NOTRE DAME DE REIMS.
CHAPITRE II. QUATRIEME EXTRAIT.
Cathédrale du XIIIe siècle. Son portail.
Nous sommes arrivés à la troisième partie du portail. Elle se compose d'abord de niches ogivales ; des colonnes détachées en forment la partie antérieure ; un clocheton aigu couronne chacune d'elles. Le haut de ces niches est orné de trèfles sculptés à jour.
Celles qui sont placées au second étage des tours, se reproduisent sur toutes leurs faces. Chaque tour en compte vingt et une. Elles renferment des statues portant le diadème; leurs noms ne sont sculptés sur aucune partie de l'édifice. On pourrait se demander si ces figures ne seraient pas celles des rois d'Israël; mais comme l'église qu'elles décorent est celle du sacre, nous les considérons comme celles des rois de France.
Dans les sept niches placées au-dessus de la grande rose, on voit Clovis dans la cuvé du baptême; Clotilde l'assiste ; saint Rémi reçoit la Sainte Ampoule ; deux chapelains du prélat, dont un tient la croix, et deux autres personnages forment le Cortège.
Toutes ces figures sont assez grossières; elles manquent de proportion et sont de beaucoup inférieures à celles des trois portes. Elles doivent avoir été faites avant celles-ci, et par des artistes plus inexpérimentés. Quand on élève un monument, les sculptures du sommet se font avant celles de la base.
Devant ces niches, dont l'ensemble est une composition historique, règne une galerie qui va d'une tour à l'autre ; son parapet est formé de petites arcades ogivales et a jour. Au centre sont les armoiries du Chapitre de Notre-Dame, portées par un ange.
Cette portion de l'édifice est connue sous le nom de Gloria. Le jour des Rameaux, quand la procession était sur le point de rentrer dans l'église, les enfants de choeur, les chantres et les musiciens montaient à la galerie dont nous parlons, et entonnaient l'hymne qui commence par les mots : Gloria, Laüs. Le clergé, au bas du grand portail, leur répondait. Cet antique usage ne s'observe plus depuis 1830 ; mais la galerie a conservé le nom de l'hymne qui s'y chanta pendant, plusieurs siècles. On y entre par une porte ouverte au milieu, et derrière elle est un passage qui communique d'une tour à l'autre.
Entre les chefs des quarante-neuf niches dont nous avons parlé, s'élancent des clochetons minces et légers : leur tête se dessine en pointe sur l'azur des cieux. Au-dessus des sept statues du baptême royal s'élève le fronton du portail. Il forme un angle aigu ; son chef est orné d'un jet de pierres imitant des fleurs et des feuillages.
A droite et à gauche se détachent enfin les deux tours. On monte quatre cent vingt marches pour arriver à leur sommet. On a taillé trois marches dans chacune des pierres qui composent l'escalier. Les tours ont quatre faces; chacune d'elles est percée d'une longue ogive, divisée elle-même par une colonne de pierre en doux ouvertures du mémo style. Un trèfle à quatre feuilles se dessine dans la partie supérieure. Les angles des tours sont masqués par des tourelles hexagones, formées par de simples et légères colonnes d'une grande hauteur. Dans l'une de ces tourelles est placé l'escalier qui permet d'atteindre le haut de chaque tour.
La partie de l'édifice achevée, du côté du midi, en 1430, aux frais du cardinal Filastre, est celle dont nous parlons.
Robert de Coucy et ses continuateurs voulaient élever encore cette portion du monument et y placer des flèches hardies; elles devaient avoir 38 m. 60 c, de hauteur ; ce qui aurait donné à la façade une élévation totale de 120 m. 10 c. L'argent manqua pour mettre la dernière main à ce chef-d'œuvre de l'art gothique.
On remarque, aux extrémités, des pierres qui semblent en attendre d'autres : elles sont percées pour recevoir les barres de fer destinées à maintenir les audacieuses aiguilles qu'on désirait y poser. Les tours furent longtemps, ainsi que les tourelles, terminées par de simples plates-formes. On ne renonça pas de suite à y construire des flèches; vers 1515 seulement, chaque tour, chaque tourelle fut couronnée d'une toiture conique à plusieurs faces. Sur chaque sommet brillait une fleur-de-lys dorée. Celle du centre, sur chaque tour, dominait les quatre autres.
Le gouvernement fait restaurer notre magnifique portail. Un homme de talent, M. Arveuf, est chargé de cette grande entreprise aux pierres qui semblent faites pour attendre les flèches il vient d'ajouter quelques assises. Aurait-il mission d'achever le plan de Robert de Coucy? Sans doute des aiguilles légères montant au ciel feraient au portail de La grande église un splendide diadème. Mais en a-t-elle besoin? N'écrase-t-elle pas déjà de toute sa hauteur nos humbles maisons? De quel point de l'horizon ne la découvre-t-on pas? Ne serait-ce pas compromettre le vieil édifice que de lui imposer un nouveau fardeau? Sans doute l'ambition d'un artiste peut rêver l'honneur d'attacher son nom au plus haut monument du monde : elle fait mieux que ce fou qui chercha la gloire dans la destruction d'un saint édifice. Mais dans un temps sérieux comme le nôtre, une grande dépense publique doit avoir un but moral ou positif, Les arts ne savent-ils pas chaque jour servir utilement la cause de la religion, les intérêts réels du pays?
Ministre et maitre des oeuvres, si, par hasard, vous avez 600,000 livres dont vous ne sachiez que faire, ne les perdez pas dans les nues, à bâtir l'aire du corbeau criard, de l'épervier cruel. Dépensez-les sur la terre, dans nos églises appauvries et chancelantes; dans notre hôtel de ville incomplet, sur nos places publiques, où l'affection et le patriotisme auraient tant de statues à dresser ; dans nos établissements charitables, si pleins que leurs portes ne peuvent plus s'ouvrir. Votre nom sera sans doute écrit moins haut ; mais la curiosité seule irait le déchiffrer à 120 moires. Plus bas, la reconnaissance de tous le lira sans peine, et le répétera d'âge en âge.
Les cloches étaient jadis distribuées dans les cinq tours qui dominaient le transept de l'église. Elles furent fondues par la violence du fou en 1481. Il a fallu trente-trois mille huit cents livres de mêlai pour faire celles qui les remplacèrent. On les éleva dans tes deux tours du portail. Fut alors construite, et réparée depuis à diverses reprises, la charpente qui portait ce lourd fardeau. Dans la tour méridionale, on lit sur une plaque de cuivre, fixée sur une pièce de bois, l'inscription suivante :
Caesis sylrarum fabricae remensis quercubus, munificât Ludovici magni
Indulgentia, provocante Carolo-Mauricio Le Tellier episcopo, ligni haec moles extracta est anno R.S. 1703.
Le lecteur a remarqué le mot quercubus, On voit que le chêne entre dans la charpente de nos églises : le châtaignier traditionnel n'avait pas seul le privilège d'y figurer, s'il y a jamais pris place.
A suivre…
Prosper TARBE.