CATHÉDRALE NOTRE DAME DE SENLIS.
F.T. JOLIMONT. 1831.
Il y a peu de cathédrales dont les historiens se soient moins occupés que de celle de Senlis et malgré nos actives recherches, notre notice sur ce monument se ressent de cette complète stérilité de documens. La tradition, plutôt que l'histoire écrite, nous a transmis seulement comme fait à-peu-près constant, qu'un certain Régulus plus connu dans l'histoire ecclésiastique sous le nom de St-Rieul, venu dans les Gaules avec St-Denis dans le 3ième siècle, y prêcha la foi catholique aux Sylvanectes , peuples du pays dont la conversion fut en grande partie son ouvrage, et fonda dans leur ville principale, depuis nommée Senlis, la première église dont il fut le premier évêque : il est vrai que la mission de ce saint était réclamée par deux églises, celle d'Arles et de Senlis , qui, chose plus surprenante, prétendaient toutes deux conserver et posséder son corps bien entier, ce qui démontre seulement ou qu'il y a eu deux saints du même nom ou qu'une des deux reliques était apocryphe[1]; quoiqu'il en soit nous regardons jusqu'au contredit St-Rieul comme le fondateur de l'église de Senlis. Ce saint prélat parcourait avec la même ardeur les villes, les campagnes, les bourgs, les chaumières et les châteaux, il sermonait souvent eu pleine campagne à cause de la foule qui se pressait pour l'entendre et au nombre des miracles dont il appuyait ses discours et que rapportent les légendes, nous citerons celui de la grenouille, parce que la croyance s'en est conservée dans le peuple du pays, et qu'il a été l'objet d'un monument de peinture dont on a constamment depuis décoré l'autel de la chapelle dédiée à ce saint. Un jour qu'il prêchait à Reulli, près d'une grande mare, il imposa tout à coup silence aux grenouilles, dont les croassemens interrompaient son saint ministère, et lorsqu'il eût fini il ne permit qu'à une seule de recommencer, en sorte que depuis ce tems ou n'a jamais entendu qu'une grenouille croasser dans la Mare de Reulli.
Depuis l'apostolat de ce saint Evêque, en grande vénération à Senlis, nous n'avons aucune connaissance exacte ni des faits ni des édifices qui se sont succédés. L'église actuelle qui, à ce que l'on croit, existait déjà en 13o4, fut incendiée par le feu du ciel, et restaurée par parties depuis , à différentes époques : ce qui paraît confirmé par l'examen même du monument, où il est facile de reconnaître un mélange des styles de cinq à six siècles différens depuis le i2rae et peut-être avant, jusqu'au 16ième.
La Cathédrale de Senlis consacrée sous le vocable de Notre-Dame, était suffragante de celle de Reims : elle est placée dans la partie la plus ancienne de la ville, dite la Cité qui existait du tems des Romains, sous le nom de Sylvanectum, et dont on voit encore beaucoup de vestiges. Ce n'est plus aujourd'hui qu'une église paroissiale.
EXTÉRIEUR.
Quelques voyageurs, quelques auteurs de dictionnaires géographiques, et en particulier l'auteur du Guide du Voyageur en France, (M. Richard) citent la Cathédrale de Senlis, comme fort peu remarquable et d'un gothique de fort mauvais goût. Nous ne pouvons être de leur avis; si la Cathédrale de Senlis est moins importante en général, moins somptueuse, d'une structure moins homogène ou moins régulière que quelqu'autre de nos monumens de ce genre, elle n'offre pas moins des parties extrêmement curieuses, riches de charmans détails et plusieurs aspects très-pittoresques.
La façade principale qui nous paraît être de la fin du XII" siècle ou de ce que nous appelons la seconde transition de style, est peut-être un peu étroite, mais d'une parfaite régularité de lignes et de distribution de vide et de plain, sauf les deux tours, qui comme celles d'une église suffragante, ne pouvaient pas être égales de forme ni de dimension, et ce portail offre dans la disposition des portes, dont la principale est comme à l'ordinaire ornée de statues et de groupes de figures sculptées sur les parois, le tympan el les .voussures; dans celle du vitrail qui la surmonte, des trois petites roses placées contre l'ordinaire au dernier étage , et de la jolie balustrade élégamment décorée de quatre figures d'anges et qui termine la partie centrale à la naissance de la portion triangulaire du pignon de la nef, ce portail disons-nous, offre une variété de style qu'il est bon d'observer, et qui peut comme plusieurs autres servir à prouver que l'architecture gothique présente beaucoup moins de monotonie qu'on ne le prétend, même dans les édifices de la même époque; mais ce qui rend le principal portail de l'église de Senlis, particulièrement digne d'attention c'est l'élévation, la légèreté et l'élégance étonnante du clocher méridional regardé comme un des plus beaux de France, et digne d'être comparé dans son genre au clocher neuf de l'église de Chartres , qui beaucoup plus moderne, plus compliqué et plus riche de détails, est peut-être moins sévère de forme et moins strictement beau. Celui de Senlis qui a deux cent onze pieds du sol à l'extrémité de la croix qui le surmonte, surpasse en hauteur les coteaux les plus élevés d'alentour, et est aperçu à plus de sept lieues de distance. On lui reproche avec raison sans doute comme au reste de la façade d'être trop étroit, ce qui nuit à sa perfection réelle, et laisse trop peu d'espace au mouvement des cloches qu'il renferme, inconvénient qui a causé deux fois en 1817, la rupture de celles que la piété des habitans y avait replacées récemment.
Les autres façades et le reste du monument en partie environnées de constructions accessoires ne peuvent être aperçues que partiellement, cependant elles présentent non-seulement plusieurs points de vue pittoresques, mais aussi quelques objets d'observation. Tels sont des vestiges d'architecture à plein cintre, vers le chevet et dans la portion inférieure du chevet lui-même, des restes de vieux bâtimens de difierens siècles, probablement faisant partie de l'ancien Cloitre, du Chapitre ou de l'Évêché, et enfin les deux portails latéraux reconstruits vers la fin du XVIIIième siècle, et terminés probablement sous le règne de François Ier dont on voit la Salamandre en plusieurs endroits; portails qui se font remarquer principalement celui du midi, par une prodigalité de détails , une richesse de structure, une coquetterie de formes qui contrastent singulièrement avec la simplicité du reste de l'édifice. On y remarque peu de figures, mais seulement sur le portail méridional, un groupe que le peuple appelle Dieu le Père, et qui représente la Trinité figurée par le Père Éternel sur sa poitrine repose le Saint Esprit sous la forme accoutumée d'une colombe, il tient la Croix sur laquelle est étendu le corps de Jésus-Christ; sur le portail du nord , une autre figure désignée sous le nom de Dieu le Fils, représente le Sauveur debout, les deux mains élevées vers le Ciel, dans l'altitude que prenaient les premiers Chrétiens pour prier. Enfin l'extrémité des deux pignons est également surmontée d'une figure assise.
INTÉRIEUR.
Presque toute la partie inférieure de l'intérieur de l'église de Senlis jusqu'aux grandes fenêtres, excepté les extrémités du transept, nous paraissent être de la primitive construction de l'édifice, c'est-à-dire de celle qui appartient aux XIIme et XIIIme siècles, ce qu'il est facile de reconnaître à la forme générale des piliers, particulièrement de ceux du chœur et à celle de leurs bases et de leurs chapiteaux, mais les grandes fenêtres et les voûtes sont évidemment beaucoup plus récentes ainsi que la plupart des chapelles dont quelques-unes sont ornées de jolis pendentifs, et qui furent très-certainement reconstruites à différentes époques après l'incendie qui réduisît en cendres presque tout cet édifice en 13o4, comme nous l'avons dit ci-dessus.
L'intérieur de l'église de Senlis est du reste d'un bel aspect bien proportionné et est remarquable par une suite de tribunes assez vastes et peu ordinaires ailleurs, qui comme à la Cathédrale de Paris, sont ménagées au-dessus des bas-côtés, et règnent tout autour de l'édifice. On y trouve çà et là de jolis détails de sculpture, particulièrement sur les murs des extrémités du transept moins riches que les portails extérieurs, mais embellis par l'effet des grandes roses et du vitrail inférieur, nous regrettons seulement que le chœur qui aurait du conserver sa simplicité primitive, ait été défiguré dans le siècle dernier par des ornemens et des peintures de mauvais goût et peu en harmonie avec le style général de l'édifice qu'il eût été mieux de respecter.
Il a été assemblé à Senlis, quinze conciles dont les plus célèbres sont: celui de 873, dans lequel Carloman, fils du Roi Charles, fut déposé du diaconat et de tout degré ecclésiastique, dans lequel on l'avait engagé de force pour lui interdire l'accès au trône : on le retint prisonnier et comme ses partisans disaient qu'étant rendu à la vie civile, rien ne pouvait plus l'empêcher de régner et prétendaient le délivrer à la première occasion, son père le fit juger de nouveau pour les crimes que les évêques n'avaient pu connaître et le fit condamner à mort, mais pour lui donner le tems de faire pénitence, on lui fit crever les yeux, supplice fort ordinaire dans ce tems-là.
Le Concile tenu en i3io, par Philippe de Marigni, archevêque de Sens, dans lequel neuf Templiers furent condamnés à être brulés par l'autorité du juge séculier.
Celui de 1318, qui avait pour objet de remédier aux usurpations des biens de l'église que l'on punit de l'interdiction ou de la cessation de l'office divin dans toute la juridiction de celui qui en était l'auteur.
Enfin celui de 1326, tenu par Guillaume de Trie, archevêque de Reims, où il fut fait plusieurs statuts sur la tenue et la forme même des conciles, sur les bénéficiaires, l'immunité des églises et l'inviolabilité de ceux qui s'y réfugiaient, et le maintien de la juridiction ecclésiastique contre les violences des laïques.
Au nombre des évêques de Senlis, trois surtout sont célèbres par les dignités dont ils ont été revêtus, tels sent Ursius ou Ursion, chancelier de France en 1o9o, sous le règne de Philippe Ier, Guérin, natif de Pont Saint-Maxance et Chevalier de l'Ordre de Jérusalem, fut aussi Chancelier sous Philippe-Auguste. Les histoires de son siècle lui donnent la principale gloire de la journée de Bouvines où ce prélat rangea lui-même l'armée du Roi en bataille, en qualité de lieutenant général, mais alors nommé à l'évêché de Senlis, il se retira dans l'oratoire du Roi et resta en prières tout le tems du combat. Il conserva la dignité de Chancelier, jusqu'au règne de Saint Louis. Enfin le cardinal de La Rochefoucault, grand Aumônier de France et chef du Conseil du Roi Louis XIII. On compte encore Armand de Roquelaure, conseiller d'état ecclésiastique, et M. de Trudaine, son prédécesseur, dont la mémoire sera longtems en vénération par sa piété, son zèle et sa charité.
[1] D'après le Martyrologe romain St-Rieul fut évêque d'Arles et mourut à Senlis.