Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #FRANCE SECRETE-HERMETIQUE

Ière Partie.

DAUPHINS  DE VIENNOIS.

 dauphine

 


Des prédécesseurs de Guigue IV, le plus ancien porte les surnoms de « senex, senior, vetus, vetulus. »

« Ego Guigo comes, qui nomine vocor senex, » est-il dit dans une charte de 1053 du Cartulaire d'Oulx (1).

Le second, Guigue II, est cité dans le même acte sous le nom de Guigue le Gras « Atque filius meus Guigo pinguis. » Ailleurs, il est appelé «Guigo crassus. »

Le troisième, Guigne III, n'a pas de surnom, mais il est assez souvent distingué par le rappel du nom de son père ou de celui de sa mère « Ego Guigo comes, filius Guigonis crassi (2); » « Guigo comes, filius Guigonis pinguis (3);  « Guigo comes, filius PetroniIIe (4). »

Guigne IV (1132-1142) porte, du vivant de son père, le nom de « Delphinus. » Une charte de 1110 du Cartulaire de Chalais (5) le constate « Ego Guigo comes et uxor mea regina nomine Meheldis. Et laudaverunt similiter filii eorum Guigo Dalphinus et Humbertus. » Et, vers la même époque, une charte du Cartulaire de Domène (6) commence ainsi « Ego Guigo Delphinus decimas ecclesie Heronei quas pater meus Guigo, comes, mihi dimisit, dono… » De ces mentions, il résulte que le nom «Delphinus,» donné à un enfant du vivant de son père, ne saurait être un titre honorifique comme le prétendent Bullet et M. de Terrebasse.

Qu'est-ce donc ? Une charte du Cartulaire de Saint-Hugues va nous le dire. Elle est d'environ 1140 (7) ; Guigne IV y est ainsi désigné « Guigo comes qui vocatur Delphinus." Guigue comte surnommé Dauphin. Et le texte de la charte montre bien qu'il s'agit d'un surnom et non d'un titre, car, toutes les fois qu'il y est question de Guigue IV, qui y règle un différend avec Hugues II, évêque de Grenoble, le mot «comes » est opposé au mot « episcopus. »

Donc « Delphinus » est un surnom. Mais quel est le sens de ce surnom ? C'est ce que Duchesne, Salvaing de Boissieu et Valbonnais avaient à peu près deviné. Ce surnom est un prénom, peu répandu a ]a vérité, mais qui avait été glorieusement porté par un évêque de Bordeaux de la fin du IV° siècle, saint Delphinus (380-404), et par un évêque de Lyon du VII° siècle, saint Anemond, surnommé Dalfinus (650-659). Ce prénom fut porté après Guigne IV par son petit-fils Dauphin, comte de Clermont, souche des dauphins d'Auvergne, et plusieurs de ses descendants, par sainte Delphine de Sabran (1296-1360) et très vraisemblablement, nous le verrons plus loin, par le chef de la deuxième race des Dauphins de Viennois, André.

Est-il besoin de montrer par des exemples qu'au XII° siècle, époque où se forment les noms de famille, des prénoms, des noms de baptême ont été adoptés comme second nom! Dans le seul Cartulaire de Domène, on trouve à la même époque « Guigo Albertus, Guigo Geraldus, Wuigo Abbo, Guigo Garinus, Guigo Desiderius, etc. »

« Guigo Delphinus » est de même formation.

Ce surnom ou nom patronymique est gardé par Guigue V, fils de Guigue IV (1142-1162), qui porte dans les actes les titres suivants :

1146. Guigo coms, filius Guigonis Delfini (8).

1154. Dominus comes Albionensium Guigo scilicet Dalphinus (9).

1155. Wigo Delphinus cornes Atbionensis (10).

Et dans un diplôme de Frédéric 1er (1155) "Fidelis noster Gygo Delphinus, comes Albonensis (11)."

Pour Guigue V, comme pour son père, Delphinus est un surnom.

Guigue V, en qui s'éteint la première race des comtes d'Albon, meurt en 1168, ne laissant qu'une aile, Béatrix, pour héritière de ses états. Celle-ci se maria deux fois : d'abord avec Alberto Taillefer, fils de Raimond V, comte de Toulouse, qui prend dans les actes les titres suivants :

1178. Ego Talifers, Viennensium et Albonensium comes (12).

1183. Ego Taillafers, Viannensium et Albonensium comes (13).

En 1183, Béatrix, veuve de Taillefer, épouse en secondes noces Hugues III, duc de Bourgogne. Le nouveau souverain du Dauphiné se désigne ainsi

1186. Ego Hugo, Dei gratia, Burgundie dux et Albonii comes (14).

De son côté, Béatrix porte les titres de « Beatrix, ducissa Burgundie et Albonii comitissa (15), ou « Béatrix, Dei gratia ducissa Burgundie et Albonii ducissa (16). »

Ni Béatrix, ni l'un ni l'autre de ses deux maris ne prennent le nom ou titre de Dauphin, ce qu'ils n'auraient pas manqué de faire si ce nom était devenu déjà synonyme de souverain des comtés de Vienne et d'Albon. « Delphinus » était considéré comme le surnom du comte Guigue V, de même que Taillefer était celui du comte Albéric, premier mari de Béatrix. C'est ce que montre l'extrait ci-après d'un acte de 1184 ou ces deux noms Delphinus et Taillefer sont opposés « Cum Hugo, Divionensis dux, filiam comitis Dalphini, viduam Taillefer in uxorem duxisset et comitatum Albonensem teneret (17). »

Remarquons encore, et cette conclusion découle de la précédente en même temps qu'elle la confirme, –que les états de Béatrix ne portent pas le nom de Dauphiné; c'est le « comitatus Albonensis, » ce sont les « comitatus Viennensium et Albonensium. »

Beatrix n'eut pas d'enfants de son premier mariage. De son union avec Hugues III elle eut an Bis, qui lui succéda, et deux filles. A ce fils, âgé de huit ans, qu'elle ramenait de Bourgogne en Dauphiné, elle avait donné le nom ou surnom de « Delphinus » pour bien marquer sa descendance des anciens comtes d'Albon, descendance que les deux mariages de la Bile de Guigue V auraient pu faire oublier. Le nom de ce prince a été défiguré par la plupart des historiens dauphinois qui l'ont appelé Guigne-André. Or, aucun acte ne lui donne le nom de Guigue. Dans tous ceux que j'ai consultés, et j'en ai vu de chacune des années de son règne (1198-1237), il est appelé tantôt « Delphinus » comme son cousin le comte de Clermont, tantôt « Andreas Delphinus. »

 

Il porte le nom de « Delphinus dans les suscriptions ou mentions ci-après :

 

1193. Beatrix, ducissa Burgundie et AIbonii comitissa, et filius meus Dalphinus, cum mecum primo ad Ulciensem ecclesiam accessisset (18)

1210. Ego Dalfinus, comas, dono... omne id quod Guigo comes de Albione, peravus meus, et regina, uxor ejus nomine Mathildis, et Guigo Dalfinus filius eorum donaverunt…(19)

1216. Dom. cornes Delphinus (20).                                                                    

1219. Ego Delphinus, comes Albonii et Vienne palatii (21).

1222. Dom. Delphinus, comes Viennensis (22).

1230. Nos Delphinus, Viennensis et Albonensis comes (23)

1234. Dom. Delphinus, cornes Alhonii et Vienne (24).

Dans son testament, daté de 1228, Béatrix appelle constamment son fils Delphinus « Dono tibi Beatrici, comitisse, uxori filii mei Delphini… »

Enfin, dans un hommage rendu par André-Dauphin au chapitre de Saint-Maurice de Vienne (acte sans date), il s'intitule « Nos Dalphinus, cornes Albonis et Vienne (25) ».

Cet acte est muni d’un sceau d'André-Dauphin qui a été décrit par M. E. Pilot de Thorey (26) dans son inventaire des sceaux relatifs au Dauphiné. Ce sceau reproduit au recto un cavalier galopant à gauche, et au revers les murs de la ville de Vienne. La première partie de la légende manque sur environ les 2/5 de la circonférence; le reste, très nettement conservé, doit être lu :

 

…INI. COMITIS. ALBONIS, et au revers :  ET. VIENNE. P….

 

M. Pilot, d'après Valbonnais, a restitué ainsi cette légende : Sigillum Guigonis Andree Dalphini comitis Albonis. Vienne palatini. Cette restitution est inadmissible, d'abord parce qu'André n'a jamais porté le nom de Guigne et ensuite parce que dans la partie du sceau qui est enlevée il serait impossible de placer les mots Sigillum Gui onis Andree Dalph… Les capitales de la légende sont en effet très grosses et dans la partie qui reste, il n'y a aucune abréviation; on ne peut donc raisonnablement en introduire dans la première partie. Après avoir calculé le nombre de lettres qui occupent les 3/5 de la légende encore visibles, on est amené par une opération arithmétique à conclure que les mots emportés étaient Sigillum Dalf, et que la légende doit être ainsi restituée Sigillum Dalfini, comites Albonis et Vienne palatini, ce qui correspond exactement à la suscription de l'acte citée plus haut « Nos Dalfinus, comes Albonis et Vienne, » et à la légende de Dauphin, comte de Clermont, cousin d'André et son contemporain : S. Dalfini, comitis, is Claromontensis.

Cette reconstitution nous permet d'affirmer ce fait absolument nouveau que dans son grand sceau André-Dauphin ne prend que le seul nom de « Dalfinus. »

Il prend ou reçoit le nom d' « Andreas-Dalphinus » dans les actes ci-après :

 

1204. Tibi Beatrici, comitisse Albionii et tibi Andree-Dalphino, ejus filio et successoribus vestris, qui comites Albionn erunt (27).

 

Notons en passant cette incidente significative qui comites Albionii erunt. Si le nom de Delphinus avait été le titre distinctif des souverains du pays, n'aurait-on pas écrit, comme on le fera un siècle plus tard, sous Humbert Ier : au lieu de qui COMITES ALBIONII erunt, qui DALPHINI erunt ?

1213. Andréas dictus Dalphinus, comes Aibionii et Vienne palatii (28).

1215. Ego Andréas dictus Delphinus, cornes Albionii et Vienne palatii (29).

1223. Andreas-Dalphinus, Albonis comes et Vienne (30).

1223. Andreas-Delfinus, comes Albionis et palatinus Vienne (31).

1236-1237. Dominus Andreas-DeIpninus, Vienne et Albonis comes (32).

Je pourrais multiplier ces exemples; mais ceux que je viens de citer suffisent, il me semble, à prouver que, sous le règne d'André. Dephinus est encore considéré comme un nom ou surnom et, par conséquent, qu'il convient de rectifier une fois de plus le nom de ce prince et de l'appeler André-Dauphin.

A André succéda son fils Guigne VI (1237-1870), lequel prend dans les actes tantôt le nom de « Guigo Dalphinus, » tantôt celui de « Guigo Dalphini. » J'observerai à ce sujet que les éditeurs de cartulaires et autres recueils d'actes n'ont pas toujours assez fait attention à ces différences et qu'il leur est arrivé fréquemment d'imprimer Guigo Dalphinus, et même Guigo dalphinus Vienensis et Albonis comes, là où le texte portait Guigo Damphini, Vienne et Albonis comes. ll est vrai d'expliquer à leur décharge que parfois les scribes ont abrégé la suscription sous cette forme : Nos G. Dalph. Vien. et Albon. comes, ce qui prête aux deux interprétations; mais, à coté de ces suscriptions douteuses, il en est un grand nombre, -les actes de cette époque abondent, qui sont d'une lecture indiscutable...

 

A suivre.

 

 

(1.)Cart Oulx. ch. 152.

(2.)Gall christ.  XVI. Instr ; c 52.

(3.) Cart d’Oulx. ch. 243.

(4.)Ibid, ch. 227.

(5.)Arch. de l’Isère. Charte de Chalais. Cf Pillot de Thorey, Cart de Chalais p. 13-15.

(6.)Monteynard, Cart. de Domène, Lyon, 1859, in-8°, n°13.

(7)Marion, CarT. De Saint-Hugues, p 243.

(8)Arch. De l’Isère. Chartes de Chalais.

(9)Giraud, Cart. de Saint-Bernard de Romans, art. 307.

(10)  U. Chevalier. Cart. De Saint-André-les-Bas, p. 293.

(11). Arch de l’Isère, B 3162.

(12). Cart d’Oulx, ch 45.

(13).  Gucihemon, Bibli Sebusiana, p 5.

(14). Oulx, ch. 35.

(15). Oulx, ch. 37.

(16). Ibid, ch. 33.

(17).  Gall.  christ., XVI. Instr., c. 90. Valb., I, 181.

(18). Oulx, ch. 50.

(19). Arch. de l'Isère, série H. Chartes de Chalais.

(20). Oulx,  ch. 40.

(21). Charte de Charlais.

(22). Oulx,  ch. 34.

(23). Obit. de l’Eglise de Lyon, p. 206.

(24). Oulx, 42.

(25). Arch. de l’Isère, série G., fonds du chapitre Saint-Maurice de Vienne.

(26).  E. Pilot de Thorey, Inventaire des sceaux relatifs au Dauphiné, conservés dans les archives départementales de l’Isère. Grenoble, 1879, in-8°, p 33.

(27). Valbonnais,  I, 121.

(28). Arch. de l'Isère, série G. Cart. d'Aymon de Chissé, fol. 315.

(29). Arch. de l'Isère, B. 3162.

(30). Auvergne, Cart de Saint-Robert de Cornillon, p. 2. (Bull. de l’Ac. delph. Doc. Inédits, T1)

(31). Arch. de l'Isère, série H. Chartes de Chalais.

(32).Testament d'André-Dauphin. Arch. de l'Isère, B. 3162.

Voir les commentaires

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #FRANCE SECRETE-HERMETIQUE

DAUPHIN ET DAUPHINÉ

 


DE L'ORIGINE ET DU SENS DES MOTS

 


DAUPHIN ET DAUPHINÉ

 


ET DE LEURS RAPPORTS  AVEC L’EMBLEME DU DAUPHIN

EN DAUPHINÉ, EN AUVERGNE ET EN FOREZ.

 

dauphine.jpg

 

Deux grandes familles féodales, les comtes de Vienne et d'Albon et les comtes de Clermont en Auvergne, ont adopté le titre de dauphin et l'ont transmis à leur principauté. Le comté de Vienne et d'Albon est devenu le Dauphiné de Viennois ou plus simplement le Dauphiné le comté de Clermont est devenu le Dauphiné d'Auvergne. D'autre part, les comtes de Lyon et du Forez ont, au XIII° siècle, introduit le dauphin dans leurs armes, en même temps qu'il remplaçait dans leurs sceaux le gonfanon des comtes d'Auvergne et les tours des comtes d'Albon.

Pourquoi ces transformations? Quel est le sens de ce titre mystérieux? Quelles causes ont provoqué la création de cette nouvelle dignité féodale ? Ce problème historique, que je vais à mon tour essayer de résoudre, a déjà vivement sollicité l'attention des historiens du Dauphiné et de l'Auvergne et les solutions ne manquent pas.

Dans une dissertation sur le titre de Dauphin que porte le Fils aîné de nos Rois (1) M. Bullet a rappelé toutes les explications données par ses devanciers Les uns, dit-il, « prétendent que le Dauphiné a été ainsi appelé des Auffinates, ses anciens habitants les autres disent que les Allobroges, ancêtres des Dauphinois, étaient une colonie grecque venue de Delphes: d'autres font descendre les premiers dauphins d'une famille vénitienne nommée Dolfino. L'explication de Claude de la Grange mérite d'être citée « Le Dauphiné, dit-il, s'appelait auparavant le Viennois, et, dans le langage populaire du pays, « le Vienné. » Lorsqu'on interrogeait quelque habitant de cette province d'où il était, il répondait dans son patois « Do Vienné. Les Allemands, sous l'empire desquels était alors ce pays, changeant le V consonne en F, prononçaient « Do Fienné, d'où, par une crase facile et usitée dans leur langue, ils ont fait « Dofiné » et donné ensuite le nom de « Dofin » au prince qui en était souverain. Cette conjecture est subtile, déclare gravement Bullet, mais elle est sans solidité. Je renvoie à Bullet ceux qui seraient désireux de connaître les conjectures non moins subtiles des autres historiens dauphinois et celle de Bullet lui-même qui voit dans le nom de dauphin deux mots celtiques signifiant le souverain de la contrée, et j'arrive de suite à ceux dont l'opinion est moins fantaisiste, à Chorier, Valbonnais, Salvaing de Boissieu, Duchesne et de Terrebasse.

« C'était, dit Chorier, la coutume des chevaliers de charger leurs casques, leurs cottes d'armes et la housse de leurs chevaux de quelque figure qui leur était particulière et par laquelle ils pouvaient se faire distinguer des antres qui entraient comme eux dans un combat ou dans un tournoi. Il est vraisemblable que ce prince (Guigne IV) choisit le dauphin, qu'il en lit le timbre de son casque, qu'il en chargea sa cotte d'armes et qu'il en mit la figure sur la housse de son cheval en quelque tournoi célèbre ou en quelque grand combat. Il se fit remarquer entre tous les antres par son adresse et sa valeur; et de là il fut appelé le comte du Dauphin et le comte Dauphin. Ce titre, lui étant agréable parce qu'il lui rappelait son adresse ou sa valeur, le fut aussi pour la même raison à ses descendants, qui l'adoptèrent. Le dauphin devint après ce prince la devise de cette illustre maison. Il n'en devint pas sitôt les armes, comme le croient tous les historiens car les armes des comtes du Viennois, sous les deux premières races, étaient un château composé de trois tours, ainsi qu'il paraît par les sceaux de ces princes. Tels sont ceux du dauphin Guigue-André, de l'an 1800 et de l'an 1886, tels sont ceux de Guigne VII, de l'an 1844, de l'an 1846, de l'an 1284 et de l'an 1868. Il est vrai que celui-ci, qui est le dernier des dauphins de la deuxième race (2), commença le premier à placer un dauphin dans son écu, mais sans quitter les anciennes armes de ses prédécesseurs.

Il est représenté, dans un sceau de l'an 1258, à cheval et armé et un dauphin dans son écu qu'il porte à son bras gauche, mais de l'autre cote du sceau est représenté un château comme les vraies armes de sa maison. Enfin ce prince, par inclination pour ce symbole, fit graver le dauphin seul sur un sceau particulier, qu'il appela son sceau secret (3).

Nous verrons plus loin ce qu'il y a d'exact et ce qu'il y a d'erroné dans cet exposé historique, mais nous pouvons, dès maintenant, faire remarquer que Chorier s'est chargé lui-même de réfuter son propre système. Il ne peut être vrai que le Dauphin ait emprunté son nom à l'emblème peint sur son écu, puisque cet emblème n'apparaît dans les armes des Dauphins qu'un siècle plus tard.

Du Chesne, Salvaing de Boissieu et Valbonnais se rapprochent davantage de la vérité en constatant que Dauphin était un nom donné au baptême à Guigne IV par son père, et que ce nom plut à ses successeurs qui s'en firent un titre de dignité.  « Guigue IV, dit Duchesne, reçut au baptême le nom de Dauphin, comme enseignent diverses chroniques anciennes, lequel nom ses successeurs convertirent depuis en dignité (4). »

« Au reste, dit Salvaing de Boissieu (5), les anciens comtes d'Albon et de Graisivaudan prirent le nom de Dauphins en mémoire de l'un d'eux ce fut Guigue VIII, fils de Guigue le Gras (6), qui reçut au baptême celui de Dauphin, environ l'an 1130 (7), et qui pourtant ne laissa pas de s'appeler aussi Guigue, comme ses prédécesseurs, suivant la coutume de ce temps-là parmi les grands qui portaient souvent deux noms l'un qui leur était propre et particulier, et l'autre en mémoire de leurs ancêtres. Finalement, d'un nom de maison il s'en est fait un de dignité, tellement que dauphin de Viennois veut dire la même chose que prince de Viennois, et pourtant les frères du Dauphin, qui n'avaient point de part à la principauté, n'ont pas laisse de porter le même nom, mais au génitif, pour désigner leur maison, au lieu que les Dauphins le portaient au nominatif. Ainsi Guy Dauphin, frère de Jean II est nommé « Guido Delphini. »

Il est plus vraisemblable, dit le président de Valbonnais (8), que le surnom de Dauphin, que le comte Guigue IV porta le premier, plut assez à ses successeurs pour l'ajouter a leur nom et pour s'en faire un titre, qui s'est conservé ensuite parmi leurs descendants. »

Cette explication, pourtant si rationnelle, n'est pas admise par M. de Terrebasse, d'ordinaire mieux inspiré, et, après l'avoir combattue, il revient au système de Bullet, en le modifiant un peu. « Dalfinus » n'est plus un mot celtique, c'est un mot tudesque signifiant chef, prince. « Wigo, Vuigo, Guigo, dit-il, est un nom d'origine germanique, et les premiers membres de cette famille étaient sans doute au nombre des seigneurs lorrains qui vinrent s'établir à Vienne à la suite du roi Boson. Il est probable qu'ils avaient été investis dans leur pays natal de quelque charge, office ou dignité, et que, plus tard, ils tinrent à honneur de ne pas en perdre le souvenir. C'est alors que Guigne m joignit au nom héréditaire que portait son fils celui de « Delphinus, » qui représente en latin du moyen âge la qualification tudesque dont nous venons de parler. Tout concourt à prouver que « Dalphinus » n'est autre chose qu'un ampliatif du titre de comte qui ne suffisait plus à la fortune et à la puissance des comtes d'AIbon. « Guigo comes, qui vocatur Dalphinus. » Quelle que soit la signification qui se cache sous cette traduction, la valeur et la majesté de l'expression ne sont pas moins garanties par l'adoption qu'en ont faite trois dynasties (9) souveraines, et, plus tard, les rois de France eux-mêmes. Dieu nous garde de nous aventurer avec Bullet et Eusèbe Salverte à la recherche de l'étymologie de ce nom qui demeure un de ces problèmes historiques dont les savants ont vainement poursuivi la solution ! ».

En dépit de cet aveu d'impuissance, M. de Terrebasse, après avoir combattu les opinions de Chorier et de Valbonnais qu'il déclare « également dépourvues de critique et de fondement, » expose ainsi son système personnel, qui est, à peu de différence près, celui de Bullet « Dafinus, Talfinus, ainsi que l'écrivent les chartes allemandes, serait, ainsi que nous l'avons déjà dit, un nom tudesque défiguré par sa traduction en latin et n'ayant originairement aucun rapport avec le mot Delphinus. Et, en effet, il s'écoule un siècle avant que les comtes d'Albon, jouant sur ce mot, se fassent du dauphin des armes parlantes. Ce nom aurait été sous sa forme primitive un nom de dignité, revenant à celui de chef, thane, prince, et le passage suivant de la Chronique d'Ipérius, abbé de Saint-Bertin au XIVème siècle, serait l'écho confus de cette tradition

« Du temps de Conrad le Salique, le roi de Bourgogne Rodolphe, voyant que les Bourguignons, ses sujets, persistaient dans leurs insolences habituelles contre leurs maîtres, transmit à l'empereur le royaume de Bourgogne que les rois de sa race avaient possédé plus de cent trente ans, et la Bourgogne fut ainsi réduite de nouveau en province. Et remarquez à ce propos que, dans le voisinage de la Bourgogne, il existe des princes qui sont appelés dauphins, comme le Dauphin de Vienne, le comte Dauphin d'Auvergne, ainsi nommés parce que leurs prédécesseurs furent rois. Dauphin, en effet, n'est autre chose que roi déposé, et les Dauphins sont des rois déposés (10). »

C'est par respect pour la haute autorité de M. de Terrebasse et parce que c'est la dernière solution proposée (11), que j'ai donné cette longue citation. Problème insoluble, dit M. de Terrebasse, et, comme s'il ne lui suffisait pas de l'affirmer, il le prouve en proposant une solution inadmissible.

Et pourtant l'énigme n'est pas si difficile à déchiffrer, et il suffisait de consulter nos vieux chartriers et aussi ceux de l'Auvergne pour en trouver le mot et pour comprendre et expliquer la genèse de cette nouvelle dignité. Cette consultation, je l'ai faite, non seulement sur les cartulaires imprimés, mais, autant que cela m'a été possible, sur les chartes originales elles mêmes. J'ai relevé avec grand soin les suscriptions au nom des comtes de Vienne et d'AIbon, depuis l'année 1110, époque où Guigne IV, encore enfant, prend pour la première fois, du vivant de son père, le nom de Dauphin, jusqu'à Humbert II qui porte le titre d' «Humhertus delphinus Viennensis, Vienne et Albonis corner, etc. »

J'ai procédé de même pour les Dauphins d'Auvergne, depuis Guillaume VII jusqu'à la fin du XIVème siècle.

Le classement chronologique de ces suscriptions m'a amené à faire les constatations suivantes…

 

1.Lober, collection de meilleures dissertations, notices et traités particuliers relatifs à l’Histoire de France…. Paris, 1838, in-8°, t VI, p. 29.

2.Ceci est inexact : A Guigne VI dit le Jeune, que Chorier appelle Guigue VII, parce qu'il a donné par une erreur générale de son temps le nom de Guigue à André, succéda son fils Jean 1er (1270-1282).

3.Chorier, Histoire du Dauphiné. Réimp. Valence, 1878. p. 600 et suiv.

4.Ducheme, Histoire des Dauphins du Viennois, p11.

5. Usage des fiefs, éd. de 1731, p. 13.

6.Ceci est une erreur. C'est le petit-fils de Guigue le Gras qui prit le premier le nom de Dauphin.

7.Cette date est également fausse. C’est en 1110 que le nom de Delphinus apparaît pour la première fois.

8.Histoire du Dauphiné, t I, p.3.

9.Quelles sont ces trois dynasties ?  Je connais les comtes d'Albon et les comtes de Clermont; mais si M. de Terrebasse fait allusion aux comtes de Forez, il se trompa. Ceux-ci ont placé, il est vrai, le dauphin dans leurs armes, mais ils n'ont jamais pris le titre de dauphin

10. A. de Terrebasse, Œuvres posthumes, p, 121-125.

11.Voyez toutefois à ce sujet un intéressant article de M. Joseph Roman, inséré dans les Mélanges de numismatique, t. III (1878). J'aurai occasion d'en reparler dans la troisième partie de cette étude.

Voir les commentaires

Articles récents

Hébergé par Overblog