PAR M. DE SAINT-ALLAIS.
DE
L'ANCIENNE FRANCE.
CHAPITRE PREMIER.
(Troisième extrait)
DES MINISTRES D'ETAT
ET DU CONSEIL DE NOS ROIS.
Ce déchirement du territoire de l'Etat, qui avait été consacré même par la faiblesse de nos Princes, qui s'étaient trouvés réduits à donner l'investiture de toutes ces parcelles aux occupans, réduisit ces Monarques à n'avoir, pour tout domaine, que les villes de Compiègne, de Laon et de Soissons, et entraîna la chute de ces Princes en 987, époque à laquelle Hugues-Capet, le plus puissant des grands vassaux, fut proclamé Roi, et fonda la troisième dynastie de France.
Sous cette troisième dynastie, le Conseil du Roi, d' abord appelé l'Etroit Conseil, ensuite le Conseil secret ou privé, et enfin le Conseil d'Etat et privé, était composé des cinq grands-officiers de la Couronne : le Sénéchal ou Grand-Maître, le Connétable, le Bouteiller, le Chambrier et le Chancelier, lesquels étaient proprement les Ministres du Roi ; on les nommait aussi Regni Administri. Ils signaient toutes les chartes. Il leur adjoignait, quand il le jugeait à propos, quelques autres personnes distinguées, comme Evêques, Barons ou principaux officiers : ce Conseil était pour les affaires journalières ou les plus pressantes.
Le Sénéchal ou Grand-Sénéchal de France, qui était le premier officier de la Couronne, était aussi le premier Ministre du Roi : il avait l'entière surintendance de sa maison ; et jusqu'au temps de Philippe-Auguste, il faisait lui-même toutes les expéditions du Conseil, avec les Notaires, ou Secrétaires du Roi. Frère Guérin, Evêque de Senlis,: Ministre de Philippe-Auguste, étant devenu Chancelier, abandonna aux Notaires du Roi toutes les expéditions du secrétariat ; et, depuis ce temps, les Notaires du Roi faisaient tous concurremment ces expéditions.
Ce même Prince, et Saint Louis, son petit-fils, établirent des formes d'administration plus étendues et plus régulières, surtout quant aux finances. Ils créèrent un Trésorier-général, dont les comptes devaient être vérifiés au Conseil-Étroit du Roi. Ce Conseil était toujours à la suite du Prince, comme traitant de tous les objets d'administration civile, politique et financière.
Philippe-le-Bel, en 1302, voyant que le Conseil commun était surchargé d'affaires, commit toutes les causes de la justice et des procès au Parlement, qu'il rendit sédentaire, et qui n'était qu'une émanation du Conseil du Roi, et il constitua un Conseil privé, qui était toujours auprès de sa personne, et ne formait, pour ainsi dire, qu'un même individu avec lui (adnon vel Consiliuni nostrum) ; et il créa la Chambre des comptes de Paris, pour régler le plus grand nombre des provinces de France.
En 1309, Philippe-le-Bel ordonna qu'il y aurait constamment près de lui trois Clercs du Secret, pour les expéditions du Conseil secret, qu'on appela depuis Conseil des dépêches. On les nomma Clercs du Secret, sans doute parce qu'ils expédiaient les lettres qui étaient scellées du scel du secret, qui était celui que portait le Chambellan.
Ces Clercs du Secret prirent, dans la suite, le titre de Secrétaires des finances, et, en 1559 et 1588, ils furent créés en titre d'office, au nombre, de quatre, sous le titre de Secrétaires d'État, qu'ils ont toujours conservé depuis. Voyez le chapitre des SECRÉTAIRES D'ETAT.
Sous Louis X, dit Hutin, ce fut Charles de Valois, oncle de ce Prince, qui devint son Ministre (1314 -1315), et qui dirigea toutes les affaires de ce règne, qui fut de courte durée.
Le Conseil du Roi Philippe-le-Long, frère de Louis Hutin, était composé, en 1316 de la manière suivante :
Charles de France, Comte de Valois, oncle de Philippe-le-Long ;
Louis-de-France, Comte d'Evreux, Prince du sang, frère du précédent;
Charles de France, Comte de la Marche, Prince du sang, et depuis Roi, sous le nom de Charles IV, dit le Bel ;
Louis de France, Comte de Clermont, et Duc de Bourbon, Prince du sang ;
Jean de France, Baron de Charolais, Prince du sang, frère du précédent ;
Robert de France, Comte d'Artois, troisième du nom, Prince du sang ;
Guy IV de Châtillon, Comte de Saint-Paul ;
Amédée-le-Grand, Comte de Savoie ;
Jean II, Dauphin de Viennois ;
Robert VII, dit le Grand, Comte d'Auvergne et de Boulogne ;
Jean Ier, Comte du Forez ;
Beraud X, Sire de Mercoeur ;
Gaucher de Châtillon, Connétable de France;
Miles de Noyers, Sire de Vandoeuvre ;
Le Sire de Sully;
Guillaume d'Harcourt, Seigneur d'Elboeuf, queux de France ;
Le Sieur de Reynel ;
Le Sieur de Trie père ;
Messire de Machy ;
Jean de Beaumont, Maréchal de France ;
Jean de Corbeil, Maréchal de France ;
Le Sieur Herpin d'Erquéry ;
L'Archevêque de Rouen ;
L'Évêque de Saint-Malo ;
Gilles Aycelin de Montagu, Chancelier de France ;
Ce qui faisait en tout vingt-cinq Conseillers. Cependant, Guillard, dans son histoire du Conseil du Roi, dit qu'un grand nombre de personnes considérables, dont il ne peut rapporter les noms, étaient admises dans ce Conseil.
Mais ce Prince, par son réglement de l'an 1319, ordonne que son Conseil s'assemblera une fois le mois pour délibérer sur toutes les grâces et les requêtes qui lui auront été présentées pendant le mois précédent; qu'il sera fait un registre dans lequel on écrira journellement ce qui sera arrêté de plus remarquable ; que Maître Pierre Barrière, son clerc et son secrétaire, gardera ce journal, et que quand S. M. n'aura pas eu le temps d'assister en personne à son Conseil, ceux qui y auront été présens, ou l'un des poursuivans (c'étaient les Maîtres des requêtes de ce temps), l'avertiront chaque jour de ce qui aura été arrêté.
En 1320 et 1321, parurent deux autres réglemens, par lesquels le même Roi ordonna que les deux Maîtres des requêtes suivant la Cour, seraient tenus de seoir chaque jour en lieu commun, pour ouïr les requêtes; qu'ils n'en recevraient aucune concernant le Parlement, la Chambre des Comptes, ou le Trésor, mais les leur renverraient; que s'il s'en présentait d'importantes, soit pour des récompenses de services, soit pour des grâces particulières , soit même contre les arrêts donnés au Parlement, ils seraient obligés d'en avertir le Roi.
Il paraît qu'en 1350, le Conseil du Roi était réduit, suivant le registre C de la Chambre des Comptes, à cinq personnes ; le Chancelier, les sieurs de Trie et de Beaucourt, Chevalier, Enguerrand du Petit-Collier, et Bernard Fermant, trésorier ; chacun de ces Conseillers d'Etat avait 1000 liv. de gages, et le Roi ne faisait rien que par leur avis.
L'ordonnance de Charles VI, de l'an 1413, en son article 207, établit qu'il ne sera plus admis au Conseil que le Connétable, le Chancelier, les Princes et les Grands-Officiers de la Couronne qui étaient en possession d'y entrer, et les Conseillers d'Etat, dont le nombre sera réduit à quinze.
Par l'article 209, le Roi veut que ces quinze Conseillers soient à lui et non à autres. Il défend au Chancelier, sur la foi et loyauté qu'il doit à Sa Majesté, d'en recevoir un plus grand nombre, et il ordonne d'emprisonner tous les autres qui se présenteront pour entrer en son Conseil.
Par l'article 210, il réduit les Maîtres des requêtes à huit, quatre clercs et quatre laïques, et veut que les requêtes concernant sa conscience soient remises à ses aumôniers et à son confesseur. Il ordonne ensuite que le Grand-Chambellan et les Chambellans ordinaires feront le rapport des requêtes qui toucheront les gens et les affaires de sa chambre, et que celles qui toucheront les autres officiers de sa maison, seront: rapportées par le Grand-Maître et les Maîtres ordinaires d'hôtel. Il ajoute que toutes les autres requêtes seront rapportées par les Maîtres des requêtes; que ceux-ci signeront les lettres-patentes qui seront accordées en conséquence, et cela avant que le secrétaire qui en aura reçu le commandement les puisse signer, et il fait défense au Chancelier de les sceller, qu'elles ne soient effectivement signées du Maître des requêtes qui aura rapporté.
L'article 212 porte qu'il ne sera rien rapporté, au Conseil, que le Roi ne soit assis, et après lui les Princes du sang, le Chancelier et les Conseillers d'État; et qu'après qu'ils seront tous assis, les affaires seront proposées et mises en délibération par le Connétable ou le Chancelier, suivant qu'elles les concerneront, et qu'en rapportant, ni l'un ni l'autre n'approcheront du Roi plus près que leur siège.
L'article 222 ordonne qu'il sera tenu un registre de tout ce qui s'expédiera , soit par Sa Majesté, soit par le Chancelier, soit par le Conseil, et que ce registre sera à la garde du Chancelier qui le fera apporter chaque jour au Conseil, et reporter en son hôtel.
Jusque-là, on ne voit pas que le Conseil du Roi ait été divisé en plusieurs départemens. Louis XI paraît être le premier qui ait imaginé cette division. Il avait, en effet, trois Conseils, le premier pour la guerre et les affaires d'Etat, le second pour les finances, et le troisième pour la justice. Son exemple fut suivi par Chartes VIII, Louis XII, et François Ier, jusqu'à son retour d'Espagne.
Mais cet ordre fut changé par ce dernier Prince, en 1526; les trois Conseils furent alors réunis en un, et cela produisit une confusion et un désordre dont les historiens se plaignent beaucoup. Le grand nombre d'officiers qui se trouvaient ainsi rassemblés empêchait qu'on ne pût demander à chacun son avis raisonné sur les matières qu'il y avait à traiter ceux qui avaient le plus de crédit ou de pouvoir parlaient les premiers, personne n'osait les contredire, et par là ils donnaient seuls la loi.
Henri II chercha à remédier à cet abus. Le 3 avril 1547 , il fit un réglement par lequel il ordonna que son Conseil s'assemblerait deux fois le jour; la première, pour délibérer sur les affaires d'Etat et de finance, et la seconde, pour traiter les autres matières et entendre les requêtes des parties; que la première séance se tiendrait le matin, et qu'il n'y entrerait dorénavant que le Roi de Navarre, le Cardinal de Lorraine, le Duc de Vendôme, l'Archevêque Duc de Reims, le Connétable de Montmorency, le Chancelier, les Comtes d'Aumale, d'Harcourt et de Saint-André père et fils, Messire Jean Bertrand, Président au Parlement de Paris, le sieur de Villeroy, et les quatre Secrétaires des finances, qui tous se borneraient à arrêter ce qu'ils jugeraient le plus convenable , et le feraient ensuite entendre au Roi, pour en ordonner à son bon plaisir; que la deuxième séance se tiendrait l'après-dînée, et que l'on y admettrait, outre ceux qui viennent d'être nommés, les Cardinaux de Bourbon, de Ferrare, du Bellay et de Châtillon, les Ducs de Nevers, de Guise et d'Estampes, les évêques de Soissons et de Coutances, Messire Pierre Raimont, premier Président du Parlement de Rouen, et les gens des finances, et que dans cette assemblée, on ferait et conclurait sur le rapport des Maîtres des requêtes qui y seraient appelés, les dépêches et provisions que l'on verrait être requises et nécessaires pour le bien et service du Roi, de ses sujets et du royaume.
Ce réglement ne fut pas longtemps exécuté. Le nombre et la qualité de ceux qui composaient le Conseil, changeaient suivant les différentes occurrences des temps. On remarque, par exemple, qu'en 1560, Charles IX, par un règlement fort étendu, fit passer la plupart des affaires par les mains de la reine mère et du Roi de Navarre, et donnait l'entrée au Conseil à ceux qui le composaient précédemment, aux Secrétaires d'Etat, aux Surintendans, aux deux Secrétaires ordonnés pour le fait des finances, et aux Trésoriers de l'épargne et des revenus casuels.
Ce Monarque s'aperçut bientôt des inconvéniens que produisait sa trop grande facilité à multiplier les gens de son Conseil. Par une ordonnance du 28 juin 1564, il défendit d'y recevoir personne, que le nombre de ceux qui y avaient entrée, et qui était immense, ne fût réduit à vingt.
Par un autre réglement du 18 février 1566, le même Roi ordonna que les gens de son Conseil s'assembleraient tous les mercredi et les vendredi de chaque semaine, pour ouïr toutes les plaintes et requêtes de justice, et pourvoir aux parties, sans vaquer à autre chose, et qu'ils n'admettraient dans leur assemblée que les Maîtres des requêtes, les Secrétaires ordinaires, les gens des finances, et le sieur de Saint-Bonnet, pour tenir le registre du Conseil.
Ce réglement ajoute que, quand le Roi assistera en personne à son Conseil, il n'y pourra demeurer que les Conseillers et Secrétaires d'Etat, le Comte de Retz, et, en son absence, le sieur de Rostaing, pour le service de Sa Majesté, et le sieur de Rennevenry, pour celui de MONSIEUR.
Charles IX ne se borna point à ce réglement sur la discipline de son Conseil; il en fit encore trois autres, les 11 janvier 1570, 28 juillet et 24 octobre 1572 : tout ce qu'ils contiennent de plus remarquable, c'est que le Conseil devait se tenir près de la chambre du Roi, afin qu'il pût s'y rendre et en sortir sans être vu; que le Conseil privé des parties ne se tiendrait point sans qu'il s'y trouvât soit un de Messieurs ses frères, soit un des Princes, Ducs ou Maréchaux, soit l'Amiral, soit le Grand-Ecuyer ; que tous les gens de robe longue, qui auraient été appelés à ce Conseil depuis deux ans, seraient distribués par quartiers, pour y assister au nombre de quatre, et non plus pendant chaque quartier.
Henri III commença son règne par régler son Conseil; il en réduisit les membres à un certain nombre, et donna des lettres-patentes en commandement, et sous le grand sceau, à ceux qu'il retint pour y servir.
Le 11 août 1578, il porta, sur le même objet, un réglement très-détaillé, dont on ne croit devoir rapporter que les principales dispositions :
Par l'article Ier, le Roi veut que dorénavant il se tienne tous les lundi, mardi, jeudi et samedi, tant le matin que l'après-dînée, un Conseil que l'on appellera Conseil-d'État, et qui s'assemblera en un lieu choisi exprès, partout où sera logée Sa Majesté.
L'article II détaille fort au long les matières qui devront se traiter en ce Conseil, et résume toutes ses dispositions en ces termes : « Bref, Sa Majesté entend qu'audit Conseil, et non ailleurs, se traitent dorénavant toutes matières concernant ses finances, le repos, soulagement et conservation de ses provinces. »
L'article VI porte qu'il n'entrera dans ce Conseil que les Princes, les Maréchaux de France, les Grands-Officiers de la Couronne, le Grand-Maître de l'artillerie, les gens d'affaires de Sa Majesté, les Gouverneurs et Lieutenans-Généraux des provinces, le Colonel de l'infanterie française, les Capitaines des gardes , les sieurs que Sa Majesté a retenus dudit Conseil, les quatre Secrétaires d'Etat, deux des six Intendans des finances, le Trésorier de l'épargne et le Secrétaire des finances qui sera de quartier.
Par l'article VII, le Roi déclare qu'il se rendra à ce Conseil tous les samedis, après dîner, pour se faire rendre compte de tout ce qui aura été fait pendant la semaine.
Henri IV, par son réglement, du mois de mai 1595, veut que le Conseil des dépêches se tienne en présence du Roi et de la Reine, avec les Princes et autres Seigneurs de son Conseil qu'il plaira à Sa Majesté y appeler, aux lieux et heures qui seront ordonnés.
A l'égard du Conseil-d'État et finances et du Conseil privé, le Roi déclare qu'ils seront composés de personnages choisis, de qualité, de prud'homie, expérience et capacité, qui serviront quatre mois seulement, comme il a été autrefois pratiqué. Il ajoute : que les Princes du sang, les Cardinaux, les autres Princes, les Ducs et Pairs, les Officiers de la Couronne, les Secrétaires d'Etat, les membres du Conseil de la direction, les Contrôleurs et les Intendans des finances et le Chevalier-d'Honneur de la Reine, y auront également entrée, séance et voie délibérative ; et il veut qu'il en soit de même des Gouverneurs et Lieutenans-Généraux des provinces, pour tous les cas où il s'agira de faits de leurs charges.
Le Roi Louis XIII, voulant réduire le trop grand nombre de ses Conseillers d'Etat, qui diminuait beaucoup la dignité de cette charge, au préjudice de l'autorité que Sa Majesté devait avoir dans ses Conseils, et du fruit qui en devait revenir pour le bon gouvernement de ses affaires et de celles de ses sujets, a ordonné qu'il ne serait expédié aucun brevet de Conseiller en ses Conseils qu'il ne fût signé de la propre main de Sa Majesté, avec addition de la même main des mots : Pour un tel.
Ce même Prince divisa son Conseil en cinq parties, savoir :
1° Le Conseil des affaires étrangères, ou Conseil d'État proprement dit ;
2° Le Conseil des dépêches ;
3° Le Conseil royal des finances ;
49 Le Conseil royal de commerce ;
5° Le Conseil-d'État privé ou des parties.
Cependant, cette organisation subit parfois certains changemens, tant par rapport à l'objet de chaque séance que pour la dénomination des Conseils.
Louis XIV introduisit aussi quelques nouveaux changemens, et sous Louis XV et Louis XVI, on ajouta, aux sections précédentes, un Conseil pour la Chancellerie et un autre pour la direction des finances...
A suivre...