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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

LES ÉGLISES DE PARIS. VIOLLET-LE-DUC

LA SAINTE-CHAPELLE

La Cité renfermait autrefois un grand nombre de paroisses disparues aujourd'hui.  Les habitations particulières auront même bientôt fait place à des monuments publics.

Ainsi, s'accomplit, après dix-sept cents ans d'existence, la destinée réservée à toutes les grandes villes qui, de leur berceau, firent la cité sacrée, l’acropole, le forum. De ses monuments anciens, la Cité ne renferme que Notre-Dame et certaines parties du Palais, résidence des princes suzerains jusqu'au XIVe siècle, puis Parlement, aujourd'hui Palais de Justice, composé bizarre de constructions appartenant à tous les âges, depuis le XIIIe siècle jusqu'à notre époque. Cette agglomération de bâtiments est comme un résumé de notre architecture depuis saint Louis jusqu'à Napoléon III, au milieu desquels s'élève la Sainte-Chapelle.

Le saint roi ayant acquis, en 1241, de Baudouin II, empereur de Constantinople, la couronne d'épines et un morceau de la vraie croix, voulut placer ces saintes reliques dans un oratoire digne de les recevoir. L'architecte, Pierre de Montereau, fut chargé de la construction. Commencée en 1245, trois ans suffirent pour élever la Sainte-Chapelle, qui fut consacrée le 25 avril 1248. Nos moyens expéditifs et nos engins modernes nous permettraient à peine d'obtenir un pareil résultat. La Sainte-Chapelle est divisée en deux étages; la chapelle basse et la chapelle haute ; la première placée sous le vocable de la sainte Vierge, la seconde sous le vocable de la sainte Couronne et de la sainte Croix. Tout le bâtiment est construit en pierre de liais, dit cliquart, d'un beau grain, et présente le spécimen le plus complet et le plus pur, peut-être, de l'architecture religieuse du milieu du XIIIe siècle. Les deux étages sont voûtés en arcs d'ogives. Pour diminuer la portée des arcs de la chapelle basse et ne pas prendre trop de hauteur, ces voûtes reposent sur des colonnes isolées et forment ainsi un bas-côté étroit autour du vaisseau, éclairé par des roses-fenêtres qui remplissent tout l'espace laissé sous les formerets. Cette disposition originale donne une élégance singulière à cette œuvre qu'on eût pu prendre, sans cela, pour une crypte.

Les parois de la chapelle haute, dont le pavé était de niveau avec celui des appartements royaux, ne présentent aux regards que des faisceaux de colonnettes entre lesquels brillent des verrières éclatantes de la plus harmonieuse coloration. Une riche arcature garnit le soubassement sous les appuis des fenêtres, et, - derrière l'autel unique, s'élève une clôture ajourée, avec plate-forme, sur laquelle étaient placées les saintes reliques protégées par un édicule en bois. Deux retraits ménagés entre les contre-forts, à droite et à gauche, étaient destinés à recevoir les sièges du roi et de la reine ; car la chapelle haute était réservée au souverain et à sa cour, tandis que la chapelle basse devait contenir les familiers. Un porche .à deux étages et auquel on arrivait latéralement par les galeries du palais dessert les deux chapelles.

Les statues des douze Apôtres sont adossées aux piliers de la chapelle haute, au niveau de l'appui des fenêtres. Supportées par des culs-de-lampe et surmontées de dais, elles rompent la sécheresse des lignes verticales de ces piliers. Richement peintes, dorées et revêtues de pâtes coloriées, elles détachent, sur les mosaïques lumineuses des verrières leurs tons vigoureux d'or et d'émaux, présentant ainsi comme une zone animée au-dessus du soubassement.

Au nord de la Sainte-Chapelle s'élevait, avant l'incendie qui, en 1776, détruisit une partie du Palais, un petit édifice à deux étages destiné au trésor des chartes et au service de la sacristie. C'était une gracieuse construction due également à Louis IX. Reliée à la chapelle royale par une courte galerie qui existe encore, son voisinage faisait ressortir la grandeur du vaisseau principal et composait avec celui-ci un ensemble de l'effet le plus pittoresque. Bien que le sinistre de 1776 n'eût pas entamé le trésor des chartes, on jugea bon alors de le démolir pour donner à la cour du Mai un aspect symétrique et pour reproduire, à gauche de cette cour, en façon de pendant, la galerie qui longe la grand'salle des Pas-Perdus. Ce culte prodigieux pour la symétrie, plus fatal à nos édifices anciens que ne l'ont été les fureurs populaires, la foudre et l'action du temps, fit cacher, derrière un lourd placage d'architecture, tout un côté de l'oratoire de saint Louis, autrefois dégagé. Du côté sud, les bâtiments de la police correctionnelle, élevés il y a une vingtaine d'années, diminuèrent la largeur de l'ancienne cour; de sorte qu'aujourd'hui, contrairement à ce qui s'est pratiqué pour tous nos monuments parisiens, la Sainte-Chapelle, engagée plus qu'elle ne le fut jamais, ne laisse voir d'aucun côté ses belles proportions d'ensemble, demeure comme ensevelie au milieu d'amas de pierre froids et tristes, et ne montre qu'à grand'peine ses œuvres hautes par-dessus des toits et de lourds tuyaux de cheminée.

Le passant cherche le long de ces murs monotones l'issue qui lui permet d'arriver au pied de l'édifice de saint Louis, signalé au loin par sa flèche dorée, et ne peut deviner où cet édifice prend racine.

Le roi Louis XI fut le premier qui apporta quelques modifications au plan de Pierre de Montereau. Le soupçonneux monarque ne se souciait point d'occuper 'le réduit ouvert qui, dans la nef haute, recevait le prie-dieu royal de ses prédécesseurs. Il fit construire, au midi, à la gauche de l'autel, entre deux contre-forts, un petit oratoire fermé avec une sorte de meurtrière, pour avoir vue sur l'officiant. Soit que les œuvres hautes de la Sainte-Chapelle fussent dégradées par le temps, soit qu'un incendie, dont l'histoire ne fait pas mention, eût détruit ses combles, Charles VIII y fit exécuter des travaux importants de restauration. La rose fut entièrement reconstruite et garnie de nouvelles verrières; les clochetons qui terminent les deux escaliers de la façade furent refaits, ainsi que la charpente du comble et la flèche en bois recouvert de plomb.

On prétend que le roi Louis XII, étant goutteux et voulant arriver aux chambres du Palais et à la chapelle haute en litière, fit élever le joli degré [1] à rampe droite, douce et voûtée, qui longeait le flanc sud de la chapelle royale. Sous Henri II, un jubé en marbre sépara la nef haute en deux parties. Le 26 juillet 1630, un incendie causé par la négligence des plombiers, dévora la charpente du comble et de la flèche qui, en tombant effondra la voûte de l'escalier dû à Louis XII. Ce sinistre étant réparé tant bien que mal, les voûtes du degré ne furent point refaites. Des échoppes occupées par des libraires s'élevèrent entre ses piliers calcinés. C'est sur .cet escalier à demi ruiné que Buileau a transporté le champ de bataille de son Lutrin [2].

Les choses restèrent à peu près en cet état jusqu'à la fin du siècle dernier. Une couverture en bois avait été seulement placée sur les tronçons des piles du degré de Louis XII.

Pendant la Révolution, la Sainte-Chapelle devint un club, puis un magasin à farines, puis un dépôt des archives judiciaires, usage qui lui fut conservé jusqu'en 1837, époque 'où commencèrent les travaux de restauration. Après trente ans, ces travaux sont arrivés à leur terme, et le monument de saint Louis a repris son aspect premier. Bien entendu, les ouvrages de Charles VIII ont été conservés, et la flèche a été reconstruite suivant la forme de celle du XVe siècle, car il n'existe aucun renseignement sur le clocher primitif.

Les verrières ne composent pas seules la décoration coloriée de la Sainte-Chapelle; les piliers, l'arcature et les voûtes sont couverts de peintures et de dorures qui donnent au vaisseau l'aspect d'une immense châsse. Des gaufrures et des fonds de verre, treillissés d'ornements d'or, ajoutent au précieux de cet intérieur splendide. C'est une harmonie chaude de tons transparents et sourds, de touches brillantes et de reflets d'or qui vous transportent en dehors de la réalité. La coloration des piliers et des voûtes, fondue dans l'éclat translucide des verrières, acquiert une telle légèreté, que cet ensemble paraît sortir des conditions terrestres de stabilité. L'architecte, en reportant la poussée des contre-forts tout entière à l'extérieur, en en garnissant l'intervalle de verrières puissamment coloriées, savait bien qu'il obtiendrait cet effet prodigieux, réseau de filigranes d'or sertissant des pierres précieuses.

Au fond de la chapelle brille, dans l'atmosphère diaprée, le grand tabernacle d'or qui protégeait le précieux reliquaire. C'était là, sur cette plate-forme ruisselante d'émaux et de reflets métalliques que saint Louis montait, à certains jours, pour montrer la couronne d'épines aux fidèles remplissant la nef et au peuple qui se tenait dans la cour du palais. Un panneau de verre blanc avait été réservé dans la fenêtre du fond pour permettre cette exhibition, réservée au roi seul[3].

Des tombes de pierre gravées composent presque entièrement le pavage de la chapelle basse; elles recouvraient les cercueils des principaux dignitaires de la chapelle royale, et parmi ces tombes on distingue celle de Jacques Boileau, chanoine, frère du poète, et qui mourut en 1716.

Une fois l'an, une messe est célébrée dans la Sainte-Chapelle à l'occasion de la rentrée des cours après les vacances. Les églises paroissiales de l'ancien Paris de Philippe Auguste et de Charles V étaient très nombreuses et petites. Dans l'enceinte de la populeuse ville l'espace était rare. Des oratoires et chapelles dépendant d'hôpitaux et de collèges permettaient encore à la foule des fidèles de se disséminer sur un grand nombre de points. Parmi ces chapelles, la plus ancienne et la plus remarquable par le style de son architecture est certainement la petite église de SAINT-JULIEN-LE-PAUVRE, dépendance aujourd'hui de l'Hôtel-Dieu, sur la rive gauche. Cet édifice, dont les fondations remontent aux premiers siècles de l'ère chrétienne, puisque Grégoire de Tours le cite déjà comme une basilique, fut reconstruit plusieurs fois. L'édifice actuel remonte à la fin du XIIe siècle (1170 environ), et les détails de son architecture ont une parfaite analogie avec ceux de la partie ancienne de Notre-Dame. Très simple à l'extérieur, la petite église de Saint-Julien fournit un exemple excellent de cette belle école du XIIe siècle dont l'abside de Saint-Germain-des-Prés est, à Paris, le plus ancien spécimen, et dont nous retrouvons des restes à Saint-Denis.

Il est, chez les peuples, des moments de floraison pendant lesquels la marche des événements politiques, les travaux de l'intelligence, le besoin d'expansion, le développement des arts, la puissance militaire composent un ensemble complet et harmonique. L'histoire antique et l'histoire des temps modernes présentent de ces points brillants signalés comme des fanaux à travers la pâle lueur des faits d'un ordre secondaire. On aime à fixer le plus longtemps possible ses regards sur ces époques privilégiées, et l'on se demande quelles sont les causes qui ont produit ces grandeurs soudaines : on voudrait les faire renaître. Les diverses expressions de l'art, pendant ces périodes d'expansion, prennent un caractère tranché qui permet de les reconnaître aisément à travers les siècles sans jamais vieillir; car c'est le privilège des œuvres d'art qui sont l'expression exacte d'un état de la civilisation, de conserver une jeunesse éternelle. Telle est l'architecture des Grecs pendant la brillante et trop courte phase de leur histoire; telle est celle de l'Ile-de-France pendant les XIIe et XIIIe siècles.

De tant de monuments élevés alors, il ne nous reste guère que des églises, quelques châteaux ruinés, des débris épars, monastères, hospices. Paris, centre d'activité, colosse sans cesse rebâti, ne conserve qu'un petit nombre de ces édifices dus aux écoles laïques des XIIe et XIIIe siècles. Si nous laissons de côté Notre-Dame, Saint-Julien-le-Pauvre, le chœur de Saint-Germain-des-Prés, celui de Saint-Martin-des-Champs, quelques traces conservées à Saint-Séverin, nous ne trouvons plus dans nos églises que des restes, très altérés d'ailleurs, des XIVe et XVe siècles, restes sans valeur comme art, affadis par des restaurations continuelles faites sans goût et sans intelligence. Les paroisses de Saint-Merri, de Saint-Leu, de Saint-Nicolas-des-Champs, de Saint-Laurent, de Saint-Gervais, ne présentent qu'un intérêt très secondaire à l'artiste et à l'archéologue. Gênées par l'espace, leurs plans sans développements, contournés, font penser à ces fruits qui mûrissent entre les barreaux d'un treillage. La place était trop rare pour ne point profiter de toute celle dont on pouvait disposer, et il ne s'agissait pas de chercher des combinaisons symétriques. La richesse même des paroisses du vieux Paris fut pour les églises une cause de mutilations. Depuis le XVIIe siècle, notamment, elles eurent à subir des transformations de tous genres; boiseries mal- séantes, placages de marbres, mobilier à la mode du jour, enlèvement de vitraux pour donner de la lumière, tableaux accrochés aux piliers, vinrent modifier ou masquer leur vieille architecture. La Révolution, en enlevant ces superfétations, les laissa nues, couvertes de plaies, dévastées; et depuis lors les réparations tentées n'ont pas toujours été heureuses. La grande pensée d'unité qui présida, dans l'origine, à la construction de ces monuments religieux, était perdue après la Renaissance; et, pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les Guides qui, depuis le XVIIe siècle, ont parlé de ces monuments.

Ce qui occupe les auteurs, ce sont les tableaux, les objets mobiliers, les orgues, certains détails nouveaux ; comme si les églises étaient des musées ou des magasins de bricà-brac. Cependant la Renaissance sut encore élever, à Paris, de beaux monuments religieux ; Saint-Eustache, Saint-Étienne-du-Mont en fournissent la preuve.

[1] Brantôme rapporte comment le duc de Nemours descendit au galop de son cheval Real le degré de la Sainte-Chapelle. « .A propos de ce cheval Real, il faut que je face ce compte, que, deux ans avant, le roy Henry fit une partye, le jour du mardi gras, avec les jeunes seigneurs, princes et gentilshommes de sa court, d'aller en masque par la ville de Paris, et à qui feroit plus de follies. Ils vinrent tous au Palais. M. de Nemours, estant sur le Real, monta de course (car ainsy le falloit) par le grand dégré du palais (cas estrange, estant aussy precipitant (roide), entra dans la gallerie et grand salle dudit palais, fait ses tours, pourmenades, courses et folies, et puis vint descendre par le dégré de la Sainte-Chapelle, sans que le cheval jamais bronchast, et rendit son maître saint et sauf dans la basse court.

[2]  Notre gravure représente la Sainte-Chapelle et son escalier ruiné par l'incendie de 1630.

……………………………et le perron antique

Où sans cesse, étalant bons et méchants écrits,

Barbin vend aux passans des auteurs à tout prix.

[3] Aujourd'hui la sainte couronne et le morceau de la vraie croix achetés à Beaudouin II sont déposés dans le trésor de Notre-Dame. L'ancien reliquaire de la couronne ayant été fondu en 1792, celui que l'on voit aujourd'hui a été fabriqué sur le même dessin. Il est d'une grande richesse comme travail et comme matière.

 

Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.
Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.

Vues extérieures et intérieures de la Sainte Chapelle. Photos Rhonan de Bar et Y.K.

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Publié le par Rhonan de Bar

LES ÉGLISES DE PARIS. VIOLLET-LE-DUC

NOTRE-DAME DE PARIS.

L’ÉGLISE cathédrale de Paris est comme les héros, elle a deux histoires, l'une légendaire, l'autre réelle, et comme toujours aussi, la légende est au-dessous de la réalité. Si l'on s'en rapportait aux auteurs les plus anciens qui ont écrit sur Notre-Dame de Paris, le monument que nous voyons aurait été commencé, tout au moins, du temps de Charlemagne, et n'aurait été achevé que sous Philippe le Bel. Il n'aurait pas fallu moins de six siècles environ pour accumuler ces stratifications de pierres. De s'enquérir comment un plan, dressé sous Hercandus, quarante-deuxième évêque de Paris, aurait pu être suivi à travers les siècles et dans un pays aussi prompt aux changements que le nôtre, on ne s'en souciait guère. Cependant, le R. P. Du Breul, qui écrivait en 1612, ne laisse pas que d'élever un doute à l'endroit de cette prodigieuse lenteur, et incline à penser que l'évêque Maurice de Sully « l'a possible recommencé du tout ». Et, en effet, sur la tombe du digne prélat, placée jadis au milieu du chœur de l'église des religieux de Saint-Victor, on lisait : « Hic jacet R. P. Mauricins, episcopus Parisiensis, qui primus magnam basilicam Sanctæ Marise Virginis incohavit. Obiit anno D. 1196, 3 idas septembris ». Il n'y avait donc point à s'y tromper, Maurice de Sully avait bien commencé ou recommencé, si l'on veut, la cathédrale de Paris. La légende dit encore que l'église est fondée sur pilotis. Corrozet, du Breul, et tant d'autres qui ont copié sans scrupule ces deux auteurs, ont répété cette fable. J'ai même, dans ma jeunesse, entendu un bonhomme prétendre qu'un vieillard, de lui connu, s'était promené en bateau, disait-il, entre les pilotis de la cathédrale. Le fait est que les fouilles n'ont montré nulle part l'apparence d'un pilotage, mais bien de belles et hautes assises de pierres, parfaitement taillées, posées sur le sable de la Seine. La légende veut aussi que les vingt-huit statues colossales qui garnissent la galerie inférieure du portail occidental représentent les rois de France jusqu'à Philippe Auguste, tandis que ces statues sont celles de rois de Juda, considérés comme les ancêtres de la Vierge, l'église cathédrale étant placée sous le vocable de la mère du Sauveur. Mais la légende dit encore bien d'autres choses.

Avant Maurice de Sully, deux églises couvraient à peu près l'espace occupé par la cathédrale actuelle, l'une sous le vocable de saint Étienne, qui était la plus ancienne, l'autre dédiée à la Vierge Marie. L'archidiacre Étienne de Garlande, qui mourut en 1142, fit faire des réparations importantes à l'église Sainte-Marie. De ces travaux, il nous reste les beaux bas-reliefs du tympan de la porte Sainte-Anne et quelques voussures, replacés au commencement du XIIIe siècle, lorsqu'on éleva la façade que nous voyons. C'était une habitude assez ordinaire, lorsqu'on reconstruisit à cette époque les grandes cathédrales, de conserver des parties ou des fragments des monuments antérieurs. Le même fait se présente à Chartres, à Bourges, à Rouen.

Si l'on tient compte des difficultés que présentait au XIIe siècle l'érection d'un vaste édifice dans la Cité, alors populeuse, encombrée de palais, d'églises et de maisons, à cette époque où l'on ne possédait que peu de moyens de transport, où les engins faisaient défaut, on peut s'émerveiller de l'activité des constructeurs de Notre-Dame. Commencée en 1163, en 1182 le maître-autel était consacré; en 1196, Maurice de Sully, en mourant, laissait 5,000 livres pour couvrir en plomb la toiture de la partie orientale.

Alors le chœur était achevé jusqu'au transsept, la nef était fondée. Continués sous l'épiscopat d'Eudes de Sully et sous celui de Pierre de Nemours, les travaux, à la mort de Philippe Auguste, en 1223, étaient presque achevés, l'église était entièrement voûtée et la partie supérieure du portail seule restait à terminer. L'œuvre, interrompue pendant quelques années, reprise en 1230, fut complétée vers 1235, sauf les flèches en pierre, qui devaient couronner les deux tours et dont les amorces restent en attente depuis cette époque. Mais le colosse, achevé, subit bientôt des modifications notables. Il faut savoir qu'à la fin du XII" siècle et au commencement du XIIIe, les cathédrales que l'on reconstruisit dans les provinces du nord de la France, avec une prodigieuse ardeur, n'étaient pas seulement des édifices religieux. Les ordres monastiques bénédictins, sapés par saint Bernard, penchaient vers leur déclin. Les communes déjà riches secouaient le joug féodal et s'insurgeaient.

Les évêques, dont le pouvoir diocésain, si puissant sous les Mérovingiens et les premiers Carlovingiens, avait été singulièrement amoindri par les établissements monastiques de Cluny, cherchaient à ressaisir ce pouvoir dans toute son étendue ; ils comprirent bientôt l'avantage qu'ils pouvaient tirer des tentatives d'affranchissement des communes, et offrirent à celles-ci d'élever dans les villes épiscopales un monument, qui fût à la fois civil et religieux, refuge de la cité, dans lequel pourraient se rassembler les citoyens, sous la protection épiscopale, fût-ce même pour discuter les affaires de la commune. S'appuyant sur un raisonnement médiocre, mais qui eut un plein succès, l'épiscopat prétendait « que l'Église, en vertu du pouvoir que Dieu lui a donné, devait prendre connaissance de tout ce qui est péché, afin de savoir s'il convient de remettre ou de retenir, de lier ou de délier. Dès lors, comme tout procès résulte d'un crime, d'un délit ou d'une fraude, le clergé soutenait avoir le droit de juger toutes les causes, affaires réelles, personnelles ou mixtes, causes féodales ou criminelles[1]».

Le peuple ne voyait pas d'un mauvais œil ces empiétements sur le pouvoir féodal laïque; il trouvait dans les cours ecclésiastiques une manière de procéder moins barbare que celle dont on faisait usage dans les justices seigneuriales. Le combat n'y avait jamais été admis; l'appel y était reçu; on y suivait le droit canonique, qui se rapproche, à beaucoup d'égards, du droit romain; en un mot, toutes les garanties légales que refusaient les tribunaux des seigneurs, on était certain de les obtenir dans ces cours ecclésiastiques.

C'est alors que, soutenus par le pouvoir monarchique déjà puissant et qui ne voyait pas sans une secrète satisfaction l'abaissement de la puissance indépendante des ordres religieux et les empiétements sur la juridiction féodale, forts des sympathies des riches populations urbaines, qui se précipitaient vers toutes les issues ouvertes sur les voies de l'affranchissement, les évêques songèrent à doter leurs villes épiscopales d'un monument fait sur un nouveau programme. Ils trouvèrent rapidement des sommes considérables, et jetant bas les vieilles cathédrales, ils commencèrent ces monuments immenses, destinés à réunir autour de la cathedra, de la chaire épiscopale, les populations désireuses de trouver un centre pour leurs assemblées. Cela se passait à la fin du règne de Louis le Jeune et sous Philippe Auguste. C'est, en effet, sous le règne, de ces princes que nous voyons commencer et élever rapidement les grandes cathédrales de Soissons, de Paris, de Laon, de Chartres, de Reims, d'Amiens, de Rouen, de Senlis, de Meaux, de Bourges. Ce n'est plus dans les couvents que les évêques vont demander des architectes; ils les prennent dans la population laïque. L'élan fut prodigieux.

L'argent abondait, et ces grandes églises s'élevaient comme par enchantement. Mais l'alliance du haut clergé avec la monarchie, l'influence qu'il prenait dans les cités épiscopales ne tarda pas à inquiéter les barons.

Saint Louis reconnut bientôt que, pour échapper aux dangers que les prétentions de la féodalité laïque faisaient courir sans cesse au pouvoir royal, le suzerain aurait affaire à d'autres maîtres et qu'il tomberait bientôt aux mains d'une oligarchie cléricale soumise à Rome. D'un autre côté, les bourgeois des villes ne trouvaient pas dans les cours épiscopales les garanties sur lesquelles ils comptaient, et les excommunications, se mêlant aux procédures, causaient des troubles notables dans les familles et les cités. En 1235, la noblesse de France et le roi s'assemblèrent à Saint-Denis pour mettre des bornes à la puissance que les tribunaux ecclésiastiques s'arrogeaient. Il fut arrêté d'un commun accord : 1° que leurs vassaux ne seraient point obligés de répondre en matière civile ni aux ecclésiastiques ni à leurs vassaux, devant le tribunal ecclésiastique ; 2° que si le juge ecclésiastique les excommuniait pour ce sujet, il serait obligé de lever l'excommunication par la saisie de son temporel ou de celui qui aurait poursuivi la sentence; 3° que les ecclésiastiques et leurs vassaux seraient contraints de répondre devant les laïques dans toutes les causes civiles de leurs fiefs, mais non de leurs personnes [2].

Au mois de novembre 1246, après que les prétentions des évêques de France, soutenus par les papes, malgré les décisions du roi et des barons, eurent causé des troubles sérieux dans plusieurs villes du royaume, la noblesse rédigea un acte d'union, par lequel elle s'engageait à maintenir ses droits contre le clergé, sans se mettre en peine des excommunications[3]. Les délégués de cette assemblée furent le duc de Bourgogne, le comte Pierre de Bretagne, le comte d'Angoulême, fils aîné du comte de la Marche, et le comte de Saint-Paul. L'acte de délégation, rédigé en latin et en français, témoignait ouvertement que le désir des barons était de réduire les ecclésiastiques à l'état de pauvreté de la primitive Église. « Il est dit en somme que ces seigneurs ligués étaient tous les grands du royaume, et on en parle comme d'une conspiration générale de la France appauvrie par la cour de Rome. » On remarque que saint Louis favorisa cette ligue et en fit sceller l'acte de son sceau. On ajoute même que, suivant l'avis de son conseil, il révoqua la permission qu'il avait donnée au pape de lever de l'argent sur les ecclésiastiques[4]. (1). D'ailleurs, le roi Louis IX avait institué ses baillis royaux. Ceux-ci, présents dans les cours seigneuriales, toutes fois qu'ils le jugeaient convenable, déclaraient la cause cas royal et la portaient à la cour du roi, qui enlevait ainsi à la féodalité une de ses prérogatives souveraines. C'était une garantie pour les parties, qui trouvaient plus d'équité, plus de lumières dans le parlement du roi que dans les cours féodales. La tentative des évêques avortait; aussi toutes les grandes cathédrales qui ne furent point achevées avant 1245 ne purent-elles être terminées qu'à grand'peine, quand la construction n'en fut pas interrompue pour toujours.

Alors Notre-Dame de Paris était élevée, sauf les flèches en pierre des deux tours, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure; l'église était entièrement bâtie sur le programme mi-religieux, mi-civil des cathédrales françaises de la fin du XIIe siècle. Elle ne possédait point de chapelles. L'autel seul, au milieu du rond-point de l'abside, était entouré des stalles du chapitre, la chaire de l'évêque dans l'axe. Les collatéraux de cette abside étaient de plain-pied avec le chœur. C'était la basilique antique avec son tribunal, ses galeries latérales à rez-de-chaussée et au premier étage. Le transsept était marqué, mais ne formait point de saillies sur les bas-côtés[5]. Des fenêtres larges, sans meneaux, percées dans les murs des bas-côtés, éclairaient la partie basse de l'église; d'autres baies plus longues, ouvertes sous les voûtes des galeries supérieures, les éclairaient ainsi que la nef centrale; et, enfin, un troisième rang d'ouvertures, également sans meneaux, faisait pénétrer le jour sous les hautes voûtes[6]. Des roses, percées sous les combles des galeries supérieures, occupaient l'espace libre entre les arcs de ces galeries et l'appui des fenêtres supérieures. Cette disposition était simple, large, sévère. La cathédrale, ainsi faite, avait un caractère d'unité et de grandeur que les adjonctions postérieures lui ont fait perdre en partie. Dans ces basiliques, au milieu desquelles l'autel unique semblait présider, se tenaient des assemblées qui n'avaient rien de religieux. Des marchands s'établissaient intérieurement dans les collatéraux. Là, à toute heure du jour, on pouvait se réunir, s'occuper des affaires de la cité.

Il faut se rappeler qu'alors tout acte, même .civil, se rattachait par un certain côté aux habitudes religieuses; qu'en toute occasion il fallait avoir recours à l'intervention des clercs, et on reconnaîtra que les évêques étaient parfaitement entrés dans l'esprit de leur époque en élevant ces larges abris dont ils occupaient le centre et où il semblait qu'ils dussent être pour toujours les arbitres des intérêts de la cité. La féodalité laïque et la royauté, réunies cette fois, mirent fin à ce rêve d'une théocratie féodale. Il fallut se résoudre à faire des cathédrales des édifices purement religieux. Les communes, désormais assurées de trouver dans la royauté un pouvoir judiciaire régulier, supérieur aux justices seigneuriales, ayant fait l'expérience des cours où l'excommunication se mêlait aux procédures, ne donnèrent plus d'argent. Cet enthousiasme, que les historiens modernes présentent trop comme exclusivement religieux, s'éteignit comme il s'était allumé, avec les causes qui l'avaient fait naître. La cathédrale de Beauvais, fondée en 1225, restait inachevée; celles de Troyes, de Tours, d'Auxerre, commencées en même temps, n'étaient à peu près terminées que beaucoup plus tard. Les constructions de celle d'Amiens, commencées en 1220, étaient interrompues vers 1240, et ne pouvaient être poursuivies qu'à l'aide des plus grands efforts, pauvrement, en abandonnant même' une partie des projets primitifs. La première pierre de la cathédrale de Reims était posée en 1212; vers 1250, l'œuvre n'était pas entièrement achevée et ne put l'être qu'à grand'peine ; encore les flèches des deux tours de la façade occidentale ne furent-elles pas construites.

Paris, centre du pouvoir suzerain, déjà puissamment établi au milieu du XIIIe siècle, devait subir, plus qu'aucune autre ville du domaine royal, l'influence de ces mouvements dans la politique intérieure du royaume. A Beauvais, à Reims (l'histoire en fait foi), les évêques résistèrent et tentèrent de maintenir la suprématie à laquelle prétendaient les cours épiscopales; mais à Paris, rien de semblable. Il paraîtrait, au contraire, que les évêques se seraient résignés, plus facilement que partout ailleurs, à ne voir dans leur cathédrale qu'un édifice purement religieux.  Vers 1245, déjà les chapelles étaient pratiquées entre les contre-forts de la nef, en supprimant le mur, percé de fenêtres, qui fermait le double bas-côté. Avant cette époque, c'est-à-dire vers 1240, le fenêtrage supérieur de la nef et du chœur était changé. Les anciennes fenêtres, agrandies aux dépens des roses percées au-dessus de la galerie, étaient garnies de meneaux. Par suite de cette modification dans la disposition primitive des hautes œuvres, les voûtes de la galerie jadis rampantes pour ouvrir de plus grands jours sur la nef [7](1), étaient rétablies de niveau et les anciennes fenêtres du triforium diminuées. Les corniches supérieures étaient refaites avec une forte saillie de feuillages, un chéneau et des balustrades. Un jubé était élevé devant le chœur [8]. Les choses restèrent en cet état jusqu'en 1257.

Par suite de la construction des chapelles entre les contre-forts de la nef, les deux pignons du transsept, de la fin du XIIe siècle, se trouvaient en retraite de la saillie formée par ces chapelles, ce qui devait produire extérieurement et intérieurement un très mauvais effet. Ainsi que le constate l'inscription  sculptée à la base du portail méridional, les pignons du transsept furent démolis et avancés d'une travée en 1257[9] (1). Le maître des œuvres, Jean de Chelles, construisit les deux magnifiques pignons du nord et du midi, et les premières chapelles du chœur, jusqu'à la porte Rouge inclusivement, du côté septentrional, et jusqu'à l'ancienne galerie de communication de l'évêché, du côté méridional.

Au commencement du XIVe siècle, l'évêque Matiffas de Bucy fit construire les chapelles du rond-point, entre les saillies des anciens contre-forts de l'église de Maurice de Sully.  Quant aux grands arcs-boutants, autrefois à deux volées, l'abaissement des voûtes du triforium en nécessita la construction en une seule volée. Ceux de la nef furent refaits d'après ce dernier tracé, vers 1245, au moment où l'on construisait les premières chapelles; ceux du chœur, de 1260 à 1300. C'est aussi à cette dernière date qu'il faut reporter la réfection des fenêtres absidales de la galerie supérieure.

Comme nous l'avons dit, un jubé avait été élevé devant le chœur, au milieu du XIIIe siècle. La clôture du tour de ce chœur ne fut cependant commencée qu'à la fin du XIIIe siècle, par Jean Ravy, maçon de Notre-Dame, lequel y travailla pendant vingt-cinq ans. L'inscription qui donnait le nom de cet imagier ajoutait que l'œuvre avait été parfaite, en 1351, par Jean le Bouteiller. De cette clôture en pierre et de ce jubé il ne reste que les deux parties au nord et au sud, derrière les stalles. Le segment, qui entourait l'abside et dont les sujets ajourés se voyaient du dedans et du dehors du sanctuaire fut détruit en 1699. Lorsque Louis XIV voulut acquitter le vœu qu'avait fait le roi Louis XIII son père, en mettant le royaume de France sous la protection de la Vierge, par lettres patentes du 10 février 1638. Les travaux ordonnés par Louis XIV coûtèrent plus d'un million de livres ; terminés une année seulement avant sa mort, ils comprenaient toute une décoration de marbres et de bronze[10].

Le groupe du Christ descendu de la croix, les deux statues de Louis XIII et.de Louis XIV, les anges en bronze, les stalles en chêne sculpté et le pavage en mosaïque existent encore. Un autel fort riche avait remplacé le charmant autel du XIIIe siècle, avec ses colonnes en bronze doré, surmontées de statues d'anges, et l'édieule sur lequel était placée la châsse de saint Marcel.

Pour exécuter les travaux ordonnés par Louis XIV, on détruisit encore de magnifiques tombes en bronze, qui se trouvaient placées dans le chœur et qui recouvraient les restes de grands personnages, entre autres d'Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe Auguste ; de Geofroy, duc de Bretagne, qui mourut en 1186; d'une comtesse de Champagne, et d'un certain nombre d'évêques. Une statue en pierre, peinte et couverte d'incrustations de pâtes coloriées, dont on a retrouvé des restes, était dressée à la droite de l'autel, contre un pilier; c'était celle de Philippe Auguste. Des stalles en bois sculpté, fort riches, à dossiers recouverts de cuirs dorés, avaient été élevées, au commencement du XIVe siècle, des deux côtés du chœur. Elles furent détruites et remplacées par les chaires que l'on voit aujourd'hui, lesquelles sont d'ailleurs d'un beau travail.

La Révolution de 1792 fit subir à la cathédrale de Paris de nouvelles mutilations. Les statues des portails, y compris celles des vingt-huit rois de Juda, qui passaient pour représenter des rois de France, furent jetées bas. Le même sort fut réservé aux nombreuses statues qui, à l'extérieur, étaient placées dans les niches des chapelles du chœur. En 1793, par un arrêté, la Commune de Paris décida que les gothiques simulacres des rois, qui ornaient la façade de Notre-Dame, seraient renversés, ainsi que les effigies en marbre ou en bronze. Cependant, à la fin de l'an II, le citoyen Chaumette réclama en faveur des arts et de la philosophie; il affirma que l'astronome Dupuis avait établi son système planétaire en consultant les sculptures de l'une des portes de la cathédrale. Le conseil municipal décréta donc que Dupuis serait adjoint à l'administration des travaux publics, afin de conserver les monuments dignes d'être transmis à la postérité.

Il faut constater d'ailleurs que les populations des grandes villes du Nord de la France aimaient leurs cathédrales et voyaient encore en elles, suivant le programme de leur édification, le monument de la cité. Les fureurs populaires s'acharnaient à détruire les églises abbatiales, mais elles respectaient les cathédrales. La plupart de ces monuments conservaient même leur belle statuaire. Reims, Chartres, Amiens étaient heureusement préservés de toute mutilation.

Sur un panneau de porte de cette dernière église, on lisait encore, il y a quelques années, cette phrase gravée avec la pointe d'un canif : « Les républiquains (sic) Lillois ont trouvé de toute indignité de laisser dans un temple de la Raison, tant de hochet (sic) du fanatisme. Signé : Dubois, 2e année républicaine. »

Les vitraux qui décoraient les fenêtres de la cathédrale de Paris avaient été enlevés par ordre du chapitre, dès 1741, et remplacés par des verres blancs avec bordures fleurdelisées. Seules, les trois roses conservaient leurs verrières coloriées. Quelques travaux intérieurs furent ordonnés par Napoléon Ier avant le sacre. On éleva un maître-autel; le sanctuaire fut clos de grilles en fer avec socle en marbre. Des ambons, également en marbre, remplacèrent les débris du jubé construit par le cardinal de Noailles, à la place qu'occupait l'ancien jubé du XIIIe siècle. Notre-Dame de Paris renfermait des monuments dont la destruction, fort regrettable, ne peut être imputée tout entière aux dernières années du XVIIIe siècle. Parmi les monuments enlevés en 1792, l'un des plus intéressants était la statue équestre de Philippe de Valois. Ce prince, après la victoire de Cassel, revenant à Paris, était entré à cheval, entouré de ses barons, dans l'église Notre-Dame, dédiant ainsi son harnois royal à la Vierge. En mémoire de ce fait, une statue équestre avait été érigée sur deux colonnes, contre le dernier pilier sud de la nef.

Cette image était revêtue des armes mêmes du prince, chanfreins, hoqueton, haubert etc. On voyait encore ce précieux monument en 1792, et il n'est pas besoin de faire ressortir l'intérêt qu'il aurait pour nous aujourd'hui[11], puisque nous ne possédons pas un seul harnois de guerre du XIVe siècle.

D'autres monuments consacraient aussi certains faits importants dont la vieille église avait été le témoin. Les drapeaux enlevés par les armées françaises étaient suspendus au niveau des galeries hautes ; mais, par une attention qui fait honneur à notre pays, ces signes de victoires étaient enlevés pendant la paix.  Si les piliers de Notre-Dame de Paris avaient une voix, ils raconteraient toute notre histoire, depuis le règne de Philippe Auguste jusqu'à nos jours. De combien d'événements n'ont-ils pas été les témoins! C'est sous les voûtes de cette église que saint Dominique prêcha, après une apparition de la Vierge, dit la légende; que le comte de Toulouse, Raymond VII, vint abjurer l'hérésie, nu, en chemise auprès de l'autel. C'est là que Henri VI d'Angleterre fut couronné roi de France, en 1431 ; qu'en 1436 fut chanté le Te Deum à l'occasion de la reprise de Paris par les troupes de Charles VII.

Pendant la domination des Seize, les galeries de l'église servaient d'habitation aux troupes populaires de la Ligue, qui, à la voix des clercs, sortaient de ce casernement d'un nouveau genre pour courir sus aux Politiques et entretenir la terreur parmi les bourgeois paisibles[12].

Mariages, baptêmes, obsèques, serments et vœux éternels, bientôt démentis par d'autres vœux et d'autres serments; fêtes populaires, fêtes royales ; chants d'allégresse et de deuil; apologies et anathèmes; oraisons funèbres pour les rois et pour les morts à l'attaque de la Bastille ; culte de la déesse Raison et des théophilanthropes; réinstallation du culte, en 1802; sacre de Napoléon Ier et baptême de princes au berceau, qui ne devaient point régner; la vieille église, impassible, fut un abri protecteur pour tant de misères et de splendeurs, pour les espérances et les malheurs de la population parisienne. Aussi ne faut-il pas s'étonner si le peuple de Paris a conservé pour ces pierres séculaires une vénération qui ne se démentit jamais. C'est le lien visible qui le rattache à un passé plein de grandeur, même pendant la tour mente; ce sont ses titres de noblesse. Peu d'entreprises furent plus populaires que celle de la restauration de Notre-Dame. Les travaux, commencés sous le règne du roi Louis-Philippe, en 1845, à la suite d'un vote des Chambres, furent continués pendant la République, conduits avec des ressources plus étendues et achevés sous le règne de Napoléon III. Des souscriptions, recueillies avec un esprit de suite et un zèle peu communs par les archevêques de Paris, la fabrique et l'archiprêtre actuel de la cathédrale, ont permis de rendre à l'intérieur de l'église son lustre ancien. Les chapelles ont été peintes, le mobilier a été renouvelé, le trésor s'est enrichi d'objets précieux par le travail et la matière, si bien qu'après tant de mutilations et de spoliations, Notre-Dame redevient l'église métropolitaine digne, d'un grand pays. Bientôt isolée au milieu de larges espaces, de jardins, de promenades, ayant sous son ombre l'Hôtel-Dieu reconstruit à neuf, l'archevêché et les services nécessaires au culte, au centre du Paris nouveau, elle montrera que ces premiers constructeurs prévoyaient les destinées futures de la grande ville, puisqu'ils avaient su lui donner cette grandeur et ce noble aspect.

La façade de Notre-Dame de Paris passa, de tous temps, pour un chef-d'œuvre. Seule, parmi nos grandes cathédrales françaises, elle présente un caractère d'unité parfaite et cette puissance que l'heureuse et savante combinaison des lignes peut donner. Là, point de confusion dans la composition des diverses parties, tout est clair pour les yeux. L'iconographie de cette grande page se lit facilement. Dans les ébrasements et voussures de la porte centrale, dite porte du Jugement, se résume l'épopée chrétienne. Sur le trumeau apparaît la statue colossale du Christ homme, enseignant; ses pieds portent sur le lion et le dragon. Les petits bas-reliefs sculptés dans le socle représentent les Arts libéraux. Des deux côtés, les douze apôtres debout sur les figures symboliques de leur martyre ou des qualités qui les distinguent ; c'est ainsi que sous saint Mathieu on voit un personnage écartant ses cheveux pour mieux entendre la parole évangélique.

Deux rangées de médaillons en bas-reliefs présentent, au-dessus du socle, les douze Vertus et les douze Vices qui leur sont opposés. Les Vertus portent leur blason. Les vierges sages et les vierges folles se détachent sur les deux jambages, à la droite et à la gauche du Christ. Au-dessus, dans le premier linteau, commence la scène du Jugement dernier. Deux anges sonnent de la trompette, et les morts sortent de leurs tombeaux; rois, chevaliers, évêques, nobles dames, vilains, répondent à ce suprême appel. La seconde zone figure le pèsement des âmes ; l'archange Michel tient la balance portant une âme dans l'un de ses plateaux ; des démons pèsent sur l'autre. A droite de l'archange, les élus, représentés par des personnages uniformément vêtus de longues robes et coiffés de couronnes, regardent le ciel qui s'ouvre pour eux. A sa gauche, des démons entraînent aux enfers une file de damnés liés par une longue chaîne. Ceux-ci conservent les vêtements de leur état dans le monde. On voit des femmes, un évêque, un roi, un chevalier, des clercs et des laïques, pêle-mêle; la terreur et l'angoisse se peignent sur leur visage, tandis que du côté des élus l'expression des têtes est tout empreinte de sérénité et de joie.

Dans la partie supérieure du tympan, le Christ assis, les pieds reposant sur la terre, nu jusqu'à la ceinture, montre ses plaies. Deux anges debout, placés aux côtés, du Juge suprême, tiennent dans leurs mains les instruments de la passion comme pour rappeler aux réprouvés la rédemption dont ils n'ont pas su profiter. Derrière les anges sont agenouillés la Vierge et saint -Jean intercédant pour les hommes. Comme encadrement de cette scène, six rangs de voussoirs forment archivolte sur le tympan et complètent la composition. Deux de ces cordons représentent des anges à mi-corps, comme une auréole autour du Christ. Le troisième contient les prophètes, le quatrième les docteurs, le cinquième les martyrs, le sixième les vierges. Au bas des voussures, à la droite du Christ, on voit un ange, des élus, Abraham; à la gauche, l'enfer.

La porte de gauche, sous la tour du nord, dite porte de la Vierge, est une composition des plus remarquables et qui peut être considérée comme le chef-d'œuvre de l'école de statuaire française au commencement du XIIIe siècle. Les bas-reliefs et statues du tympan, qui représentent les prophètes, la mort de la Vierge et son couronnement, sont traités avec une ampleur de style et une perfection d'exécution peu ordinaires. Quant à la porte de droite, dite porte Sainte-Anne, elle est en grande partie composée de fragments de l'église restaurée par Étienne de Garlande, vers 1140. Son tympan, son trumeau, une partie des voussures et les statues des ébrasements appartiennent à la plus belle école de cette époque. Ces fragments ont été encastrés dans l'architecture de la façade et complétés avec adresse par l'architecte du XIIIe siècle, désireux de conserver des objets d'art qui passaient, non sans raison, pour des œuvres de valeur. Entre ces trois portes, dans de larges niches ménagées au-devant des contreforts, se dressent quatre statues colossales : saint Étienne, l'Église, la Synagogue et saint Denis. Puis au-dessus, la longue file des rois de Juda forme un magnifique cordon séparant la première ordonnance de la façade des parties supérieures. Des statues isolées couronnent la galerie des rois. Elles représentent la Vierge accompagnée de deux anges; Adam et Eve.

Cet ensemble, la rose qui s'ouvre entre les tours, les baies inférieures de ces tours, resplendissaient de couleurs et de dorures dont on voit encore de nombreuses traces. En 1490, un évêque arménien nommé Martyr, étant venu en France, a laissé une relation de son voyage. Ce prélat, qui avait vu un grand nombre de monuments et qui devait être habitué aux splendeurs des églises d'Orient, est émerveillé devant la grandeur majestueuse et la richesse de cette façade de Notre-Dame, éclatante de couleur et' d'or. Il faut s'arrêter un moment devant en face des vantaux des deux portes de la Vierge et de Sainte-Anne, couverts de pentures en fer forgé d'un merveilleux travail. La légende prétend que le serrurier qui s'était chargé de ferrer ces portes, désespérant de réussir dans l'ouvrage qu'il avait entrepris, s'adressa au diable, lequel consentit à faire les pentures à la condition, bien entendu, de se payer avec l'âme du forgeron. Le marché portait que les trois portes seraient ferrées.

Le diable remplit exactement les conditions du marché; les deux portes latérales furent ferrées sans difficulté, mais impossible de poser les pentures sur les vantaux de la porte centrale, parce que c'est par cette porte que passe le saint Sacrement les jours de procession. Ainsi, toutes les clauses de l'engagement n'ayant pas été remplies, le serrurier garda son âme et le diable en fut pour ses deux portes, qui seules restèrent garnies de leur magnifique ferronnerie. Il faut dire que la légende ne date que du XIVe siècle, et que les pentures appartiennent à la ferronnerie du commencement du XIIIe. Nous espérons que rien ne s'opposera à ce que les pentures de la porte centrale, bientôt terminées, soient attachées aux vantaux qui les attendent depuis si longtemps.

C'est au coucher du soleil, pendant les beaux jours, qu'il faut voir le grand portail de Notre-Dame. Son front s'illumine des couleurs les plus chaudes, les verrières semblent jeter des étincelles; ces myriades de figures, ces êtres étranges qui garnissent les galeries, paraissent s'animer comme un mystérieux concert. Rien d'ailleurs, dans cet ensemble, n'est abandonné au hasard ou à la fantaisie, ainsi qu'on le répète trop souvent, ignorants que nous sommes des choses du moyen âge. Tout se tient dans ces grandes compositions; la science et l'art se prêtent un appui mutuel. L'architecte, le sculpteur, le peintre, le verrier ont travaillé, inspirés par une seule pensée; et s'ils n'ont point, le plus souvent, laissé leur nom sur ces œuvres, ils ont su, bien mieux, y graver ce caractère de grandeur et d'unité dont nous poursuivons vainement l'expression aujourd'hui, préoccupés que nous sommes de notre personnalité et d'un succès éphémère. C'est encore un jour de fête nationale qu'il faut s'acheminer vers Notre-Dame, quand les portes de la grande façade engloutissent cortèges brillants, peuple, soldats, que les cloches sonnent à toute volée, que gronde l'artillerie, et que sous ses larges nefs se répand une mer vivante. C'est alors qu'on a le sentiment de sa grandeur et qu'on ne saurait sans émotion coudoyer ces piliers, témoins impassibles de la vie d'un des peuples les plus agités de la terre.

Quand, au-dessus de cette foule, des milliers de lumières dorent l'atmosphère poudreuse, que les vitraux jettent des lueurs nacrées, que résonnent les grandes orgues, la vieille église paraît se réveiller et participer à la vie, aux sentiments du peuple qu'elle abrite. Ce n'est pas par la richesse des marbres, par l'éclat des peintures que ce grand vaisseau séduit les yeux, mais par l'harmonie parfaite de ses lignes, le juste rapport entre l'ensemble et les détails. Fait pour l'homme, le monument le protège, mais ne l'écrase pas sous sa puissante masse par le luxe des matières rares et curieuses. Grand problème d'architecture que ces maîtres du moyen âge ont su résoudre !  Autrefois, devant la façade, existait une plate-forme qu'on appelait le Parvis, au niveau du pavé de l'église. Ce parvis clos de barrières, s'élevait de deux mètres environ au-dessus des voies environnantes de la berge de la Seine. On y montait encore par treize marches, du côté de la rivière, au commencement du XVIIe siècle. Peu à peu le sol environnant s'étant élevé, le parvis ne fut plus distingué que par la clôture qui en marquait le périmètre : celle-ci disparut à son tour pendant le dernier siècle. Lorsqu'en 1847 on voulut abaisser le sol de la place pour dégager la façade, on trouva presque immédiatement, sous le pavé, des constructions romaines des bas temps dépendant d'un vaste édifice.

Ces constructions s'étendent sous l'église et montrent leurs débris jusque vers le chevet, où furent découverts les curieux fragments de sculpture déposés au musée de Cluny.

 

[1] Beugnot, Institut, de saint Louis.

[2] Le Nain de Tillemont.

[3] Matth. Paris.

[4] Le Nain de Tillemont.

[5] Les cathédrales de Sens, de Senlis, de Meaux, contemporaines de Notre-Dame de Paris, ne possédaient pas de transsepts, ceux-ci furent ajoutés plus tard. La cathédrale de Bourges, bien que commencée seulement dans les premières années du XIIIe siècle, n'a point de transept.

[6] On voit encore les restes de cette disposition primitive conservée sur les parois intérieures de la première travée de la nef après les tours et de la dernière avant le transsept.

[7]  Deux des voûtes primitives des galeries existent encore dans la travée près des tours, d'autres à l'extrémité de la nef contre le transsept.

[8] Ce jubé, dont nous avons retrouvé des fragments, datait de 1245 environ et était par conséquent plus ancien que les portions de clôtures en pierre avec imagerie, qui existent encore.

[9] Voici cette inscription : ANNO. DNI. M.CC.LVII. MENSE FEBRUARIO. IDUS SECUNDO. HOC. FUIT. INCEPTUM CHRISTI. GENITCIS HONORE. KALLENSI LATHOMO VIVENTE JOHANNE. MAGISTRO. Des divers maîtres des œuvres auxquelles on doit la construction, de la cathédrale de Paris, Jean de Chelles est le seul dont le nom soit venu jusqu'à nous.

[10] Les bronzes furent fondus en 1792, les restes des marbres ont été enlevés en 1860 pour pouvoir restaurer les piliers du rond-point qui s'écrasaient par suite des mutilations qu'on leur avait fait subir.

[11] Le fait de l'érection de ce simulacre couvert des armes mêmes de Philippe de Valois est rapporté par Du Breul, par le continuateur de la chronique de Guillaume de Nangis et par le P. Montfaucon. Toutefois le Chapitre de Paris prétendait que cette statue représentait Philippe le Bel, ce prince ayant fait à l'église des fondations assez importantes à la suite de la bataille gagnée par lui à Mons-en-Puèle.

[12] On a trouvé de nombreuses traces de cette habitation temporaire en enlevant les anciens carrelages des galeries : meubles brisés, vêtements, fragments d'ustensiles de cuisine; tout avait été jeté pêle-mêle dans les reins des voûtes à la dernière heure de la tyrannie des chefs de la Ligue.

 

 

Façade Notre-Dame. Choeur de Notre-Dame de Paris au XIIIe SIÈCLE.
Façade Notre-Dame. Choeur de Notre-Dame de Paris au XIIIe SIÈCLE.

Façade Notre-Dame. Choeur de Notre-Dame de Paris au XIIIe SIÈCLE.

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #CHÂTEAUX DE FRANCE.

NOTICE SUR LE CHÂTEAU

D'ANCY-LE-FRANC.

I.

HÂTONS-NOUS de décrire ces vastes et nobles demeures, ces somptueuses habitations, contemporaines de moeurs, d'habitudes, d'idées si différentes de celles qui régissent notre société nouvelle: hâtons-nous! Aujourd'hui, c'est déjà bien tard; demain, il ne sera plus temps. La hache de 89 a renversé les châteaux; l'industrie déblaie sans relâche le terrain qu'ils occupaient avec orgueil, pour y placer ses manufactures et ses usines.

Ainsi, dans quelques années, les ruines mêmes de ces constructions si belles, si expressives, si nationales, auront disparu, et le poète et l'antiquaire les chercheront inutilement sur le sol.

Nos regrets sont sans amertume cependant; la piété historique que nous avons vouée à ces témoignages de tant de force et de tant de gloire n'est pas un fanatisme aveugle. Si, à l'aspect de ces monuments, la puissance et la richesse de ceux qui les élevèrent nous apparaissent, nous avouons, sans qu'il en coûte à nos sympathies, que cette puissance, ces richesses, frappées d'immobilité pendant une succession non interrompue de générations privilégiées, pouvaient seules permettre et conseiller de semblables établissements. La mobilité, la division incessante des fortunes s'opposeraient invinciblement à ce que, dans le siècle où nous vivons, on construisît de ces demeures souveraines, dont la démolition suivrait de si près l'achèvement. Et combien les goûts, les habitudes positives de la génération présente, s'accommoderaient peu de ces galeries aux proportions gigantesques! La cour d'honneur attendrait longtemps les équipages armoriés, la salle des gardes ses hallebardiers, et le château son seigneur suzerain.

Vénérons comme héritage du passé, respectons comme pages historiques, aimons comme révélations toutes parfumées de poésie, ces quelques beaux châteaux de France encore debout; mais disons-nous que leur place ne serait nulle part aussi dignement que dans notre respect et dans notre amour. Sans faire le procès au passé, rappelons-nous à quelles conditions s'élevaient ces édifices. De grandes, de profondes altérations sociales en étaient le prix. Quand on compare les misérables chaumières des classes inférieures au temps dont nous parlons, avec les demeures des habitants des campagnes à l'époque où nous vivons, on regrette beaucoup moins ces vastes, ces splendides manoirs. Si le paysage, privé d'un vieux bâtiment couronné de tourelles, perd de sa valeur, le coeur du moins est satisfait de ce bienêtre qui se manifeste et s'étend de jour en jour.

L'effet est moins pittoresque sans doute; mais le tableau, pour n'être pas aussi brillant, n'en atteste pas moins un progrès véritable vers le bonheur.

La société n'aurait-elle que la littérature pour expression ? N'a-t-elle pas un interprète aussi fidèle des moeurs d'une époque dans ces monuments, ceints de murs ou hérissés de créneaux? Pétris avec du fer ou des pierres, ou ruisselants de dorures, selon que le souverain se nomme Charles VII ou François Ier; selon que le seigneur

du lieu est un Montmorency qui ne connaît que la grande bataille, ou un Fouquet qui n'aime que le plaisir; nids d'aigles ou palais de fées, ces châteaux ne sont-ils pas aussi une date impérissable, une langue éloquente, une expression complète, magnifique et intelligible à tous?

Un rapide examen met cette vérité dans tout son jour. Au XVe siècle, il n'est déjà plus question de bâtir de ces châteaux forts où les grands feudataires de la couronne se retiraient pour y régner et se défendre. On répare alors à peine ces citadelles, que des hôtes turbulents ne tarderont pas à déserter. De nouvelles formes architecturales sont nécessitées par les graves changements survenus aux institutions et par ceux qu'éprouvent les arts. La Renaissance va fleurir. Si l'on parcourt la France, on remarque que les châteaux les plus curieux se construisirent entre le commencement du XVIe siècle et le milieu du XVIIe. Passé cette dernière époque, il ne s'en éleva plus. C'est qu'en effet, si vers 1500 il n'y a déjà plus qu'un Roi de France, il reste encore du moins des grands seigneurs dont la richesse a survécu à la puissance. Richelieu vient achever l'oeuvre de Louis XI, et bientôt Louis XIV concentre toute la force et toute la volonté dans la royauté, en appelant à Versailles la .haute noblesse. Il n'y a plus qu'un château : Versailles; il n'y a plus qu'un seigneur : Louis XIV[1]. Les travaux des palais de Versailles, de Trianon, de Marly et de quelques autres encore, se poursuivent sous le long règne du grand Roi, formidable expression de la monarchie absolue.

Sous son successeur, il n'y a plus même de grands seigneurs, dans la plus faible acception de ce mot. Ils ont fait place à des courtisans titrés, plus ou moins comblés des faveurs de la cour, mais sans indépendance, et n'ayant aucune existence considérable qui leur soit propre. D'ailleurs, de graves modifications s'aperçoivent dans la constitution sociale. Les gens de finance ont surgi et sont venus se mêler à la plus haute noblesse. A l'amour d'une représentation digne et sévère, au sérieux et presque à la gravité dans les plaisirs, caractère distinctif du dernier règne, a succédé le besoin d'une vie affranchie d'étiquette, exempte de toute gêne importune; les hautes classes veulent des jouissances sans frein : on ne construit plus de vastes châteaux, mais l'on bâtit, son décore de petites maisons. Et comme les manoirs grandioses des siècles précédents n'offrent désormais que des distributions en désaccord avec les goûts de leurs possesseurs, l'art s'applique à les rendre habitables à des hôtes qui n'ont plus rien de commun avec leurs aïeux. La salle des gardes se transforme en une salle de spectacle. Dans les galeries aux proportions solennelles, on pratique des entresols ; l'austère mobilier subit pareillement cette révolution fatale; le chêne fait place au frêle palissandre; les tableaux de l'école italienne, dont le goût avait été répandu en France par les Médicis, sont chassés par les fantaisies spirituelles de Watteau. On dirait que trois siècles se sont écoulés en moins de quatre-vingts ans !

II.

Le château d'Ancy-le-Franc date de cette époque que nous avons indiquée comme celle qui vit la France se couvrir de ces superbes manoirs, objet d'éternelle admiration. Il remonte presqu'au règne de François Ier, de ce Roi dont le nom demeure à jamais inséparable de la Renaissance des beaux-arts, du goût et de l'élégance. Projeté durant son règne, Ancy-le-Franc fut commencé en 1555 sous Henri II, par les ordres d'Antoine de Clermont, dans la maison duquel était passé le comté de Tonnerre, jusque-là tenu en grand fief [2]. Ce fut sur les dessins du Primatice d'abord, et sur ceux de Serlio plus tard, que s'éleva ce magnifique et imposant édifice, achevé seulement en 1622. On comprend comment un espace de temps si considérable ait pu être nécessaire pour bâtir et décorer complètement cette gigantesque demeure, lorsque Chambord, palais favori de François Ier et de Henri II, ne fut terminé que sous Louis XIV.

Le caractère du château d'Ancy-le-Franc est le type de la régularité la plus parfaite. Le style de l'architecture est majestueux ; le développement de ses quatre façades, entièrement uniformes, est singulièrement imposant. Toutes les parties du monument offrent entre elles un tel accord, une harmonie si complète dans leurs détails, qu'il est difficile de se défendre d'un sentiment de surprise et d'admiration à la vue de ce grand ensemble.

La conservation de l'édifice étonne; et si elle atteste sa solidité primitive, elle témoigne des soins constants dont il n'a cessé d'être l'objet depuis son achèvement. Les ornements intérieurs, toutes ces peintures à fresque si précieuses, qui étaient la décoration obligée des salles et des galeries à cette époque, sont l'ouvrage de Nicolo Dellabate, artiste chéri du Primatice, le même qui peignit, sous François I", la galerie de Fontainebleau ; d'autres sont dues à Meynassier, moins célèbre, mais doué d'un incontestable talent. Un peu plus tard nous nous arrêterons dans celles des pièces du château où se retrouvent les peintures les plus dignes d'attention.

Soixante-sept ans, avons-nous dit, s'écoulèrent entre le commencement des travaux et l'achèvement complet de l'édifice; mais on conçoit facilement qu'il fut habitable bien longtemps avant 1622. C'est qu'en effet l'achèvement complet indique seulement le moment où furent terminées cette foule de décorations intérieures, tout à fait distinctes d'une construction proprement dite.

Néanmoins, nous regardons comme impossible que Henri II, lorsqu'il vint dans le Tonnerrois, ait pu déjà logera Ancy-le-Franc. Aucune circonstance historique ne permet d'affirmer que Henri III y ait été reçu. Mais Henri IV s'y est certainement arrêté plusieurs fois, et notamment en 1691, alors qu'il accourut pour dégager le comte Henri de Clermont, qui se trouvait enveloppé par les troupes de la Ligue. On sait d'ailleurs que ce seigneur resta invariablement attaché à la cause du Béarnais, et que par suite son comte devint plusieurs fois le théâtre de la guerre. Henri IV, avec raison, le considérait donc comme l'un de ses plus fermes appuis, et il tenait à lui donner des marques de sa reconnaissance. Une date précise est assignée à la présence de Louis XIII à Ancy-le-Franc: c'est le 3o avril i63o que Charles-Henri de Clermont l'y reçut.

Un dernier sourire de la fortune était réservé à cette maison de Clermont-Tonnerre si longtemps riche et puissante, mais déjà déchue, lorsque le 21 juin 1674, le comte François compta l'un de ces jours qui laissaient alors, dans la mémoire d'un serviteur dévoué, un souvenir ineffaçable. Il reçut Louis XIV qui, pour la seconde fois, venait de conquérir la Franche-Comté[3].

Ce n'était pas une faveur ordinaire qu'une visite de Louis XIV. Il prodiguait peu sa présence, qui était toujours une marque de distinction dont le souvenir glorieux se perpétuait dans les familles. La pierre où il avait posé le pied, le fauteuil dans lequel il s'était assis, le mot qui s'était échappé de ses lèvres, recevaient une consécration inaltérable dans la mémoire de ses hôtes. Si l'on ne peut se mettre à la hauteur de tant d'enthousiasme, à l'heure où nous vivons, on reconnaîtra cependant que cette adoration pour l'unité politique personnifiée en Louis XIV n'a jamais été surpassée par l'attachement qu'ont porté les hommes aux institutions. Le Roi était à l'apogée de sa gloire quand il parut à Ancy-Le-Franc. Le succès n'avait cessé de couronner ses armes, et toutes ces infortunes répétées qui l'attendaient au déclin de son règne, ne pouvaient pas même être pressenties. Séparons-nous un moment de nos idées actuelles; reportons-nous en 1674, c'est-à-dire au temps où la royauté jetait le plus d'éclat; rappelons-nous, surtout, que Louis XIV était, littéralement parlant, l'objet d'un culte, et nous comprendrons peut-être la réception vraiment royale qui attendait le souverain dans ce superbe château d'Ancy-le-Franc. Tout fut digne et somptueux.

La demeure du comte était peuplée d'hommes considérables, parmi lesquels se remarquaient Vauban, déjà célèbre, quoiqu'à peine brigadier des armées de S. M., puis le marquis de Louvois qui, par ses sages dispositions, avait droit de revendiquer

une part de la gloire que donnait à son maître cette utile et définitive conquête de la Franche-Comté; le marquis de Louvois, dont le crédit et la faveur grandissaient, aujourd'hui l'hôte du comte de Clermont-Tonnerre, et à qui la fortune réservât de devenir bientôt l'heureux possesseur d'Ancy-le-Franc.

Tout fut noble, digne et même somptueux dans la réception ménagée par le grand seigneur. Mais tout aussi se rapportait au Roi. Ce n'était pas le comte François, habile courtisan, qui eût voulu, après les fêtes si célèbres de Vaux, ne pas s'effacer. L'exemple à jamais terrible de l'imprudent Fouquet était devenu un puissant enseignement. Avec un tel maître le faste devait conserver une prudente mesure. Il fallait, au milieu même de prodigalités extrêmes, éviter qu'un seul instant Louis XIV crût à la pensée d'une rivalité.

Malheur au courtisan qui eût pu lui trop rappeler Versailles !

Louis XIV, avant de s'éloigner d'Ancy-Le-Franc, témoigna qu'il était satisfait; et quand le comte le devança à Tonnerre pour lui présenter les clefs de la ville, le Roi s'empressa de les lui renvoyer, en lui disant qu'il les trouvait en trop bonnes mains pour ne pas les lui laisser....

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[1] Voici quelle idée Louis XIV se faisait de son pouvoir. *Celui qui a donné des Rois aux hommes, a voulu qu'on les respectât comme ses lieutenants, se réservant à lui seul le droit d'examiner leur conduite. Sa volonté est que quiconque est né sujet, obéisse sans discernement. » (Mémoires et Instructions de Louis XIV pour le Dauphin, tome II, page 336), édition de 18x61 des Oeuvres de Louis XIV. Et ailleurs (page 429) : « Il me semble qu'on m'ôte de ma «gloire, quand sans moi on en peut avoir. » Puis aussi (même volume, page 92) : «Tout ce qui se trouve dans l'étendue de nos États, de quelque nature qu'il soit, nous appartient à même titre. Les deniers qui sont dans notre cassette, ceux qui demeurent entre les mains des trésoriers, et ceux que nous laissons dans le commerce de nos peuples, doivent être par nous également ménagés. »

[2] Antoine de Clermont, IIIe du nom, grand maître des eaux et forêts et lieutenant général, était l'aîné des treize enfants issus du mariage de Bernardin de Clermont et de Anne de Husson, comtesse de Tonnerre. Quoique l'aîné, il n'eut point le comté de Tonnerre ; il se contenta des terres d'Ancy-le-Franc, de Chassignelles, de Griselles, de Laignes et de Crusy. Il y avait dans cette dernière une coutume connue sous le nom du GIST de Crusy, qui constituait bien l'une des plus bizarres servitudes qui se pussent voir à cette époque. Elle est vraiment trop curieuse pour la passer sous silence. La voici : les Tonnerrois nouveaux mariés étaient obligés d'aller coucher la première nuit de leurs noces à Cruzy, sans quoi ils ne pouvaient jamais obtenir le droit de bourgeoisie dans leur ville. Cependant, l'aïeul maternel d'Antoine de Clermont, Charles de Husson, comte de Tonnerre, avait consenti, dès 1492, à ne pas conserver cette portion passablement gaie de ses droits seigneuriaux; il prit pitié du repos des jeunes ménages, et voulut bien ne point obscurcir cette charmante lune de miel, que le voyage de Crusy devait, ce nous semble, un peu gâter. Une redevance remplaça donc pour le châtelain ce singulier privilège de ses devanciers. En conséquence, il fut stipulé que chaque chef de famille tonnerrois payerait à perpétuité, le jour de la Saint-Remy, pour la première année de bourgeoisie, une somme de dix sous huit deniers, les autres années vingt deniers, pour le feu entier, et moitié de ces sommes pour le demi-feu. En bonne conscience, il eût été difficile d'en être quitte à meilleur marché. L'excellent temps!

[3] Un peu avant son arrivée, le Roi, cédant à un désir pieux, mû par le besoin de remercier le ciel de ses victoires, alla s'agenouiller dans l'abbaye du Puits-d'Orbe, célèbre par le séjour de St.-François de Sales. Ce monastère était situé à peu de distance d'Ancy-le-Franc, et du château on en découvre encore -les vestiges. Un autre souvenir se retrouve non loin de ce lieu, c'est un vieux chêne qui abrita Henri IV, au temps où, par une suite d'épreuves et de combats, il dut successivement conquérir les diverses provinces de son royaume. La tradition a laissé à cet arbre le nom de Roi de Navarre, et dans la contrée il est resté en honneur. La mémoire du Béarnais ne cessa jamais de le protéger; et c'est ainsi qu'il a survécu même à la grande tourmente de 1793.

 

Gravure ancienne et vue actuelle du château. Gravure ancienne et vue actuelle du château. Gravure ancienne et vue actuelle du château.

Gravure ancienne et vue actuelle du château.

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Publié le par Romuald Cassiaux
Au Roi.

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Publié le par Rhonan de Bar
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LES PORTRAITS DE MADAME DE MONTESPAN

I

Mademoiselle de La Vallière mourut de chagrin d'avoir été maîtresse du roi, et madame de Montespan mourut de chagrin de ne l'être plus.

Quand madame de Montespan est venue, peut-être n'y avait-il plus que le roi: Louis s'était évanoui dans la dernière étreinte de mademoiselle de La Vallière.

Toute la poésie du règne, j'ai voulu dire la jeunesse, était partie pour le couvent des Carmélites.

Madame avait emporté à son lit de mort la joie de Saint-Germain et de Fontainebleau ; mademoiselle de La Vallière emporta l'amour de Versailles, et tout s'en alla en oraisons funèbres! —Madame se meurt ! Madame est morte!

Vous ne verrez plus les mascarades galantes ; vous n'entendrez plus ces belles conversations qui commençaient avec un madrigal de l'Astrée et qui s'achevaient par un éclat de rire de Molière ; vous n'assisterez plus à ces chasses où, dans les halliers retentissants, chaque Endymion eut sa Diane! Plus de fanfares et plus de cavalcades! Plus d'île enchantée où vivaient les romans de l'Arioste et les contes du Décaméron ! Mademoiselle de La Vallière se meurt ! Mademoiselle de La Vallière est morte! Elle le cric elle-même : elle a jeté sa vie « dans le cercueil de la pénitence ! »

C'en est fait! Le roi Apollon ne poursuivra plus Daphné sous les ramées mystérieuses ! Racine ne chantera plus les Andromaque et les Bérénice, ces La Vallière métamorphosées, ces plaintives figures qui osent dire au roi lui-même les faiblesses du roi !

Si Mignard veut encore peindre l'amour, il ne peindra plus que l'amour de Madeleine repentie.

II

Madame de Montespan n'est pas introuvable comme mademoiselle de La Vallière au musée de Versailles, Elles sont toutes les deux dans les grands appartements; mais là où mademoiselle de La Vallière n'a qu'une douteuse copie, madame de Montespan a un portrait original, sans doute peint par Mignard, Elle est adorablement belle, dans sa robe rouge, toute noyée de perles et de dentelles, avec ses blonds cheveux qui lui baisent l'épaule. Quoique blonde, elle aimait les tons vifs et heurtés; ce n'était point assez pour elle d'avoir une robe rouge, il lui fallait encore une plume rouge sur la tête. Ce portrait la représente jeune, mais l'esprit va se lever avec cette aurore, Le rayon transperce déjà cette légère brume matinale qui est le duvet de la jeunesse, Dans la galerie des Portraits on la retrouve, mais plus moqueuse : cette bouche-là va parler, le trait va partir, le mot rit déjà sur la lèvre. Qu'est-ce qui va être montespanisé?

Madame de Montespan, qui est tout esprit, ne se fait jamais peindre ni en Diane, ni en Junon, ni en Daphné; le sentiment poétique n'a pas hanté son âme; elle rit tout haut du carnaval mythologique ; elle trouve que c'est assez d'être la fière, belle et charmante marquise de Montespan, sans vouloir être encore une divinité olympienne, Mignard l'a pourtant décidée un jour à se laisser peindre dans une nuée de Cupidons armés de flèches et de roses. Ce portrait, connu sous le nom de Portrait aux Amours, a été souvent copié.

La Palatine, qui a été forcée de vivre beaucoup avec elle, à son corps défendant, a plus d'une fois peint à la plume la marquise de Montespan: « La Montespan étoit plus blanche que La Vallière ; elle avoit une belle bouche et de belles dents, mais elle avoit l'air effronté. » Madame de Montespan avait l'air hautain et spirituel plutôt qu'effronté. La duchesse d'Orléans continue ainsi : « Elle avoit de beaux cheveux blonds, de belles mains, de beaux bras; ce que La Vallière n'avoit pas; mais celle-ci était fort propre, et la Montespan une sale personne.» La Palatine donnait un coup de griffe après avoir donné un coup de plume. Je ne m'explique pas bien ce dernier trait. Quand on a de belles dents, de beaux cheveux, de belles mains, on est le contraste d'une personne propre[1].

Madame de La Fayette peint ainsi madame de Montespan — avant la lettre —a la cour d'Henriette d'Angleterre : « La seconde fille du duc de Mortemart, qu'on appeloit mademoiselle de Tonnay-Charente, étoit encore une beauté très achevée, quoiqu'elle ne fût pas parfaitement agréable. Elle avoit beaucoup d'esprit et une sorte d'esprit plaisant et naturel, comme tous ceux de sa maison. »

Saint-Simon disait : « belle comme le jour », une beauté en pleine lumière qui semblait répandre des rayons[2]. Mais qui l'a mieux peinte que madame de Sévigné: « Un jeu de reversi donne la forme et fixe tout. Le roi est auprès de madame de Montespan, qui tient la carte, C'est une chose surprenante que sa beauté. Elle étoit tout habillée de point de France, coiffée de mille boucles; les deux des tempes lui tombent fort bas sur les joues; des rubans noirs à sa tête, des perles de la maréchale de l'Hôpital, embellies de boucles, et des pendeloques de diamants de la dernière beauté, trois ou quatre poinçoins, point de coiffe; en un mot une triomphante beauté à faire admirer à tous les ambassadeurs, Elle a su qu'on se plaignoit qu'elle empêchoit toute la France de voir le roi ; elle l'a redonné, comme vous voyez; et vous ne sauriez croire la joie que tout le monde en a, ni de quelle beauté cela rend la cour, » L'abbé Testu, un des quarante, celui-là que Ninon avait surnommé : Testu, tais-toi, a très finement dit des trois filles du duc de Mortemart, pour exprimer les nuances de leur esprit: « Madame de Thianges parle comme une personne qui rêve, madame de Fontevrault comme une personne qui parle, et madame de Montespan comme une personne qui lit[3]. » Elle lisait un beau livre, très savant, très varié, très spirituel : le livre de son coeur. Le père de madame de Montespan était un homme de plaisir qui ne doutait de rien, excepté de Dieu peut-être; il avait épousé une dévote qui passait toutes ses journées à l'église. Il disait que c'était le mariage le mieux assorti, puisqu'il ne voyait jamais sa femme; en effet, si elle passait la journée dans les églises, il passait la nuit au jeu, dans le cortège des mauvaises passions. Il était batailleur, insolent, hautain, fort en gueule. Madame de Montespan était le portrait de son père, adouci par sa mère. Le diable-à-quatre était tempéré par l'idée de Dieu. Pendant toute sa vie, même aux jours les plus emportés, elle aimait, comme sa mère, le pieux spectacle des églises.

III

Madame de Montespan n'était pas une beauté ; c'était la beauté : un profil fier et noble, un front de marbre, de blonds cheveux jaillissant en gerbes rebelles aux morsures du peigne, des yeux ardents tour à tour allumés par l'esprit et par la passion, un nez franco-grec aux narines mobiles comme des ailes d'oiseau, une bouche rieuse, toujours ouverte pour railler, montrant à demi des dents destinées à vivre cent ans, comme les perles : un cou divinement attaché à des épaules d'un dessin ferme et d'un ton vivant. Quand il la peint, Mignard dévoile son sein, parce qu'elle a le sein fort beau et fort orgueilleux, comme tout le reste. La main et le pied sont du format diamant: je juge du pied par la main que j'ai sous les yeux, si toutefois Mignard n'a pas vu cette main par le petit bout de la lorgnette. Et comme elle marchait bien! Quelle éloquence de mouvements! Quelle souveraineté dans le geste ! Celle-là était née pour régner, celle-là avait le sang, la race, la divinité, — je parle à la surface.

Et encore cette belle calomniée n'avait pas jeté son coeur sous les pieds des chevaux du roi, ni son âme aux passions honteuses. Si elle fut belle toujours, elle fut noble jusqu'à la fin. Elle ne s'humilia jamais que devant Dieu : car ce fut pour Dieu qu'elle s'humilia devant son mari quand sonna l'heure de la pénitence.

Ah! Celle-là était née pour aller dans les carrosses du roi, pour présider les carrousels, pour changer l'eau en vin dans les soupers de Versailles ! Quel entrain diabolique! Quel esprit à tout propos! Quelle folie éclatante! Le roi-soleil n'était plus qu'une ombre devant elle, — son ombre !

Et pourtant, quelle tristesse sous cette gaieté du dehors! Elle a étouffé mademoiselle de La Vallière dans sa passion pour le roi, mais du même coup elle s'est tuée elle-même.

C'est une femme mal comprise jusqu'ici: on l'a jugée sans l'entendre. Sa beauté et son esprit ont masqué son coeur. On n'a pas pénétré dans celte nature inquiète et chercheuse, éprise du bien et tombant dans le mal sans y penser, voulant et ne voulant pas, toute au caprice de l'heure, fantasque et dangereuse comme la Méditerranée à l'équinoxe ; obéissant à la raillerie pour dominer, pour s'amuser, pour se venger ; se pavanant, parce qu'elle voulait contraster avec mademoiselle de La Vallière, riant à gorge déployée, parce que sa rivale pleurait toutes ses larmes.

Elle raillait tout le monde et se raillait elle-même « pour dispenser les autres de le faire ». Quand le roi était avec elle à la fenêtre de son cabinet de Versailles, les courtisans se détournaient de peur de la mousqueterie. Elle avait imaginé un jeu de cartes en action, composé des hommes et des femmes de la cour. Rien n'amusait Louis XIV comme sa manière de battre les cartes et de retourner le valet de cœur sur la dame de carreau. Il fallait avoir la clef du jeu pour le comprendre, et comme elle ne la donnait à personne, le soir, au jeu de la reine, elle osait tout haut brouiller les cartes et amener les batailles et les rencontres les plus curieuses.

La reine elle-même n'était pas sacrée pour elle.

Un jour, on racontait que dans une promenade Marie-Thérèse avait vu tout à coup dans un gué son carrosse se remplir d'eau, « Ah! Si nous avions été là, dit en riant madame de Montespan, nous aurions crié: La reine boit![4]»

Le roi, qui ne put c'empêcher de rire, rappela pourtant ce jour-là à l'ordre madame de Montespan.

« C'est votre reine, madame! » La marquise aurait pu répliquer; «C'est la vôtre, monsieur! » Madame de Montespan était contemporaine de mademoiselle de La Vallière[5], et elle arriva au coeur du roi en passant par le même chemin. Comme mademoiselle de La Vallière, elle débuta dans les filles d'honneur de Madame. C'était alors mademoiselle de Tonnay-Charente. A son mariage, elle obtint le titre de dame du palais de la reine. Se maria-t-elle par amour ou par vanité? Le marquis de Montespan était beau, galant, comme elle hautaine dédaigneux. C'était son homme, avant qu'elle eût trouvé son homme dans le roi. Il jouait sans sourciller, perdait ou gagnait avec le même sourire vingt mille écus. Il faisait sonner haut toutes les cloches héraldiques de sa maison. Elle commença par l'adorer et par lui donner un fils, celui-là qui devint le duc d'Antin, qui fut joueur comme père et mère, et qui se moqua de tous les deux.

 

[1] La Palatine la calomnie encore dans sa manière de raconter qu'une revue, «les soldais s'étant misa crier: Konigs Hure! Hure! Elle dit au roi que les Allemands étoient trop naïfs d'appeler toutes choses par leur nom ».

Les chansonniers accusaient madame de Montespan d'avoir eu des amants avant d'être au roi. On citait tout haut le comte de Fontenac, mais il n'était que son ami : Je suis ravi que le roi, notre sire, Aime la Montespan ; Moi, Fontenac, je me crève de rire...

[2] M. le duc de Noailles, qui a étudié de tout près la marquise de Montespan, dans son Histoire de madame de Maintenon, peint la femme visible avec une véritable sympathie : « La nature avoit prodigué tous ses dons à madame de Montespan : des flots de cheveux blonds, des yeux bleus ravissants avec des sourcils plus foncés, qui unissoient la vivacité à la langueur, un teint d'une blancheur éblouissante, une de ces figures enfin qui éclairent les lieux où elles paroissent. »

[3] Selon Voltaire, « Athénaïs de Mortemart, femme du marquis de Montespan, sa soeur aînée la marquise de Thianges, et sa cadette, pour qui elle obtint l'abbaye de Fontevrault, étaient les plus belles femmes de leur temps; et toutes trois joignaient à cet avantage des agréments singuliers dans l'esprit. Le duc de Vivonne, leur frère, maréchal de France, était aussi un des hommes de la cour qui avaient le plus de goût et de lecture. C'était lui à qui le roi disait un jour: Mais à quoi sert de lire? Le duc de Vivonne répondit : La lecture fait à l'esprit ce que vos perdrix font à mes joues. C'est qu'il avait de l'embonpoint et de belles couleurs. Ces quatre personnes plaisaient universellement par un tour singulier de conversation mêlé de plaisanterie, de naïveté et de finesse, qu'on appelait l'esprit des Mortemart. »

[4] Mot qui indigne beaucoup un historien de la marquise : « Cette parole rappelle les bouffonneries sanguinaires du proconsul Carrier. »

[5] Moins jeune de trois ans, mais plus femme et plus maîtresse femme. Elle avait vingt-deux ans quand elle épousa, en 1663, le marquis de Montespan.

 

Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart dite Madame de Montespan au château de Clagny. Peinture d'Henri Gascard. Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart dite Madame de Montespan au château de Clagny. Peinture d'Henri Gascard. Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart dite Madame de Montespan au château de Clagny. Peinture d'Henri Gascard.

Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart dite Madame de Montespan au château de Clagny. Peinture d'Henri Gascard.

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Publié le par Rhonan de Bar
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DES CHEVALIERS DU GUET.

CHAPITRE XXIII.

Les Chevaliers du Guet étaient également compris au nombre des Chevaliers militaires : Officium militis gueli. Ils étaient établis pour la garde et la sûreté des grandes villes du royaume, surtout pendant la nuit : Proefectus vigilum.

Il y avait un Chevalier du guet établi à Paris dès le règne de Saint Louis; on en créa depuis à Orléans, Lyon, Bordeaux, Sens, etc.

Ils commandaient des compagnies à pied et à cheval. Par l'ordonnance du 27 novembre 1643, le Chevalier du guet à Paris avait voix délibérative au jugement des criminels qui avaient été arrêtés par sa troupe.

Un arrêt du Parlement de Paris, du 13 janvier 1457, porte qu'aucun ne peut être Chevalier du guet s'il n'est Chevalier, à moins qu'il en soit dispensé : Nullus habeat vel detineat proedictum officium, nisi fuerit miles, velper nos in hoc dispensatus. Dans les registres de la Chambre des comptes de Paris, on trouve qu'Henri de Villeblanche fut fait Chevalier du guet, quoique, suivant la coutume, il ne fût pas de race de Chevalerie, mais qu'il en reçut dispense du connétable.

DES CHEVALIERS ES-LOIS.

CHAPITRE XXIV.

L'étude des lois et des lettres conduisit à la Chevalerie, tout aussi bien que la pratique des armes : cet usage avait déjà eu lieu chez les Romains, où l'on distinguait les Chevaliers de lettres qui s'appliquaient à la jurisprudence et administraient la justice, des Chevaliers d'armes, qui ne se livraient qu'à l'exercice de la guerre.

Lorsque la Chevalerie commença à fleurir, la plupart des villes qui avaient obtenu leur affranchissement, voulurent que leurs magistrats fussent élevés à la Chevalerie.

Les gens de lettres, et particulièrement les jurisconsultes, fondèrent leurs prétentions sur ce passage des Institutes de l'empereur Justinien : Imperatoriam majestatem non solùm armis decoratam, sed etiam legibus oportet esse armatam, ut utrumque tempus et bellorum et pacis rectè possit gubernari : et Princeps romanus non solùm in hostibus proeliis victor existat sed etiam per legimitos tramites calumniantium iniquitates expellat, et fiat tàm juris religiosissimus, quàm victis hostibus triumphator magnificus.

Mathieu Pâris, sous la date de 1251, parle de Henri de Bathonia, Chevalier des lettres : Henricus de Bathoniâ, miles litteratus legum terroe peritissimus ; et, sous celle de l'an 1252, il appelle Robert de la Ho : Miles litteratus.

Froissard distingue aussi les Chevaliers es-lois des Chevaliers ès-armes : «Et si convient, dit-il, qu'il pardonnât la mort de ces trois Chevaliers, les deux d'armes, c'étaient M. Robert de Clermont, gentilhomme noble grandement, et l'autre le seigneur de Conflans ; et le Chevalier ès-lois était M. Simon de « Bucy. »

Le même auteur remarque qu'on pouvait être honoré en même temps de la Chevalerie ès-lois et de la Chevalerie ès-armes, et il en rapporte cet exemple : « Or, était advenu qu'un vaillant homme de grande prudence, Chevalier en lois et en armes, Bailly de Blois, lequel se nommait Messire Renaud de Sens. »

Philibert d'Arces, gentilhomme dauphinois, sieur de la Bastie, Chevalier et docteur ès-lois, est qualifié, dans son épitaphe, de Chevalier en armes et en lois. Il y avait des jurisconsultes qui étaient Chevaliers, à raison de leur doctorat : Juris utriusque prof essor et miles. D'autres ajoutaient au titre de docteur en jurisprudence, le titre de Chevalier. Jean de Saint-Clair, qui vivait vers le milieu du quinzième siècle, se qualifiait Messire Jean de Saint-Clair, noble Chevalier et bon, licencié ès-lois. C'est qu'il était Chevalier par droit de noblesse militaire ; et il l'explique par ces termes : Noble Chevalier et bon ; et, joignant à cette qualité celle de licencié en lois, il fait voir qu'il était aussi docteur.

En Allemagne et en Italie, tous les hommes qui honoraient les lettres et les arts, par leur génie et leur talent, étaient admis à la Chevalerie. L'empereur Sigismond ne craignit pas même d'adjuger, en 1431, la préséance aux docteurs faits Chevaliers ès-lois, sur les Chevaliers d'armes, parce que, disait-il, il pouvait en un jour faire cent Chevaliers d'armes, tandis qu'il ne pouvait pas, en mille ans, s'il vivait, faire un bon docteur. L'empereur Charles IV avait également donné l'accolade de Chevalerie au jurisconsulte Barthole, auquel il accorda le droit de prendre les armes du royaume de Bohême.

Le Parlement de Paris, dès son institution, fut. Toujours composé de personnes considérables ou par la noblesse de leur sang, tels que les hauts-barons et les prélats, ou par l'étendue de leur science et le mérite de leur intégrité. Ceux qui étaient appelés à le présider portèrent long-temps le titre de Maîtres du Parlement, au lieu de celui de Présidens. Ce ne fut qu'en 1343 que ce titre fut créé par l'édit de Philippe de Valois, qui nomma trois Présidens de cet illustre corps ; et ce même Prince, dans sa déclaration du 21 mars de l'an 1345, pour les priviléges de l'Université de Paris, qualifie de Chevaliers ès-lois Guillaume Flotte, chancelier de France; Guillaume Bertrand, Jean du Chastellier, Simon de Bucy et Pierre de Senneville, tous Maîtres du Parlement, et plusieurs conseillers-laïcs.

Guillaume Juvénal des Ursins reçut la Chevalerie avant que d'être chancelier de France, en 1445; et Jacques de Beauquemare, premier président du Parlement de Rouen, fut fait Chevalier par Charles IX, le 27 septembre 1566.

Si quelques-uns des officiers du Parlement n'étaient pas nobles de race, ils se trouvaient anoblis par leur Chevalerie ès-lois, aussi bien que la Chevalerie d'armes anoblissait ceux qui ne l'étaient pas avant de la recevoir; c'est pourquoi les chanceliers de France, les présidens au conseil et aux Parlemens ; les présidens à mortier, et quelques autres officiers de justice, recherchèrent cet honneur, que certains auteurs pensèrent être resté attaché à ces charges.

Le premier président du Parlement de Toulouse, honoré du titre de Chevalier, fut Jean Daffis , fait Chevalier par le roi Charles IX, en 1565. A l'exemple de ce premier président, M. de Paulo, second président, peu d'années après, obtint provision du même Roi pour la qualité de Chevalier. Depuis ce temps, tous les présidens à mortier, sans autre provision que celle de leur charge, prirent le titre de Messire et la qualité de Chevalier. A leur sépulture, outre la robe, le chaperon rouge et le mortier, on mettait sur le cercueil l'épée dorée et les bottines blanches avec  les éperons dorés.

Quelques auteurs prétendent même que les titres de Messire et de Chevalier étaient en usage parmi les maîtres du Parlement, et ensuite parmi les premiers présidens et les présidens à mortier, depuis l'an 1331 ; et que l'édit de Philippe de Valois, de 1343, ne fit que les confirmer. Ceci prouverait encore l'erreur de ceux qui disent que , jusqu'au règne de François Ier, on ne distinguait que deux classes de Chevaliers, les bannerets et les bacheliers; et que ce fut ce Prince qui créa un troisième ordre de Chevaliers, composé de magistrats et de gens de lettres, qu'on appela Chevaliers ès-lois et chevaliers ès-lettres. Mais l'édit de Philippe de Valois, de l'an 1343, réfute victorieusement cette erreur. A la vérité, François Ier, voulant honorer tous les genres de sciences et de talens, accorda des lettres de Chevalerie à tous ceux qui attirèrent son attention, et lui parurent mériter cet honneur.

Anciennement, un des priviléges de la Chevalerie était d'avoir la préséance dans les assemblées publiques; et au Parlement de Paris, les officiers qui étaient Chevaliers, avaient rang avant ceux qui ne l'étaient pas; ce qui est constaté par un arrêt du 10 octobre 1322, où les Conseillers-Chevaliers sont énoncés les premiers; mais dans la suite cette prérogative s'éteignit, et toutes les conditions devinrent égales. La date de la réception seule décidait de la préséance entre les conseillers; ce qui se justifie par l'arrêt du mercredi, 24 janvier 1430, qui porte : « Sur ce que Messire Pierre de Tullières, « CHEVALIER, conseiller du Roi en la cour de céans, avoit dit qu'il avoit entendu qu'à cause de Chevalerie, il devoit avoir prérogative en siége, entre lui et les autres conseilliers laïcs non Chevaliers, combien que premiers eussent été reçus; et avoit requis qu'icelle  prérogative se aucune y avoit, donc il se rapportoit à la cour, lui fût gardée ; la cour ouis les autres conseilliers laïcs, et sur ce, délibérant, a dit qu'il n'y a en ce aucune prérogative, que seoir doient  Chevaliers , et non Chevaliers , selon l'ordre de réception. »

Il n'y avait pas, non plus, de distinction au Parlement entre les Chevaliers d'armes et les Chevaliers ès lois. La date seule de la réception à la Chevalerie donnait la supériorité du rang.

Nos Rois accordaient des pensions aux Chevaliers ès-lois pour les mettre à même de soutenir leur dignité, comme ils en accordaient aux Chevaliers d'armes. Charles V en accorda une, en 1396, de la somme de 500 livres tournois, à Arnaud de Corbie, chancelier de France., qu'il venait de créer Chevalier.

La création des Chevaliers ès-lois excita la jalousie des anciens Chevaliers d'armes, qui, ne connaissant que le maniement de leur épée et de leur lance, se souciaient fort peu d'acquérir l'instruction nécessaire  pour connaître et terminer les procès dans lesquels ils devaient exercer la noble fonction de juges. Cette jalousie les porta à ne pas vouloir juger avec les gens de robe, et par conséquent à leur abandonner l'honneur de rendre seuls la justice, qui était auparavant le plus beau des priviléges de la Chevalerie.

Dans la suite, il fut créé des Chevaliers d'honneur, qui étaient des officiers d'épée, avec rang, séance, et voix délibérative dans les cours supérieures, présidiaux, et bureaux des finances.

Ledit du roi Louis XIV, du mois de mars 1691, porte : « Création d'un Chevalier d'honneur dans chacun des présidiaux du royaume, lequel sera tenu de faire preuve de noblesse par-devant les officiers du présidial, dans lequel il aura séance immédiatement après les lieutenans-généraux, présidens et autres chefs desdites compagnies, et avant les conseillers titulaires et honoraires; et même avant les prévôts royaux qui pourraient avoir séance dans lesdits présidiaux. »

Un autre édit du même Prince, du mois de juillet 1702 : «Crée en titre d'offices formés et héréditaires, deux Chevaliers d'honneur au grand conseil ; deux dans la cour des monnaies; deux eu chacun des parlemens, chambre des comptes et cours des Aydes du royaume, où il n'en a point encore été établi, à l'exception seulement du Parlement de Paris; et un dans chacun des bureaux des finances, lesquels auront rang et séance dans les dits cours et bureaux des finances, tant aux audiences qu'aux chambres du conseil, en habit noir, avec le manteau, le collet, et l'épée au côté, sur le banc des conseillers, et avant le doyen d'iceux. Veut qu'ils jouissent de tous les priviléges, honneurs, prérogatives, droit de committimus et franc-salé dont jouissent les officiers desdites cours, ensemble des gages qui seront réglés par les rôles qui seront arrêtés au conseil. Veut que les acquéreurs desdits offices n'en puissent être pourvus qu'après avoir obtenu son agrément et fait preuve de noblesse. »

Par une déclaration du Roi, du 8 décembre 1703, ces offices purent être acquis par des personnes non nobles ; et, pour les mettre en état de les posséder, Sa Majesté les « anoblit, ensemble leurs enfans et postérité, nés en loyal mariage, pourvu qu'ils meurent revêtus desdits offices, ou les ayant possédés pendant vingt années accomplies. Veut qu'ils jouissent de tous les avantages dont jouissent les autres nobles du royaume, sans aucune distinction ni différence. »

 

DE LA CHEVALERIE.

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DES CHEVALIERS-BACHELIERS.

CHAPITRE XXI.

Le nom de Bachelier, selon quelques auteurs, dérive de celui de buccelarii, sorte de cavaliers, qui étaient très-estimés dans les armées romaines. Ducange le fait venir de baccalaria, bachellerie, bacelle, nom donné à un fief, un domaine, qui se composait de plusieurs pièces de terre nommées mas ou meux, formant douze acres chacune, et ayant plusieurs manoirs, mais toujours moins de douze vassaux. D'autres disent que la Bacelle ou Bachellerie se formait de dix mas ou meix, et qu'elle contenait le labourage de deux charrues à deux boeufs. Ces noms de Bacelle et Bachellerie étaient connus dès l'an 881 ; d'autres auteurs font venir le nom de Bacheliers de celui de Bas-Chevaliers, parce qu'ils formaient le second ordre de la Chevalerie, et tenaient le milieu entre le banneret et l'écuyer, milites medioe nobilitatis.

Le Bachelier, n'étant pas assez riche pour avoir un grand nombre de vassaux, servait avec eux sous la bannière d'un banneret; mais il avait pour étendard un pennon ou cornette à deux pointes, en forme de banderolle, sous lequel il réunissait ses hommes de guerre.

Un ancien cérémonial dit : « Quand un Bachelier a la terre de quatre Bachelles, le Roi lui peut bailler bannière à la première bataille où il se trouve, à la deuxième, il est banneret ; à la troisième, il est Baron. Tout Bachelier n'était mie riche : de plus, il fallait « avoir servi quelque temps à la guerre en qualité d'écuyer et de Bachelier sous un Chevalier-Banneret,  pour devenir Banneret ou Baron.»

On donnait aussi le nom de Bacheliers à ceux même de l'ordre des bannerets, qui, n'ayant pas encore atteint l'âge requis pour déployer leur propre bannière, étaient obligés de marcher sous la bannière d'un autre.

L'investiture du Chevalier-Bachelier se donnait par son pennon, tandis que le banneret la recevait par la bannière carrée.

Dans les anciennes montres des gens d'armes, les Bacheliers se trouvent compris, sans aucune différence, sur le même pied que les Chevaliers-Bannerets. Ils recevaient le double de la paie des écuyers, et la moitié de celle des bannerets.

A l'instar des bannerets, ils étaient honorés des titres de Messire et de Monseigneur, et jouissaient des privilèges de la Chevalerie,

Les Bacheliers cessèrent d'exister, ainsi que les bannerets, lorsque Charles VII créa les compagnies d'ordonnance et forma son armée sur un nouveau pied ; et, depuis, le titre de Bachelier, qui ne se donnait auparavant qu'à des nobles servant à la guerre, passa aux particuliers qui se livraient à l'étude des lois, des sciences, de la théologie et à la pratique des arts.

 

DES CHEVALIERS-D'HONNEUR.

CHAPITRE XXII.

Une autre Chevalerie fut instituée par les souverains, ce fut celle des Chevaliers d'honneur, qui ne quittaient pas leur personne et leur appartenaient ; elle remonte au-delà du treizième siècle. Amaury de Meudon, Jean de Voyse, Rodolphe Bonel, Guillaume de Pavay, Guillaume de Flavencourt, Jean de Soisy et Hugues de la Celle, sont qualifiés Milites regis (Chevaliers du Roi), dans les anciennes Chartes.

On les appelait quelquefois Chevaliers de l'hôtel du Roi, ce qui se rencontre dans un statut fait au bois de Vincennes en 1285, où ils sont ainsi qualifiés.

Dans un arrêt du 10 février 1384, Etienne de Flavigny est qualifié Chevalier d'honneur du roi Charles VI.

Froissard fait mention de plusieurs autres Chevaliers l'honneur, parmi lesquels il nomme : messire Renaud le Rove, messire Renaud de Trie, le sire de Garancières, messire Guillaume Martel, messire Guillaume les Bordes, et messire Guillaume Martel, Seigneur de Bacqueville, tous deux Chevaliers de la Chambre du Roi.

Les Reines, les Princesses et les Grands-Seigneurs avaient aussi leurs Chevaliers d'honneur. Dans l'histoire le Long-Pont, il est fait mention de Théobalde de Mauny et de Ferdinand, Chevaliers de la Reine : Théobaldus de Maulny et Ferdinandus, milites Reginae. Dans le testament d'Yolande, comtesse d'Angoulême, le l'an 1314, on y lit ces paroles : « De plus, je lègue à Raoul Bruni, mon Chevalier, pour les bons services qu'il m'a rendus, 200 livres une fois payées ; et à Foucaut de la Roche, mon Chevalier, 50 livres. »

Il était d'usage d'ailleurs qu'un Chevalier, qui s'était fait un nom par ses exploits militaires, se voyait bientôt prévenu par les plus grands seigneurs et par les plus grandes dames : les Princes, les Princesses, les Rois et les Reines s'empressaient de l'enrôler, pour ainsi dire, dans l'état de leur maison, de l'inscrire dans la liste des héros qui en faisaient l'ornement et le soutien, sous le titre de Chevalier d'honneur. Le même pouvait être tout à la fois attaché à plusieurs cours différentes, en toucher les appointemens, avoir part aux distributions des robes, livrées ou fourrures, et des bourses d'or et d'argent que les Seigneurs répandaient avec profusion, surtout aux grandes fêtes, et clans d'autres occasions qui les obligeaient de faire éclater leur magnificence.

Cette magnificence des Princes et des Seigneurs éclatait surtout dans la multitude des Chevaliers qui étaient continuellement autour de leur personne. La générosité qui les y retenait rendait la maison du Seigneur plus noble et plus chère aux yeux de ses amis et de ses vassaux. L'attachement et le zèle de tant de braves guerriers, qu'un même esprit réunissait, la rendaient plus importante et plus redoutable aux étrangers et aux ennemis qui auraient eu dessein de l'attaquer.

Les Chevaliers qu'on nommait Chevaliers du corps, ou Chevaliers d'honneur, accompagnaient ordinairement le maître dans son palais ou dans son château. Chez nos Rois, ils étaient leurs chambellans ou Chevaliers de leur chambre. Leur assiduité au service intérieur du palais répondait de l'empressement qu'ils auraient à se tenir toujours à la guerre près de leur Seigneur, pour l'armer et pour le défendre.

Le mot honneur signifiait proprement le cérémonial d'une cour ; l'épée d'honneur était celle qui se portait dans les cérémonies ; le trône d'honneur, le heaume d'honneur, le cheval d'honneur, le manteau d'honneur, la table d'honneur, étaient les objets qui se déployaient à la vue, lors des grandes réceptions ou solennités, dans les cours des Princes et des Grands, et c'étaient les Chevaliers d'honneur qui en ordonnaient tout le cérémonial.

L'usage d'avoir des Chevaliers d'honneur s'est perpétué jusqu'à nos jours dans la maison des Reines et des Princesses du sang.

On donna aussi le titre de Chevalier d'honneur, par l'édit du mois de mars 1691, à des magistrats qui furent institués près de chacun des présidiaux de France, avec titre de conseillers. Il en sera question au chapitre suivant.

 

DE LA CHEVALERIE.

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DES CHEVALIERS-BANNERETS.

CHAPITRE XX.

L'étymologie du mot banneret vient de Banner-Herren, qui signifiait, en langue celtique, un Seigneur à bannière : d'autres le font dériver du mot ban, qui veut dire Proclamation publique d'aller à la guerre , ou de celui de bandière, dont on a fait depuis celui de bannière, bandum signum dicitur militare, parce que les bannerets étaient ceux qui possédaient des fiefs qui donnaient le droit de lever bannière, et dont les propriétaires pouvaient mettre sur pieds, à leurs dépens, des troupes qu'ils conduisaient, sous leur bannière, au service du Roi.

L'origine des bannerets remonte à l'an 383, ou Conan, commandant les légions romaines en Angleterre, se révolta, sous l'empire de Gratien, et se rendit maître de ce royaume et de la Bretagne, qu'il distribua à plusieurs bannerets. C'est de cette dernière province que cette dignité passa depuis en France, lorsque l'introduction du gouvernement féodal fit aussi transporter aux fiefs et aux domaines, les titres qui auparavant n'avaient été décernés qu'aux personnes. Ainsi, les Ducs, les Marquis, les Comtes firent ériger leurs terres en Duchés, Marquisats et Comtés, et les Chevaliers firent ériger les leurs en fiefs de bannière, lorsqu'elles fournissaient le nombre de vassaux voulu par les coutumes.

Le titre de Chevalier-Banneret était le plus considérable et le plus élevé de l'ordre de la Chevalerie; il n'appartenait qu'à des gentilshommes qui avaient d'assez grands fiefs pour leur donner le droit de porter la bannière dans les armées royales. Il fallait, pour obtenir ce titre, être gentilhomme de nom et d'armes, c'est-à-dire, de quatre quartiers, ou lignes paternelles et maternelles.

Ducange cite un ancien cérémonial manuscrit qui indique la manière dont se faisait le Chevalier-Banneret et le nombre d'hommes qu'il devait avoir à sa suite. « Quand un bachelier, dit ce Cérémonial, a grandement servi et suivi la guerre, et que il a terre assez, et qu'il puisse avoir gentilshommes ses hommes et pour accompagner sa bannière, il peut licitement lever bannière en bataille, et non autrement; car nul homme ne doit lever bannière en bataille s'il n'a du moins cinquante hommes d'armes, tous ses hommes, et les archiers et les arbalestriers qui y appartiennent ; et, s'il les a, il doit, à la première bataille où il se trouvera, apporter un pennon de ses armes, et doit venir au connétable ou aux maréchaux, ou à celui qui sera lieutenant de l'ost pour le Prince, requérir qu'il porte bannière; et s'ils lui octroyent, doit sommer les héraults pour témoignage, et doivent couper la queue du pennon, etc. »

Effectivement, lorsqu'un gentilhomme aspirait à l'honneur d'être banneret, il choisissait l'occasion d'un combat, d'une bataille ou d'un tournois, pour présenter son pennon roulé au Roi ou au chef de l'armée l'un ou l'autre le développait, en coupait la queue, le rendait carré, puis le remettait entre les mains du Chevalier, en lui disant : « Voici votre bannière; Dieu vous en laisse votre preux faire. »

Mais, avant que le gentilhomme pût se présenter au Roi ou au chef de l'armée, pour demander la bannière de banneret, on commettait les héraults d'armes, qui devaient s'assurer s'il avait assez de biens pour  fournir à la dépense à laquelle cette dignité l'exposait; s'il avait le nombre suffisant de vassaux pour le suivre à la guerre et garder la bannière. On sait que ce nombre était au moins de vingt-quatre gentilshommes bien montés, avec chacun leurs sergens, lesquels en épée et en jacque de maille, portaient la masse d'armes, l'écu et la lance de leur maître : ce qui les fit nommer écuyers.

Si les héraults rendaient témoignage que ce Chevalier était en état de fournir à cette dépense, ils développaient son pennon, et en coupaient les deux bouts pour le rendre carré, et le repliaient, jusqu'à ce que le Prince ou le Général lui eût permis de le déployer et ficher à terre.

Les Chevaliers - Bannerets de cavalerie devaient un marc d'or aux héraults, et ceux d'infanterie un marc d'argent.

La bannière carrée, portée au haut d'une lance, était la véritable enseigne du banneret ; celle des simples Chevaliers se prolongeait en deux cornettes ou pointes, telles que les banderolles qu'on portait dans les cérémonies des églises. Le Chevalier-Banneret devait avoir sous ses ordres quatre Chevaliers-Bacheliers, et toujours il prenait le pas, avec sa troupe, sur celle d'un banneret qui n'était pas Chevalier, et celui-ci obéissait au premier; car le titre de Banneret ne donnait pas celui de Chevalier : ce dernier était personnel, et celui qui en était décoré ne tenait cet honneur que de son épée et de sa valeur. Il y avait donc deux sortes de bannerets, celui qui était Chevalier et celui qui ne l'était pas.

A la vérité, dans la suite, ce titre devint héréditaire, et passa à ceux qui possédaient la terre ou le fief d'un banneret, bien qu'ils n'eussent pas l'âge qui était nécessaire, et qu'ils n'eussent pas encore donné des preuves de leur courage pour mériter cette qualité.

Le banneret devait avoir un château avec vingt-cinq feux au moins, c'est-à-dire, vinqt-cinq chefs de famille qui lui prêtassent hommage. Cependant, il y en avait quelquefois moins, quelquefois plus, selon la condition des fiefs.

Le banneret avait souvent des supérieurs bannerets ; nous en trouvons la preuve dans un arrêt de l'an 1442, qui porte que le Vicomte de Thouars, le plus grand et le premier vassal du Comte de Poitou, avait sous lui trente-deux bannières; par conséquent, ce Vicomte, qui était banneret, avait sous son obéissance, ainsi que beaucoup d'autres de même qualité, plusieurs bannerets ses vassaux.

Dans les arrêts des Parlemens, les bannerets étaient toujours qualifiés de ce titre. On cite celui du 23 février 1385, en faveur de Jeanne de Ponthieu, dans lequel il est dit que Dreux de Crevecoeur, son mari, était Chevalier-Banneret.

Les Chevaliers - Bannerets étaient souvent compris au rang des Hauts-Barons, et jugeaient avec eux : Barones vocati solent ii proceres, qui vexillum in bellum efferunt ; mais ils n'étaient pas tous décorés du titre de Baron. Deux arrêts, des 2 et 7 juin 1401, justifient que Guy, Baron de Laval, disputait à Raoul de Coetquen son titre de Baron : celui-ci cependant fut maintenu dans cette qualité, en prouvant qu'il avait plus de cinq cents vassaux et une fortune considérable.

En Bretagne, les Barons étaient distingués des bannerets, et les bannerets de cette province étaient créés en pleins Etats.

Bertrand d'Argentré dit aussi qu'en l'an 1462 il se convoqua une assemblée, sous François II, Duc de Bretagne, dans laquelle il y avait divers degrés pour l'écuyer, le bachelier, le Chevalier-Banneret et le Baron.

Un arrêt du Parlement de Paris, du 23 février 1585, donne la qualité de Miles vexillatus à un Chevalier-Banneret.

Les chroniques de France nous apprennent que les bannerets n'étaient pas seulement employés aux occasions de la guerre, mais encore aux cérémonies de la paix ; car elles contiennent que Monseigneur Charles, régent du royaume, Duc de Normandie et Dauphin de Viennois, envoya trois Chevaliers - Bannerets et trois Chevaliers-Bacheliers, pour voir faire au Prince de Galles le serment de la paix de Bretigny, le 7 mai 1360.

Et il fut ordonné dans le conseil de Charles VI, l'an 1396, que madame Isabeau de France, fille du Roi, allant en Angleterre épouser le roi Richard II, son état et sa suite seraient composés de deux Chevaliers-Bannerets et de cinq Chevaliers-Bacheliers ; savoir : des Seigneurs d'Aumont et de Garancières, bannerets ; de Messires Renault et Jean de Trie, de Galois d'Aunoy, de Charles de Chambly, et du Seigneur de Saint-Clair, bacheliers.

Quand un noble était vassal d'un Duc ou d'un autre grand Seigneur, et qu'il avait lui-même des vassaux qui marchaient sous sa bannière, il était banneret du Duché, du Marquisat ou du Comté de son suzerain.

Les anciens officiers de la couronne et leurs lieutenans avaient droit de porter bannière, quoique d'ailleurs ils ne fussent pas bannerets. « Tous royaux et tous «leurs lieutenans, connétables, amiraux, maîtres des arbalestriers, et tous les Maréchaux de France, sans être Barons ni bannerets, disant qu'ils sont officiers par dignité de leurs offices, peuvent porter bannière et non autrement. En guerre, pour ôter les débats des envies, le droit ordonne que les bannières plus anciennes soient les plus prochaines de celle du Roi (Menetrier, Origines, 194, 190). »

On énumérait autrefois les armées par le nombre des bannières, comme on le fait aujourd'hui par le nombre de régimens.

Les Chevaliers bannerets, suivant le père Daniel, ne paraissent dans notre histoire que sous Philippe-Auguste. Ils subsistèrent jusqu'à la création des compagnies d'ordonnances par Charles VII. Alors il n'y eut. plus de bannières ni de Chevaliers-Bannerets : toute la gendarmerie fut mise en compagnie réglée.

Les Chevaliers-Bannerets avaient le privilége du cri de guerre, ou cri d'armes, qui leur était particulier, et qui leur appartenait privativement à tous les Bacheliers et à tous les écuyers, comme chefs des vassaux qu'ils conduisaient à la guerre sous leur bannière. Ils se servaient de ce cri, lorsqu'ils se trouvaient en péril, pour animer leurs troupes à défendre courageusement l'honneur de leurs bannières, ou pour leur servir de ralliement.

L'investiture était donnée au Chevalier-Banneret par la bannière carrée. Il se présentait devant le Prince ou son délégué, tenant en main sa bannière, se mettait à genoux, la remettait au Prince, qui la lui rendait après l'avoir agitée, et lui donnait l'accolade.

Les Chevaliers de Bretagne portaient leurs armoiries dans des écussons carrés, pour désigner qu'ils étaient descendus de Chevaliers-Bannerets.

Les armoiries de ces Chevaliers étaient décorées dans leurs ornemens extérieurs d'un vol banneret, qu'on plaçait en bannière de chaque côté du cimier, et qui était coupé en carré, comme l'écu des anciens Chevaliers bannerets l'était par le bas. Cet écu était aussi décoré, autrefois, d'un cercle d'or, sans être émaillé, mais orné de trois grosses perles.

Ils jouissaient de tous les honneurs, droits, prérogatives et prééminences mentionnés au chapitre des Chevaliers militaires, parmi lesquels ils tenaient souvent le premier rang.

La paie d'un Chevalier banneret était de 50 sous par jour.

Il y avait aussi des Ecuyers-Bannerets qui possédaient des fiefs avec le droit de bannière ; mais qui, n'ayant pas encore reçu l'honneur de la Chevalerie, n'osaient s'en attribuer le titre. Ils ne prenaient point non plus la qualité de Messire, de Monseigneur ou de Monsieur, et portaient des éperons d'argent. Quoiqu'ils marchassent après les Bacheliers qui étaient Chevaliers, il y a eu des circonstances, néanmoins, où l'écuyer banneret commandait au Chevalier, même banneret, lorsque le commandement était donné spécialement par le Roi à ces écuyers.

DE LA CHEVALERIE.

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VERSAILLES. LES JARDINS. Pierre de Nolhac.

LA PROMENADE DE VERSAILLES AU XXe SIÈCLE

(Deuxième extrait.)

La grande façade développe ici sa longueur de quatre cent quinze mètres (qui atteint six cent soixante-dix mètres avec les façades en retour). La monotonie de cette immense bâtisse est rompue par les avant-corps, formés de colonnes que surmontent cent deux statues, par les sculptures en relief qui encadrent les fenêtres cintrées du premier étage, par les clefs des arcades du rez-de-chaussée, enfin par les trophées et les vases de pierre couronnant la balustrade de l'attique, qui avaient été détruits lors des restaurations du premier Empire et qui viennent d'être heureusement rétablis sur le corps central du Château.

Quatre bronzes d'après l'antique, posés contre le mur, sont d'assez belles fontes françaises, un peu noires, qui furent les premiers essais des frères Keller pour Versailles; ces figures, Bacchus, Apollon, Antinous et Silène, annoncent les merveilles de bronze du Parterre d'Eau, tandis que les deux grands vases de marbre, placés aux angles de la même terrasse, semblent continuer, au seuil des jardins, la sculpture décorative répandue si abondamment sur les façades.

Le premier fut sculpté par Coyzevox. Le pied svelte et puissant soutient une coupe ouvragée de feuilles d'acanthe; les deux anses sont formées de têtes de faunes grimaçants, à la longue barbe tressée. Le haut vaisseau porte un bas-relief imité d'une peinture de la Galerie des Glaces. Les scènes qu'il retrace furent d'une actualité glorieuse ; elles représentent la prééminence de la France reconnue par l'Espagne, après la défaite des Turcs par nos armes en Hongrie (1664). D'un côté, des guerriers enturbanés sont mis en déroute par Hercule et par la France, sous la fière apparence d'une femme casquée. De l'autre, se dresse la même figure, devant laquelle s'incline une autre femme, l'Espagne, avec le lion à ses pieds. Tel est le vase de la Guerre.

Celui de la Paix est de même forme et de même élévation ; le bas-relief seulement diffère. C'est une allégorie des traités d'Aix-la-Chapelle (1668) et de Nimègue (1678-79). Le jeune Louis XIV, couronné .d'olivier, est assis sur un trône; près de lui, se tient debout Hercule, le demi-dieu qui fut une de ses images olympiennes ; une Victoire suspend des trophées à un palmier. Un autre groupe est formé de Renommées portant des branches d'olivier. Les femmes aux longs corps gracieux s'enlacent, enroulées dans les plis de leur vêtement à l'antique ; l'une d'elles tient un caducée et indique ces mots inscrits sur une tablette : Pace in leges sims confecta Neomagi, 1679. Ce vase est de Jean-Baptiste Tubi, sculpteur romain, devenu de bonne heure sujet du roi de France et l'un des meilleurs maîtres qu'il ait employés à son service.

Les bronzes maintenant déploient devant nous leur magnificence. Le long de la margelle des deux vastes bassins, la merveilleuse matière, patinée par le temps, étale ses œuvres de grâce et de majesté. Elles valent qu'on les examine à loisir, car elles forment, par leur réunion ingénieuse, le plus important ensemble de ce genre qui existe dans le monde. Ces deux bassins sont décorés chacun de quatre statues couchées, figures de fleuves et de rivières de France, de quatre groupes de nymphes et de quatre groupes d'enfants debout aux coins de la pièce d'eau.

Sauf ces derniers, chacun porte le nom de l'artiste qui l'a modelé et aussi la signature des fondeurs du Roi, les frères Keller, et la date de la fonte dans les ateliers de l'Arsenal de Paris.

La plus ancienne date de 1687, la plus récente de 1690.

Par ces indications, l'étude de ce grand ouvrage est singulièrement simplifiée. Au reste, dès le premier regard, on se rend compte que les sculpteurs qui créèrent les modèles de cire subordonnèrent exacte- ment leur travail à la conception de l'ensemble. Nous savons, en effet, que l'invention et la disposition des figures du parc appartenaient de droit à un ordonnateur général, le Premier Peintre du Roi, Charles Le Brun.

Les croquis destinés aux sculpteurs étaient de sa main ; il les soumettait au Roi, et les remettait, avec son approbation, aux artistes chargés d'exécuter, après une maquette préalable, le modèle définitif. On a conservé un certain nombre de ces dessins, au crayon et au lavis, et l'illustration de ce livre présente quelques-uns de ces intéressants documents.

Nous n'avons retrouvé aucun des croquis originaux qui servirent à composer la décoration du Parterre d'Eau; mais il est certain que, sur ce point comme sur tous les autres, le Premier Peintre donna ses projets.

Non seulement il désigna les sujets et imposa les attitudes des figures, mais encore il évita aux artistes toute hésitation dans le choix des accessoires et des symboles. De cette façon fut assurée l'unité - d'exécution de la magnifique assemblée de bronze qu'on rêvait et qui devait être consacrée aux fleuves et rivières du royaume.

Ainsi guidé et comme maîtrisé, il semblerait que chaque sculpteur ne dût réaliser qu'une œuvre impersonnelle concourant simplement à l'harmonie générale; mais il n'en est rien. Tout en obéissant à une loi rigoureuse, chacun reste lui-même en ses manifestations d'artiste ; et tout d'abord Coyzevox dans sa puissance et Tubi dans sa souplesse sont hors de pair ; on sait distinguer en leurs œuvres l'élégant Magnier de l'expressif Le Gros, et c'est à peine si l'on est tenté de confondre entre elles celles des maîtres secondaires, tels que Le Hongre, Raon et Regnaudin.

C'est Thomas Regnaudin, le sculpteur de Moulins, que nous rencontrons d'abord, au pied du vase de la Paix, avec ses deux figures couchées de la Loire et du Loiret. Le fleuve de la Loire est représenté par un vieillard robuste et souriant, couronné de fleurs de roseaux et tenant une corne d'abondance, qui dit la richesse du pays arrosé. Une écrevisse et de beaux légumes de France, melon, concombre, asperges, sont épars sur le sol. La double source qui jaillit d'un rocher, symbolise apparemment les deux cours égaux de la Loire et de l'Allier.

Le corps du Fleuve est nu et majestueux dans sa raideur; sa longue barbe bouclée caresse sa poitrine; ses jambes sont croisées ; le regard semble chercher au loin, alors que, près de lui, un petit génie soufflant dans un coquillage montre ses ailes impatientes.

Sur le même plan, la rivière du Loiret a la même beauté puissante, un peu lourde, mais non sans noblesse. Cette femme, au profil si grave, a des fleurs dans ses cheveux tressés; la draperie qui l'enveloppe laisse à nu sa généreuse poitrine et ses jambes allongées ; elle s'appuie sur une urne renversée d'où l'eau s'écoule, pendant qu'un Amour lui présente une corne chargée de fruits. L'urne est énorme, pour rappeler les fameuses « Sources », dont la seconde, le « Bouillon », jaillit en 1672. Un serpent, une grenouille, des pommes de pin ont été modelés dans la cire avec le soin réaliste d'un Bernard Palissy.

Derrière les grands bronzes, et après la courbe de chaque angle du bassin, se dressent trois bambins enlacés, potelés et vivants, les mains pleines de fleurs, d'oiseaux, de coquillages ou de miroirs. Un coup d'œil suffit à nous assurer que toute cette grâce enfantine est bien celle du XVIIe siècle, et n'a rien de la joliesse maniérée qu'offriront les mêmes jeux d'amours au XVIIIe. Nous passons aussi devant les deux Nymphes couchées, qu'accompagne un Amour, pour rejoindre à l'autre extrémité du bassin les magnifiques figures de Tubi, le Rhône et la Saône.

Le fleuve est un dieu des eaux, au visage sévère sous sa couronne de feuillage; son corps, de vigueur nerveuse, a pris une pose abandonnée; ses jambes se croisent; il s'appuie d'une main sur le rocher, d'où la source jaillit ; dans l'autre main est un aviron soulevé par un petit Triton souriant qui semble questionner le vieillard. Le bronze verdi a, sous la lumière, une chaleur admirable.

La Saône, au corps élégant, aux formes amples, au mouvement aisé, est couchée sur le côté droit. Des grappes de raisins lui font une ceinture; elle repose sur des épis et des pampres épars; son sein rond se penche sur une urne d'où l'eau s'écoule. La déesse, couronnée de fleurs et de pampres, sourit au Rhône, qui la regarde. Le petit Amour qui lui fait compagnie s'amuse à presser des raisins. C'est une claire et charmante personnification de l'heureuse Bourgogne aux vins renommés.

 

JEUX D’ENFANTS, par C. VAN CLEVE. Groupe de bronze, en Parterre d’Eau, fondé en 1690.

NYMPHE ET AMOUR, par RAON. Groupe de bronze, au Parterre d’Eau, fondu par les frères Keller en 1668.

NYMPHE ET AMOUR, par LE GROS Groupe de bronze, au Parterre d’Eau, fondu par les frères Relier en 1688.

LE FLEUVE LA LOIRE,par REGNAUDIN. Groupe de bronze, au Parterre d'Eau, fondu par les frères Keller en 1689.

LE FLEUVE LA GARONNE, par COYZEVOX (l686) Groupe de bronze, au Parterre d'Eau, fondu par les frères Keller en 1688.

LA RIVIÈRE LA DORDOGNE, par COYZEVOX Groupe de bronze, au Parterre d'Eau, fondu par les frères Keller en 1688.

ANTOINE COYZEVOX, SCULPTEUR DU ROI (1640-1720) Peinture de Gilles Allou.

JEUX D’ENFANTS. Groupe de bronze, au Parterre d'Eau, fondu en 1690.

NYMPHE ET AMOUR, par LE GROS. Groupe de bronze, au Parterre d’Eau, fondu par les frères Keller en 1688.

LA RIVIÈRE LE LOIRET, par REGNAUDIN Groupe de bronze, ait Parterre d'Eau, fondu par les frères Seller en 1689

LA RIVIÈRE LA SAÔNE, par J.-B. TUBI Groupe de bronze, au Parterre d'Eau, fondu par les frères Keller (sans date).

 

 

LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.
LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.
LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.
LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.
LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.
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LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.
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Publié le par Rhonan de Bar

VERSAILLES LES JARDINS.

Pierre de Nolhac.

LA PROMENADE DE VERSAILLES AU XXe SIÈCLE

Il n'est pas, à Versailles, de plus noble spectacle que celui qui s'offre des balcons de la Grande Galerie, ouverts sur les bassins du Parterre d'Eau. C'est la vue royale par excellence, celle qui suffirait à donner en quelques minutes une idée claire de la somptueuse création de Louis XIV.

Le visiteur est fatigué de son parcours à travers les trois étages de l'immense château. Il a rempli ses -yeux des décorations merveilleuses, des bois et des métaux finement travaillés, des mosaïques de marbre et des plafonds dorés. Il s'est ému dans les chambres royales aux souvenirs évoqués ; il s'est attardé dans les salles du Musée, vivantes des scènes et des portraits qui les animent. L'histoire et l'art des derniers siècles se sont révélés à lui dans ce qu'ils ont de plus français et de plus raffiné. Il est accablé de tant de grandeur et de magnificence, quand ses pas le ramènent en cette galerie fameuse, au centre de l'habitation, où viennent s'accumuler les plus rares ouvrages.

Les paysages qui s'encadrent en ces hautes fenêtres aux glaces étroites, que Venise envoyait au Grand Roi, apportent la surprise souhaitée, et l'artifice grandiose du palais y continue son enchantement.

Les fonds lointains, les horizons des collines boisées sont presque seuls purement naturels : les immenses pièces d'eau des Suisses et du Grand Canal peuvent sembler encore des lacs harmonieux, ramenés à la ligne symétrique par un travail à peine sensible ; mais, par degrés, en se rapprochant du Château, l'art se laisse voir, s'affirme et s'étale. Les gazons se découpent, les arbres se taillent, les eaux se concentrent en des margelles de marbre, les statues se multiplient. Autour de la maison royale, la nature est entièrement asservie ; tout y a été construit et manié de façon à ne plus laisser paraître que l'œuvre de l'homme.

La volonté d'un roi et le génie d'une époque ont fait d'un sol rebelle le plus riche jardin. Il faut un grand effort pour se rappeler qu'aucune partie des environs de Paris n'était plus sauvage et plus délaissée, quand Louis XIII y construisit un petit château et y établit un parc de chasse. Même après lui, ce n'était qu'un terrain boisé et marécageux, qui s'est transformé, sur le seul désir de Louis XIV, en ce brillant ensemble de plantations régulières, de bosquets, de pièces d'eau et de fontaines.

Les terrasses sont faites presque totalement de terres rapportées ; l'étroite butte primitive s'est élargie en proportions énormes pour asseoir le Château et ses abords. De chaque côté se découpent les parterres du Midi et du Nord, dessinant leurs arabesques, leurs rinceaux, leurs fleurs de lis.

Entre eux, devant la Galerie des Glaces, dorment deux larges nappes liquides, attendant que les gerbes rapides viennent, au signal voulu, en éveiller les vastes eaux. C'est ce qu'on appelle le Parterre d'Eau, désignation qui s'appliquait mieux à un état plus ancien de cette grande terrasse, où vraiment des courants d'eau, ingénieusement aménagés, formaient des dessins variés, semblables aux décors fleuris tracés par Le Nôtre; ils étaient entourés, d'ailleurs, de buis et de gazon.

Tout ce décor, riche en complications hydrauliques, s'est peu à peu simplifié en une conception plus belle.

Le Roi n'a voulu, sous les fenêtres de sa maison, pour en refléter l'harmonie, qu'un double et pur miroir qui n'en brisât point l'image. Sur le marbre qui les entoure, bientôt après se dressèrent de magnifiques groupes de bronze, exécutés en de grandes proportions, afin qu'on put en saisir la ligne des balcons de la Galerie.

Les deux nappes frissonnantes semblent répondre à celle du Canal, qui miroite dans le lointain. Autour d’elles, de tous côtés, à la descente des allées des parterres inférieurs, on aperçoit des vases chargés de fleurs et aussi de blanches statues qui semblent cheminer le long des charmilles.

Elles se détachent tantôt sur le ciel, tantôt sur les sombres verdures. On désire approcher et contempler de plus près ces formes harmonieuses, connaître le symbole qu'elles expriment et la pensée qu'elles réalisent. Et ne sont-elles pas comme les prêtresses du lieu, les gardiennes permanentes des jardins? Devant elles ont passé les générations disparues : elles ont vu la gloire des monarques, la grâce amoureuse des princesses ; les paniers de brocart et les habits brodés ont frôlé le marbre qui les porte ; elles assistèrent à l'heure du déclin et des tristesses; et c'est pourquoi, tout autour d'elles, l'atmosphère est comme chargée de souvenirs.

Elles sont pour nous encore bien autre chose que des témoins du passé. Les artistes de nos jours honorent les meilleures d'entre elles comme des chefs-d'œuvre; ils les contemplent et les étudient volontiers, quand il leur plaît de se rendre attentifs aux rêves et à la tradition de leurs aînés. Pourrions-nous faire mieux que de suivre leur exemple?

Si l'on songeait trop vite cependant que c'est un vaste Musée de la Sculpture française qui reste encore à parcourir en ces jardins, — une collection complète où tous les grands noms de deux siècles d'art incomparables sont représentés, — plus d'un promeneur sortant du Château hésiterait devant cette fatigue nouvelle. Mais l'enseignement qu'il en doit recueillir peut être pris dans le plaisir le plus reposant, dans la joie d'une belle journée, alors que les parfums montent des parterres fleuris et que l'air très pur vivifie l'attention et soutient la marche.

Après plusieurs heures passées dans les appartements, la promenade en ces jardins et ces bosquets, sans nous enlever du même milieu, est d'un charme apaisant et profond. Nous pouvons descendre sur la terrasse et visiter l'une après l'autre les œuvres qui s'harmonisent si bien avec l'architecture du parc et révèlent l'âme ingénue et magnifique de nos pères ; nous goûterons, en même temps, la fraîcheur des grands ombrages, que les années ont faits plus beaux.

La longue masse du Château se détache de partout, imposante et nette, sans qu'aucune plantation d'arbres en vienne interrompre les lignes. Vers l'aile du nord seulement, de hauts feuillages les rejoignent et semblent les prolonger. Mais l'édifice est entouré d'un espace immense, où toute la décoration reste basse et comme écrasée, afin de mieux faire valoir la construction majestueuse qui le domine et permettre de n'en perdre aucun détail.

Cette décoration fut difficile à exécuter, et, bien que l'idée principale n'ait guère varié, elle nécessita des tâtonnements et des remaniements multiples, dont les estampes anciennes gardent les traces. Louis XIV en aimait la pensée, et, pour réaliser son rêve, les recherches, les essais, les destructions ne le fatiguaient point. Après avoir changé trois fois l'aspect du Parterre d'Eau, il finit par être satisfait de celui qu'achevèrent ses architectes en l'année 1684.

Mais les courtisans, ceux surtout dont l'humeur fut de médire et qui restèrent mécontents par profession, se plaignaient de la nudité de ce grand espace et de l'incommodité du soleil à tous les abords du Château.

Entre toutes les critiques plus ou moins justifiées que provoquait Versailles, celle-ci passait pour la mieux fondée, et nous rappellerons Saint-Simon dénigrant les jardins, « dont la magnificence étonne, mais dont le plus léger usage rebute ». — « On n'y est conduit, ajoutait-il, dans la fraîcheur de l'ombre que par une vaste zone torride, au bout de laquelle il n'y a plus, où que ce soit, qu'à monter et à descendre. » Avec une humeur moins amère, nous souffrons aujourd'hui des mêmes inconvénients que les sujets du Grand Roi.

Et pourtant, ces chemins de sable, qui semblent trop larges à nos pas de flâneurs, étaient alors nécessaires pour le déploiement d'une cour somptueuse. De nos jours encore, on peut s'en rendre compte lorsqu'une fête officielle ou simplement le dimanche populaire des « Grandes Eaux » amène à Versailles une foule exceptionnelle de visiteurs. En dépit du léger ennui de nos premiers pas, n'hésitons point à nous engager dans l'espace aménagé devant le Château, entre les deux bassins, et allons contenter notre impatiente curiosité en face du couchant où fuit à l'horizon la perspective du Grand Canal.

A mesure que nous avançons, le Parterre de Latone se développe devant nous. En haut des marches qui y descendent, se dévoile brusquement l'élégante fontaine qui le nomme et que les yeux ne soupçonnaient pas, puisque, des balcons même de la Galerie des Glaces, elle ne se laissait point apercevoir.

Au centre du large parterre en fer à cheval, que bordent les ifs aux formes géométriques, est le charmant bassin, peuplé de figures de bronze doré, au milieu duquel s'élève, sur un massif en pyramide, le groupe de Balthazar Marsy, Latone et ses enfants. La mère d'Apollon et de Diane, à genoux et serrant son jeune fils, implore la justice de Jupiter, et le dieu change en grenouilles d'or, autour d'elles, les paysans de Lycie, coupables de lui avoir refusé assistance. La métamorphose continue dans les deux autres bassins du Parterre.

La place centrale accordée à un tel sujet, dans la décoration de Versailles, s'explique par l'idée mythologique qu'on retrouve aux points principaux du parc.

N'oublions pas que Latone est la mère d'Apollon, et que le dieu du Soleil est le symbole, la personnification céleste de Louis XIV. Tout au fond des jardins, au milieu de la perspective qu'on embrasse de ces degrés, c'est le motif du char d'Apollon qui répond à celui de Latone, et c'est à l'extrémité du Grand Canal qu'en certains jours de la belle saison le soleil se couche dans sa gloire.

À la cour du Grand Roi, chacun savait la signification de ces symboles; les artistes s'en inspiraient pour leurs compositions ; les madrigaux et les odes y multipliaient les allusions adulatrices; et La Fontaine nous conserve le sentiment des contemporains de Louis XIV, montrant le souverain, au lieu même où nous sommes placés, lorsqu'il vient contempler, à l'heure la plus belle, les admirables horizons de son domaine :

« Là, dans des chars dorés, le Prince avec sa cour.

Va goûter la fraîcheur sur le déclin du jour ;

L'un et l'autre soleil, unique en son espèce,

Etale aux regardants sa pompe et sa richesse.

 Phébus brille à l'envi du monarque françois;

On ne sait bien souvent à qui donner sa voix:

Tous deux sont pleins d'éclat et rayonnants de gloire ! »

Ces vers ne sont pas des meilleurs du poète, mais ils n'en demeurent pas moins fort instructifs et nous rappellent, dès le début de notre promenade, la pensée ordonnatrice de Versailles. Réjouissons nos yeux quelques instants de l'étendue du spectacle, du dessin harmonieux et double du parterre, de la blancheur des vases de marbre qui meublent les terrasses et que garnit une profusion de fleurs. A nos côtés, aux extrémités du large degré, se dressent deux vases de forme colossale, dont la proportion s'accorde avec les grands espaces dominés ici par le regard. Avec leur pied de marbre qui s'élance d'un cube de pierre, avec les hardies têtes de bélier qui forment les anses, et les souples couronnes de feuillage ornant le vaisseau, on les jugerait partout des œuvres admirables ; mais, en ce lieu, leur présence est significative, car le motif central offre précisément le « Soleil » de Louis XIV, le symbole fameux interprété suivant son désir, et qui est une tête triomphale auréolée de rayons.

(Fig 1) VASE DÉCORÉ DE SOLEILS. Marbre de Drouilli, au Parterre d'Eau.

(Fig 2) VASE DE LA PAIX. Marbre de .J.B.Tubi, sculpté en 1684 pour la terrasse devant le Château.

(Fig 3) LE VASE DE LA GUERRE. Marbre de Coysevox, sculpte en 1G84, pour la terrasse devant le Château.

(Fig 4) PLAN DES ABORDS DU CHATEAU. Tiré d'un album, daté de 1747, ayant appartenu au Roi Louis XV.

(Fig 5) LE PARTERRE DU MIDI. Dessiné par Le Nôtre et réalisé en 1684 (État actuel) (Dans le fond. l'Orangerie et la Pièce d’eau des Suisses).

(Fig 6) AMOUR SUR UN SPHINX. Groupe du Parterre du Midi Bronze fondu par Duval en 1670, d'après un modèle de Jacques Sarrazin; marbre de Lerambert.

(Fig 7) AMOUR SUR UN SPHINX. Groupe du Parterre du Midi Bronze fondu par Duval en 1670, d'après un modèle de Jacques Sarrazin; marbre de. Lerambert

(Fig 8) L'ARIANE DU VATICAN. Parterre du Midi. Marbre copié par Corneille Van Clève.

(Fig 9) VUE DU PARTERRE D'EAU. Après 1690 Détail d'une peinture de Jean Cotelle (Au premier plan, les suivantes de Vénus la regardent s'élever au ciel).

 

LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.LES JARDINS DE VERSAILLES. PIERRE DE NOLHAC.
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