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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

historique ville

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #HISTORIQUE VILLE

DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

FONTAINE OU GROTTE DU LUXEMBOURG.

PLANCHE XII.

La fontaine du Luxembourg est un de ces monuments d'apparat uniquement destinés à l'embellissement des jardins. Elle fut élevée pour servir de point de vue à l'une des grandes allées, d'après les dessins de Jacques Desbrosses, à qui l'on doit aussi la construction du palais. On sait qu'en faisant bâtir cet édifice au commencement du dix-septième siècle, Marie de Médicis avait ordonné à l'architecte de se rapprocher, dans sa composition, de l'ensemble et des détails du palais Pitti, que l'on admire à Florence. Aussi, tous les bâtiments, et la fontaine elle-même, portent-ils le caractère de l'architecture toscane.

La fontaine ou grotte du Luxembourg, se compose de deux avant-corps formés par des colonnes d'ordre toscan, et d'une grande niche au milieu, qui est surmontée d'un attique et d'un fronton cintré. Dans l'entrecolonnement des avant-corps se présente, de chaque côté, une plus petite niche à laquelle un masque de satyre sert de clé. Les colonnes, le fonds des niches, l'attique, le fronton, toute la surface, en un mot, de cette fontaine, sont couverts de congélations, ornement bien précieux, puisque dans ce monument c'est la seule chose qui caractérise une fontaine. Au-dessus de chaque avant-corps est une statue colossale couchée, et représentant l'une un fleuve, par Duret, l'autre une naïade, par Ramey. Dans l'origine, ces figures avaient été exécutées par des contemporains de Desbrosses, et devaient être sans doute d'un meilleur style que celles qui, depuis peu d'années, les ont remplacées. Quoique la plus considérable, cette restauration n'est pas, au reste, la seule qu'on ait faite à la fontaine du Luxembourg, qui, depuis longtemps, était tombée dans le plus triste état de dégradation. On voyait autrefois, au bas et en avant de la niche du milieu, une vasque avec un jet-d'eau ; on y a substitué un maigre rocher des cavités duquel s'échappe un très-mince filet d'eau, et qui sert de piédestal à une fort mauvaise figure en marbre blanc représentant Vénus au bain. On a encore sculpté des congélations dans la table de l'attique, à la place des armes de France et des Médicis, qui avaient été effacées pendant la révolution.

Si au lieu de construire un rocher si mesquin, et qui ne pouvait jamais être en proportion avec l'architecture, on s'était occupé d'amener à cette fontaine un volume d'eau plus considérable, de l'y faire jaillir de différents côtés, chacun s'empresserait de louer M. Chalgrin, qui a dirigé ces réparations, ainsi que toutes celles du palais du Sénat. Mais ne troublons point la cendre de cet estimable architecte[1]  ; sachons lui gré, au contraire, d'avoir montré tant de respect pour la mémoire de Desbrosses ; car telle était la détérioration de ce monument, qu'il aurait pu, sans qu'on lui en fît de reproches, le démolir, comme l'on a détruit les balustres des terrasses que Blondel regardait comme des modèles en ce genre.

Derrière cette fontaine se trouve un reste de bâtiment qu'on a déjà cherché à masquer par des arbres, et qui, s'il était abattu, donnerait à la fontaine un aspect plus grand, et à cette partie du jardin, un point de vue plus pittoresque.

La fontaine du Luxembourg s'alimente des eaux que conduit à Paris l'aqueduc d'Arcueil.

FONTAINE DE LA COUR BATAVE,

SITUÉE RUE SAINT-DENIS.

PLANCHE XIII.

En 1791, lorsque l'on commençait à vendre les biens des communautés religieuses, une compagnie de négociants hollandais acheta les bâtiments de la confrérie du Saint-Sépulchre, église collégiale fondée, en 1326, par des pèlerins qui venaient d'accomplir le vœu de visiter le Saint Tombeau du Seigneur, à Jérusalem. Sur les décombres du cloître, et de toutes les dépendances d'un monastère, on vit bientôt s'élever une suite de maisons de commerce, formant un plan régulier ; et l'on donna à cette enceinte le nom de Cour Batave, pour rappeler sans doute la nation à laquelle appartenaient les propriétaires. Messieurs Sobre et Happe, architectes, en dirigèrent les travaux, qui furent exécutés pendant le cours du papier monnaie, et qu'on évalua à plus de dix-huit cents mille francs en numéraire, somme immense, sans doute, mais trop peu considérable encore, puisqu'une partie de cet édifice n'a pu être terminée.

Des marchands, des fabricants de toute espèce occupent les boutiques et les étages supérieurs de ces bâtiments. Pour une telle destination fallait-il une décoration extérieure et intérieure aussi fastueuse ? Pourquoi des colonnes, des bas-reliefs, des caissons, des ornements de toute espèce ? Une ordonnance simple, commode et peu coûteuse, voilà pour des constructions de ce genre les premières conditions à remplir.

Quoiqu'il en soit, cet ensemble de bâtiments forme à-peu-près un plan carré terminé par un rond-point, à l'extrémité duquel se trouve la fontaine dont nous offrons ici la gravure. Ce monument n'est point isolé, et fait, au contraire, partie de la décoration intérieure de la cour. Placée à la suite d'une arcade qui répète l'entrée principale, il sert là comme de point de vue. Au milieu d'un bassin, on voit sur un socle carré une figure de femme assise, ayant sur la tête une couronne murale, et appuyant chaque main sur la tête  d'un lion placé de chaque côté, près d'elle. Du mufle de ces animaux s'échappait autrefois un filet d'eau qui retombait dans le bassin. Ce morceau de sculpture, assez lourdement traité, est de M. Augé.

On ne sait trop par quel motif cette fontaine est, depuis peu d'années, entièrement privée d'eau. Elle est cependant heureusement située au centre d'un édifice extrêmement étendu, et servait à la consommation journalière du grand nombre de personnes qui l'habitent. En cas d'incendie, un monument de cette espèce serait aussi d'un grand secours. Il faut espérer que la quantité d'eau amenée dans le quartier Saint-Denis, par l'aqueduc souterrain du canal de l'Ourcq, permettra à messieurs les ingénieurs de rendre à cette fontaine son précieux aliment.

On assure que cette fontaine n'est point une propriété publique ; qu'elle appartient aux propriétaires de la Cour-Batave. Mais on ajoute que la ville se propose d'en faire l'acquisition.

FONTAINE DU PARVIS NOTRE-DAME.

PLANCHE XIV.

Dès 1639 il existait une fontaine sur le Parvis Notre-Dame, du côté opposé au bâtiment de l'Hôtel-Dieu. Elle était placée, dit-on, près d'une ancienne statue qui a été un grand sujet de discussion entre les divers historiens de Paris.

En effet, les uns ont prétendu reconnaître dans cette figure celle d'Esculape, d'autres ont cru y voir celle d'Archambaud, maire du palais sous Clovis II, tandis que l'abbé Leboeuf, après plusieurs examens, l'a jugée être une représentation de Jésus-Christ, tenant dans sa main le livre des évangiles. Entre tant d'avis différents, il serait embarrassant de choisir aujourd'hui surtout que cette statue est détruite, et qu'il n'en reste point de gravure exacte. Elle fut abattue en 1748, ainsi que la fontaine, monument fort simple dans son ensemble comme dans ses détails on a conservé seulement l'inscription qui était gravée sur celle-ci.

QUI SITIS HUC TENDAS ; DESUNT SI FORTE LIQUORES,

PROGREDERE, ETERNAS DIVA PARABIT AQUAS.

C'est-à-dire,

« Approchez ici vous qui êtes altéré, et si par hasard mes eaux ne vous suffisent point, avancez jusques dans le temple, la Vierge qu'on y invoque vous prépare des eaux éternelles. »

Ce fut pour donner plus d'étendue et une forme moins irrégulière au Parvis, qu'on supprima et la fontaine et la statue dont nous venons de parler. En même-temps on abattit la petite église de Saint-Jean-le-Rond, qui était attenante à la tour droite de la cathédrale et fermait le cloître Notre-Dame. On y substitua une façade percée de trois portes, qui avait été dessinée par Boffrand[2], et que depuis on démolit pendant la révolution.

A la même époque cet architecte était chargé de construire, au coin du Parvis et de la rue Notre-Dame, un bâtiment pour les Enfants-Trouvés, et qui maintenant est occupé par la pharmacie de l'Hôtel-Dieu. Il devait ensuite élever de l'autre côté un bâtiment parallèle pour servir de point de vue à la Cathédrale ; mais ce projet ne reçut point son exécution, et même le premier commencé vers 1748 n'est point encore entièrement terminé.

C'est sur la façade principale de ce bâtiment, d'architecture assez lourde et très peu d'accord avec le style gothique de l'église Notre-Dame, que l'on a placé, dans une niche pratiquée de chaque côté de la porte, la nouvelle fontaine dont l'érection a été ordonnée par le décret de 18o6.Cette fontaine est double, si l'on peut s'exprimer ainsi, et consiste de chaque côté, en un vase imité d'un des beaux vases grecs de la collection du chevalier Hamilton, et gravés par d'Hancarville. On en a seulement un peu allongé le galbe, qui, dans l'original, est plus pur et se rapproche davantage de la forme de l'œuf Sur la partie la plus renflée de chacun de ces vases, qui sont en pierre, on a sculpté un petit bas-relief représentant des femmes qui portent des secours à un moribond.

L'artiste a voulu par-là rappeler en même-temps la destination de l'édifice auquel ces fontaines sont attenantes, et de l'Hôtel-Dieu, près duquel elles sont situées. Un petit piédestal carré sert de socle à ces vases, et du milieu s'échappe, par un mascaron de bronze, un filet d'eau qui retombe dans une cuvette placée au-dessous.

La sculpture de cette double fontaine, qui s'alimente des eaux de la pompe

Notre-Dame, est de M. Fortin, la composition, de M. Brale.

FONTAINE DE SAINT-COME.

PLANCHE XV.

Cette fontaine, située à l'extrémité de l'École de Médecine, du côté de la rue de la Harpe, a été construite vers 1624, lorsqu'après l'achèvement de l'aqueduc d'Arcueil on commença à embellir de fontaines le quartier Saint-Jacques.

Dans l'origine, elle s'alimentait seulement d'une partie des eaux qu'amène à Paris cet aqueduc ; on y adjoignit par la suite une portion de celle de la pompe Notre-Dame, et aujourd'hui, depuis l'érection de la fontaine de l'École de Médecine, elle ne coule plus et ne sert que de réservoir.

Sous le rapport de l'art, cette fontaine n'a rien de remarquable, si ce n'est son extrême simplicité, qui s'accorde bien avec le peu d'eau qu'elle fournissait.

Comprise entre deux piliers extérieurs d'une église, elle ne consiste que dans une façade de très peu d'épaisseur, dont le milieu, marqué par des pieds-droits avec bossages, est surmonté d'un petit fronton triangulaire. Les ailes ornées de refends, sont percées chacune d'une porte.

Il paraît qu'autrefois on était encore moins qu'aujourd'hui, dans l'usage d'isoler les fontaines; les anciennes, pour la plupart, sont toujours adossées à quelque édifice. Celle qui fait le sujet de notre planche n° XV, est comme on peut le voir dans notre gravure, tout-à-fait attenante à l'église Saint Côme, monument gothique du XIIIe siècle.

La fondation de cette église remonte jusqu'à 12 12, époque où elle fut bâtie aux dépens de l'abbé et des religieux de Saint-Germain-des-Prés, qui en eurent le patronage jusqu'en 1345. Ils en furent alors privés par un arrêt du parlement, rendu en faveur de l'université, à l'occasion d'une querelle qui s'était élevée entre les écoliers de cet établissement et les domestiques de l'Abbaye.

L'université nomma à la cure de Saint-Côme jusqu'au moment où les églises furent supprimées, et depuis ce temps, celle-ci ne s'est plus ouverte.

Parmi les souvenirs que rappelle ce quartier, nous n'en rapporterons qu'un seul ; celui qui concerne la mort d'un des plus grands monstres du régime révolutionnaire. C'est, tout près de la fontaine dans la rue de l'École de Médecine, nommée alors rue des Cordeliers, que le 13 juillet 1793, une jeune fille, Charlotte Cordai, venue exprès de Caen à Paris, plongea un poignard dans le sein de Marat, qui, reposant dans sa baignoire, méditait sans doute quelque nouveau crime. On sait les honneurs qu'on lui rendit après sa mort et de quelle ignominie ils furent suivis. Enterré avec pompe dans le jardin des Cordeliers, son corps en fut bientôt exhumé pour être précipité dans l'égout Montmartre.

 

[1] Les arts ont perdu Jean-François-Thérèse Chalgrin, le 3o janvier 1811. Il était âgé de 71 ans. Reçu dès l'âge de 29 ans à l'Académie d'Architecture, il a consacré toute sa vie à l'étude et à la pratique de son art. Peu d'architectes ont été aussi occupés. Entre autres édifices, on doit à ses talents, l'une des tours, les chapelles, et l'orgue de Saint-Sulpice ; le collège de France, place Cambrai ; le séminaire du Saint-Esprit ; l'église de Saint-Philippe du Roule, etc. M. Chalgrin avait dirigé encore les travaux de toutes les fêtes publiques qui ont eu lieu depuis l'an 6. Il s'occupait, au moment où la mort est venu le surprendre, de l'érection de l'arc de triomphe de l'Étoile. [2] Boffrand, architecte, neveu de Quinault, naquit en 1667. Il apprit la sculpture chez Girardon, et l'architecture sous Jules Hardouin Mansard. Après avoir été employé à plusieurs grands travaux, il mourut en 1754. Il a laissé sur son art plusieurs ouvrages imprimés.

 

 

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DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

 

FONTAINE DE LA PLACE DU PALAIS-ROYAL,

CONNUE SOUS LE NOM DE CHATEAU-D'EAU.

PLANCHE IX.

LE CHATEAU-D’EAU n'est, à bien dire, qu'une dépendance du Palais-Royal. Il ne fut construit que pour lui servir de point de vue.

En 1629, le cardinal de Richelieu, qui venait d'acheter l'hôtel Mercoeur, celui de Rambouillet, et quelques maisons voisines, fit abattre tous ces bâtiments, et chargea Jacques Lemercier[1], premier architecte du Roi, de lui construire un hôtel sur cet emplacement.

Il n'y eut point d'abord de place devant le Palais-Royal. La largeur de la rue

Saint - Honoré, le séparait seule des maisons qui étaient en face; mais Anne d'Autriche, régente du royaume, étant venue habiter avec le jeune roi Louis

XIV, ce palais qu'on appelait alors le Palais Cardinal, parce qu'il avait appartenu au cardinal de Richelieu, fit former en avant une place carrée. On commença par abattre l'hôtel de Sillery, dont le cardinal avait hérité par testament[2] ; et c'est sur les ruines même de cet hôtel, que Philippe d'Orléans, qui avait reçu de Louis xiv le Palais-Royal, en augmentation d’apanage, fit élever le Château-d'eau, pour donner à la place un plus bel aspect. En 1719, Robert Decotte, premier architecte du Roi, fut chargé de la construction de ce monument, destiné à servir de réservoir aux eaux de la Seine et d'Arcueil, et à entretenir les bassins du Palais-Royal et des Tuileries. Peu de changements ont été faits à cet édifice, qui se composait alors, comme aujourd'hui, d'une façade ornée de bossages vermiculés, et terminée par deux pavillons quarrés décorés dans le même goût. Au milieu est un avant-corps formé de quatre colonnes d'ordre toscan, qui supportent un fronton, dans le tympan duquel étaient sculptées les armes de France. Deux statues de Coustou, le jeune, couronnent ce fronton. Elles représentent la figure de la Seine, et celle de la nymphe d'Arcueil. Au milieu de cet avant-corps, on a pratiqué une niche, au bas de laquelle s'échappait autrefois l'eau par un robinet, et où l'on a depuis substitué un mascaron, qui laisse tomber l'eau dans une cuvette placée en avant. Un trottoir, d'un mètre de haut environ, sert de soubassement, dans toute sa longueur, à la façade de ce monument. L'inscription qui y avait été gravée existe encore ; on l'a faussement attribuée à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, On ignore de qui elle est.

QUANTOS EFFUNDIT IN USUS.

« Pour combien d'usages elle épanche ses eaux ».

D’après la description qu'on vient de lire, on voit que la fontaine n'est dans ce monument qu'un très-petit accessoire. Aussi l'on s'est peu embarrassé d'en rendre les abords faciles et commodes. Cette fontaine ne sert guères, quoi qu'en dise l'inscription, qu'à abreuver les chevaux des fiacres qui sont continuellement sur la place. Les eaux d'Arcueil, de la Samaritaine et de la pompe de Chaillot s'y réunissent.

FONTAINE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE.

PLANCHE X.

Le bâtiment de l'École de Médecine, élevé, en 1744, sur l'emplacement de l'ancien hôtel de Bourgogne, passe généralement pour le chef-d'oeuvre du siècle dernier ; c'est au moins celui qui offre le moins de traces du style faux et maniéré dont tous les édifices de ce temps portent l'empreinte. Quoiqu'on puisse en trouver l'ordonnance trop théâtrale, on ne saurait disconvenir que les masses en sont bien balancées entre elles, que les lignes en sont grandes, et que les ordres employés à sa décoration ne sont point surchargés d'ornements étrangers et superflus. Dans l'histoire des arts, ce monument, ainsi que l'église de Sainte-Geneviève, serviront par la suite à marquer le passage du goût affecté de l'ancienne école, au goût sévère de la nouvelle, et M. Gondoin partagera avec Soufflot, la gloire d'avoir contribué à cette révolution en architecture.

Longtemps l'École de Médecine se trouva comme enterrée dans une rue étroite, d'où, faute de reculée, on ne pouvait apercevoir l'effet de son ensemble. La place qu'on voit aujourd'hui est prise sur le terrain qu'occupait l'église des Cordeliers, et quelques maisons voisines, que l'on a démolies tout récemment. Bientôt elle sera décorée de bâtiments symétriques qui se lieront à la fontaine déjà élevée dans l'axe de la porte principale de l'École de Médecine.

Cette fontaine, comme on peut le voir dans notre planche X, se compose de quatre colonnes d'ordre dorique cannelé, formant trois entrecolonnements, et couronné d'un entablement, derrière lequel est placé un réservoir, d'où l'eau tombe en nappe dans une large piscine semi-circulaire.

Si l'on considère cette fontaine comme un édifice d'utilité publique, rien ne saurait être plus mal imaginé. L'eau qui jaillit continuellement, et qui, par la hauteur de sa chute, tombe en pluie, en rend l'approche très-incommode.

Comment ensuite y recueillir l'eau, à moins d'y puiser dans le récipient même, ce qui n'est ni propre ni facile. Aussi, pour remédier à tous ces inconvénients, a-t-on été forcé, après coup, de placer en avant deux petites bornes avec des robinets pour l'usage domestique.

Telle n'a point été l'intention de l'architecte : dans cette fontaine il n'a voulu faire qu'une décoration qui correspondît avec le péristyle de l'amphithéâtre de l'École de Médecine, et qui lui servît de point de vue. Mais en lui prêtant cette idée, comment le justifierons-nous d'avoir violé les règles de son art, et d'avoir élevé un monument dont l'aspect n'a rien de pittoresque.

Quelques gens de goût ont déjà remarqué que les colonnes de ce monument sont trop allongées, et qu'elles sont d'un diamètre trop égal dans leur hauteur.

Pourquoi l'architecte, a-t-on ajouté, n'a-t-il point donné à son entablement le caractère ni les proportions de l'ordre dorique.

Quant à l'effet pittoresque, nous ne craindrons point d'avancer que l'architecte n'a nullement atteint le but qu'il s'était proposé. S'il a prétendu obtenir des jeux d'ombres et de lumières piquants et variés, en faisant tomber une nappe d'eau entre ses colonnes, il ne fallait pas mettre pour fond un long mur, que l'humidité a promptement coloré d'une teinte noire-verdâtre, et sur lequel l'eau se détache toujours d'une couleur sale. Pour donner de la diaphanéité et du brillant à une chute d'eau, il ne faut pas de fond ; l'air doit circuler derrière, et l'on doit apercevoir au travers, ou le ciel ou des arbres.

L'inscription un peu prétentieuse, placée dans la frise, fait connaître seulement que les eaux de la Seine alimentent cette fontaine ; mais on se propose  d'y faire arriver une partie des eaux de l'Ourcq, qui se réuniront à celles que fournissent déjà les pompes Notre-Dame et de Chaillot, ainsi que l'aqueduc d'Arcueil.

NAPOLEONIS. AUGUSTI. PROVIDENTIA

DIVERGIUM SEQUANE

CIVIUM COMMODO. ASCLEPIADEI ORNAMENTO.

C'est-à-dire :

« Par les soins prévoyants de l'Empereur Napoléon, des eaux de la Seine « ont été amenées ici pour la commodité des citoyens et l'ornement du sanctuaire d'Esculape ».

FONTAINES DE LA RUE GARANCIÈRE, DE RICHELIEU,

ET DE LA RUE MONTMARTRE.

PLANCHE X I.

FONTAINE DE LA RUE GARANCIÈRE.

La fontaine de la rue Garancière, par son emplacement, et par la simplicité de sa décoration, mérite à peine le nom de monument. Adossée contre un mur, placée sur le même alignement que les maisons, elle ne sert en aucune façon à l'embellissement de cette rue. Pour l'apercevoir, il faut s'en approcher de très-près. Elle se compose d'une niche encadrée dans un chambranle, et surmontée d'une espèce de cartouche, qu'entoure une moulure lourde et contournée. Au bas est un mascaron de bronze, qui laisse couler, de temps en temps, un maigre filet d'eau.

Cette fontaine fut construite, en 1715, aux frais et par ordre de la veuve d'un prince de Condé, ainsi que nous l'apprend l'inscription qu'on lisait autre fois sur un marbre noir placé dans le cartouche. Nous la rapporterons ici avec sa traduction :

AQUAM A PREFECTO ET EDILIBUS ACCEPTAM HIC, SUIS IMPENSIS, CIVIBUS FLUERE

VOLUIT SERENISSIMA PRINCEPS ANNA-PALATINA EX BAVARIIS, RELICTA SERENISSIMI

PRINCIPIS HENRICI-JULII BORBONII PRINCIPIS CONDAEI. ANNO DOMINI M.DCCXV.

« La princesse sérénissime Anne-Palatine de Bavière, veuve du prince sérénissime Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé, a voulu qu'à ses frais l'eau donnée par le prévôt des marchands, et les échevins de la ville, coulât  ici pour la commodité des citoyens. L'an du seigneur 1715 ».

Le prince de Condé, dont il est ici question, était fils du grand Condé, et renommé lui-même, autant par un esprit cultivé, que par le courage dont il donna des preuves au passage du Rhin, et à la bataille de Senef.

Il paraît que la rue Garancière a pris son nom de l'hôtel Garancière qui y était bâti. Elle a, dit-on, porté successivement le nom de Garancée et de Garance ; mais cette différence dans les noms des rues a dû souvent provenir de l'ignorance de ceux qui les écrivaient.

Cette fontaine s'alimente du trop-plein des bassins du Luxembourg. Aussi ne coule-t-elle que très-rarement. Elle n'est même pas comprise dans la distribution des fontaines de Paris.

FONTAINE DE RICHELIEU.

Cette fontaine a pris son nom du nom même de la rue où elle est située, comme celle-ci avait pris le sien du nom du cardinal de Richelieu. On sait que ce prélat avait fait construire un palais dont une des façades donnait sur cette rue, et qui a d'abord été appelé Palais-Cardinal, et ensuite Palais-Royal.

Placée à la bifurcation de la rue de Richelieu et de la rue Traversière, cette fontaine se trouve adossée à l'angle que forment les maisons des deux rues. Elle offre dans son ensemble un massif carré, ayant, un peu en avant corps, un chambranle avec consoles qui soutiennent un fronton, comme sont les croisées des grands édifices; le tout est surmonté d'un petit attique qui répète les profils et les renfoncements du dessous. Le tympan du fronton est décoré d'une coquille, et dans le milieu du chambranle sont deux tables un peu en saillie. Au bas de la première est un mascaron de bronze, qui jette de l'eau, et dans la seconde on lisait cette inscription de Santeuil :

QUI QUONDAM MAGNUM TENUIT MODERAMEN AQUARUM ,

RICHELIUS, FONTI PLAUDERET IPSE NOVO.

C'est-à-dire :

« Richelieu, qui eut autrefois le gouvernement de la navigation, verrait lui

« même avec plaisir couler l'eau de cette nouvelle fontaine ».

Dans cette inscription, le chanoine de Saint-Victor, avait cherché à faire allusion à la surintendance de la navigation, charge que le cardinal joignit à tant d'autres. Déjà pour rappeler cette qualité, l'architecte du Palais-Royal, Lemercier, avait orné de proues de vaisseau la façade qui donne sur la seconde cour de ce palais.

La fontaine de Richelieu, comme la plupart des anciennes fontaines, est dépourvue d'une cuvette pour recevoir les eaux qui coulent du mascaron. Ces eaux, tombant sur une pierre, et rejaillissant de tous côtés, rendent l'entrée des deux rues toujours sale et incommode pour les piétons.

Cette fontaine est du nombre de celles qui avaient été ordonnées par arrêt du 22 avril 1671. Ce sont les eaux réunies de la pompe à feu de Chaillot et de la Samaritaine, qui servent à l'alimenter.

FONTAINE DE LA RUE MONTMARTRE.

Soit que jusqu'ici l'on n'ait point regardé les fontaines de cette capitale comme des monuments assez importants pour en faire une mention particulière, soit que la multiplicité des objets, dont les historiens de Paris avaient à rendre compte ne leur ait point permis d'entrer dans de longs détails à cet égard, toujours est-il que les nombreuses descriptions ou histoires de cette ville n'offrent que des renseignements très-vagues et très-incertains sur l'origine et la construction de chaque fontaine. Plus que toute autre, celle de la rue

Montmartre paraît avoir été oubliée. On ne trouve dans aucun ouvrage imprimé, la trace de sa fondation. Dans ses recherches historiques et critiques, Jaillot n'en parle point ; Piganiol et ses copistes ne font que la nommer en passant.

Thierri seulement, qui la désigne sous le nom de fontaine de Montmorency, dit que peu d'années auparavant elle avait été rétablie; et il écrivait en 1787.

Mais en fouillant dans les archives de la préfecture, nous avons trouvé différents titres et transactions qui font connaître que le terrain sur lequel l'on a bâti cette fontaine, a été cédé aux échevins de la ville par M. de Luxembourg Montmorency, moyennant une concession de trente lignes d'eau pour la consommation de son hôtel. On fut obligé aussi d'acheter, près du même emplacement, une échoppe appartenant à une dame veuve Lebrest La date de ces titres est de 1713 ; mais la fontaine ne fut réellemcnt construite qu'en 1717.

S'il est permis de placer ici quelque hypothèse, nous avancerons, sans toutefois rien affirmer, que la fontaine de la rue Montmartre a été faite à la place de la fontaine qu'on avait projetée au Petit-Carreau, et qui, très-probablement, ne fut jamais exécutée[3] . Nous avons déjà eu occasion de faire remarquer que toutes celles qui avaient été ordonnées par l'arrêt du 22 avril 1671, ne furent point construites sur-le-champ, ni dans les emplacements même qui d'abord avaient été choisis. Ce qui donnerait quelque vraisemblance à cette conjecture c'est que dans le plan perspectif de Paris, gravé par Lucas, en 1734, d'après les dessins de Bretez, et par ordre de M. Turgot, prévôt des marchands, se trouve l'élévation de la fontaine Montmartre, et que celle du Petit-Carreau ne s'y trouve pas.

Adossée à une des maisons de la rue Montmartre, cette fontaine n'a que très peu de saillie. Elle ne consiste que dans un assez petit avant-corps dont les pieds-droits sont ornés de congélations, et qui est surmonté d'un fronton triangulaire. Le milieu se divise en trois tables lisses d'inégales proportions, et au bas desquelles est le robinet d'où coule l'eau réunie de la pompe Notre

Dame et de celle de Chaillot.

 

[1] Jacques Lemercier est un des architectes qui ont exécuté à Paris le plus de travaux. Il éleva la Sorbonne, l'Oratoire, le Palais Cardinal, l'église Saint-Roch, etc... On lui doit aussi, et ce n'est pas là son chef-d'oeuvre, le couronnement du pavillon du milieu de l'ancien Louvre. C'est lui qui imagina ces grandes cariatides placées au troisième étage, et qui gâtent beaucoup la décoration de cette façade. Un reproche plus grave à faire à sa mémoire, c'est sa conduite envers le Poussin : avec Vouet et Fouquières, il contribua à empêcher ce grand artiste de peindre la galerie du Louvre. [2] On raconte une anecdote assez singulière, et propre à donner une idée du caractère et de la puissance du cardinal. Brulart de Sillery, fils du président de ce nom, quelque temps avant de léguer son hôtel au prélat, jouait avec lui, et perdait beaucoup. Un coup douteux survint, et on en appela à la galerie pour le décider. D'une voix unanime, Brulart fut condamné par les courtisans, et comme il eut peine à contenir son indignation, le cardinal qui s'en aperçut, alla le soir auprès de lui lorsqu'il sortait, et, le prenant familièrement par la tête, lui dit : « Voilà « une belle tête sur un beau corps; il serait dommage de l'en détacher ». [3] Il ne faut pas regarder comme une preuve du contraire, l'inscription que Santeuil a faite pour y être gravée. Nous rapporterons ici cette inscription, qui ne trouverait pas sa place autre part :

Auri sacra sitis non larga expletur opum VI :

Hinc disce aeterno fonte levare sitim.

« L'infâme soif de l'or ne peut se rassasier, même à force de richesses. Apprenez de-là à vous désaltérer aux sources éternelles. »   Cette inscription est à-la-fois critique et mystique. Elle faisait allusion à la cupidité des hommes de finance dont ce quartier était rempli ; et l'on y reconnaît l'influence de l'habit que portait l'auteur.

 

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DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

FONTAINE DE SAIX.

PLANCHE V et VI.

La place Dauphine, au centre de laquelle s'élève la fontaine de Desaix, formait encore, au temps de Charles IX, une partie des jardins du Palais. Là se terminait la pointe de l'île, qui plus tard a été prolongée jusqu'à l'extrémité du terre-plein du Pont-Neuf, par la réunion de deux autres petits îlots, que le temps avait séparés de la Cité, ou qui peut-être avaient été formés par les alluvions du fleuve. L'un de ces petits îlots, dont le nom n'est pas bien déterminé, mais que l'on connaît plus communément sous la dénomination de l'ile aux Tuiles, est célèbre pour avoir servi de théâtre au supplice de Jacques Molay, grand-maître de l'ordre des Templiers. Au même endroit où l’injustice avait consommé un crime, la reconnaissance éleva par la suite une statue au meilleur des rois ; et aujourd'hui la munificence d'un souverain auguste y fait ériger un obélisque magnifique à la gloire des armes françaises.

Le 31 mai 1578, Henri III posa la première pierre du Pont-Neuf, Androuet Ducerceau en était l'architecte. On commença par combler les petits bras de rivière qui séparaient d'avec la Cité les deux îlots dont nous venons de faire mention, afin de former un point de centre qui joignît le pont à ce quartier, et sur lequel reposassent les deux parties du pont. Des travaux si utiles furent suspendus par l'effet des guerres de la ligue, et on ne les termina qu'en 16o4, sous la direction de Guillaume Marchand, architecte. Pour subvenir aux frais d'achèvement de ce pont, Henri IV mit un impôt de dix sous d'entrée par muid de vin.

C'est encore à ce prince qu'on doit les premières places régulières qui aient été faites à Paris. De ce nombre est la place Dauphine, dont il adopta le plan en 16o8, et qu'il dénomma ainsi à cause de la naissance de Louis XIII, alors dauphin de France. On a pu remarquer que les maisons de cette place portent le même caractère d'architecture que celles de la place Royale, également bâties par ordre de Henri IV. Elles sont, l'une et l'autre, construites en briques, avec des chaînons de pierre de taille. La place Dauphine offre la forme d'un triangle aigu, et n'a que deux ouvertures, l'une au milieu de la base (celle-ci fait face à l'une des portes du palais), l'autre, vis-à-vis, coupe la pointe de l'angle, et vient aboutir sur le Pont-Neuf.

La fontaine qui décore le milieu de cette place est un monument triomphal érigé en 18o2, à la mémoire du général Desaix, par le patriotisme d'un certain nombre de souscripteurs qui se réunirent pour en faire les frais. Ils ouvrirent un concours où l'on appela tous les artistes. Aussi plus de cent dessins furent envoyés, et exposés pendant plusieurs jours sous les yeux du public. Une commission d'artistes fut juge du concours. Le dessin de la fontaine que nous voyons aujourd'hui sur la place, lui parut mériter le prix. Si quelque chose doit dégoûter des concours, c'est assurément le résultat qu'a eu celui-ci. On croyait avoir employé tous les moyens de se procurer le plan d'un monument parfait; comment se fait-il que le goût même le moins sévère ne puisse avouer la fontaine Desaix ?

A la vérité, c'était déjà manquer de goût que de proposer d'ériger une fontaine à la mémoire d'un guerrier mort dans les combats. Qu'on lui consacre une statue, un tombeau, rien de mieux ; mais une fontaine !

« Desaix, dit M. Denon, dans son voyage d'Égypte, n'était point l'enfant gâté

«de la fortune ; son étoile était nébuleuse». Eh quoi ! un sort fâcheux l'aurait-il donc poursuivi au-delà du tombeau ? Jusqu'ici le mauvais goût a présidé à tous les monuments érigés en son honneur. Nous signalons surtout cette fontaine comme un exemple dangereux à suivre, parce qu'elle est l'ouvrage d'un homme de talent, de M. Percier, chef de la plus nombreuse école d'architecture.

Ce monument s'élève au milieu d'un bassin circulaire où l'eau tombe par quatre mascarons de bronze. Au pied du soubassement sont gravés dans toute la circonférence, sur une plinthe de marbre, les noms des souscripteurs. Au-dessus est un piédestal rond comme le soubassement, mais un peu en retraite, et autour duquel se déroule un bas-relief, formé d'un trophée d'armes modernes, de la figure du Nil, de celle de l'Éridan, et de deux génies qui inscrivent dans des cartouches les noms des principales victoires remportées par ce général.

Sur la face principale on lit dans un autre cartouche : A Desaix, et plus bas les paroles mémorables qu'il prononça un moment avant d'expirer : Allez dire au premier Consul que je meurs avec le regret de n'avoir point assez fait pour la postérité.

Le piédestal supporte un groupe composé du génie militaire représenté sous la figure d'un jeune homme ayant la tête casquée, et posant une couronne de lauriers sur le buste de Desaix. Toute la sculpture de ce monument est de M. Fortin.

Les inscriptions suivantes sont gravées sur les deux côtés principaux du  premier soubassement. Telle est l'intempérie de notre climat, qu'elles sont déjà devenues presque illisibles.

L. CH. ANT. DESAIX,

NÉ A AYAT, DÉPARTEMENT DU PUY-DE-DÔME,

LE XVII AOUST M. DCCLXIII ;

MORT A MARENGO

LE XXV PRAIRIAL AN VIII DE LA RÉPUBLIQUE

M. DCCC.

CE MONUMENT LUI FUT ÉLEVÉ

PAR DES AMIS

DE SA GLOIRE ET DE SA VERTU,

SOUS LE CONSULAT DE BONAPARTE

L'AN DIX DE LA RÉPUBLIQUE

M. DCCCII.

LANDAU, KEHL, WEISSEMBOURG,

MALTE,

CHEBREIS, EMBABÉ,

LES PYRAMIDES,

SEDIMAN, SAMANHOUT, KENÉ,

THÈBES, MARENGO,

FURENT LES TÉMOINS DE SES TALENTS

ET DE SON COURAGE.

LES ENNEMIS

L'APPELAIENT LE JUSTE ;

SES SOLDATS, COMME CEUX DE BAYARD,

SANS PEUR ET SANS REPROCHE.

IL VÉCUT, IL MOURUT

POUR SA PATRIE.

La fontaine Desaix s'alimente en partie des eaux de la Samaritaine, en partie de celles que fournit l'aqueduc d'Arcueil, dont des tuyaux passent dans toute la longueur du Pont-Neuf, et vont servir, de l'autre côté de la rivière, quelques autres fontaines.

FONTAINE DE LA RUE DE SÈVRES.

PLANCHE VII

Cette fontaine, du nombre de celles dont l'Empereur a ordonné l'érection en 18o6, est située rue de Sèves ou de Sèvres, un peu plus haut que les Incurables, hospice fondé en 1734, par le cardinal de Larochefoucauld. Elle présente dans son ensemble une porte de temple égyptien, dont la baie sert de niche à une statue qui tient un vase de chaque main, et en verse de l'eau dans une cuvette demi-circulaire. Le trop-plein de ce réservoir se vide par un mascaron en bronze, représentant une tête de lion ou de sphinx égyptien.

Il n'y a pas vingt ans que cette fontaine aurait paru bizarre ; elle plaît aujourd'hui. On ne saurait la voir sans se rappeler une expédition mémorable.

Heureuse l'idée de rattacher ainsi aux monuments publics d'intéressants souvenirs, quand toutefois ils n’altèrent point le caractère de ces monuments ! Mais, en applaudissant à l'intention de M. Bralle, qui a cherché un des premiers, à reproduire ici un genre d'architecture tout nouveau pour les Français, des gens de goût auraient désiré dans sa composition plus de noblesse, d’élégance, et de développement. Dans plusieurs ouvrages, et notamment dans l'atlas de l'excellent voyage de M. Denon, il eût été facile de prendre de meilleurs modèles. Pourquoi, demandent-ils, une clé si massive et si lourde au-dessus de la niche ? Pourquoi dans les pieds-droits, une moitié en avant-corps, et l'autre en arrière ? La mesure était-elle rigoureusement donnée pour s'astreindre à une proportion si petite ? Ce qui frappe d'abord dans les monuments de la

Haute-Égypte, c'est la grandeur, l'étendue. Qui reconnaîtra jamais là une copie de la porte de ces temples si vastes ? L'entrée d'un temple monolithe,

c'est-à-dire d'une seule pierre, est beaucoup moins resserrée. Nous ajouterons qu'il est étonnant que l'artiste qui a imaginé d'ajuster, dans le goût du globe ailé, l'aigle impérial, n'ait point cherché à placer dans tout son monument quelques hiéroglyphes. Les pieds-droits lui fournissaient une page à remplir ; il aurait pu essayer de représenter, au moyen de la sculpture en creux, quelque sujet analogue à l'érection de la fontaine. Avec du goût, cet essai pouvait devenir heureux.

La statue qui décore la niche, et à laquelle on n'a fait qu'ajouter un vase à chaque main, est une copie en pierre faite par M. Beauvallet, d'après la figure en marbre pentélique qui est au musée Napoléon. On nous saura gré sans doute de placer ici, sur ce beau morceau d'antiquité, quelques détails extraits du livret du Musée, ouvrage auquel a travaillé M. Visconti.

Antinoüs, jeune favori d'Hadrien, s'était jeté dans le Nil, et avait volontairement sacrifié sa vie pour prolonger celle de son maître. Touché d'un dévouement si rare, l'Empereur voulut en éterniser la mémoire, en lui élevant des statues et des temples, et en bâtissant en l'honneur de son favori la ville d'Antinopolis. Cette statue, l'un des nombreux monuments de la reconnaissance de ce prince, représente Antinoüs en divinité égyptienne. Il est debout dans l'attitude ordinaire des dieux égyptiens, et nu à l'exception de la tête et de la ceinture, qui sont couvertes d'une espèce de draperies ornées de plis ou canelures parallèles, faites peut-être pour imiter les étoffes rayées de noir et de blanc dont les habits sacrés étaient formés.

Cette statue étant en marbre blanc contre l'usage des Égyptiens qui exécutaient toujours celles de leurs divinités en marbre de couleur, on pourrait conjecturer qu'on a voulu y représenter Antinoüs sous la forme d'Orus, le seul dont ils faisaient les images en marbre blanc, comme étant le dieu de la lumière. Au surplus, quoique dans la composition et l'attitude de cette figure on ait cherché à imiter la manière des anciens ouvrages de l'art égyptien, la beauté des formes, la belle exécution des détails indiqueraient assez qu'elle n'en est qu'une imitation de style grec, lors même que le portrait bien connu d'Antinoüs ne servirait pas à en constater l'époque précise.

Cette belle figure est tirée du musée du Capitole ; elle a été découverte en

1738, à Tivoli, dans la Villa Hadriana. On a donné une couche de bronze à la copie en pierre.

La fontaine de la rue de Sèvres s'alimente de l'eau qu'envoie dans une grande partie du faubourg Saint-Germain la pompe à feu de Chaillot.

FONTAINE DITE DU MARCHÉ-AUX-CHEVAUX.

PLANCHE VIII.

Dans le nombre des nouvelles fontaines érigées en 18o6 par ordre de l'Empereur, il faut remarquer celle du Marché-aux-Chevaux. Isolée de tout édifice, d'une ordonnance extrêmement simple, elle porte le seul caractère qui convienne à nos fontaines, auxquelles le manque d'eau donnera toujours un aspect d'autant plus ridicule, qu'il sera plus grand et plus théâtral. Le modeste ruisseau s'échappe sans bruit du pied de la montagne, pour aller arroser la prairie ; tandis que le torrent se précipite avec fracas du haut des rochers, et forme ces cataractes imposantes destinées à l'entretien des fleuves. Qu'on s'imagine au lieu du Niagara, la rivière des Gobelins, tombant de deux cents pieds de haut, le spectacle n'aura plus rien que de mesquin et de bizarre. Pourquoi donc ces masses énormes de pierre, ces vastes monuments où l'on ne peut ajuster qu'un très-mince robinet !

Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus.

L'architecte, auquel on doit la composition de cette fontaine, a été heureusement inspiré. Empressons-nous de l'en féliciter. Rarement nous aurons les mêmes éloges à faire. L'auteur de presque toutes les nouvelles fontaines est loin d'avoir montré, dans la plupart, autant de discernement et de goût.

Si l'on en excepte la moulure servant d'encadrement, ici rien d'inutile, de superflu. Pour toute masse, une borne dans le goût antique; pour toute déco ration un aigle sculpté en relief dans une couronne de lauriers, ornement d'un bon effet, et qui sert à rappeler sous quel règne cette fontaine a été construite. Un simple mascaron de bronze, appliqué au bas de la borne et un peu au-dessus du soubassement, laisse échapper un filet d'eau qui tombe dans un bassin quarré placé en avant. Peut-être le voisinage du Marché-aux

Chevaux eût-il exigé un récipient plus spacieux; au-lieu de cette petite cuvette quarrée, un bassin circulaire, au centre duquel se serait élevée la borne, eût été plus commode, plus convenable. Par ce moyen, on aurait pu abreuver, à-la-fois à cette fontaine plusieurs chevaux, sans gêner la circulation continuelle des citoyens que les besoins domestiques appellent à puiser de l'eau.

Au reste, cette observation critique est peut-être la seule qu'on puisse se permettre sur ce monument, qui, si l'on plantait derrière quelques massifs d'arbres, deviendrait l'un des plus pittoresques, comme il est déjà l'un des mieux conçus.

Le Marché-aux-Chevaux, qui a donné son surnom à cette fontaine, se tenait encore en 1687 dans une partie de l'emplacement qu'occupent les rues Gaillon, d'Antin et des Petits-Champs. Plus tard il fut transporté sur le terrain où nous le voyons encore aujourd'hui ; mais pendant longtemps ce terrain resta vague et non circonscrit. On doit à M. de Sartines d'y avoir fait observer de bons règlements de police, et de l’avoir fait planter d'arbres. Ces travaux furent exécutés en 176o; avant ce temps, le Marché-aux-Chevaux était impraticable pendant la mauvaise saison.

On ne saurait trop rendre raison du motif qui a fait appeler cette fontaine, fontaine du Marché-aux-Chevaux, plutôt que fontaine du Jardin des Plantes.

Outre que ce dernier surnom eût été plus noble, il semble mieux convenir encore en ce que ce monument est situé à l'extrémité de la rue du Jardin des

Plantes, où elle sert de point de vue, tandis qu'il ne laisse point d'être assez éloigné du Marché-aux-Chevaux.

Cette fontaine est alimentée par les eaux réunies de la pompe Notre-Dame, et de celle du Gros-Caillou.

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Publié le par Rhonan de Bar
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DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

 

FONTAINE DE LA PLACE DE L'ÉCOLE.

PLANCHE I

Suivant l'opinion la plus généralement répandue, la dénomination donnée à la place où est située cette fontaine, provient de ce qu'autrefois les religieux de Saint-Germain-l'Auxerrois tenaient en ce lieu une école qu'on appelait Schola sancti Germani. Tous les ans, le maître, qui avait été nommé par le chapitre, venait y recevoir des verges et une férule : cérémonie tout-à-fait auguste et imposante !

Il paraît que très-anciennement on avait songé à faire venir, ou du moins à réunir des eaux sur cette place ou dans les environs. Dubreul rapporte, dans ses Antiquités de Paris (1612) que messieurs de Saint-Germain-l'Auxerrois passèrent, en 16o7, un contrat par lequel ils consentaient à céder la portion de terrain où était le bâtiment de l'École, afin qu'on y construisît une espèce de hangard, servant de réservoir aux eaux qui, élevées par la pompe du Pont Neuf, étaient destinées à alimenter les bassins des Tuileries. Mais Dubreul qui était contemporain, ne dit point où l'École était située, ni si ce projet de réservoir reçut ou non son exécution. On n'en voit point de trace.

Au reste, si l'on ne trouve plus aujourd'hui ce réservoir sur la place de l'École,

Il y existe depuis longtemps un égout, réceptacle des immondices de ce quartier sale et bourbeux La fontaine qu'on a élevée au-dessus de l'égout est beaucoup mieux placée qu'on ne pourrait le croire. N'eût-elle d'autre utilité que celle de laver continuellement les abords de l'égout, ce serait déjà un très grand moyen de propreté et d'assainissement. Ajoutons que l'eau qu'elle fournit est beaucoup plus salubre que celle qu'on peut puiser à la Seine, le long du quai, où les déversoirs de plusieurs cloaques, et les bateaux de blanchisseuses empestent ce côté de la rivière.

Nous voudrions bien pouvoir justifier le goût de la décoration aussi bien que le choix de l'emplacement de cette fontaine, l'une de celles qui ont été ordonnées en 18o6, et qui ont été le plus promptement achevées. Ce monument se compose d'un dé carré, élevé au milieu d'un bassin circulaire, et surmonté d'un vase ; sur chaque face du soubassement est un mascaron de bronze d'où l'eau jaillit. Sur le ventre du vase on voit, du côté du quai, un petit bas-relief représentant deux divinités marines, et à l'opposite, un triton.

Cette fontaine a été désapprouvée par les personnes mêmes les moins versées dans l'art du dessin. La forme du vase, de son couvercle, et surtout la grosseur des anses, dont l'extrémité se termine par une tête de chimère, ont paru d'un très-mauvais goût. Parmi tant de vases antiques, dont on trouve partout la gravure, ne pouvait-on choisir un modèle moins désagréable ?

A peine quatre ans se sont écoulés, et déjà la pierre dont est construite cette fontaine est devenue toute noire Cela tient peut-être moins encore au voisinage des maisons et à la quantité de cheminées, qu'au séjour que font les bateaux à charbon dans ce bassin de la rivière La façade du Louvre, nouvelle ment regrattée, reprendra bientôt sa couleur noirâtre et triste, si l'on n'éloigne pas la principale cause du mal.

La fontaine de la place de l'École s'alimente des eaux réunies d'Arcueil et de la pompe de la Samaritaine.

FONTAINE DE GRENELLE.

PLANCHE II.

Le faubourg Saint-Germain étant devenu très-populeux au  commencement du dix-huitième siècle, et se couvrant chaque jour de magnifiques hôtels qu'y faisaient bâtir la haute noblesse et les plus riches particuliers, on sentit la nécessité d'y établir une fontaine nouvelle, autant comme objet d'utilité, que comme objet d'embellissement. Après avoir balancé longtemps sur le choix de son emplacement, les échevins de la ville de Paris se décidèrent à acquérir une portion de terrain dépendante du couvent des Recollettes[1], rue de Grenelle, près de la rue du Bac, et chargèrent Bouchardon, l'un des plus célèbres statuaires de ce temps, d'y ériger un monument, qui, par sa richesse et son étendue, fût en harmonie avec la beauté de ce quartier opulent.

Pour répondre à la confiance et à l'attente des magistrats, l'artiste composa le projet de la fontaine qui existe aujourd'hui, et qui prit son nom du nom même de la rue[2] où elle est située M Turgot, alors prévôt des marchands, en posa la première pierre, l'an 1739, et avant la fin de 1745, tout l'édifice était entièrement achevé. La plus grande recherche avait présidé à sa construction.

On n'y avait employé que des pierres tirées des carrières de Conflans-Sainte Honorine, et appareillées avec le soin le plus minutieux. Aussi, lorsqu'on découvrit la fontaine de Grenelle, l'enthousiasme fut général, et on la regarda, pendant tout le reste du XVIIIe siècle, comme un chef-d'oeuvre de composition et d'exécution. Maintenant, dans l'esprit du public, cette opinion s'est bien modifiée, et peut-être les artistes de nos jours poussent-ils trop loin la sévérité.

Ils blâment dans ce monument, 1" son ordonnance théâtrale où rien, excepté le groupe du milieu, et en bas, deux maigres robinets, ne rappelle le caractère d'une fontaine; 2° le percement des portes et des croisées, ce qui donne à tout le bâtiment l'aspect d'une maison particulière; 3° la hauteur prodigieuse du soubassement, par rapport à l'ordre supérieur; 4° enfin le style rond et maniéré des figures qui servent à sa décoration. Cependant, malgré ces critiques, cette fontaine est encore du petit nombre de celles qu'on peut citer à Paris. Il serait même moins difficile qu'on ne pense, sinon d'en faire disparaître les défauts, du moins de les rendre moins choquants Qu'on établisse d'abord une place vis-à-vis, d'où ce monument puisse être aperçu; que l'eau coule en abondance des urnes sur lesquelles s'appuient les figures de la Seine et de la

Marne, qu'elle s'épanche dans une conque placée au-dessous, et en retombe en nappe dans une vaste cuvette, réservoir commun; que des mascarons, placés de distance en distance dans le soubassement des ailes, forment autant de robinets particuliers; en un mot, que l'on voie jaillir de l'eau de tous côtés. Voilà ce qui donne la vie à une fontaine, ce qui en fait le principal ornement.

Le plan de la fontaine de Grenelle offre, comme on peut le voir dans notre gravure, une portion de cercle au centre de laquelle est l'avant-corps principal et d'où partent deux ailes dont les extrémités aboutissent à l'alignement des maisons L'artiste a choisi cette forme de préférence pour donner plus de développement à sa composition, et pour qu'on pût l'embrasser d'un coup-d'oeil.

Tout le bâtiment règne sur un des côtés de la rue, et occupe un espace d'environ 3o mètres. Il est composé de deux parties bien distinctes ; d'abord d'un soubassement rustique orné de refends, ensuite d'un étage supérieur, qui offre, au milieu d'une espèce de péristyle, et dans les ailes, des niches et des croisées que séparent de petits avant-corps en forme de pilastres sans embases ni chapiteaux. Le tout est couronné par un attique qui continue dans toute la longueur du bâtiment. - -

Le groupe du milieu est en marbre blanc. Voici la description abrégée qu'en donne un auteur contemporain, M. Mariette, connu dans les arts par plusieurs écrits estimables. « La principale de ces statues, celle à laquelle les autres sont subordonnées, représente la ville de Paris élevée sur un piédestal particulier, et assise sur une proue de vaisseau, emblême qui la caractérise; elle semble regarder avec complaisance le fleuve de la Seine et la rivière de la Marne, qui, couchés à ses pieds, paraissent eux-mêmes se féliciter du bonheur qu'ils ont de procurer l'abondance, et de servir d'ornement à cette grande capitale qu'ils baignent de leurs eaux. Un frontispice, formé par quatre colonnes d'ordre ionique supportant un fronton, sert de fond à ce groupe de figures, et met la ville de Paris comme à l'entrée d'un temple qui lui est dédié.

- Ayant principalement pour objet de représenter dans sa composition l'abondance qui en tout temps règne dans Paris, l'artiste a imaginé de placer dans les niches latérales les quatre génies des saisons, exécutés en pierre de Tonnerre.

Chacune de ces figures, caractérisées par les attributs qui la distinguent, est expliquée par de petits bas-reliefs allégoriques, qu'on voit au-dessous se rattacher à l'idée principale. Telle était alors la manière dont on envisageait la sculpture, qu'on la croyait propre à offrir de vastes tableaux, à représenter des scènes entières.

Dans l'entre-colonnement du frontispice, sur une table de marbre noir, il existait en lettres de bronze l'inscription suivante, qui a été effacée pendant les troubles de la révolution : elle est d'autant plus curieuse qu'elle a été composée par le cardinal de Fleury, alors premier ministre. M. Boze, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions, à qui ce prélat l'avait soumise, ne voulut pas y changer un seul mot.

DUM LUDLUDOVICUS XV

POPULI AMOR ET PARENS OPTIMUS

PUBLICAE TRANQUILLITATIS ASSERTOR

GALLICI IMPERII FINIBUS

INNOCUE PROPAGATIS

PACE GERMANOS RUSSOSQUE

INTER ET OTTOMANOS

FELICITER CONCILIATA

GLORIOSE SIMUL ET PACIFICE

REGNABAT

FONTEM HUNC CIVIUM UTILITATI

URBIS QUE ORNAMENTO

CONSECRARUNT

PRAEFECTUS ET AEDILES

-

ANNO DOMINI

M.D.CCXXXIX. -

On pourrait traduire ainsi cette inscription :

« Sous le règne glorieux et pacifique de Louis XV, tandis que le prince, le père de ses peuples et l'objet de leur amour, assurait le repos de l'Europe ; que, sans effusion de sang, il étendait les limites de son empire, et que, par son heureuse médiation, il procurait la paix à l'Allemagne, à la Russie et à la Porte-Ottomane, le Prévôt des marchands et les Échevins consacrèrent cette fontaine à l'utilité des citoyens et à l'embellissement de la ville. L'an de grâce 1739 ».

Le soubassement de l'avant-corps portait aussi une inscription sur une table encadrée par des consoles et des guirlandes de marbre. La première partie contenait les noms et qualités de M. Turgot, et des Échevins de la ville. La seconde était ainsi conçue :

« Cette fontaine a été construite par Edme Bouchardon, sculpteur du Roi, né à Chaumont en Bassigny. Les statues, bas-reliefs et ornements ont été « exécutés par lui ».

Malgré l'extrême solidité de sa construction, la fontaine de Grenelle, faute d'entretien, et par suite des échafauds qu'on y avait dressés plusieurs fois pour effacer les inscriptions et les armoiries, avait souffert des dégradations considérables. Des réparations y ont été faites il y a quelques années. On a aussi enduit à cette époque les sculptures d'un encaustique, que l'on croyait propre à les préserver de l'action de l'air et de l'humidité ; mais ce procédé n'a pas eu le résultat qu'on en espérait. Les figures et les bas-reliefs ont déjà repris, en grande partie, la mousse noirâtre qui les couvrait. On ne connaît encore aucun préservatif bien certain, contre ce fléau des monuments exposés, en plein air, sous un ciel tel que celui de Paris.

Quoi qu'il en soit, la fontaine est maintenant en très-bon état, et elle coule continuellement. L'eau dont elle s'alimente provient de la Seine, et y est amenée par des canaux de fonte, au moyen de la pompe à feu du Gros-Caillou.

FONTAINE DE LA RUE CENSIER.

PLANCHE III.

De toutes les fontaines élevées depuis 18o6, pour l'embellissement de Paris, et la commodité de ses habitants, la plus remarquable, par la  singularité et la bizarrerie de sa décoration, est sans contredit la fontaine de la rue Censier.

- Qui a pu déterminer l'architecte à choisir de pareils ornements ?

Les anciens, il est vrai, mettaient souvent leurs fontaines sous la protection d'un dieu ou d'une déesse; mais s'ils y représentaient l'image de la divinité, ce n'était que comme protectrice. D'ailleurs, ils ne rendaient ordinairement cette espèce de culte, qu'aux nymphes des eaux, à des naïades; et nous n'avons vu nulle part qu'ils aient jamais consacré de fontaine à Bacchus. -

Comment se fait-il donc que l'architecte du monument représenté dans notre planche n° III, ait imaginé de mettre un Faune pour présider à sa fontaine, et, pour la décorer, d'y placer tous les attributs de la vendange ? Plus on cherche à pénétrer son intention, moins on la devine. Serait-ce une plaisanterie?... Nous n'oserions l'affirmer ; et, pourtant, on ne saurait supposer autre chose.

Si la décoration de la fontaine de la rue Censier ne satisfait point le bon sens, le goût y trouve tout autant à redire. Pourquoi, pourrait-on demander, avoir placé dans une niche ronde une figure qu'on voit jusqu'à la naissance des cuisses ? pourquoi lui avoir renversé la tête et les épaules, de telle façon, qu'il est impossible que les pieds retrouvent le centre de gravité? Que signifient encore ces ornements en feuillages et en raisins, qui montent de chaque côté, commencent sans base, et ne sont terminés par rien ?

Quant à l'ensemble de cette fontaine, il n'a rien de remarquable Il se compose d'un massif carré, surmonté d'un fronton triangulaire, et adossé à un mur. Au-devant du soubassement est une cuvette, aussi carrée, servant de bassin, et rejetant l'eau de chaque côté par une tête de lion.

Le quartier où est situé ce monument offre peu de souvenirs historiques.

Nous rapporterons seulement ici les étymologies qu'on donne des noms des deux rues au coin desquelles il se trouve placé. Suivant la plupart des historiens, le nom de Censier serait une corruption de sans chef, nom qu'on donnait jadis aux impasses ou culs-de-sac ; et celui de Mouffetard serait aussi, d'après l'abbé Leboeuf, une corruption de Mont-Cétard, vignoble, qui, dans l'origine de Paris, occupait l'emplacement de la rue Mouffetard.

· Au reste, nous sommes loin de garantir toutes ces étymologies. Nous prévenons, au contraire, que souvent il faut se garder d'y ajouter la moindre croyance. Outre le changement de prononciation, l'ignorance des peintres de lettres a dû souvent donner lieu dans la suite à de fausses  conjectures, et faire tomber dans d'étranges erreurs.

La fontaine de la rue Censier, dont la composition est de M. Bralle, ingénieur hydraulique de la ville de Paris, et la sculpture, de M. Levallois, élève de feu M. Chaudet 7 s'alimente des eaux que conduit à Paris l'aqueduc d'Arcueil.

FONTAINE DE LA PLACE SAINT-MICHEL.

PLANCHE IV.

 

Lorsque Paris n'occupait encore que l'île de la Cité, on cultivait des vignes dans tout le quartier au centre duquel se trouve située cette fontaine.

Comme la mieux exposée, la côte que forme la montagne Sainte-Geneviève, une partie de la rue Saint-Jacques, de la rue de la Harpe, et qui s'appelait le mont Leucotitius[3], devait être aussi la plus renommée pour ses vins. Un fameux vignoble, le Clos Gilbert, ou Gibart, donna longtemps son nom à la porte Saint-Michel. Quantum mutatus ab illo ! Combien le même sol est dégénéré! On rencontrerait à peine aujourd'hui, dans tous les jardins du quartier, quelques ceps de vigne dont on n'a nulle envie de faire du vin.

Ce côté de la campagne, le premier cultivé, fut aussi le premier où l'on construisit un palais, et peut-être où l'on éleva un temple. Du moins, tout porte à croire que, dès les premiers temps qui suivirent l'envahissement des Gaules par les Romains, il existait un temple, en l'honneur de Mercure, vers l'endroit où depuis l'on bâtit le couvent des Carmélites de la rue Saint-Jacques.

Quant au palais, il n'y a aucun doute sur sa situation. Le fragment qui en reste, rue de la Harpe, un peu plus bas que la fontaine de la place Saint Michel, suffit de reste pour déterminer sa position. Mais était-ce un palais ou  un de ces vastes édifices, connus sous le nom de Thermes, dont on retrouve des vestiges dans presque toutes les villes que les Romains ont habitées? C'est ce qui n'est pas encore bien décidé. Ce qui ferait croire que des thermes ont existé dans ce lieu, c'est que l'on ne peut méconnaître les restes des aqueducs antiques qui portaient sur la colline les eaux de plusieurs sources des environs.

Sous les rois des deux premières races, Paris ne reçut, comme on sait, aucun ou presque aucun accroissement. Il ne s'étendit guères sur les deux rives opposées de la Seine que pendant le règne de Philippe-Auguste, qui fit entourer la ville de murs et de fossés[4]. Cette première enceinte, qui laissait en-dehors le palais dit des Thermes, était reculée, au temps de Charles VI, jusqu'au haut de la rue de la Harpe, où se trouvait une porte flanquée de tourelles, à l'endroit même qu'occupe aujourd'hui la fontaine on prétend que ce fut ce prince qui changea le nom de cette porte, d'abord appelée porte d'Enfer, en celui de porte Saint-Michel; soit à cause de la naissance d'une princesse de sa famille, à laquelle on donna le nom de Michelle, soit à cause (et ceci paraît plus probable) de la grande dévotion qu'il avait en l'archange Saint Michel, que ses prédécesseurs regardaient comme le protecteur du royaume.

« Enfin, Louis XIV régna, dit Saint-Foix, et Paris n'eut plus d'enceinte ; « ses portes furent changées en arcs de triomphe, et ses fossés comblés et plantés d'arbres devinrent des promenades ». On abattit les murailles qui entouraient la capitale et une partie des fortifications qui servaient à leur défense. En 1684, la porte Saint-Michel fut démolie, et sur ses décombres s'éleva une fontaine. La ville avait acquis les eaux de Cachant, et les avait fait réunir par l'aqueduc d'Arcueil à celles de Rongis. Le roi ordonna alors, par un arrêt du 22 avril 1671, que quinze nouvelles fontaines seraient construites dans différents quartiers. Toutes ne furent point exécutées dans le même temps, ni aux endroits indiqués pour leur emplacement. De ce nombre fut la fontaine de la place Saint-Michel, que l'on ne construisit qu'en 1687, sur les dessins de Bullet, élève de Blondel, et architecte de la porte Saint-Martin.

Cette fontaine se compose d'une espèce de petit péristyle composé de quatre colonnes d'ordre dorique, et surmonté d'un fronton ; au-dessus, et un peu en avant, est une grande arcade supportée par des pieds-droits avec imposte, et au-dessous l'on a pratiqué une niche semi-circulaire, au bas de laquelle est un mince robinet qui laisse échapper l'eau. C'est dans la simplicité, dans la justesse des proportions, et dans la pureté des profils qu'il faut chercher le mérite de ce monument. Car, au défaut de ne point offrir au premier coup d'oeil l'aspect d'une fontaine, il joint celui de présenter une forme carrée et angulaire, interposée entre deux arcades.

Pour bien apprécier combien les inscriptions ajoutent de prix à un monument, il faudrait être témoin du sentiment qu'éprouve le voyageur errant sur les ruines d'Athènes ou de Rome, et trouvant sur le marbre, au milieu des décombres, l'empreinte de quelques lettres que le temps n'a pu effacer. Pour quoi donc n'a-t-on pas respecté les inscriptions de nos fontaines ? La plupart, faites par Santeuil, ont déjà pour nous un caractère d'antiquité qui nous charme. Souhaitons qu'on les rétablisse ou même qu'on les remplace par d'autres moins ingénieuses,-mais plus simples.

Voici celle qui ornait la fontaine de la place Saint-Michel. Elle est du chanoine de Saint-Victor.

HOC IN MONTE SUOS RESERAT SAPIENTIA FONTES ;

NE TAMEN HANC PURI RESPUE FONTIS AQUAM.

On pourrait la traduire ainsi :

« Sur cette montagne on peut puiser aux sources de la sagesse ; ne dédaignez pas cependant l'eau pure de cette fontaine ».

Dans cette inscription, Santeuil s'est proposé de faire allusion à l'Université, dont la plupart des collèges étaient situés dans ce quartier. Le jeu de mots qu'elle contient est bien puéril. Aussi ne la citons-nous pas comme un modèle : et toutes celles du chanoine de Saint-Victor ne sont pas de ce genre.

La fontaine de la place Saint-Michel s'alimente des eaux qu'amène à Paris l'aqueduc d'Arcueil. Versées d'abord dans le château-d'eau situé près de l'Observatoire, elles s'y divisent, et par des canaux souterrains se rendent dans un très-grand nombre de fontaines, en différents quartiers.

 

 

[1] Les Recollettes, ou filles de l'Immaculée Conception, étaient des religieuses de l'ordre fondé à Tolède, par Béatrix de Silva, en 1484. Elles suivirent depuis la règle de Sainte-Claire, et s'établirent rue du Bac, l'an 1637.   [2] Cette rue a porté successivement les noms de Guernelles, Garnelle, et Grenelle, parce qu'autrefois, dit-on, il y avait dans cet endroit une garenne dépendante de l'abbaye Sainte Geneviève. Le fait est qu'elle conduisait au château de Grenelle, situé dans la plaine du même nom. [3] Remarquons en passant, que cette dénomination doit venir à l'appui de l'opinion de plusieurs historiens, qui pensent que le nom de Lutèce vient de Leucotée, c'est-à-dire, blanche, à cause de la couleur du sol crayeux de Paris. C'était, sans doute, pour la même raison qu'on avait dénommé la montagne Sainte-Geneviève, le mont Leucotitius, qui signifie le Mont-Blanc. Cette étymologie paraît beaucoup plus vraisemblable que toutes celles qui sont tirées de la langue celtique. [4] Paris s'agrandit-il sous les rois des deux premières races ? Jusqu'où s'étendit-il sur les deux rives opposées de la Seine ? L'entoura-t-on plusieurs fois au-delà du fleuve, de murs d'enceinte ; et à quelles époques ces diverses enceintes furent-elles formées ? On ne pourra peut-être jamais répondre d'une manière satisfaisante à ces questions. Les anciens plans de Paris, que l'on trouve dans les ouvrages du commissaire la Marre, de Jaillot, et de tant d'autres qui se sont tous successivement répétés, ne sont tracés que d'après des conjectures que Saint-Foix a cherché à détruire par d'autres hypothèses. Cependant nous suivons ici l'opinion de ce dernier, parce qu'elle nous a paru un peu plus fondée. Ce n'est pas que nous prétendions qu'il n'y ait eu, sous les deux premières races, de nombreuses habitations, et plusieurs villages très-rapprochés les uns des autres, sur les deux rives de la Seine les plus voisines de l'île qu'occupait la cité; mais on n'a pu les regarder comme des parties intégrantes des quartiers de Paris, qu'après leur circonscription par des murs d'enceinte. Or, la première clôture de Paris, bien constatée, ne remonte pas au-delà du règne de Philippe-Auguste.

 

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LA CITÉ DE  CARCASSONNE. EUGÈNE-EMMANUEL VIOLLET LE DUC.

 

HISTORIQUE

 

DESCRIPTION DES DÉFENSES DE LA CITÉ...suite

 

...Ces précautions eussent été inutiles là où l'ennemi no pouvait se présenter qu'en petit nombre par suite des escarpements de la colline. Du côté méridional, l'ennemi, en supposant qu'il se fût emparé de l'enceinte extérieure, pouvait combler une partie des fossés, détruire un pan de mur de l'enceinte extérieure et faire approcher de la muraille intérieure, sur un plan incliné, un de ces beffrois de charpente recouverts de peaux fraîches pour les garantir du feu et au moyen desquels on se jetait de plain-pied sur les chemins de ronde supérieurs. On ne pouvait résister à une semblable attaque, qui réussit mainte fois, qu'en réunissant, sur le point attaqué, un nombre de soldats supérieur aux forces des assiégeants. Gomment l'aurait-on pu faire sur ces étroits chemins de ronde? Les hourds brisés, les merlons entamés par les machines de jet, les assiégeants se précipitant sur les chemins de ronde, ne trouvaient devant eux qu'une rangée de défenseurs acculés a un précipice et ne présentant qu'une ligne sans profondeur à cette colonne d'assaut sans cesse renouvelée! Avec ce supplément de chemin de ronde qu'on pouvait élargir à volonté, il était possible d'opposer à l'assaillant une résistance solide, de le culbuter et de s'emparer même du beffroi.

C'est dans ces détails de la défense pied à pied qu'apparaît l'art de la fortification du XIe  au XVe siècle. En examinant avec soin, en étudiant scrupuleusement, et dans les moindres détails, les ouvrages défensifs de ces temps, on comprend ces récits d'attaques gigantesques que nous sommes trop disposés à taxer d'exagération. Devant des moyens de défense si bien prévus, si ingénieusement combinés, on se figure sans peine les travaux énormes des assiégeants, les beffrois mobiles, les estacades et bastilles terrassées, les engins de sape roulants, tels que chats et galeries, ces travaux de mine qui demandaient un temps considérable, lorsque la poudre à canon n'était point en usage dans les armées. Avec une garnison déterminée et bien approvisionnée on pouvait prolonger un siége indéfiniment. Aussi n'est-il pas rare de voir une bicoque résister pendant des mois à une armée nombreuse. De là, souvent, cette audace et cette insolence du faible contre le fort et le puissant, cette habitude de la résistance individuelle qui faisait le fond du caractère de la féodalité, cette énergie qui a produit de si grandes choses et un si grand développement intellectuel au milieu de tant d'abus.

Indépendamment des portes percées dans l'enceinte intérieure, on comptait plusieurs poternes. Pour le service des assiégés,—surtout s'ils devaient garder une double enceinte—, il fallait rendre les communications faciles entre ces deux enceintes et ménager des poternes donnant sur les dehors, pour pouvoir porter rapidement des secours sur un point attaqué, faire sortir ou rentrer des corps, sans que l'ennemi pût s'y opposer. En parcourant l'enceinte intérieure de Carcassonne, on voit un grand nombre de poternes plus ou moins bien dissimulées et qui devaient permettre à la garnison de se répandre dans les lices par une quantité d'issues facilement masquées, ou de rentrer rapidement dans le cas où la première enceinte eût été forcée. Entre la tour du Trésau du côté nord et le château, nous trouvons deux de ces poternes, sans compter la porte de Rodez. L'une de ces poternes donne entrée dans le fossé du château (fig. 16), l'autre à côté de la tour n° 26. Entre le château et la tour n° 37 est une poterne donnant également dans le fossé du château. Entre la porte de l'Aude et la porte Narbonnaise (côté ouest et sud de l'enceinte intérieure) on trouve la poterne Saint-Nazaire décrite plus haut; entre les tours 44 et 45, une poterne communiquant à un escalier à vis, et entre les tours 50 et 52, une construction saillante n°51, qui contenait un escalier de bois, communiquant à de vastes souterrains dont l'issue extérieure est placée à côté de la tour de l'enceinte extérieure n° 19, au niveau du fond du fossé et dont deux galeries débouchaient dans les lices. Cette dernière poterne avait une grande importance, car elle mettait les chemins de ronde supérieurs en communication directe, soit avec des lices, soit avec les dehors. Aussi, en arrière de la porte donnant dans l'angle de la tour 19, est une salle voûtée, vaste, pouvant contenir une quarantaine d'hommes armés.

De plus, il existe une poterne mettant les lices en communication avec le fossé, à l'angle de rencontre de la courtine de droite avec le donjon de la Vade n° 18. Il y avait une poterne au côté droit de la grosse tour n° 4 de l'enceinte extérieure, une poterne très-relevée au-dessus de l'escarpement percée dans le mur extérieur de la porte de l'Aude et qui exigeait l'emploi d'une échelle, et la poterne encore ouverte dans l'angle de la tour n° 15, ainsi qu'il a été dit plus haut. En ajoutant à ces issues la grande barbacane du château n° 8, on voit que la garnison pouvait faire des sorties et se mettre en communication avec les dehors, sans ouvrir les deux portes principales de l'Aude et Narbonnaise.

Avant de passer à la description du château, il est nécessaire de nous occuper de l'enceinte extérieure qui présente également un intérêt sérieux.

De cette enceinte extérieure, la tour la mieux conservée (elle est intacte sauf sa couverture) est celle de la Peyre n°19. Cette tour, comme la plupart de celles dépendant de cette enceinte, est ouverte du côté de la ville dans la partie supérieure de manière à ne pouvoir servir de défense contre les remparts intérieurs, et afin que, du chemin de ronde supérieur, on puisse donner des ordres aux hommes postés dans cette tour. Le milieu de cette tour, comme de toutes celles de l'enceinte extérieure, à l'exception des barbacanes, était couvert par un comble, mais le chemin de ronde crénelé était à ciel ouvert en temps de paix et pouvait être garni de hourds en temps de siége.

Ces combles à demeure portaient sur le bahut intérieur du chemin de ronde.

La figure 6 donne la coupe de cette tour de la Peyre.

En M est tracé le profil d'ensemble de cet ouvrage avec le fossé, la crête de la contrescarpe et le sol extérieur formant glacis. On voit comme les meurtrières sont disposées pour couvrir de projectiles rasants ce glacis, et de projectiles plongeants, la crête et le pied de la contrescarpe. Quant à la défense rapprochée, il y est pourvu par les mâchicoulis et des hourds, ainsi qu'on le voit en P. La figure 7 donne le tracé général de cette tour du côté intérieur, les hourds n'étant supposés montés que du côté R.

La tour n° 18, dite de la Vade ou de Papegay, bien qu'elle appartienne à l'enceinte extérieure, est, comme nous l'avons dit, un réduit, un donjon, dominant tout le plateau de ce côté, occupé avant le règne de Saint-Louis, par un faubourg.

Les courtines de l'enceinte extérieure étant tombées au pouvoir de l'assiégeant, la plupart des tours de cette enceinte devaient être facilement prises, car elles ne sont guère défendues à l'intérieur et leurs chemins de ronde communiquent parfois de plain-pied avec ceux des courtines; cependant des portes interrompent la circulation, mais la tour de la Vade est un ouvrage indépendant et d'une grande élévation; il possède deux étages voûtés, deux étages entre planchers, un puits à rez-de-chaussée, une cheminée au deuxième étage et des latrines au troisième. La porte donnant sur les lices pouvait être fortement barricadée et opposer à l'assiégeant un obstacle aussi résistant que la muraille elle-même. L'étage supérieur était muni d'un crénelage à ciel ouvert avec toit au centre. Ce crénelage, qui, en temps de guerre, était muni de hourds, était dominé par le couronnement de la tour n° 48.

Les autres tours de l'enceinte extérieure sont toutes à peu près construites sur le modèle de la tour n° 7, dite de la Porte-Rouge. Cette tour possède deux étages au-dessous du crénelage. La figure 8 en donne les plans à chacun de ces étages. Comme le terrain s'élève sensiblement de a en b, les deux chemins de ronde des courtines ne sont pas au même niveau; le chemin de ronde b est à 3 mètres au-dessus du chemin de ronde a.

En A est tracé le plan de la tour au-dessous du terre-plein; en B, au niveau du chemin de ronde d; en C, au niveau du crénelage de la tour qui arase le crénelage de la courtine e. On voit en d la porte qui, s'ouvrant sur le chemin de ronde, communique à un degré qui descend à l'étage inférieur A, et en e, la porte qui, s'ouvrant sur le chemin de ronde d'amont, communique à un degré qui descend à l'étage B. On arrive, du dehors, au crénelage de la tour par le degré g.

De plus, les deux étages A et B sont mis en communication entre eux par un escalier intérieur h h', pris dans l'épaisseur du mur de la tour. Ainsi les hommes postés dans les deux étages A et B sont seuls en communication directe avec les deux chemins de ronde des courtines. Si l'assaillant est parvenu à détruire les hourds et le crénelage supérieur, et si, croyant avoir rendu l'ouvrage indéfendable, il tente l'assaut de l'une des courtines, il est reçu de flanc par les postes établis et demeurés en sûreté dans les étages inférieurs, lesquels étant facilement blindés, n'ont pu être écrasés par les projectiles des pierrières ou rendus inhabitables par l'incendie du comble et des hourds. Une coupe longitudinale faite sur les deux chemins de ronde, de e en à, permet de saisir cette disposition (fig. 9).

 

 

Figure 6. 7. 8. 9Figure 6. 7. 8. 9
Figure 6. 7. 8. 9Figure 6. 7. 8. 9

Figure 6. 7. 8. 9

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DESCRIPTION DES DÉFENSES DE LA CITÉ. (Suite)

 

  …A peine si l'on a pris soin de déblayer les ruines, car on remarque, enclavés dans les courtines reprises au XIIIe siècle, d'énormes pans de murs renversés et présentant verticalement les lits de leurs assises de moellon ou de brique. Grâce à la bonté des mortiers, ces masses renversées ne se sont point disjointes et sont là comme des rochers sur lesquels on serait venu construire de nouveaux murs.

De ce côté, les courtines et les tours sont très-hautes et dominent de beaucoup l'enceinte extérieure élevée sur la crête de l'escarpement.

Cet escarpement fait face à l'Aude et il s'étend jusqu'à la tour n° 41 qui termine le saillant occidental de la cité.

Deux portes sont percées dans l'enceinte des Visigoths: l'une, petite, datant de l'époque primitive, a été murée; elle est située à la droite de la tour n° 26; l'autre, percée au XIIe siècle et réparée au XIIIe siècle, se trouve entre les tours 24 et 25. C'est la porte désignée par le sénéchal Guillaume des Ormes sous le nom de porte de Rodez. Elle ne présente aucune défense particulière, mais devait être précédée d'un ouvrage avec poterne, protégé par la tour-barbacane n° 4; tour qui a malheureusement été modifiée dans sa forme par le génie militaire, de telle sorte qu'aujourd'hui la porte de Rodez donne sur les lices et n'a plus de communication avec le dehors.

Si nous passons de l'autre côté du château, vers le sud-ouest, nous rencontrons la porte de l'Aude (autrefois porte de Toulouse).

Cette porte a été percée dans la muraille des Visigoths au XIIe siècle. On voit encore, à l'extérieur, l'arc plein cintre qui paraît appartenir à cette époque par son appareil et la nature des matériaux employés. A la gauche de cette porte il existait, sur un pan de mur visigoth, un bâtiment contemporain du château, c'est-à-dire élevé du XIe au XIIe siècle. Le mur extérieur de ce bâtiment est encore percé de trois petites fenêtres jumelles divisées par des colonnettes de marbre avec chapiteaux sculptés.

Une longue rampe aboutissait à la grande barbacane n° 8 et était battue par cette barbacane; elle s'élève suivant une inclinaison assez roide, et, en faisant un lacet, conduit à une première porte, simple barrière, puis à une seconde porte défendue par un crénelage et commandée par un gros ouvrage en forme de traverse, terminé, à la hauteur des chemins de ronde de l'enceinte intérieure, par une plate-forme et des merlons. A sa base, cette traverse est percée d'une porte qui donne entrée dans les lices du sud-ouest.

Il faut gravir, en dedans de l'enceinte extérieure, une rampe assez roide battue par l'ouvrage qui masque la porte de l'Aude, percée dans le mur de l'enceinte intérieure. Cette rampe est dominée par la tour de la Justice, n° 37, et par une tour visigothe, n° 38. On arrive ainsi à un lacet qui oblige l'arrivant à se détourner brusquement pour atteindre la porte. Bien qu'il n'y ait, devant cette porte, ni fossé ni ponts à bascule, il n'était point facile d'y arriver malgré les gens du dedans de la ville, car l'espace compris entre les deux enceintes forme une véritable place d'armes, un grand châtelet, commandé de tous côtés par des ouvrages formidables. De plus, les lices, à droite et à gauche, étaient fermées par des portes. On observera que la porte supérieure est percée dans un angle rentrant, ce qui a permis de la flanquer très puissamment, et que son masque forme en avant un petit châtelet que l'on pouvait fermer complétement en temps de guerre, et qui, en temps de paix, était précédé d'un petit poste dont on aperçoit encore la trace le long de la courtine. De cet ouvrage, les rondes pouvaient descendre dans les lices du sud-ouest, en ouvrant une porte percée sur le flanc du parapet et en posant des planches mobiles sur des corbeaux engagés dans les gros contre-forts à la suite. Ce moyen de sortie ou d'entrée indique assez que l'ouvrage, en avant de la porte de l'Aude, était absolument fermé en temps de guerre.

En se dirigeant de la porte de l'Aude vers les lices du sud-ouest, on laisse bientôt les dernières traces des constructions visigothes et l'on atteint le saillant bâti par Philippe le Hardi, en dehors des terrains de l'évêché (fig. 16). Ayant passé la porte percée dans la traverse de commandement, et que nous croyons être la porte dite du Sénéchal, on voit une des tours des Visigoths, entière, puis la tour 39, dite de l'Inquisition, et dans laquelle nous avons trouvé un cachot avec pilier central, garni de chaînes, puis la tour carrée n° 11, dite de l'Évêque. Cette tour, à cheval sur les lices, commande les deux enceintes et pouvait, sur ce front, couper la communication entre la partie sud et la partie nord des lices. Toutefois, les deux arcs jetés sur le passage, entre les deux enceintes, n'étaient défendus que par deux machicoulis intérieurs et par un machicoulis percé au milieu de la voûte. On ne trouve pas trace de gonds indiquant la présence de vantaux de porte, mais seulement des entailles qui font supposer qu'en temps de guerre des barrières de bois fermaient ces ouvertures et interceptaient les communications. Cette tour, dont l'évêque avait la jouissance sauf le chemin de ronde supérieur, est fort belle, admirablement construite, fièrement plantée sur les deux enceintes dont elle rompt l'uniformité. De même qu'elle coupait la communication sur les lices, elle interrompait aussi le chemin de ronde supérieur des courtines, car, pour aller de la courtine nord à la courtine sud, il fallait traverser cette tour et forcer deux portes. Les escaliers intérieurs sont disposés de façon à ce que l'accès aux crénelages soit indépendant de l'accès aux deux salles voûtées, dont l'évêque avait la jouissance.

Les courtines qui font partie du saillant bâti par Philippe le Hardi, sont munies de belles meurtrières percées sous des arcades avec bancs; meurtrières qui battent les lices et les chemins de ronde de l'enceinte extérieure. On voit encore, en dehors de cette partie de l'enceinte extérieure, à côté de la tour n° 12, dite du Grand-Canisou, les orifices de l'égout que le roi avait fait construire à travers la muraille élevée par son ordre, pour rejeter au dehors les eaux de l'évêché, ainsi qu'il a été dit plus haut.  

Quant aux bâtiments de l'évêché, ils sont complétement rasés; il n'en est pas de même du cloître de l'église Saint-Nazaire, dont les fondations ont été retrouvées. Ces fondations, et un mur de ce cloître, conservé avec les piles engagées et les formerets des voûtes, se rapportent aux tracés des vieux plans de la cité, dans lesquels ce cloître et ses dépendances sont indiqués. Cette construction date de l'époque de saint Louis. A la suite de la tour n° 11 est la tour n° 10, dite de Cahusac, qui présente une disposition curieuse. Le chemin de ronde tourne à l'entour, et est couvert par un portique; puis on arrive à la tour du coin n° 41, dite Mipadre ou de Prade. Elle contient deux étages voûtés et deux étages entre planchers, elle est munie d'une cheminée et d'un four. La seule porte donnant entrée dans cette tour, qui n'interrompt pas le chemin de ronde, est percée du côté de l'est et était fermée par des verrous et une barre rentrant dans la muraille. Comme aux autres tours de cette partie de l'enceinte, le dernier merlon des courtines s'élève au point de jonction avec la tour, là où sont percées les portes, et le dernier créneau était également muni de volets sur rouleaux, afin de protéger les entrants ou les sortants ou les factionnaires posés aux entrées des tours. Presque toujours il faut monter quelques marches pour passer des courtines dans les tours, et alors le crénelage suit la montée.

On remarquera encore que les chemins de ronde des courtines, et par conséquent les crénelages et les hourds ne sont pas toujours de niveau, mais suivent la pente du terrain extérieur, de manière à conserver sur tous les points de l'enceinte une hauteur d'escarpe uniforme, ainsi que cela se pratique encore de nos jours.

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C'était une règle établie par l'expérience, et, passé une certaine hauteur, l'échelade devait être regardée comme impossible; aussi maintenait-on un minimum d'élévation partout. Toutefois les escarpes de l'enceinte intérieure sont beaucoup plus élevées que celles de l'enceinte extérieure. L'enceinte extérieure était établie de manière à battre l'assaillant à grande distance et à l'empêcher d'approcher ; tandis que pour l'enceinte intérieure, tout est combiné en vue de combattre un ennemi très-rapproché. Il n'est pas besoin d'insister sur une disposition indiquée par le simple bon sens.

Dans l'enceinte du cloître Saint-Nazaire, de larges escaliers donnent accès aux remparts. Mais il est bon d'observer que le cloître et l'évêché étaient déjà renfermés dans une enceinte, et que, par conséquent, les habitants de la ville ne pouvaient monter de la voie publique sur les courtines. Partout où il existe des escaliers montant aux chemins de ronde directement, ces escaliers sont toujours, ou enclavés dans d'anciens logis dépendant des murailles et fortifiés, ou compris dans des enceintes spéciales; tels sont les escaliers qui montaient à la courtine à côté de la tour n° 44, le long de la tour n° 47 et près de la chapelle Saint-Sernin (tour 53). Le plus souvent, ce sont les escaliers des tours qui, au moyen de petites portes extérieures bien ferrées, permettent l'accès sur les chemins de ronde. La garnison pouvait donc, si bon lui semblait, ainsi que nous l'avons dit plus haut, s'isoler et tenir les citoyens en respect pendant qu'elle repoussait les assiégeants. Elle seule circulait entre les deux enceintes, dans les lices, en fermant les portes de la ville sur les habitants; sur ce point, il n'y avait nul inconvénient à ce que les chemins de ronde fussent de plain-pied avec le terre-plein.

En suivant l'enceinte intérieure vers l'est, après avoir dépassé la tour n° 42 — dite tour du Moulin, parce qu'autrefois son étage supérieur, en retraite sur le crénelage, était affecté au mécanisme d'un moulin à vent —on arrive à la tour n° 43, dite tour et poterne Saint-Nazaire. Cet ouvrage, sur plan carré, est encore un des plus remarquables de la cité. A côté de la barbacane n° 15, dite de la Crémade et dépendant de l'enceinte extérieure, est une poterne basse et étroite, donnant dans le fossé peu profond sur ce point. Cette poterne, en cas de siége, pouvait être murée facilement puisqu'il n'y avait qu'à remplir l'escalier roide qui, du seuil de cette poterne, monte aux lices. Le large diamètre de la tour de la Crémade en fait une barbacane propre d'ailleurs à protéger des sorties ou des partis rentrants. Cette tour n'était point couverte, comme les autres, par un comble, et est en communication directe avec le chemin de ronde des courtines dont elle n'est, pourrait-on dire, qu'un appendice flanquant.

Quant à la tour Saint-Nazaire, il était impossible à des assiégeants postés en dehors de l'enceinte extérieure de supposer qu'elle fût munie d'une poterne. La porte, percée à la base de celte tour Saint-Nazaire, et donnant sur les lices, est ouverte de côté, masquée par la saillie de l'échauguette d'angle, et le seuil de celte ouverture est établi à plus de deux mètres au-dessus du sol des lices. Il fallait donc poser des échelles ou un plan incliné en bois pour entrer et sortir.

Dans la tour elle-même l'entrée est biaise, et, si de l'extérieur on n'entre par la poterne percée sur le flanc est de la tour qu'au moyen d'échelles ou d'un plancher mobile, on ne peut franchir la seconde entrée qu'en se détournant à angle droit. Cette poterne ne pouvait donc servir qu'aux gens de pied. Chacune des deux baies est munie d'une herse, de machicoulis et de vantaux. Un puits dessert les lices et le premier étage, qui contient en outre un four. La première herse était manœuvrée de la salle du premier étage, la deuxième du chemin de ronde, comme à la porte Narbonnaise. Le crénelage supérieur s'élève sur une plate-forme propre à recevoir un engin de défense (mangonneau) et possède une guette, car ce point est un des plus élevés de la cité. Le crénelage inférieur (car la défense de couronnement est double) est flanqué par des échauguettes qui montent de fond. Toujours en se dirigeant vers l'est, on arrive à peu de distance de la tour Saint-Nazaire à la tour n° 44, dite Saint-Martin, qui semble avoir été élevée à proximité de la tour n°43àdessein, pour masquer et battre la poterne à très-petite portée. Cette tour est renforcée, comme les tours 41 et 42 et comme celles de la porte Narbonnaise, par un bec saillant dont nous avons expliqué l'utilité. Elle contient deux étages voûtés, deux étages sous plancher, comme la tour n° 41, et se dégage au-dessus du chemin de ronde qui tourne autour d'elle du côté de la ville.

A partir de ce point de l'enceinte intérieure, nous voyons reparaître, dans les parties inférieures des courtines et tours, les restes des remparts visigoths jusqu'à la tour n° 53, dite de Saint-Sernin, à côté de la porte Narbonnaise.

Les tours n° 45, 46, 47, 49, 50, 52 et 53 sont bâties sur les fondations des tours primitives et sont d'un diamètre plus faible que les tours du XIIIe siècle. Seule, la tour n°48 a été reconstruite entièrement par Philippe le Hardi. Aussi présente-t-elle à l'extérieur un bec saillant, et l'épaisseur de sa construction est très-considérable. C'est qu'elle devait s'élever assez haut pour dominer la tour n° 18 de l'enceinte extérieure, tour dite de la Vade ou du Papegay, sorte de donjon avancé absolument indépendant et qui était destiné à battre le plateau qui s'étend de plain-pied, en face de ce front.

Les tours précédentes, n° 45, 46, 47, 49, 50 et 52, ne sont pas voûtées, et des planchers en bois séparaient leurs étages, au nombre de deux seulement et établis sur le 'massif plein de la maçonnerie des Visigoths. Leurs escaliers à vis font saillie à l'intérieur des salles et sont pris à leurs dépens. Toutes ces tours interrompent la circulation sur le chemin de ronde des courtines; il faut les traverser pour communiquer d'une courtine à l'autre. La tour n°49, dite de Daréja, est bâtie sur une substruction romaine, formée de gros blocs de pierre parfaitement jointifs, sans mortier. Le soubassement romain portait certainement une tour carrée, car les Visigoths se sont contentés d'abattre les arêtes saillantes à coups de masse, pour arrondir cette construction massive qui ne renferme qu'un blocage.

En examinant les constructions surélevées au XIIIe siècle, on voit que les ingénieurs ont donné à la partie cylindrique (côté extérieur) une forte épaisseur, tandis que du côté de la ville, là où la tour est fermée par un pignon, les murs n'ont qu'une faible épaisseur, afin d'obtenir l'espace vide le plus grand possible à l'intérieur pour loger les postes. La tour n° 47 présente aussi, sur les lices, dans sa partie inférieure, des restes de soubassements romains, sur lesquels est implantée une tour visigothe couronnée par la bâtisse du XIIIe siècle.

Ainsi, toute cette portion de l'enceinte, comprise entre la tour n°44 et la porte narbonnaise, a été réparée et reconstruite en partie par Philippe le Hardi sur l'enceinte des Visigoths, qui avait été élevée sur les remparts romains. Le périmètre de la ville antique est donc donné par celui de la ville des Visigoths, puisque, du côté du midi comme du côté du nord, nous retrouvons les traces des constructions romaines sous les ouvrages dus aux barbares.

Sur tout ce front sud-est, les hourds présentaient en temps de guerre une ligne non interrompue, car ceux des courtines se relient à ceux des tours au moyen de quelques marches. Cela était nécessaire pour faciliter la défense et ne pouvait avoir d'inconvénients, dans le cas où l'assiégeant se serait emparé d'une portion de ces hourds, car il était facile de les couper en un instant et d'empêcher l'ennemi de profiter de cette coursière extérieure continue pour s'emparer successivement des étages supérieurs des tours. L'assiégé, obligé d'abandonner une portion de ces hourds, pouvait lui-même y mettre le feu, sacrifier au besoin une tour ou deux, et se retirer dans les postes éloignés du point tombé au pouvoir de l'ennemi, en coupant les planchers de bois derrière lui.

Les tablettes de pierre des chemins de ronde des courtines élevées sous Philippe le Hardi sont supportées à l'intérieur pour augmenter la largeur de la coursière, du côté du sud et du sud-est, depuis la tour de l'évêque jusqu'à la porte Narbonnaise, par des corbeaux de pierre. Il existe, entre ces corbeaux, des trous carrés très-profonds ménagés dans la construction à intervalles égaux. Ces trous étaient destinés à loger des solives horizontales dont l'extrémité pouvait, au besoin, être soulagée par des poteaux. Sur ces solives on établissait un plancher continu qui élargissait d'autant le chemin de ronde à l'intérieur et formait une saillie fort utile pour l'approvisionnement des hourds, pour la mise enbatterie de pierrières et trébuchets, et pour disposer au pied des remparts, sur le terre-plein de la ville, des magasins, des abris pour un supplément de garnison.

Les combles qui couvraient les hourds venaient très probablement couvrir ce supplément de coursières. On conçoit combien ces larges espaces, ménagés à la partie supérieure des courtines, devaient faciliter la défense. Et il faut noter ici que cette disposition n'existe que dans la partie des défenses qui était le moins bien protégée par la nature du terrain et contre laquelle, par conséquent, l'assaillant devait réunir tous les efforts et pouvait organiser une attaque en règle...

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Publié le par Rhonan de Bar
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LA CITÉ DE  CARCASSONNE.

 

EUGÈNE-EMMANUEL VIOLLET LE DUC.

 

HISTORIQUE

 

DESCRIPTION DES DÉFENSES DE LA CITÉ.

 

J'ai voulu donner un résumé très-succinct de l'histoire des constructions qui composent l'enceinte de la cité de Carcassonne, afin d'expliquer aux voyageurs curieux les irrégularités et les différences d'aspect que présentent ces défenses dont une partie date de la domination romaine et visigothe et qui ont été successivement modifiées et restaurées, pendant les XIIe  et XIIIe siècles, par les vicomtes et par le roi de France.

Quand on se présente devant la cité de Carcassonne, on est tout d'abord frappé de l'aspect grandiose et sévère de ces tours brunes si diverses de dimensions, de forme, et qui suivent, ainsi que les hautes courtines qui les réunissent, les mouvements du terrain pour obtenir un commandement sur la campagne et profiter autant que possible des avantages naturels offerts par les escarpements du plateau, au bord duquel on les a élevées. Du côté oriental est ouverte l'entrée principale, la seule accessible aux charrois, c'est la porte Narbonnaise défendue par un fossé et une barbacane garnie de meurtrières et d'un crénelage avec chemin de ronde. L'entrée est biaise, de façon à masquer la porte de l'ouvrage principal. Un châtelet, qui peut être isolé de la barbacane, la précède, à cheval sur le pont qui était composé de deux tabliers mobiles en bois, dont les tourillons sont encore à leur place. Cette barbacane et le châtelet sont ouverts à la gorge afin d'être battus par les défenses supérieures de la porte Narbonnaise, si ces premiers ouvrages tombaient au pouvoir de l'ennemi.

Du côté extérieur, les deux grosses tours entre lesquelles est ouverte la porte, sont renforcées par des becs, sortes d'éperons destinés à éloigner l'assaillant du point tangent le plus attaquable, de le forcer de se démasquer, à faire dévier le bélier (bosson en langue d'Oïl), ou à présenter une plus forte épaisseur de maçonnerie à la mine.

L'entrée était d'abord fermée par une chaîne dont les attaches sont encore à leur place et qui était destinée à empêcher des chevaux lancés d'entrer dans la ville. Un machicoulis protège la première herse et la première porte en bois avec barres; dans la voûte est percé un second machicoulis, puis on trouve un troisième machicoulis devant la seconde herse. Il n'était donc pas facile de franchir tous ces obstacles. Mais cette entrée était défendue d'une manière plus efficace encore en temps de guerre.

Au-dessus de l'arc de la porte, des deux côtés de la niche occupée par la statue de la Vierge, se voient, sur les flancs de chacune des deux tours, trois entailles proprement faites; les deux voisines de l'angle sont coupées carrément et d'une profondeur de 0,20m, la troisième est coupée en biseau comme pour recevoir le pied d'un lien de bois ou d'un chevron incliné. Au-dessus de la niche de la Vierge on remarque trois autres trous carrés profonds, destinés à recevoir des pièces de bois formant une forte saillie. Ces trous recevaient, en effet, les pièces de bois d'un auvent formant une saillie prononcée au-dessus de la porte, protégeant la niche et les gens de garde à l'entrée de la ville.

Cet auvent subsistait en temps de paix; en temps de guerre il servait de machicoulis. A l,30m au-dessus du faîtage de cet auvent on voit encore, sur les flancs des deux tours, de chaque côté, quatre entailles ou trous carrés au même niveau, les trois premiers au-dessus de ceux servant de points d'appui aux chevrons de l'auvent et le quatrième à 0m,60 en avant. Là était établi le plancher du deuxième machicoulis. Une cinquième entaille, faite entre les deux dernières et un peu au-dessus, servait de garde pour recevoir le madrier mobile destiné à protéger les assiégés contre les projectiles lancés du dehors de bas en haut et maintenait, par un système de décharges, tout cet étage supérieur en l'empêchant de basculer. On ne pouvait communiquer des tours à ces mâchicoulis extérieurs que par une ouverture pratiquée au deuxième étage et par des échelles, de façon à isoler ces machicoulis dans le cas où les assaillants s'en seraient emparés. Ces ouvrages de bois étaient protégés par des mantelets percés de meurtrières. L'assaillant, pour pouvoir s'approcher de la première herse, devait donc affronter une pluie de traits et les projectiles jetés de trois machicoulis, deux posés en temps de guerre et un dernier tenant à la construction elle-même. Ce n'est pas tout: le sommet des tours était garni de hourds en charpente que l'on posait également en temps de guerre[1] Les trous destinés au passage des solives en bascule qui supportaient ces hourds sont tous intacts et disposés de telle sorte que, du dedans, on pouvait, en très-peu de temps, établir ces ouvrages de bois dont la couverture se reliait à celle des combles à demeure. En effet, on conçoit facilement qu'avec le système de créneaux et de meurtrières pratiqués dans les couronnements de pierre, il était impossible d'empêcher des assaillants nombreux et hardis, protégés par des pavois et même par des chats (sortes de chariots recouverts de madriers et de peaux) de saper le pied des tours, puisque des meurtrières, malgré la forte inclinaison de leur coupe, il est impossible de voir le pied des tours ou courtines, et que, par les créneaux, à moins de sortir la moitié du corps en dehors de leur ventrière, on ne pouvait non plus viser un objet placé au pied de l'escarpe. Il fallait donc établir une défense continue, couverte et permettant à un grand nombre de défenseurs de battre le pied de la muraille ou des tours par le jet de pierres ou de projectiles de toute nature.

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Fig 3


La coupe ci-contre (fig. 3), faite sur l'axe de la porte Narbonnaise, explique les dispositions que nous venons d'indiquer.

Non-seulement les hourds remplissaient cet objet, mais ils laissaient aux défenseurs toute la liberté de leurs mouvements, les chemins de rondes au dedans des crénelages étant réservés à l'approvisionnement des projectiles et à la circulation.

D'ailleurs si ces hourds étaient percés, outre le machicoulis continu, de meurtrières, les meurtrières pratiquées dans les merlons de pierre restaient démasquées dans leur partie inférieure et permettaient aux arbalétriers postés au dedans du parapet sur ce chemin de ronde de lancer des traits sur les assaillants. La défense était donc aussi active que possible et le manque de projectiles devait seul laisser quelque répit à l'attaque.

On ne doit donc pas s'étonner si, pendant des siéges mémorables, après une défense prolongée, les assiégés en étaient réduits à découvrir leurs maisons, à démolir les murs de clôture des jardins, à dépaver les rues, pour garnir es hourds de projectiles et forcer les assaillants à s’éloigner du pied des tours et murailles.

D'un autre côté, les assiégeants cherchaient à mettre le feu à ces hourds de bois qui rendaient le travail des sapeurs impossible ou à les briser à l'aide des pierres lancées par les mangonneaux ou les trébuchets. Et cela ne devait pas être très-difficile, surtout lorsque les murailles n'étaient pas fort élevées. Aussi, dès la fin du XIIIe siècle, on se mit à garnir les murailles et tours de machicoulis de pierre portés sur des consoles, ainsi qu'on peut le voir à Beaucaire, à Avignon et dans tous les châteaux forts ou enceintes des XIVe et XVe  siècles[2].

A Carcassonne, le machicoulis de pierre n'apparaît nulle part, et partout, au contraire, on trouve les trous des hourds de bois dans les fortifications du château, qui datent du commencement du XIIe siècle, aussi bien que dans les ouvrages de Louis IX et de Philippe le Hardi.

Au XIIIe siècle, la montagne Noire et les rampes des Pyrénées étaient couvertes de forêts; on a donc pu faire grand usage de ces matériaux si communs alors dans les environs de Carcassonne.

Les couronnements des deux enceintes de la cité, courtines et tours, sont tous percés de ces trous carrés traversant à distances égales le pied des parapets au niveau des chemins de ronde. Les étages supérieurs des tours et de larges hangars établis en dedans des courtines, comme nous le dirons tout à l'heure, servaient à approvisionner ces bois qui devaient toujours être disponibles pour mettre la ville en état de défense.

En temps ordinaire les couronnements de pierre pouvaient suffire, et l'on voit encore comment, dans les étages supérieurs des tours, les créneaux étaient garnis de volets à rouleaux : sortes de sabords, manœuvrant sur un axe de bois posé sur deux crochets en fer; volets qui permettaient de voir le pied des murailles sans se découvrir et qui garantissaient les postes des étages supérieurs contre le vent et la pluie. Les volets inférieurs s'enlevaient facilement lorsqu'on établissait les hourds, car alors les créneaux servaient de communication entre ces hourds et les chemins de ronde ou planchers intérieurs.

 

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 Fig 4.


Notre figure k explique la disposition de ces volets. La partie supérieure pivotant sur deux gonds fixes demeurait, la partie inférieure était enlevée lorsqu'on posait les hourds.

Mais revenons à la porte Narbonnaise. Outre la chaîne A (fig. 3), derrière le premier arc plein cintre de l'entrée et entre celui-ci et le deuxième, est ménagé un machicoulis B par lequel on jetait les projectiles de droite et de gauche sur les assaillants qui tentaient de briser la première herse C, Les réduits dans lesquels se tenaient les défenseurs sont défilés par un épais garde-fou de pierres. Le mécanisme des herses est parfaitement compréhensible encore aujourd'hui. Dans la salle qui est au-dessus de l'entrée, on aperçoit, dans les deux pieds-droits de la coulisse de cette première herse, les entailles inclinées dans lesquelles s'engageaient les deux jambettes du treuil tracé sur notre coupe, et les scellements des brides en fer qui maintenaient le sommet de ces jambettes ; au niveau du sol, les deux trous destinés à recevoir les cales sur lesquelles reposait la herse une fois levée; sous l'arc, au sommet du tympan, le trou profond qui recevait la suspension des poulies destinées au jeu des contre-poids et de la chaîne s'enroulant sur le treuil.

Derrière la herse était une porte épaisse à deux vantaux D roulant sur des crapaudines inférieures et des pivots fixés dans un linteau de bois dont les scellements sont intacts. Ces vantaux étaient fortement unis par une barre qui se logeait dans une entaille réservée dans le parement du mur de droite lorsque la porte était ouverte, et par deux autres barres de bois entrant dans des entailles pratiquées dans les deux murs du couloir.

Si l'on pénètre au milieu du passage, on voit dans la voûte s'ouvrir un large trou carré E qui communique avec la salle du premier étage. La grande dimension de ce trou s'explique par la nécessité où se trouvait l'assiégé de pouvoir lancer des projectiles non-seulement au milieu, mais aussi contre les parois du passage. La voûte du premier étage est également percée d'un trou carré 1, mais plus petit, de sorte que du deuxième étage on pouvait écraser les assaillants qui se seraient emparés de la salle au-dessous ou donner des ordres aux hommes qui l'occupaient.

Des deux côtés de ce large machicoulis, au premier étage, il existe deux réduits profonds qui pouvaient servir de refuge et défiler les défenseurs dans le cas où les assaillants, maîtres du passage, auraient décoché des traits de bas en haut. La largeur de ce machicoulis permettait encore de jeter sur l'assiégeant des fascines embrasées, et les réduits garantissaient ainsi les défenseurs contre la flamme et la fumée en leur laissant le moyen d'alimenter le feu. Des meurtrières latérales percées dans le passage, au niveau du sol, en E, permettaient aux arbalétriers postés dans les salles du rez-de-chaussée des deux tours d'envoyer à bout portant des carreaux aux gens qui oseraient s'aventurer entre les deux herses.

De même que devant la herse extérieure C, il existe dans la salle du premier étage un deuxième machicoulis oblong F destiné à protéger la seconde herse G. Ce machicoulis se fermait, ainsi que l'ouverture pratiquée dans le milieu de la voûte du passage, par une trappe dont la feuillure et l'encastrement ménagé dans le mur existent encore. Au moyen d'une petite fenêtre qui éclairait la salle du premier étage, les assiégés, du dedans, pouvaient communiquer des ordres à ceux qui servaient la herse sur le chemin de ronde pratiqué au-dessus de la seconde porte H. Cette seconde herse manœuvrait sous un arc réservé à cet effet; son treuil était en outre protégé par un auvent P maintenu par de forts crochets de fer qui sont encore scellés dans la muraille. Tout le jeu de cette herse est encore visible; ses ferrures sont en place: la herse seule manque.

Les deux tours qui flanquent cette entrée sont distribuées de la même manière. Elles comprennent : un étage de caves creusées au-dessous du sol, un rez-de-chaussée percé de meurtrières et voûté avec quatre escaliers pour communiquer au premier étage; un premier étage, également voûté, percé de meurtrières et muni de deux cheminées et de deux fours. Deux des escaliers seulement continuent jusqu'à l'étage supérieur. Les deux autres n'aboutissent pas et peuvent tromper ainsi les gens qui ne connaîtraient pas les lieux. Un deuxième étage couvert autrefois par un plancher portant sur le bord du chemin de ronde. Ce deuxième étage est percé, du côté de la ville, de riches fenêtres ogivales à meneaux 0 qui ne s'ouvraient que dans la partie inférieure par des volets, tandis que les compartiments de l'ogive était vitrée à demeure; ces fenêtres étaient fortement grillées à l'extérieur. Un troisième étage crénelé recevait la charpente des combles. Cette charpente est divisée en trois pavillons, deux sur les deux tours et un pavillon intermédiaire au-dessus de la porte. Lors de la construction première, rétablie aujourd'hui, ces trois pavillons, aux points de leur rencontre, étaient portés par des poutres entrant dans des entailles pratiquées dans l'assise de la corniche; soit que ces poutres aient fléchi, soit que les eaux des chéneaux mal entretenus les eussent pourries, au XVe siècle, ces combles furent réparés, et, pour les porter, on établit deux grands arcs qui s'arrangeaient fort mal avec la construction du XIIIe siècle, puisque l'un d'eux venait buter dans un des créneaux M et le boucher. Des chéneaux en pierre furent posés sur ces arcs et reçurent les pieds du chevron des toitures aux points de leur jonction. Des gargouilles saillantes rejetaient les eaux des chéneaux du côté de la campagne. Ces arcs, qui poussaient en dehors le grand mur élevé du côté de la ville, ont dû être enlevés.

Le chemin de ronde de la courtine n'est pas interrompu par la porte Narbonnaise suivant le système ordinaire adopté dans les défenses de cette époque. Il passe du côté de la ville, au-dessus de la porte, et relie les deux courtines de façon cependant à n'être en communication avec la ville que par les escaliers intérieurs des tours et par une seule baie fermée autrefois par deux épais vantaux ferrés. L'escalier actuel, qui donne accès à ce chemin de ronde, est moderne et a été élevé par le génie militaire.

Habituellement, les tours de l'enceinte intérieure et même de l'enceinte extérieure interrompent les chemins de ronde; de sorte que si l'assaillant parvenait à s'emparer d'une courtine, il se trouvait pris entre deux tours, et, à moins de les forcer les unes après les autres, il lui devenait impossible de circuler librement sur les remparts ; d'autant que les escaliers qui mettent directement en communication les chemins de ronde avec le terre-plein du côté de la ville, sont très-rares et qu'on ne peut monter sur ces chemins de ronde qu'en passant par les escaliers pratiqués dans les tours. Chaque tour était ainsi un réduit séparé, indépendant, qu'il fallait forcer. Les portes qui mettent les tours en communication avec les chemins de ronde sont étroites, bien ferrées, barrées à l'intérieur, de sorte qu'en un instant on pouvait fermer le vantail et le barricader en tirant rapidement la barre de bois, logée dans la muraille, avant même de prendre le temps de pousser les verrous et de donner un tour de clef à la serrure. L'examen attentif de ces défenses fait ressortir le soin apporté par les ingénieurs de ce temps contre les surprises. Toutes sortes de précautions ont été prises pour arrêter l'ennemi et l'embarrasser à chaque pas par des dispositions imprévues. Evidemment, un siége à cette époque n'était réellement sérieux pour l'assiégé, comme pour l'assaillant, que quand on en était venu à se prendre, pour ainsi dire, corps à corps. Une garnison aguerrie pouvait lutter avec des chances de succès jusque dans ses dernières défenses. L'ennemi entrait dans la ville par escalade on par une brèche, sans que pour cela la garnison se rendît; car alors, celle-ci renfermée dans les tours qui, je le répète, sont autant de réduits indépendants, pouvait se défendre encore; il fallait forcer des portes barricadées. Prenait-on le rez-de-chaussée d'une tour, les étages supérieurs conservaient les moyens de reprendre l'offensive et d'écraser l'ennemi. On voit que tout était calculé pour une lutte possible pied à pied. Les escaliers à vis étaient facilement barricadés de manière à rendre vains les efforts de l'assiégeant pour arriver aux étages supérieurs.

Les bourgeois d'une place eussent-ils voulu capituler, que la garnison se gardait contre eux et leur interdisait l'accès des tours et des courtines. C'est un système de défiance adopté envers et contre tous.

Les machines de jet, les engins dont les assaillants disposaient à cette époque pour battre du dehors des murailles, comme celles de la cité de Carcassonne, ne pouvaient produire qu'un effet très-médiocre, vu la solidité des ouvrages et l'épaisseur des merlons; car l'artillerie à feu seule pourrait les entamer. Restaient la sape, la mine, le bélier et tous les engins qui obligeaient l'assaillant à se porter au pied même des défenses. Or il était difficile de se loger et de saper sous ces hourds puissants qui vomissaient des projectiles. La mine n'était guère efficace ici, car toutes les murailles et tours sont assises sur le roc.

On ne doit pas être surpris si, dans ces temps éloignés de nous, certains siéges se prolongeaient indéfiniment. La cité de Carcassonne était, à la fin du XIIIe siècle, avec sa double enceinte et les dispositions ingénieuses de la défense, une place imprenable qu'on ne pouvait réduire que par la famine, et encore eût-il fallu, pour la bloquer, une armée nombreuse, car il était aisé à la garnison de garder les bords de l'Aude, au moyen de la grande barbacane (n° 8 du plan, fig. 16) qui permettait de faire des sorties avec des forces imposantes et de culbuter les assiégeants dans le fleuve.

En examinant le plan général, nous voyons en bas de l'escarpement de la cité, devant les tours 11 et 12 à l'ouest, une muraille qui défendait le faubourg de la Barbacane. Cette muraille date du XIIIe siècle, et elle fut certainement élevée pour empêcher l'ennemi de se loger, comme l'avait fait Trincavel, entre l'Aude et la cité. Cette muraille est à portée d'arbalète des tours 11, 12 et 40 et est commandée par celles-ci. Il était donc fort difficile d'arriver, en descendant la rive droite de l'Aude, jusqu'à la barbacane, malgré la garnison de la cité.

Les remparts et les tours présentent surtout un aspect formidable sur les points de l'enceinte où les approches sont relativement faciles, où des escarpements naturels ne viennent pas opposer un obstacle puissant à l'assaillant. Du côté du nord-est, de l'est et du sud, là où le plateau qui sert d'assiette à la cité est à peu près de plain-pied avec la campagne, de larges fossés protègent la première enceinte. Il est vraisemblable que les extrémités de ces fossés, ainsi que les avancées des portes, étaient défendues par des palissades extérieures, suivant les habitudes de l'époque. Ces palissades étaient munies de barrières ouvrantes.

En s'avançant dans les lices[3], entre les deux enceintes, la première tour que l'on rencontre à droite, à la suite de la porte Narbonnaise, est la tour n°21, dite du Treshaut, ou du Trésau, de Tressan, du Trésor ou de la Cendrino. Cette construction est un magnifique ouvrage de la fin du XIIIe siècle, contemporain de la porte Narbonnaise. Elle domine toute la campagne, la ville, et joignant presque l'enceinte extérieure, elle commandait le plateau, la barbacane de la porte Narbonnaise et empêchait l'ennemi de s'étendre du côté du nord dans les lices le long desquelles s'élèvent les tours visigothes.

La tour du Trésau, outre ses caves, renferme quatre étages dont deux sont voûtés.

L'étage inférieur est creusé au-dessous du terre-plein de la ville. Le deuxième étage est presque de plain-pied avec le sol intérieur de la ville. Le troisième étage était couvert par un plancher et le quatrième, sous comble, au niveau du chemin de ronde du crénelage.

Le chemin de ronde des courtines passe derrière le pignon de la tour, mais n'a aucune communication avec les salles intérieures.

Du côté de la ville, la partie supérieure de la tour est terminée par un pignon crénelé avec escaliers rampants le long du comble. Deux tourelles carrées, munies d'escaliers et crénelées à leur partie supérieure, épaulent le pignon et servaient de tours de guet, car elles sont, de ce côté, le point le plus élevé des défenses.

En temps de paix, le crénelage de la tour du Trésau n'était pas couvert. Le comble porte sur un mur intérieur. Les gargouilles qui existent encore à l'extérieur indiquent d'une manière certaine que le chemin de ronde supérieur était à ciel ouvert. En temps de guerre, les toitures des hourds couvraient ces chemins de ronde ainsi que les hourds eux-mêmes.

Un seul escalier à vis dessert les quatre étages et toutes les issues étaient garnies de portes fortement ferrées. Le deuxième étage au-dessus des caves contient une petite chambre ou réduit éclairé par une fenêtre, destiné au capitaine, une grande cheminée et des latrines; cet étage et le rez-de-chaussée sont percés de nombreuses meurtrières s'ouvrant sous de grandes arcades munies de bancs de pierre. Les meurtrières ne sont pas percées les unes au-dessus des autres, mais chevauchées, ou vides sur pleins, afin de battre tous les points de la circonférence de la tour. Ce principe est généralement suivi dans les tours de l'enceinte intérieure et, sans exception, dans les tours de l'enceinte extérieure où les meurtrières jouent un rôle important. En effet, les meurtrières percées dans les étages des tours ne pouvaient servir que lorsque l'ennemi était encore éloigné des remparts; on conçoit dès lors qu'elles aient été pratiquées plus nombreuses et disposées avec plus de méthode dans les tours de l'enceinte extérieure.

Les courtines qui accompagnent la tour du Trésau sont fort belles. Leur partie inférieure est percée de meurtrières au niveau du terre-plein de la ville, sous des arcs plein cintre avec bancs de pierre et leurs nierions, larges, épais, sont bien construits.

Le parement intérieur des merlons entre la tour Narbonnaise et la tour du Trésau n'est pas vertical, mais élevé en fruit. La disposition des hourds explique l'utilité de cette inclinaison du parement intérieur des merlons.

Sur ce point de la défense — l'un des plus attaquables, à cause du plateau qui s'étend de plain-pied devant la porte Narbonnaise — les courtines intérieures devaient être munies de ces hourds doubles dont il est fait parfois mention dans les chroniqueurs du XIIIe siècle[4].

La figure 5 explique, dans le cas actuel, la disposition de ces doubles hourds. Ainsi que nous venons de le dire, les merlons ayant leur parement intérieur en fruit sur le chemin de ronde A, leur base est traversée au niveau de ce chemin de ronde par des trous de hourds de 0m,30 de côté, régulièrement espacés. Sur le parement du chemin de ronde, du côté de la ville, est une retraite continue B. Les hourds doubles étaient donc ainsi disposés : de cinq pieds en cinq pieds passaient, par les trous des hourds, de fortes solives C, sur l'extrémité desquelles, à l'extérieur, s'élevait le poteau incliné D, avec des contre-poteaux E, formant la rainure pour le passage des madriers de garde. Des moises doubles J pinçaient ce poteau D, reposaient sur la longrine F, mordaient les trois poteaux G, H, I, celui G étant appuyé sur le parement incliné du merlon, et venaient saisir le poteau postérieur K également incliné. Un second rang de moises, posé en L à l,80 m du premier rang, formait l'enrayure des arbalétriers M du comble. En N un mâchicoulis était réservé le long du parement extérieur de la courtine. Ce mâchicoulis était servi par des hommes placés en 0, sur le chemin de ronde, au droit de chaque créneau muni d'une ventrière P. Les archers et arbalétriers du hourd inférieur étaient postés en R et n'avaient pas à se préoccuper de servir ce premier mâchicoulis.

 

La_cite_de_Carcassonne_Aude_05.jpgFig 5.


Le deuxième hourd possédait un mâchicoulis en S. Les approvisionnements de projectiles se faisaient en dedans de la ville par les guindés T. Des escaliers Q, disposés de distance en distance, mettaient les deux hourds en communication. De cette manière, il était possible d'amasser une quantité considérable de pierres en V, sans gêner la circulation sur les chemins de ronde ni les arbalétriers à leur poste. En X, on voit, de face, à l'extérieur, la charpente du hourdage dépourvue de ses madriers de garde, et en Y, cette charpente garnie. Par les meurtrières et mâchicoulis, on pouvait lancer ainsi sur l'assaillant un nombre prodigieux de projectiles. Comme toujours, les meurtrières U, percées dans les merlons, dégageaient au-dessous des hourds et permettaient à un deuxième rang d'arbalétriers postés entre les fermes, sur le chemin de ronde, de viser l'ennemi.

On conçoit que l'inclinaison des madriers de garde était très-favorable au tir. Elle permettait, de plus, de faire surplomber le deuxième mâchicoulis S en dehors du hourdage inférieur.

La dépense que nécessitaient des charpentes aussi considérables ne permettait guère de les établir que dans des circonstances exceptionnelles, sur des points mal défendus par la nature.

La courtine qui relie la tour du Trésau à la porte Narbonnaise possède un petit puits et une échauguette flanquante destinée à battre l'intervalle entre la barbacane et cette porte.

De la tour du Trésau, en se dirigeant vers le nord, on longe une grande partie de l'enceinte des Visigoths. A voir le désordre de ces anciennes constructions, on doit admettre qu'elles ont été bouleversées par un siége terrible; on a peine à comprendre comment on a pu, avec les moyens dont on disposait alors, renverser des pans de murs d'une épaisseur considérable, faire pencher ces tours dont toute la partie inférieure ne présente qu'une masse de maçonnerie. Il semblerait que la poudre à canon peut seule causer des désordres aussi graves, et cependant le siége pendant lequel une partie considérable de ces remparts a été renversée est antérieur au XIIe  siècle, puisque, sur ces débris, on voit s'élever des constructions identiques avec celles du château, ou datant du XIIIe siècle.



[1] On a vu que le sénéchal Guillaume des Ormes se félicite d'avoir pu reprendre le faubourg de Graveillant, dans lequel se trouvait une provision de bois qui fut très-utile aux assiégés.

[2] Au château de Coucy, bâti au commencement du XIIIe siècle, on voit naître les mâchicoulis de pierre destinés à remplacer les hourds de bois. Là, ce sont déjà de grandes consoles de pierre qui portaient le hourd de bois.

[3] Lices, espace compris entre les deux enceintes d'une place.

[4] A Toulouse, assiégé par Simon de Montfort, les habitants augmentent sans cesse les défenses de la ville:

« E parec ben a lobra e als autres mestiers
« Que de dins et defora ac aitans del obriers
« Que garniron la vila els portais els terriers,
« Els murs e las bertrescas els cadafalcs dobliers
« Els fossatz e las lissas els pons els escaliers
« E lains en Toloza ac aitans carpentiers. »

Ces cadafales dobliers sont des hourds doubles. Voyez Poème de la Croisade contre les Albigeois, Collection dos documents inédits de l’Hist, de France.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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LA CITÉ DE  CARCASSONNE.

 

EUGÈNE-EMMANUEL VIOLLET LE DUC.

 

HISTORIQUE

 

Vers l'an 636 de Rome, le Sénat, sur l'avis de Lucius Crassus, ayant décidé qu'une colonie romaine serait établie à Narbonne, la lisière des Pyrénées fut bientôt munie de postes importants afin de conserver les passages en Espagne et de défendre le cours des rivières. Les peuples Volces Tectosages n'ayant pas opposé de résistance aux armées romaines, la République accorda aux habitants de Carcassonne, de Lodève, de Nîmes, de Pézenas et de Toulouse la faculté de se gouverner suivant leurs lois et sous leurs magistrats. L'an 70 avant J.-C, Carcassonne fut placée au nombre des cités nobles ou élues. On ne sait quelle fut la destinée de Carcassonne depuis cette époque jusqu'au ive siècle. Elle jouit, comme toutes les villes de la Gaule méridionale, d'une paix profonde; mais après les désastres de l'Empire, elle ne fut plus considérée que comme une citadelle (castellum). En 350 les Francs s'en emparèrent, mais peu après les Romains y rentrèrent.

En 407, les Goths pénétrèrent dans la Narbonnaise première, ravagèrent cette province, passèrent en Espagne, et, en 436, Théodoric, roi des Visigoths, s'empara de Carcassonne. Par le traité de paix qu'il conclut avec l'Empire en 439, il demeura possesseur de cette ville, de tout son territoire et de la Novempopulanie, située à l'ouest de Toulouse.

C'est pendant cette domination des Visigoths que fut bâtie l'enceinte intérieure de la cité sur les débris des fortifications romaines. En effet, la plupart des tours visigothes encore debout sont assises sur des substructions romaines qui semblent avoir été élevées hâtivement, probablement au moment des invasions franques. Les bases des tours visigothes sont carrées ou ont été grossièrement arrondies pour recevoir les défenses du Vième siècle.

Du côté méridional de l'enceinte on remarque des soubassements de tours élevées au moyen de blocs énormes, posés à joints vifs et qui appartiennent certainement à l'époque de la décadence de l'Empire.

Quoi qu'il en soit, il est encore facile aujourd'hui de suivre toute l'enceinte des Visigoths (voir le plan général, fig. 16[1]). Cette enceinte affectait une forme ovale avec une légère dépression sur la face occidentale, suivant la configuration du plateau sur lequel elle est bâtie. Les tours, espacées entre elles de 25 à 30 mètres environ, sont cylindriques à l'extérieur, terminées carrément du côté de la ville et réunies entre elles par de hautes courtines (fig. dj. Toute la construction visigothe est élevée par assises de petits moellons de 0m,10 à 0,n,12 de hauteur environ, avec rangs de grandes briques alternées. De larges baies en plein cintre sont ouvertes dans la partie cylindrique de ces tours, du côté de la campagne, un peu au-dessus du terre-plein de la ville; elles étaient garnies de volets de bois à pivots horizontaux et tenaient lieu de meurtrières. Le couronnement de ces tours consistait en un crénelage couvert. Des chemins de ronde des courtines on communiquait aux tours par des portes dont les linteaux en arcs surbaissés étaient soulagés par un arc plein cintre en brique. Un escalier de bois mettait à l'intérieur l'étage inférieur en communication avec le crénelage supérieur qui était ouvert du côté de la ville par une arcade percée dans le pignon.

 

La_cite_de_Carcassonne_Aude_01.jpg

Fig. 1.

Malgré les modifications apportées au système de défense de ces tours, pendant les XIIe et XIIIe siècles, on retrouve toutes les traces des constructions des Visigoths. Jusqu'au niveau du sol des chemins de ronde des courtines, ces tours sont entièrement pleines et présentent ainsi un massif puissant propre à résister à la sape et aux béliers.

Les Visigoths, entre tous les peuples barbares qui envahirent l'Occident, furent ceux qui s'approprièrent le plus promptement les restes des arts romains, au moins en ce qui regarde les constructions militaires et, en effet, ces défenses de Carcassonne ne diffèrent pas de celles appliquées à la fin de l'Empire en Italie et dans les Gaules. Ils comprirent l'importance de la situation de Carcassonne, et ils en firent le centre de leurs possessions dans la Narbonnaise.

Le plateau sur lequel est assise la cité de Carcassonne commande la vallée de l'Aude, qui coule au pied de ce plateau, et par conséquent la route naturelle de Narbonne à Toulouse. Il s'élève entre la montagne Noire et les versants des Pyrénées, précisément au sommet de l'angle que forme la rivière de l'Aude en quittant ces versants abrupts, pour se détourner vers l'est. Carcassonne se trouve ainsi à cheval sur la seule vallée qui conduise de la Méditerranée à l'Océan et à l’entrée des défilés qui pénètrent en Espagne par Limoux, Alet, Quillan, Mont-Louis, Livia, Puicerda ou Campredon. L'assiette était donc parfaitement choisie et elle avait été déjà prise par les Romains qui, avant les Visigoths, voulaient se ménager tous les passages de la Narbonnaise en Espagne.

Mais les Romains trouvaient par Narbonne une route plus courte et plus facile pour entrer en Espagne et ils n'avaient fait de Carcassonne qu'une citadelle, qu'un castellum, tandis que les Visigoths, s'établissant dans le pays après de longs efforts, durent préférer un lieu défendu déjà par la nature, situé au centre de leurs possessions de ce côté-ci des Pyrénées, à une ville comme Narbonne, assise en pays plat, difficile à défendre et à garder. Les événements prouvèrent qu'ils ne s'étaient point trompés; en effet, Carcassonne fut leur dernier refuge lorsqu'à leur tour ils furent en guerre avec les Francs et les Bourguignons.

En 508, Clovis mit le siège devant Carcassonne et fut obligé de lever son camp sans avoir pu s'emparer de la ville.

En 588, la cité ouvrit ses portes à Austrovalde, duc de Toulouse, pour le roi Gontran; mais peu après, l'armée française ayant été défaite par Claude, duc de Lusitanie, Carcassonne rentra au pouvoir de Reccarède, roi des Visigoths.

Ce fut en 713 que finit ce royaume; les Maures d’Espagne[2] devinrent alors possesseurs de la Septimanie. On ne peut se livrer qu'à de vagues conjectures sur ce qu'il advint de Carcassonne pendant quatre siècles; entre la domination des Visigoths et le commencement du XIIe siècle, on ne trouve pas de traces appréciables de constructions dans la cité, non plus que sur ses remparts. Mais, à dater de la fin du XIe siècle, des travaux importants furent entrepris sur plusieurs points. En 1096, le pape Urbain II vint à Carcassonne pour rétablir la paix entre Bernard Aton et les bourgeois qui s'étaient révoltés contre lui et il bénit l'église cathédrale (Saint-Nazaire), ainsi que les matériaux préparés pour l'achever. C'est à, cette époque en effet que l'on peut faire remonter la construction de la nef de cette église.

Sous Bernard Aton, la bourgeoisie de Carcassonne s'était constituée en milice et il ne paraît pas que la concorde régnât entre ce seigneur et ses vassaux, car ceux-ci battus par les troupes d'Alphonse, comte de Toulouse, venu en aide à Bernard, furent obligés de se soumettre et de se cautionner. Les biens des principaux révoltés furent confisqués au profit du petit nombre des vassaux restés fidèles, et Bernard Aton donna en fief à ces derniers les tours et les maisons de Carcassonne, à la condition, dit Dom Vaissette : « de faire le guet et de garder la ville, les uns pendant quatre, les autres pendant huit mois de l'année et d'y résider avec leurs familles et leurs vassaux durant tout ce temps-là. Ces gentilshommes, qui se qualifiaient de châtelains de Carcassonne, promirent par serment au vicomte de garder fidèlement la ville. Bernard Aton leur accorda divers priviléges, et ils s'engagèrent à leur tour à lui faire hommage et à lui prêter serment de fidélité. C'est ce qui a donné l'origine, à ce qu'il paraît, aux mortes-payes de la cité de Carcassonne, qui sont des bourgeois, lesquels ont encore la garde et jouissent pour cela de diverses prérogatives. »

Ce fut probablement sous le vicomte Bernard Aton ou, au plus tard, sous Roger III, vers 1130, que le château fut élevé et les murailles des Visigoths réparées. Les tours du château, par leur construction et les quelques sculptures qui décorent les chapiteaux des colonnettes de marbre servant de meneaux aux fenêtres géminées, appartiennent certainement à la première moitié du xne siècle. En parcourant l'enceinte intérieure de la cité, ainsi que le château, on peut facilement reconnaître les parties des bâtisses qui datent de cette époque; leurs parements sont élevés en grès jaunâtre et par assises de 0m,l5à 0m,25 de hauteur, sur 0m,20 à 0,n,30 de largeur, et grossièrement appareillés.

Le 1er août 1209, le siége fut mis devant Carcassonne par l'armée des croisés, commandée par le célèbre Simon de Montfort. Le vicomte Roger avait fait augmenter les défenses de la cité et celle des deux faubourgs de la Trivalle et de Graveillant, situés entre la ville et l'Aude, ainsi que vers la route de Narbonne.

Les défenseurs, après avoir perdu les faubourgs, manquant d'eau, furent obligés de capituler. Le siége entrepris par l'armée des croisés ne dura que du 1er au 15 août, jour de la reddition de la place. On ne peut admettre que pendant ce court espace de temps les assiégeants aient pu exécuter les travaux de mine ou de sape qui ruinèrent une partie des murailles et tours des Visigoths; d'autant qu'il existe des reprises faites pendant le XIIe siècle pour consolider et surélever les tours visigothes qui avaient été fort compromises par la sape et la mine.

Il faut donc admettre que les travaux de siége et les brèches dont on signale la trace, notamment sur le côté nord, sont dus aux Maures d'Espagne, lorsqu'ils conquirent ce dernier boulevard des rois visigoths. Bernard Aton ne peut être, non plus, l'auteur de ces travaux de mine, car le traité qui lui rendit la cité occupée par ses sujets révoltés n'indique pas qu'il ait eu à faire un long siége et que les défenseurs fussent réduits aux dernières extrémités.

Le vicomte Raymond Roger, au mépris des traités et de la capitulation qui rendait la cité de Carcassonne aux croisés, était mort en prison dans une des tours en novembre 1209. Depuis lors, Raymond de Trincavel, son fils, avait été dépouillé, en 1226, par Louis VIII de tous ses biens reconquis sur les croisés. Carcassonne alors fit partie du domaine royal, et un sénéchal y commandait pour le roi de France.

En 1240, ce jeune vicomte Raymond de Trincavel, dernier des vicomtes de Béziers, et qui avait été remis en 1209 aux mains du comte de Foix (il était alors âgé de deux ans), se présente tout à coup dans les diocèses de Narbonne et de Carcassonne avec un corps de troupes de Catalogne et d'Aragon. Il s'empare, sans se heurter à une sérieuse résistance, des châteaux de Montréal, des villes de Montolieu, de Saissac, de Limoux, d'Azillan, de Laurens et se présente devant Carcassonne.

Il existe deux récits du siége de Carcassonne entrepris par le jeune vicomte Raymond en 1240, écrits par des témoins oculaires: celui de Guillaume de Puy-Laurens, inquisiteur pour la Foi dans le pays de Toulouse et celui du sénéchal Guillaume des Ormes, qui tenait la ville pour le roi de France. Ce dernier récit est un rapport, sous forme de journal, adressé à la reine Blanche, mère de Louis IX.

Cette pièce importante nous explique toutes les dispositions de l'attaque et de la défense[3]. A l'époque de ce siége, les remparts de Carcassonne n'avaient ni l'étendue ni la force qui leur furent données depuis par Louis IX et Philippe le Hardi. Les restes encore très-apparents de l'enceinte des Visigoths, réparée au XIIe siècle, et les fouilles entreprises en ces derniers temps, permettent de tracer exactement les défenses existant au moment où le vicomte Raymond de Trincavel prétendit les forcer.

Nous donnons ci-après, figure 2, le plan de ces défenses, avec les faubourgs y attenant, les barbacanes et le cours de l'Aude.

L'armée de Trincavel investit la place le 17 septembre 1240, et s'empare du faubourg de Graveillant, qui est aussitôt repris par les assiégés. Ce faubourg, dit le Rapport, est ante portam Tolosœ. Or la porte de Toulouse n'est autre que la porte dite de l’Aude aujourd'hui, laquelle est une construction romane percée dans un mur visigoth, et le faubourg de Graveillant ne peut être, par conséquent, que le faubourg dit de la Barbacane. La suite du récit fait voir que cette première donnée est exacte.

Les assiégeants venaient de Limoux, c'est-à-dire du midi, ils n'avaient pas besoin de passer l'Aude devant Carcassonne pour investir la place. Un pont de pierre existait sur l'Aude. Ce pont est encore entier aujourd'hui : c'est le vieux pont dont la construction date, en partie, du xne siècle. Il ne fut que réparé et muni d'une tête de pont, sous saint Louis et sous Philippe le Hardi. Il est indiqué en P sur notre figure 2.

Raymond de Trincavel n'ignorait pas que les assiégés attendaient des secours qui ne pouvaient se jeter dans la cité qu'en traversant l'Aude, puisqu'ils devaient se présenter par le nord-ouest. Aussi le vicomte s'empara du pont, et, poursuivant son attaque le long de la rive droite du fleuve vers l'amont, il essaya de couper toute communication de l'assiégé avec la rive gauche.

Ne pouvant tout d'abord se maintenir dans le faubourg de Graveillant, en G (voir la fig. 2), il s'empare d'un moulin fortifié, M, sur un bras de l'Aude, fait filer ses troupes de ce côté, les loge dans les parties basses du faubourg, et dispose son attaque de la manière suivante : une partie des assaillants, commandés par Ollivier de Thermes, Bernard Hugon de Serre-Longue et Giraut d'Aniort, campent entre le saillant nord-ouest de la ville et la rivière, creusent des fossés de contrevallation et s'entourent de retranchements palissades.

L'autre corps, commandé par Pierre de Fenouillet, Renaud de Puy et Guillaume Fort, est logé devant la barbacane qui existait en B et celle de la porte dite Narbonnaise, en N.

En 1240, outre ces deux barbacanes, il en existait une en D[4] qui permettait de descendre du château dans le faubourg[5] et une en H faisant face au midi. La grande barbacane D servait encore à protéger la porte de Toulouse T (aujourd'hui porte de l'Aude).

Il faut observer que les seuls points où le sol extérieur soit à peu près au niveau des lices (car Guillaume des Ormes signale l'existence des lices L et par conséquent d'une enceinte extérieure), sont les points 0 et R. Quant au sol de la barbacane D du château, il était naturellement au niveau du faubourg et par conséquent fort au-dessous de l'assiette de la cité. Tout le front occidental de la cité est bâti sur un escarpement très-élevé et très-abrupt.

 

 

La_cite_de_Carcassonne_Aude_02.jpg

Fig.2

 

En reprenant tout d'abord le faubourg aux assiégeants, les défenseurs de la ville s'étaient empressés de transporter dans leur enceinte une quantité considérable de bois qui leur fut d'un grand secours; mais ils avaient dû renoncer à se maintenir dans ce faubourg.

Le vicomte fit donc attaquer en même temps la barbacane D du château pour ôter aux assiégés toute chance de reprendre l'offensive, la barbacane B (c'était d'ailleurs un saillant), la barbacane N de la porte Narbonnaise et le saillant I, au niveau du plateau qui s'étendait à 100 mètres de ce côté vers le sud-ouest.

Les assiégeants, campés entre la place et le fleuve, étaient dans une assez mauvaise position; aussi se retranchent-ils avec soin et couvrent-ils leurs fronts d'un si grand nombre d'arbalétriers que personne ne pouvait sortir de la ville sans être blessé.

Bientôt ils dressèrent un mangonneau devant la barbacane D.

Les assiégés, de leur côté, dans l'enceinte de cette barbacane, élèvent une pierrière turque qui bat le mangonneau. Pour être autant défilé que possible, le mangonneau devait être établi en E.

Peu après les assiégeants commencent à miner sous la barbacane de la porte Narbonnaise en N, en faisant partir leurs galeries de mine des maisons du faubourg qui, de ce côté, touchaient presque aux défenses.

Les mines sont étançonnées et étayées avec du bois auquel on met le feu, ce qui fait tomber une partie des défenses de la barbacane.

Mais les assiégés ont contre-miné pour arrêter les progrès des mineurs ennemis et ont remparé la moitié de la barbacane restée debout. C'est par les travaux de mine que, sur les deux points principaux de l'attaque, les gens du vicomte tentent de s'emparer de la place; ces mines sont poussées avec une grande activité; elles ne sont pas plutôt éventées que d'autres galeries sont commencées.

Les assiégeants ne se bornent pas à ces deux attaques. Pendant qu'ils battent la barbacane D du château, qu'ils ruinent la barbacane N de la porte Narbonnaise, ils cherchent à entamer une portion des lices et ils engagent une attaque très-sérieuse sur le saillant en I entre l'évêché et l'église cathédrale de Saint-Nazaire, marquée S sur notre plan.

Comme nous l'avons dit, le plateau, sur ce point, s'étendait presque de niveau avec l'intérieur de la cité de I en 0, et c'est pourquoi saint Louis et Philippe le Hardi firent, sur ce plateau, en dehors de l'ancienne enceinte visigothe, un ouvrage considérable, destiné à dominer l'escarpement.

L'attaque des troupes de Trincavel est de ce côté (point faible alors) très-vivement poussée; les mines atteignent les fondations de l'enceinte des Visigoths, le feu est mis aux étançons et dix brasses de courtines s'écroulent. Mais les assiégés se sont remparés en retraite de la brèche avec de bonnes palissades et des bretèches[6]; si bien que les troupes ennemies n'osent risquer l'assaut. Ce n'est pas tout, des galeries de mine sont aussi ouvertes devant la porte de Rodez, en B; les assiégés contre-minent et repoussent les travailleurs des assiégeants.

Cependant, des brèches étaient ouvertes sur divers points et le vicomte Raymond craignant de voir, d'un moment à l'autre, déboucher les troupes de secours envoyées du nord, se décide à tenter un assaut général. Ses gens sont repoussés avec des pertes sensibles, et, quatre jours après, sur la nouvelle de la venue de l'armée royale, il lève le siége, non sans avoir mis le feu aux églises du faubourg, et entre autres à celle des Minimes en R.

L'armée de Trincavel était restée vingt-quatre jours devant la ville.

Louis IX, attachant une grande importance à la place de Carcassonne qui couvrait cette partie du domaine royal devant l'Aragon, et prétendant ne plus avoir à redouter les conséquences d'un siége qui l'aurait mise entre les mains d'un ennemi sans cesse en éveil, voulut en faire une forteresse inexpugnable.

Il faut ajouter au récit du sénéchal Guillaume des Ormes un fait rapporté par Guillaume de Puy-Laurens. Dans la nuit du 8 au 9 septembre, les habitants du faubourg de Carcassonne (de la Trivalle; voir le plan, figure 2), malgré leur protestation de fidélité à la noblesse tenant pour le roi, avaient ouvert leurs portes aux soldats de Trincavel qui, dès lors, dirigea de ce faubourg son attaque de gauche contre la porte Narbonnaise. Saint Louis, sitôt après le siége levé, n'eut pas à détruire le bourg déjà brûlé par le vicomte Raymond, mais voulant d'une part punir les habitants de leur manque de foi, et de l'autre ne plus avoir à redouter un voisinage aussi compromettant pour la cité, il défendit aux gens du faubourg de Graveillant de rebâtir leurs maisons et fit évacuer le faubourg de la Trivalle. Ces malheureux durent s'exiler.

Louis IX commença immédiatement de grands ouvrages de défense autour de la cité; il fit raser les restes des faubourgs, débarrassa le terrain entre la cité et le pont et fit élever toute l'enceinte extérieure que nous voyons aujourd'hui, afin de se couvrir de tous côtés et de prendre le temps d'améliorer les défenses intérieures.

Ayant pu constater la faiblesse des deux parties de l'enceinte sur lesquelles le vicomte Raymond avait, avec raison, porté ses deux principales attaques, c'est-à-dire l'extrémité sud et la porte Narbonnaise, il étendit l'enceinte extérieure bien au delà de l'ancien saillant sud sur le plateau qui domine de ce côté un ravin aboutissant à l'Aude et vers la porte Narbonnaise, à 30 mètres environ en dehors, enclavant ainsi dans les nouvelles défenses les deux points principaux de l'attaque de Trincavel (fig. 16).

Résolu à faire de la cité de Carcassonne le boulevard de cette partie du domaine royal contre les entreprises des seigneurs hérétiques des provinces méridionales, saint Louis ne voulut pas permettre aux habitants des anciens faubourgs de rebâtir leurs habitations dans le voisinage de la cité. Sur les instances de l'évêque Radulphe[7] après sept années d'exil, il consentit seulement à laisser ces malheureux proscrits s'établir de l'autre côté de l'Aude. Voici les lettres patentes de saint Louis, expédiées à ce sujet[8]:

« Louis, par la grâce de Dieu, roy de France, à notre amé et féal Jean de Cravis, seneschal de Garcassonne, salut et dilection. Nous vous mandons que vous recevez en seureté les hommes de Carcassonne qui s'en estoient fuys, à cause qu'ils n'avoient payé à nous les sommes qu'ils dévoient, les termes des payements escheus. Pour les demeures et habitations qu'ils demandent, vous en prendrez advis et conseil de nostre amé et féal l'evesque de Carcassonne et de Raymond de Capendu et autres bons hommes, pour leur bailler place pour habiter, proveu qu'aucun domage n'en puisse avenir à nostre chasteau et ville de Carcassonne. Voulons que leur rendez les biens et héritaiges et possessions, dont ils jouissoient avant la guerre, et les laissez jouir de leurs uz et coustumes, affin que nous ou nos successeurs ne les puissions changer. Entendons toutefoiz que lesdits hommes de Carcassonne doivent refaire et bastir à leurs despens les églises de Nostre-Dame et des Frères-Mineurs, qu'ils avoient démolies; et au contraire n'entendons que vous recevez en façon quelconque aucun de ceux qui introduisirent le vicomte (de Trincavel) au bourg de Carcassonne, estant traistres, ains rappellerez les autres non coupables. Et direz de nostre part à nostre amé et féal l'évesquede Carcassonne, que des amendes qu'il prétend sur les fugitifs, il s'en désiste, et de ce luy en sçaurons gré. Donné à Helvenas, le lundy après la chaise de saint Pierre. »

Bien que nous n'ayons pas le texte original de cette pièce, mais seulement la transcription altérée évidemment par Besse, ce document n'en est pas moins très-important en ce qu'il nous donne la date de la fondation de la ville actuelle de Carcassonne. En effet, en exécution de ces lettres patentes, l'emplacement pour bâtir le nouveau bourg fut tracé au-delà de l'Aude, et comme cet emplacement dépendait de l'évêché, le roi indemnisa l'évêque en lui donnant la moitié de la ville de Villalier. L'acte de cet échange fut passé à AiguesMortes avec le sénéchal en août l248.

Ce bourg est aujourd'hui la ville de Carcassonne, élevée d'un seul jet sur un plan régulier, avec des rues alignées, coupées à angle droit, une place au centre et deux églises.

La prudence de Louis IX ne se borna pas à dégager les abords de la cité et à élever une enceinte extérieure nouvelle, il fit bâtir la grosse défense circulaire appelée la Barbacane, à la place de celle qui commandait le faubourg de Graveillant, lequel, rebâti plus tard, prit son nom de cet ouvrage.

11 mit cette barbacane en communication avec le château, par des rampes fortifiées, très-habilement conçues au point de vue de la défense de la place (fig. 16).

A la manière dont sont traitées les maçonneries de l'enceinte extérieure, il y a lieu de croire que les travaux furent poussés activement, afin de mettre, au plus tôt, la cité à l'abri d'un coup de main et pour donner le temps de réparer et d'agrandir l'enceinte intérieure.

Philippe le Hardi, lors de la guerre avec le roi d'Aragon, continua ces ouvrages avec activité. Ils étaient terminés au moment de sa mort (1285). Carcassonne était la place centrale des opérations entreprises contre l'armée aragonaise et un refuge assuré en cas d'échec.

A la place de l'ancienne porte appelée Pressam ou Narbonnaise ou des Salins, Philippe le Hardi fit construire une admirable défense, comprenant la porte Narbonnaise actuelle, la tour du Trésau et les belles courtines voisines. Du côté de l'ouest-sud-ouest, sur l'un des points vivement attaqués par l'armée de Trincavel, profitant du saillant que saint Louis avait fait faire, il rebâtit toute la défense intérieure, c'est-à-dire les tours n° 39, 11, 40, 41, 42, 43 (porte de Razez, de Saint-Nazaire ou des Lices), ainsi que les hautes courtines intermédiaires (fig. 16), de manière à mieux commander la vallée de l'Aude et l'extrémité du plateau. Un fait curieux donne la date certaine de cette partie de l'enceinte qui enveloppait l'évêché. En août 1280, à Paris, le roi Philippe permit à Isar, alors évêque de Carcassonne, de pratiquer quatre fenêtres grillées dans la courtine adossée à l'évêché, après avoir pris l'avis du sénéchal, et sous la condition expresse que ces fenêtres seraient murées en temps de guerre, sauf à pouvoir les rouvrir, la guerre terminée. Le roi s'obligeait à faire, à ses dépens, les égouts pour l'écoulement des eaux de l'évêché, à travers la muraille, et à l'évêque était réservée la jouissance des étages de la tour dite de l'Évêque (tour carrée n°11, à cheval sur les deux enceintes), jusqu'au crénelage, sans préjudice des autres droits du prélat sur le reste des murailles de la ville. Or, ces quatre fenêtres n'ont point été ouvertes après coup, elles ont été bâties en élevant la courtine, et elles existent encore entre les tours n° 39, 11 et 40; donc ces courtines et tours datent de 1280. Du côté du midi et du sud-est, Philippe le Hardi fit couronner, exhausser et même reconstruire sur quelques points les tours des Visigoths, ainsi que les anciennes courtines. Du côté du nord, on répara également les parties dégradées des murs anciens et on éleva une large barbacane devant l'entrée du château dans l'intérieur de la ville.

L'enceinte extérieure, que je regarde comme antérieure de quelques années aux réparations entreprises par Philippe le Hardi, pour améliorer l'enceinte intérieure — et je vais en donner des preuves certaines tout à l'heure — est bâtie en matériaux (grès) irréguliers et disposés sans choix, mais présentant des parements unis, tandis que toutes les constructions de la fin du XIIIe  siècle sont parementées en pierres ciselées sur les arêtes, et forment des bossages rustiques qui donnent à ces constructions un aspect robuste et d'un grand effet. Tous les profils des tours de l'enceinte intérieure, réparée par Philippe le Hardi, sont identiques; les culs-de-lampe des arcs des voûtes et les quelques rares sculptures, telles, par exemple, que la statue de la Vierge et la niche placées au-dessus de la porte Narbonnaise, appartiennent incontestablement à la fin du XIIIe siècle.

Dans ces constructions, les matériaux sont de même nature, provenant des mêmes carrières et le mode d'appareil uniforme; partout on rencontre ces bossages, aussi bien dans les parties complétement neuves, comme celles de l'ouest, du sud-ouest et de l'est, que dans les portions complétées ou restaurées, sur les constructions visigothes et du XIIe siècle. Les moulures sont finement taillées et déjà maigres, tandis que l'enceinte extérieure présente dans ses meurtrières, ses portes et ses corbeaux, des profils très simples et larges. Les clefs des voûtes de la tour n° 18 (tour de la Vade ou du Papegay) sont ornées de figures sculptées présentant tous les caractères de l'imagerie du temps de saint Louis. De plus, entre la tour n° 7 et l'échauguette de l'ouest, le parapet de la courtine a été exhaussé, en laissant toutefois subsister les merlons primitifs ainsi englobés dans la maçonnerie surélevée, afin de donner à cette courtine, jugée trop basse, un commandement plus considérable.

Or, cette surélévation est construite en pierres avec bossages, les créneaux sont plus espacés, l'appareil beaucoup plus soigné que dans la partie inférieure et parfaitement semblable, en tout, à l'appareil des constructions de 1280.

La différence entre les deux constructions peut être constatée par l'observateur le moins exercé: donc, la partie inférieure étant semblable, comme procédés de structure, à tout le reste de l'enceinte extérieure, et la surélévation conforme, comme appareil, à toutes les constructions dues à Philippe le Hardi, l'enceinte extérieure a été évidemment élevée avant les restaurations et les adjonctions entreprises par le fils de Louis IX.

Du côté du sud-ouest, la muraille des Visigoths venait longer la façade ouest de l'église cathédrale de Saint-Nazaire (fig. 16). Cette façade, élevée, comme nous l'avons dit, à la fin du XIe siècle ou au commencement du XIIe n'est qu'un mur fort épais sans ouverture dans la partie inférieure. Elle dominait l'enceinte visigothe et augmentait sa force sur ce point attaquable. Son couronnement consistait en un crénelage dont nous avons retrouvé les traces et que nous avons pu rétablir dans son intégrité.

Les fortifications de Philippe le Hardi laissèrent entre elles et cette façade (fig. 16) un large espace et la défense supérieure de la façade de Saint-Nazaire demeura sans objet puisqu'elle ne commandait plus les dehors.

Depuis lors il ne fut entrepris aucun travail de défense dans la cité de Carcassonne et, pendant tout le cours du moyen âge, cette forteresse fut considérée comme imprenable. Le fait est qu'elle ne fut point attaquée et n'ouvrit ses portes au prince Noir, Edouard, en 1355, que quand tout le pays du Languedoc se fut soumis à ce conquérant...

 

À suivre...



[1] Des fouilles nous ont permis de reconnaître les fondations de cette enceinte sur les points où elle a été supprimée, à la fin du Xiii" siècle, pour augmenter le périmètre de la cité.

 

[2] Sous le commandement de Moussa-ben-Nossaïr.

 

[3] Le rapport du sénéchal Guillaume des Ormes, et le récit de Guillaume de Puy-Laurens ont été publiés et annotés par M. Douët d'Arcq, dans la Biblioth. de l'École des Chartes, 2e série, tome II, p. 363

[4]  Reconstruite sous saint Louis

[5] Toutes les défenses du château datent du XIIième siècle sauf celles du front sud.

 

[6] Sorte de petit blokaus en charpente.

 

[7]  Le tombeau de cet évêque est dans la petite chapelle bâtie à l'extrémité du bras de croix sud de l'église de Saint-Nazaire.

[8]  Hist. des Anliq. et comtes de Carcassonne, G. Besse, citoyen de Carcassonne, Béziers, 1645. « Ces lettres, dit Besse, furent exécutées par le seneschal, pridie nonas Aprilis, c'est-à-dire le 4 avril 1247, et, avec l'acte de leur exécution, se trouvent avoir esté transcrites en langage du pays, dans le livre manuscrit des coutumes de Carcassonne.

 

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Rosace de l'église Saint-Jean. Bar-le-Duc.

REVENU PATRIMONIAL ET OCTROIS.

Pendant longtemps, sous le régime ducal, la ville de Bar demeura sans ressource propre. Entretenue, comme forteresse; sollicitude du souverain occupant une surface resserrée, la communauté put être dispensée des charges inhérentes à une constitution dégagée d'entraves, croyons-nous, dans les premiers siècles, de ce régime, en une quiétude qui n’exigeait la recherche d'aucun expédient pour parer aux dépenses locales.

Un jour, enfin, a sonné l'heure d'une toute autre existence : l'érection de la Ville-Neuve (1367), ayant doté les bourgeois de plus de franchises, de privilèges et de libertés qu'ils n'en possédaient, avec la charge pourtant de fermer cette ville neuve et d'entretenir à perpétuité toutes les défenses de la cité ; la nécessité suivit, pour la communauté, d’asseoir des tailles.

Quand deux siècles après, la ville fut envoyée en possession des plages qui avaient été reservées en dehors des murailles, alors et par suite des aliénations partielles de ces terrains, moyennant cens et redevance, cette même communauté a constitué ce qu'on appela le revenu patrimonial.

Ces plages et les terrains vagues s'étendaient en dehors de l'enceinte; au Nord : en cette partie que l'on nommait Clouyères et Couture des Gravières, actuellement rue de la Banque, Etienne et rues de la Landry-Gillon et le Lycée ; au Sud-Est : en cette autre partie nommée Pressoir, des Prés et Gravières, entre la rivière et le canal urbain : au Sud-Ouest : à ce point nommé Pilviteuil.

Néanmoins ce revenu était trop insuffisant quant on eût les charges de guerre. Assez longtemps on usa de la taille ; mais comme le chiffre des rôles allait croissant; pour se soustraire au paiement des cotes, les bourgeois prirent le parti de déserter. Un nombre notable courut à la recherche d'une autre patrie.

Les octrois succédèrent à la taille : ce fut le duc Charles IV, par ordonnance du 27 octobre 1661, qui accorda ce moyen secourable. Louis XIV, en avril 1673, le continua. Il affectait les entrées, la vente des vins en détail, les chairs et viandes, les moutures.

En 1693, l'apurement des comptes des deniers patrimoniaux et d'octrois fut évoqué au Parlement de Metz.

Il le fut au Conseil d'Etat de Lorraine, par décret du duc Léopold du 12 janvier 1700. Ainsi on y porta Je compte de l'année 1698.

En 1700, il fut édicté que les octrois, dont les hôtels-de-ville jugeraient la création indispensable, seraient autorisés par le souverain.

Dans le milieu du siècle, les concessions ou prorogations de ces octrois étaient renfermées dans une durée de neuf ans.

Le roi Louis XVI ordonna, le 20 juin 1777, que les droits d'octroi accordés précédemment aux villes des duchés de Lorraine et de Bar demeuraient maintenus à leur profit.

 FINANCES ET COMPTABILITÉS LOCALES.

Le régime, comparé aux règles du temps actuel, révèle bien une candeur patriarcale dans les applications qu'en faisait le corps dirigeant de la cité.

Dans ce temps, donc, où la ville était devenue propriétaire ou donataire des fortifications, et qu'elle en avait acquis les abords, et aussi des terres vagues et des friches de différentes parties du territoire, des charges incombèrent, qui la mirent dans l'impérieuse nécessité de créer certain genre de ressources pour en supporter le poids.

La ville imposa sur ses habitants une taille dite de fermeté, exclusivement affectée aux frais d'entretien des murailles et fossés, des tours, portes et guets.

Des quartiers nouveaux s'étant ajoutés autour de l'enceinte, la population accrut; comme les moyens pour la Caire subsister se trouvaient insuffisants, puisqu'alors rien n'était encore fondé soit en industrie, soit en commerce, la ville, disons-nous, eût beaucoup de pauvres, et, pour les nourrir, aussi bien que des mendiants de l'extérieur, qui vinrent nombreux les joindre, alors surgit une taille des pauvres.

Il arriva que la ville, encore, dût recevoir des garnisons comme jamais elle n'en avait logé, à qui tout dut être fourni, en vivres, fourrages, linges, literie, bois, chandelles; les besoins qu'il fallait servir engendrèrent une troisième sorte de taille : celle-ci de somme plus forte, toujours, que pour ce qui concernait les deux autres.

Pour ces trois tailles, et séparément, des rôles étaient dressés en mairie; puis les gouverneurs des carrefours, au nombre de huit, notez-le bien, comme était celui des carrefours, munis d'extraits, procédaient, chacun dans son ressort, au recouvrement des cotisations.

Nous avons vu que, de l'année 1550 jusqu'à 1629, ou soit jusqu'à l'établissement du Conseil de ville, un agent titré contrôleur-receveur, faisait la recette des revenus patrimoniaux, des droits, des rentes, des poules, des épaves, des bienvenues; il restait étranger au recouvrement des tailles.

Comme la comptabilité de celles-ci demeurait propre aux gouverneurs des carrefours, les opérations en furent compliquées. Ces gouverneurs y rencontraient toutes sortes d'entraves, comme des prétendus droits à franchise ou exemption; mais eux-mêmes n'apportaient pas à la mairie les comptes de leurs gestions, et on dut presque toujours les contraindre pour avoir ces comptes et les reliquats qu'ils

avaient retenus, pendant plusieurs années, après l'expiration de leurs fonctions triennales. C'est démontré qu'il a régné, pendant longtemps, en cette branche des services, un désordre, des abus, des préjudices insupportables; de longues années se passèrent avant que la trace même en fut effacée. D'autres comptabilités étaient également apportées à l'audition du Conseil de ville : 

Celle de l'hôtel-Dieu ou hôpital ;

Celle de la fabrique de l'église Notre-Dame;

Celle de la boite du purgatoire tenue en la même église ;

Celle de la direction de la chapelle de Notre-Dame de la Paix.

Les gestions paraissent avoir toujours été conduites avec régularité.

Les corporations religieuses réglaient leurs comptes chacun en droit soi.

L'usage de compter en francs-barrois, introduit vers le milieu du XVe siècle, fut d'ailleurs aboli dans Bar; et on l’ accepta qu'à partir du 1er janvier 1691, les recettes et les dépenses communales ne seraient plus relevées ou libellées qu'en sols et livres, monnaie de France.

Permettez une excursion qui vient naturellement se caser à la suite de ce qui précède. C'est encore en ce qui touche la taille, moyen dont on usa en premier lieu pour former une ressource à la communauté, en vue d'assurer l'acquittement des dépenses qui lui incombaient.

La taille, dès le XVIe siècle a été l'occasion de conflits et de disputes vives ; et, malheureusement, les luttes entreprises et soutenue dès lors, pour en vouloir une répartition raisonnable prolongèrent longtemps la discorde dans la cité.

La population, partagée en catégories, sous les distinctions des Ordres Ecclésiastique, de Noblesse et de Tiers, il émana, des premières, des aspirations de rejeter, sur le troisième Ordre, toutes les charges locales et publiques. Les Ecclésiastiques et les Nobles de cette époque, prétextant de condition ou de qualités pour se soustraire, refusaient clone de fournir la subsistance des pauvres et des mendiants ; de contribuer aux constructions, réparations et entretien des édifices, ponts et chemins de la ville ; au logement des gens guerre, aux frais des garnisons, à toutes les autres charges publiques…

 

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   2011-08-16-14.14.42.jpgHier, partie centrale du château,

2011-08-16-14.15.01.jpgaujourd'hui musée. BAR-LE-DUC.

FORTIFICATION. 

Bar-le-Duc ne fut jamais fortifiée qu'en partie.

Une première enceinte dont l'établissement remonte à la construction du château ducal, n’embrassa même d'abord que cet édifice, la ville-Haute et le bourg.

Seulement à quatre cent-ans de là, c'est-à-dire quand eût lieu l’érection de la Neuveville, ce carrefour encore fut relié à l'enceinte primitive.

Les fortifications consistaient en murailles et fossés; et sur le développement s'échelonnaient des tours et des portes concourant à la défense de la place.

On y comptait, notamment, onze portes, ayant les noms Bourg, Houdry, Saint-Jean, Armurier, Wisson, Porte-aux-Bois, Phélépin, du Château, Notre-Dame ou Têtefendue, Neuveville ct Saint-Nicolas.

Généralement c11es constituaient chacune d’un massif redoutable, ou tour carrée, avec guichet, gargouille et pont levis. Un front couvrait le côté intérieur du fossé, un autre la rive extérieure; et dans ce bâtiment étaient ménagés un corps-de-garde et une salle pour les réunions de carrefour.

Chaque porte, aussi, était surmontée d'une sorte de houlette, nommée guet des chiens; c'est justifié par des résolutions du Conseil de ville des 3 janvier 1662 et 9 août 1666, prescrivant de relever et restaurer plusieurs de ces guets des chiens occupant les sommets de plusieurs portes de la place.

On conçoit des chiens qui veillaient là pour observer les mouvements hostiles qui seraient dirigés contre les fossés et les murailles de l'enceinte.

 OBSERVATIONS.

Une remarque d'un certain intérêt, touchant l'état ancien et les accroissements de la cité, nous a semblé devoir suivre le précédent tableau.

Si vous voulez bien vous représenter la forme de la ville au XIVe siècle, se constituant de Marbot et de Bar-la-Ville à la droite de l'Ornain ; d'un groupe d'habitations chétives à la rive gauche de cette rivière, que l'on nommait Entredeux-Ponts, et situé sous le canon de la place; du Bourg, du château ducal, de la Ville-Haute, cernés par des fossés et des murailles, de la rue de Véel à côté, vous vous porterez davantage à connaître quel était l'état des parties extérieures qui sont devenues de très-beaux quartiers.

D'abord, dans les dernières années de ce même siècle, on accola un carrefour nouveau appelé Ville-Neuve ou Neuveville. Les murs, régnant le long du Bourg de ce côté, furent abattus; on en dirigea le développement autour de cette Neuveville.

Mais, dès le commencement du XVIe siècle, Bar, vraisemblablement, n'aurait plus été jugé devoir être entretenu comme place de guerre, et les dehors, qui n'étaient que des plages sablonneuses, que des gravières, terme alors usité, furent émancipés et abandonnés à la ville.

D'abord, en 151f, les fossés de la Neuveville lui sont cédés ; d'autres parties lui obviennent, comme les emplacements des rues actuelles du Sud et du Nord ; et aussi des friches et des places vagues en différentes contrées des vallons et des collines.

Or, en 1570 et t575, les officiers de ville procédèrent à des aliénations partielles de ces terrains, à la charge de redevances au profit de la caisse municipale. Les concessionnaires s'engageaient à convertir les parcelles qu'ils acquéraient, en maisons, meix et jardins, en vignes encore.

De là sont surgies des rues nouvelles réunissant une importance que n'ont jamais eues les autres sections de la cité.

L'emplacement des fossés et murs du Bourg, en face de la file des maisons d'Entre-deux-Ponts, ayant encore été cédés par le domaine en l'année 1618, les concessionnaires construisirent, à ce point, des meix et des jardins. Le tablier de la rue était demeuré étroit, peu praticable, on rélargit quand, en 1724, fut résolu l'établissement de la route qui conduit de Strasbourg à Paris.

 RÉGIME MUNICIPAL

Peut-être ici ne messied-il pas de parler des organisations du personnel qui administra la cité?

Le point de départ des notions conservées à cet égard, s'attacherait à un potentat de la race des rois mérovingiens qui, dans .le cours du Ve siècle, est venu à Bar et y a séjourné.

Indépendamment d'une décharge d'impôt, d'une dispensation de franchises et de libertés, ce roi abandonna, aux habitants de la cité, l'élection de ses administrations.

Ces concessions, attribuées aux sections de Bar-la-Ville, du Bourg et, peut-on présumer, de la rue de VéeI, se convertirent, dans la suite, en droit immémorial et qui fut toujours énergiquement soutenu.

Quand est survenu le gouvernement ducal, tout, de ces faveurs, a disparu et, ce qu'il est permis d'apercevoir encore, un châtelain resta privativement chargé de la régie de la cité, colorée fortement de l'influence soldatesque.

Nous ne savons pas distinctement ce qui advint, depuis, de cette régie j cependant, en l'année 1570, où la ville annexait de nouvelles sections, comme le Château et la Ville-Haute, les groupes d'Entre-deux-Ponts, de la Neuveville, de Marbot, de Popey, la cité s'est trouvée partagée en carrefours et en faubourgs.

Sous l'autorité d'un officier supérieur investi du grade de gouverneur et bailli, l'administration municipale réunissait le personnel suivant: un mayeur, un syndic, un contrôleur, des gouverneurs, dont un pour chaque carrefour et les faubourgs j tous élus par les habitant.~ assez fréquemment convoqués en assemblée générale.

Nous avons constaté qu'en l'année 1585, les gouverneurs se trouvaient au nombre de sept; en 1626, au nombre de huit; après l'année 1629, ils furent réduits à des chiffres plus restreints.

Ils exerçaient pendant trois années, exécutant les résolutions de cette assemblée qui délibérait de tout, sous la présidence du mayeur, en plein vent, à l'ombrage d'ormes séculaires, longeant le portail à l'église Notre-Dame. Cette assemblée dirigeait l'action de ces fonctionnaires pour toutes choses intéressant la cité. Il était rédigé acte de ses délibérations par deux notaires.

A la date du 15 novembre 1616, un règlement ducal, qui d'ailleurs, n'a pu nous être procuré, est venu apporter des dispositions nouvelles sur ce qui se pratiquait.

La nomination du mayeur, du syndic, du contrôleur, dût être assujettie à une élection de candidats, au nombre de trois dans les carrefours, en ordre successif, pour chaque office, et le ballotage avait lieu en assemblée générale des habitants. Ils prêtaient serment.

Le mayeur investi était installé aux honneurs, autorité, privilèges, prééminences, profits et émoluments dont avaient joui les derniers et précédents mayeurs.

A ce fonctionnaire appartenait la marque des poids et mesures; laquelle marque était figurée par une fleur de pensée.

Cette fleur, en l'année 1670, subit un échec. Le barbeau l'expulsa, et s'appliqua à la marque des tonneaux et des boisseaux et autres mesures en boisselerie.

En des délibérations du Conseil de ville de différentes époques, notamment en celle du 5 septembre 1650, est constaté que le maire se trouvait en possession constante et immémoriale du droit de pêche dans la rivière d'Ornain, depuis Tronville jusqu'à Revigny.

On a vu ci-dessus qu'il se trouvait parmi le personnel du corps de ville un fonctionnaire qualifié syndic; il Y tenait le second rang et y remplissait un rôle très-important pour la triture des affaires de la commune; il portait la parole dans les assemblées municipales, y introduisant ses propositions sur toutes celles qui devaient être la matière de l'ordre du jour. Louis XIV abolit l'office, et, par son édit du mois de juillet 1690, créa, à sa place, la charge de procureur du 1oi, y adjoignant un secrétaire-greffier.

Le même roi, en août 1692, destitua les maires élus et les remplaça par des maires perpétuels. En même temps, il créa des conseillers assesseurs.

Quatre agents,  au titre d'esvardeurs, durent être élus pour prendre connaissance des rapports de police et des procès verbaux des délits commis dans le finage.

Les hommes de chaque carrefour, embrigadés et assujettis à répondre aux appels d'armes pour assurer le bon ordre et se porter, le cas échéant, à la défense de la cité, étaient commandé, de même en chaque carrefour, par un capitaine, un enseigne et par des sous-officiers, sergents et caporaux.

Des députés, élus par rassemblée générale, furent chargés de traiter, ou préalablement ou définitivement, les affaires sérieuses ou contentieuses. Parfois on les qualifiait simplement élus.

En outre, et toutes fois que les ordres: Clergé, Noblesse et Tiers, étaient convoqués pour se former en Etats, les assemblées des carrefours élisaient, pareillement, et séparément, des députés pour représenter et soutenir les intérêts de la ville en ces Etats.

En l'année 1623, les Élus de la première catégorie se comptaient au nombre de dix j ceux de la seconde au nombre de treize.

Une profonde modification s'introduisit dans l'année 1629.

L'organisation, maintenant le flot populaire des ormes, comporta rétablissement d'un Conseil de ville qui a nombré douze conseillers choisis parmi le clergé, la noblesse et enfin la roture. Le personnel exécutif fut composé d'un maire, d'un syndic général, d'un contrôleur de la mairie, d'un greffier de la mairie, d'un receveur des droits patrimoniaux et d'octrois, avec une suite de subordonnés.

Au maire fut attribuée la présidence du Conseil de ville, dont les délibérations durent être rédigées, non plus par des notaires, mais par un greffier, élu en assemblée des habitants, à vie, et devant aussi remplir les fonctions de receveur.

L'ordonnance de toutes ces dispositions limita l'exercice des fonctions des conseillers, du maire et autres agents, à trois années, après lequel temps on devait les remplacer, s'il n'était préféré de les réélire.

En 1700, une institution apparût, aux ternies de laquelle trois candidats étaient "exigé$ pour les promotions ou pour servir à déterminer le choix de l'un d'eux à occuper un office. Le souverain, s'étant réservé l'examen des procès verbaux d'élection, choisissait et réglait les nominations. Il édicta, Rur le scrutin, sur les conditions à réunir pour être élu, sur les devoirs des hommes désignés fonctionnaires, sur la tenue des assemblées électorales et municipales, des dispositions à désespérer.

Par une ordonnance de 1707, l'essaim si considérable d'officiers, de conseillers et de notables choisis dans les corps du Clergé et de la Chambre des comptes, dans les ordres de la Noblesse et du Tiers-Etat, avec adjonction des lieutenant et procureur généraux du bailliage, qui peuplait la Chambre de ville, fut alors licencié. Le duc en réduisit l'effectif à quatre conseillers, un secrétaire-greffier, un receveur, sous-charge de finance; avec le maire et le syndic survint, en 1719, une réorganisation, encore à finance.

Ces édits, qui n'avaient causé que des tracasseries et des divisions fâcheuses dans la cité, furent cassés en 1730 ; et les habitants autorisés, pour tout ce qui concerne l'Hôtel-de-ville, à reprendre et à appliquer l'ordonnance de 1629.

Il importe de ne pas omettre que, dans les XVIe et XVIIe siècles, où la ville, par suite de la réduction des fortifications, s'ouvrait et s'étendait, des mendiants affluèrent nombreux. Pendant longtemps, joints aux pauvres de la localité, ils créèrent à son administration de graves embarras ; on en était, sans cesse, à des expédients pour procurer assistance, nourriture et travail aux uns et aux autres. La peste qui survint (de 1623 à 1638), commanda des précautions, et le corps municipal institua et salaria des chasse-coquins,  pour refuser l'entrée de l'enceinte aux individus suspects.

Les chasse-coquins, sous la direction des capitaines des carrefours, veillaient aux portes dans ce but; ils fouillaient les habitations pour découvrir les quémands forains ou les étrangers, présumés atteints de contagion, qui se trouvaient cachés, et les expulsaient.

Ensuite de résolutions de la mairie, aux années 1662 à 1665, où la peste avait envahi presque toutes les provinces du royaume, le Conseil de ville de Bar rétablit deux chasse-coquins pour opposer toute résistance à l'entrée, dans la cité, des pauvres et mendiants étrangers.

On les costuma chacun d'une casquette de drap bleu; on les arma d'une petite hallebarde, avec mission, lors des processions, de marcher en tête, aux ailes, près du corps de la Chambre de ville, pour écarter la foule et empêcher le désordre.

Au fur et à mesure de l'écoulement des années, et la civilisation progressant, on les qualifia valets des pauvres, commis aux pauvres.

La ville salariait encore (en 1634) d'autres agents nommés eschargats, sorte de portefaix, pensons-nous, qui pouvaient être préposés au transport des objets destinés à la garnison, comme meubles, bois, vivres et autres articles de consommation.

 SCEAUX.

Jusqu'à l'année 1691, la mairie, pour affirmer l'authenticité de ses expéditions, n'avait employé qu'un grand sceau.

Il offrait l'image de la Sainte Vierge, patronne de la paroisse.

Alors quelqu'un sollicitant de meubler, encore, la mairie d'un petit sceau, la résolution de son adoption décida que l'empreinte consisterait en un écusson où seraient adossés, d'un côté, trois pensées: armes de Bar ; de l'autre, deux barbeaux : armes du duché...

A suivre.

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