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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #J.PELADAN

SAR J. PELADAN

LA DÉCADENCE LATINE : ÉTHOPÉE

LE DERNIER BOURBON

II

AME DE FONCTIONNAIRE

Le fonctionnaire est-il un homme ?

— « Pourquoi ne faites-vous pas un roman sur les moeurs politiques ? vous auriez des documents humains curieux et multiples, avec cette élection monarchique. »

Ainsi, après le dîner, entre les bouffées de cigarette, Palude, préfet de Typhonia, s'adressait à Nergal.

C'était un homme correct, un peu professoral d'aspect et croyant à sa dignité.

— « Un roman politique, moi, je ne le lirais pas », s'exclama la préfète, très jolie femme, de mise élégante, blonde et élancée.

— « A la vérité, cela est trop difficile puisque personne ne l'a tenté. Le Député d'Arcis ne me réfute pas. Un collectif a une histoire, l'individu seul a un roman : il faudrait donc raconter une ambition.

Voyez les Employés, la plus terre à terre des études de Balzac : elle tient sur Rabourdin et sa femme, héros et héroïne d'honnêteté. Mais le véritable héros politique, s'il n'est pas l'agitateur le Rienzi, le chevalier — l'O'Connel —, est l'homme d'Etat.

Vous souvenez-vous de Z. Marcas, cette brève nouvelle de Balzac ? sans doute le plus grand des romanciers avait d'abord conçu un livre entier ; il n'a pu manier le sujet jusqu'au point esthétique. Le sentiment inné de l'homme, envisage comme inintéressant tout ce qui n'est pas humainement général.

Supposez Marcas amoureux, travaillant à conquérir par la politique une fiancée; voilà le roman. La politique n'est qu'un moyen, une forme véhiculante des idées les plus diverses. Chaque fois que j'ai rencontré un politicien c'est-à-dire un homme d'administration ou de gouvernement, j'ai trouvé un quelconque. Action ou geste ne prennent leur signification que du mobile. Or la politique considérée intrinsèquement s'appellera l'art ou la science du fait; et le fait en soi n'appartient qu'à la vie phénoménale.

Tel qu'on le pratique aujourd'hui le politicisme, semble jouer des intérêts personnels avec des cartes collectives, rien de plus. »

— « Vous ne connaissez pas le pays où vous êtes, cet Enclos-Rey où l'enfant confond en sa prière.

Dieu et le Roy, Henri V et le Pape, ni ces loges maçonniques où des ouvriers naïfs qui n'ont jamais lu que le journal jurent de venger Jacques de Molay.

Au-dessous de ces deux fanatismes, il y a encore l'obscur idéal de justice qui s'agite au coeur du peuple. »

— « Le peuple veut l'égalité qui est la négation de la justice. »

— « C'est sa façon de la comprendre. »

— « Dites plutôt que c'est l'hypocrisie de son espoir, il y a deux choses à différencier chez le peuple : ses besoins qui sont respectables, ses notions qui ne valent pas même le rire. Au lieu de se cantonner dans la réclamation de ses besoins, il veut l'illusion de participer au pouvoir, d'en faire partie, et les illusions de tout temps se sont payées très cher; il veut être l'Etat et il redevient le corvéable. Je gage que votre portier n'échangerait pas son bulletin de vote, son trente-six millionième de pouvoir pour plusieurs louis, — et moi j'offre tous mes droits de citoyen à qui sera assez niais pour les ramasser. »

— « Vous êtes un réfractaire intellectuel, et la société agit par enrégimentement régulier. »

— « Non, je suis un Esprit, et le peuple est une âme; esprit j'ai percé les fantasmagories sociales, et j'ai prudemment transporté ma sensibilité hors de l'atteinte des événements; j'ai mon au-delà de Religion, de Philosophie, de Magie ; sans cela, je m'élancerais comme les autres à la curée des contingences et des réalités. Or vous avez fermé toutes les baies, le peuple ne voit plus le ciel, ne sent plus les souffles bienfaisants d'aucune idéalité ; il se rabat sur les satisfactions immédiates, et comme on ne peut pas les lui donner, il se révolte, et survient le désordre inévitable, fatal. La démocratie est semblable au maire d'une ville qui dirait à ses administrés : « Citoyens, vous êtes trois mille, je n'en puis nourrir que trois cents : que les dégourdis se montrent et passent sur les autres. » Alors, ceux parvenus à s'attabler, forcés de défendre leur part contre les deux mille sept cents évincés, n'auront aucune paix ni aucune pitié; et la table sans cesse au moment d'être renversée, ne sera réconfortante pour personne. La bourgeoisie est attablée depuis un siècle, le peuple envahit la salle, et n'ayant pas assez de place, il renverse la table et même  l'édifice. La vraie question ainsi se pose : comment nommer celui qui excite et débride des appétits qu'il sait ne pouvoir satisfaire ? un inconscient ou un méchant.

Or, qui donc depuis Robespierre jusqu'à Ferry a été assez niais pour croire possible la satisfaction  de tous les appétits déchaînés? L'histoire, envisagée à perte de vue, enseigne que l'équilibre des Etats se base non pas sur une impossible répartition des biens, mais sur la renonciation volontaire d'une partie des ayants-droit; cette renonciation aux biens matériels ne s'obtient que par la culture de l'au-delà dans les âmes. Or, votre démocratie a ramené violemment le regard humain vers la terre : il la bouleversera. »

— « Considérations d'écrivain ! La France se divise en deux partis, ceux qui vivent du gouvernement et le maintiennent, ceux qui n'en vivent pas et qui l'attaquent.

Or la République étant la forme politique la plus « loterie pour tous », la plus propre à la multiplicité des emplois, est mieux appuyée que la Monarchie, donne satisfaction à un plus grand nombre et permet à n'importe qui de rêver les hauts emplois, comme avant on rêvait le Paradis. »

— « Avec cette constatation — car on ne peut pas appeler cela une théorie — quelle est votre opinion politique ? »

— « Mon traitement, mon logement, la situation prépondérante, où je suis. »

— « Votre opinion, c'est votre intérêt ? »

— « Croyez-vous que personne au monde en ait d'autre ?»

— « OElohil Ghuibor... »

— « OElohil Ghuibor n'est pas un citoyen, c'est un Saint-Bernard échoué parmi des butors, c'est un revenant du plus lointain passé : il est aux doctrines modernes identique à une armure du XIIIe siècle en face du fusil Lebel, c'est un homme de musée. Oui, on devrait le montrer et l'expliquer : « voici un cerveau du temps de Saint-Louis... » Au reste, vous ne voyez que des théories dans la politique ! vous, ne tenez jamais compte de l'administration. Vous la jugez sans aucune valeur... Oh ! je le sais; mais s'il vous fallait administrer un département, vous verriez qu'il y a là l'exercice de facultés spéciales et nécessaires, quelle que soit la nature du pouvoir central... Eh bien, la politique, c'est de l'administration centrale, et en grand, voilà tout. »

— «Vous faites de la théorie comme M. Jourdain, mais vous en faites, mon cher préfet, chaque fois que vous agissez en forme administrative. Si l'art vient à passer, vous l'appliquerez dans votre département et vous agirez comme athée et persécuteur. »

'— « Non, le persécuteur est celui qui oppose sa passion à une autre passion ; or, je suis indifférent aux événements tant qu'ils ne me lèsent pas, persuadé que l'inextricable réseau des petites causes voile toujours la vraie cause à notre esprit. Voulez-vous une définition de la politique? l'art du meilleur parti de toute circonstance publique à un but privé. »

— « Vous vous calomniez ; la politique pourrait s'appeler l'éthique collective; et raisonnant du miscrocosme au macrocosme, c'est-à-dire de l'homme à l'humanité locale et ethnique : cet art ou cette science, à votre choix, sera la meilleure panification de la vie pour le plus grand nombre. Or de même que l'homme s'élève par sa préférence des mobiles héroïques, ainsi la nation sera grande suivant qu'elle poursuivra des objectifs plus hauts. »

« Tout gouvernement s'impossibilise sans une religion d'Etat, ou pour ne pas exclure notre temps de la démonstration — sans athéisme d'Etat. Ce qui constitue un peuple, c'est sa morale, qui elle-même  se reflète dans son culte. La constitution du pays dépend de la religion comme le caractère de l'individu se subordonne à sa philosophie: peuple sans religion, peuple sans morale, partant sans moeurs,  partant sans devoirs. Le tribunal et la gendarmerie deviennent aussitôt la loi du plus fort et non du plus juste. Il n'y a alors ni bons ni méchants, mais vainqueurs et vaincus ; la civilisation s'obscurcit, une barbarie commence d'un moindre avenir que la horde d'Attila. »

— « Théocratie, alors? » s'écria Paludé.

— « Eh ! croyez-vous donc qu'il y ait jamais eu d'autre civilisation que la théocratie? Les cinq mille ans de l'histoire orientale et les dix-huit siècles qui précédèrent le nôtre prouvent que nous tournons actuellement, prétendus positivistes, le dos à l'expérience.

Ce qui permet aux Latins de se traîner, encore un peu, c'est un reste de vieilles et excellentes moeurs qui survivent, quoique affaiblies, à l'écroulement des institutions. Oh ! on a trouvé la sape invincible en son effet : l'instruction laïque et obligatoire.

On y ajoute l'usurpation de la femme aux emplois masculins c'est-à-dire l'opération de déclassement sur tout le peuple, et l'autonomie domestique de la femme. Quiconque lit peu et mal est un prochain révolté, et ces femmes qui envahissent les administrations ruineront l'équilibre antique du foyer; ce ne sera plus l'épouse, mais l'associée de l'homme. Un salut nous reste : la raréfaction des naissances. Les cours boursouflaient l'orgueil du Roi et l'appelaient Soleil; les collèges électoraux fomentent l'infatuation du peuple et le nomment souverain. Le courtisan d'aujourd'hui se prosterne devant une chambrée d'ouvriers qui exigent de pires bassesses que le monarque d'autrefois. Les contributions directes ou indirectes ne prennent-elles plus que la dîme? Quelle corvée de jadis équivaut au service militaire? Quelle loi plus féroce que celle sur le vagabondage ?

Le pauvre faisait partie de l'ancien monde, il y avait sa place; devant nos lois c'est un criminel. Seulement l'âme humaine paraît tellement faite que le poids du joug ne lui pèse plus, dès que ce joug pèse sur l'épaule générale; les Français se laisseraient couper les oreilles sans mot dire, s'ils étaient sûrs de les voir absentes des têtes concitoyennes. »

— « Vous êtes assommants l'un et l'autre, « s'écria la préfète ; » je voudrais oublier un instant que je suis femme de fonctionnaire. »

— « Ma chère, » dit l'époux, « vous l'oubliez aisément et si l'art vient à passer et à s'exécuter, je suis certain que mes agents vous trouveront dans

l'autre camp. »

— « Ce qui vous servira aux yeux des catholiques, mon cher, ne faites donc pas l'hypocrite! »

— « N'est-ce pas curieux», reprit M. Palude en s'adressant à Nergal, « que moi, sceptique endurci, je sois fils d'une paysanne de Provence, qui heureusement ne lit pas les journaux; sans quoi j'aurais quelque jour sa malédiction, tant elle est religieuse et monarchiste. »

— « Ah ! laissez votre politique ; de grâce revenons aux choses intéressantes. Si captivée que j'aie été par la course de taureaux, ces obsèques fabuleuses, dix mille personnes accompagnant à la gare le cercueil de El Cocolo l'histrion, me stupéfient, ils n'en auraient pas fait autant pour Fléchier, Sigalon... »

— « Ni pour Fabre d'Olivet qui fut de leur zone.»

— « Le Typhonien naît ennemi de toute intelligence, il grandit en haine de la beauté et de la science, et si Dante avait eu Typhonia pour Ravenne, les enfants l'eussent assommé à coups de pierre. Quand Pradier, ce sous-Praxitèle, passait en veste de velours bleu, on le huait. Il y a bien de la canaille en France; aucune plus méchante, plus féroce, plus sauvage que la canaille typhonienne. »

— « Vous avez vécu parmi eux ; si élevé à Lyon ou à Lille, vous en diriez autant des Lyonnais et des Lillois. »

« Voulez-vous ma théorie? » reprit le préfet. « Il n'y a pas de principe, il n'y a que des faits et un seul englobe toute civilisation : la régularité. Un pays n'est pas bien ou mal gouverné parce qu'il se trouve en monarchie ou en république, mais suivant qu'il est administré avec soin. Le débat des idées, des doctrines, ne concerne que le papier et l'imprimeur, du moins pour notre race et notre temps ; l'honnêteté du fonctionnaire identique, à celle du soldat, s'appelle la consigne. Le pouvoir central décrète-t-il l'expulsion des religieux, je l'exécute ; s'il décrétait un mois après leur rentrée triomphale, je l'exécuterais semblablement.

Le bras ne délibère pas, il obéit à la tête et ainsi accomplit son devoir de bras. »

— « Autant dire, » s'écria Nergal, « que l'humanité se divise en administrée et administrante d'un côté, et quelques cerveaux indépendants qui méprisent à l'écart. »

— « Ceux-là, mon cher Nergal, ne comptent pas pour leur temps ; l'avenir seul bénéficie du génie présent. »

— " Hein ? quelle âme celle du fonctionnaire, » fit la préfète en offrant une tasse de thé au romancier qui conclut :

— « Le monde latin a été décapité par l'égalitarisme, et la France n'est plus que poumons et ventre, sans tête. »

LE DERNIER BOURBON. J.PELADAN
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