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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #MAISON DE LORRAINE. LES ORIGINES.

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FERRI III

(1251-1303).

 

Les historiens, faute de documents certains, n'ont pas donné à ce long règne de plus de cinquante ans l'importance qu'il mérite. N'y trouvât-on que l'affranchissement des paysans par la loi de Beaumont qu'il aurait droit à toute notre attention. C'est l'avènement du Tiers-État ou tout au moins un mouvement en avant des masses de la population.

Ferri III n'ayant encore que douze ans, sa mère, avec l'assentiment de la noblesse, gouverna pendant quelque temps. Elle ne se signala guère qu'en entravant le mouvement d'émancipation qui devait être l'honneur de son fils. Elle aida l'évêque de Toul à écraser dans son berceau la commune que les habitants avaient formée à l'exemple des Messins.

En 1254, le jeune duc fut déclaré majeur et l'année suivante, conformément à la convention de 1250, il épousa Marguerite de Champagne.

Comme la plupart des descendants de Gérard d'Alsace, Ferri III fut un homme de guerre, de haute stature, beau, intelligent, valeureux et actif.

Mais il était mieux qu'un brillant féodal. Il était pourvu d'un vrai sens politique et appréciait les avantages de la paix. Il en donna une preuve dans une tentative peut-être prématurée, mais qui mérite d'être louée. Il conclut avec le comte de Bar, son voisin, ennemi-né des ducs de Lorraine, une alliance offensive et défensive dont l'article principal stipulait : que s'il naissait un différend entre eux, il serait réglé par une commission arbitrale composée de quatre chevaliers désignés deux par le Duc et deux par le comte de Bar. En cas de désaccord, le duc de Bourgogne trancherait le litige. On ne voit d'ailleurs nulle part que cette commission n’ait jamais fonctionné.

Il suivit dans son administration le sage programme de sa famille, qui était de saisir toutes les occasions d'agrandir le domaine ducal. De 1257 à 1301, il acquit à diverses conditions les riches salines de Rosières qui avaient jusque-là appartenu aux familles des d'Haussonville, des Beaufremont, des Rosières.

Comme ses prédécesseurs il joua un rôle dans les troubles de l'Allemagne. En 1256, Guillaume de Hollande, dont son père Mathieu avait été l'ami, étant mort, une partie des seigneurs allemands élurent roi des Romains Richard de Cornouailles, fils de Jean sans Terre et frère de Henri III. Quelques-uns repoussèrent ce choix et, s'étant réunis à Francfort, appelèrent au milieu d'eux le duc de Lorraine, bien qu'il ne fût pas du nombre des électeurs.

Il décida l'assemblée à porter ses suffrages sur Alphonse X le Sage, roi de Castille, en faisant valoir que ce prince, quelque loin d'eux qu'il fût né, était de leur race puisqu'il était petit-fils par sa mère de Philippe de Souabe, dernier fils de l'empereur Barberousse (1257). Le jeune Ferri, — il avait dix-huit ans — fut chargé par l'assemblée d'aller en personne notifier son élection à Alphonse. Celui-ci accepta et prit l'engagement de se rendre en Allemagne dans un délai de deux ans. Mais sa lutte contre les Maures et des embarras intérieurs l'empêchèrent de tenir sa promesse. Les seigneurs allemands, lassés d'attendre, et Richard de Cornouailles étant mort (1721), se décidèrent à mettre fin à l'anarchie. La diète de Francfort élut roi des Romains (1273) un seigneur d'origine alsacienne, Rodolphe de Habsbourg. Ferri III se déclara d'autant plus volontiers pour lui que ce prince se rattachait à la même souche que les descendants de Gérard d'Alsace. Ce fut la première rencontre des deux maisons qui devaient

se confondre en une seule au XVIII*siècle.

Ferri III n'eût pas mieux demandé peut-être que de vivre en paix. Mais ce n'était pas la paix, c'était la guerre qui était l'état .normal en un pareil temps. Le gouvernement ducal allait se fortifiant, mais n'était pas encore en état d'imposer l'ordre aux éléments féodaux. A partir de 1260 Ferri fut entraîné dans une série dé luttes contre divers seigneurs et particulièrement contre les évêques de Metz.

Il n'entre pas dans notre cadre de chercher la lumière dans ces mêlées confuses, qui se prolongèrent, sauf de rares interruptions, jusqu'en 1293. Ferri prit les armes successivement contre cinq évêques de Metz dont le dernier, l'indomptable Bouchard, est le type accompli du prélat guerrier, toujours la hache au poing et le casque en tête. Les évêques voisins de Liège et de Cologne, l'évêque de Strasbourg, aussi belliqueux que Bouchard, se mêlent aux batailles.

Tous les seigneurs vont à la lutte ou plutôt au pillage.

Le comte de Bar, le comte de Vaudémont, Henri Ier, un vrai chef de bandits, le comte de Linange, le comte de Salm, le comte de Luxembourg, etc., prennent parti tantôt pour, tantôt contre, changeant de bannière au gré de leurs intérêts. Si Ferri III toujours battant ou battu n'avait fait autre chose que d'échanger de ces rudes coups de lance, où il payait bravement de sa personne et dans lesquelles il perdit une main, on ne le distinguerait guère de ses prédécesseurs. Mais il mérite une place à part pour des faits de gouvernement qui révèlent une pensée plus haute.

Ferri III fut le véritable promoteur du mouvement, on peut dire de la révolution d'où sortirent l'affranchissement des masses et la formation du tiers-état. Son père Mathieu II avait donné, comme nous l'avons dit, une charte de commune à la ville de Neufchâteau. Ferry la confirma en 1257 en y ajoutant de nouvelles libertés. Peu après, de concert avec son cousin Thiébault II, comte de Bar, il résolut d'introduire en Lorraine la fameuse toi de Beaumont.

En 1182, le cardinal Guillaume, archevêque de Reims, ayant fondé la petite ville de Beaumont-en-Argonne, et voulant y attirer une population, la dota d'un certain nombre de franchises, qu'on appela la loi de Beaumont. Sans rien abandonner de ses droits de seigneur et d'évêque, il remplaça l'arbitraire et le bon plaisir par un régime qui devait garantir la liberté des personnes et la sûreté des biens [1].

Le servage qui jusque-là avait fait des habitants d'une terre féodale un bétail à la merci du maître, était aboli. Les habitants étaient constitués en une communauté qui élisait ses administrateurs sous les noms de jurés ou échevins, lesquels étaient même investis d'attributions judiciaires. Les redevances étaient limitées et déterminées «suivant les ressources et les revenus constatés. Chacun avait le droit de vendre et d'acheter librement et sûrement, sans taxes et sans entraves vexatoires. Le service militaire était dû, mais les hommes ne pouvaient être employés qu'à une distance assez courte pour qu'ils fussent à même de rentrer dans leurs foyers le soir ou le lendemain au plus tard [2].

Lorsqu'on songe à la situation misérable où les populations des campagnes surtout étaient tenues par le despotisme féodal, on voit quel immense progrès contenait la loi de Beaumont. Ferri III établit ces franchises à Nancy en 1265, puis à Mirecourt, Châtenois, Arches, Bruyères, Saint-Nicolas-de-Port, Lunéville, Gerbéviller, Amance et dans d'autres; localités plus modestes au nombre de dix-neuf. On se tromperait sans doute si l'on pensait que le sol se couvrit de petites républiques municipales.

On ne visait pas si haut; mais en assurant aux masses opprimées la dignité de la personne humaine et la sécurité du travail, Ferri III jeta les premiers et les plus solides fondements de la prospérité de la Lorraine et son nom mérite d'être honoré bien au-dessus de ceux des princes qui sont devenus plus tard et restent encore plus populaires.

Quelques seigneurs, à l'exemple du duc Ferri, donnèrent la loi de Beaumont à leurs villages, mais la noblesse, dans son ensemble, fut profondément irritée de l'atteinte portée au système qui avait jusqu'alors maintenu la population dans le servage.

Des ligues secrètes furent organisées contre un prince dont le libéralisme menaçait tout l'édifice féodal.

Un de ces complots aurait même réussi. Le chroniqueur d'Haraucourt raconte qu'un jour de l'année 1269 à 1270, le Duc s'attarda dans une partie de chasse dans la forêt qui avoisine Laxou. Comme il revenait le soir vers Nancy, il fut brusquement entouré par une troupe armée. On lui enveloppa la tête d'un voile épais, puis on l'entraîna en croisant et mêlant les chemins afin de le désorienter et on l'enferma dans le château de Maxéville qui appartenait à Andrian des Armoises, le principal auteur de la conjuration. Il y resta longtemps caché à tous les yeux, ignorant où il était et personne n'en ayant de nouvelles. Une nuit souffla une violente tempête qui enleva le toit de la tour. Un ouvrier monté pour réparer le dommage se mit à chanter une sorte de complainte populaire qui racontait la disparition du prince, parti pour chercher aventure de guerre ou d'amont. Ferri questionna le couvreur, le gagna par des promesses et lui remettant son anneau le chargea d'aller aviser la duchesse. Marguerite de Champagne se confia à un gentilhomme fidèle nommé Dillon. Ils prirent dix cavaliers, investirent la tour de Maxéville et délivrèrent le Duc [3].

Ferri III, sans se décourager, continua bravement la lutte contre la noblesse. Il lui porta même un coup terrible en attaquant l'un de ses plus criants privilèges, la juridiction des assises. La chevalerie s'était arrogé de temps immémorial le droit de juger non seulement les causes féodales, mais encore les faits de caractère civil, et formait une sorte de cour souveraine sans appel. Le Duc ordonna que désormais ses arrêts ne seraient exécutoires qu'après ratification du prince.

On ne trouve plus dans ce long règne de faits considérables à relever. Tout s'efface d'ailleurs devant le développement progressif de l'émancipation populaire. Nous devons cependant nous arrêter à un événement très grave auquel Ferri n'eut pas de part directe, mais dont il fut le témoin intéressé.

Philippe IV le Bel était roi de France depuis 1285. Il avait épousé l'année précédente la comtesse Jeanne de Champagne, petite-fille héritière de Thiétbault IV. La Champagne fut ainsi réunie à la couronne.

Le roi devenu voisin du comté de Bar ne le perdit plus de vue, guettant l'occasion de mettre

la main sur le fief. Vers 1289 il s'immisça dans une querelle survenue entre le comte et son vassal l'abbé de Beaulieu. Ferri III prit hautement fait et cause pour son cousin, mais l'approche d'une armée française l'obligea à reculer prudemment.

Un peu plus tard, le comte Thiébaut II étant mort (1294), son fils Henri III qui avait épousé Aliénor, fille d'Edouard Ier, roi d'Angleterre, se laissa pousser par son beau-père à reprendre la querelle avec Philippe le Bel et il attaqua la Champagne. Le roi tout occupé en ce moment à ses luttes contre les bourgeois flamands ne se dérangea point, mais envoya des troupes. Le malheureux Henri III fut battu, fait prisonnier et retenu en captivité jusqu'en 1301. Il n'obtint sa liberté qu'au prix d'un traité, signé à Bruges, qui, on peut le dire, tua l'indépendance du comté. Le Barrois fut coupé en deux par la ligne de la Meuse : le comte se reconnut vassal du roi de France pour toute la partie située à l'ouest du fleuve, ce qui forma le Barrois mouvant, la partie à l'est constitua le Barrois non mouvant.

Celte convention fatale qui permettait l'immixtion constante du roi dans la moitié du comté de Bar eut forcément son contrecoup en Lorraine. La France était désormais trop proche pour que les patriotes lorrains ne se sentissent pas menacés.

 

 

Ernest MOURIN (1895).



[1] Tout bourgeois possédant maison en ville et jardin dans la banlieue paiera au seigneur chaque année douze deniers. Pour les terres arables, il devra deux gerbes sur douze, c'est le gerbage; pour les prés, quatre deniers par fauchée. Le seigneur se réserve aussi les moulins et les fours banaux; il prélèvera pour droit de mouture un setier de grain sur vingt, et pour  droit de fournage un pain sur vingt-quatre.

[2] L'historien Digot donne, t. II, le texte complet de la toi de Beaumont.

[3] Est-ce une simple légende? Le fait en lui-même n'a rien d'invraisemblable dans un temps comme le XIII siècle. Digot l'admet. On entendait encore, suivant lui, chanter la complainte de Ferri au XVI siècle. La famille du Haut loiel ou du Hauloy descendait, disait-on, du couvreur Petit Jeban que Ferri III avait anobli et enrichi. M.Plister repousse l'anecdote par de fortes raisons. La Chronique d'Haraucourt n'a d'ailleurs que peu d'autorité par elle-même.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #MAISON DE LORRAINE. LES ORIGINES.

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MATHIEU II

(1220-1251)

 

 Mathieu II succéda à son frère Thiébault. Sa mère, la duchesse Agnès de Bar, sous prétexte qu'il était trop jeune, prétendit exercer la régence. Mais le jeune duc déclara qu'il entendait gouverner : « Maistre si-je et le serai-je », dit-il superbement.

Une autre femme réussit mieux. Ce fut la comtesse de Champagne qui vint à Nancy avec son fils Thiébault IV et lui fit épouser sans délai la riche Gertrude de Dagsbourg, veuve de Thiébault de Lorraine, tën outre, elle fit régler une question restée obscure depuis le traité d'Amance et il fut décidé que le duc de Lorraine ferait hommage au comte de Champagne pour Neufchâteau, Frouard et Châtenois. Cet enchevêtrement des fiefs se retrouvait partout et entraînait de perpétuelles difficultés.

Thiébault IV espérait tirer bon parti de son mariage, lorsqu'au bout de deux ans on s'aperçut que Gertrude de Dagsbourg était sa parente à un degré. Le mariage fut annulé et Gertrude s'en alla, grâce à sa magnifique dot, convoler en troisième noces avec le comte de Linange.

Avec Mathieu II nous restons dans la monotonie des guerres féodales. Mais nous trouvons un fait important à relever. Le 1" octobre 1231, le Duc accorda une charte communale à la ville de Neufchâteau. C'est la première que nous rencontrons dans l'histoire de Lorraine. Elle porte que chaque année le jour de la Saint-Remy (1er octobre), les bourgeois éliront treize magistrats nommés jurés.

Ceux-ci choisiront l'un d'entre eux pour être mayeur ou maire. Ils administreront la ville et formeront un tribunal jugeant en dernier ressort les procès entre habitants et les crimes ou délits commis dans la commune. Le comte de Champagne, à titre de suzerain, confirma la charte et y ajouta un article aux termes duquel les ducs de Lorraine ne pourraient faire arrêter un habitant, ni saisir ses biens sans l'autorisation du tribunal municipal: utile garantie contre l'arbitraire du seigneur.

Un vent de liberté venu de France où se développait la révolution communale, soufflait sur la Lorraine. Toutefois, Mathieu qui donnait une charte à Neufchâteau n'était point pour cela un protecteur des franchises municipales. Nous le voyons en 1232 partir en guerre, de compagnie avec le comte de Bar, contre les Messins qui avaient chassé leur évêque Jean d'Apremont et institué une sorte de république. Les bourgeois étaient vaillants et soutinrent le siège et comme ils étaient fort riches, ils parvinrent à gagner le comte de Bar qui se détacha de Mathieu II et opéra même une diversion en se jetant sur Neufchâteau dont il s'empara. Mathieu II laissa les Messins et vint livrer bataille à Henri de Bar, tout près de Nancy, à Champigneullcs. Il y courut risque de la vie. Voyant les siens plier, il prend la lance d'un soldat et à pied « sans pot ni harnois de maille » il s'élance au plus épais de la mêlée, il est enveloppé, il va périr « quand un messin soudart passa son corps avant et baillit sa vie et chut es pieds di duc criant à tout l'ost : par Dieu, gardez de verser li dict sang qu'est le sang pur de mon maître ! » Voilà le dévouement féodal. Mathieu put s'enfuir à travers la  forêt de Haye et gagna le château de Gondreville (1232).

Les Messins étaient restés en face de leur évêque.

Mathieu paraît avoir imité le comte de Bar et avoir reçu l'argent des bourgeois. Mais l'évêque finit par l'emporter et les «Citains» frappés d'excommunication cessèrent pour quelque temps la lutte, firent amende honorable et renoncèrent provisoirement à la commune.

Dans les derniers temps du règne, l'humeur batailleuse de Mathieu II semble s'être refroidie. Il S'occupe d'administration : il crée les tabellions pour la bonne rédaction et la conservation des actes ; il assure une meilleure distribution de la justice en créant des baillis avec une juridiction déterminée [1].

Il fortifie le pouvoir ducal par des acquisitions.

C'est ainsi qu'il achète les châteaux de Lunéville, de Gerbéviller et de Valfroicourt, et qu'il amène les habitants de Toul à se mettre sous sa protection en lui payant une redevance annuelle de cent livres.

Enfin il prépare u n beau règne à son fils en négociant son mariage avec la fille de son puissant voisin, Thiébault IV, comte de Champagne. Cette union, en raison de l'âge des deux fiancés, fut ajournée jusqu'en 1254.

Comme son frère Thiébault, il fut l'ami des papes contre le gibelin Frédéric II. Innocent IV ayant déposé l'empereur dans le célèbre concile de Lyon (1245), Mathieu se rendit à la diète de Wurtzbourg et son nom figura parmi ceux des électeurs qui proclamèrent roi des Romains, le landgrave Henri de Thuringe présenté par le pontife. Deux ans après, Henri de Thuringe ayant été tué au siège d'Ulm, le Duc se prononça encore en faveur du candidat de l'Église, Guillaume de Hollande, élu à la diète de Neuss (1247).

 

Ernest MOURIN (1895).



[1] La Lorraine fut divisée en trois bailliages: Nancy (Lorraine proprement dite). Les baillis étaient les officiers du Duc. Ils étaient d’épée longtemps avant d’être proposés à la justice.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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THIEBAULT 1er

(1213-1220)

 

Thiébault, au dire d'un chroniqueur, était le plus beau des hommes de son temps. C'est un mérite assez souvent relevé parmi les descendants de Gérard d'Alsace. Il n'était pas moins bien pourvu du côté de l'intelligence et du caractère.

Il avait épousé Gertrude, fille et unique héritière du comte de Dagsbourg, ce qui lui donna pied en Alsace. Son règne s'annonçait bien, mais il ne fut qu'une suite de mécomptes et de malheurs.

Le premier fait à retenir comme caractéristique des mœurs du temps est l'étrange histoire de l'un de ses oncles, évêque de Toul.

Mathieu était fils de Ferri de Bitche et de la princesse polonaise Ludomille. A l'âge de six ans, il fut pourvu de deux canonicats ; à seize ans il était archidiacre de la cathédrale de Toul et prévôt de Sainl-Dié ; et enfin à vingt-huit ans, malgré la vive opposition du clergé et sous la pression de la famille ducale, il fut élu évoque de Toul.

Déjà les bruits les plus fâcheux couraient sur son compte et il cachait à peine ses dérèglements. Une fois intronisé, il se donna libre carrière, traîna sa robe dans toutes les débauches, dilapida la mense épiscopale et suscita par sa perversité l'indignation générale. Les chanoines de son chapitre dénoncèrent le scandale à Rome et demandèrent la déposition du prévaricateur. Une commission d'enquête présidée par le légat du pape n'eut pas de peine à constater combien étaient fondés les griefs du clergé, mais se borna, sur la pressante intervention du duc Simon II, à ménager un rapprochement. Mathieu avait promis tout ce qu'on avait voulu. Mais il n'en continua pas moins à braver et à spolier son chapitre. Les chanoines reprirent la lutte et, publiquement, leur doyen accusa l'évêque d'avoir de nouveau aliéné vingt-deux domaines de la mense. L'évêque répondit que les vrais dilapidateurs étaient les chanoines.

Puis il fit enlever par des soldats le doyen du chapitre. On le plaça sur un âne, les pieds liés sous le ventre de l'animal et on l'amena dotant Mathieu, Celui-ci, après l'avoir injurié, le fit jeter dans un cachot. Le légal cette fois bien informé suspendit l'évêque et le frappa d'excommunication. Le prélat interdit ne tint aucun compte de la sentence, et les chanoines ayant de nouveau porté l'affaire à Rome, il envoya des mandataires pour répondre à ses accusateurs et finit par aller lui-même plaider sa cause. Il ne doutait pas que, membre d'une famille souveraine, il ne trouvât des oreilles complaisantes.

Il gagna, il est vrai, des délais. Mais Innocent III, qui faisait la loi aux rois les plus puissants, n'était pas pour s'incliner devant un duc de Lorraine. Il fit reprendre toute la procédure et rendit enfin lui-même l'arrêt définitif. Mathieu fut déposé et le chapitre invité à élire un nouvel évêque. Il choisit un prêtre des plus recommandables, nommé Renaud de Senlis.

Mathieu, dépouillé de l'épiscopat par le souverain pontife, fut alors abandonné de tous. La famille ducale même cessa de le défendre. Il se retira à Saint-Dié, mit le comble à ses déportements par un abominable inceste et enfin, poursuivi par l'horreur de tous, il se cantonna sur la montagne dite de Clermont, comme un chef de bandits et s'y livra à tous les excès pendant plusieurs années.

Il menaçait surtout de sa haine son successeur Renaud de Senlis. Ce prélat étant venu passer les fêtes de Pâques dans les abbayes de Senones, Moyen-Moutier et Étival, Mathieu lui dressa une embuscade dans un chemin étroit et difficile près du village de Bourgonce, Lorsque l'escorte se fut engagée dans le passage, des scélérats apostés l'assaillirent. Renaud fut tué d'un coup d'épieu, son cadavre dépouillé et jeté sur la route. Alors Mathieu parut à cheval, une arbalète à la main, s'assura que ses ordres étaient exécutés et après avoir longtemps contemplé avec satisfaction sa victime, s'enfuit jusqu'en Alsace auprès d'un de ses amis (1217).

Le duc Thiébault informé de ce crime, jura de le punir par la mort de l'assassin. L'année suivante, il se rendit à Saint-Dié pour les fêtes de la Pentecôte.

Mathieu l'ayant su, revint d'Alsace, se glissa secrètement dans la ville et tenta des démarches pour obtenir sa grâce. Rebuté même par les rares amis qui lui restaient, il remonta dans son repaire de Clermont et attendit une occasion. Les fêtes passées, le duc quitta Saint-Dié, se dirigeant vers le village de Nompatelize. Tout à coup il aperçut l'évêque dégradé qui s'avançait à sa rencontre. Transporté d'indignation, il cria au sire de Joinville qui l'accompagnait : «Si vous m'aimez, percez-le de votre lance ! » Mais le seigneur répondit : « Dieu me garde que je frappe un homme de si haute naissance ! »

Thiébault alors s'empare de son arme et court lui-même sur Mathieu. Le misérable tombe à genoux sur la route et demande grâce à son neveu. Mais le prince, sourd à ses prières, lui traverse la poitrine d'un coup de lance et poursuit son chemin. Le cadavre roulé dans le ruisseau fut ensuite transporté à Saint-Dié où on lui refusa la sépulture religieuse.

On le ramena à son refuge de Clermont où il fut jeté dans une fosse à loups que l'on combla de pierres (1218).

Des faits graves détournèrent souvent l'attention de Thiébault des folies monstrueuses de son oncle.

La Lorraine par sa situation même était forcément mêlée aux agitations de ses puissants voisins, l'Allemagne dont la séparaient l'Alsace et l'archevêché do Trêves, et la France dont la séparait le comté de Bar.

On se souvient que Ferri II s'était lié étroitement avec son cousin le roi de Sicile Frédéric II. Il l'avait soutenu contre Othon IV et il avait soumis l'Alsace pour son compte. Frédéric de son côté lui avait promis une indemnité de 3000 mares d'argent et lui avait remis en gage la ville de Rosheim.

Après la mort de Ferri II, le roi qui n'avait pas plus de scrupules que d'argent reprit tout simplement son gage et chassa les Lorrains. Thiébault en éprouva un vif ressentiment, rompit le pacte de sa famille avec Frédéric et entreprit de ressaisir Rosheim. Il prépare deux corps d'armée. Son lieutenant Lambyrin d'Arches prend les devants à la tête de l'infanterie avec ordre d'attendre près de la ville la cavalerie qu'il se réserve de conduire en personne. Lambyrin descend la vallée de la Brusch, s'approche de Rosheim, la trouve sans défense et brusquant l'opération s'en empare. Mais ses soldats indisciplinés pillent les maisons des bourgeois, se gorgent de vivres et de vin, tombent ivres-morts dans les caves. Les habitants, revenus de leur stupeur, surprennent les soldats appesantis et les massacrent presque tous.

Thiébault et ses hommes d'armes arrivent trop tard.

L'expédition est manquée (fin 1213).

Thiébault brouillé avec Frédéric II se rapprocha naturellement de son compétiteur Othon IV. Il suivit même cet empereur dans sa fameuse campagne contre Philippe-Auguste, que termina la bataille de Bouvines, l'une des plus glorieuses journées de notre histoire nationale (1214). Son voisin le comte de Bar, au contraire, s'était joint à l'armée française.

Thiébault attendit quelques années avant de reprendre sa revanche en Alsace. En 1218, Othon IV étant mort, Frédéric II qui n'était encore que roi des Romains, paraissait retenu en Allemagne parles soins à donnera son élection. Thiébault jugea le moment favorable. Tout à coup il traversa les Vosges, poussa sur Roshcim et reprit cette place sans combat. Puis il chercha à s'étendre. Joindre l'Alsace à la Lorraine, c'était un beau rêve, et certainement d'une excellente politique. Mais l'illusion fut courte et le réveil terrible. Frédéric était moins empêché qu'on ne l'avait supposé. Il reparut bientôt en Alsace avec des forces considérables. Thiébault rentra précipitamment en Lorraine. Les Allemands le suivirent.

Ce qui prouve que le sentiment national était encore bien faible, si même il existait, c'est que le Duc ne fut soutenu par personne. La noblesse avait désapprouvé son expédition, elle resta indifférente à ses appels.

Quelques-uns même se joignirent à Frédéric II.

Thiébault abandonné s'enferma avec une poignée de fidèles dans la forteresse d'Amance, à une petite distance au nord de Nancy. Frédéric II poussa vivement le siège, et comme si l'armée allemande n'eût pas suffi pour écraser un prince de puissance inégale, il appela à la rescousse le duc de Bourgogne, le comte de Bar et la comtesse de Champagne, Blanche de Navarre, veuve de Thibault III et tutrice de Thibault IV, qui avaient des griefs contre le duc de Lorraine. Le comte et la comtesse, chemin faisant, entrèrent à Nancy qui ne résista point et, le lendemain, incendièrent la ville avant d'aller grossir l'armée assiégeante.

Le duc de Lorraine se défendit héroïquement, mais enfin à bout de forces il demanda une capitulation honorable. Frédéric fut inflexible. Il donna l'assaut, passa au fil de l'épée toute la garnison et enferma Thiébault dans une tour qui depuis porta-son nom.

Un traité humiliant termina la sanglante campagne.

Le Duc renonça à toute réclamation sur Rosheim et sur les 3000 marcs dus à son père. Il satisfit, on ne sait à quel prix, le comte de Bar, et quant à la comtesse de Champagne qui se montra la plus exigeante, il s'engagea à ne plus intervenir dans les affaires du comté et se reconnut même son vassal pour plusieurs fiefs, de façon assez vague du reste. Pour sûreté du traité, il fut stipulé que Frédéric tiendrait mie garnison à Amance et le duc de Bourgogne une garnison à Châtenois (1218).

Thiébault avait cédé à la force, mais il ne fut pas abattu et songea virilement à réparer ses désastres.

Son premier soin fut de rebâtir sa ville de Nancy dont les ruines fumaient encore. Puis il s'occupa à rassembler de nouveaux soldats, laissa voir à tous

qu'il ne tiendrait pas longtemps compte de la convention d'Amance. Il profita de l'absence du duc de Bourgogne Eudes III qui était parti on croisade, pour chasser la garnison bourguignonne de Châtenois, Il songeait ensuite à évincer les Allemands du fort d'Amance lorsqu'il tomba dans un odieux guet-apens.

Frédéric II, inquiet de ses desseins et de son agitation, l'invita à venir le voir à Wurtzbourg pour conférer des modifications qu'on pourrait apporter au traité d'Amance. Thiébault n'eut aucun soupçon et s'empressa d'aller au rendez-vous. L'empereur le reçut à merveille et le festoya joyeusement. Le lendemain à son réveil on lui dit qu'il était prisonnier. Il fut retenu plusieurs mois.

Décidément les Lorrains n'étaient pas encore attachés à leurs ducs comme ils le furent plus tard. On ne voit pas qu'ils aient rien fait pour obtenir la délivrance de Thiébault. On se lassa même de son absence et on parla de le remplacer. Son oncle Philippe de Gerbéviller réunit les États ou pour mieux dire l'assemblée de la noblesse et demanda qu'il fût pourvu au danger de la situation par l'élection d'un nouveau duc. S'il eût été seul candidat, il aurait très probablement entraîné le conciliabule. Mais le comte de Lunéville ayant aussi élevé des prétentions, les débats se prolongèrent et l'on finit par prendre un délai de quinze jours pour la réflexion. Avant les quinze jours écoulés, arriva un message de Conrad, évêque de Metz, annonçant que Thiébault était libre et rentrait à Nancy (mai 1219).

C'était le prélat lui-même qui avait négocié la mise en liberté du prince et avait donné sa garantie pour la rançon que lui imposait l'empereur.

On dit que Thiébault revint empoisonné. Ce n'est pas invraisemblable. Ce brillant Frédéric II, qui aimait les arts et les lettres et composait de petits poèmes à ses heures, avait surtout une âme vindicative et perfide. Le Duc ne fit plus que languir tristement, sans pouvoir s'occuper des affaires publiques.

Il mourut sans enfants au commencement de l'année 1220.

 

 

Ernest MOURIN (1895).

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