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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

1 L'ABBAYE D'AIGUEBELLE

LA FONDATION.

Ce fut à la mi-Juin 1137, que douze moines partis du Monastère Cistercien de Morimond, sous la conduite de Dom Guillaume Leuzon, arrivaient au désert de Derzas, pour y installer un nouveau monastère de leur ordre.

Le fait et la date sont confirmés par une Charte Lapidaire que l'on peut voir encore à Aiguebelle, et qui est ainsi conçue :

« VI KAL JULLI ANNO AB INCARN M. C. XXX

VIJ DEDIT GONTARDUS LUPI DOMINUS ROCHEFORTIS

LOCUM ISTUM ARBATIAE MORIMONDI AD ABBATIAN

IBIDEN CONSTRUEDAM IN HONOREM BEATAE MARIAE »

Ce lieu, que Gontard le Loup, Seigneur de Rochefort donnait aux moines de Morimond, 13e fille de Citeaux, était un vallon âpre, sauvage, impénétrable, tout couvert de ronces,, de buissons et d'épais taillis qui lui avait valu ce nom de DERZAS ; ses flancs étaient hérissés de rochers escarpés, et de collines à pic, déchirées par de nombreux éboulements. Trois ruisseaux l'arrosaient : le Ranc, la Flammanche qui se jetait dans la Vence, laquelle allait au sortir du vallon, joindre ses eaux à celles de la Berre.

En somme, ce désert était pour plaire aux Cisterciens, amis de ha solitude et des sites sauvages, et qui, allaient y installer un nouveau monastère. Mais il est à supposer, toutefois, que la dotation de Derzas à l'illustre Abbé de Clairveaux, Bernard, remontait à quelques années, car, lorsque les moines de Morimond y arrivèrent, déjà la nouvelle Abbaye commençait à sortir de terre. Ils n'apportaient pour tout bagages, nous apprend la Chronique, qu'un Missel, un Bréviaire, les Livres pour les Chants de l'Office, la Sainte-Règle et la « Charte de Charité » qui régissait leur ordre !,....

Cette nouvelle Abbaye, en ce XIIe Siècle, était telle, en somme, qu'on peut la voir aujourd'hui ; d'ailleurs, certaines parties ne datent-elles pas de cette lointaine époque ?  Elle se composait d'une Eglise, orientée, et dans le pur style Cistercien qui bannissait tout ornement ; un cloître accoté à l'Eglise et qu'entouraient la Salle du Chapitre, le Réfectoire, le Chauffoir, le Dortoir, l'Infirmerie et le Scriptorium.

Alors les douze moines se mirent à l'œuvre. Selon la règle de Cîteaux, ils devaient partager leur temps entre la prière et le travail manuel, et afin de n'avoir aucun contact avec le monde, ne vivre que du produit de leur labeur. Aussi, bientôt, l'affreux Derzas perdit de son horreur ... les ronces et les broussailles furent arrachées, le terrain défriché, et une abondante et utile végétation apparut dans cet horrible vallon tout égayé par le murmure des eaux de ses trois torrents, qui lui valut enfin le nom sous lequel il devait être désormais connu : Aiguebelle.

L'AGE D'OR.

La jeune Abbaye d'Aiguebelle allait désormais connaître une prospérité incomparable et qui ne dura pas moins de deux cents ans. A peine née, elle était devenue le centre religieux le plus important du Diocèse de- St-Paul des Tricastins, fier de posséder un monastère Cistercien !..

De toutes parts on accourait pour suivre la bienheureuse règle sous la crosse paternelle et vénérable de Dom Guillaume Lauzon, son premier Abbé. La Noblesse, le Clergé, la Bourgeoisie fournissaient dés religieux de chœur et le peuple comme les artisans augmentaient chaque jour le nombre des Frères Convers !

Dix ans après sa fondation, en 1147, Aiguebelle était si florissante, que Saint-Bernard, le grand Abbé de Clairvaux, revenant du Languedoc, s'arrêtait dans le vallon sacré, pour y bénir ses nouveaux Frères, comme l'indique une inscription que l'on peut lire dans l'Eglise :

Hic Deum adora

Hic Belmardum honora

Qui, locum istum

Illustrauit proespntia.

La légende veut même que St-Bernard, lors de son passage, excommunia les pies qui dévoraient les récoltes des Saints Religieux et qu'il obligea le Denion a remplacer la roue de son char que sa malice avait brisé !..

D'ailleurs le nombre des Moines et des Convers devenait si considérable, que l'on fut contraint d'essaimer !..

Pourtant le domaine d'Aiguebelle s'était agrandi depuis la première donation de Gontard le Loup, Seigneur de Rochefort !.. Le Seigneur de Valaurie - lui avait déjà cédé sa terre de St-Nizier ; puis ce furent le moulin de Ramas, le Ruinel, St-Pancrace, Montjoyer, Citelles, qui peu à peu augmentaient le domaine primitif!.. Mais sous l'Abbatiat de Dom Alberic Boyer, qui avait succédé à Dom Guillaume Lauzon, on dut fonder à Pierrelatte, N. D. du Frayssinet, qui n'eut a vrai dire, qu'une existence bien éphémère !.. Pillée en 1200 par les Albigeois, elle fut bien reconstruite, mais pour être abandonnée en 1228, ou elle n'était plus qu'une grange exploitée par quelques Frères Convers !.. Encore debout aujourd'hui, Frayssinet montre ses vieux murs en grand appareil, d'un aspect fort imposant !..

II n'en fut pas de même, heureusement, de la seconde fille d'Aiguebelle, cette Abbaye du Val-Honnête ou de Féniers, en Auvergne, qui subsista jusqu’à 1828 Elle avait été également fondée par Dom Alberic pour recueillir le trop plein d'Aiguebelle !..

La puissance des Abbés d'Aiguebelle, en ces deux premiers siècles de leur existence, n'était pas moins grande au spirituel qu'au temporel ! S'ils étaient désormais reconnus comme Seigneurs de Derzas et d'Espeluche leur influence religieuse s'étendait de tous cotes !. C'est ainsi que les Bénédictins de Pigiers, à Valaurie, échangeaient leur froc noir contre la robe blanche des Cisterciennes ; l'Abbaye des Filles de Boucher se soumettait a la juridiction d'Aiguebelle ; les Moniales de Bonlieu acceptaient la règle d'Aiguebelle augmentant ainsi sa singulière puissance !..

Et cependant quelques affreux désastres étaient venus désoler cet âge d'or !.. En 1196, sous l'Abbatiat de Dom Elzar, qui avait succédé à Dom Alberic, le Comte de Toulouse s'en vint piller les Abbayes de Pigiers, de Bouchet et de Frayssinet !.. Le Saint Abbé, la tourmente passée, put les reconstruire, et l'on peut dire que jusqu'au XIVe Siècle, Aiguebelle jouit d'une prospérité sans précédent !...

Hélas la décadence allait se faire sentir !...

LA DÉCADENCE[1].

L'Auteur de l’lmitation, parlant des Moines de Cîteaux, dit : « Ils sortent rarement ; ils vivent retirés ; ils sont nourris très pauvrement et grossièrement vêtus ; ils travaillent beaucoup, parlent peu, veillent longtemps, se lèvent matin, font de longues prières, de fréquentes lectures et observent en tout une exacte discipline ».

Ainsi, certainement vivaient les Moines d'Aiguebelle !

Mais cela allait changer !

Peu à peu les Religieux s'écartaient du but primitif de leur vocation et abandonnaient la vie purement contemplative pour se mêler plus intimement a l'activité extérieure !..

La sévère règle commence à leur peser, et ils oublient cette Charte de Charité, qui était le fondement de leur ordre ! Les Papes s'en alarment mais en vain Au relâchement de la règle primitive s'ajoute l'esprit de lucre, si contraire à celui de pauvreté !.. Ils sont trop riches, trop puissants et ne veulent plus se priver des biens de la Terre qu'ils possèdent en trop d'abondance !..

L'Abbé, puissant Seigneur, agit comme tous les Seigneurs de l’Époque !.. La crosse de bois est désormais trop dorée, et ce ne sera plus la houlette qui retiendra le troupeau indiscipline et gagne par le  mal du Siècle !

D'ailleurs l'Abbaye se vide.... Le nombre des religieux décline avec rapidité.... Ceux qui restent ne sont plus les Cisterciens, modèles de sainteté de la première heure !.. La table est mieux servie... le froc est plus élégant.... Mais l’église ne retentit plus des louanges du Seigneur... On oublie de se lever pour chanter Matines.... La règle Cistercienne a vécu !...

A cette décadence intérieure, il est bon, toutefois, d'ajouter la guerre, les ravages des Grandes Compagnies qui dévastaient le Royaume, et s'attaquaient surtout, comme de juste, aux grasses et riches Abbayes. Et surtout, dans nos Pays, les rapines et dévastations du trop célèbre Ravmond de Turenne !...

Ce gentilhomme, si tristement fameux, faisait la guerre à la fois à Louis II d'Anjou qui -lui avait confisque ses domaines, et au Pape qui n'avait pas voulu lui faire fendre justice !

Au Pape sans Rome,

Au Roi sans couronne,

Au Prince sans terre,

A ces trois feray la Guerre !

Terrible guerre qui ne dura pas moins de dix ans, et au cours de laquelle, Raymond, a la tête des débris des Grandes Compagnies qu'il avait pu rassemblé, ravagea la Provence, le Comtat Venaissin et le Tricastin !..

Ce n'est pas que parfois il ne rencontra pas quelques résistances... C'est ainsi que dans notre Pays, à Salles, il fut arrêté par la courageuse défense des deux frères nobles, Milet et Isnard d'Audifred. De même, Grignan était bien trop fortifie et trop bravement défendu pour que Turenne osât s'y attaquer, surtout après son échec de Salles. II porta plus loin sa fureur !

Pourtant, trois ans après l'affaire de Salles, les Raymonds, comme on appelait les soldats de Turenne, purent pénétrer par escalade dans le castel de Grignan et s'emparer du Seigneur lui-même !.

C'est alors que Charles VI ordonna a tous ses féaux et fidèles sujets de courir sus aux rebelles, de les chasser du castel et de délivrer le Seigneur!

Et Aiguebelle, en somme, la plus riche Seigneurie du Terroir, si, grâce à son isolement et à sa solitude avait-pu échapper aux dévastations du ter-- rible Turenne, n'en dut pas moins obéir aux ordres du Roi et contribuer à la défense commune par des vivres, de l'argent et des munitions en même temps que par des hommes choisis parmi les meilleurs de ses vassaux et équipés a ses frais !..

Ces excès de dépenses épuisèrent les ressources de I' Abbaye, et si l'on y joint l'inondation de la Vence et de la Berre en 1402, qui dévastèrent tout le Pays, on comprendra que la prospérité d' Aiguebelle était bien compromise !...

Au commencement du XVième siècle, Aiguebelle - ne comptait plus que quatre ou cinq religieux et Convers, incapables de cultiver le domaine, et commença alors 1'heure des aliénations !..

D'ailleurs, la Commende allait arriver qui devait achever J’œuvre de la décadence !..

LA COMMENDE.

II est bien évident que la richesse territoriale des Monastères ne pouvait qu'exciter l'envie de la Noblesse, comme aussi du Cierge Séculier !.. Et les uns comme les autres n'eurent de cesse qu'ils ne s'en furent emparées !...

Le Pape se prêta d'ailleurs, il faut le dire, à cette sorte de spoliation et le Roy lui-même, François Ier, y aida grandement.

Ce fut exactement en 1515 que l’affaire fut à jamais conclue !... A partir de cette époque, les Abbés ne furent plus élus par la Communauté, comme l'avait toujours voulu la règle, mais nommés par le Roi, avec l’approbation pontificale !...

Ces Abbés ne furent plus des Moines, mais des Séculiers et bien souvent même des Laïcs, à qui le Roy, par amitié ou en récompense de leur service, remettait les riches bénéfices des Abbayes et le droit d'en user à leur volonté

C’est ce que l'on appela les Abbés Commendataires !

Cet état de choses devait durer jusqu’à la Révolution.

II est bien certain que ces Messieurs Commendataires se souciaient fort peu de la vie régulière et des exercices religieux ordonnes par la règle !.. Comme ils prenaient les trois-quarts des revenus des Abbayes, c'est à peine s'ils laissaient aux Religieux de quoi ne pas mourir de faim ! Quant aux bâtiments, par esprit de lucre, ils les laissaient tomber en ruines, et ne se gênaient nullement, afin de faire de l'argent, de vendre les domaines monastiques !...

A vrai dire, Aiguebelle n'eut pas trop a souffrir - - de ses trois premiers Abbes Commendataires, qui furent Jacques de Vesc, Jean d'Urre et Adrien de BazenHHlÍ.

Jacques de Vesc était fort riche, son revenu comprenant outre Aiguebelle, le prieuré d'Espeluche, le Dovennat de Montélimar, le Ganoriat de Saint Paul des Tricastins, et le prieuré des Roches, près Viviers: aussi ne présuma-t-il pas trop son Abbaye. Quant à Jean d'Urre, il avait exactement neuf ans quand une bulle pontificale le fit Abbé d'Aiguebelle, et il était déjà Chanoine de Valence, Prieur du Bourg St-Andéol, Doyen de St-Genis de Laudun et Vicaire de Die !... Aussi, pourvu d'aussi riches prébendes, ce trop jeune Abbé ne pouvait trop pressurer son Abbaye ! Pour ce qui est du troisième, Dom Adrien de Bazemont, il eut certes d'autres soucis, car c'est sous son Abbatiat qu'eurent lieu les terribles ravages que l'on attribue généralement au Baron des Adrets, alors qu'ils ne furent l’œuvre que de ses farouches lieutenants, Montbrun, Blacons et autres !...

En cette année 1562, et tandis que le baron des Adrets courait vers Orange pour venger la mort du Capitaine Parpaille, des hordes Huguenotes envahissaient le Tricastin, pillant les maisons, rançonnant les châteaux et brulant les Églises !...

La cruauté des Protestants s'abat sur Bolleme,

Valréas, Salles, Grignan, Valaurie ; puis ils s'attaquent aux divers couvents de la région, les Prieurés de Donzère, de Sarcon, des Tourettes, les granges du Frayssinet, de Barret, de Prélacourt, qu'ils détruisirent et enfin ils se présentent aux portes d'Aiguebelle !...

Alors leur fureur dévastatrice s'accroit ; ils se ruent sur le vieux Moustier ; brulent les ateliers, enlèvent les toitures des dortoirs, brisent les colonnettes du cloitre, et ne s'arrêtent que lorsqu'un 0rdre du Baron les rappelle à Montélimar !... Mais derrière eux ils ne laissent que des ruines !... Seuls sont encore debout la Salle. Capitulaire, le Réfectoire, la cuisine et une partie de L’Église !...

Dom Adrien de Bazemont eut fort à faire pour restaurer le malheureux monastère, et encore ne le-fit-il qu'en hypothéquant les biens que l'Abbaye possédait à Roussas, à Combemaure et en quelques autres lieux !...

Aussi l’antique Abbaye, vieille déjà de quatre siècles ne fit-elle que péricliter sous les Onze Abbés Commendataires qui suivirent, et qui d'ailleurs s’occupaient plus ou moins de leur charge. II v en eut certes quelques-uns de sympathiques au religieux ; mais combien d'autres ne daignaient me-me pas leur adresser la parole, ne voulant avoir de rapport qu'avec le Père Prieur !...

Malheureux Prieurs, nommes, eux, par le Supérieur Régulier, l'Abbé de Morimond, et qui devaient sauvegarder les droits et les privilèges de l'Ordre! ' Et comment pouvaient-ils veiller à l'entretien du couvent et à l'intégrité du domaine, alors que les Abbés ne cherchaient qu'a les dilapider à leur profit !...

Tout allait de mal en pis !... On ne trouvait, à Aiguebelle, que deux et même un seul Religieux vu la pauvreté d'icelle, disent les documents de l'époque !....

Et cela allait durer jusqu'à la Révolution, qui allait sonner la fin du Saint Monastère !...

 

[1] Pour nous être rendus dernièrement sur les lieux, nous notons que la décadence ici décrite est désormais révolue. Le tocsin résonne à nouveau. Les chants s’élèvent vers les voûtes. 

LA TOURMENTE.

La nuit du 4 Aout 1789, on avait aboli tous les Privilèges, et le 2 Novembre l’Assemblée Nationale mit tous les Biens Ecclésiastiques à la disposition de la Nation.

C’est ainsi que la Municipalité de Réauville reçut l’ordre d'en cadastrer les biens monastiques d'Aiguebelle, et dut signifier à l'Abbé, Dom de Reynier, d'avoir à quitter l'Abbaye, lui et ses moines.

Il n'y en avait plus que trois : Dom Guerin, Prieur, Dom Seguin, économe, et Dom Dumont.

Ce dernier se retira et accepta la pension du Gouvernement ; Dom Guerin 1'imita et se retira dans sa famille ; seul Dom Seguin demeura, et ne quitta sa chère Abbaye et n'en remit les clefs que sur sommation de l'autorité !...

La Municipalité de Réauville procéda à l'inventaire des meubles et immeubles, puis ne s'occupa plus de rien...

Mais c'est alors que survinrent les pillards, tout heureux de cette proie que nul ne gardait, et qui dévastèrent tout, enlevant les portes et les fenêtres, emportant les meubles qu'ils pouvaient trouver, faisant main basse sur tout ce qui leur agréait ou leur paraissait avoir quelque valeur, arrachant tout ce qui était a leur portée ou à leur convenance !....

Cependant, de tout le domaine, le Gouvernement ne s'était réservé que la forêt ; les terres et les bâtiments avaient bien été mis en vente, mais nul acheteur ne s'était présenté... Et ce ne fut que en _ 1810, la Tourmente passée, que l'on finit par adjuger tout le domaine monastique à Jean, Joseph Petit, propriétaire a Allan, pour la somme de vingt-deux mille neuf cent francs...

Celui-ci, tout aussitôt, le revendit par parcelles à divers particuliers....

Aiguebelle n'était plus.... L'antique Abbaye fondée au XIIe siècle était redevenue un désert !... Le sanctuaire abandonne restait a jamais muet !...

L'ordre de Cîteaux, lui-même, n'était plus qu'un souvenir !...

Mais Aiguebelle ne pouvait pas mourir, et l’heure de sa résurrection allait sonner !...

LA RÉSURRECTION.

En effet, vingt-cinq ans après sa dévastation, des Moines revenaient à Aiguebelle et allaient lui faire connaitre une splendeur, plus éclatante encore que celle des deux premiers siècles de son existence !

Mais ce n'étaient plus des Cisterciens !...

Des anciens Moines il n'était plus question ; on ne savait même ce qu'ils étaient devenus ; les nouveaux venus arrivaient sous la conduite de Dom Etienne Malmy, prieur de la Trappe de la Val-Sainte : c'étaient des Trappistes !..

A la vérité, les Trappistes sont des Cisterciens !.. La Trap-Dieu, plus tard Maison-Dieu, Trap voulant dire Maison, avait été fondée à Mortagne en 1120, et peuplée par des moines de l’ordre de Savigny. Mais en 1140 l'Abbé de la Trappe de Mortagne, ami de Saint-Bernard, avait demandé d'être admis dans la grande famille cistercienne ainsi que les trente-deux monastères de sa dépendance. Sa demande ayant été acceptée par le Souverain Pontife, la Trappe fut agréée a Cîteaux, sous la direction de l’Abbé de Clairvaux !...

Mais au XVIIe siècle, comme tous les monastères, la Trappe était tombée dans le relâchement le plus complet, et il ne fallut rien de moins que le zèle et la piété du célèbre Abbé de Rance, pour remettre de 1'ordre dans les choses et soumettre les Trappistes à l'étroite observance de la règle de St-Bernard.

Quand arriva la tourmente révolutionnaire, les ordres religieux durent se disperser et disparaître Mais les Trappistes, sous la sage houlette de Dom Augustin de Lestrange, qui avait senti venir 1'orage, avaient heureusement pris les devants et avaient fondé un autre monastère en Suisse, la Val-Sainte.

Et c’est de la que, en 1815 ils arrivaient a Aiguebelle pour ressusciter 1'ancienne Abbaye.

Ce ne fut pas sans peine !...

Le Père Bernard Bouisse était, parti le premier, en éclaireur, à la recherche de quelque vieux monastère que l’on put acheter, et tour à tour, il avait visité Cîteaux, Clairvaux, Morimond, Senanque, Boniveaux, Léoncel, quand il arriva a Aiguebelle qui lui plut particulièrement !...

C’était là que les Trappistes allaient s'installer !,.

Le 16 Novembre 1815, par acte passe devant Maitre Marcon, Notaire à Grignan, le Père Bouisset achetait l’antique Abbaye, c'est-à-dire les bâtiments, les terres bordant la Vence depuis le Vallon de la Solitude jusqu'à l'extrémité du Lignol, l'aire ancienne, l’ermitage et la vigne vieille, le tout pour La somme de 22.000 francs.

Il ne s’agissait plus que de les trouver !... Heureusement, il y avait, en Avignon, patrie du Père Bernard, un excellent homme, le Comte de Broutet, que l’on appelait le Père des Pauvres et encore le Bourru bienfaisant. Et ce fut lui qui voulut bien fournir 1'argent pour l'achat d'Aiguebelle !...

Ce fut en décembre 1815 que, sous la conduite du Père Louis de Gonzague, les Trappistes de la Val-Sainte arrivèrent a Aiguebelle !...

Hélas ! Dans quel état ils trouvèrent cette Abbaye ou ils allaient vivre !....

Le Réfectoire et le chapitre étaient transformés en écurie ; le chauffoir était devenu une cave ; dans les cloitres s'amoncelaient les fumiers ; quant à l’Église, le pavé en avait disparu, une bergerie occupait le vaisseau, le presbytère avait dû abriter les bœufs et les vaches !... Un plancher établi sur les chapiteaux supportait le foin, le bras gauche du transept était privé de sa toiture et quant au bras droit, il avait servi de poulailler et l'on y voyait un perchoir à poules !...

Seules les cuisines et une salle à manger subsistaient et c'est là que les nouveaux moines s'installèrent !....

Le 27 janvier, arriva enfin Dom Étienne Malmy, qui devait être le premier Abbé de cette nouvelle Trappe, et qui en fut le restaurateur !...

Tout aussitôt les Trappistes s'étaient mis à l'œuvre : en peu de temps les bâtiments avaient été relevés, les terrains défrichés, une laiterie, une menuiserie, une forge, puis un moulin avaient été construits, et quelques années après, le Visiteur Général de 1'Ordre, dans son rapport au Pape Léon XII, disait en propres termes : « J'ai vu Aiguebelle....l'édifice et quelques terres adjacentes ont été rachetées, par des bienfaiteurs pour y placer des religieux de la Trappe.... Ils suivent les règlements de la Val-Sainte, sont à peu près quatre vingts, moitié de chœur, moitié de convers. La maison est grande et spacieuse, c'est la troisième de la réforme, en importance.... ».

Aiguebelle était véritablement ressuscitée !...

L’ÉPANOUISSEMENT.

En 1837, Dom Étienne venait d'entrer dans sa quatre-vingt treizième année ; il s'estima trop âgé pour pouvoir diriger utilement la Communauté et donna sa démission.

Ce fut son prieur, Dom Orsise Caravon qui fut élu Abbé.

Sous cet heureux Abbatiat, le Trappe ne fit que s'accroitre ; en 1840 elle comptait plus de deux cents _ - Religieux ; le moment était venu, sans nul doute, d'essaimer, et ce fut en 1843, que la Trappe d'Aiguebelle fonda sa première fille, qui fut l’Abbaye de Staoueli, en Algérie !...

D’autre part, la prospérité du monastère était devenue telle que Dom Orsise put racheter l’ancien prieuré de Sarson, devenu la Grange St-Bernard.

Sans être un grand intellectuel, ce pieux Abbé n’en était pas moins un ami des Livres, et c’est sous son Abbatiat que commença à s’organiser la belle bibliothèque d’Aiguebelle et que l’on y rassembla tous les documents qui devaient servir plus tard à écrire l’histoire de cette Abbaye.

A Dom Orsise succéda, en 1852. Dom Bonaventure Chareyron, qui fonda l’Abbaye Notre-Dame des Neiges, en Vivarais, en même temps qu’il installait à Maubec, non loin d’Aiguebelle, le couvent des Trappistes.

Dom Bonaventure ne devait pas garder longtemps la crosse, car il s’éteignit en 1854 après seulement deux ans d’un Abbatiat assez fécond !...

Dom Gabriel Monbet, Prieur de Notre-Dame des Neiges, fut nommé Abbé, et son premier souci fut de restaurer l’Église Abbatiale. Le mur de façade reprit son ancienne place et de ce fait le vaisseau retrouva sa primitive longueur. De plus, il fit édifier une tribune dominant les trois nefs et un élégant jubé soutenu par quatre colonnes Toscanes. Enfin, il construisit un clocher monumental, en pierre, portant la croix à plus de trente-cinq mètres de hauteur, et y installa deux cloches !...

L’Église ayant enfin retrouvé sa primitive apparence, le zèle de Dom Gabriel se porta sur les bâtiments réguliers. Il restaura le chapitre des Frères, la grande salle qui avait été le chauffoir devint une salle de Lecture, il rendit sa primitive destination au chapitre des Moines, restaura le cloître en changeant la toiture par une terrasse qui fut le solarium, en même temps qu’il aménageait le caveau des Abbés qui reçut le reste de Dom Etienne et de Dom Bonaventure, enfin, il éleva un beffroi sur le  portail d'entrée, avec une armature de fer contenant un carillon.

Mais ce n'était pas tout, car sur le plateau désert dominant le monastère, au Nord-Ouest. Il fit construire la magnifique hostellerie, avec sa chapelle dédiée a Sainte-Anne et enfin c'est lui qui commença la construction d'un grand bâtiment de plus de trente mètres de hauteur, qui fut tour à tour minoterie, chocolaterie, filature, et qui, ses temps derniers, diminue de trois étages, est devenu 1'actuelle distillerie ou s’élabore cette onctueuse Liqueur d'Aiguebelle, dont on devait la formule au pieux Père Jean.

Enfin, c'est encore Dom Gabriel qui confia au Père Hugues Séjalon le soin d'écrire et de publier les Annales d'Aiguebelle, dont les deux gros volumes, d'ailleurs introuvables, ou à peu près aujourd'hui, sont l'ouvrage le plus précieux sur l'histoire de la vieille Abbaye.

Dom Gabriel étant mort en 1882, ce fut Dom Marie Abric qui lui succéda.

On lui doit l'orgue d'accompagnement de L’Église Abbatiale.

Au temporel, puissamment aidé par le Père Jean Baptiste Chotard, mort Abbé de Sept-Fonts, la petite industrie du chocolat reçut une telle impulsion que bientôt le Chocolat d'Aiguebelle fut connu et apprécié dans le monde entier. Mais les deux cents Quvriers qui y travaillaient, donnant à l’Abbaye une trop grande apparence de cité industrielle, la chocolaterie fut transférée à Donzère, et, depuis, il faut le dire, elle est passée en d'autres mains.

Mais, le grand évènement de l’Abbatiat de Dom Marie fut assurément le retour des Trappistes à la règle de Saint Benoit, de la Charte de Charité et des Us de Cîteaux, ce qui fait que l'on peut dire que le 14 Octobre 1892, la restauration complète de l'ordre de Cîteaux était entièrement réalisée !...

Dom Marie eut aussi, hélas ! La douleur de voir la Grande Guerre !... Trente et un religieux furent mobilisés ; quatre tombèrent au champ d'honneur! 24 Citations, 6 Médailles militaires, 14 croix de guerre témoignent du patriotisme des nouveaux Cisterciens !....

En 1922, la santé de Dom Gabriel fut gravement atteinte, il offrit sa démission au chapitre général qui 1'accepta. S'étant demis de ses pouvoirs, il vécut encore huit ans dans ce monastère dont il avait été l'Abbé durant quarante-deux ans. Le «Grand Père» comme on le nommait filialement, s'éteignit le 24 Avril 1931.

Actuellement[1], l'Abbé d'Aiguebelle, est Dom Bernard Delauze, un enfant du monastère, peut-on dire, car il est né à Réauville.

Son œuvre de prédilection est la restauration complète de l'antique Abbaye, à qui il veut rendre sa figure du XIIe siècle.

II a fait gratter tous les enduis recouvrant les murs et fait réapparaître les pierres dans leur nudité, ce qui est assurément plus conforme à 1'architecture Cistercienne.

Enfin, Dom Bernard a eu la grande joie, il y a un mois, de présider ces merveilleuses fêtes du Huitième centenaire de l'illustre et chère Abbaye Tricastine. Et, ce fut à l'occasion de ces Fêtes qu'un Bref de Sa Sainteté a érigé L’Église Abbatiale en Basilique mineure !...

Telle est, rapidement contée, l'histoire de l'Abbaye d'Aiguebelle, que le Tricastin s'honore de voir fleurir si magnifiquement dans son antique Terroir!

Rodolphe BRINGER.

Voir également le site consacré à l'Abbaye : https://abbaye-aiguebelle.cef.fr/presentation-historique

[1] 1937

Photos © Rhonan de Bar.
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