur !...

Tout aussitôt les Trappistes s'étaient mis à l'œuvre : en peu de temps les bâtiments avaient été relevés, les terrains défrichés, une laiterie, une menuiserie, une forge, puis un moulin avaient été construits, et quelques années après, le Visiteur Général de 1'Ordre, dans son rapport au Pape Léon XII, disait en propres termes : « J'ai vu Aiguebelle....l'édifice et quelques terres adjacentes ont été rachetées, par des bienfaiteurs pour y placer des religieux de la Trappe.... Ils suivent les règlements de la Val-Sainte, sont à peu près quatre vingts, moitié de chœur, moitié de convers. La maison est grande et spacieuse, c'est la troisième de la réforme, en importance.... ».

Aiguebelle était véritablement ressuscitée !...

L’ÉPANOUISSEMENT.

En 1837, Dom Étienne venait d'entrer dans sa quatre-vingt treizième année ; il s'estima trop âgé pour pouvoir diriger utilement la Communauté et donna sa démission.

Ce fut son prieur, Dom Orsise Caravon qui fut élu Abbé.

Sous cet heureux Abbatiat, le Trappe ne fit que s'accroitre ; en 1840 elle comptait plus de deux cents _ - Religieux ; le moment était venu, sans nul doute, d'essaimer, et ce fut en 1843, que la Trappe d'Aiguebelle fonda sa première fille, qui fut l’Abbaye de Staoueli, en Algérie !...

D’autre part, la prospérité du monastère était devenue telle que Dom Orsise put racheter l’ancien prieuré de Sarson, devenu la Grange St-Bernard.

Sans être un grand intellectuel, ce pieux Abbé n’en était pas moins un ami des Livres, et c’est sous son Abbatiat que commença à s’organiser la belle bibliothèque d’Aiguebelle et que l’on y rassembla tous les documents qui devaient servir plus tard à écrire l’histoire de cette Abbaye.

A Dom Orsise succéda, en 1852. Dom Bonaventure Chareyron, qui fonda l’Abbaye Notre-Dame des Neiges, en Vivarais, en même temps qu’il installait à Maubec, non loin d’Aiguebelle, le couvent des Trappistes.

Dom Bonaventure ne devait pas garder longtemps la crosse, car il s’éteignit en 1854 après seulement deux ans d’un Abbatiat assez fécond !...

Dom Gabriel Monbet, Prieur de Notre-Dame des Neiges, fut nommé Abbé, et son premier souci fut de restaurer l’Église Abbatiale. Le mur de façade reprit son ancienne place et de ce fait le vaisseau retrouva sa primitive longueur. De plus, il fit édifier une tribune dominant les trois nefs et un élégant jubé soutenu par quatre colonnes Toscanes. Enfin, il construisit un clocher monumental, en pierre, portant la croix à plus de trente-cinq mètres de hauteur, et y installa deux cloches !...

L’Église ayant enfin retrouvé sa primitive apparence, le zèle de Dom Gabriel se porta sur les bâtiments réguliers. Il restaura le chapitre des Frères, la grande salle qui avait été le chauffoir devint une salle de Lecture, il rendit sa primitive destination au chapitre des Moines, restaura le cloître en changeant la toiture par une terrasse qui fut le solarium, en même temps qu’il aménageait le caveau des Abbés qui reçut le reste de Dom Etienne et de Dom Bonaventure, enfin, il éleva un beffroi sur le  portail d'entrée, avec une armature de fer contenant un carillon.

Mais ce n'était pas tout, car sur le plateau désert dominant le monastère, au Nord-Ouest. Il fit construire la magnifique hostellerie, avec sa chapelle dédiée a Sainte-Anne et enfin c'est lui qui commença la construction d'un grand bâtiment de plus de trente mètres de hauteur, qui fut tour à tour minoterie, chocolaterie, filature, et qui, ses temps derniers, diminue de trois étages, est devenu 1'actuelle distillerie ou s’élabore cette onctueuse Liqueur d'Aiguebelle, dont on devait la formule au pieux Père Jean.

Enfin, c'est encore Dom Gabriel qui confia au Père Hugues Séjalon le soin d'écrire et de publier les Annales d'Aiguebelle, dont les deux gros volumes, d'ailleurs introuvables, ou à peu près aujourd'hui, sont l'ouvrage le plus précieux sur l'histoire de la vieille Abbaye.

Dom Gabriel étant mort en 1882, ce fut Dom Marie Abric qui lui succéda.

On lui doit l'orgue d'accompagnement de L’Église Abbatiale.

Au temporel, puissamment aidé par le Père Jean Baptiste Chotard, mort Abbé de Sept-Fonts, la petite industrie du chocolat reçut une telle impulsion que bientôt le Chocolat d'Aiguebelle fut connu et apprécié dans le monde entier. Mais les deux cents Quvriers qui y travaillaient, donnant à l’Abbaye une trop grande apparence de cité industrielle, la chocolaterie fut transférée à Donzère, et, depuis, il faut le dire, elle est passée en d'autres mains.

Mais, le grand évènement de l’Abbatiat de Dom Marie fut assurément le retour des Trappistes à la règle de Saint Benoit, de la Charte de Charité et des Us de Cîteaux, ce qui fait que l'on peut dire que le 14 Octobre 1892, la restauration complète de l'ordre de Cîteaux était entièrement réalisée !...

Dom Marie eut aussi, hélas ! La douleur de voir la Grande Guerre !... Trente et un religieux furent mobilisés ; quatre tombèrent au champ d'honneur! 24 Citations, 6 Médailles militaires, 14 croix de guerre témoignent du patriotisme des nouveaux Cisterciens !....

En 1922, la santé de Dom Gabriel fut gravement atteinte, il offrit sa démission au chapitre général qui 1'accepta. S'étant demis de ses pouvoirs, il vécut encore huit ans dans ce monastère dont il avait été l'Abbé durant quarante-deux ans. Le «Grand Père» comme on le nommait filialement, s'éteignit le 24 Avril 1931.

Actuellement[1], l'Abbé d'Aiguebelle, est Dom Bernard Delauze, un enfant du monastère, peut-on dire, car il est né à Réauville.

Son œuvre de prédilection est la restauration complète de l'antique Abbaye, à qui il veut rendre sa figure du XIIe siècle.

II a fait gratter tous les enduis recouvrant les murs et fait réapparaître les pierres dans leur nudité, ce qui est assurément plus conforme à 1'architecture Cistercienne.

Enfin, Dom Bernard a eu la grande joie, il y a un mois, de présider ces merveilleuses fêtes du Huitième centenaire de l'illustre et chère Abbaye Tricastine. Et, ce fut à l'occasion de ces Fêtes qu'un Bref de Sa Sainteté a érigé L’Église Abbatiale en Basilique mineure !...

Telle est, rapidement contée, l'histoire de l'Abbaye d'Aiguebelle, que le Tricastin s'honore de voir fleurir si magnifiquement dans son antique Terroir!

Rodolphe BRINGER.

Voir également le site consacré à l'Abbaye : https://abbaye-aiguebelle.cef.fr/presentation-historique

[1] 1937

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NOTES SUR NOTRE-DAME DE LÉONCEL

D'APRÈS ULYSSE CHEVALIER 1869.

L'abbaye de Léoncel[1] fut la quatrième fille de Bonnevaux, de l’ordre de Cîteaax ; saint Jean, premier supérieur de ce monastère, puis évêque de Valence, et saint Amédée d'Hauterive, futur évêque de Lausanne, y amenèrent une colonie de religieux le 23 août 1137. Cinquante ans s'écoulèrent avant que la construction de l’église (basilica) fut terminée : la dédicace s'en fit solennellement, le 11 mai 1188, par l’archevêque de Vienne Robert, assisté de son homonyme évêque de Die; l’autel principal fut consacré à la  Sainte-Vierge suivant l’usage général de Citeaux, et & saint Jean-Baptiste[2]. La dépendance de l'abbaye resta longtemps incertaine entre les évêques de Valence et de Die.

Dès sa naissance, cette abbaye reçut de nombreuses marques de sympathie et fut l'objet de bienfaits particuliers de la part des puissances religieuses et féodales dont l'autorité pouvait la couvrir d'une protection plus ou moins efficace. Les papes Innocent II, Eugène III, Alexandre III, Luce III, Clément III, Innocent III et leurs successeurs à partir du XIIIième siècle, l'empereur Frédéric Barberousse, saint Louis roi de France et son frère Alphonse comte de Poitou, les évêques de Valence Eustache, saint Jean, Bernard. Eudes, Falques, Humbert, etc., l’archevêque de Vienne Robert, les comtes de Provence Raimond et Sanche, Hugues duc de Bourgogne, les Aimar et les Guillaume comtes de Valentinois, Flotte dame de Royans et comtesse de Valentinois, Albert de La Tour-du-Pin, les seigneurs d'Alixan, de Brion, de Chabeuil, de Chateaudouble, de Châteauneuf-d ’Isère, de Clérieu, de Curson, d'Estables, d'Eurre, d'Eygluy, de Flandènes, de Gigors, de Larnage, de Marches, de Mirabel, de Montclar, de La Motte, de Quint, de Rochefort, de Roussillon, du Royans, de Suze, de Tournon, du Trièves, en un mot tous ceux qui, dans les environs, visaient à une certaine indépendance, tinrent à honneur de gratifier l'abbaye naissante d'amples privilèges. Pour donner une idée des richesses paléographiques accumulées par les ans dans le chartrier des moines de Léoncel, il suffira de dire qu'au commencement du XVIième siècle, il comprenait 689 actes en parchemin[3]. Ces pièces furent conservées avec un soin religieux, et Peiresc dut à sa réputation européenne la faveur d'obtenir, en 1633, la communication de onze titres importants, dont nous avons été très-heureux de retrouver ta copie et la description parmi ses papiers, à la bibliothèque de Carpentras. Les archives de l'abbaye furent de nouveau inventoriées au milieu du siècle dernier il ne manquait que peu de numéros, d'ailleurs sans importance d'autres, précédemment omis, furent retrouvés. La Révolution fit transférer tous les titres de Léoncel à Valence, chef-lieu du district un récolement, opéré en 1819, ne constata encore que des pertes minimes. C'est à un regrettable défaut de surveillance qu'on doit attribuer, peu d'années après, la soustraction de pièces d'un grand intérêt : hâtons-nous d'ajouter qu'il nous a presque toujours été permis de suppléer à l'absence des originaux, soit par les copies de Peiresc, soit par la transcription assez exacte d'un moine qui releva les principales chartes de son monastère.

Pour les descriptions architecturales, voyez le site suivant : http://abbaye-leoncel-vercors.com/2018/07/14/architecture-de-labbaye/

Les Photos qui accompagnent le texte ci-dessus sont exclusivement de l'auteur.

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[1] D'abord Fons Lionnae, puis Lioncellum et ses variantes. [2] Acte extrait d'un ms de 1322. MANRIQUE. Annal. Cisterc., I, 332-3 [3] Inventaire original dressé à cette époque.

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L'ÉGLISE COLLÉGIALE DE N.-D. DU CHÂTEAU DE LOCHES

PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE DE LA COLLÉGIALE (EXTRAIT)

CHAPITRE IV

Dévastation et pillage de la collégiale pendant la Révolution. — Réouverture de l'église de Notre-Dame sous le vocable de saint Ours.

1792 - 1862

Le temps était venu où cette église vénérable, qui comptait plus de huit cents ans d'existence, allait être indignement profanée; son glorieux passé ne devait pas la préserver des outrages des révolutionnaires! L'église Notre-Dame du château de Loches était un temple consacré au vrai Dieu, un temple fondé, enrichi, visité par des princes et des rois; elle devait, pour ces raisons, porter les marques de la haine que les hommes de la Révolution avaient pour Dieu et son culte, pour les rois et les grands.

Après avoir exigé de tous les prêtres catholiques un serment que leur conscience leur interdisait de prêter et qui devint le signal de sanglantes persécutions, les chefs avancés de la Révolution conçurent le projet d'anéantir en France la religion catholique. Des ordres furent donnés pour le pillage de toutes les églises, et les comités révolutionnaires, établis dans les quatorze mille communes de la république, s'acquittèrent en impies de cette impie commission.

Partout on ne rencontrait que bûchers où brûlaient les livres d'église, les chaires, les confessionnaux, les ornements sacrés: les tableaux, les reliques des saints, et l'on voyait autour de ce feu la populace ivre de vin et d'impiété danser en blasphémant le Dieu de ses pères! On mutila les statues des saints, on brisa les croix, on enleva le fer des grilles, on fondit les cloches, on abattit même quelques clochers, sous le ridicule prétexte que par leur élévation ils blessaient l'égalité républicaine.

Qui pourrait énumérer les églises qui furent détruites en ces temps malheureux? Parmi celles qui restèrent debout après leur profanation, les unes furent converties en magasins ou en écuries, les autres servirent au culte nouveau que les hommes du jour voulurent substituer au culte du vrai Dieu, et devinrent les temples de la Raison.

Cette nouvelle Divinité eut des statues vivantes, et ce fut sous les traits d'infâmes prostituées, qui se plaçaient sur l'autel, qu'elle reçut l'encens et les hommages d'un peuple en délire!

Dans ces jours de funeste mémoire, les chants sacrés, qui depuis huit siècles retentissaient quotidiennement sous les voûtes de Notre-Dame de Loches, vinrent à cesser ; le divin Sacrifice ne fut plus offert sur ses autels dépouillés ; les prêtres fidèles qui la desservaient furent obligés de fuir la persécution et la mort.

Enfin, une horde sauvage et impie fit irruption dans cette église autrefois si respectée; elle venait, le blasphème à la bouche, piller l'antique sanctuaire de Marie. En un instant les croix furent renversées et foulées aux pieds, les images et les statues des saints furent déchirées et brisées, les orgues elles-mêmes furent mises en pièces ; les vases sacrés et les ornements précieux que possédait la collégiale furent enlevés.

C'est alors que disparurent pour toujours le très-beau reliquaire d'argent doré, en forme d'église, renfermant un autre reliquaire composé d'une agathe précieuse montée sur vermeil et qui contenait la ceinture de la sainte Vierge ; Les châsses des corps de saint Hermeland et de saint Baud couvertes d'argent, avec figures relevées en bosse et dorées pour la plupart ; Une colombe d'argent doré suspendue autrefois au-dessus du grand autel et dans laquelle avait reposé le très saint Sacrement;

Une belle croix d'or, ornée de pierres et de perles précieuses, qui contenait des reliques de la vraie Croix ;

Une statue d'argent doré de la sainte Vierge tenant J'enfant Jésus entre ses bras;

Une petite statue d'argent doré de sainte Marie Madeleine, contenant quelques reliques de cette illustre pénitente ;

Plusieurs autres reliquaires en argent, de différentes formes, dans lesquels étaient renfermées des reliques de saint Paul, de saint Matthieu, de saint Barthélemi, de saint Martin, de saint Grégoire, de saint Gilles, de saint Biaise et de saint Malo ;

Un superbe livre des saints Évangiles[1] recouvert d'argent doré, enrichi d'un très-beau crucifix au pied duquel se trouvaient représentés la sainte Vierge et saint Jean, en argent doré relevé en bosse.

Enfin, une grande croix de procession en argent massif, des chandeliers, des encensoirs, des burettes, un bénitier, des lampes, des calices en argent, deux très-beaux calices en vermeil, devinrent la proie des patriotes sacrilèges et voleurs.

Ils n'oublièrent pas non plus de mettre la main sur les belles cloches de l'église Notre-Dame; ils descendirent, pour les briser, les deux grosses cloches placées dans le clocher qui surmonte la tribune, et les quatre moyennes que renfermait l'autre clocher.

Après avoir tout pillé, tout dévasté, les révolutionnaires se retirèrent chargés de leur riche butin. Ils épargnèrent le monument, qu'ils voulaient transformer en un temple de la Raison, mais ils eurent soin d'en faire disparaître tout ce qui pouvait rappeler sa destination primitive.

Que de mutilations ils lui firent subir!

Quand vous entrez dans cette antique église du château de Loches, vous trouvez sous le porche magnifique qui la précède des traces ineffaçables de la fureur révolutionnaire.

Le portail qui met le porche en communication avec l'église vous apparait affreusement mutilé. Les statues des saints, des anges, de la Vierge Marie, qui le décoraient, ont été frappées par le marteau de ces nouveaux vandales. Tout ce qui faisait saillie, les têtes, les bras, ont été abattus ; des nombreuses statues qui décoraient le portail et le porche, il ne reste plus que d'informes débris!

Dieu permit que cette oeuvre de destruction restât inachevée pour montrer aux générations futures combien sont tristes les fruits que produit l'impiété.

Quand les églises furent rendues au culte catholique, ce dut être pour les démolisseurs un châtiment terrible que ces restes mutilés échappés à leur fureur et disant éloquemment à tous ceux qui s'arrêtaient devant eux : « Voilà l'ouvrage de ces fiers révolutionnaires qui, ne pouvant s'attaquer à Dieu lui-même, dont ils voulaient détruire le culte ici-bas, déversèrent leur haine sacrilège sur ses temples et ses images, sur celles de la Vierge et des saints. »

Jusqu'à l'époque du Concordat de 1802, l'église collégiale servit de lieu de réunion pour les fêtes décadaires.

Enfin, à ce moment Dieu mit un terme aux épreuves du catholicisme en France. Le général Bonaparte, étant devenu premier consul, et par la même chef de l'État, rétablit dans notre pays l'exercice du culte catholique, de concert avec le souverain Pontife Pie VII. La France entière accueillit avec des transports de joie cette restauration religieuse ; les efforts que l'impiété avait faits pour étouffer en France la religion n'avaient servi qu'à procurer à cette religion divine un éclatant triomphe.

Quoique rendue au culte, l'église collégiale et royale du château de Loches ne devait pas revoir son brillant passé ; elle était pour jamais privée de son nombreux clergé, de ses douze chanoines, de ses chapelains, de ses clercs, de ses riches possessions; elle devait cependant avoir encore un bel avenir, car l'église de Saint-Ours ayant été détruite pendant la tourmente révolutionnaire, la collégiale devint l'église paroissiale de Loches, sous le vocable de saint Ours, le glorieux patron de la ville.

On n'oublia pas toutefois à Loches que la nouvelle église paroissiale avait été primitivement dédiée à la sainte Mère de Dieu. Il semble même que la divine Providence ait voulu que la sainte Vierge fût, à partir de cette époque, honorée plus encore qu'autrefois dans l'église du château. En effet, avec la ceinture de la Vierge sauvée comme par miracle, lors du pillage de 1793, on y vénère une statue antique de Marie, connue sous le nom de Notre-Dame de Beautertre.

Aussi le peuple de la ville et des campagnes vient-il avec empressement, à différentes époques de l'année, rendre ses hommages à la Reine des cieux, dans son antique sanctuaire du château, attiré qu'il y est par le désir de vénérer la ceinture de l'auguste Vierge et la statue de Notre-Dame de Beautertre.

Après avoir esquissé à grands traits l'histoire de l'antique église du château de Loches, nous allons, dans le chapitre suivant, en donner une description scientifique détaillée. Nous essaierons de faire connaître quelle était la forme de l'église construite par Geoffroy Grisegonelle, ce qui a pu en être conservé quand Thomas Pactius entreprit de la reconstruire; nous étudierons ensuite dans tous ses détails ce magnifique monument élevé à la gloire de la Reine des cieux par le généreux prieur du chapitre collégial et royal; enfin nous dirons les importants travaux que l'on a entrepris depuis une vingtaine d'années pour rendre à la vieille collégiale son cachet primitif et pour l'embellir en la restaurant selon les règles de l'art chrétien.

 

[1] C'était peut-être le même évangéliaire que Thomas Pactius avait donné à la collégiale avec d'autres manuscrits précieux. —chron. ecclesiae B.M. de Lochis.

L'ÉGLISE COLLÉGIALE DE N.-D. DU CHÂTEAU DE LOCHES

PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE DE LA COLLÉGIALE (EXTRAIT)

CHAPITRE V

Description de l'église du château de Loches.- Différentes transformations de ce monument. — Inscriptions tumulaires. — Restauration de M. l'abbé Nogret.

L'église du château de Loches, telle que nous la voyons actuellement, présente deux styles principaux : l'un qui appartient à l'architecture romane primordiale, et qui ne s'observe que dans les parties de l'église de Geoffroy Grisegonelle conservées par Thomas Pactius ; l'autre qui appartient à l'architecture romane tertiaire ou de transition, et qui consiste dans un mélange des formes romanes et des formes byzantines. C'est ce style de transition entre l'architecture romane et l'architecture ogivale que Thomas Pactius voulut appliquer dans la reconstruction de sa collégiale; il le fit avec le plus grand succès.

« Ainsi le temple est précédé d'un vestibule ou pronaos ; la toiture est en pierres plates, comme dans l'Orient; les anciennes voûtes romanes qui pesaient sur la prière, font place à des pyramides évidées comme des coupoles; les arceaux sont plus hardis, les colonnes plus hautes; partout enfin se trouve un élancement inconnu jusqu'alors à l'architecture et qui prend l'art byzantin comme expression, avant d'adopter définitivement l'ogive.

A l'extérieur, Notre-Dame de Loches frappe surtout par un caractère étrange et original. Deux clochers pyramidaux, de forme octogone, couronnent la façade et le transept; autour d'eux s'élèvent des clochetons, des tourelles, et dans l'espace qui les sépare vous apercevez les deux cônes des douves (dômes ou voûtes) semblables à deux autres pyramides.

Sans doute ces coupoles, ces campaniles, sont loin d'avoir (malgré leur hauteur, qui atteint pour les plus élevées à 40 mètres) la légèreté et l'élégance des flèches de l'art ogival, mais elles sont plus loin encore de la pesanteur massive des tours carrées de l'art roman. Ce qui agrandit surtout l'impression, c'est leur nombre, c'est cette suite non interrompue d'élévations qui nulle part ne laissent place à la ligne horizontale, dans la disposition des combles, et qui montent, comme les nuées de l'encens, vers le ciel [2]

Dans une intéressante étude sur l'ancienne collégiale du château de Loches, M. l'abbé Baunier a parfaitement indiqué, selon nous, ce qui doit être regardé comme ayant fait partie de l'ancienne construction du comte d'Anjou et ce qui doit être regardé comme l'oeuvre de Thomas Pactius.

Nous allons faire de nombreuses citations de son beau travail.

Quelle était d'abord la forme de l'église de Geoffroy Grisegonelle?

Celle à peu près de l'église actuelle, moins les bas-côtés, qui furent ajoutés plus tard. Elle se composait d'une nef terminée par un rond-point et de deux transepts formant, avec la nef et son rond-point, une croix latine.

Deux chapelles s'ouvraient sur le côté Est de ces deux transepts.

Les deux clochers terminaient, comme aujourd'hui, la nef de l'église à ses deux extrémités.

Quoiqu'il soit assez difficile de désigner d'une manière précise ce qui peut être resté de l'église de Geoffroy, voici, dit M. Baunier, les parties que nous croyons lui appartenir : « Les deux arceaux sous lesquels on passe en entrant dans l'église, soutenus par quatre demi-colonnes cylindriques, courtes et basses, sans renflement au milieu, au chapiteau orné d'animaux et de feuillages; « La tribune formée par le sommet de la tour quadrangulaire qui la domine et qui devait se terminer par une plate-forme, car à cette époque on ne savait pas encore marier le toit octogone aux tours quadrangulaires ; « La partie basse des murs de la grande nef et plusieurs autres parties de mur répandues çà et là; La pesanteur des colonnes d'entrée, l'appareil formé de pierres irrégulières séparées les unes des autres par une couche de ciment ou mortier assez épaisse et saillante, tout cela semble retracer la grossière construction de cette époque. »

L'oeuvre de Thomas Pactius comprend une grande partie de ce que nous voyons maintenant. Les trois chapelles circulaires de l'abside et leurs trois fenêtres à doubles colonnes cylindriques, les arcades ogivales de la grande nef, les colonnes et les contreforts qui leur servent d'appui et qui s'élèvent jusqu'au comble de l'édifice, les voûtes pyramidales soutenues par ces arcades et ces colonnes dont nous venons de parler, les grosses colonnes cylindriques qui mettent le choeur en communication avec la nef et les transepts, un cordon en dentelures qui circule autour de la nef, paraissent avoir été construits, sinon en entier, du moins en très-grande partie par le prieur du chapitre.

Les deux colonnes de l'entrée du choeur sont coupées au milieu de leur hauteur et terminées en cul-de-lampe par un groupe qui présente quelque particularité. Il offre des personnages grotesques que leur attitude pénible et leur face grimaçante, leur tunique serrée et leurs formes hideuses semblent faire reconnaître pour des serfs. Ces corps paraissent soutenir avec d'horribles grimaces le poids du saint édifice.

La tour quadrangulaire avec ses quatre clochetons, placée sur le milieu des deux transepts, ainsi que le toit octogone qui la surmonte; les deux tourelles rondes réunies par une saillie et qui, placées à l'un des angles de la tour, renferment l'escalier qui y conduit; le toit octogone, appuyé sur une base de même forme, qui repose sur la tour de l'ouest, semblent par leur forme et leur construction avoir pris naissance au 11ième siècle.

Mais l'ouvrage le plus intéressant de cette époque, c'est le portique de la collégiale. Il est carré et comprend la largeur de l'église. L'on avait coutume d'installer sous ce porche le doyen du chapitre, qui prenait le nom de prieur.

Voici, d'après les archives de l'ancienne collégiale, comment les chanoines procédaient à l'installation du prieur.

Celui que le roi avait élevé à la dignité de prieur du chapitre de la collégiale Notre-Dame de Loches venait d'abord à la salle capitulaire présenter aux chanoines ses lettres de nomination; il se rendait ensuite sous le porche de l'église.

Les chanoines, revêtus de chapes de soie, allaient processionnellement rejoindre le nouveau prieur à l'entrée de la collégiale et recevaient le serment qu'il prêtait debout. Le prieur prenait ensuite un surplis et une chape de soie, puis le chantre entonnait une antienne à la sainte Vierge, et la procession revenait à l'église au son de toutes les cloches.

Le chantre, à l'arrivée au choeur, faisait asseoir le nouveau prieur dans la stalle qui lui était destinée, et quand l'antienne était terminée et l'oraison chantée, tous se rendaient à la salle du chapitre. Là encore, le chantre donnait la première place au prieur, et tous les chanoines l'admettaient au baiser de paix.

On voit sur les voussures de la porte qui introduit dans l'église deux rangs en relief de figures grotesques et monstrueuses, corps humains surmontés de têtes d'animaux, têtes d'hommes égarées sur des corps de bêtes, figures tantôt grimaçantes, tantôt ouvrant une gueule immense, etc. Au-dessus de ces figures grotesques, sont les statues des bienheureux qui ont combattu pour le Christ.

Elles sont placées circulairement le long du cintre de la porte de l'église. Des deux côtés sont d'autres statues de saints de grandeur naturelle, tenant au mur, offrant de longs bustes, une sorte de roideur et d'absence de mouvement; à leurs pieds, on voit une tète ouverte d'une manière horrible.

Le vandalisme révolutionnaire a détruit en partie ce précieux travail.

Dans tous ces monstres et ces grotesques, nous voyons une personnification des esprits de ténèbres, car le démon joue un grand rôle dans les créations du moyen-âge. « Les artistes, dit M. Paul Lamarche, protestèrent de leur haine contre lui en accumulant dans sa personne tous les types de la méchanceté et de la bassesse; ils empruntèrent au règne animal les formes les plus hideuses; la nature ne leur suffisant pas, ils inventèrent de monstrueuses combinaisons; chaque trait ajouté à l'opprobre du maudit fut de leur part un acte de piété. »

Aux angles du portique, le long des corniches, en regard des statues des bienheureux, on voit des animaux hideux : une tête qui grince des dents, image de ceux qui ne connaissent ni espérance ni repentir; plus loin, deux lions en fureur, symbole de la colère; deux hiboux, l'un à tète d'homme, l'autre à tête de femme, figure de la volupté. Un cavalier à la physionomie inquiète semble personnifier l'avarice. Chacune de ces créations traduit énergiquement le dicton populaire et chrétien: « Laid comme le péché mortel. »

A un autre angle du même portique, on distingue plusieurs colombes, symbole de la vertu; deux d'entre elles boivent dans un vase à deux anses, élevé à la hauteur de leurs têtes; deux autres semblent becqueter des feuilles d'arbre.

Au-dessus des corniches, aux angles les plus rapprochés de l'entrée de l'église, étaient autrefois des anges gardiens sculptés en relief; on voit encore la forme de leurs ailes; ils ont entièrement disparu sous le marteau des révolutionnaires.

Aux deux autres angles, du côté de la porte principale de sortie, on voit qu'il y avait des statues; on ne peut savoir ce qu'elles représentaient, car elles ont été enlevées à  l'époque de la Révolution.

Il est des personnes qui, ne voyant dans les grotesques de la porte de l'ancienne collégiale de Notre-Dame de Loches qu'un sujet de scandale pour la piété chrétienne, voudraient précipiter des murs tant de figures monstrueuses, si mal placées, leur paraît-il, à l'entrée du saint lieu. Quant à nous, nous voyons ici une idée spirituelle et religieuse rappelant bien les siècles de foi qui ont produit toutes ces créations.

En contemplant tour à tour l'image du péché et de la vertu, ne se rappelle-t-on pas cette leçon que nous donne l'Esprit-Saint par la bouche du roi-prophète: Declina a malo et fac bonum, détournez-vous du mal et faites le bien.

Ce lion rugissant rappelle au chrétien qu'il doit joindre la prière à la vigilance, s'il ne veut pas devenir la proie d'un ennemi cruel et terrible. L'union de ces deux colombes dit qu'il faut que les bons s'unissent par les liens d'une étroite charité pour lutter plus victorieusement contre les efforts des méchants.

La figure du Christ et celles de la Vierge, des saints et des anges qui s'offrent aux regards des fidèles quand ils pénètrent dans l'église, leur donnent ce consolant enseignement : Si la vie de tout homme, mais surtout du chrétien, istun combat continuel, si à chaque instant, pour ainsi dire, il faut qu'il lutte contre le démon et contre ses passions, représentés par ces monstres hideux qui entourent la porte de l'église, il doit se sentir grandement encouragé à la pensée qu'il a pour témoins de ses combats Jésus-Christ, le Saint des saints, les bienheureux déjà en possession de la gloire céleste, et les anges, ministres des volontés du Très-Haut, gardiens et protecteurs de l'homme.

On ignore qui a fait construire les deux parties de l'église ajoutées au nord et au midi. La chapelle de gothique flamboyant, qui est dans l'épaisseur du mur de la nef du côté gauche, a été fondée en 1442 par Georges, seigneur de Préaux, en Touraine, et de la Charprais. Un mausolée était autrefois élevé dans cette chapelle; tout autour étaient représentés douze chanoines, l'aumusse sur la tête; le doyen était coiffé d'une mitre, ainsi que le chantre, dont le bâton, fait presque comme une canne, se terminait par une petite pomme [3].

On voyait, avant la Révolution, dans l'église collégiale plusieurs chapelles et un grand nombre d'autels qui nuisaient peut-être à la régularité du saint édifice, mais qui étaient nécessaires, à cette époque, aux chanoines et chapelains pour la célébration quotidienne du saint sacrifice de la Messe.

Dans le transept du côté sud de l'église se trouvait la chapelle de saint Pierre, devenue plus tard chapelle de Notre-Dame de Délivrance; plus bas, s'ouvraient les chapelles réunies de Saint-Nicolas et de Sainte-Marguerite, entièrement isolées du reste de l'église; la salle du Chapitre venait du même côté, après ces deux chapelles.

Dans le transept du côté nord, se trouvait la chapelle de la Communion, actuellement chapelle de Notre-Dame de Beautertre; puis venait la chapelle de Saint-René, chapelle gothique, que l'on voit encore, mais qui n'a plus d'autel. De ce même côté, parallèlement à la salle du Chapitre, se trouvait la chapelle de Saint-Jean, grande et belle chapelle gothique, dont on ne sait plus l'origine et qui forme actuellement la majeure partie de la nef latérale de ce côté.

Dans la nef principale de l'église il y avait quatre autels; deux étaient situés au bas et à l'entrée du choeur: c'étaient à droite l'autel de la sainte Vierge et à gauche celui du Crucifix. Le chapelain de l'autel du Crucifix, devant lequel se faisaient les services funèbres des employés de l'église et les autres fonctions curiales, portait le nom de curé du Chapitre.

Les deux autres autels placés presque au milieu de la nef, mais adossés aux murs, étaient celui de Saint-Louis, à droite, et à gauche celui de Saint-Hermeland.

Voici quelques-unes des inscriptions que l'on voyait

autrefois dans l'église collégiale, et dont plusieurs ont été conservées ou replacées :

1° En mil quatre-cent soixante-sept, funda maistre Loys Furet, chanoine en l'église de céans, une anniversaire pour luy et des sians, au jour et feste de saint Loys. Dieu leur octroyé paradis.

2° Cy d'avant git le corps de vénérable discret maitre François Marcadet, en son vivant pbr. chantre et chapelain ordinaire du roy, chantre et chanoine de l'église de céans, curé de Notre-Dame de Courgon, qui décedda le 16e jour de jueillet 1556. Priez Dieu pour son âme.

3° Au bas de la porte du choeur, il y avait une tombe garnie de lames de cuivre et de larmes de bronze; elle était à fleur de terre et on y lisait l'inscription suivante :

Sous ce pieux édifice dolent

Si gist le corps de messire Roland

De Lescouët, trez liai chevalier

En son vivant, chambellan, conseiller

Du roi des Francs, et grand veneur de France;

De Montargis baillifde grand'prudence,

Maître des eaux et forêts de Touraine;

De Loches fust général capitaine

Et de Bourgoin; moult vaillant et expert.

Seigneur aussi estoit de Héripert

Et de Kemblec, voire de Grillemont,

Qui trespassa, comme tous vivants font,

Le jour mortelle dixiesme de décembre

Mil et cinq cents, de ce suis je remembre;

Et puis luy mort fust mis soubs cette lame.

Priez Dieu qu'il daigne avoir son âme.

4° Près de la chapelle de Sainte-Barbe dans la nef, on lisait l'épitaphe suivante, surmontée des armes de Polastron de la Hillière, d'argent, au lion de sable, armé, lampassé de gueules[4] :

Cy gist le coeur de hault et

puissant seignr Messire Jean

Gabriel de la Hylliere, chevallier

seigneur de Grillemont, sergent

major au régiment des gardes

et commandant pour sa Majesté

es villes et chasteau de Loches

et Beaulieu : le corps duquel

repose en l'eglise des Perres

Minimes de Mongogé : il deceda

le dernier iour d'aoust 1630,

soubz le regne de Louis xiii.

Priez Dieu pour son âme.

Cy gist le coeur de la Hylliere,

Non: il est logé dans le ciel,

Qui rempli d'une humeur guerriere,

N'eut onques de peur ny de fiel.

Lorsque M. Nogret prit possession de son église paroissiale, il la trouva dans un état qui laissait fort à désirer.

.[2]  La Touraine, article Loches.[3] On peut voir le dessin de ce magnifique mausolée, à jamais regrettable, dans le tome 1er, fol. 186, des Tombeaux et Épitaphes des Églises de France, coll. Gaignières, à la biblioth. Bodléienne d'Oxford.[4] Biblioth. Bodlèienne d'Oxford, Tombeaux et Épitaphes des Églises de France, tome Ier, fol. 46. — Nous devons la communication de cette note à l'obligeance de M. l'abbé C. Chevalier.

L'oeuvre de Thomas Pactius était en effet fort dégradée; les voûtes et les clochers ne présentaient plus assez de solidité; les murs étaient minés par l'humidité dans leur partie inférieure; puis, des réparations anciennes faites sans aucun goût, avaient ôté à l'église son cachet monumental, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ainsi, par exemple, les voûtes pyramidales avaient été extérieurement recouvertes d'ardoises, la belle fenêtre du milieu du sanctuaire avait été masquée par des décorations d'un malheureux effet. M. le curé Nogret voulut rendre à l'ancienne collégiale son cachet primitif et faire disparaître les ravages de toute sorte qu'elle avait dû subir. Grâce au bienveillant concours d'une amitié puissante qui intéressa le Gouvernement à son oeuvre de restauration, M. le Curé put se féliciter d'un succès complet. La restauration du monument sacré fut faite avec beaucoup d'habileté, sous la direction de l'architecte M. Verdier, et sous l'inspection de M. Baillargé. On peut dire que l'église a été reprise en sous-oeuvre presque en son entier, depuis la partie inférieure des murs jusqu'au sommet des clochers.

L'oeil n'est plus choqué à l'extérieur par cette couverture d'ardoise qui ôtait toute grâce aux pyramides et les rendait si pesantes. A l'intérieur tout est remis à neuf: on ne pourrait croire que ce monument sacré a vu passer près de neuf siècles; le sanctuaire étincelle de clarté depuis que les trois fenêtres, qui en sont le plus bel ornement, ont été entièrement dégagées. La lumière, se jouant à travers les vitraux peints qui décorent les fenêtres, se répand dans tout l'édifice, après avoir emprunté aux verrières leurs teintes d'or et d'azur.

La fenêtre du milieu a été ornée d'un beau vitrail qui représente la Reine du ciel, couronne en tête, sceptre en main, tenant son divin Fils entre ses bras. (Cette verrière provient de la manufacture de vitraux peints de Tours, dirigée par l'habile M. Lobin.) Les deux autres fenêtres sont garnies de mosaïques d'un bel effet, dues au goût intelligent de M. le marquis de Bridieu.

On a su tirer un très-bon parti des chapelles latérales qui s'étaient trouvées annexées à différentes époques à l'église collégiale. Primitivement, comme nous l'avons déjà dit, cette église n'avait qu'une nef terminée par le sanctuaire, et deux transepts formant avec la nef une croix latine. Les chapelles que l'on éleva plus tard de chaque côté de la nef furent pendant longtemps tout à fait isolées de l'église. Celles du nord furent converties en nef latérale, à une époque déjà reculée. Des arcades percées dans l'épaisseur du mur les ont mises en communication avec l'église proprement dite ; cependant elles n'ont été complètement restaurées que depuis l'année 1857.

La nef latérale du midi existe depuis fort peu de temps.

Elle a été faite presque en son entier; elle sert pour les catéchismes des enfants de la paroisse.

En l'année 1839, on a découvert sous l'église une crypte ou chapelle souterraine, dédiée à saint Martin, évêque de Tours et patron du diocèse. Cette chapelle avait été entièrement comblée de terre, en 1793, lorsque les hommes de  la Révolution transformèrent Notre-Dame en temple décadaire.

Voici la description qu'en a donnée M. de Pierres, qui en fit la découverte avec M. le curé Nogret :

« Après un long travail, nous pûmes descendre sous la voûte très-bien conservée de cette crypte assez moderne, car nous remarquâmes aux deux extrémités des voussures, à droite et à gauche de l'autel, les armes de France, à fleurs de lis oblongues, écartelées avec deux dauphins, ce qui nous fit penser que Louis XI avait dû en être le fondateur.

« Nous trouvâmes un modeste autel de pierre, en forme de tombeau; une seule marche le mettait au-dessus du niveau des dalles de la chapelle; la place de la pierre sacrée était parfaitement marquée. Des peintures à fresque, dans un état de destruction presque complet, ornaient la voûte entière, les parois de la chapelle, et nous ont paru représenter les guerres de saint Martin. Au bas de l'escalier, à gauche, en face de l'autel, le saint évêque de Tours était figuré en costume épiscopal, et au-dessus de sa tête étaient écrits ces mots, très-lisibles encore, Sanctus Murtinus. »

Cette chapelle fut restaurée aux frais de M. le curé Nogret ; on y a déposé les ossements de quelques prêtres attachés au service de la collégiale avant la Révolution. Ces ossements avaient été trouvés dans les fouilles que l'on fit autour de l'église, lorsqu'on entreprit sa restauration. On descend à la crypte par un escalier auprès de la sacristie, et qui conduit également au clocher assis sur le choeur.

Le clocher qui surmonte la tribune à l'entrée de l'église a été garni, par les soins de M. le curé Nogret, de trois cloches qui produisent un magnifique effet lorsqu'elles sont mises en branle aux jours des grandes solennités.

On trouve dans l'église du château de Loches quelques tableaux remarquables, entre autres:

1° Un tableau représentant l'Assomption de la sainte Vierge; il est signé de David Téniers Junior, et il porte le millésime de 1663. Les personnages qui entourent le tombeau, qu'abandonne la sainte Mère de Dieu pour s'élever vers les cieux, sont historiques; on reconnaît parfaitement en eux les principaux seigneurs de la cour de France, de l'époque de la Fronde;

2° Une scène de la Passion. On apporte à la sainte Vierge, après le crucifiement, la couronne d'épines que les Juifs avaient placée sur la tête du Sauveur, et les clous qui avaient attaché ses pieds et ses mains à la croix ; à cette vue, la Mère des Douleurs tombe en défaillance ; saint Jean et sainte Marie Madeleine, ces fidèles amis de Jésus, la soutiennent et prennent part à sa douleur.

Ce tableau, dû à la munificence de l'État, a valu à son auteur, le peintre Dauphin, la médaille d'or, vers 1840.

3° Un autre tableau qui représente Jésus-Christ chargé de sa croix et marchant vers le Calvaire ;

4° L'entrevue de saint Ours avec Silarius, ce comte Goth, grand ami d'Alaric, et qui veut à tout prix devenir possesseur du moulin du saint abbé. Silarius, ne pouvant amener saint Ours à lui céder son moulin, lui fait des menaces, mais l'homme de Dieu lui montre le ciel sans s'émouvoir, comme pour indiquer au barbare que c'est de là qu'il attend du secours[5].

Telle est, dans son ensemble, l'ancienne église collégiale du château royal de Loches, maintenant église paroissiale de Saint-Ours. Tous ceux qui la visitent sont frappés de son architecture originale et gracieuse; tous admirent ses élégantes pyramides, ses clochers à jour, et le savant la regarde comme un magnifique monument de l'art chrétien.

Aussi a-t-elle été classée par M. de Caumont, très habile archéologue, parmi les plus beaux monuments de l'architecture romano-byzantine tertiaire.

[5]  Gregor. Turon., Vitae Patrum, cap. XVIII, 2.

Photos : https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Loches/Loches-Collegiale-Saint-Ours.htm
Photos : https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Loches/Loches-Collegiale-Saint-Ours.htm
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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

L'ÉGLISE COLLÉGIALE DE N.-D. DU CHÂTEAU DE LOCHES

PREMIÈRE PARTIE

HISTOIRE DE LA COLLÉGIALE (EXTRAIT)

CHAPITRE II

Restauration de Thomas Pactius.— Siège de Loches. — Dreux de Mello. — Visites  princières.— Agnès Sorel.

1160-1300

Deux siècles ne s'étaient pas encore écoulés depuis la construction de l'église du château de Loches, que déjà elle menaçait de tomber en ruine. Mais heureusement pour le monument sacré, le chapitre de Notre-Dame avait à cette époque en son prieur un homme plein de zèle et de piété, qui pouvait s'appliquer les paroles de David :

« J'aime, ô mon Dieu, la décoration de votre maison et le lieu que vous avez choisi parmi nous pour votre demeure.»

Cet homme s'appelait Thomas Pactius.

En 1160, Thomas Pactius, nous dit une vieille chronique, s'aperçutque le ciel du milieu de l'église, formé de solives peintes et consumées parle temps, menaçait ruine.

D'autres dégradations plus ou moins considérables compromettaient également la construction de Geoffroy Grisegonelle.

Le prieur du chapitre ne se dissimula pas qu'il ne suffirait point de faire quelques réparations ordinaires pour consolider et restaurer l'église collégiale, mais qu'il s'agissait d'une reconstruction presque complète. Toutefois il ne s'effraya pas des travaux considérables qu'il lui faudrait exécuter; bien plus, il ne voulut pas S'en tenir à une simple réparation; tout en conservant de l'église de Geoffroy ce qui pouvait être conservé, il voulut mettre à profit dans l'oeuvre magnifique qu'il allait entreprendre, les immenses progrès que l'architecture religieuse avait faits depuis deux siècles.

Avec les croisades, en effet, un genre nouveau d'architecture avait pris naissance en France. Les croisés, en traversant les riches contrées de l'Asie, avaient vu de superbes églises, dont les formes élancées, les coupoles élégantes, fendant majestueusement les airs, contrastaient singulièrement avec les églises d'Europe, aux formes lourdes et massives. Ils voulurent à leur retour essayer de ce genre d'architecture dans leurs monuments sacrés. On vit donc dès ce moment l'ogive se mélanger au plein cintre, mais ce mélange se fit timidement; le plein-cintre ne cessa pas encore de dominer en maître dans les constructions religieuses de l'époque; les formes byzantines se montrèrent cependant et donnèrent plus de grâce et de majesté aux édifices sacrés.

C'est ce mélange, ce style de transition entre l'architecture romane et l'architecture ogivale, que Thomas Pactius adopta pour son église.

Se mettant donc à l'oeuvre avec un zèle au-dessus de tout éloge, il fit enlever, nous dit la chronique déjà citée, les solives peintes et consumées par le temps qui formaient le ciel du milieu de l'église, il couvrit l'espace compris entre les deux clochers d'une façon merveilleuse, c'est-à-dire par deux petites tours que nous appelons douves (dubas) ou dômes. Il fit également construire les arcs de pierre et les colonnes qui soutiennent les douves, partie de son argent, car il était riche, partie de celui que donnèrent dans ce but les nouveaux chanoines, à leur réception[1].

Quand nous donnerons au chapitre cinquième de notre travailla description de l'église du château, telle que nous la voyons maintenant, nous essaierons de montrer ce qu'était cette église lorsque Geoffroy Grisegonelle la fit construire, et ce qu'elle devint quand le prieur Thomas Pactius l'eut restaurée, embellie, agrandie. Contentons-nous de dire en ce moment, que, grâce aux soins de l'intelligent chanoine, l'antique collégiale de Loches passe à bon droit pour l'une des plus belles églises que le XIIe siècle nous ait laissées.

Lorsque la Touraine, jusque-là soumise aux comtes d'Anjou et aux rois d'Angleterre en leur qualité de comtes d'Anjou, redevint française par son annexion à la couronne de France, en 1204-1205, la collégiale de Loches courut un grand danger. A cette époque, le gouverneur du château de Loches était Girard d'Athée, entièrement dévoué au roi d'Angleterre, Jean Sans-Terre. Sommé par le roi de France, Philippe-Auguste, de remettre entre ses mains l'importante forteresse, Girard d'Athée refusa d'obéir, et, comme il connaissait la force de la place dont il avait le commandement, il n'hésita pas à courir les chances d'un siège conduit par le roi de France en personne. Pendant, un an Philippe-Auguste fit entourer le château ; sa forte armée ne cessa chaque jour de cette année de lancer ses traits contre les assiégés, de battre avec de puissantes machines les hautes murailles de ce vieux château qui osait faire résistance. Les fortifications durent céder devant une attaque si prolongée; les murs s'écroulaient avec fracas, et cependant les assiégeants ne pensaient point à se rendre; ils luttaient avec une extrême énergie pour maintenir sur les tours ébranlées du château la bannière d'Angleterre.

Enfin vers Pâques de l'année 1205, le roi Philippe-Auguste, entouré de troupes fraîches, donna lui-même le signal de l'assaut, et après une dernière lutte sur les remparts avec les assiégés, les gens du roi pénétraient avec lui dans la place, et les étendards de France flottaient bientôt après sur le donjon[2]. Dans l'enceinte du château, l'église seule se dressait intacte au milieu des ruines qui l'entouraient; par une faveur spéciale de la Providence, elle n'avait pas eu à souffrir d'un siège poursuivi et soutenu si vigoureusement.

Avec le 13ième siècle commence pour l'église collégiale une brillante époque. Les rois, les princes, les seigneurs se montrent généreux envers elle; ils viennent s'agenouiller avec la foi qui régnait au moyen-âge, dans cette église consacrée à la très-haute et très-puissante Reine du ciel et de la terre; ils viennent avec la plus profonde dévotion révérer la précieuse relique de la ceinture de Marie; ils ne quittent pas cet auguste sanctuaire sans y laisser des preuves de leur générosité.

Dreux de Mello, à qui le roi Philippe-Auguste avait concédé la ville et le château de Loches, ainsi que leurs dépendances, en fief et hommage-lige, devint un des principaux bienfaiteurs de l'église collégiale et de son chapitre.

En juillet 1223, il donna et concéda à l'église du château de Loches:

1° Tout le bois nécessaire, tant pour le chauffage des chanoines et chapelains que pour la réparation de leurs maisons et moulins. Ce bois devait être pris dans la forêt de Boisoger, qui s'étendait depuis l'arche de Cornillé jusqu'au pont de Saint-Pierre de Perrusson, en longueur, et depuis la croix de Dolus jusqu'à la Jonchère, en largeur;

2° L'exemption de tout droit de terrage et vinage, sur toutes les terres et vignes situées dans les terrages et vinages de Loches, dont le chapitre jouissait à l'époque de la donation, ou qu'il pourrait acquérir par la suite;

3° Il exempta de taille de guerre et de tous autres subsides celui qui portait le dragon aux processions ainsi que ses enfants. Dans les processions on portait autrefois des figures de dragons pour représenter le diable ou l'hérésie dont l'Église triomphe. On le portait au bout d'une perche, et un enfant avait une lanterne où était un cierge pour rallumer le feu qui était en la gueule du dragon, s'il venait à s'éteindre[3];

Il concéda encore au chapitre le droit de justice, de péage, de vente et de toutes les coutumes, depuis Primes sonnantes, la veille de l'Assomption de la sainte Vierge, jusqu'à la même heure du lendemain dudit jour de l'Assomption ;

5° Il donna aussi la moitié du même droit, depuis la veille de saint Michel, Primes sonnantes, jusqu'à la même heure du lendemain de cette fête ;

6° Enfin, il reconnut et ratifia le droit de haute et basse justice dont jouissait le chapitre.

En juillet 1239, Dreux de Mello concéda encore à la collégiale une rente de cent sous, assignée sur la forêt de Loches, pour la fondation de son anniversaire et de celui d'Elisabeth, sa femme [4].

Sur la demande du Chapitre, le roi saint Louis, par des lettres-patentes, datées de Loudun et données en octobre 1255, approuva la fondation de Dreux de Mello.

Si un simple seigneur se montra si généreux envers Notre-Dame de Loches, que ne firent pas pour elle les rois très-chrétiens et les princes du sang royal qui passèrent souvent à Loches et y séjournèrent quelque temps?

Le 4 octobre 1261, la ville de Loches eut l'honneur de recevoir dans ses murs le fils de Blanche de Castille, le roi de France saint Louis. Le pieux monarque voulut payer le tribut de ses hommages à la Mère de Dieu en son église royale du château, et nous pouvons croire qu'il vénéra la ceinture de la sainte Vierge avec la ferveur et la dévotion d'un saint. C'est probablement à cette époque que le vertueux roi fit à l'église Notre-Dame la rente annuelle de deux livres tournois, affectée sur le domaine, pour un annuaire de sa mère, inscrite dans les archives du Chapitre.

Après saint Louis, l'église du château fut visitée par Philippe-le-Bel, son indigne petit-fils; par Jean II, si malheureux dans ses guerres avec les Anglais, dont il devint le prisonnier; par Charles VII, qui résida assez longtemps à Loches; par Louis XI, si dévôt à Marie, et qui, pour la faire honorer de tous ses sujets, ordonna de sonner chaque jour l'Angelus le matin, à midi et au soir, dans toute l'étendue de son royaume; par Charles VIII, Louis XII et la reine Anne, duchesse de Bretagne. François 1er et son rival Charles-Quint, empereur d'Allemagne, Henri II et Catherine de Médicis, sa femme, Charles IX et Henri III, quand il n'était encore que duc d'Anjou, passèrent quelque temps au château royal de Loches, entendirent la messe dans son église collégiale et usèrent du droit que leur donnait leur naissance ou leur rang pour faire exposer à leur vénération la ceinture de la Mère de Dieu.

D'après le Cartulaire de l'église collégiale, voici la réception faite par les chanoines de Notre-Dame au dauphin Charles (depuis Charles VII), les 5 et 6 novembre1418 : a Le samedi cinq novembre 4418, sur les quatre heures de l'après-midi, le seigneur Charles, dauphin de Vienne et duc de Touraine, fils unique de notre roi, vint pour la première fois à son château de Loches, accompagné d'une suite nombreuse.

« Voulant recevoir dignement le dauphin, en sa qualité d'abbé de notre église, et remplir ainsi notre devoir, après en avoir délibéré entre nous, suivant les antiques statuts de notre église, nous nous sommes rendus processionnellement, en chape de soie, avec la croix, le livre des évangiles et l'eau bénite, au-devant du prince jusqu'aux barrières situées devant la porte du château.

« Après une courte attente, le dauphin arriva; le prieur lui présenta la croix et le livre des évangiles, qu'il baisa avec une grande dévotion et révérence, mais comme l'heure était avancée, ledit seigneur ne s'arrêta pas à l'église.

« Le lendemain matin, à huit heures, nous nous rendîmes sous le porche de notre église, dans le même ordre que la veille; le prieur portait la sainte croix dans ses mains. A l'arrivée du dauphin, le prieur lui donna l'eau bénite, lui fit baiser la croix, puis se mettant à genoux, il lui exposa le cérémonial avec lequel nous allions le recevoir comme abbé de cette église. Au nom du Chapitre et pour l'honneur de Dieu et de la susdite église, le prieur supplia le prince d'observer et d'accomplir les statuts de l'église, dans la cérémonie de sa réception comme notre abbé. Ledit seigneur répondit avec bienveillance qu'il était prêt à observer ces statuts. Alors le prieur mit sur les épaules du prince d'abord le surplis, ensuite une chape de soie, et sur sa tête le bonnet ecclésiastique.

« Puis au milieu des chants du choeur, au son de l'orgue, au bruit des cloches, le duc, notre abbé, entouré d'un grand nombre de seigneurs qui composaient sa suite, fit son entrée solennelle dans notre église, et entendit avec dévotion la grand'messe, dans le lieu qu'on lui avait préparé.

« Quand la messe fut terminée, le dauphin vénéra et baisa la ceinture de la bienheureuse vierge Marie[5]

A partir de Charles IX, les rois et les princes ne vinrent plus à Loches aussi fréquemment que par le passé; toutefois les chroniques mentionnent que le 14 décembre 1700, le duc d'Anjou, petit-fils de Louis XIV, passa dans cette ville en allant prendre possession du trône d'Espagne; qu'il s'y arrêta avec une suite nombreuse, que le lendemain de leur arrivée à Loches, le roi et les princes qui l'accompagnaient entendirent la messe à l'église collégiale, et qu'après la messe les chanoines leur montrèrent la ceinture de la sainte Vierge.

Les archives de l'ancien chapitre nous ont appris que Philippe-le-Bel ratifia par lettres-patentes les privilèges et immunités dont jouissait la collégiale; que Jean II, encore prince royal, donna à l'église Notre-Dame 60 livres tournois de rente annuelle et perpétuelle, pour la fondation d'une messe, dite du roi, et d'un service des morts pour lui, les rois et les ducs ses prédécesseurs. Quand il fut parvenu à la couronne, il confirma ce don, en 13a0. La messe du roi était dite chaque lundi par un chanoine; après cette messe, il était distribué 13 sous à chaque chanoine assistant et 8 sous à chaque chapelain.

Charles VI, Charles VII, Louis XI, Charles VIII, Louis XII, François Ier, Henri II, François II, Henri III, Henri IV et Louis XIV confirmèrent aussi par lettres patentes ces mêmes privilèges et immunités. Parmi ces princes, quelques-uns ne se contentèrent pas d'une simple approbation, ils voulurent eux-mêmes donner à l'église collégiale des marques royales de leur munificence et de leur piété.

Charles VII témoigna constamment une affection particulière pour Loches et la collégiale de cette ville; il voulut même que ses chanoines ne pussent être mis en cause devant aucuns juges que ceux du présidial de Tours. Quelques années après, il accorda encore au chapitre le privilège de garde gardienne, tant pour ses membres que pour ses familiers, hommes et femmes, et autres serviteurs. Ce privilège consistait en ce que la connaissance des causes de ceux qui en jouissaient était attribuée aux juges royaux, avec exemption de la juridiction des seigneurs.

Les chanoines de Loches déclinèrent la juridiction du présidial de Tours par une supplique qu'ils présentèrent à Charles VII : ce monarque leur accorda le privilège d'avoir leurs causes commises au Parlement, tant en demande qu'en défense. Ce privilège leur fut accordé aux charges et conditions de faire annuellement deux services solennels pour lui et ses prédécesseurs, l'un le lendemain de la mi-août, et l'autre le lendemain de la fête de saint Hermeland. Ces services se nommaient messes des privilèges.

Louis XI donna de son côté à l'église collégiale une somme de 6,000 livres.

Enfin François Ier ajouta encore aux dons de ses prédécesseurs.

Outre l'exemption des tailles et autres subsides dont jouissaient l'huissier portant le dragon aux processions et ses enfants, le monarque stipula la même faveur à l'égard du valet chargé de faire les communes affaires de l'église, et des deux charpentiers des moulins banaux et des moulins de Corbery[6]. Cette exemption de tailles fut aussi étendue aux bâtonniers du chapitre, en quelque endroit qu'ils fissent leur résidence.

Parmi les domaines seigneuriaux qui appartenaient au chapitre de Loches, nous devons mentionner: le fief du Chapitre, à Nouans; le fief de la Lardière, à Saint-Senoch; le fief de Rondeaux, à Saint-Jean-sur-Indre; le fief de Brouillart, à Genillé; le fief du Chapitre, à Francueil, qui fut vendu en 1515 moyennant cent livres, à Thomas Bohier, seigneur de Chenonceau ; etc., etc. Les fiefs de la Lande et de la Follaine, à Azay-sur-Indre, relevaient à foi et hommage du Chapitre de Loches.

Une femme célèbre dans l'histoire par son patriotisme, et, il faut le dire, par le triste rang qu'elle occupait à la cour de Charles VII, Agnès Sorel, qui habita longtemps le château de Loches, et qui, nous l'espérons pour elle, racheta les fautes de sa vie par sa charité envers les pauvres et par sa mort chrétienne, fit présent à la collégiale d'une croix d'or destinée à renfermer le morceau de la vraie Croix donné à Notre-Dame par Foulques Nerra.

Les archives du Chapitre mentionnent aussi le don, fait par Agnès, d'une statue d'argent doré de sainte Marie-Madeleine, autour de laquelle était écrit: « En l'honneur et révérence de sainte Marie-Madeleine, noble damoiselle Mademoiselle de Beauté a donné cest image en ceste église du chasteau de Loches, auquel image est enfermée une coste et des cheveux de la dicte sainte, l'an 1444. »

Elle donna encore un bénitier d'argent, et plus tard, en reconnaissance de ce que les chanoines avaient acquiescé à son désir d'être inhumée dans leur église, elle fit à Notre-Dame un dernier présent de 2,000 écus d'or.

Voici comment un vieux chroniqueur, Alain Chartier, raconte les derniers moments d'Agnès Sorel, atteinte subitement d'un mal qui la conduisit en six heures au tombeau : « Elle eut moult belle contrition et repentance de ses péchés, et lui souvenoit souvent de Marie Égyptienne qui fut grand'Pl'cheresse, et invoquoit Dieu dévotement et la vierge Marie à son aide, et comme vraye catholique, après la réception de ses sacrements, demanda ses heures pour dire les vers de saint Bernard qu'elle avait escript de sa propre main, puis trespassa. »

Le corps d'Agnès fut inhumé dans le choeur de la collégiale.

Son tombeau en marbre noir était élevé au milieu de cette partie de l'église; il avait 2 mètres 67 centimètres de long, sur 1 mètre de large et 83 centimètres de hauteur. Sur la table était la statue d'Agnès, représentée couchée, les mains jointes, la tête appuyée sur un oreiller, le tout en marbre; on voyait de chaque côté un ange, placés l'un et l'autre derrière une couronne ducale taillée à cinq faces et creusée pour recevoir la partie supérieure de la tête de la statue d'Agnès; à ses pieds étaient deux agneaux, symbole de la douceur de son caractère [7].

Entre toutes les inscriptions gravées sur le monument funèbre on lisait celle-ci: « Cy-git noble damoiselle Agnès Seurelle, en son vivant dame de Beautté, de Roquesserieu, d'Issouldun, et de Vernon-sur-Seine, piteuse envers toutes  gens et qui largement donnoit de ses biens aux églises et aux pauvres; laquelle trespassa le neuvième jour de février, l'an de grâce mil-quatre-cent-quarante-neuf. Priez Dieu pour l'âme d'elle.Amen.»

Comme ce tombeau gênait beaucoup pour le service du choeur, les chanoines obtinrent de Louis XVI, en 1777, l'autorisation de le faire placer en une autre partie de l'église. Il fut mis dans un des côtés de la nef ; il y resta jusqu'en l'année 1794. A cette époque les révolutionnaires le firent disparaître de l'église; enfin en 1809 un préfet d'Indre-et-Loire, M. Lambert, en entreprit la restauration, et par ses soins il fut placé là où il est aujourd'hui, dans la tour du château de Loches qui porte le nom d'Agnès.

Afin de mettre un peu de suite dans notre récit, nous avons groupé ensemble plusieurs faits qui se rattachaient à l'histoire de Notre-Dame de Loches, sans tenir un compte rigoureux de l'ordre chronologique; nous allons reprendre cet ordre, autant qu'il nous sera possible, pour continuer l'histoire de l'église collégiale, depuis le commencement du XIVe siècle jusqu'à la révolution française...

 


[1] Chronicon ecclesiae beatae Mariae de Lochis. — Thomas Pactius mourut le 27 avril 1168, d'après l'obituaire de la collégiale de Loches.[2] (1) Guillaume le Breton, Philippidos, lib. VIII.[3] Dufour, Dictionn. de l'arrondissement de Loches.[4] Archives du chapitre.[5] D.Housseau, 3828, 3829.[6] Les quatre moulins et la tour de Corbery avaient été donnés à la collégiale par Thomas Pactius. — Chron. ecclesiæ B. AI. De Lochis.[7] Tablettes chronologiques de la ville de Loches.

 

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