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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

IV.

PERPÉTUITÉ DES IMAGES DANS L’ÉGLISE.

Désormais l'on peut affirmer que l'Église primitive n'a jamais imposé, même à titre provisoire, à la propagation des images, des entraves plus sérieuses qu'il n'en pouvait résulter de ce système de réserve et de discrétion connu sous le nom de discipline du secret. Il n'y a pas d'apparence que, du côté de ses enfants une fois régénérés, elle ait eu à se prémunir contre le retour à des pratiques idolâtriques. Il n'y a pas de point sur lequel les docteurs catholiques soient plus précis que sur la différence radicale qui exclut toute possibilité de confusion entre l'imagé chrétienne et l'idole. L'image représente un être réel et le donne pour ce qu'il est ; l'idole est la représentation de ce qui n'est pas[1], ou de ce qui n'est pas du moins ce pour quoi on la donne. Dans ces temps héroïques où les grâces du Saint-Esprit se répandaient avec tant de profusion sur les âmes choisies, admises à la participation des saints mystères, un chrétien, une fois instruit et baptisé, autant et plus qu'aux époques réputées depuis les plus éclairées, savait trop quels étaient le divin Sauveur, sa très-sainte Mère, les apôtres et les martyrs, pour voir dans leurs images autre chose qu'un souvenir de ces saints et augustes personnages.

Pour expliquer la rareté des images primitives, et l'incertitude qui plane sur leur authenticité, nous avons donné assez de raisons sans qu'il soit nécessaire de recourir à une prohibition de l'Eglise dont on n'apporte, aucun texte. Celui des Constitutions apostoliques, cité par M. Raoul Rôchette, ne s'applique qu'aux faiseurs d'idoles[2].

Les termes si controversés du 36e canon du concile d'Elvire, tenu vers l'an 300[3], peuvent s'entendre dans notre sens autant et mieux qu'en aucun autre. Eussent-ils plus de portée, ils n'auraient encore d'autre autorité que celle d'une mesure locale. Ils prouvent d'abord qu'antérieurement aux dispositions du concile les chrétiens d'Espagne avaient des images, et, selon la plupart des docteurs catholiques, ce concile ne voulut qu'en régler l'usage, soit qu'il prétendît, en défendant de les étaler sur les murs, les soustraire aux profanations [4], soit qu'il jugeât que cette place n'était pas assez respectueuse pour les images qui étaient plus ou moins directement l'objet d'un culte[5], soit qu'il entendît seulement parler des images de Dieu en tant que Dieu [6].

Clément d'Alexandrie[7], Tertullien[8], s'ils ont prétendu formuler, par rapport aux images, un blâme qui n’atteignit rien au-delà de quelques abus particuliers, ou dépassât les règles restrictives que nous connaissons, n'apporteraient contre elles que l'autorité de leur opinion personnelle.

Des auteurs que l'on ne peut accuser d'avoir écrit dans un esprit d'hostilité contre la foi catholique, ou qui même font profession de la respecter, comme Cigognara[9] 7, Emeric David [10]8 ou Raoul Rochette [11]9, s'ils ont admis que les chrétiens des deux ou trois premiers siècles n'ontpas eu d'images, ne l'ont fait qu'en suivant trop légèrement, quelquefois terme pour terme, les théories, protestantes de Beausobre[12], de Jablonski[13] ",- et d'autres écrivains de la même école.

Les théologiens catholiques, comme le P. Pétau, qui ont fait quelques concessions exagérées relativement à la prohibition momentanée dont les images auraient pu être l'objet, n'ont voulu évidemment que dégager la question dogmatique, dont la solution était de la dernière clarté, des obscurités qui pouvaient encore couvrir la question de fait. Que l'Église puisse autoriser et recommander l'usage et le culte des images, qu'elle les autorise et les recommande effectivement, rien de plus certain, c'est de foi. Que la discipline de l'Église, qui aurait pu être très-différente, eu égard aux circonstances, quant à cette autorisation et Cette recommandation, n'ait jamais varié, en effet, sinon sur des points secondaires, c'est ce dont nous avons des preuves, mais d'une valeur toute humaine, qu'on n'a pas toujours eues au même degré; c'est pourquoi la question demeurait libre.

Pour nous, nous croirions que l'usage des images dans l’Église remonte aux temps apostoliques, sur le seul fondement que les Pères du second concile de Nicée l'ont cru, ainsi que tous les défenseurs des saintes images alors, et la plupart de ceux qui les ont défendues dans la suite.

Presque tous se fondaient, pour le croire, entre autres motifs, sur les traditions relatives à l'image miraculeuse d'Édesse, au voile de sainte Véronique, aux portraits attribués à saint Luc, à la statue de Panéas. Ces traditions, fortement attaquées depuis, ne seraient pas justifiées, qu'elles donneraient encore le droit de penser que les premiers chrétiens n'étaient pas sans avoir quelques images très en vénération parmi eux.

Cette considération, cependant, n'est pas ce qui nous frappe le plus : nous sommes surtout saisi de la majesté de ce courant qui fait converger vers une même pensée tant de saints papes, de grands évêques, de Savants docteurs : il y a là, ce nous semble, la manifestation d'un instinct catholique qui difficilement pourrait tromper.

Léon l'Isaurien avait objecté au pape saint Grégoire II que, dans les six premiers conciles œcuméniques, il n'était pas dit un mot des images. « Belle raison ! » s'écriait le saint pontife. « Où avez-vous jamais lu qu'il faille manger et boire pour vivre? L'usage des images nous a été transmis comme une chose non moins naturelle[14]. »

La manifestation extérieure de la Divinité n'est-elle pas, dans un sens, tout le christianisme? Et les images, que font-elles, sinon continuer en quelque sorte cette œuvre de manifestation ? Elles lui tiennent non pas, il est vrai, comme un besoin qu'il y ait nécessité de satisfaire ; mais elles en découlent comme conséquence, aussi naturellement que l'eau de la source, si on ne lui ferme toute issue. L'examen des peintures des Catacombes avait conduit tous leurs interprètes : Bosio, Arringhi, Bottari, Boldetti, Marangoni [15], à faire remonter un bon nombre d'entre elles au moins au deuxième siècle. D'Agincourt était arrivé aux mêmes conclusions par des déductions mieux motivées[16] 2. Aujourd'hui, tout en redressant les jugements de ses devanciers relativement à quelques monuments moins anciens qu'ils ne le supposaient, les derniers travaux de M, de Rossi ont porté à la dernière évidence le fond de la thèse qu'ils soutenaient. Et si nous continuons de présenter le faisceau de témoignages sur lesquels on s'appuyait avant lui pour prouver la perpétuité de la pratique des chrétiens par rapport aux images, c'est uniquement pour mieux montrer dans quel esprit ces témoignages avaient été réunis.

On remarquait qu'à partir de Constantin des faits de toute nature venaient attester la, place considérable que les images tiennent dans toute l'économie du Christianisme : à peine converti, ce prince fit orner de peintures et de mosaïques les basiliques qu'il éleva en grand nombre dans presque toutes les parties de l'empire romain[17]. A Constantinople, au milieu de la place publique, il éleva comme en triomphe l'image du Bon Pasteur et celle de Daniel dans la fosse aux lions[18]. Il plaça un agneau d'or, une statue du Christ en argent, avec une statue de saint Jean-Baptiste de même métal, dans le baptistère de Saint-Jean-de-Latran[19]. Saint Sylvestre avait eu la part principale à ceux de ces monuments qui appartenaient à la capitale du monde : continués par ses successeurs immédiats, saints Marc et Jules[20] , ils servirent de type, nous en sommes convaincu, aux travaux du même genre qui furent commandés par saint Innocent I, saint Célestin I, saint Sixte III, saint Léon le Grand, saint Hilaire, saint Simplicien dans le Ve siècle et, dans les deux siècles suivants par saint Symmaque, par saint Félix III, saint Pelage II, Honorius I, Théodore I, travaux qui souvent ne furent que la réparation des monuments primitifs, et dont la date pour la plupart est constatée par les inscriptions mêmes qui les accompagnent[21].

Ravenne abonde en œuvres du même temps[22]. Saint Paulin en avait enrichi sa ville épiscopale [23] ; il ne manque sans doute, pour établir qu'il en fut de même de beaucoup d'autres villes, qu'un poète qui les ait chantées comme le saint évêque de Nole.

Si aucun autre des anciens Pères ne s'est attaché à décrire aussi directement les peintures et les autres œuvres d'art qui ornaient les églises, combien d'allusions n'y font-ils pas comme à une chose usuelle! En remontant jusqu'au IVe siècle, nous retrouvons les paroles de saint Basile, celles de saint Astérius d'Amasée, de Prudence, de saint Augustin ; ce dernier sait le sacrifice d'Abraham aussi Souvent représenté en peinture que célébré par la parole ; la représentation du Sauveur entre saint Pierre et saint Paul n'a pour lui rien que de très-habituel[24] ; puis voici saint Grégoire de Nysse, admirant la maison de Dieu, devenue sous la main des peintres comme une prairie entaillée de fleurs ; et ces brillantes figures, ajoute-t-il, ne sont muettes qu'en apparence, elles parlent un langage qui pénètre les cœurs[25]. Elles les pénètrent si bien qu'il ne peut voir représenté le, sacrifice d'Abraham sans en être ému jusqu'aux larmes[26].

Les portraits proprement dits n'étaient pas moins communs que les sujets historiques ou symboliques. Une femme de mauvaise vie, à la vue d'une image de Polémon, s'arrête dans la voie du crime [27] ; sainte Marie Égyptienne se convertit en voyant une image de la sainte Vierge [28] ; saint Ambroise voit en songe les apôtres saint Pierre et saint Paul et les reconnaît à leurs portraits [29]. Au second concile de Nicée, doux faits analogues furent racontés des portraits de saint Platon et de saint Nicolas[30] ; saint Jean Chrysostome, qui s'est plu à exprimer son affection pour certaine image de cire pleine de piété[31], rapporte que l'image de sainte Hélène à Antioche se voyait partout sculptée, modelée, sur les vases, sur les meubles[32]. Théodoret dit à son tour combien était répandue celle de saint Siméon Stylite[33].

Quand un usage a pris son extension, vient quelquefois l'abus : c'est contre l'abus que s'élève saint Nil dans sa lettre à Olympiodore ; il ne veut pas que dans les églises, sous prétexte de décoration, on introduise des figures toutes profanes, des satyres et des faunes, des chimères et des centaures ; il veut qu'on y représente les histoires de l'Ancien et du Nouveau Testament [34].

L'on cite encore, comme apportant des preuves de la diffusion des images, saint Jérôme, saint Cyrille de Jérusalem, et saint Cyrille d'Alexandrie[35].

Tous ces témoignages sont antérieurs à la première moitié du Ve siècle. Sur la fin du siècle suivant, nous trouvons le pape saint Grégoire le Grand en présence d'un abus tout différent. Il paraît que des chrétiens avaient rendu à des images certains honneurs qui pouvaient aller jusqu'à la superstition. Sérénus, évêque de Marseille, crut devoir détruire ces images. Le saint pape, sans contester le fait, qui l'avait motivé, blâma hautement cet excès de zèle : il fallait réprimer l'abus, disait-il, mais non pas détruire les images. « L'homme, en effet, a besoin d'être pris par les sens,et les images sont les livres de ceux qui n'en ont pas d'autres[36] . » Ainsi, de siècles en siècles, nous arrivons jusqu'au moment où l’Église étant toujours militante, l'intérêt capital qu'elle met à défendre les images fut le casus belli pour lequel elle livra les plus sérieux de ses combats pendant le cours de plusieurs générations.

V.

CONCILE DE TRENTE.

L'ensemble des doctrines fondamentales, auxquelles les décisions du second concile de Nicée apportèrent le complément, se présentèrent alors comme un faisceau d'une telle puissance de cohésion, qu'aucun sectaire, pendant huit cents ans, n'osa plus entreprendre ouvertement de le rompre. Toujours frémissantes dans les bas-fonds de la nature humaine, les passions, sans doute, ne cessent d'enfanter l'erreur; mais l'erreur ne se produisait plus au grand jour que sous forme de nuageuses arguties; le mal s'appelle légion, mais il ne savait plus rallier ses adeptes qu'au moyen d'initiations ténébreuses. Au grand jour, soumise aux lois de l’Église, la société tout entière en faisait sa loi, et, pour sa parure, les beaux-arts, ne vivant que d'une sève toute chrétienne, prirent alors un magnifique épanouissement.

Vient Luther, imprudent propagateur de vieilles et obscures erreurs, qui minaient par la base la notion même du Christianisme et jusqu'aux principes de la moralité humaine ; il professa un respect hypocrite pour la première antiquité chrétienne, et de ce faisceau de vérités formulées en Orient par la série des premiers conciles œcuméniques, il ne se risqua à détacher qu'un seul dogme, celui-là qui, le dernier attaqué, avait été le dernier défendu ; par cette raison, on pouvait le croire le plus facile à détruire; et si Luther, se pipant lui-même, ne songea pas. personnellement à dépasser son programme avoué, l'ennemi de tout bien, qui s'était emparé de lui, assurément se proposa ainsi de reprendre en sens inverse l’œuvre tout entière des anciens hérésiarques. Ceux-ci, de degrés en degrés, étaient descendus à des erreurs de plus en plus mitigées, mais qui toutes, cependant, contenaient un principe dissolvant, contraire à la réalité de l'Incarnation, et c'est pourquoi l’Église les avait toutes rejetées de son sein avec une égale horreur.

Maintenant que l’Église semblait avoir perdu de son prestige d'autorité, il était habile de faire passer d'abord le poison le plus adouci; et à leur tour, sous prétexte d'atteindre la superstition, les nouveaux iconoclastes donnèrent à l'enfer la satisfaction insensée de voir injurier, et en quelque sorte de voir détruire, dans ses images, Celui dont la vie à la fois divine et humaine défie toutes les attaques.

A quoi aboutirent tous leurs efforts ? A envelopper dans un cercle de glace le semblant de culte que conservaient les adeptes des nouvelles doctrines.

Quant à l’Église, toujours la même, dans la plénitude de sa force intime et dans ses conditions d'épanouissement extérieur, elle répéta, avec de semblables anathèmes contre les briseurs d'images, l'antique profession de foi des Pères de Nicée. En matière de dogme, le concile de Trente n'eut, sur ce sujet, rien à y ajouter; mais Luther et ses émules avaient pris prétexte d'abus réels ou possibles, et le saint concile, seul véritable réformateur, fit en sorte de ne laisser subsister ni le prétexte, ni les abus. Nous répéterons dans leur entier les termes de ses admirables décrets, assuré que nul ne saurait errer quant à l'usage, à l'exécution et au choix des images, et en général quant à la direction de l'art chrétien, s'il les prend, à la lettre: pour règle de conduite.

« Enjoint le saint concile à tous les évêques et à tous autres qui sont « chargés du soin et de la fonction d'enseigner le peuple qu'ils instruisent, sur toutes choses, les fidèles avec soin touchant l'usage légitime des images : leur enseignant que les images de Jésus-Christ, de la sainte Vierge, Mère de Dieu, et des autres saints, doivent être conservées, principalement dans les églises, et qu'il leur faut rendre l'honneur et la vénération qui leur est due : non que l'on croit qu'il y ait en elles quelque divinité ou quelque vertu pour laquelle on leur doive rendre ce culte, ou qu'il faille leur demander quelque chose, ou mettre en elles sa confiance, comme faisaient autrefois les païens, qui plaçaient leur espérance dans les idoles ; mais parce que l'honneur qu'on leur rend est rapporté aux originaux qu'elles représentent, de manière que par le moyen des images que nous baisons, et devant lesquelles nous nous découvrons la tête et nous nous prosternons, nous adorons Jésus-Christ, et rendons nos respects aux saints dont elles portent la ressemblance. Les évêques feront aussi entendre avec soin que les histoires des mystères de notre rédemption, exprimées par peintures ou par autres représentations, sont pour instruire le peuple et l'affermir dans la et pratique, dans le souvenir et le culte assidu des articles de la foi ; de plus, que l'on tire encore cet avantage considérable de toutes les saintes images, non-seulement en ce qu'elles servent au peuple à lui rafraîchir la mémoire des faveurs et des biens qu'il a reçus de Jésus-Christ, mais parce que les miracles que Dieu a opérés par les saints et a les exemples salutaires qu'ils nous ont donnés sont, par ce moyen, continuellement exposés aux yeux des fidèles, pour qu'ils en rendent grâces à Dieu, et qu'ils soient encouragés à conformer leur vie et leur conduite à celles des saints, à adorer Dieu, à l'aimer, et à vivre dans la piété. Si quelqu'un enseigne et croit quelque chose de contraire à ces décrets : qu'il soit anathème.  Que s'il s'est glissé quelque abus parmi ces observances si saintes et si salutaires, le saint concile souhaite extrêmement qu'ils soient  entièrement abolis ; de manière qu'on n'expose aucune image qui puisse induire à quelque fausse doctrine, ou donner occasion aux « personnes grossières de tomber en quelques erreurs dangereuses. Et s'il arrive quelquefois qu'on fasse faire quelques figures ou quelques tableaux des histoires ou événements contenus dans les saintes Écritures, selon qu'on le trouvera expédient pour l'instruction du peuple, qui n'a pas connaissance des lettres, on aura soin de le bien instruire qu'on ne prétend pas par-là représenter la Divinité, comme si elle pouvait être aperçue par les yeux du corps, ou exprimée par des coupleurs et par des figures.

Dans le saint usage des images, on bannira aussi toute sorte de superstition, on éloignera toute recherche de profit : indigne et sordide ; et on évitera enfin tout ce qui ne sera pas conforme à l'honnêteté (omnis lascivia vitetur, ita ut procaci venustate imagines nec pingantur, nec ornentur), de manière que ni dans la peinture, ni dans l'ornement des images, on n'emploie point d'agréments, ni d'ajustements profanes et inconvenants....

Ordonne le saint concile qu'il ne soit permis à qui que ce soit de mettre ou faire mettre aucune image extraordinaire et d'un usage nouveau, dans aucun lieu, dans aucune église, quels que soient ses privilèges « d'exemption, sans l'approbation de l'évêque. (Session xxv.) »

Le concile, on le voit, après avoir défini les images en tant qu'elles peuvent être l'objet d'un culte, en détermine la haute utilité en tant qu'elles sont un objet d'enseignement. Et, quant aux abus qu'il condamné, nous devons noter soigneusement ce qu'il dit des images susceptibles d'induire en erreur sur les vérités chrétiennes, et de celles qui ont besoin seulement d'explication. Nous nous en souviendrons lorsque nous traiterons en général de l'invention, de  la composition, et d'une manière spéciale en abordant les sujets qui tombent plus particulièrement sous les prescriptions du concile, comme les figures par lesquelles il est permis de représenter Dieu considéré dans sa nature divine. Également, en temps et lieu nous rejetterons, conformément à ces prescriptions, toutes les images qui ne remplissent pas suffisamment les conditions de décence et de moralité réclamées par leur destination, et nous nous tiendrons soigneusement en garde contre toute représentation extraordinaire ou seulement inusitée jusqu'à ce qu'elle ait été approuvée par l'autorité compétente.

Le concile de Trente ne signale comme exigeant une approbation que les images d'une forme inusitée ; mais, eu égard à de nombreux abus, Carli pense que même les images de formes usitées ne devraient pas être exposées elles-mêmes sans avoir été approuvées[37].

Les superstitions comme les profits illicites dont les images peuvent être l'occasion à l'égal de tout autre objet d'une vénération quelconque, sont au contraire étrangères à nôtre sujet, et le concile lui-même se contente de les repousser en peu de mots, les jugeant sans doute peu à craindre après les explications qu'il a données et avec la surveillance qu'il recommande.

Voyons au contraire, à la lumière des décisions et des pratiqués de l'Église, en combien de manières les images nous peuvent être profondément utiles et fortement recommandées, afin de comprendre de plus en plus ce qu'elles sont dans leur nature, ce qu'elles doivent être dans leur exécution.

 

[1] Marangpni, Cose Gentilesche, in-4°, Roma, 1744, cap. xi. Somme de saint Thomas, II,II, 2,-XCIV, a. 2, ad 3.  [2] Types imitatifs de l'art, in-8», 1834, p. 10. [3] Placuit picturas in Ecclesia esse non debere, ne quod colitur et adoratur in parietibus depingatur. (Can. XXXVI)

[4] 2. Carli, Bibliotheca liturgica. Brescia, 1833, ouvrage malheureusement inachevé, T. II, p. 113 et suiv. Bona, Rer. Liturgiq., T. 1, p. 328. [5] Capisucchi, Contr., XXVI, 15, où il cite Martin de Ayala, Vasquez et beaucoup d'autres à l'appui de celte interprétation. [6] Benoît XIV, De serv Dei beat., etc., Lib. IV, Pars II, cap. XXI. sect 3. [7] Clem. d'Alex., Pedag., Lib. 111 ; Marangoni, Cose Cent., p. 75. [8] Tertul., De Idolatr., cap. XI ; contra Hermog, cap. I. [9] 7. Cigognara, Storia della scultura, in-fol. Venise, 1813, T. 1, p. 108. [10] 8. Emeric David, Hist. de la Peinture, Paris, 1842, in-18 angl., p. 46. [11] 9. Raoul Rochelle, Types imitatifs de l'art, in-8°, 1834; Tableau des Catacombes, in-12, 1838. [12] 10. Pauli Ernesti Jablonski, Opuscula, T. III, p. 377 à 406, in-8°. Lugduni Batav. 1809. [13] 11. Bibliothèque Germanique, in-12, années 1727 et suiv. Amsterdam, T. XIII, XX, XXV, XXVII, XXVIII, XXXI. [14] Actes du deuxième Concile de Nicée, Actio II, id. VI ; S. Nicéphore, Spicileg. solemn. T. 1, p. 459; Capisucchi, Controversiae, in-fol., Roma, 1677, p. 608 ; Trombelli, De cultu sanct., in-4°, Bologna. 1743, T. II, p. 56; Paleotti, De Imag. sacr., in-4°, Ingolstadt, 1544, p.115.  [15] Bosio, Roma sotterranea ; Arringhi, Roma subterranea ; Bottari, Pitture e sculture sacre ; Boldetti, Osservazioni su i Cimeieri ; Marangoni, Storia della capella di sancta sanctorum. [16] 2. D'Agincourt, Histoire de l'art par les monuments, Peinture, p. 20 et suiv. [17] Ciampini, De sacris oedificiis a Constant. constructis, in-folio, Roma, 1603 ; Liber pontificalis, Vita sancti Sylvestri ; Collection des Conciles, Éd. du Louvre, T. XIX, p. 245; Lettre d'Adrien 1er à Charlemagne, même volume; dom Guéranger, Origines de l’Eglise Romaine, in-4°, Paris, 1836, p. 174; de Vogue, Les Eglises de la Terre-Sainte, in-4°, Paris, 1860; Eusèbe, Vita Constant., Lib. III et IV, etc. [18] Eusèbe, Vita.Constant., Lib. III, cap. XLVIII. [19] 5. Liber pontif.,Vita sancti Sylvestri. [20] Lettre d'Adrien Ier à Charlemagne.[21] 7. Ciampini, Vet. mon., T. 1, cap. XXI, XXII, XXIV, XXVI XXVII ; T. Il, cap. VII, XIII, XIV, XVI ; Anast. Vies des Papes saint Innocent Ier, saint Sixte III, saint Hilaire, saint Syminaque, Honorius ; Dom Guéranger, Origines de l'Eglise Romaine. [22] Ciampini, Vet. mon., T. I, cap. XX, XXIII, XXV ; T. II, cap. VIII, IX, X, XI, XII.[23] Paulin, Epist. XII ad Sev., Edit. Migne, XXXII; Poema XXVII, De Fel. nat. IX, V. 511 ; Poema XXVIII, De Fel. nat. x, v. 14. [24] Augnst. contra Faustum, Lib.XXII, cap. LXXIII. [25]  S. Grég. de Nysse, Sermon sur S. Théodore.  [26] Id., Sermon sur la vie de Jésus-Christ. [27] S. Grég. de Nazianze, In Carm., et 2° Conc. de Nicée, Actio IV; Paleotti, p. 109. [28] 2e Conc. de Nicée, Actio IV ; Paleotti, p. 109. [29] Ambr., Epist. De inv. corp. Gervas et Protas. ; Bellarmin, Controv., T. II, De imag., C.X ; Selvaggio, Antiquit. Christ. Instit., T. III, p. 65. [30] Collect. des Conc, T. XIX, p. 241.  [31] 10. Id., p. 302 ; Gretzer, Oper. T. XVII, p. 29.

[32] Chrysost., Orat. a Telesium ; Capisucchi, Controv., p. 608.[33] Theodor., Lib. Theoph., cap. XXVI ; Paleotti, p. 121. [34] Collect. des Conciles, 2°Conc de Nicée, T. XIX, p. 242, Actio IV. [35] Capisucchi, Controv., p. 608 ; Selvaggio, T. III, p. 63. [36] 5. Grog., Lib. VII, Epist. 109 ; Lib. IX, Epist. 9 ; Paleotti, p. 102.  [37] 1. Carli, Biblioth. Liturg., p. 103 à 127.

 

Paray-le-Monial. Basilique. Photos ©Rhonan de Bar. 8.9.2017
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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

III

RESTRICTIONS PRIMITIVES, EN QUOI ELLES CONSISTAIENT.

Les évêques d'Occident n'avaient point pris part au deuxième concile de Nicée. Trompés par une traduction défectueuse de ses actes, ils ne crurent pas d'abord devoir l'accepter ; mais ce n'était qu'un malentendu : la doctrine dont ils firent profession au concile de Francfort, en 794, ne différait sur aucun point essentiel de celle qui avait été définie à Nicée, puisqu'ils permettaient les images en dehors et au dedans des églises, en autorisaient le culte  sans le rendre obligatoire, et défendaient de les détruire.

Nous pourrions nous étonner, il est vrai, qu'ils ne les aient pas recommandées plus fortement ; mais il faut observer qu'ils étaient réellement préoccupés de l'abus que l'on pouvait en faire. Les saintes images n'ayant point été chez eux l'objet de ces violentes attaques qui avaient ensanglanté l'Orient, ils ne sentaient pas non plus autant le besoin de les défendre. En présence, au contraire, de peuples grossiers et tout nouvellement convertis à la foi, ils pouvaient craindre quelques superstitions.

L’Église n'enseigne point que l'usage des saintes images soit absolument nécessaire au salut. Elle lès compte parmi les moyens d'action laissés à sa disposition, qu'elle peut, selon les circonstances, permettre, ordonner ou restreindre [1]; ses prescriptions, à cet égard, rentrent dans l'ordre des choses dites de droit positif.

Il n'est aucun doute que l’Église ne puisse aller jusqu'à une interdiction momentanée des images; mais, hâtons-nous de le dire, nous sommes persuadé, en fait qu'elle n'a jamais pris cette mesure extrême, parce qu'elle ne s'est pas trouvée dans le cas de la prendre, et nous ferons en sorte d'en exposer les raisons.

Que les images, cependant, aient toujours été également répandues, également honorées, toujours l'objet des mêmes prescriptions liturgiques, que la liberté, pour les produire, ait toujours été la même : il ne vient dans l'esprit de personne de le prétendre. C'est à nous rendre compte de la nature et de l'étendue des restrictions que primitivement leur usage a pu subir, que vont être consacrées nos premières réflexions.

Les habitudes, les pratiques et, jusqu'à un certain, point, les croyances de la primitive Eglise nous apparaissent comme couvertes d'un voile, souvent transparent, au-delà duquel l'Eglise, quand elle prononce, jette toutes les clartés de ses décisions, voile, cependant, qui n'en projette pas moins, sur ses commencements, une ombre mystérieuse.

La situation précaire des premiers chrétiens, la destruction des monuments qui auraient pu nous éclairer à leur égard, la nuit des temps comme l'on dit, qui nous en séparent, ne suffisent pas pour l'expliquer.

Nous savons que l’Église s'était fait une règle formelle de prévenir les profanations, les interprétations extravagantes auxquelles les plus naturelles de nos pratiques, les plus saints de nos mystères eussent été exposés, s'ils avaient été manifestés sans préparation à des hommes formés à l'école du paganisme.

Le fidèle initié, après de longues et minutieuses épreuves, devait bien se garder de divulguer ce qu'il avait vu, de répéter ce qu'il avait appris.

Quant aux images, on comprend que cette discipline du secret ayant pour effet de nous les faire paraître moins nombreuses qu'elles ne l'étaient, de ne pas nous laisser voir comment on les honorait, ait amené deux autres conséquences directes : elle dut nuire à leur multiplicité, elle dut contribuer à leur donner leur forme symbolique. Il fallait que, comprises facilement quand on en avait la clef, elles restassent inintelligibles pour les profanes.

Avant de se propager parmi les Gentils, l’Évangile avait été prêché d'abord au peuple juif. Le Sauveur et les apôtres étaient sortis de son sein, les premiers des chrétiens lui appartenaient. Bien revenu du penchant qu'il avait eu autrefois pour l'idolâtrie, il n'avait plus pour elle que de l'horreur. Elles étaient donc pour lui sans danger.

D'ailleurs, les disciples de la nouvelle alliance, qui avaient vu de leurs yeux, touché de leurs mains, entendu de leurs oreilles le Dieu fait homme, se trouvaient dans une situation pour laquelle les principes de l'ancienne loi cessaient d'être applicables. Conservant dans leur souvenir l'empreinte de ses traits vénérés, ils devaient chercher à les transmettre par une image sensible, c'est la nature qui le demande ; et pour lui ôter la liberté de suivre un attrait en lui-même si légitime, il eût fallu une prescription toute spéciale. Les vraisemblances, d'accord avec les traditions, nous le démontrerons dans la suite, veulent que les premières images du Sauveur remontent aux temps apostoliques.

Faire une image de Jésus-Christ, c'était faire une image de Dieu, puisque Jésus-Christ est Dieu. La plupart des défenseurs des saintes images n'en concluaient pas, cependant, que la prohibition de la loi mosaïque fût si absolument levée, qu'il leur fût permis de représenter Dieu en tant que Dieu[2] ; généralement on indiquait sa divine présence au moyen d'une main. Pour représenter le Saint-Esprit, la figure de la colombe s'introduisit assez promptement, au Ve siècle au plus tard. Mais, d'après le langage des défenseurs des images au second concile de Nicée, et longtemps, après encore/nous croirions que l'on s'était, interdit jusque-là, sans réserve, de représenter Dieu le Père et le Saint-Esprit sous aucune figure humaine, si ce n'étaient les exceptions observées sur les sarcophages du IVe et du Ve siècle, qui seront l'objet de nos études ultérieures.

KRYSTOS

L'horreur des idoles conduisit plus loin : les idoles en général, et absolument peut-être, étaient des statues; dans le Décalogue et en d'autres passages des saintes Écritures, elles sont plus expressément réprouvées sous le nom d'œuvres de sculpture[3] : en conséquence les statues furent proscrites des églises, du moins en Orient, les actes du second concile de Nicée nous en fournissent la preuve[4], et, depuis, elles n'ont pas cessé d'y subir plus ou moins une certaine, défaveur[5]. Si on fut au moins sévère en Occident comme le prouvent plusieurs passages du Liber pontifïcalis[6], il paraît, néanmoins, que pendant longtemps on ne fut pas sans y apporter quelque timidité.

Nous pouvons encore compter parmi les restrictions le soin de ne jamais représenter la croix Comme un instrument de supplice, mais comme un signe de triomphe ; de ne pas y attacher le Sauveur mourant, mais de la lui mettre à la main comme un trophée; de ne pas représenter les tortures du martyre, mais de le rappeler par les figures des jeunes Hébreux dans la fournaise, de Daniel dans la fosse aux lions , afin qu'il n'apparût jamais sans l'idée de la protection divine et de la délivrance finale, tant, que l'on sentit le besoin de tremper les âmes plutôt que de les attendrir.

Les jours d'épreuves passés, les représentations des martyrs devinrent familières, de nombreux passages des Pères nous le prouveront bientôt; peu après, au VIe siècle, apparaîtra l'image du crucifix. Mais l'idée du triomphe, qui avait d'abord prévalu, ne s'effaça pas pour cela des esprits : elle fut préférée pendant longtemps encore, dans la représentation du Crucifix même. Au moyen âge, on ne craignait plus devoir couler le sang de Jésus-Christ sur la croix; mais ce sang même était recueilli par l'Église personnifiée, comme le premier des trophées, comme le signe le plus palpitant de sa puissance.

Que pouvons-nous conclure de là, sinon que même dans la restriction motivée, par les circonstances de son existence primitive, l'Église laisse apercevoir, par rapport aux images, comme à toutes ses autres institutions, l'esprit qui n'a pas cessé de l'animer. Ce qui a des yeux superficiels paraîtrait un changement, n'est que le plus naturel et le plus légitime des développements.

 

[1] Petav., Theol. dogm., De Incarnat., Lib. XV, cap. XIII ; Bossuet, Fragments, éd. Gauthier, p. 251 ; Perrone, Theol, éd. Migne, T. 1, col. 1217. [2] S. Jean Damascène, De Fide orthodoxa, T. I Operum. Paris, 1712, p. 280.  [3] Sculptile, Exode, xx; Levit., XXVI; Deut., IV ; Ps. XCVI. [4] Lettre de saint Germain à l'évêque de Claudiopolis, Actes du Concile de Nicée, Collect. des Conciles, T. XIX, p. 322. [5] Guill. Durand, Rational, Lib. I, cap. m. g 2. 

[6] 4. Vies des papes saint Sylvestre, saint Sixte, saint Syminaque. Dom Guéranger, Origine de l'Église Romaine, in-4°. Paris, 1831,-p. 275.

 

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ÉTUDE Ire

DOCTRINE DE L’ÉGLISE RELATIVEMENT AUX IMAGES.

II

DU DEUXIÈME CONCILE DE NICÉE.

Les trois cent cinquante évêques réunis à Nicée en 787, sous la présidence des légats du pape Adrien Ier et de saint Taraise, patriarche de Constantinople, pour définir la doctrine de l'Eglise touchant le culte des images, avaient, dans le cours de six sessions, recherché avec soin tout ce qui pouvait éclairer la question ; ils avaient invoqué le témoignage des anciens Pères, celui des faits, résolu les objections. Arrivés au terme delà septième session, ils allaient prononcer : un des évêques lut, au nom de tous, une exposition motivée de leur foi ; appuyés sur la tradition : ils déclarèrent que l'on avait fait et que l'on pouvait faire « des images, « qui, d'accord avec l'histoire de la prédication évangélique, viennent « attester que le Verbe a pris la nature, humaine, réellement, et non pas « d'une manière purement apparente ». Ils comparaient les images à l'écriture, et constataient l'utilité qui résultait pour les fidèles de ces deux modes d'enseignement ; et, comme conséquences, ils arrivaient à leur sentence doctrinale, ainsi conçue :

« Nous décidons que, de même qu'on expose la figure de la croix précieuse et vivifiante, ainsi les vénérables et saintes images, soit de couleurs, soit de pièces de rapport ou de quelque autre matière convenable, seront exposés dans les saintes églises de Dieu, sur les vases et vêtements sacrés, sur les murailles, sur des tables de bois, dans les a maisons et sur les chemins, aussi bien les images de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ ; que celles de notre Dame immaculée, la sainte Mère de Dieu, celles des vénérables Anges et en général de tous les hommes saints et justes. Plus, en effet, on les voit dans leurs images, plus ceux qui les contemplent sont excités au souvenir et à l'amour des « originaux.»

Les Pères du concile distinguent ensuite le culte que l'on rend aux images, du culte de latrie, qui est réservé à Dieu seul; ils confirment cependant la pieuse coutume de les entourer de cierges allumés, de brûler devant elle de l'encens comme devant la croix, le livre des Évangiles et autres choses semblables.

« Celui, en effet, qui honore l'image, ajoutent-ils, honore, en elle, « celui que l'image représente. »

Tous les Pères souscrivirent à cette décision solennelle, et portèrent ensuite des anathèmes contre les hérétiques qui soutiendraient les erreurs condamnées. Voici un de ces anathèmes :

« Si quelqu'un ne confesse pas que Jésus-Christ est un Dieu qui, selon « son humanité, a pris un corps réel et déterminé (circumscriptum secuno dum humanitatem), qu'il soit anathème ! Si quelqu'un n'admet pas « les récits évangéliques représentés en peinture, qu'il soit anathème! »

Les Pères du concile écrivirent ensuite une lettre à l'empereur et à l'impératrice, pour les instruire de ce qu'ils avaient fait. Nous en faisons l'extrait suivant :

« Par la grâce du Saint-Esprit, nous avons proclamé la vérité, « nous avons déclaré qu'il fallait à tous égards respecter les saintes « images de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui le représentent selon qu'il « s'est véritablement fait homme (perfectus est homo factus) ; les représentations figurées en tant qu'elles racontent à leur manière les faits « évangéliques, les images de Notre-Dame sans tache, la sainte Mère de « Dieu, des saints Anges (selon qu'ils sont apparus aux hommes) et de « tous les saints. »

Nous signalons la persistance avec laquelle le concile insiste sur \g. réalité de l'Incarnation et, nous dirions, sur le caractère scriptural des saintes images, par la raison qu'il n'est rien déplus fait pour nous éclairer sur la dignité et le caractère de l'art chrétien, dont l'unique objet est de les produire.

En parcourant tout l'ensemble des actes de ce concile, les lettres des papes saint Grégoire II et Adrien Ier, qui l'ont précédé ou suivi, les écrits des autres défenseurs des saintes images, saint Jean Damascène, les patriarches de Constantinople, saint Germain et saint Nicéphore, on est frappé de la place qu'y tiennent toujours ces mêmes pensées.

Entre la double réalité de la divinité et de l'humanité du Sauveur, d'une part, et de l'autre, l'usage et le culte des images, avec tous les arts qui en dépendent, il y a la plus intime connexion. Au début, en effet, des grandes hérésies qui eurent de commun, en s'entre-combattant, de saper par sa base le mystère de l'Incarnation, et de nier que Notre-Seigneur Jésus-Christ fût à la fois vrai Dieu et vrai homme, l'arianisme manifesta une sensible aversion pour les images du Dieu-Homme. Elle n'est que trop bien constatée dans les écrits d'Eusèbe de Césarée, comme la remarque en fut faite expressément au 2e concile de Nicée[1]. Philostorge, arien déclaré, se prononce également contre les images. Cette aversion fut portée plus loin encore par les Nestoriens, et, au terme de ces luttes Suprêmes, la rage sauvage des iconoclastes ne semblerait être que le dernier effort de l'enfer vaincu. Impuissant contre la personne sacrée du Christ, il s'en prend à ses images. L'honneur qu'on leur rend remonte à la personne. Il savait, que l'on ne renverse pas, que l'on né profane pas l'image, si déjà n'a germé dans le coeur Une haine au moins sourde et secrète contre la personne : en un mot, cette haine de Dieu, qui est un des mystères de l'enfer. D'un autre côté, le fidèle, en voyant outrager l'image de celui qu'il adore, se sent atteint dans sa foi. Lorsque l'émissaire, de Léon l'isaurien monta pour renverser celle qui à Constantinople semblait le mieux, par sa place et ses proportions, figurer la souveraineté de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la ville et sur le monde, il fut renversé lui-même et mis en pièces par le peuple ameuté.

Les rapports de l'hérésie des iconoclastes avec le mahométisme qui venait de naître sont sensibles : l'une et l'autre avaient été préparés par Arius, Nestorius, Eutychès ; et dans les emprunts qu'il voulut faire à la vraie religion, il est remarquable que Mahomet ait eu pour maîtres un juif et un moine nestorien.

De quelque côté qu'on l'envisage, il y a une solidarité évidente entre le mystère d'un Dieu fait homme et ses images, leur usagé et le culte qu'on leur rend, et, par extension, avec les images des saints.

Dieu s'est fait homme, disaient les Pères de l'Église; il a vécu parmi les hommes, il a conversé avec eux, ils l'ont vu de leurs propres yeux, louché de leurs mains ; ce corps qu'il a pris pour notre salut dans le sein de Marie, qui, déposé dans le tombeau au jour de sa mort, est ressuscité glorieux, le troisième jour, toujours identiquement le même, il est aujourd'hui dans le ciel au milieu des splendeurs des saints; il est dans l'Eucharistie où il se cache : donc nous pouvons le représenter comme un corps toujours vivant et véritable ; et, l'image de Jésus-Christ, puisqu'il est Dieu, est pour nous l'image même de Dieu : nous l'honorons en conséquence. Dans une situation si nouvelle, les prescriptions de l'ancienne loi qui défendaient de figurer la divinité, ont dû, quelle-que fût leur portée, tomber comme une lettre morte[2].

Jésus-Christ vient au monde : aux sévères et solennelles majestés du culte divin, viennent aussitôt se joindre les assiduités tendres et multipliées de la piété chrétienne. Près de la crèche se pressent les bergers, les Mages y accourent, le saint vieillard Siméon le prend affectueusement entre ses bras, et chacun des baisers de sa très-sainte Mère est un acte d'adoration. Dieu est avec nous, il est le fils de Marie, il est notre frère, l'un d'entre nous. La Magdeleine arrose ses pieds de ses larmes, saint Jean se couche contre son sein ; et toutes les démonstrations par lesquelles, entre nous, nous nous témoignons du respect, de la confiance, de l'amour, applicables au vrai Dieu, peuvent devenir autant d'actes du culte souverain que nous lui rendons.

Il a quitté la terre ; mais son souvenir y resté vivant, plus vivant que celui d'aucun autre, qui, par ses grandes actions ou par ses bienfaits, ait jamais pu y marquer sa place.

L'art chrétien a pour principal objet de représenter Dieu, Dieu Incarné ; de rendre accessibles pour les sens les merveilles de sa grâce: donc, eh quelque manière, cet art est divin, il est saint au premier titre, et il demande d'être traité comme une chose éminemment sainte. L'art antique, lui aussi, à son origine, était quelque chose de sacré; C'est parce qu'il avait surtout à faire des dieux, qu'il s'est élevé par-delà les beautés de la nature jusqu'au beau idéal. Autant l'idée du vrai Dieu est au-dessus de ces dieux de commande, rêvés parfois avec quelque bonheur par l’imagination de la Grèce, autant en travaillant sur le type, seul réellement divin du Sauveur, l'artiste chrétien doit s'élever au-dessus du génie antique, et montrer, par la supériorité de ses vues, qu'il parle une langue nouvelle.

 

[1] Actio v Conciliorum T. XVIII. Paris, 1644, in-folio, p. 386. — Actio VI, id., id., p. 519.

[2] 1. Actio v Concil., T. XIX, p. 374, 315. — Actio vi, id., id., p. 451, .189, etc. Damasc, Opéra, 2 vol. in-fdl. Paris, 1712 T. I, p. 207, 310, 331, 345, etc

Concile de Nicée. © Domaine public.

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GUIDE  DE  L'ART CHRÉTIEN

ÉTUDES D'ESTHÉTIQUE ET D'ICONOGRAPHIE

PREMIÈRE PARTIE

RÈGLES GÉNÉRALES DE L'ART CHRÉTIEN

EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE,

L'art dans son acception la plus large s'entend de tout ensemble de connaissances, de règles, d'aptitudes considérées relativement à des conséquences pratiques, et c'est en quoi il diffère de la science qui de son' essence est purement spéculative. Nous disons également l'art de penser, l'art de guérir, les arts mécaniques, les arts industriels, les arts libéraux, et de chacune de ces choses en particulier l'on peut dire qu'elle est un art; mais, si nous disons l'art d'une manière absolue et par excellence, il est entendu que nous y attachons avant tout l'idée du beau : en d'autres termes, que nous parlons des beaux-arts, c'est-à-dire des arts qui ont le beau pour moyen obligatoire, sinon pour but exclusif. Saint Augustin dans un sens sublime applique ce terme d'art au Verbe éternel : c'est lui en effet qui est l'artiste suprême, par qui toutes choses ont été faites. Si nous disions seulement le suprême artisan, nous ne ferions pas assez sentir quelle est la beauté de ses oeuvres.

Leur bonté cependant passe avant leur beauté : vidit Deus quod esset bonum! et nous nous garderons de penser que le beau soit l'objet définitif  de l'art, indépendamment de celte utilité supérieure que constitue le bien. La plus grande supériorité de l'art sur le métier, c'est qu'il s'élève jusqu'aux aspirations de l'âme, tandis que le métier s'arrête aux besoins du corps. Si l'utile paraît quelque chose de relativement inférieur, c'est qu'on le prend trop bas : il y a de sublimes utilités. L'utile est la règle de l'architecture, le premier des beaux-arts. Un édifice doit avoir une destination à laquelle soient adaptées toutes ses parties: et chacune d'elles doit concourir à la solidité du tout. L'élévation morale de sa destination doit être l'âme de tout ce qu'on pourra lui donner d'élévation monumentale, élévation qui manquerait son but si elle était obtenue au détriment de ce qu'elle doit signifier : au détriment de sa noble destination; si c'est une église, au détriment des fidèles qui doivent s'y assembler et des rites sacrés, qui doivent s'y accomplir. En prenant une autre voie, les esprits les mieux doués au lieu de se laisser guider par le bon sens pour aller au génie iront facilement s'égarer dans le vague et se perdre dans le creux. Les monuments purement commémoratifs ne sont pas affranchis, de cette loi : il faut les mettre en rapport avec ce qu'ils doivent rappeler, et l'on aurait grand tort de croire que la musique elle-même, celui de tous les arts auquel il semble le plus permis d'errer dans l'indéfini, puisse y trouver de la puissance. Aimer à se sentir bercé vers des horizons ignorés et des impressions inconnues, c'est bon quand on ne sait ni voir, ni vouloir, ni fixer ses espérances; mais, pour nous, chrétiens, qui avons des aspirations bien définies, nous demandons à la musique elle-même de nous soulever où nous voulons monter, et nos accords auront des accents précis.

Nous ne prétendons pas embrasser dans nos études tous les beaux-arts, mais nous attacher aux arts d'imitation qui tous reviennent plus ou moins à la peinture et à la sculpture.

A voir la plupart des définitions qui en ont été données dans les siècles précédents, définitions qui peuvent se résumer en ces termes, pour la première: l'art d'imiter la nature en projetant sur une surface plane des lignes, des ombres et des couleurs[1]; pour la seconde : l'art d'imiter la nature en donnant à une matière solide la forme palpable des choses, il semblerait que l'imitation de la nature est leur unique but : cette imitation suffisant d'ailleurs pour remplir les conditions du beau Dufresnoy s'élève plus haut et se rapproche de la vérité quand il appelle la peinture, une poésie muette. A nos yeux, les arts d'imitation sont avant tout une langue et cette manière de les considérer devient obligatoire pour nous qui voulons nous en occuper au point de vue chrétien.

L'imitation la plus vraie de la nature, la plus fidèle traduction, le plus heureux choix de ses beautés ne sauraient nous suffire comme fin; nous les voulons comme moyen d'atteindre un but plus élevé.

« Le but suprême de l'art, c'est d'enseigner d'utiles vérités par le « moyen du charme qu'il exerce sur les sens », dit M. Selvatico, après avoir déclaré qu'il fait peu de Cas de l'art qui ne prétend à la beauté que par la forme et qui ne se propose d'autre but que de plaire[2] i.

M. Charles Blanc, avec les vues élevées qui le caractérisent dans ses études approfondies sur l'art, fait entrer dans ses définitions l'expression des idées, des sentiments, du caractère, pour la sculpture[3], et ce qui revient au même, toutes les conceptions de l'âme pour la peinture[4]. Nous différons de lui seulement quant à la précision du but, dans lequel nous faisons entrer la notion de l'utile, et cette différence ne tient qu'à la diversité de nos points de vue.

Il n'est pas une œuvre d'art chrétien qui ne manque son but si elle ne se résume dans une impression favorable au salut. L'imitation de la nature et la beauté plastique ne sont que des moyens d'attirer les sens, et de fixer l'esprit et le cœur sur de saints exemples, sur des mystères sacrés, des préceptes divins, de pieux sentiments, des aspirations généreuses; mais aussi à combien de beautés supérieures qui ne sortent pas du domaine du sens, l'accès ne lui est-il pas ouvert? Ces beautés rejaillissent des sommets élevés où l'art est allé les atteindre jusque sur les formes et les couleurs qui lui servent de corps, et ce qui aux yeux de l'homme plongé dans la matière, semblerait le mettre plus à l'étroit, devient le secret de sa plus grande puissance, et la source de ses plus heureux développements.

Comment choisir son sujet, comment déterminer et grouper les figurés qui doivent entrer dans sa composition, quelles expressions donner à ses personnages, quels linéaments aux corps imités de la nature, et, s'il s'agit de peinture, comment distribuer les ombres et les couleurs? Telles sont les questions auxquelles entreprend de répondre quiconque essaie de traiter des arts d'imitation. Telle sera aussi la première partie de notre tâche. Nous nous efforcerons de la remplir, sans jamais oublier que nous faisons une étude de l'art, mais surtout que notre objet est l'art chrétien. Nous dirons, dans autant d'études distinctes, quels doivent être l'invention, la composition, l’expression, le dessin, le clair-obscur, le coloris, pour satisfaire aux justes exigences de l'homme de goût. Nous essaierons de le faire en homme qui s'est pénétré des beautés répandues dans toutes les œuvres de la création et qui a su apprécier le choix que les anciens en ont fait. Nous ne dédaignerons aucun des procédés, aucune des observations, aucune des ressources que le temps et l'étude ont mis au service des artistes modernes; mais nous nous proposons par-dessus tout de subordonner toute sorte de goût, toute beauté, toute ressource artistique aux vérités chrétiennes, aux exemples de saints : persuadé que l'art n'a pas de meilleur moyen de les embellir que de les faire paraître tels qu'au sein de l'Église on apprend à les comprendre.

La Grèce antique eut son beau idéal. L'art Chrétien, selon l'expression de Joseph de Maistre [5], s'est élevé à l'idéal de l'idéal : il s'agit pour nous ou de l'y ramener ou de l'y maintenir. Nous le ferons par rapport à chacune des parties de l'art lorsque nous en traiterons en détail; nous croyons cependant utile de développer, à notre point vue, d'abord, les notions générales d'esthétique que nous venons d'émettre, dans une Étude spéciale.

De même, bien que nous ne devions traiter de rien sans recourir aux lumières que nous fournirons sur chaque sujet les maîtres de la science sacrée: comme la doctrine de l'Église au sujet des représentations figurées, du culte des images, de l'usage qu'elle en fait dans la liturgie, de la décoration des monuments religieux, domine toute la matière, nous commencerons par en faire un exposé général, qui facilitera l'intelligence des applications particulières que nous en ferons dans tout le cours de ces Études.

Nos notions dogmatiques une fois données, nos principes d'esthétique posés, non content d'analyser ce que les auteurs spéciaux par rapport à la technique de l'art ont dit de l'invention, de la composition et de ses autres parties, nous rattacherons à chacune d'elles des considérations plus étendues, relatives au point de vue sous lequel nous les envisageons. A l'invention nous rattacherons tout ce qui concerne le choix du sujet; ses sources, telles que l'histoire, la légende ; ses convenances par rapport au lieu, à l'usage, à l'effet que l'on doit produire, aux différentes branches de l'art ; à la composition nous rattacherons des idées générales de symbolique, d'iconographie ; au dessin, tout ce qui concerne les formes extérieures, le nu, les vêtements ; au coloris, un mot sur la signification des couleurs.

Arrivé, en suivant cette marche, au terme .de notre première partie, nous nous attacherons à l'étude de l'iconographie chrétienne. Faisant l'application des idées que nous aurons émises, nous examinerons comment l'on doit, comment l'on peut représenter Dieu, la sainte Vierge, les anges et les saints; rapporter les faits de l'histoire sacrée, personnifier les êtres matériels, comme le ciel et la terre, les êtres de raison, comme les vertus et les vices. Notre première partie étant comme la grammaire de la langue parlée par l'artiste chrétien, nous en ferons ensuite un dictionnaire raisonné que nous diviserons en trois autres parties consacrées à l'iconographie générale, à l'iconographie spéciale des mystères de la religion chrétienne, et à l'iconographie des saints.

Toute langue se forme par l'usage, et c'est surtout sur la signification des mots que l'usage exerce un empire presque souverain le langage de l'art, comme tous les autres langages, est soumis à cette loi : nous voulons d'autant mieux la respecter qu'en toutes choses nous n'aimons rien tant que l'esprit traditionnel : il rattache les pères et les enfants, et unit dans un même faisceau les forces des générations successives ; rien au contraire ne nous semble délétère et mortel comme l'esprit d'individualisme. L'archéologie nous fournira les données traditionnelles du langage artistique ; ces données toutefois nous ne les accepterons pas Sans contrôle. L'usage pour une langue ne saurait faire loi qu'à la condition de respecter les principes dont l'ensemble constitue son génie. Les données qui nous seront fournies par la science archéologique et la pratique des représentations chrétiennes continuée journellement sous ses yeux, nous ne les admettrons qu'après les avoir soumises à la lumière de la foi catholique ; après avoir acquis le droit de croire qu'elles seront comprises, qu'elles enseigneront la vérité, qu'elles édifieront. C'est à quoi nous servira l'exposé doctrinal par lequel nous allons commencer.

ÉTUDE Ire

DOCTRINE DE L’ÉGLISE RELATIVEMENT AUX IMAGES,

I.

UN MOT DE THÉOLOGIE.

Il nous sied bien à nous, simple brebis dans le troupeau du Seigneur, qui avons toujours à apprendre, sans aucun droit d'enseigner, de nous représenter la Théologie, cette reine des connaissances humaines comme l'a fait Raphaël dans les fresques de la Salle de la Signature, où elle est personnifiée sous la figure de cette âme béatifiée qui guida le poète chrétien au milieu des harmonies de la cité céleste. On se figure trop aisément que la théologie est une science sèche et aride, hérissée d'arguments et de cas de conscience : qu'est-elle cependant?

La Théologie de la Salle de la Signature. (Raphaël.)

« La connaissance des choses divines : « Scientia divinarum rerum c'est-à-dire qu'elle puise incessamment à la source de toute beauté et de tout bonheur. Voyez comme comme son oeil est pénétrant, comme son front est doux et serein, avec quel amour elle répand du ciel sur la terre les consolantes vérités qui coulent là-haut comme des flots sans rivages.

Au-dessous de cette figure, comme développement de la pensée qu'elle exprime, s'étale dans le tableau connu sous le nom de Dispute du Saint Sacrement, la plus magnifique image de l'Église enseignante. Les docteurs au pied de l'autel reçoivent du ciel la parole de Dieu, la méditent et la transmettent. Nous-, nous aimons à nous reconnaître parmi ces fidèles qui se pressent autour d'eux, pour l'entendre de leur bouche, et se la répéter les uns aux autres. Daigne la divine Béatrix toujours nous guider sur leurs pas dans la voie ardue où nous nous engageons !

En soi, il n'est rien de beau comme les vérités chrétiennes, il n'est pas d'aliment pour le cœur, il n'est pas de satisfaction pour l'intelligence qui puisse se comparer à la contemplation de leur harmonie ; il n'est pas pour les arts de sources d'inspiration et plus vives et plus fécondes.

Ce qui en rend l'étude âpre et difficile, ce sont les mille subterfuges de la fausse conscience, ce sont les arguties des sectaires, que le ministre de Dieu, incessamment, est appelé à déjouer. Sachons ne pas nous en plaindre, puisqu'il n'est pas de subtilités, pas d'erreurs, pas d'entraves, qui ne tournent au profit de la vérité, et qui n'aient pour dernier résultat de la mieux faire connaître, d'en mieux faire pénétrer les profondeurs, d'en mieux assurer la possession, d'en mieux préciser les termes. Et quand nous venons, heureux spectateurs de la lutte, cueillir les fleurs de l'arbre, nous trouvons que nos pasteurs et nos guides en ont ôté les épines.

Ce sont les fureurs des anciens comme des nouveaux iconoclastes qui ont élevé dans l'Église, à la dignité et a la certitude d'un dogme, la légitimité et l'utilité des représentations figurées, du culte qu'on leur rend, qui leur ont valu l'honneur d'être au nombre des vérités scellées par le sang des martyrs.

Auditeurs dans la Dispute du Saint Sacrement. (Raphaël.)

L'art chrétien se rattache, comme à ses racines, aux plus hauts, aux plus doux mystères de notre foi. C'est par l'histoire de ces sanglantes controverses qu'on le voit le mieux, et c'est dans la décision des conciles qu'elles provoquèrent, que nous trouverons le fondement de l'édifice que nous entreprenons d'élever, pour en faire comprendre l'importance et pour en déterminer la direction.

 

[1] Alberti. della Pittura, in-8. Milano, 1804, p. 82.

Lomazzo, Trattato délla Pittura, in-8°. Roma, 1844, T. I, p. 2.

Vasari, in-4°. Bologna, 1647, T. I, p. 30 et 42.

De Piles, Cours de Peinture, in-12. Paris, 1708, p. 3.

Mengs, Œuvres, in-4°. Roma, 1787, p. 210.

Watelet, Dict. de Peinture, in-8°. Paris, 1792, p. 50.

Millin, Dict. des Beaux-Arts, in-8°. Paris, 1806, T. III, p. 150.

[2]  Selvatico, Sull educazione del pittore storico, in-8°. Padova, -1842, p. 396.[3] Grammaire des arts du dessin, grand in-8°. Paris, 1870, p. 353. [4] Id., p. 315. [5] De Maistre, Philosoph. de Bacon, chap. VII.

 

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XXIII (Suite XXII).

Donnez une impulsion à l'architecture, tous les arts prennent une direction correspondante : une basilique refaite en style du IVe siècle vous ramène aux mosaïques dont l'eût ornée Constantin ; une église ogivale demande des vitraux comme ceux dont saint Louis orna la Sainte-Chapelle. Le mouvement littéraire, scientifique, artistique, d'où procèdent nos propres études sur l'esthétique et l'iconographie chrétienne, a bien plus d'étendue encore. Il est si vaste qu'entre beaucoup de ceux qui depuis quarante ans ont le plus fait pour l'étude ou dans la pratique de l'art chrétien, tous rapports de filiation nous échappent, tant est haut placée la cause commune d'où proviennent tous leurs travaux.

Le P. Marchi entreprend ces nouvelles investigations des catacombes qui progressent jusqu'aux admirables découvertes de M. de Rossi. M. Rio saisit tout ce qu'il y a de poésie dans les oeuvres des grands maîtres italien du XIVe siècle et du XVe siècle, et le fait goûter avec un charme depuis longtemps inconnu. M. Selvatico met en relief leur supériorité même sous le rapport purement plastique. Puis voici un savant comme le P.Charles Cahier, un dessinateur plein d'âme et d'intelligence comme le P. Arthur Martin, qui s'associent pour sonder et mettre au jour toutes les profondeurs d'idées qui se développent dans les mille figures peintes et sculptées, pour l'ornement de nos cathédrales; et ils nous en font apercevoir toute la rigueur philosophique, toute la puissance littéraire. Voici des sculpteurs comme Ténérani, des peintres comme Oyerbeck, comme Cornélius. Overbeck avait prétendu, et non pas sans succès ; s'assimiler l'âme de Fra Angelico, tout: en s'efforçant de montrer qu'il n'avait pas oublié Raphaël. Cornélius entreprend une association plus difficile du grandiose et de l'accentuation musculaire propre à Michel-Ange, avec l'intensité des pensées; chrétiennes, telle qu'on savait les mûrir avant ce grand artiste, mais pour arriver en définitive à se faire un genre à lui-même plein d'âme et d'originalité. Vient notre Orsel, qui, passant comme inaperçu au milieu du bruit de ce monde, étudiant tout ce que doit savoir un artiste, sans déflorer son âme de chrétien, a tracé avec elle de ces traits qui lui donneront toujours pour amis tous ceux qui essaieront de pénétrer dans le sentiment de ses oeuvres (PI. XVIII). Ingres fut faible comme peintre chrétien, mais il eut envie de l'être en certains moments, par amour des belles choses, et il s'est rendu digne par là d'être le maître de Flandrin ; et par Flandrin, on a vu se réaliser, avec le succès le moins contesté, l'alliance des pensées fortement chrétiennes et du grand art, enrichi de tout ce qu'il avait conquis de science technique et de procédés pratiques.

PL XVIII : LA DESCENTE AUX LIMBES.

Nous citerons encore le R. P. Besson, qui hésita un instant entre son pinceau et le ministère sacerdotal, avant de prendre le second comme moyen d'apostolat, et montra, quand, par circonstance, il revenait au premier, qu'il pouvait être un nouvel Angelico; et, ce pieux M.Hallez, esprit élevé, dessinateur plein de suavité, digne de faire avec lui partie d'une association d'artistes chrétiens, que les aspirations supérieures de ses membres empêchèrent seules de se perpétuer.

A Rome les adhérents du renouvellement de l'art dans le sens dont les noms précédents font apercevoir les différents aspects, avaient reçu la dénomination de Puristi, et ils étaient accusés de vouloir faire rebrousser chemin à la peinture, en l'obligeant, adulte qu'elle était, à revenir à l'état d'enfance et à s’envelopper de langes avec Cimabué, de ne rien admettre qui valût un éloge même chez Raphaël après sa Dispute du Saint-Sacrement, et autres énormités semblables. Nous avons sous les yeux la réponse qui l'ut donnée à ces accusations, il y a une vingtaine d'années, en quelques pages, écrites avec fermeté par M.Antonio Bianchini de qui nous les tenons ; elles sont signées aussi de F. Overbee et de Pietro Ténérani[1]. L'on retrouve le même fond d'idées dans trois allocutions du même auteur à la Société Romaine des amateurs des beaux-arts, dont il était le secrétaire [2].

Le purisme, dont se glorifiaient les éminents artistes que nous venons de nommer, consiste dans la subordination de la forme à la pensée : ils comparent les produits de l'art, s'ils ne sont pas faits pour nourrir l'âme, à des aliments corporels qui rempliraient l'estomac sans entretenir la vie; ils admirent dans les maîtres primitifs cette peinture qui, au lieu de se montrer avide de satisfaire les sens et de tout remuer pour rendre les accidents de la matière, ne fait que vous toucher tout doucement et remplit aussitôt votre âme d'affections et d'idées : Questa pittura, non seguace degli accidenti della materia, non avida di solleticare il senso, che lievemente toccandolo ti ragiona e spira nell' anima. Ils admirent dans les dernières peintures de Raphaël la difficulté vaincue, et sous ces rapports ils les mettent au-dessus des premières ; mais la simplicité de la Dispute les impressionné bien autrement, d'autant plus que rien n'y manque, même au point de vue de l'art;-. : Ammiriamo nelle ultime dipinture di Raffaele cio ch'e difficite, in quesia parte le anteponiamo alle prime ; ma più ci tocca la efficace e modesta simplicità de la Disputa cui non inanca niuna finezza d'artifizii.[3]

D'ailleurs, le principe admis, ils laissent à chacun à choisir la manière qu'il jugera la mieux appropriée aux pensées qu'il veut transmettre et aux impressions qu'il veut produire sans dédaigner aucune des ressourcés du dessin, de la lumière et des couleurs dont les grands maîtres ont appris à se servir.

Ces leçons n'ont pas été perdues à Rome, nous l'avons vu lors des fêtes du 18e centenaire de saint Pierre et de la canonisation de cette brillante pléiade de saints au milieu desquels nous avions le bonheur de compter l'humble et douce bergère de Pibrac. Une exposition spéciale avait été faite, dans une des salles du Vatican, de tous les tableaux peints en l'honneur des héros de la Circonstance: tous y étaient représentés, les martyrs de Gorcum surtout. En général, ces tableaux étaient conçus dans un sentiment vraiment chrétien, nous n'en ayons été que plus flattés dans notre honneur national et dans notre foi en voyant que notre sainte Germaine avait été traitée avec une sorte de prédilection ; et nous donnons comme spécimen de ce mouvement artistique un tableau où elle est représentée, revenant de la messe rejoindre son troupeau et traversant le ruisseau sur la surface duquel elle glissait sans enfoncer (PI. XIX).

Si les artistes qui se sont élevés le plus haut dans le sentiment chrétien pèchent en quelques points, ce n'est pas l'effet d'un parti pris. Mais la perfection absolue n'est pas le fait de l'homme: en poursuivant un but supérieur, les uns perdent de vue des qualités elles-mêmes importantes qu'ils auraient pu, sans lui nuire, recueillir également sur leur route ; les autres tombent en des défauts contraires, troublés par la crainte d'imiter ceux qui se sont livrés, selon eux, trop absolument à ce but principal. De nos jours, les artistes appelés à représenter des sujets religieux, sans y avoir été préparés par l'étude des oeuvres qui leur auraient appris aie faire avec aisance et vérité, sont presque tous tombés dans cet écueil de donner à leur personnage un air contraint et guindé. Flandrin lui-même ne s'est pas préservé entièrement de ce défaut : il est si difficile de ne pas être un peu de son temps jusque dans ses parties faibles !

PL XIX. : STE GERMAINE COUSIN PASSANT LE RUISSEAU.

Quoiqu'il en soit, l'impulsion est donnée, et les exemples ne manquent pas : ils doivent être suivis avec un esprit éclairé, attentif aux écueils que les exemples servent aussi à révéler ; l'impulsion doit exciter en chacun une verve qui lui soit propre: l'art chrétien devrait donc progresser. D'où vient cependant qu'il semble au contraire vouloir s'arrêter ? Flandrin, Overbeck, Ténérani viennent de finir, et aucun nom ne surgit pour faire espérer qu'ils seront remplacés. On voit bien, au milieu de l'exubérance toujours croissante de nos expositions annuelles, çà et là quelques oeuvres chrétiennement inspirées près desquelles l'âme trouve à s'élever, quoiqu'on puisse dire qu'elles gagneraient encore à Se trouver isolées et loin de cette cohue étourdissante. Félicitons-nous toutefois de les y trouver, en songe antque, il y a quarante ans, on n'y aurait rencontré rien de semblable. Ce sont bien là les disciples de l'école chrétienne, qui, alors, commençait à poindre, mais comment pourra-t-elle se continuer si elle n'a plus de maître; et comment l'art pourrait-il être chrétien quand le monde ne veut plus du christianisme ?

A l'art chrétien, il est vrai, il reste nos églises, mais pourvu que l'esprit profane n'envahisse pas encore ceux qui sont chargés de les construire et de les décorer. N'est-ce pas ce qui a eu lieu dans les remaniements de notre capitale, lorsque l'architecte s'est proposé principalement, dans la construction d'une église, l'effet pittoresque qu'elle peut produire à l'embranchement de deux voies publiques ? Voilà que, pour réagir contre une direction de l'art, qui, chez nous, avait le double mérite d'être le plus religieux et le plus national, voilà qu'on va répétant, ici, que tous les genres d'architecture peuvent s'adapter à la pensée religieuse, et qu'en effet, suivant les temps, on en a construit de premier ordre dans tous les styles ; là, qu'en copiant les monuments d'un autre époque, on ne fait que des pastiches. Alors on essaie de créer quelque chose de nouveau pour se donner un air d'originalité, et on ne fait que des constructions hybrides. Ce n'est point ainsi que l'on invente ; et qui crie: «Je m'en vais inventer, » n'inventera jamais rien. Pour inventer il faut croire, croire d'abord aux avantagés et aux beautés d'un ordre de combinaisons architecturales ; les saisir avec perspicacité, s'y attacher avec intelligence, et en faire jaillir des effets inattendus, et comme un rameau nouveau, apte bientôt à se détacher delà tige dout il est né et à devenir arbre à son tour.

Qui croit à l'architecture ogivale, croira aussi qu'elle n'a pas dit son dernier mot; et si elle ne le dit pas, c'est qu'il ne se trouve pas un homme de génie qui, s'y attachant avec amour, sans vouloir la remplacer, saura lui donner une physionomie nouvelle, qui tiendra de son propre caractère, et des circonstances qui auront déterminé son point de vue. Qui a tenté jusqu'ici d'allier les qualités de l'ogival italien, ses nefs et ses arcs plus larges, sans ses tirants en fer, avec les qualités du nôtre, dégagé de tous ses défauts?

En répondant à la seconde objection nous avons répondu à la première : attachez-vous à un autre style, mais prenez-le dans son unité, dans ses principes, et adaptez-le, par une légitime conséquence, aux besoins de la pensée chrétienne, arrivée au degré d'essor que nous lui voyons, au besoin d'élévation, par conséquent, autant qu'au besoin d'espace. Vous ne sauriez alors vous contenter des formes du temple antique, ou de la basilique primitive; arrivez à la basilique de Saint-Pierre, bien : puis comprenez à quelles conditions elle est tout ce qu'elle est, et nous ne serons pas éloignés de nous entendre.

Il ne faut pas se le dissimuler, un certain ralentissement semble se manifester dans l'essor des études de l'archéologie, des constructions ogivales, de la peinture et de la sculpture chrétiennes, si l'on considère les sommités. Quant à leur diffusion, elle est telle, au contraire, que l'on pourrait croire toute impulsion inutile, parce que le résultat est obtenu. Mais, ne nous y trompons pas cependant, il n'a pas suffi à Dieu de créer le monde, il faut que sa puissance créatrice s'exerce en le conservant; de même dans les oeuvres humaines, l'impulsion continue est nécessaire pour obtenir la continuation des effets. Non, le ralentissement dont nous parlons provient d'un esprit de doute, et le doute, de sa nature, est stérile; si avec le doute l'on produit encore, c'est qu'il reste des réminiscences de foi.

Avouons-le, dans le mouvement que nous voulons de tout notre pouvoir contribuer à entretenir et à diriger, tous n'avaient pas apporté un égal esprit de foi, de foi chrétienne, la seule qui mérite absolument ce nom ; beaucoup y participèrent sans être redevenus chrétiens. Ils rendaient justice, au point de vue du beau, aux sentiments qui avaient inspiré les monuments que tous s'efforçaient |de faire revivre et cela même était un grand bien; mais si, faute de ne l'avoir pas suffisamment porté à son terme, ils ne l'ont pas rendu aussi productif qu'il aurait dû l'être, si eux-mêmes ils se sont ralentis, s'ils n'ont pas fait des disciples qui les vaillent, il ne faut pas s'en étonner. Nous ne voulons pas non plus que ce soit pour nous, qui croyons, un motif de découragement.

Nous voulons remonter aux sources avec sincérité, aller aux principes de toutes les branches de l'art chrétien, qui ont pour objet de rendre des pensées par le moyen des figures et des images. Nous avons la confiance que nous viendrons en aide par ce moyen à quelques-uns de ceux qui, soit dans le choix, soit dans la direction, soit dans l'exécution d'une oeuvre d'art, aspireront à réunir les conditions du vrai et du beau. Nous sommes dans ce monde pour nous entr'aider : nous ne refusons aucun secours; puissions-nous être bien accueilli, au moins par un petit nombre de frères d'armes et d'amis, destinés pour la plupart à nous demeurer inconnus dans cette vie, qui voudront terminer ce que nous n'avons fait qu'ébaucher ou mettre en pratique ce que nous n'avons fait qu'étudier!

Saint Paul étudiant les saintes Écritures. (Miniature du XVe siècle.)

 

[1] 1. Del Purismo nelle arti, 8 pages in-8°.  [2] 2. Tre allocusioni. Florence, 1839, 21 pages in-8°. [3] Del Purismo, p. 1:

 

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XXII

L'ART ET L'ARCHÉOLOGIE DU XVIIIe AU XIXe SIÈCLE.

Le XVIIIe siècle, ce prétendu siècle des lumières : siècle en effet où l'esprit abonde au point d'étouffer le génie, où le clinquant se tourmente pour primer le beau, le XVIIIe siècle est de tous les siècles le plus pauvre en fait d'art chrétien. Ce n'est pas qu'il soit dépourvu d'artistes de talent: nous en avons nommés en France qui peignaient avec succès. Mengs ne laisse pas que de faire honneur à l'Allemagne où il est né, et à l'Italie où il a vécu, plus, il est vrai, par ses écrits que par ses tableaux ; mais enfin ces tableaux sont loin eux-mêmes d'être sans mérite, ils ont surtout celui de ne tomber dans aucune de ces manières lâches ou prétentieuses qui amenèrent la réaction à laquelle Canova en Italie attacha son nom, comme sculpteur, et qui, chez nous dans la peinture fut opérée par David et son école. Mais où trouver, en fait d'idées ou de sentiments religieux, à cette époque, aucune œuvre d'art qui ait quelque chose de senti, de vif ou d'original? Les sujets religieux étaient presque tout autrefois ; c'est à peine maintenant s'ils figurent parmi les commandes faites aux grands ateliers. Quant à l'art en lui-même, il faut savoir gré à David de l'avoir renouvelé en ravivant le sentiment des lignes et de la beauté plastique ; lui tenir compte de son étude sérieuse du nu, quoiqu'il en ait tant abusé; il faut savoir le louer -, malgré les défaillances de son caractère au milieu de nos crises politiques, d'avoir su remuer la fibre patriotique en peignant ses héros de l'antiquité ; mais il semble que pour lui le christianisme est comme non avenu : si quelquefois il reparaît dans les oeuvres de ses élèves immédiats, ce n'est encore que bien secondairement.

Canova, imitateur plus immédiat de l'antique, envisagé au point de vue esthétique que les théories de Winckelman avaient fait prévaloir, était par là plus voisin des sentiments religieux, car l'art grec l'était assurément à sa manière. Vivant tout à la fois dans une atmosphère artistique qui n'avait plus rien de chrétien, et dans un milieu social qui n'avait pas encore cessé de l'être, il eut parfois l'occasion de traiter des sujets religieux; alors il ne l'a pas fait sans quelque succès: nous en avons pour preuve sa Magdeleine, et les ligures tumulaires de Clément XIII et de Pie VI ; mais, alors même, l'idée chrétienne ne va pas chez lui au delà du caractère propre à chacun de ces personnages : ainsi, la prostration du repentir chez la Magdeleine, après tout Magdeleine de fantaisie ; ainsi la sérénité de la prière dans la figure des deux papes. Difficilement, dans une sphère qui lui était étrangère, Canova eût pu faire davantage. Pie VI agenouillé devant le tombeau de saint Pierre sous la coupole du Vatican, offre une idée sublime ; mais ce sublime tient à la situation plus qu'au génie de l'artiste; les plus grandes beautés du tombeau de Clément XIII viennent également des circonstances : par cela seul que le pape est à genoux à côté de la croix que la Religion tient dressée près de lui, la douleur des lions de Venise acquiert une valeur religieuse qu'elle ne pourrait avoir autre part, si admirablement qu'elle soit rendue.

Il y a là un grand talent mis accidentellement au service de la foi; nous n'y voyons pas un prélude qui annonce la résurrection d'un art inspiré et dirigé principalement par les pensées de la foi comme le fut celui de Ténérani par exemple, et cependant Ténérani appartient sous beaucoup de rapports à la postérité artistique de Canova.

Les véritables préludes de la résurrection dont nous parlons, il ne faut pas les chercher dans la sphère de l'art lui-même : c'est au sein de la littérature qu'elle se manifestera d'abord, et le Génie du Christianisme en fut la plus éclatante manifestation. Mais le livre de Chateaubriand ne vient pas isolement, il manifeste une impulsion nouvelle, plus encore qu'il ne l'imprime.

L'édifice social, qui fut renversé par la Révolution, avait été remanié et reconstruit en style du XVIIIe siècle : par delà ses ruines, les yeux de ceux qui songeaient à relever quelque chose se portèrent plus loin et plus haut, vers les grandeurs et les forces vives d'un passé plus éloigné, dont on avait perdu le sens, quand on n'en avait pas oublié jusqu'au souvenir : le passé de leur propre histoire, pour toutes les nations de l'Europe, a une époque où elles étaient profondément, exclusivement chrétiennes dans leurs institutions, leurs coutumes, leurs actes, dans leurs monuments, dans l'art et jusque dans le caractère des passions qui pouvaient les agiter. Sur beaucoup de points on s'aperçut que l'histoire était à faire ou à refaire, et dans tous les camps, sous toutes les nuances d'opinion, on vit des hommes mettre une ardeur incroyable à remonter aux sources avec l'idée, passionnée souvent, d'y trouver la confirmation d'un système préconçu, mais généralement avec sincérité, quant à l'emploi des moyens jugés les plus propres à mettre au jour la vérité.

Les études archéologiques cependant n'étaient pas restées oisives dans les siècles précédents : les grands travaux des Bénédictins, des Bollandistes atteignent des proportions auxquels les nôtres n'arriveront jamais et nous ne saurions y apporter un esprit plus laborieux, plus sensé, plus soutenu, plus véridique, plus investigateur ; mais nous avons sur ces hardis pionniers de la science l'avantage de venir après eux et de trouver devant nous les voies qu'ils nous ont ouvertes. Ce n'est pas que nous les suivions en aveugles. Non, ils nous éclairent et ne nous entraînent pas; quoique nous rejetions bien loin de nous la prétention de rien faire qui, comme ensemble, vaille ce qu'ils ont fait. Ces éditions princeps, ces collections de tout genre, qui ont mis à notre portée les textes de tant d'écrivains sacrés et profanes enfouis et disséminés en des manuscrits de difficile accès, tant de richesses historiques, artistiques, scientifiques et autres, qu'ils ont extraites pour nous des cartulaires, des chartiers, des bibliothèques publiques et privées, sont des oeuvres qui resteront toujours sans rivales. Mais nous pouvons, profitant des changements de perspective qui multiplient les aspects et par conséquent les données, éviter des erreurs où ils sont tombés, et nous poser avec avantage sur les terrains où ils ont pu se montrer faibles.

Nulle part les archéologues des siècles derniers n'ont faibli autant que dans l'intelligence des monuments de l'art chrétien ; ils les observaient peu par eux-mêmes, ils les jugeaient de leurs cabinets, d'après des dessins très-souvent incorrects. Nous disons qu'ils les ont insuffisamment compris, en tant que monuments d'art : la raison en est surtout que ce point de vue n'était point le leur. Indépendamment des grandes œuvres d'érudition et de critique dont nous venons de parler, l'Italie, en particulier, a compté alors beaucoup de solides investigateurs des antiquités chrétiennes, tels que Buonarrotti, Gori, Ciampini, sans parler de Bosio et de ses successeurs dans les fouilles des Catacombes, qui se sont attachés spécialement aux monuments figurés, mais pour élucider des questions de doctrine, de liturgie, d'histoire, plutôt que pour en saisir la portée artistique et le mérite poétique.

Ces hommes, vraiment éminents à beaucoup de titres, sont nos devanciers à certains égards; mais nous nous engageons aussi sur un terrain où ils n'ont pas même essayé de faire" un seul pas. Ils n'avaient aucune tendance à relever, dans la pratique de l'art, le sentiment religieux et la pensée chrétienne. Sous le rapport de l'esthétique, l'archéologie ne savait alors étudier que l'art antique : elle aurait pu croire, au moins sur ce point, avoir avec Winckelman épuisé la matière, si les marbres d'Elgin, les fouilles d'Athènes et toute la série de découvertes analogues n'étaient venus, encore une fois, démontrer l'insuffisance du génie de l'homme, pour embrasser, d'un seul coup d'œil, tout un horizon.

Du sein des écoles archéologiques du XVIIIe siècle, continuées dans la première partie du XIXe, on vit poindre cependant des esprits disposés à faire, dans leurs études, la part de l'art chrétien : tels furent d'Agincourt, Cicognara ; mais à la conditionne ne voir que la décadence et l'incorrection des formes, quand elles ne revenaient pas aux types réputés seuls classiques , sans avoir presque aucun égard à la supériorité des pensées et à l'appropriation des moyens d'expression à ces pensées d'un ordre prééminent.

Bien autre est l'archéologie qui s'est dessinée vers la fin du premier tiers de notre siècle, et qui s'est vivement élancée vers des conséquences pratiques. Tandis que M. de Caumont en France, M. Boisserée en Allemagne, faisaient comprendre les harmonies du système ogival et étudiaient les lois de sa formation, Welby Pugin, en Angleterre, essayait déjà de les appliquer sur une vaste échelle aux nombreuses églises que réclamait la progression toujours croissante du catholicisme; et, converti lui-même par cette étude, il en faisait un moyen de prosélytisme. Bientôt en France, avec M. de Montalembert et M. Didron pour organes, le sentiment des beautés de notre art national devenait populaire, au point de  provoquer, sur toutes les parties de notre territoire, une activité de constructions religieuses comme on n'en avait pas vu depuis le XIIIe siècle, et il se trouva, pour les diriger, des architectes comme M. Lassus, comme M. Viollet-le-Duc.

La disposition des esprits, l'état de la société, n'étaient pas tels, cependant, que l'on ait pu édifier des monuments de premier ordre, de ces églises cathédrales, qui demandaient le concours des populations tout entières d'une grande cité, pendant des siècles ; mais jamais peut-être, dans le même espace de temps, on n'avait construit autant d'églises paroissiales qu'on en a construites en style ogival ou roman, depuis vingt-cinq ans, sans parler des vastes réparations dont les anciens monuments ont été l'objet. Nous parlons maintenant de la France ; mais le mouvement s'est étendu à l'Allemagne, et il a soulevé, chez elle, un élan qui serait admirable, s'il aboutissait à l'achèvement de la cathédrale de Cologne.

En Italie, on ne pouvait également se passionner pour l'architecture ogivale, puisqu'elle n'y possède pas les mêmes titres que chez nous, pour se faire considérer comme un produit national; cependant, la plupart des églises les plus monumentales de la péninsule, à l'exception de Rome, sont conçues dans le système ogival, quoique modifié de manière à former une branche tout à fait à part, et l'on en est venu à terminer, dans le style qui leur est propre, des édifices que l'on eût auparavant laissés dans leur état d'inachèvement, avec l'aspect de dégradation qui en résulte, plutôt que de rien faire qui semblât sanctionner un goût alors réputé barbare. Nous citerons, parmi les travaux de ce genre, la façade de l'église franciscaine de Santa Croce, à Florence, et les réparations d'intérieur dans l'église dominicaine de Sainte-Marie de la Minerve à Rome.

Qu'on le comprenne bien pourtant, quoique ces considérations paraissent s'appliquer à un système de construction particulier à telle époque, à telle fraction de la chrétienté, nous n'avons pas pour but ici de soutenir nos préférences pour celui du moyen âge : en montrant que, bien compris, il peut embrasser les qualités de tous les autres, et se préserver de tous les défauts qu'on lui peut reprocher. Il s'agit tout simplement d'un retour vers l'étude et l'appréciation du passé, et à ce point de vue,- les plus grandes gloires de Rome chrétienne remontant aux premiers siècles de L’Église, c'était obéir au mouvement dont nous parlons que d'avoir refait autant que possible la basilique de Saint-Paul dans son style primitif, tandis que dans les siècles précédents on n'a pu réparer Saint-Jean de Latran sans le défigurer ; et l'on ne pardonnerait pas à ceux qui ont fait disparaître l’ancienne basilique du Vatican, si ce n'était le grandiose de la construction nouvelle.

Vue de la Basilique du Sacré-Coeur. Paray-le-Monial. Photo ©Rhonan de Bar.

Vue de la Basilique du Sacré-Coeur. Paray-le-Monial. Photo ©Rhonan de Bar.

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XX.

L’IMAGERIE PENDANT LA MÊME PÉRIODE

De tout temps l'imagerie, c'est-à-dire un art plus ou moins populaire quant à sa destination, plus ou moins élémentaire, quant à ses moyens d'exécution, a trouvé place à côté du grand art chrétien. Dans l'Église primitive, entre autres modes de se produire, elle eut les fonds de verre à figures d'orées, au moyen âge les plombs historiés: les livres, alors, étaient une chose chère et précieuse, inaccessible au grand nombre. Néanmoins, beaucoup de leurs enluminures, vu la manière facile et familière avec laquelle elles sont composées, semblent faites pour le peuple ; et dans les rangs les plus élevés, effectivement, il y avait alors, chez presque tous, ce quelque chose de simple et de naïf qui aujourd'hui fait le charme des pauvres gens, quand ils ont su le conserver. Ou plutôt, il faut le reconnaître, avec plus de hiérarchie entre les classes et entre les membres d'une même classe, il y avait plus d'égalité pratique entre tous, par la communauté des sentiments, des idées, des habitudes. Alors dans l'art tout tournait à l'imagerie, parce que tout était populaire, les somptueuses verrières données par la corporation des bouchers, parcelle des fourrures ou par toute autre corporation ouvrière de la cité, les porches aux mille statues, étaient véritablement les livres de ceux qui ne savaient pas lire, de l'imagerie en grand et de l'art pour tous. Les distinctions dont nous avons parlé ne portent que sur des nuances ; les plombs historiés ne diffèrent des œuvres de prix, que par le peu de valeur de la matière et la grossièreté d’exécution, et c'est dans les miniatures seulement que l'on trouve une plus grande variété de composition, vu l'abondance relative de l'espace, et le champ plus libre laissé aux fantaisies de l'imagination.

L'invention de l'imprimerie, celle de la gravure viennent mettre le livre et l'image à la portée du plus grand nombre ; dans ce moment même, le tableau va devenir une machine compliquée où l'imitation plus savante de la nature sera- d'autant moins intelligible à la foule, qu'elle s'éloignera de la naïveté instinctive, commune à tous les premiers essais d'imitation ; un objet de luxe plus fait pour les palais et les musées, où il est mis dans son jour et considéré commodément par les amateurs, que pour les trop grands mura et les voûtes trop sombres des églises où le public ignorant ne le regarde plus. Bientôt aussi les auteurs d'un tableau se montreront préoccupés de toute autre chose que d'entretenir la piété, et d'exalter des idées chrétiennes. Mais alors on imprima la Bible des pauvres et l’Ars Moriendi : nous citons à dessein ces deux publications parmi les essais de xylographie qui furent le prélude de l'imprimerie, parce que dans leurs conceptions iconographiques elles représentent assez bien les deux courants encore voisins de leur source commune, entre lesquels se partagea à partir de cette époque l'imagerie chrétienne : l'un s'attache aux traditions et les conserve comparativement avec simplicité, il accepte les attributs consacrés, il reproduit les faits connus qu'ils proviennent de la Bible, de l'histoire sacrée ou profane, ou bien de la légende. L'autre, livré à l'imagination, recherché souvent, parfois grotesque d'abord, deviendra prétentieux dans la suite, c'est ainsi qu'il se mettra en quête des situations, des ligures, des emblèmes jugés les plus capables d'émouvoir, d'exciter le repentir, la componction, la piété.

Il ne faut pas croire cependant que ses deux courants soient toujours tellement distincts, qu'ils ne mêlent jamais leurs eaux; et souvent il sera difficile de les distinguer.

Dans la Bible des pauvres, histoire de Jésus-Christ en images, les principaux faits du Nouveau-Testament sont représentés dans un arc qui occupe le centre de chaque estampe et accompagnés, sous deux arcades latérales, de deux faits puisés dans l'Ancien-Testament, qui s'y rapportent et les expliquent : c'est ainsi qu'au baptême de Notre-Seigneur sont associés le passage de la mer Rouge et les deux explorateurs israélites de la Terre promise portant la grappe de raisins pour rappeler le passage du Jourdain, accompli bientôt après, deux faits distincts destinés à symboliser le baptême. Quatre figures de prophètes sont placées sous des arcs de moindre dimension au-dessus et au-dessous du sujet principal, avec des légendes tirées de leurs écrits qui s'y rapportent. Ils complètent l'ensemble du tableau, où tout est sagement ordonné, malgré ce qu'il peut y avoir de hasardé ou même de trivial dans quelques détails.

L'Ars moriendi se compose d'une suite de tableaux où un moribond assailli par les démons et secouru par son bon ange est aux prises avec les diverses tentations auxquelles on peut se voir exposé à ses derniers moments. Il serait injuste d'y méconnaître la gravité qui existe toujours dans la pensée et qui domine quelquefois dans son expression. Ainsi, après un tableau de violente tentation contre la foi, le malade assisté par son ange gardien est représenté calme sur son lit, quoique portant des tracés d'agitation; l'ange lui dit : SIS FIRMUS IN FIDE, paroles écrites sur une banderole échappée de sa main; Dieu le Père, Dieu le Fils, la sainte Vierge, Moïse suivis d'une foule de saints sont de l'autre côté du lit, pour dire la société qui attend le mourant, s'il obéit à cette suggestion salutaire. Il le fait, car les démons s'enfuient dans la partie inférieure du tableau, s'écriant : Fugiamus, victi sumus, frustra laboravimus, paroles écrites sur des banderoles qui se déroulent auprès d'eux. Leurs figures hideuses apparaissent trop secondairement pour nuire à la physionomie générale, où il n'y a rien qui ne respire la paix et ne soit édifiant. Enfin, dans ces combats le chrétien est toujours montré finalement victorieux, et le dernier tableau présente son âme recueillie par les anges, tandis que les démons désespérés s'enfuient pour la dernière fois.

Tout est cependant ici de pure imagination, les démons y sont représentés avec des figures singulièrement grotesques ; diverses situations nous font l'effet de l'être passablement elles-mêmes et nous porteraient plus facilement à rire qu'elles n'exciteraient au sentiment de terreur qu'elles devraient imprimer. Nous sommes sans aucun doute bien éloignés de la simplicité de ceux auxquels était adressée cette publication, car le succès en fut très-grand, et nous ne doutons pas qu'elle n'ait produit des effets salutaires. Nous rions, et assurément les bonnes gens du XVe et du XVIe siècle riaient aussi. Ils riaient également, et comment n'auraient-ils pas ri des grimaces que faisaient les victimes de l'impitoyable vainqueur dans les danses macabres?... Mais cela n'empêchait pas le retour sur soi-même.

Le fantastique et le trivial, tels étaient néanmoins les écueils de l'art voulant se faire populaire. On allait ainsi tout à l'inverse du mysticisme suave qui avait régné auparavant ; puis, par ces images de mort, par cette propension à incliner les âmes à la crainte, on s'éloignait plus que jamais des pensées de vie et de confiance qui avaient été elles-mêmes si populaires dans l'art chrétien primitif. Sur ce point d'ailleurs, ce n'est point l'art qu'il faut reprendre ou blâmer. Il était dans son rôle quand, à l'aurore du christianisme, il montrait sous les plus vivifiants aspects la perspective ouverte à ceux qui avaient le courage d'y entrer. A une époque, au contraire, ou un si grand nombre de chrétiens menaçaient de sortir de l'Église, où des peuples entiers en sortaient, en effet, où tant d'autres fléchissaient ou allaient fléchir dans l'accomplissement de leurs devoirs religieux, il convenait plus que jamais de leur montrer les funestes conséquences de leur lâcheté. Soucieux du bien des âmes, le moraliste chrétien devait, pour fixer l'attention, sacrifier au goût du temps, et l'artiste dont il était obligé d'emprunter la main y portait le sien dans ces détails, quelquefois hasardés, qui ne peuvent, comme l'ensemble de l'oeuvre elle-même, avoir été conçus dans un but d'édification.

Nous ne doutons pas, en effet, que tel ne soit le cas en particulier de l’Ars moriendi. On n'en saurait dire autant de toutes les publications illustrées des premiers temps de la gravure : il y en a qui étaient des œuvres purement mercantiles et qui par là même se trouvaient beaucoup moins protégées contre les écarts d'une gaîté équivoque, que les dessinateurs n'étaient que trop portés à se permettre. Voyez, par exemple, les Heures illustrées, non plus pour la masse du peuple, mais pour un public d'élite, à l'imitation des Heures enluminées qui peu auparavant n'étaient accessibles qu'aux princes et aux grands seigneurs. Dans les plus anciennes, les convenances sont plus généralement respectées, alors même que l'artiste a voulu jouer, comme il lui arrive quelquefois de le faire. Mais dans des publications plus nouvelles, c'est-à-dire parmi celles qui dépassent le premier quart du XVIe siècle, on trouve des sujets de la plus haute inconvenance, pour ne rien dire de plus, dans un livre de piété. Et notez que, les vignettes étant d'auteurs différents et quelques-unes la reproduction décompositions plus anciennes, on y voit les disparates les plus grands : une vierge par exemple encore conçue dans un sentiment pieux, flanquée d'immondices.

Il se forma alors une école d'imagerie chrétienne qui ne fut pas précisément populaire, qui ne fut pas non plus traditionnelle, comme l'esprit qui dominait dans la meilleure partie des Heures illustrées. Dégagée du grand art, cette école se dégagea aussi de ses voies trop profanes et de la gaîté équivoque de ses ateliers.  Mais ayant rompu avec la tradition de l'ancien art chrétien et ayant perdu le secret de l’élévation dans la simplicité et la naïveté, elle essaya, sous des formes emblématiques, de faire de l'ascétisme, raffiné. Nous assignons le commencement de cette évolution à la première moitié du XVIe siècle ; mais sa plus grande période de développement appartient: au XVIIe siècle. On ne lui doit pas uniquement des estampes de petits livres ; elle inspira quelques tableaux : ceux des Palinods ou concours de chants, en l'honneur de la Vierge, dont le musée d'Amiens possède une riche collection, participent de ce mysticisme alambiqué ; tel est encore ce genre de crucifiement dont on voit un spécimen au musée de Cluny où chacune des branches de la croix est terminée par un bras qui agit, la branche supérieure pour ouvrir le ciel, la branche droite pour couronner l'Église, la branche gauche pour terrasser la Synagogue la tige inférieure pour briser les portes de l'enfer.

Dans bette composition il y a un grand mélange encore d'idées traditionnelles; mai si dans les petits livres dont nous parlons, le plus souvent il n'y en a pas la moindre trace : ici ce sont de gros raisins suspendus à chacune des plaies du Sauveur, et, au pied de la croix, une religieuse en voile noir, faisant le rôle de Madeleine, avec cette légende dans l'encadrement : Sub umbra iliius quem desideraveram sedi, fructus ejus dulcis gutturi meo ; « Je me suis assise à l'ombre de celui qui faisait l'objet de « tous mes désirs,; ses fruits sont doux à ma bouche[1]. » Le raffinement est bien plus grand à mesure que l'on avance. Voici les Pia desideria[2], une Regia via crucis[3], où l'âme chrétienne, étant représentée - sous la figure d'une petite: fille d’une dizaine d'années, entre dans les rapports les plus singuliers avec Notre Seigneur; représenté lui-même sous la figure d'un enfant du moyen-âge. Dans le premier de ces ouvrages, il porte des ailes, et sa tête est rayonnante ; et voici qu'il a attelé l'âme pour faire marcher un pressoir, et il la fouette ; tandis que celle-ci s'écrie selon la légende : Vide humilitatem meam et laborem meum et dimitte universa delicta mea (Ps, XXIV) : « Voyez mon humiliation et mon labeur, et remettez moi tous mes péchés » ; plus loin, il la porte sur ses épaules avec une ancre proportionnellement énorme, jusqu’au bord d'une mer en furie, et la légende porte : Mihi autem adhoerere Deo bonum est et ponere in Domino spem meam (ps.LXXII) : « C'est un bien pour moi de m'attacher à Dieu et de placer en lui mon espérance. »

Dans la Voie de la croix, p. 272, Jésus étant crucifié, l'âme l'est également ; derrière le Sauveur le diable apparaît aussi attaché à sa croix ; et au revers de celle de l'âme, une figure couronnée d'une sorte de tiare représente le monde, comme le prouve cette légende : Mundus crucifigendus : « Il faut crucifier le monde[4]». Dans une autre vignette p. 280, où on lit : Christo crucifixus sum cruci : «Dans le Christ, je suis crucifié sur sa croix », la tête de l'âme est comme noyée dans celle du Christ.

L'âme attachée à la croix à l'image du Sauveur. (Vignette du XVIIe siècle.)

Il ne faudrait pas croire cependant qu'en imaginant de pieuses compositions tous soient tombés en dépareilles bizarreries. Nous avons rappelé les conceptions artistiques de M. Olier : quelques-unes participent aux meilleurs côtés de cette phase de l'iconographie chrétienne. On y sent, l'effort d'un saint (nous employons ce terme dans son sens large et sans préjuger les décisions de l'Église, auxquelles en toutes circonstances nous subordonnons toutes nos pensées et toutes nos expressions), pour relever l'art chrétien dans la région des idées et dans celle des affections : leur pieux auteur fit peindre par Le Brun le très auguste sacrifice de la messe offert à Dieu pour tous desseins et dans toutes les intentions de « l'Église du ciel, de la terre et du purgatoire ». En effet, on voit dans ce tableau le ciel et le purgatoire ouverts, et tous les Ordres des fidèles représentés au pied de l'autel[5]. Il avait voulu aussi que l'expression s'élevât jusqu'au mysticisme le plus pur et le plus élevé dans les figures qu'il fit faire pour représenter l'intérieur de Jésus et de Marie, l'abandon de l'âme à Marie[6]. Mais alors, les esprits n'étaient pas suffisamment disposés pour reconstruire sur de semblables bases une langue iconographique solidement chrétienne, polie et réglée par l'usage ; et, contre la gravité froide et somptueuse qui s'emparait du goût au milieu du XVIIe siècle, la piété ne sut guère trouver de refuge que dans ces tours à la manière de Watteau ou de Boucher en les rendant chrétiens, alors que ces peintres allaient briller eux-mêmes par leur gracieuse afféterie.

 

[1] Exhortations pieuses sur les sept paroles proférées par notre Sauveur Jésus-Christ en l'arbre de la Croix, etc., par Denis de Coulomp, vicaire de l'abbaye de Saint-Victor, petit in-8". Paris, 1616.  [2] Auctore P; Hermano Hugone, Soc. Jes. Antverpise,. 1676. [3] 28 Auctore D. Benedicto Haefaeo, Ultrajectino, Reform.... Ordinis Sancti Benedicti. Antverpise, 1728. [4] Ces vignettes d'ailleurs, on peut en juger d'après la reproduction de M. Chapon, na sont pas sans mérite d'exécution. [5] Vie de M. Olier, in-8». Paris, 1853, T. II, p. 342.[6] Id, p. 257, 258.

 

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XIX.

L’ART ALLEMAND, FLAMAND, ETC… DU XVe AU XVIIe SIÈCLE.

L’art, tandis qu'il avait posé le siège de son empire en Italie, n'était pas exclu du resté de la chrétienté. Pendant la période que nous venons de parcourir rapidement, il avait eu, depuis le XVe siècle, ses grandeurs en Allemagne ; il avait brillé du plus vif éclat chez les Flamands et les Hollandais ; l'Espagne ne s'était pas laissée éclipser, et avant le terme de vicissitudes sur lesquelles s'est étendu notre regard, la France avait repris le sceptre de la peinture. Mais, nous devons en convenir à l'honneur de l’Italie,  nos grands artistes du XVIIe siècle se sont directement formés à son école, et ils peuvent être considérés comme formant une branche distincte dans la filiation des grands maîtres que nos jeunes artistes vont toujours étudier de l'autre côté des Alpes, sous peine délaisser leur éducation incomplète.

Les Allemands, les Hollandais, les Flamands ont eu plus d'autonomie dans leur période dé' plus grande gloire artistique. Les vieux mat très de Cologne ; les trois Holbein ; Albert Durer, tiennent peu des Italiens, pas plus que les deux Van Eyck et Memling. Au contraire, ce sont ceux-ci qui ont exercé une forte action sur l'Italie, principalement à Florence, pendant la seconde moitié du XVe siècle : non-seulement, parce que la peinture à l'huile, qui eut une si grande influence sur la marche ultérieure de l'art, est venue originairement de la Flandre, mais encore à raison de l'importance que prirent promptement, comme graveurs, les artistes de ces différentes nations. On peut leur attribuer en grande partie la manière nerveuse, si sensible chez André del Castagno, l'un des propagateurs du nouveau procédé de peinture, et d'où dérive la manière musculaire mise en vogue par Michel-Ange.

PL. XVI : CHRIST DE MARTIN SHONGAUER. VIERGE DE HUBERT VAN EYCK

Toutes ces écoles néanmoins comparées avec celles d'Italie, forment, y compris les artistes français contemporains, un groupe bien distinct, caractérisé surtout dans ses types, pris à leurs points de départ. Une vierge allemande, sans aucun doute, a plus de rondeur et de souplesse qu'une vierge flamande; mais on dira qu'elles se ressemblent si l'on prend pour terme de comparaison une vierge de Fra Angelico. L'usage commun des longs cheveux flottants, substitué à celui du voile, ne laisse pas que de contribuer à cette ressemblance relative[1].

Quant aux compositions, au contraire, elles sont à peu près les mêmes dans toute la chrétienté latine, et l'on sent qu'un .même courant d’idées circule partout. Il en est à peu près ainsi par rapport à l'antagonisme ou à l'association signalée plus haut, entre le naturalisme et le mysticisme. L'on passe de même successivement des idées aux sentiments, de la dignité aux affections attendrissantes. Les anciens Allemands sont plus fermes que les Flamands, à résister aux séductions des réalités trop familières. Les Van Eyck, cependant, tout imitateurs exagérés qu'ils soient déjà de la nature, ne laissent pas d'être dominés encore par la prépondérance pénétrante des idées et des sentiments chrétiens. Qui refuserait à leur Adoration de l'Agneau le titre d'une grande œuvre chrétienne, sans égard à la proportion réduite des figures ? Le mérite, il est vrai, de ce tableau repose principalement sur la composition, et c'est par l'expression des plus pieux sentiments que le mysticisme, en regard du naturalisme, acquiert dans l'art l'élévation qui lui est propre; c'est par là que brille Memling, le Fra Angelico du Nord.

Albert Durer est la plus grande gloire artistique de l'Allemagne, et, après lui, elle n'en aura pas de longtemps, qui lui appartiennent au même degré. Le peintre de Nuremberg tient évidemment des Flamands, mais il n'en a pas moins sa vive originalité. Il fut un profond observateur de la nature, un dessinateur ferme et vigoureux ; que fut-il comme artiste chrétien ? A ce point de vue, aucune de ses œuvres n'est restée fortement dans les souvenirs, et il a été moins heureux que beaucoup de grands maîtres plus entraînés que lui vers les succès dus à la séduction des sens : le Corrége a sa Nuit, le Titien ses Disciples d’Emmaüs, Rubens sa Descente de croix. Que citer d'Albert Durer, qui ait acquis une égale popularité? Il leur arrive néanmoins plus souvent de répondre dans une égale mesure et même dans une mesure supérieure au besoin du fidèle qui devant un tableau veut, aimer et prier; ses compositions sont moins éloignées des données traditionnelles; les types de ses vierges sont trop communs, il est vrai, mais elles sont aimantes, et ses mises en scène de la Passion ont du pathétique, quoique trop vulgaires dans la plupart des expressions. Par ce motif, dégagé de l'esprit exclusif, qui, pendant longtemps, n'aurait pas permis de fixer son admiration en dehors des conquêtes opérées dans Part depuis la Renaissance, ou portera ses préférences sur les artistes qui ont précédé Albert Durer ; sous l'empire des goûts modernes, on le trouvera trop primitif et trop austère.

Les œuvres les plus goûtées du commun des chrétiens, dans la période suivante ont été celles qui ont su, tout à la fois, flatter l'œil par un ensemble modéré de qualités brillantes, et gagner le cœur par un sentiment religieux solide encore, quoiqu'on ne lui demandât plus autant d'être vif et pénétrant. Telle est la Descente de croix de Rubens conçue selon la manière douce de son auteur ordinairement si fougueux, souvent si charnel. Il nous montre par cet exemple (et nous en connaissons bien d'autres de ce grand maître) qu'il ne lui manquait que la direction pour devenir suave dans les sujets religieux, sans perdre son éclat.

Rubens, au milieu même de ses écarts, conserva toujours quelque titre au nom de peintre héroïque. Que dirons-nous des écoles personnifiées en Flandre, par les Teniers ? Prenant généralement leurs sujets dans la vie familière, ils ne se sont trouvés que rarement aux prises avec la pensée religieuse, et alors ils n'ont su la rendre que dans le sens de leurs observations habituelles. Nous pourrions les passer sous silence, sans méconnaître les qualités supérieures qui justifient, jusqu'à un certain point, la vogue dont ils sont l'objet ; nous disons, au contraire, un mot de ces qualités, parce qu'elles peuvent être mises elles-mêmes au Service de la religion ; nous n'en donnerons pas pour preuve ces Tentations de saint Antoine, qui ne sont qu'un prétexte pour faire du fantastique ; mais considérez les Œuvres de miséricorde de Teniers le Vieux, au musée d'Anvers. Ce tableau fait voir, dans le genre familier, que le sentiment chrétien serait applicable à tous les caractères, à toutes les situations de la vie.

Rembrandt, quoique familier aussi, se tient plus haut, et ses demi-jours, jetés sur ses têtes de Christ, portent sérieusement à méditer sur cette divine figure, en avertissant que chez elle il y a quelque chose d'extraordinaire.

Quoi qu'il en soit de ces talents, de ces génies même, habitués à commérer avec des idées de bas étage, et qui, n'en demeurant pas moins nobles en tant que génies, se montrent quelquefois capables d'atteindre la pensée par ses sommets; c'est chez nous, au XVIIe siècle, qu'il faut revenir chercher la grande peinture, la peinture qui s'ennoblit par la fréquentation des sujets de haut rang. Philippe de Champagne, Flamand d'origine, Français par son éducation, sa vie, le caractère de ses œuvres, se présente comme transition naturelle pour passer de la Flandre à la France; le Poussin, un instant son condisciple à Paris, devenu ensuite presque Italien par ses propres études et ses voyages, nous rattache au contraire à l'Italie.

Le premier, moins grand peintre que le second, est plus heureux que lui dans le sentiment chrétien. Avec sa manière sage, modérée, réfléchie, il prend les faits évangéliques comme on peut supposer qu'ils ont dû se passer, seul mode de composition communément admise alors; et sans provoquer l'admiration, l'émotion, par aucun jet de l'âme, il produit l'effet d'une bonne et solide lecture.

Le Poussin a plus de ressort ; mais trop facilement, pour faire large, il fait épais. Son type de Christ manque de noblesse : quoique penseur, ce n'est pas dans les sujets évangéliques qu'il réussit le mieux. Procédant de Raphaël, il n'a rien pris de la Dispute du Saint-Sacrement, mais beaucoup de l'Ecole d'Athènes. Du reste, il participe des qualités attribuées au peintre mi-flamand auquel nous le comparons : qualité commune, à des degrés divers, à toute notre école française du XVIIe siècle. Nous ne les refuserons pas à Lebrun, moindre génie, mais talent élevé, qui sut prêter son -pinceau aux conceptions éminemment pieuses du saint M. Olier, et les rendre avec convenance, sinon avec toute l'âme qu'elles auraient comporté. Le Sueur eut une saveur plus profondément chrétienne, qui lui vaut quelque ressemblance avec les mystiques du XVe siècle. 11 ne faut pas toutefois pousser trop loin la comparaison, il ne la soutiendrait pas. L'art, alors, s'était accoutumé à prendre ses inspirations trop près de la terre ; et lorsqu'il voulait s'élever, les procédés lui manquaient peut-être encore plus que l'élan.

Après avoir dit un mot de toutes les autres principales écoles de la chrétienté, si nous passions entièrement sous silence l'école espagnole, il semblerait que nous mettons Murillo, Velasquez, et tant d'autres, hors du ban de l'art chrétien. Il n'en est pas ainsi : l'abaissement du niveau moral dans l'art, au XVIe siècle, une fois reconnu, il faut leur tenir compte, à eux-mêmes, de leur degré d'élévation relative ; du charme, de la fraîcheur, du recueillement même par lequel Murillo rachète ce qu'il y aurait de trop commun dans ses types, quand il nous montre Marie ou la sainte famille, dans Une douce et abondante lumière ; de l'impression que produit Velasquez, par l'aspect trop sombre, mais profondément méditatif de ses têtes de saints : caractère dominant de l'école, auquel on ne peut refuser, en conséquence, d'avoir donné à ses œuvres une empreinte bien sérieusement religieuse.

 

[1] Nous donnons (pl. XVI) comme spécimen du genre une figure de Christ allemand, de Martin Shongauer, et une figure de vierge flamande, de Hubert Van Eyck. On observera qu'elles se rapportent d'autant mieux l'une à l'autre, que Martin Shongauer était lui-même élève de Roger Van der Veyde.

 

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BERTRAND DU GUESCLIN. CONNÉTABLE. FRANÇOIS PAUL ÉMILE DE BONNECHOSE. (Né à Leiderdorp en Hollande 1801. Mort à Paris 1875. Historien et écrivain français.)

L'ancienne et noble famille du Guesclin habitait au quatorzième siècle le manoir de la Mottes-Broons, situé à quelques lieues de Rennes, au coeur de la Bretagne, qui formait alors un État indépendant, gouverné par ses ducs, sous la suzeraineté de la couronne de France. Cette famille ne possédait ni illustration ni richesse : elle eut pour chef, au commencement du siècle, le sire Renaud du Guesclin, possesseur du fief de la Motte-Broons et chevalier : il avait épousé une demoiselle de famille normande, Jeanne de Malmains, vantée pour sa beauté dans les chroniques du temps. De ce mariage naquirent dix enfants, six fils et quatre filles, dont l'aîné fut le célèbre Bertrand.

15.00€ : 156 pages
21 x 15 cm
Imprimé en 2014
Broché

Paru en 2014
Réédition de l'oeuvre originale imprimée en 1884
ISBN : 9782750436483

En vente sur : http://www.editions-lacour.com/bertrand.du.guesclin.connetable-14-8057.php

 

 

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XVIII

RAPHAEL : SES ÉLÈVES ET SES RIVAUX.

Ce ne fut donc point Raphaël qui donna l'impulsion au mouvement qui jeta l'art hors des voies chrétiennes, il la subit plutôt. Jusque dans ces agrandissements qui altèrent la noblesse, la grâce et la précision du style, jusque dans l'agitation de ces attitudes, observées dans la nature, mais trop terre à terre, dans la prétention de ces poses, forcées pour paraître fortes, on retrouve partout où sa propre main se fait manifestement sentir, un reste de l'a pensée chrétienne et de sa majesté toujours sereine. Le sceptre lui est disputé, mais elle continue de régner.

Les premières modifications que Raphaël avait apportées à la manière du Pérugin étaient le développement légitime de cette manière même. Ainsi modifiée, devenait-elle moins apte à rendre les naïves éclosions d'une âme pure, la rosée matinale, des affections chrétiennes, comme les étale dans toute leur fraîcheur le Mariage de la Vierge ? C'est possible ; mais elle lui permet de s'élever jusqu'à la Dispute du Saint-Sacrement, par-dessus les maigres allégories et les figures de grands, hommes assez médiocrement peintes par son maître sur les murs latéraux de la salle du Change à Pérouse.

Dans l'Ecole d'Athènes, le développement du talent est encore dans le rapport le plus heureux avec la nature du sujet. II s'agissait tout à l'heure des connaissances divines ; maintenant ce sont les connaissances humaines, en tant qu'elles doivent être mises elles-mêmes au service de l'Église, qu'il faut représenter, au moyen des philosophes qui, par leurs études et leurs enseignements, ont le mieux mérité de la science. La différence doit être comme de l'idéal au réel, comme du surnaturel au naturel : la largeur et l'aisance du style, le relief des formes et des attitudes, combinées avec la gravité du maintien, dont Raphaël, plus tôt, n'aurait pas été susceptible au même degré, étaient nécessaires pour en faire le chef-d’œuvre du genre ; et cependant, ces qualités, s'il les eût possédées lorsqu'il peignit la Dispute du Saint-Sacrement, lui auraient probablement nui pour cet autre chef-d’œuvre, d'un caractère bien-plus élevé. N'eût pas été porté, en effet, à les appliquer au détriment des autres qualités supérieures elles-mêmes et plus conformés au but différent qu'il devait alors se proposer ?

PL.XIV : TRANSFIGURATION DU PERUGIN. Salle du Change à Pérouse.

Par-delà les fresques de la salle de la Signature, il ne nous paraît pas que Raphaël ait rien acquis d'important, en fait de facultés nouvelles ; mais il manifesta diversement celles qu'il possédait, souvent encore avec le plus grand bonheur, souvent aussi en sacrifiant trop au goût du temps, par le côté défectueux de ses œuvres.

La Transfiguration comme il l'a entendue, avec sa puissance de jet et son exaltation sublime, exigeait le développement de toutes ses ressources. Le Pérugin aussi avait fait sur le même sujet un véritable chef-d’œuvre, chef-d’œuvre trop peu connu, et qui mérite d'être comparé, jusqu'à un certain point, avec celui de son disciple, à la différence des figures voisines, dans cette même salle du Change, à Pérouse, dont l'infériorité est manifestée. Cette Transfiguration[1] est peinte dans un grand sentiment de paix, et, en la voyant, on dirait volontiers, avec saint Pierre : «.Il fait bon d'être ici! » (PI. XIV.) Raphaël, sur ce thème, aurait fait, dans la fleur de sa jeunesse, quelque chose de ravissant en portant, comme il le savait faire, au plus haut degré, les qualités déjà éminentes de son maître; il n'aurait pas fait ce qu'il a réalisé dans la puissance de son âge mûr, il n'eût pas été en son pouvoir de le faire. Eût-il mieux fait? Eût-il fait moins bien? On en jugerait selon la diversité des goûts. Mais, c'est hors de doute, il aurait fait autrement : les qualités déployées auraient été différentes, différente aussi la manifestation des sentiments. Le Christ du Pérugin ravit ; celui de Raphaël renverse (pl. XV); le second appelle l'admiration, on dira plutôt du premier, qu'il se fait aimer.

Ou voit comment, quand la manière s'agrandit, ce n'est pas seulement que les goûts changent ; c'est aussi que le talent s'accroît. L'art y gagne, mais il n'y gagne pas en tout. Et il cessa d'être aussi capable de rendre Jésus aimable, quand il eut acquis tout ce qu'il lui fallait pour le rendre admirable.

Que dirons-nous de la partie inférieure du tableau ? L'idée du contraste est belle : le ciel et la terre, les splendeurs et la gloire, et les agitations d'ici-bas ; le besoin de recourir à celui qui est là-haut, pour suppléer à notre impuissance contre le mail Mais, quant à l'exécution, nous serions volontiers de l'avis de ceux qui n'en attribuent qu'une faible part à Raphaël, si un dessin qui est demeuré de lui n'attestait qu'il l'a bien composé tout entier. Tout au plus, peut-on mettre sur le compte des mains dont il s'est servi pour appliquer les couleurs, quelques expressions exagérées. Dans le dessin, le père, du possédé, moins effaré, sollicite la compassion d'un air plus propre à l'obtenir ; mais là même, les apôtres ne sont pas assez apôtres. Moins dominé par la pensée de se montrer aussi capable qu'aucun de ses rivaux de rendre des muscles saillants, des attitudes vives, des mouvements entremêlés, le plus grand des peintres les eût autrefois empreints de plus de dignité, il les eût mieux réglés selon une gradation de sentiments; ils seraient plus vrais, par conséquent, dans leurs efforts infructueux. Or, cela même qui devenait chez lui un défaut fut compté comme la plus grande des qualités chez' ses élèves, et la décadence marcha si vite, qu'à la seconde génération, il fut besoin de relever l'art, même quant à ses parties extérieures: cela nonobstant la facilité d'exécution, ou plutôt, en partie, à cause de cette facilité même, devenue désormais chose commune, après avoir été si laborieusement conquise.

Les Carrache, auteurs de cette sorte.de rénovation qui s'accomplit à la fin du XVIe siècle, avaient prétendu remonter aux maîtres qui en avaient inauguré le commencement, et nullement au-delà ; et même, parmi les noms que nous avons prononcés, ce fut à l'un des moins spiritualistes, au Corrége, qu'ils se rattachèrent le plus. Léonard de Vinci, au contraire, qui exerça à Milan une influence si heureusement prolongée, n'en eut sur eux absolument aucune.

 propos de cette école de Milan, sans souscrire au jugement de Lomazzo, qui classe au rang des grands maîtres, précédemment énumérés; Gaudenzio Ferrari, nous aimons à ne pas le passer sous silence, et à reconnaître ce qu'il y eut de valeur clans le talent de cet artiste ; nous aimons aussi à saluer, en passant, le nom de Lomazzo lui-même, cet écrivain aveugle, qui, sans pouvoir se dégager des idées trop étroites imposées au goût moderne par la Renaissance, est demeuré encore un des auteurs dont l'esthétique est le plus élevée.

PL XV : LE CHRIST ET DEUX APÔTRES DE LA TRANSFIGURATION D’après la photographie d’un dessin original de Raphaël.

L'école de Venise, longtemps fidèle aux traditions des Bellini, vit le Titien, son plus grand maître, tomber sous l'influence d'un insigne corrupteur, l'Arétin, qui fut trop souvent son inspirateur et son conseil. Le Titien, cependant, sans atteindre le sentiment religieux par ses sommets, n'y fut pas toujours étranger; et quand il le veut, il-sait se souvenir de sa première éducation. Ses émules et ses disciples, quoique moins sensuels que lui quand ils donnent dans cet écuèil,ne dépassèrent guère et n'atteignirent pas tous l'élévation morale de ses bons moments. Le coloris, d'ailleurs, avec l'harmonie, l'éclat, la vérité naturelle, qui constituent le mérite supérieur de cette école, n'ayant point été dirigé en vue d'aucun but de ce genre, il entré dans notre plan de ne nous en occuper que secondairement.

Nous en dirons autant du clair-obscur, de cet habile maniement des ombres, qui a valu au Corrége de compter, à son tour, pour le premier, dans sa spécialité. Nous ne lui contesterons pas non plus d'avoir pu, à bon droit, s'écrier, devant un tableau de Raphaël : « Et moi aussi, je « suis peintre ! » Nous dirions, au contraire, de tous ces grands artistes, qu'ils étaient trop peintres. Ils l'étaient trop exclusivement, trop en dehors de la fructueuse dépendance de la foi et de la piété. Tous les dons du génie, qui leur furent si largement départis, pouvaient se mettre au service de ces compositions trop hautes, trop variées, trop abondantes et trop fécondes, pour que le vrai génie y trouve jamais des entraves à son essor. Il ne faut que la Nuit, du Corrége, pour attester combien les effets de lumière, en particulier peuvent produire une impression religieuse.

Les Carrache eux-mêmes furent trop peintres, dans le sens que nous venons d'exprimer. Il y eut plus de poésie et de pensée dans la génération qui leur succéda : le Guide, si l'on fait un choix dans ses œuvres, montrera que la source des sentiments purs et élevés n'était pas encore tarie. Le Dominiquin est plus soutenu dans les hauteurs de l'idée, toute noyée qu'elle est dans des compositions trop confuses. Son chef-d’œuvre sous ce rapport, la Communion de saint Jérôme, est trop accrédité dans l'opinion, comme l'un de ceux qui comptent en première ligne dans l'art chrétien, pour que nous contestions les titres qui lui valent cet honneur. Considérons cette vie qui s'en va dans sa décrépitude, et la vie qui vient avec sa béatitude éternelle. Cette double idée domine tout dans le tableau ; les parties faibles que nous y pourrions relever en détail tiennent aux défauts de l'époque.' Quelle est l'époque qui n'ait eu ses défauts? Et quel est l'artiste qui n'ait participé aux défauts de la sienne? Point d'œuvre humaine qui, par quelque côté, ne réclame de l'indulgence. Nous en avons eue pour les incorrections de forme aux âges les mieux inspirés par la foi ; maintenant, il faudra en avoir pour les écarts du goût, quand ils demeureront en deçà de la mesure commune de décadence et savoir apprécier ceux qui ont réussi au contraire à dépasser le niveau général, en imprimant à leurs œuvres un vrai caractère de piété. Tel fut Carlo Dolci, malgré son ton un peu fade ; tel fut surtout Sasso Ferrato. Et cependant comparés à ces vieux maîtres du XIVe et du XVe siècle, longtemps si dédaignés, mais qui savaient aller au fond des âmes, il vous semblera qu'ils ne surent jamais que les effleurer, et de même de tous les artistes les plus éminents depuis Raphaël.

 

[1]  Nous mettons en regard de la Transfiguration du Pérugin, le Christ et deux des apôtres de celle de Raphaël, d'après un dessin, bien plus sûrement de sa main que son fameux tableau, exécuté en partie par ses élèves.

 

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