TRAITÉ PRATIQUE DE LA CONSTRUCTION DES ÉGLISES... XAVIER BARBIER DE MONTAULT. 1878
CHAPITRE IX
LA PREMIÈRE PIERRE
1. Quand le plan de l'église est tracé sur le papier et approuvé, on le dessine sur le sol, afin que l'évêque ou le prêtre puisse en bénir les fondements[1]. Une croix de bois est plantée à l'endroit où s’élèvera l'autel[2].
2. On procède alors à la bénédiction et imposition solennelle de la première pierre. En 1121, Calixte II envoya la première pierre à l'église Saint-Pierre d'Aversa, qui allait être commencée.
Cette pierre est un bloc carré[3], d'environ un pied de largeur par chaque côté. A la partie supérieure se grave une inscription commémorative, à moins qu'on ne préfère pratiquer au milieu une cavité, clans laquelle on place un procès-verbal, écrit sur parchemin et scellé dans un tube de cristal : la cavité serait ensuite fermée par un couvercle cimenté. Il est encore d'usage d'ajouter à l'acte officiel de la pose des médailles de dévotion et des monnaies du temps pour préciser la date.
On pourrait graver régulièrement sur chacune des faces les trois croix que l'officiant doit y tracer de front avec un couteau[4].
3. La pierre ainsi préparée se place dans les fondations, à l'angle droit de l'abside, du côté de l'évangile[5]. C'est, en effet, une pierre angulaire et elle représente le Christ [6]dont l'Ecriture a dit : « Factus est in caput anguli[7] »
4. À la feuille de parchemin, on substituera avec avantage une lame de plomb, le cuivre s'oxydant trop promptement.
Aux archives de Bénévent, j'ai copié l'inscription suivante, qui a été ainsi gravée et qui peut servir de modèle ; elle donne la date, le vocable de l'église et le nom de l'évêque qui fait la fonction :
Die XVIII maii : Ego Seraphinus miseratione divina S. R. E. presbyter cardinalis Gincius, S. Metrop. Ecclesiee Beneventanae archiepiscopus, prirnarium hune lapidem benedixi et imposui ad constructionem hit jus ecclesiae in honorem Dei ac B. F. M. atque SS. Michaelis arcliangeli et Joseph confessoris[8] anno Domini MDCCXXXV, indictione XIII, pontificatus mei Beneventani et ordinationis mae anno II.
On la compléterait avantageusement en y ajoutant le nom de l'architecte.
Voici l'inscription qu'Amanieu d'Armagnac posa, en 1288, dans les fondements de sa cathédrale d'Auch :
+ AMANEVVS : DE : A
RMANIACO ARCHIE
PS : AUXITANUS | III
C : ME : POSUIT ! + A0 :
: M0 ; C° C ; : L° XXX
V° III :
Au-dessous est une croix entre un lion emprunté aux armes et une crosse.
5. Cette inscription devant demeurer cachée, souvent on en ajoute une seconde, dans l'église, à l'endroit même où fut placée la première pierre. En voici un exemple, fourni par l'église du Divin amour, à Rome :
BENEDICTO XIII PONT. OPT. MAX,
QVOD
PATERNAM DIVAE CECILIAE DOMVM
IN EIVSDEM VIRGINIS ET MARTIIRIS HONOREM
ET DIVII BASII DICATAM
INIVRIA TEMPORVM PENE COLLAPSAM
IACTO SOLENNITER PRIMO LAPIDE
DIE XXV IVLII ANNO MDGGXXIX
A FVNDAMENTIS RESTITVERIT
ET DEIPARAE MARIAE SACRAM QVOQVE
IN POSTERVM ESSE IVSSERIT
6. On place encore solennellement une première pierre dans des circonstances mémorables, comme l'érection delà colonne du Concile. La Correspondance de Rome a ainsi rendu compte de la cérémonie du 14 octobre 1869, qui pont servir de règle en pareille occurrence :
« Un trou très-profond avait été creusé pour recevoir la première pierre, et au-dessus de ce trou avait été élevé uu pavillon de draperies portant ces- deux inscriptions : Pie IX. Te. Deus. Fovcat. Tucatur. Sospitet et In. Memoriam. Concilii aecumenici. S. Em le cardinal Berardi, revêtu des ornements pontificaux, a accompli la cérémonie selon le Cérémonial. La pierre ayant été bénite, on y a renfermé le procès-verbal rédigé en ces termes, sur parchemin : An. MDCCCLXIX. Pridic idus octobris. Ego loseph, lituli SS. Marcellini et Petri, S. II E. Presbyter Cardinalis Berardi, de mandato, SSmi Domini nostri Pii Papae. IX, hunc lapidem auspicalem benedixi marmorae columnae B. Petro Apostolorum Principi dicatae erigendae in memoriam Concilii Oecumenici pro die octava decembris ejusdem anni indicti. À ce parchemin était jointe une cassette contenant la série des monnaies pontificales on or, argent et bronze, frappées dans le courant de l’année, ainsi qu'une médaille sur laquelle ou voit d'un côté la colonne monumentale se dressant devant la façade de l'église de S. Pierre in Montorio, avec ces légendes : Fundamenti eius in montibus sanctis et Beato Petro Àp. Princ, et de l'autre une inscription commémorative. Quelques-unes des personnes présentes y ont ajouté d'autres médailles. Puis, des croix ayant été gravées sur la pierre, on l'a descendue au fond du trou, et la récitation des prières prescrites a mis fin à la cérémonie. Alors, toutes les personnes présentes se sont approchées du trou et y ont jeté du mortier pour fixer la pierre. »
Citons un autre exemple, encore emprunté à Rome.
Sa Sainteté ayant ordonné d'ériger, devant la basilique de S. Laurent-hors-les-murs, un monolithe de granit oriental surmonté de la statue de S. Laurent, la pose delà première pierre de ce monument eut lieu en 1864. S. G Mgr Marinelli, sacriste de Sa Sainteté, donna la bénédiction prescrite par le pontifical, en présence de M. Spagna, économe de l'oeuvre, et de l'architecte Vespignani, chargé de la direction des travaux de restauration de la basilique. La légende suivante, écrite sur parchemin, fut déposée, avec quelques pièces de monnaie récemment frappées, dans une cavité de la pierre : Cum Basylica Sancto Laurentio Martyri dicata, tanta vetustate, et tot religionis monumentis commendata esset, doleretque in deterrimam conditionem coniectam ex temporum antiquitate et iniuria, id fuit munificentissimo Pontifici Pio PA-PAE IX studiosissimum propositum, ut et vetera opera in lucem vindicarct, et totam aedem sacram suo decori restitueret. Quare tectum undique apta ingentique contignatione refecit ; parietes restauravit, et fenestris instruxit ; vetustiorem, a Constantino Magno primitus excitatam, partem, terra et ruderibus obstructam, integritati pristinae restituit ; maius altare fulcivit ; porticum a latere in sacrarium vertit ; sacellum Eucharistiae extruxit ; pavimentum marmoribus stravit ; porticum a fronte, cum picturis vetustate evanescentibus, reparavit ; solo ante Basylicam late producto, planitiem ad prospectum comparavit, opera et studio architecti Virginii Vespignani, comitis et equitis, cui hoc tantum muus ipsius SUMMI PONTIFICIS iussu concreditum est. Quorum apprime admirabilium operum, ut memoria in aevum extaret, idcirco columna hmc in honorem Divi Laurentii Martyris erecta est, cuius fastigio aeneum inclyti Martyris simidacrum impositum. Statuit autem ipse SUMMUS PONTIFEX diem hanc, hora undecima ante meridiem, ut per lllustrissimum ac Reverendissimum Franciscum Marinelli, ex Ordine Erem. S. Augustini, Porphiriensem Episcopum, Antistitem rei sacrae praepositum, adstante architecto, et Joachimo Spagna, équie torquato, ex intimis SUMMI PONTIFICIS cubiculariis, horum operum oeconomo Pontificia auctoritate designato, primus lapis benedictus, una cum hac memoria exemplari ins-criptionis de his operibus testantis, et numismatibus novissime excusis in capsula plumbea reposuit, ad aetemam Divi Nominis gloriam, et beati Lanrentii honorem collocareturt, ut reapse collocatus est. Kal. Febr. anno Salutis MDCCCLXIV.
F . FRANCISCUS, EP. PORPHYRIEN.
CHAPITRE X : LA MACONNERIE
1. On bâtit en moellons, en briques ou en pierres.
Les briques et les moellons exigent un enduit, La pierre de taille, au contraire, régulièrement appareillée, produit d'elle-même son effet, qui est réellement monumental.
2. Les matériaux employés seront de bonne qualité et la maçonnerie faite avec soin, à l'aide d'un ciment bien préparé, offrira la solidité et la durée qu'on désire avant tout.
Il est de tradition qu'on fait entrer dans la nouvelle construction les matériaux de l'église qu'on remplace, s'ils ne sont pas salpêtres. On leur doit cet honneur, puisqu'ils ont été sanctifiés par les prières et les rites de l'Église et aussi afin d'éviter qu'ils servent à des usages profanes.
3. En Italie, tout ce qui, en fait de décor peint ou sculpté, survit à un édifice détruit, se conserve précieusement comme un témoin du passé. On l'incruste dans les murs du vestibule, de la sacristie ou du cloître (à Rome, sainte Marie in Trastevere, saint Georges in Velabro, saint Eustache, etc,) et l'on forme ainsi à peu de frais un musée local des plus intéressants pour l'histoire et l'art. Il serait barbare de briser tous ces débris, qui pourront encore trouver place dans un musée diocésain.
4. Les murs se composent d'un soubassement en saillie et en pierre dure, qui forme la base du monument ; d'un rez-de-chaussée, limité par un cordon de séparation avec l'étage supérieur; d'un étage de fenêtres et enfin d'une corniche sur laquelle pose la toiture.
Au pied de la muraille, il convient de paver ou daller le sol, mais en glacis, de façon à en écarter l'humidité, quand il pleut. Au moyen d'une rigole, on facilitera l'écoulement des eaux qu'il faut absolument diriger en dehors de l'édifice.
Si l'église est dominée par les terres, Benoît XIII prescrit, avec beaucoup de sens, de creuser tout autour un fossé, en sorte que l'intérieur soit au-dessus du niveau de l'eau. En cas d'humidité persistante, on devrait drainer le pavage.
5. Le même pape défend de planter des arbres trop près des murs, car leurs racines entament la maçonnerie et leurs branches dérangent la toiture que les feuilles en tombant salissent, à l'automne. De plus, s'ils sont touffus, ils occasionnent au-dedans une fraîcheur préjudiciable.
6. La construction est encore gravement endommagée par les dépôts de gravois et de matériaux, qu'on ne doit, sous aucun prétexte, y laisser séjourner. Il convient encore moins d'y établir des urinoirs, même avec de l'eau courante ou d'y laisser faire des ordures. La maison de Dieu commande ce respect qu'on observe même dans Tordre purement civil. On l'obtiendra sûrement en entourant d'une grille toute la partie exposée aux outrages du public, comme on Ta fait à sainte Clotilde de Paris et pour embellir ce terrain vague, on y plantera quelques fleurs.
7. Le parement intérieur de pierres de taille n'a pas besoin d'être retouché ; tout au plus peut-on passer les joints en couleur, pour les mettre en relief. Le moyen-âge les peignait en rouge.
Si un crépi est nécessaire, qu'on ne le blanchisse pas simplement à la chaux, mais qu'on lui donne une teinte mate et douce, qu'on laisse unie ou sur laquelle on trace un appareil régulier, égayé de quelques ornements.
Les faux marbres sont aussi laids que prétentieux.
Une peinture polychrome est très-riche, mais elle requiert la main, le goût et l'expérience d'un artiste. D'heureux essais ont été faits en ce genre à Moulins et à Riom.
8. Lorsque la charpente reste apparente dans les nefs, les parties nobles de l'édifice, comme abside, choeur, chapelles, réclament des voûtes.
Si toute l'église est voûtée, le style se conforme à celui de l'ensemble.
En peinture, le fond bleu étoile gagnera à être remplacé par des motifs moins vulgaires. On peut l'historier, comme le fit le XIII° siècle à saint François d'Assise,
L'établissement d'une voûte, en pierres ou moellons, nécessite deux précautions : construire les murs en conséquence elles renforcer par des contreforts qui neutraliseront la poussée. En Italie, faute de contreforts, on se sert de tirants en fer qui coupent désagréablement les lignes de l'architecture.
La voûte en briqués est plus légère.
Pourquoi ne reviendrait-on pas, lorsqu'on est obligé de restreindre la dépense, à ces voûtes en bardeau, si communes aux XV° et XVI° siècles dans nos églises rurales? Rehaussées de couleur et de découpures, elles sont à la fois d'un agréable effet et moins coûteuses que les autres.
9. Rome a préféré souvent les plafonds aux voûtes et elle les a découpés en caissons sculptés, peints et dorés. Peut-on regretter celles-ci quand on a sous les yeux des types aussi achevés que les plafonds de saint Jean de Lalran, de l’Ara coeli de sainte Marie in Trastevere, ou de saint Chrysogone et de saint Marcel?
Un plafond ne peut être admis indifféremment partout. En cela on se guide d'après le style adopté. Les plafonds ne conviennent qu'aux constructions imitées de l'art lutin ou de la renaissance; le moyen âge n'en a pas laissé trace et les temps modernes n'y ont pas tenu tellement qu'ils n'aient aussi employé le système des voûtes, comme au Jésus, à saint Ignace, à saint André della valle et a la Chiesa nuova.
10. Dans les églises on prêche et on chaule. La construction doit donc être étudiée aussi au point de vue de l'acoustique, qu'il serait impardonnable à l'architecte de négliger. Pour remédier au défaut de sonorité et empêcher que les voix se fatiguent, qu'on se serve des moyens artificiels usités au moyen-âge et qui consistent en poteries incrustées dans les voûtes et les parois ou disposées sous les dalles.
11. Les dômes sont bien en vogue depuis le XVI siècle. Ils sont l'amortissement obligé des rotondes : dans les églises latines, ils s'élèvent à l'intersection de la nef et du transept. Les églises de saint Pierre, saint Charles ai catmari et saint André della valla leur doivent une partie de leur splendeur.
La coupole, haussée sur un tambour et prolongée en campanile avec une croix au sommet, sera partout un hors-d'oeuvre, si elle ne protège pas le maître-autel, qu'elle couronne à l'intérieur et annonce au dehors.
[1] « Pontifex spargit aquam benedictam per omnia fundanienta, si sunt aperta ; si non aperta sunt, circuit aspergendo fundamenta ecclesiaî designata » (Pontifical.)[2] « Lignea crux in loco ubi débet esse ltare figatur. » (Ibid.) [3] « Lapis in ecelesiae ; fundatione ponendas, débet esse quadratus et angularis. » (Ibid.) [4] « Accepto cultro, per singulas partes sculpit in eo signum crucis. » (Ibid.) [5] « Quando quidam iu substructionibus ipsis statuenda sit petra fundamentalis, fossio liet quo loco ipsa erit collocanda, videlicet iu angulo dextero absidae, qui locus corrcspondet, lateri evangelii altaris primarii » {Martinucci, Man. Sacr. Caerem., iv, 08). [6] « Per D. N. .J. C. Filium tuum, lapidem probatum, angularem, pretiosum, in fundatum l'undatum, de quo dicit Apostolus : Petra autem crat Christus. » (Pontificae) [7] « S. Matth., XXI, 42. [8] * « Le nom du titulaire est aussi indiqué par la rubrique du Pontifical : « Nominande sanctum vet sauctum, in cujus honorem ae nomen fundabitur ecclcesia.»