TRAITÉ PRATIQUE DE LA CONSTRUCTION DES ÉGLISES... XAVIER BARBIER DE MONTAULT. 1878
CHAPITRE IV : L'ORIENTATION
1. L'orientation, depuis trois siècles, est tellement négligée que les canoniales n'en font plus une obligation rigoureuse. La coutume a prévalu sur le droit et le plus futile prétexte semble une raison suffisante pour s'insurger contre la tradition de l’Église, qui n'en reste pas moins inscrite dans la rubrique du Missel.
2. La règle est consignée dans les constitutions apostoliques et les écrivains ecclésiastiques. Ceux-ci en exposent les motifs, qui sont multiples : l'orient rappelle le berceau du genre humain, le rachat par la naissance et l'ascension de Homme-Dieu que l'Écriture compare au soleil levant enfin la patrie à laquelle nous devons retourner après le pèlerinage de cette Vie.
C'est encore le point où le soleil se lève ; or la lumière éclatante qu'il répand est l'emblème de la vérité annoncée au monde par l’Évangile. Quand le prêtre, au pied de l'autel, récite, avant la messe, co verset du psalmiste : «Emitte lunem tuam et veritatem tuam, ipsa me deduxerunt et ad-duxerunt in mont em sanctum tuum et in tabernacula tua, » il parle symboliquement. Le jour naissant, lucem l'a conduit sur la montagne sainte pour prier ; mais la vérité, veritatem, l’a fait pénétrer jusqu'au tabernacle où réside le Dieu vivant, qui a dit de lui : « Ego sum via, veritas et vita. »
3. Le chevet de l'église sera donc tourné vers l'orient, tandis que sa nef ouvrira à l'occident et que les bras de la croix s'étendront du nord au midi.
L'orient étant variable, au moyen-âge, on choisissait pour but, le point où se levait le soleil à l'époque de l’année où les fondations se traçaient sur le sol. Guillaume Durant et S. Charles Borromée recommandent de se régler sur les équinoxes et non sur les solstices ; bien avant eux, saint Fortunat, au VIe siècle, en avait fait l'objet de ses vers à propos d'une église de Saintes.
4. Beaucoup d'églises, en Italie et à Rome, ne sont pas orientées, mais occidentées, telles que saint Jean de Latran, saint Pierre, la cathédrale d'Anagni. Cela tient à deux motifs : d'abord une difficulté do terrain, puis la commodité de l'officiant, qui avait son siège au fond de l'abside. Ceux qui ont assisté au pontifical du pape, se rendront parfaitement compte de la difficulté que présenterait pour les cérémonies un autel dont la face regarderait les fidèles et non lui-même. Dans ce cas, l'abside se place à l'occident et l’autel se dirige vers la porte d'entrée, qui est à l’orient. Le célébrant, qui résume en lui l’assemblée des fidèles, puisqu'il parle en leur nom collectif dans une oraison appelée pour cela collecte, sauvegarde le principe, qui devient personnel, au lieu d'être universel : alors il ne se détourne pas pour dire Dominus vobiscum et bénir, puisqu'il a devant lui l’assemblée à laquelle il s'adresse.
Supprimez l'orientation, générale ou partielle, et alors l'évangile qui doit se réciter tourné vers le nord, perd le sens mystique que l'Église a attaché à cette direction, prescrite aux messes basses comme aux messes solennelles.
5. L'orientation motive, dans la décoration d'ensemble, une iconographie spéciale. Le levant est réservé à tout ce qui est lumière, la Trinité, le Christ naissant ou vivant ; le nord, froid et stérile, est affecté aux vices, à l'enfer, aux prophètes, à l'Ancien Testament ; l'occident qui tue, occidit, disait l'abbesse Herrade, convient aux scènes Apocalyptiques, à la résurrection des corps et au jugement dernier ; au midi, où le soleil éclate dans sa splendeur et réchauffe de sa chaleur vivifiante, sont réservés le paradis, les apôtres, les saints de l'Église triomphante, les vertus et les béatitudes.
CHAPITRE V : LES DIMENSIONS
1. La capacité d'une église se règle sur le nombre des fidèles qui doivent habituellement y trouver place. Tenir compte, d'une manière rigoureuse, d'une affluence extraordinaire, comme celle du jour de Pâques, d'un sacre, etc., serait s'exposer à faire trop en grand.
Dans un bourg, ainsi que le désire saint Charles, qu'elle soit assez vaste pour contenir à peu près toute la population du lieu : de cette façon on prévoit l'avenir, qui souvent amène un accroissement notable des habitants.
Dans les villes, où la multiplicité des messes partage forcément les fidèles, accorder une place aux deux tiers des habitants suffit largement.
2. Déduction faite du gros œuvre et de l'ameublement du sanctuaire et des chapelles, qu'on affecte à chaque fidèle un espace de cinquante centimètres carrés environ, plus que moins. On sera ainsi à l’aise.
3. Les autres dimensions de l’édifice se déterminent d'après son style. Pour le style grec, la longueur de la nef compte trois fois sa largeur; la hauteur dépasse d'un quart la largeur.
«Au moyen-âge, dit l’archiprêtre Pierret, les architectes adoptaient volontiers les proportions suivantes : la largeur des nefs latérales était la moitié de la nef principale ; le transept était aussi large que la nef principale; la longueur totale était de six ou sept fois la largeur de la nef ; la hauteur de la tour ou du clocher était à peu près la longueur totale de l’église.»
CHAPITRE VI : LA PLACE
1. L'église, avec ses dépendances, forme, dit saint Charles, comme une île, « insula ; instar, » que circonscrivent trois rues, au chevet et sur les côtés, tandis qu'une place ou parvis se développe en avant, à l'ouest. Les rues sont nécessaire pour que l’édifice soit isolé et facilement accessible ; la place n'est pas moins indispensable pour donner de Pair au monument et de la perspective à sa façade.
2. Autrefois cette place se nommait parvis, mol qui est une altération, par contraction, du latin paradisus. En effet, symboliquement, elle représentait le paradis terrestre, où l'homme, par sa faute, trouva la mort : de là sa situation à l'occident.
C'est donc rester dans les traditions que de la transformer on jardin, comme on a fait récemment à Home devant l'église Saint-Marc.
3. Deux rangées d'arbres en feront le tour : ils fourniront de l'ombrage pour les processions des quarante heures, qui sortent de l'église.
Au milieu s'élèvera une colonne ou un obélisque, surmonté de la croix. La croix, chante la liturgie, est l'arbre du triomphe et de la réparation, comme l'arbre de la science du bien et du mal le fut de la chute et du péché. Il n'en est pas de plus beau dans les forêts pour son feuillage, qui rappelle les vertus du Sauveur et pour sa fleur et son fruit, qui fut le Christ.
Ainsi qu'à Saint-Jean-de-Latran, au pied de l'arbre de vie jaillira une fontaine d'eau limpide. Placez aux angles, Aix-la-Chapelle en fournit un exemple du XIe siècle, les quatre fleuves de l'Eden et une inscription, imitée du moyen-âge, dira qu'ils signifient pour le fidèle les quatre évangélistes et les quatre vertus cardinales, auxquels on pourrait encore adjoindre les quatre grands docteurs de l'Église latine. A la base de la croix, ces douze statues seraient d'un salutaire enseignement, car le salut a été annoncé au monde par les évangélistes et la foi, que suppose la pratique des vertus, a été maintenue et affermie par les docteurs.
Il serait également dans la tradition d'orner cette fontaine d'une inscription pieuse. En voici une de l’an 1764, que j'ai relevée avec plaisir à Saint-Amable de Riom, diocèse de Clermont :
SITIERUNT
ET INVOCAVERUNT TE
ET DATA EST ILLIS AQUA DE PETRA ALTISSIMA ET
REQVIES SISTIS DE LAPIDE
DURO. LIB. SAP. GAP. XI
CHAPITRE VII : LE STYLE
1. L’Église n'a aucun style qui lui soit propre. Elle les admet tous selon les temps et les lieux, se contentant de les adapter à ses besoins. Il y a donc sur ce point la plus gronde liberté pour un architecte.
2. Chaque type offre dos modèles dont on peut s'inspirer. Je dis s’inspirer car je repousse toute copie servile. Les églises ne sont pas faites pour plaire aux archéologues, mais pour honorer Dieu et répondre aux nécessités présentes. Copier sans discernement serait une faute, ces qui s'est (ail jadis n'est pas toujours bon à reproduire. Cherchons avant tout l'utile, le vrai et le beau.
3. Cependant, étant donné un style quelconque, l'architecte devra rester dans le type, autant que possible, même pour les détails. Nous n'admettons ni les altérations essentielles qui dénaturent sans raison un système complet d'architecture, ni les mélanges de styles divers, ce qui produit une monstruosité.
4. Le style basilical est simple, majestueux, économique.
Le style byzantin n'est pas à dédaigner avec ses coupoles et sa richesse de décoration. S. Marc de Venise est une des plus belles créations en ce genre.
Le style roman est sévère, lourd, imposant ; mais d'ordinaire il est sombre et a des nefs trop droites. La cathédrale d'Angers et Saint-Rémy de Reims sont deux spécimens hors ligne.
Le style ogival, que Ton a dit l'apogée de l'art chrétien, a des grâces particulières dans son élancement et son ornementation. Toutefois que sa nef, longue et serrée, se prête peu aux réunions, où Ton veut voir et entendre !
Le style moderne accentue de plus en plus les traditions de l'antiquité grecque et romaine, mais pour les détails seulement, car il crée de toutes pièces les vaisseaux les plus commodes pour l'exercice du culte. Outre Saint-Pierre de Rome, j'ai plaisir à citer, pour leurs dimensions et leur aspect vraiment monumental, les cathédrales de Ravenne, de Bologne, de Ferrare, spacieuses et élevées à la fois, se prêtant aux décors par les marbres et les peintures, aussi bien que par les tentures, sans lesquelles il n'y a pas de fête possible.
CHAPITRE VIII : LE PLAN
1. Pour une église d'une certaine importance, il est indispensable qu'un concours soit institué. Il y n toujours avantage à adopter cotte mesure, qui met en évidence vrai talent et exclut la faveur.
2. Le plan fourni par l'architecte comprend cinq feuille de dessins : un plan par terre, une coupe longitudinale, une vue de l'extérieur, une façade et des détails d'ornementation peinte et sculptée.
3- Le plan dépend souvent de remplacement, qui peut gêner le développement normal, et du style de l'édifice, qui exige telle ou telle forme en particulier.
4. Les types les plus usuels sont : la Croix latine, la croix grecque, le rond elle rectangle.
La croix latine doit être préférée à toute autre, en raison de son ancienneté et de sa commodité. La tête forme le choeur, les bras sont le transept et la tige devient la nef. Cette nef se double, si l'on veut, de basculés et même de chapelles ; le transept saillit au dehors ou n'est apparent qu'à l'intérieur, comme dans beaucoup de basiliques romaines et en plus s'augmente également de chapelles ; le choeur se termine en abside ou chevet droit et s'entoure aussi de chapelles, ouvertes sur un déambulatoire qui conduit à une chapelle de plus grande dimension, au moyen-Age chapelle de la Vierge. De ce type sont, à Home, les belles églises du Jésus, de Saint- Ignace, de Saint-André della valle et de Saint-Charles au Corso.
La croix grecque, avec coupole, est moins usitée en occident qu'en orient. Les quatre branches sont égales. Tel devait être le Saint-Pierre conçu par Michel-Ange et heureusement non exécuté ou plutôt modifié par Paul V. Rome montre on ce genre Sainte-Agnès in agone et Saint-Pierre et Saint- Marcellin.
La forme circulaire est très-rare. Dans le principe, ou l'affecta aux mausolées : elle rappelle surtout la rotonde bâtie par Constantin au Saint-Sépulcre de Jérusalem. À Rome, Saint-Etienne-le-rond et, à Saumur, Notre-Dame-des-Ardilliers sont de bons spécimens de ce genre, sans parler du Panthéon, bâti pour le culte des faux dieux.
Le rectangle est peut-être la forme la plus économique et la plus simple. Mettez des colonnes à l'intérieur, sur deux rangs et vous avez une basilique, comme Sainte-Agnès hors les murs, qui se complète par une abside; placez les colonnes au pourtour extérieur et vous obtenez, comme à la Madeleine de Paris, l'imitation du temple antique : cette colonnade, quoique païenne d'origine et en conséquence délaissée par la tradition, offre pourtant une grande commodité pour les processions.
5. La nef est allongée, en manière de vaisseau, comme le prescrivent les constitutions apostoliques. Ce n'est pas une raison pour renfler ses côtés, qui cessent d'être en ligne droite, à Rome, dans les deux églises des saints Faustin et Jovite et de sainte. Madeleine.
6. Le plan en croix représente la croix et non le crucifié. Ainsi tombe ce symbolisme faux, inconnu de toute l'antiquité et des écrivains ecclésiastiques, qui brise l'axe pour imiter, dit-on, l'inclinaison de la tête du Sauveur au moment de sa mort.
7. Le plan achevé, l'architecte le soumet à révoque pour qu'il le révise et l'approuve. Cette approbation est de rigueur.
8. L'évoque fera bien d'instituer une commission spéciale pour l'éclairer de ses conseils.
Cotte commission se composera de cinq membres : révoque ou le vicaire-général, président ; l'inspecteur diocésain, vice-président ; un chanoine, secrétaire ; un archéologue laïque et un architecte, également laïque.
Elle se réunira, tous les mois à l'évêché ou au vicariat, décrétera sur les plans soumis à son contrôle, consignera ses observations dans un procès-verbal, n'aura que voix consultative et fera exécuter le plan approuvé par l'inspecteur diocésain.
9. La charge d'inspecteur, éminemment utile, est une création du pape Benoit XIII. Son mandat porte qu'il surveillera les travaux, débattra les devis, visitera quatre fois Tan les églises, maintiendra strictement l'observation des règles canoniques et rendra compte à l'évoque de sa gestion, qui s'étend aussi aux églises à réparer ou à modifier, compléter et agrandir. Naturellement, il sera très-versé dans l'étude de la liturgie, de l'architecture et de l'archéologie. Homme de goût et de science, il aura une grande influence dans le diocèse et les oeuvres qu'il aura dirigées et surveillées se ressentiront de son zèle éclairé.
Sa patente lui donne expressément pleine autorité sur les églises et leurs administrateurs, pouvant, au besoin, les obliger à exécuter les décrets rendus en visite pastorale et les réparations jugées nécessaires.
10. À consulter : de saint Andéol, Du symholisme de la croix dans le plan des églises. (Revue de l'art chrét., T.VII.)