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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

archeologie chretienne

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L’ICONOGRAPHIE DU CŒUR DE JÉSUS

LA PLAIE LATÉRALE DE JÉSUS-CHRIST ET LES ARBRES EMBLÉMATIQUES.

Les arbres et leur symbolisme ont joué des rôles trop fréquents et trop importants dans les Livres de l'Ancien Testament pour que, dès la naissance de l'art chrétien, la jeune église n'ait pas, à son tour, avidement cherché, et amplement trouvé, dans les heureuses propriétés des arbres, les éléments de comparaisons, d'analogies, et des motifs anagogiques que, par ailleurs, les trois règnes animal, végétal et minéral lui ont fourni si abondamment.

« L'Arbre de la Science du Bien et du Mal» apparaît maintes fois dans l'art des catacombes, sur les fresques, les sarcophages, les fonds des vases et des coupes, les pierres fines gravées, etc… ; et dans nos églises occidentales des temps mérovingiens par exemple à Vertou, (diocèse de Nantes), à Pouillé (diocèse de Poitiers) il ornait, entre Adam et Eve coupables, les briques ornementales et des panneaux de pierre sculptés. «L'Arbre de Vie » du Paradis terrestre figura la Personne de Jésus-Christ dans tout l'ancien art chrétien, et fut, à ce titre, en grande faveur chez les artistes graveurs de sceaux mystiques, du XIIe siècle au XVe. « La Tige de Jessé », dont les sculpteurs et surtout les peintres verriers ont peuplé nos cathédrales, leur fut une source d'amples compositions.

Parmi ceux qui doivent leur caractère emblématique à la seule initiative chrétienne apparaissent tout d'abord les arbres dont parlent les Évangiles : le Figuier stérile ; la Vigne, dont le Christ est le cep et nous les sarments ; l’Olivier, qui devint un des emblèmes personnels de Jésus ; puis le Chêne, le Palmier, le Cèdre et le Grenadier etc.

Et pourtant la nature avec toutes ses richesses, parut trop pauvre à la pensée chrétienne du Moyen-âge pour figurer, comme il lui convenait, toutes les admirations et tous le enthousiasmes de son amour pour le Christ Jésus ; alors l'emblématique inventa des arbres fictifs, tant elle avait la sainte hantise de les représenter mystérieusement, par une plus grande somme d'hiéroglyphes ; de là l’Arbre Paradision, dans -le feuillage duquel les colombes fidèles trouvent un asile assuré, et l'Arbre des Vifs et des Morts, dont le Christ est le tronc, nous, les rameaux greffés, et nos œuvres, les fruits ; -et ces fruits apparaissent sous la forme de petites têtes d'enfants ; les unes, celles de droite, vivent et reposent ; les autres, celles de gauche, sont mortes et décharnées, parce que les premières, écloses et mûries à la lumière du soleil divin, sont les œuvres de vie ; et les secondes, qui sont nos œuvres de mort, sont nées dans l'ombre froide et sous lèvent de l'aquilon. Ainsi cet arbre nous apparait-il dans une superbe sculpture d'art ogival, à Trêves.

Avant même de parler de ces arbres imaginaires. J'aurais dû placer l'Arbre, pris en général et sans désignation d'espèce, que les premiers docteurs chrétiens ont accueilli avec son sens antique d'emblème de résurrection et dont les artistes des- catacombes ont fait, à cause de la chute et du renouvellement, annuels de son feuillage, l'image de Jésus ressuscité, principe et gage delà-future résurrection de nos corps[1]. L'Acacia cependant, plus que les autres arbres, à feuilles caduques, semble avoir ainsi représenté l’idée de résurrection dans les anciens paganismes, et le Christ ressuscité dans les églises primitives d'Orient et d'Égypte ; c'est du reste le caractère qui lui a été conservé en Occident par les sociétés hermétiques du Moyen-âge et par la Maçonnerie actuelle, leur héritière, dégénérée.

Dans l'ex-Iibris. hermétique ci-contre, l'Acacia, figure du Christ-ressuscité, a trois maîtresses racines, et trois maîtresses branches, parce que le Rédempteur est ressuscité au bout de trois jours. Il porte le Pélican gaucher qui ressuscite ses petits par l'ablution de son sang et qu'entoure le serpent-cercle, « l'ouroboros », emblème delà perpétuité du temps, de l'Impérissable ; ce que dit aussi le Sigle de «Sol et Luna », symbole consacré de glorification et d'éternité: Celui qui est ressuscité ne meurt plus.

Mais qu'il apparaisse ainsi en ressuscité, en ferment de résurrection, sous les formes du palmier, de l'acacia ou des arbres à feuilles caduques ; avec l'olivier, comme source d'onctueuse douceur et d'utile remède ; avec le chêne comme principe de robustesse; qu'il soit le cèdre et le grenadier prolifiques, qu'il soit les arbres protecteurs cités plus haut, qu'il soit l'arbre de Vie, sur lequel saint Paul veut que tout chrétien soit enté[2], qu'il soit le Rejeton de David issu de la Tige de Jessé, tout cela est bien, et notre esprit doit tout à la fois l'adorer sous le voile de ces figures et admirer l'ingéniosité de nos premiers symbolistes.

Cependant, tous les sens ainsi interprétés s'écartent du cadre des études habituelles et du programme de Regnabit. Il faut en venir à la seconde partie du Moyen-âge – et chercher dans les réserves les moins connues, je crois, de l'emblématique chrétienne pour arriver, à découvrir les heureuses allégories qu'un même amour a dédiées au Sauveur, et qui nous replacent sur notre habituel terrain.

Déjà, parmi les arbres emblématiques précédemment nommés, s'il en est, tels la Tige de Jessé, l'Arbre de Vie, l'olivier, le palmier, les arbres à feuilles caduques, qui reviennent souvent sous la plume des anciens auteurs chrétiens, il en est d'autres aussi, comme le chêne, le grenadier, l'arbre des Vifs et des Morts, dont ils ne parlent que très peu, ou point ; les sens cachés de ces végétaux superbes ne sont apparus aux iconographes que par étude comparée des monuments sculptés ou peints qui les portent.

De même, l'interprétation propre aux arbres dont il reste à parler ici n'a point occupé, ou presque pas, la littérature écrite d'autrefois, mais leurs emplois divers dans les arts religieux ou profanes, notamment dans le Blason, dans la sigillographie mystique, dans les figures ésotériques du Moyen-âge, ne laissent aucun doute possible sur les intentions qui les ont fait entrer dans l'emblématique.

Ex-libris hermétique du XVIIIe siècle  provenant de Poitiers.

Durant le premier millénaire chrétien, l'Orient qui connut ces arbres, les utilisa et prisa fort leurs produits, ne paraît pas avoir eu pour eux l'admiration que leur accorda plus tard l'âme des mystiques d'Occident. Combien parmi les Croisés ou tes pèlerins n'avaient jamais vu avant de prendre la route de Palestine, ni olives, ni grenades, ni dattes, ni les oranges dans lesquelles les clercs virent de suite les pommes d'or du Jardin des Hespérides ?... Ce fut un émerveillement pour eux, dont ils rapportèrent en nos pays d'Ouest l'expressif et naïf écho. Et quand, plus tard, des hardis voyageurs découvrirent à leur tour les arbres producteurs d'essences précieuses, ce fut alors que les pensées s'élevèrent, reconnaissantes, vers le Christ béni dont elles virent l'image et celles de ses plus inestimables dons, dans ces arbres merveilleux ; et l'imagination et la naïve crédulité du temps aidant, des arbres en tous points imaginaires naquirent encore, qu'aucun naturaliste n'a jamais connus. Par exemple Les Pommiers de l'Ancien et du nouvel Adam, que décrit le récit de John Mandeville, dont le premier porte des fruits où se voient les morsures coupables d'Adam et d'Eve, et le second des fruits nommés « pommes de Paradis » qui présentent, quand ont les coupe, de multiples images de la croix du Sauveur ; d'autres, enfin, qui contiennent de petits quadrupèdes semblables à des agneaux ! etc..

En 1268, parut en français la relation des voyages en Extrême Orient et en Égypte de l'Italien Marco Polo; puis, en 1307, celle de cet extraordinaire frère Jehan Hayton, moine arménien, ancien prince de Gorikos, en Cilicie, et de race royale, qui, après avoir exploré l'Inde et la Chine vint les décrire en un paisible monastère de Poitiers où il mourut ; après lui, le frère mineur italien Odric de Pardenone, et surtout sir John Mandeville, gentilhomme anglo-normand qui visita l'Égypte, la Syrie et l'Asie Centrale, et, vers 1360, écrivit un ouvrage sur ses différents voyages. A la fin du XIVe siècle, ces divers récits furent réunis par Flamel, sous le titre de Livre des Merveilles, et ornés de miniatures, pour la bibliothèque du duc Jehan de Berry ; ils avaient eu, les uns et les autres, grand succès à mesure qu'on les avait copiés et répandus, et l'art emblématique vit, par eux, s'enrichir ou se renforcer son ensemble de figures animales ou végétales, notamment en ce qui concernent les arbres suivants :

L'Arbre à encens produit une résine odorante qui répand par te moyen de sa combustion, un parfum pénétrant et d'une excellence telle, que toutes les religions anciennes l'ont fait brûler en des cassolettes précieuses, et tel, aussi, était le prix qu'on attachait à sa qualité, qui variait selon sa provenance, Les Arbres emblématiques que, vers l'an 1500 avant notre ère ; la reine régnante d'Égypte, Hatshopsitou, envoyait te long de la côte orientale d'Afrique une flotte vers le pays du « Pount », laquelle lui rapporta trente et un arbres à encens qui furent plantés en espalier dans le jardin royal de Thèbes, le «Jardin d'Amon»; et sans doute procuraient-ils un encens très supérieur à ceux, si' renommés pourtant, de l'Arabie et de l'Éthiopie, car la reine fit reproduire leur image par des sculptures, qui nous sont restées[3].

L'arbre à encens est une burcéracée, (le Boswellia serrata), et la résine odorante sort des blessures qu'on lui fait. Ainsi vient l'encens qui fut toujours l'emblème des prières faites à Dieu : le livre de l'Apocalypse[4]  ne dit-il pas que c'est dans les volutes de sa fumée que les prières des saints montent vers le Trône Éternel ?... Que cet arbre blessé est donc un merveilleux emblème !... » le tronc de l'arbre, dirent les mystiques, c'est le

Sauveur, le Médiateur divin ; l'encens, nos prières qui tirent de ses plaies sacrées leur puissance efficace, c'est-à-dire qui s’imprègnent de la «bonne odeur de Jésus Christ » grâce à laquelle elles sont agréées du Père.

Ici vient le souvenir de ce qu'écrivit Jérémie dans la Fin des Paroles de Baruck quand, comparant, au contraire, les arbres à encens non point au Rédempteur, mais aux justes qui prient, il nous montre Baruch, prononçant cette acclamation : « Saint, saint, saint est l'encens des Arbres qui vivent : »

Les Pins, et notamment le Pin d’Alep, fournirent un autre emblème : la résine vulgaire qui est leur sève, leur sang, découle aussi du coup qui blessa leur flanc, et de cette résine sortira la lumière. Comment aux yeux de ceux qui voyaient l'image du Christ en tout, cet arbre n'aurait-il pas représenté Celui qui a dit : « Je suis la Lumière du monde qui éclaire tout homme vivant ici-bas » ? Et que peut-il signifier de plus vraisemblable sur les sceaux ecclésiastiques et mystiques, par exemple, sur celui du clerc Barthélémy Lubin, XIIIe siècle ? Le rameau de pin y figure une croix végétale ornée de deux fruits en cône, qui précisent l'espèce d'arbre à laquelle il appartient.

Mais voilà que la voix de Jérémie s'élève encore :

« N'y a-t-il plus de gomme et de résine en Galaad? Ne s'y trouve-t-il plus de médecin ? Pourquoi la fille de mon peuple n'est-elle pas guérie et pourquoi sa blessure n'est-elle pas cicatrisée ? » (Ch. VIII, v. 22).

Et plus tard :

Montez en Galaad et prenez de la résine, o Vierge, fille de l'Égypte ; mais vainement vous multiplierez les remèdes : Vous ne guérirez point!» (Ch. XLVI, V. 11).

« Sceau de Barthélémy Lubin clerc », XIIIe siècle. Provenance : Dreux, au diocèse de Chartres. Empreinte appartenant à M. l'abbé Courtaud.

De quelles gommes ou de quelles résines[5] peut-il s'agir ici ?

Plusieurs arbres du bassin oriental de la Méditerranée peuvent satisfaire à cette demande : le Mélèze et le Térébinthe, dont la sève coagulée fournit la térébentine, et le Lentisque, petit arbre qui produit une résine usitée en médecine comme tonique et fortifiant.

- Il faut aussi nommer les Acacias-gommiers d'Égypte et d'Arabie, qui donnent la gomme nilotique et la gomme arabique; le Palmier-Dragon, d'où coule une autre gomme médicinale, le Sang-dragon ; le Santal rouge des Indes, qui produit une substance analogue au sang-dragon; enfin l’Arbre à baume[6], (2) térébinthacée d'où découle la Myrrhe, résine précieuse employée  de tous temps dans la thérapeutique, et que l'on utilise aussi parfois à la place de l'encens, bien que son parfum soit différent ;

Ce furent, avec l'or, ces deux aromates que les Mages offrirent au Roi nouveau-né.

Et tous ces remèdes qu'employa comme nous la Médecine ancienne de l'Orient, toutes ces gommes, ces résines éclairantes ou guérissantes, ces aromates et ces précieux parfums, mûris et flambés aux soleils éblouissants, de l'Équateur et de l'Éthiopie au Liban, de la Lybie au fond de la Babylonie, que tes Prêtres et tes Mages de Ninive, de Tyr, de Babylone, de Palmyre et de Jérusalem, que les hiérodules et les embaumeurs de Thèbes, de Memphis, et d'Héliopolis recherchèrent avidement, tous ces produits merveilleux coulent de l'incision que le fer fait au côté de la tige de ces arbres bénis... Aussi la symbolique du Moyen-âge prit-elle l'homme dans la pauvre misère de sa chair souffrante pour te prosterner devant le côté ouvert du Christ, le faisant remonter par ce chemin jusqu'à son Coeur, source de ses compatissantes bontés et de son Sang précieux: tes gommes efficaces ne sont-elles pas aussi, le sang de l'arbre coagulé au bord de la blessure, et leurs vertus n'ont-elles leur source première sous l'écorce visible ? Cent ans après la composition du Livre des Merveilles, on inhumait, en la chapelle du collège royal de Cambridge le chanoine prévôt Richard Hacuinblen, et, sur la dalle qui recouvrit son corps, on grava l'écusson aux Cinq-Plaies du Sauveur avec cette inscription :

Vulnera Christe tua michi dulci sint medicina!

«Tes plaies, ô Christ ! sont mon plus doux remède![7]»

Sources guérissantes pour les âmes, comme les blessures salutaires des arbres le sont pour les corps, les Plaies sacrées sont des trésors, pour la louange desquels l'emblématique médiévale ne recula devant l'acceptation d'aucune exagération, si naïve qu'elle put être ; comme l'abeille qui butine sur toutes fleurs sucrées, elle trouva son compte dans les plus étranges fictions des récits « d'oultremer ».

Que le Christ Jésus fut foyer de lumière rayonnante, qu'il fut la panacée universelle de maux de l'âme et te Médecin qui peut tout pour la santé des corps, c'était bien ; mais, quand, aux derniers siècles du Moyen-âge, tes mystiques apprirent et crurent, sur parole, que des arbres donnaient des produits encore plus précieux, si possible, ils furent dans le ravissement.

Or, voici ce qu'ils lisaient dans le livre du bon sir John Mandeville :

« Par la mer, on peut aller au royaume de Thalumape ou Thélomasse, qu'on appelle aussi Patham, et ce royaume contient bon nombre de .villes. Il y a dans cette île quatre sortes d'arbres dont l'une produit de la farine pour faire le pain, la seconde le miel, la troisième te vin, et la quatrième un dangereux poison. Voici comment ils tirent la farine de l'Arbre à pain : A certaine époque ils font une incision au tronc de l'arbre, alors, il sort une sève très épaisse qui, étant solidifiée par la chaleur est ensuite broyée et donne de la farine blanche et délicieuse ; le pain qu'on en fait n'a pas le goût du nôtre, mais il est cependant très bon. On opère de même sur l’Arbre à vin, et sur l’Arbre à huile ».

Le livre enluminé de Flamel, pour le duc de Berry, nous montre naïvement les heureux habitants de ces contrées tirant du vin de ces arbres, comme au trou de foret d'une barrique qu'il suffit de reboucher après usage, pour empêcher la perte du liquide !

L'« Arbre à pain », dont parle Mandeville, serait-il une variété de Jaquier (artocarpi) dont la meilleure, celte du jaquier à feuilles découpées, croit en Océanie ? Mandeville, qui parle de Java, et surtout Jean Hayton, l'ont pu connaître, au moins par oui-dire ; la saveur de son fruit, dont l'intérieur ressemble à de la mie de pain est assez peu différente de celle du pain de froment, avec, paraît-il, un léger goût de fond d'artichaut.

La sève de certains arbres, mélangée à de l'eau, en fait une agréable boisson, et l’« Arbre à vin » de Mandeville doit être de cette famille. Quant à « l'Arbre à huile » son nom est applicable à plusieurs variétés de palmiers qui donnent des substances grasses et oléagineuses que nous employons encore sous le nom d'huiles de palme.

« L'arbre à Miel » doit-être, en réalité, un de ces palmiers gommiers dont la sève, solidifiée sur le tronc, est toujours molle  aux lèvres de la blessure ; elle produit quand on la met en vase avec un liquide, une sorte de « gelée » analogue comme consistance, et peut-être comme couleur, au miel. Sur le sceau du moine frère Jean Béraud, deux oiseaux, image des âmes, becquètent le tronc du palmier mystique.

Quant à l'Arbre empoisonneur, il est bien connu ; c'est l'« Upas » dont la sève, très vénéneuse, contient de la strychnine,  et servait, —. si tant est qu'elle n'y sert point encore— en Cochinchine méridionale, à Sumatra et à Bornéo pour empoisonner les armes. Naturellement, cet arbre-là fut « l'arbre de Satan», l'image de l'Anti-Christ qui prend, pour perdre, la même aspect que prend le Rédempteur pour sauver.

Les indigènes du pays de Paiham recueillant le jus des « arbres à vin ». Partie d'une miniature du « Livre ; des Merveilles. »—Fin du XIV siècle.

Sera-t-on surpris que dans la paix méditative des cloîtres, où l'on écoutait avidement tes interminables récits des pèlerins et des Croisés, où, plus tard, on lisait les écrits de Marco Polo, des moines Hayton et Odric de Pardemone, et de Mandeville enfin, on se voit épris d'enthousiasme devant des arbres qui prêtaient à un aussi merveilleux symbolisme ? Des arbres qui donnaient gratuitement à l'homme par la blessure de leur flanc, le Miel dont l'Écriture a chanté la vertu, l'Huile dont l'église sacre le front de ses Pontifes et des souverains, le front des nouveaux-nés et celui de ceux qui vont mourir ; la Farine et le Vin qui sont la vie de l'homme, et sa joie, le Pain et le Vin, qui deviennent, de par sa puissance et son Amour, le Corps et le Sang du Christ.

Comment les yeux de ces mystiques n'auraient-ils pas reconnu, en eux, l'image de cet Homme-Dieu qu'ils cherchaient partout, de « l'Auteur de tous dons parfaits » qui donne à l'homme par la blessure de son côté ouvert, et dans un jet de son Coeur, le miel et l'huile de sa doctrine, le pain et le vin de son Eucharistie.

Comprend-on maintenant toute la chaude poésie qui se lève, toute la pénétrante ferveur qui émane de cette emblématique des arbres où surgissent de prestigieuses et multiples évocations du Christ adoré, des images merveilleusement évocatrices, nées et faites de tout ce que la terre fabuleuse de l'Orient produit en réalité de plus utile, de plus délicieux, de plus éminemment précieux ; de cette emblématique où se mêlent, dans une symphonie splendide de glorification et de reconnaissance, et le pain et le vin merveilleux, l'huile et tes sucs efficaces et le miel et tes gommes guérissantes, et tes résines odorantes et lumineuses, et les parfums, entre tous parfaits, du baume, de la myrrhe et de l'encens !

Sceau de Fr. Jehan Beraud. — Musée des Antiquaires de l'Ouest à Poitiers.

Et, pour conclure, que l'on soit bien persuadé, quand, dans un motif décoratif ou sur le champ d'un blason, ou bien au centre d'un sceau ancien, apparaissent des arbres isolés[8], que, sous leur écorce et dans l'ombre de leur feuillage c'est, le plus souvent, le Seigneur Jésus-Christ qui se cache, et, avec Lui, toute la munificence de ses divines générosités.

Loudun (Vienne) L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] C'est ainsi que l'arbre apparaît, entre l'Alpha et l'Oméga sacrés sur l'épitaphe de Rufina, IVe siècle. Cf. Dict d'arch. chrét de Doms Cabrol et Leclerc'q. T I, vol 2. Col 2697. [2] Epitre aux Romains VI, 5. [3] Cf. Maspero : Hist. T u, p. 253 3t Alex Moret : Rois et dieux (l'Egypte, p. 8-9 PI. II gr. 2. [4] Ch. VIII, v. 3-4. [5] Ces deux noms sont pris souvent comme synonymes. Cependant en réalité les gommes sont solubles dans l'eau et les résines seulement dans les essences distillées : alcool, éther, etc. [6] C'est le Balsamodendron Myrrha, qui n'est pas à confondre avec le Baumier d'Amérique. [7] Cf. Les sources du Sauveur, in Regnabit, août 1923, p. 206. [8] Je ne parle pas ici, bien entendu, des cas où les arbres sont des « armes parlantes—», c'est-à-dire figurent un nom de personne ; par exemple un pin pour Dupin, un poirier pour un Poirier, un chêne pour un Chesneau etc.. Ce sont là des jeux de mots qui appartiennent plus au rébus qu'à la véritable emblématique.

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Publié le par Rhonan de Bar
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L'ICONOGRAPHIE DU CŒUR DE JÉSUS ET DES CINQ PLAIES.

LES SOURCES DU SAUVEUR

Deux choses, plus que toutes autres paraissent avoir frappé les regards et l'esprit des premiers hommes dans le spectacle du monde physique : le soleil et les sources, les sources surtout ; et le soleil n'occupa si fortement leur constante pensée que parce qu'il est lui-même la source double et splendide de deux des éléments essentiellement nécessaires aux vies terrestres : la chaleur et la lumière.

En tous pays Je pauvre sauvage qui, dans le formidable lointain des âges connut la jeunesse du monde, rechercha le voisinage heureux des sources d'où l'eau s'échappe encore toute pure, pour y établir les premiers foyers humains. Dans sa reconnaissance pour le bienfait qui lui venait d'elles, sa féconde imagination de grand enfant les peupla de génies mystérieux, et souvent leur attribua gratuitement les qualités les plus merveilleuses, comme s'il eut été impossible qu'elles ne les eussent pas toutes ! et sa main jeta en naïf hommage dans les fontaines où s'épanchait la pureté de leurs ondes, des objets divers qui lui étaient précieux.

Le demi-civilisé de nos tribus gauloises et le Gallo-romain continuèrent aux sources, à leurs divinités imaginaires, la pratique des offrandes de gratitude, et quand le Christianisme organisa dans l'Occident le culte nouveau, presque partout il consacra à des saints choisis, souvent locaux, les sources les plus renommées.

Aussi, quoi de plus naturel que de voir, dès l'époque des Catacombes romaines, les premiers artistes chrétiens symboliser sous la figure de sources généreuses le don secourable que Dieu fait à l'homme de ses diverses grâces ?

Regardez, des peintures couvrent les parois de ces salles souterraines où les restes glorieux des Martyrs ont été déposés dans la paix du Christ. Partout l'artiste y a multiplié les images de repos, de sérénité, de bonheur éternels : à l'ombre des palmiers un pasteur garde son troupeau dans un vallon fleuri ; des poissons nagent dans les eaux paisibles ; des enfants ailés cueillent des lis ; des orantes prient, les yeux et les bras levés ; des colombes, des paons, des phénix, des papillons légers volent ou se tiennent au milieu des feuillages et des fleurs, pendant que, très en place Les sources du Sauveur d'honneur, debout sur une roche ou sur un tertre gazonné, L'AGNEAU se tient debout, la tête glorieuse.

A ses pieds, du tertre qui le porte, quatre sources jaillissent et forment quatre fleuves sur lesquels des cerfs se penchent pour boire à longs traits.

L'Agneau c'est le Christ, sauveur du monde; les fleuves qui sourdent à ses pieds c'est la grâce de vie éternelle qu'il répand par les quatre Évangiles sur les quatre parties, alors seules connues, du monde racheté ; et les cerfs sont les âmes fidèles qui réalisent ce que David avait dit de lui-même : « Mon âme vous désire, ô Dieu, comme les cerfs assoiffés désirent l'eau des fontaines[1] ».

Ailleurs, autour du monticule d'où découlent les fleuves, ce sont des saints qui tendent vers l'Agneau leurs mains suppliantes, comme dans la crypte des SS. Marcellin et Pierre. Au VIe siècle, ainsi qu'il est représenté sur la grande mosaïque de la basilique des SS. Côme et Damien. C'est toute l'Église, semble-t-il, sous le symbole de douze agneaux, qui marche vers les quatre sources du rocher où s'érige l'Agneau divin.

Dans les Gaules aussi, et dans le même, temps, le symbole des sources mystiques fut en faveur. Je n'en donnerai comme exemple qu'une fort belle pierre fine gravée, de la riche collection de M. le comte Raoul de Rochebrune, un lapis-lazuli sur le bleu vif duquel l'artiste a figuré non pas l'Agneau, mais le Monogramme du Christ —le X et le P superposés— planté sur le monticule comme un drapeau triomphal. Dans la vasque d'où s'échappent les fleuves régénérateurs deux cerfs se désaltèrent avidement. Puis le thème se complète par une conclusion : parce que c'est aux sources divines et non point aux sources pernicieuses, que les cerfs s'adressent, une couronne glorieuse leur est préparée au ciel et des colombes la tiennent au-dessus de leurs têtes.

Cette superbe intaille, qui fut dans la collection Parenteau avant d'entrer dans celle de M. de Rochebrune, fut trouvée, selon toutes vraisemblances, sur les frontières méridionales des Deux-Sèvres et de la Vendée. Elle paraît attribuable au Ve siècle. Parfois, vers la même époque, ce sont un cerf et sa biche qui boivent ensemble le présent divin sous le regard de l'Agneau-Sauveur ; jamais peut-être l'iconographie n'a conçu de la vie conjugale chrétienne un plus discret, un plus digne, un plus gracieux emblème, un programme plus parfait aussi[2].

Intaille sur lapis-lazuli. Ve Siècle. Collection du Comte  de Rochebrune.

Plus tard, deux autres sources mystiques apparaissent dans le champ de l'art iconographique : De l'Agneau lui-même, frappé au coeur, un large jet de sang jaillit dans la coupe du calice posé à ses pieds; c'est la source emblématique de l'Eucharistie.

Et, dressé sur le bord de son nid, au-dessus de sa couvée qu'il purifie et ressuscite ainsi, le Pélican verse, lui aussi, le sang de sa poitrine ; là, ce n'est plus la source du don eucharistique, mais celle de la grâce purificatrice et rédemptrice.

Avec ce même sens de purification obtenue par la vertu delà plaie latérale de Jésus, le symbole du vase de terre se présente à nous "comme une image moins frappante et d'une signification plus cachée.

Dans les belles pages consacrées au Sermon de saint Bonaventure sur les bienfaits du Coeur de Jésus[3], Dom Séjouné nous a déjà parlé de cet emblème de la fiole carrée de terre cuite pourvue d'une ouverture sur le côté, dont la Glose nous dit qu'elle est l'image du Corps du Seigneur, fait de l'humanie argile, et qui, par l'ouverture de son côté, nous a versé la Vie.

Que des vases matériels de terre aient été Vraiment modelés jadis, en accord avec le texte de la Glose, dans les nombreuses abbayes médiévales où les moines faisaient oeuvre de potiers et plus encore d'artistes céramistes, ce me paraît bien vraisemblable.

Très rares sans doute sont ceux qui sont parvenus jusqu'à nous et je n'ai point encore que l'avantage désiré d'en rencontrer.

La plaie latérale de Jésus avec, cette fois, le sens de source eucharistique apparaît plus nettement dans la seconde partie du Moyen-âge, bien que figurée parfois isolément du Corps du Seigneur.

C'est ainsi que dans une miniature des- Heures de Caillaut et Martineau, peinte au XVe siècle[4], et sur laquelle, à côté du Crucifié qu'entourent les Instruments de sa Passion, la plaie de son côté est figurée à part, dans l'ouverture même d'un large calice. Et le même caractère d'emblème eucharistique (en même temps que la qualité d'armes parlantes et personnelles) doit être reconnue aussi à l'image héraldique de la même plaie sacrée du «costé» de Jésus représentée en forme de croissant sur le sceau de Jehan Coste, XVe siècle, au-dessus du calice en lequel tombe le sang qui s'en échappe.

Plaque de gant liturgique, XIIIe siècle Collection Jean Martin, de Lyon. 1902

Le Pélican sur une faïence d'Oiron. XVI' siècle.

Ces deux compositions, ne paraissent-elles pas inspirées par cet incomparable poème du Saint-Graal qui à lui seul jetât sur le monde chrétien, à la fin du règne exclusif de la beauté chrétienne dans l'art, mille fois plus de poésie que toute la horde des vieilles fictions païennes que la Renaissance eût le néfaste effet de faire pénétrer jusque dans l'art religieux de France ?

Sources aussi de régénération, les plaies divines alimentèrent également, pour la piété médiévale les « Pressoirs divins » et les impressionnantes « Fontaines de vie» où les hommes souillés se délivrent des macules mortelles du péché.

Jamais autant qu'aux trois derniers siècles du Moyen-âge, le Monde chrétien ne s'est prosterné avec plus de véhémente piété et de confiante espérance devant le sang du côté et des quatre membres de Jésus. Que voilà donc cinq sources merveilleuses, génératrices inépuisables de grâces les plus précieuses et des vertus les plus désirables ! Et les mystiques d'alors de demander à chacune d'elles un de ces dons salutaires.

Déjà nous avons dit ailleurs[5] comment, dès le XIe siècle, saint Bernard, en son Sermon pour la Nativité du Seigneur, a montré dans les plaies des membres divins les sources de « Miséricorde et de Sagesse, de Grâce et de Zèle et dans la plaie du côté sacré la source même de la Vie. D'autre part, en l'un des derniers fascicules de Regnabit[6], le R. P. Anizan nous a magnifiquement expliqué, dans une précieuse étude d'ensemble, comment les théologiens et les mystiques, depuis le XIe siècle jusqu'à nous ont compris et défini le don de vie qui flue, pour les âmes, du Coeur et du côté béants de Jésus transpercé. Voyons comment cette source du Coeur Sacré et les quatre autres qui n'en sont, pour ainsi dire que des dérivés, puisque le sang rédempteur qu'elles déversent vient de Lui, comment, dis-je, ces sources ont été figurées dans les créations artistiques de nos vieux imagiers.

Au XVe siècle l'art s'inspire plus vivement que jamais du thème des sources mystiques ; il ne le montre plus seulement par des lignes et des couleurs, il le fait crier par des paroles qui portent la pensée à sa plénitude d'expression et de précision.

Par exemple : sur un vitrail du XVe siècle, en la sacristie de l'ancienne église catholique de Sidmouth (Devonshire), devenue depuis le XVIe siècle temple réformé, un blason splendide porte les cinq-plaies de Jésus, désignées comme sources des biens spirituels.

Elles y apparaissent comme cinq blessures de pourpre oblongues, sommées de couronnes d'or, et dont le sang s'échappe en abondance.

Les Sources du Sauveur " sur l'écusson aux Cinq-Plaies de Sidmouth Church (Devonshire) - Angleterre. (XV* siècle)

Au-dessus de la plaie qui correspond à la main droite du Crucifié une inscription en cursive gothique nous dit : WEL OF WISDOM, « source de Sagesse » ; pour la plaie de la main gauche : WEL OF MERCY, « source de Miséricorde » ; pour la plaie du pied droit : WEL OF GRACE, «source de Grâce »; pour la plaie du pied gauche : WEL OF GODLY CONFORT « source du Réconfort spirituel ; et la plaie du côté, qui verse directement le sang du Coeur, est ainsi désignée: WEL OF EVERLASTING LIFE «source de l'éternelle Vie ».

Que l'on traduise le mot wel, well, par source, fontaine, ou puits, l'idée reste la même.

— Autour de Jésus crucifié, sur une miniature du XVe siècle aussi, et d'origine probablement bourguignonne ou flamande, des phylactères[7], dont j'ai noté jadis les inscriptions, reconnaissent aux plaies sacrées des dons semblables :

Pour la main droite : Source de Justice.

Pour la main gauche : Source de Sagesse. - .

Pour les deux pieds, cloués l'un sur l'autre : Sources de Force et de Prudence.

Et, pour le côté saignant: Source de Vie et de Miséricorde.

L'inspiration de demander la miséricorde en même temps que la vie à la plaie du Coeur — qui, s'il est le centre de la vie l'est aussi de la bonté— ne semble-t-elle pas très raisonnée, très logique ? la miséricorde de Dieu n'est-elle pas pour nos âmes le complément nécessaire, indispensable du don de vie spirituelle, faute duquel cette vie ne saurait résister aux mortelles atteintes de nos trop fréquentes culpabilités ?

Ces vieux artistes mystiques connaissaient les âmes comme nos anatomistes les corps!

— Si les divines blessures sont des sources d'où découle pour l'âme la vie et aussi les vertus qui, étymologiquement, sont ses «forces », elles sont également les sources des remèdes efficaces à ses débilités, à ses maladies les plus dangereuses.

C'est ce que nous affirme, comme une voix d'outre-tombe l'image de Robert Hacumblen gravée sur la lame de cuivre qui recouvre ses restes en la chapelle du Kings-Collège, à Cambridge, dont il fut le Prévôt, de 1509 à 1528. De ses mains jointes sur le camail canonial papelonné de plumes de cygne, un long phylactère se déroule vers l'image emblématique des Cinq Plaies, gravée sur blason dans le bronze ; et sur la souple banderole, qu'un souffle semble faire onduler on lit ces mots en lettres gothiques :

Tes plaies, ô Christ, sont mon plus doux remède [8].

— Mais comme si, à ses yeux, les Cinq Plaies n'étaient pas à proprement parler cinq sources distinctes, mais cinq ruisseaux alimentés par une même source commune et plus profonde, voilà qu'un autre artiste anglais sculptant, au début du XVIe s., la chaire de l'église de Camboure (Cornwall) y dit bien que les Cinq Plaies sont les fontaines de Piété et de Réconfort de Grâce et de Miséricorde, et, pour la plaie latérale, de Vie éternelle, mais s'il les a bien figurées toutes cinq sur le blason qui les porte, une seule y répand son flot, et réunit ainsi les dons de toutes.

Les Cinq Plaies, " sources de remèdes spirituels sur le cuivre funéraire de Robert Hacumblen, en  la chapelle de Kings-College à Cambridge (Angleterre). 1/2 grandeur. — (XVe siècle.)

Celle-là, ce n'est point la simple ouverture faite dans la chair par la lance, c'est l'image même du Coeur vulnéré et qui, entre les mains et les pieds percés saigne dans la coupe  ouverte du calice, comme l'Agneau « acoré » sur l'emblème plus ancien; image splendide du don eucharistique en lequel l'âme trouve tout ensemble les dons spirituels les plus précieux et le donateur le plus munificent qui puisse être.

Un peu plus tard, en 1549, — toujours en Angleterre — quand les régions de Devon, de Norfolk et d'Yorck s'insurgèrent en faveur de la foi catholique, comme plus tard, en France, les Vendéens se soulèveront contre la Convention, les insurgés prirent, comme signe de ralliement, un blason, semblable à celui de Comboure : entre les mains et les pieds percés, le Sacré-Cœur saignant dans le calice.

Pour revenir aux sources spirituelles, aux sources du Sauveur, notons comment depuis saint Bernard, au XIe siècle, jusqu'au XVIe le thème des plaies sacrées en tant que fontaines généreuses des grâces divines n'a pas changé. Relativement à la plaie du Coeur surtout il est resté invariablement le même : pour les artistes comme pour les théologiens et les mystiques c'est la source de Vie éternelle, «Wel of everlasting life ».

Tant que les artistes maintinrent les représentations symboliques des Saintes Plaies, en tant que sources ou fontaines mystiques, dans le domaine artistique des Crucifixions ou dans celui du blason, ce thème reçut, du premier de ces domaines un cachet de sainteté et du second, un caractère de noblesse qui lui gardèrent la dignité d'aspect convenable à la haute pensée qu'il interprétait. Mais, quand, après la Renaissance en laquelle sombrèrent la sobriété, la simplicité très naïve parfois et l'extraordinaire énergie d'expression du symbolisme religieux du Moyen-âge, les peintres, sculpteurs ou graveurs voulurent à leur tour, traduire le vieux thème des sources mystiques, ils se trouvèrent dans un étrange embarras et finalement, au lieu de blessures glorifiées par une héraldique vraiment royale comme sur le blason de Sidmouth, ou plus simple, comme sur celui de Cambridge, ou comme celles, les plus naturelles de toutes, du crucifix que je viens, de citer, ils se crurent obligés d'édifier des architectures, des fontaines monumentales et compliquées à l'instar des vasques marmoréennes des jardins italiens, aux saillies desquelles ils eurent le mauvais goût d'accrocher les membres coupés du Sauveur dans une disposition d'ensemble qui appelle à l'esprit des comparaisons triviales.

Les Cinq-Plates, sculpture de l’ancienne église de Comboure (Cornwall[9]).

La fontaine de grâce du graveur Frédéric Boutrais présentée ci-contre est de cette tardive et mauvaise école.

Certes, le Moyen-âge à son déclin a bien, lui aussi, comme nous l'avons vu, en France, en Angleterre, en Allemagne et ailleurs, représenté les Saintes Plaies par les figures du Cœur des mains et des pieds de Jésus séparés de son image entière,mais au moins les plaçat-il sur le bois de la croix, ou, ce qui fut beaucoup plus fréquent, et mieux encore, sur des écussons. Là, de ce seul fait, le Coeur, les mains et les pieds de Jésus devenaient des « motifs », des «meublés» d'Héraldique Sacrée, et leur présentation à l'état isolé était acceptée et consacrée par les règles précises de l'art le plus élevé, le plus choisi que l'esprit humain ait inventé pour glorifier par lui tout ce qu'il veut placer au-dessus de l'ordinaire, tout ce qu'il veut traiter « noblement ».

La fontaine de grâce, d'après une gravure de Frédéric Boutrais - XVIIe siècle

Ce que nous venons de dire n'est assurément qu'un trop bref aperçu de la façon dont les vieux imagiers chrétiens ont illustré sur le verre, la pierre, le bronze ou le vélin ce thème si suggestif des « sources du Sauveur » conçu par les plus hautes âmes, exposé par les plus saints écrivains d'alors ; il suffira peut-être cependant à montrer un peu comment les artistes contribuèrent eux aussi à orienter les âmes vers ces sources divinement précieuses, Siloés toujours vivifiantes et guérissantes, celles-là, et qui garderont éternellement leur généreuse efficacité.

L. CHARBONNEAU-LASSAY

Loudun (Vienne)

 

[1] Ps. 41, v. 2 [2] Cassette-reliquaire d'argent de l'église d'Aïn-Zirara, cf. Poinssot, in Mémoire des Antiquaires de France, ann. 1903, p. 33. [3] Regnabit, fév. 1923, p. 215. [4] Cf. Mâle : L'Art religieux de la fin du Moyen-Age en France, p. 109, fig. 56. Paris, Colin, 1922. [5] Le Coeur de Jésus, fontaine de vie et de sainteté, in Regnabit mars 1923, p. 287. [6] Regnabit de Juin 1923. La source de Vie, p. 3-26 [7] Longs rubans déroulés, comme sur l'écusson de Sidmouth, et sur lesquels sont placé se les inscriptions explicatives. [8] Je dois la connaissance de ces deux intéressants documents anglais à la très grande obligeance de Madame Edith E. Wilde, membre des Sociétés Archéologiques de Hampshire et d'Essex ; et j'en ai exécuté les gravures sur bois, la première d'après une photographie complaisamment communiquée par le Rd C. K. Woolcombe, Vicar de Sidmouth Church, la seconde d'après un très beau frottis très aimablement envoyé par M. W. P. Littlechilde, ancien clerc de chapelle au Kings-Collège de Cambridge. — Très respectueux remerciements. [9] D'après croquis aimablement communiqué par Mm« E. E. Wilde.

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L'ICONOGRAPHIE EMBLÉMATIQUE DE JÉSUS-CHRIST. LES CAPRIDÉS

 

LE CHEVREAU

I. — LE CHEVREAU DANS L'ANTIQUITÉ PAÏENNE.

Comme l'Agneau, le Chevreau fut, dès l'origine des cultes à sacrifices, chez les peuples païens comme en celui d'Israël, l'un des animaux domestiques le plus souvent offert en holocauste à la Divinité.

Et il semble même qu'on ait réuni souvent, pour être soumis indifféremment aux mêmes rites sacrificiels, les petits des chèvres, des chevreuils, et même des daims et des cerfs, c'est-à-dire les faons des petits quadrupèdes cornus et légers ; aussi bien les arts sacrés des pagnanismes pré-chrétiens ne permettent-ils pas de distinguer en leurs productions les petits de la chèvre de ceux des autres animaux qui lui ressemblent.

Nous verrons plus loin la même particularité d'assimilation dans la symbolique littéraire du Moyen-âge.

Dans les anciens cultes à mystères : celui d'Istar et de Thamouz, chez tes Assyriens, par exemple, puis dans les théories mystérieuses des Pythagoriciens, des Orphistes, et dans les rites de Dionysos, le Chevreau fut l'image du fidèle initié aux secrets enseignements. On connaît la formule consacrée dans l'Orphisme qui en témoigne, et que les Pythagoriciens adoptèrent aussi, ces mots mystérieux qui se lisent sur les deux lamelles

d'or de Thurii (IV - III0 s. av. J.-C.) : « Chevreau, je suis tombé dans le lait »; ou selon Wollgraff : « Chevreau, je me suis précipité sur le lait », c'est-à-dire sur le sein nourricier de la Divinité[1] (i). Ici, le lait, c'est assurément la doctrine cachée, issue directement des maîtres sans qu'elle soit apparue aux profanes, comme le lait passe invisiblement des mamelles maternelles dans les lèvres du faon. C'est pourquoi, dans la décoration de la basilique pythagoricienne de la Porte-Majeure, à Rome, nous voyons une bacchante debout, qui tient le Chevreau dans ses bras et le tend vers une autre femme qui écarte les voiles de sa poitrine pour lui donner son sein[2].

De même sur les peintures dionysiaques de la villa Item, à Pompéï, nous voyons une prêtresse qui allaite un faon[3] .

Est-ce en raison de particularités de ce genre ou de rites de nous inconnus et pratiqués chez les Assyriens, dans les mystères d'Istar et de Thamouz, très antérieurement au Pythagorisme et à l'Orphisme, que le Pentateuque, imposa aux Hébreux, voisins des Assyriens, ce précepte plusieurs fois répété : « Tu ne feras pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère[4] ».

La loi de Moïse n'édicté rien de semblable relativement aux petits des autres animaux.

L'histoire religieuse du Chevreau avant notre ère nous le présente donc comme une image de l'âme qui cherche la doctrine divine, mais je n'ai vu nulle part qu'il ait été regardé comme une image directe de la Divinité.

II — LE CHEVREAU EMBLÈME DU CHRIST INCARNÉ.

Dans le Pentateuque rien de spécial n'est dit en ce qui concerne l'immolation du Chevreau ; il suit les rites indiqués pour les sacrifices du petit bétail, mais à lui comme à l'agneau, au veau, à la génisse, c'est-à-dire à toute victime non adulte, s'attacha une particulière idée d'innocence.

Et ce serait, croit-on, cette idée de pureté qui fît, au Moyen-Age, choisir la peau du chevreau, de préférence aux autres cuirs et aux tissus, pour la confection des gants pontificaux d'usage liturgique[5]  ; et qui lui valut d'entrer dans la série des emblèmes de N.-S. Jésus-Christ au titre de victime virginale.

Il y figure aussi comme image mystérieuse du Christ incarné, parce que les mystiques virent en lui l'emblème de la vie dans la chair ; aussi Pierre de Riga dit-il en substance que le Christ est devenu semblable au chevreau parce qu'il a jugé convenable de prendre chair, et que s'étant manifesté ainsi, il a droit d'être appelé : « le faon des cerfs.

« Et similes capress Christus, quia plebis Hebreae

Ortus de génère, carmen dignatur habere;

Et quia de vetere sanctorum germine natus

Extivit, hinnulus est cervorum jure vocatus[6].

III. — LE CHEVREAU EMBLÈME DU CHRIST SUBSTITUÉ A L'HOMME.

La symbolique chrétienne a toujours attaché au Chevreau, en tant qu'emblème du Christ, l'intention de lui faire représenter le mystère d'amour par lequel le Rédempteur s'est substitué à l'homme coupable pour mériter à celui-ci la clémence et les grâces du Père.

Cette idée de substitution repose sur la scène biblique que conte la Genèse en laquelle il est dit que Jacob, couvert de la peau d'un chevreau, se substitue ainsi à son frère Esau pour surprendre à son profit la suprême bénédiction de leur père Isaac, devenu aveugle[7].

Aussi, le Chevreau emblématique est-il, dit un texte du Moyen-Age, la figure du Christ expiateur substitué à nous ; du Christ qui s'est couvert de nos péchés aux yeux de son Père comme Jacob se couvrit de la peau velue du chevreau pour se substituer à son frère, et ravir ainsi les faveurs du patriarche.

Un autre texte vient à son tour prêter son aide à l'acceptation de cette emblématique : Depuis les origines chrétiennes l'Agneau immolé par les Hébreux à la première Pâque est regardé comme un emblème incontesté du Seigneur Jésus ; or, dans la première loi sur la Pâque stipulée au livre de l'Exode, Moïse permet aux Hébreux de substituer un chevreau à l'agneau pascal : « Vous prendrez soit un agneau, soit un chevreau... Vous le garderez jusqu'au quatorzième jour de ce mois, et dans tout Israël on l'immolera entre les deux soirs[8].

Dans tout le reste de cette même loi pascale le texte ne parle plus que de l'agneau; le chevreau n'est donc nommé au début que comme une victime qui peut, faute d'agneau, remplacer celui-ci ; mais en ce cas, la même vertu de préservation contre « le Destructeur » promise au sang de l'agneau pascal, l'est aussi implicitement au sang du chevreau. Et si l'un est une préfigure du Seigneur Jésus, l'autre l'est aussi.

LA CHÈVRE

Le symbolisme christique de la Chèvre dans l'art et la littérature ne procède ni du caractère de victime qu'elle a eu dans les rites mosaïques, ni du rôle religieux qui fut sien dans les paganismes préchrétiens d'Orient, notamment en ceux de l'Assyrie, de la Perse et de la Médie où elle fut l'un des animaux sacrés en raison du rôle de la Chèvre Céleste dans la mythologie de ces pays [9]. Il  repose entièrement sur les naïves croyances des anciens naturalistes grecs et romains qui prêtent à la chèvre des qualités visuelles extraordinaires.

Et ici disons dé suite qu'ils réunissent en cela la chèvre domestique avec la chèvre des montagnes, le bouquetin, l'isard et le chamois. A mesure, disaient-ils, que ces animaux s'élèvent en gravissant les plus hauts sommets ils acquièrent le privilège, non seulement de voir leur champ de vision s'élargir et s'étendre, mais encore celui de sentir croître extraordinairement en eux leur puissance, leur acuité visuelle, en sorte que nul être au monde ne saurait, à leur égal, embrasser d'un coup d'oeil les étendues les plus immenses, ni distinguer aussi parfaitement les détails.

Aussi saint Grégoire de Nysse, qui mourut vers l'an 400, présente-t-il la Chèvre comme l'emblème de la totale perfection et de l'ubiguité du regard scrutateur du Christ qui, en tant que Dieu, voit tout dans le passé, le présent et l'avenir[10]. D'autres Pères, par extension de la même idée, ont présenté la Chèvre comme l'emblème du Sauveur guérissant la cécité spirituelle des âmes[11] , et ouvrant, en ceux qu'il lui plaît de favoriser, les yeux de l'esprit sur ces merveilles dont saint Paul, après ses extases, disait que l'oeil et l'oreille de l'homme n'en peuvent aucunement percevoir les splendeurs.

Le Physiologus et les Bestiaires du Moyen-Age qui en sont dérivés, se basant toujours sur les dires de Pline et des Anciens, prirent aussi la Chèvre comme l'emblème de l'omniscience du Christ, du Sauveur qui est, dit le Bestiaire de Pierre le Picard, XIIIe siècle, « Dex et sire de toi science ».

La chèvre gravissant la montagne. D'après une miniature de la Bibliothèque de l'Arsenal (XIIe s.) cf. Cahier, Mél. Archéol. T. II, pl, XX. A. U.

Et des mystiques de la même époque firent aussi de la Chèvre, en partant du même point, la figure du Christ qui observe, des hauteurs du ciel, les actes des justes et* des méchants en vue des rémunérations et des justices futures[12].

Les moeurs des capridés qui leur font affectionner les hauts sommets valent aussi à l'animal qui les représente en symbolisme, d'être image emblématique du Christ pour d'autres raisons que celle de l'excellence de sa vue.

Ainsi Pierre Le Picard, en son Bestiaire, établit un rapprochement emblématique entre le Christ et la Chèvre en vertu du passage du Cantique de Salomon où il est dit : « Mon Bien-Aimé vient saillant sur les monts[13]», traduction un peu libre du texte hébreux qui dit exactement : « Sois semblable, mon Bien-Aimé à la gazelle, au faon des biches; sur les montagnes ravinées[14]».

Et Pierre le Picard de continuer par cette comparaison inattendue : Comme la chèvre paît sur les penchants des montagnes les herbes odoriférantes, de même notre Sire Jésus- Christ paît en la sainte Eglise, car les bonnes oeuvres et les aumônes des chrétiens fidèles « sont viande de Dieu[15];..».

Les hermétistes du Moyen-Age rapprochèrent aussi la Chèvre de la Personne de Jésus en lui appliquant le vieux sens païen, christianisé par eux; du Capricorne zodiacal qui était dans l'ésotérisme ancien la Janum coeli, la Porte du Ciel, par opposition à la Pieuvre, la Janna inferni.

Janua coeli, titre qui convient en effet merveilleusement à Celui qui ouvrit; pour les justes de l'humanité déchue et rejetée, la porte de la vie éternellement heureuse ; titre que la langue liturgique de l'Eglise fait partager au Rédempteur et à sa Mère, et que nous étudierons plus tard à propos du symbolisme de la Porte.

I.— LA CHÈVRE EMBLÈME DU CHRÉTIEN.

Dans l'art des Catacombes de Rome, la Chèvre apparaît le plus souvent dans un rôle purement décoratif, ne servant, semble-t-il, qu'à animer un paysage plus ou moins complètement désert. Mais il n'en est pas de même quand elle se  trouve avec les brebis et les béliers autour du Pasteur gardant son troupeau comme c'est le cas sur une des grandes fresques de la catacombe de Domitille, à Rome ; ou encore quand elle est représentée de chaque côté du Bon-Pasteur, comme sur une autre peinture des cryptes des saints Pierre et Marcellin[16]. Aucun doute n'est permis : la Chèvre, en ces deux occurences, est l'image du fidèle. De même sur une urne de Pesaro, qui est du Ve siècle et probablement d'utilisation baptismale, deux gazelles, et non deux cerfs comme: Martigny l'a cru[17], boivent dans une même vasque, emblème du Baptême ou de l'Eucharistie.

Pierre Le Picard en son Bestiaire fait aussi de la Chèvre l'image du fidèle quand il applique au Seigneur Jésus la parole d'Amos : « Je n'ière mie fils de prophète, mais paistre de chièvres[18]», ce que Crampon traduit plus littéralement du texte hébreux : « Je ne suis point fils de prophète, mais bouvier, et je cultive les sycomores[19]».

Les Bestiaires et les mystiques du temps de Pierre Le Picard sont mieux inspirés quand ils accordent emblématiquement à l'âme sainte, comme ils l'ont fait par ailleurs à Jésus-Christ, le privilège d'incomparable vue que les naturalistes antiques  attribuaient à la chèvre : Ainsi, disaient-ils, que la chèvre sent accroître ses facultés visuelles à mesure qu'elle s'élève plus haut sur la montagne, de même plus l'âme monte vers Dieu et plus elle se rapproche des célestes sommets par l'union spirituelle au Christ et la pratique non commune des vertus, plus elle sent augmenter en elle sa puissance de pénétration des « choses de Dieu », et ses facultés intuitives qui lui ouvrent des horizons sur les domaines que Dieu ne révèle qu'à ceux qui font effort pour s'exhausser vers lui.

Le Bon Pasteur et les Chèvres. Catacombe romaine de Domitille.

Les chèvres sur l'urne de Pesaro.

II. — LA CHÈVRE EMBLÈME DE SATAN.

La Chèvre est entrée dans le symbolisme satanique comme image du démon de l'impureté qu'elle personnifiait bien avant notre ère, en raison sans doute des crimes de bestialité auxquels on la faisait participer, et que les prescriptions mosaïques punissaient de mort chez les Hébreux[20] .

La chèvre sur sculpture de la cathédrale d'Auxerre (XIII-XIV s.)

L'art chrétien du Moyen-Age la donne souvent comme compagne ou comme monture à la personnification humaine de la Luxure : ainsi la voyons-nous sur de nombreuses représentations peintes ou sculptées des Vertus et des Vices, ou des Péchés capitaux, et sur maintes autres oeuvres d'art, par exemple sur le manuscrit français de la Bibliothèque Nationale n° 7.on, 3, 3, et sur le Livre d'Heures de Louise de Savoie, XVIe siècle, qui est à Cluny[21] .

Mais nulle part, peut-être, la Chèvre et la Luxure ne sont représentées ensemble avec autant de maîtrise qu'au transept de la cathédrale d'Auxerre, sous une console de l'extrême fin du XIIIe siècle qui est, pour cette époque, une incomparable étude de nu.

Ajoutons, pour tout dire, que la Chèvre fut, dans l'emblématique spéciale d'autrefois, l'emblème du succube ou démon femelle incarné sur terre.

LOUIS CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Cf. Jérôme Carçapino, La Basilique Pythagoricienne de la Porte Majeure,, Paris, 1927, Pl 311. [2] Cf. J. Carcopino, ouvr. cité, p. 156. [3] Cf. Rizzo, Mythes, H. III, 1, et p. 70-71. [4]Exode XXIII, 19 et XXXIV, 26. - Deutéronome, XIV. 21. [5] Cf. Mgr Barbier de Montault, Les gants pontificaux, in Buttet, Monumental, T. XLI.I, p. 461. [6] Ap. Pitra Spicilège de Solesmes, T. III, p. 34. [7] Genèse, XXVII, 1-29. [8] Exode, XII, s-6. i4 Doctrine. [9] Cf. Ch. Lenormant, in Mélanges Archeologiq., T. III, p. 129. [10] Cf. St Grégoire de Nysse, Homélie V. [11] V. Fél. d'Ayzac, La Zoologie mystique au Moyen-Age in Revue de l'Art Chretien, T. X (1866), p. 181. [12] Cf. J. Corblet, Vocabulaire des Symboles, in Revue de l'Art Chrétien, T. XVI, p. 461. [13] Salomon, Cantique des Cantiques, II, V.[14] Traduct. Crampon, La Sainte Bible, p. 866.[15] Pierre le Picard Bestiaire (Texte intégral dans Bestiaires par Ch. Cahier-S. J. -in Mélanges archéologiques, T. III, p. 218. [16] Voir Dictionn. d'Archéologie Chrétienne, T. III, vol. I, col. 1322, flg. 2791 et 2792. [17] Cf. Martigny, Gazette archéologique, T. III (r877), p. 193. [18] Amos Prophétie VII, 14. [19] Crampon, La Sainte Bible, p. 1377. [20] Lévitique, XVIII, 23 et XX, 15-16. [21] Cf. Arth. Martin, La Châsse de Saint Taurin d'Evreux, in Mélanges Archéologiques, T. II, p. 27 et 35

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L'ICONOGRAPHIE EMBLÉMATIQUE DE JÉSUS-CHRIST

LE CERF & LA BICHE

Si l'on ne regarde que le nombre limité des monuments iconographiques qui le représentent, on est autorisé à croire que le Cerf emblématique n'a joui que d'une faveur limitée chez les Chrétiens des trois premiers siècles. Cependant, même à cette époque, il fut certainement l'un des animaux symboliques acceptés, de la façon la plus certaine et la mieux définie, comme image allégorique de Notre Seigneur Jésus-Christ, et du chrétien fidèle.

À ce titre, le Commentaire du Physiologus, dit de saint Épiphane[1], consacre au Cerf un de ses vingt-six chapitres en lesquels sont greffés sur les données contestables ou non des anciens naturalistes grecs et latins des développements d'exégèse religieuse. Et les idées relatives au Cerf que le vieux monde présentait au nouveau symbolisme chrétien pouvaient admirablement servir le but didactique et anagogique que celui-ci se proposait d'atteindre.

I. — LE CERF EMBLÈME DU CHRIST COMBATTANT.

En effet, naturalistes et poètes anciens : Pline[2], Théophraste[3], Xénophon[4], Elien[5], Martial[6], Lucrèce[7] , et bien d'autres ont présenté le cerf comme l'ennemi particulier et implacable de tous les serpents qu'il poursuivrait de sa haine jusque sous terre.

En écho à cette antique croyance je reproduis ici un marbre romain du Musée de Naples [8]qui nous montre le combat du cerf contre le serpent. (Fig. I) : Sous la vigoureuse contraction du reptile qui s'enlace autour de lui le noble  animal est tombé sur ses genoux, mais il a pu saisir la tête de son ennemi et l'écrase entre ses dents ; alors, l'étreinte qui l'oppresse se relâche, il se relève victorieux: c'est ce qu'indiquent le mouvement de la patte droite de son train de devant et le flottement de la queue du serpent.

À la vérité, sur l'antagonisme de ces deux animaux les Anciens n'ont fait que transposer à notre cerf d'Europe les moeurs d'animaux orientaux d'espèces voisines de la sienne : En Afghanistan il existerait réellement une variété de cervidés ou de capridés qui font la guerre aux serpents, et même souvent les dévorent. Les Persans nomment ces animaux des pausens[9]. Les derniers Mazdéens de cette région voient dans le duel du pausen et du serpent l'image allégorique de la lutte victorieuse du Principe bon, Ormuzd, contre le Principe mauvais, Ahriman.

Et comme le pausen est souvent atteint de calculs du foie ou de la vessie, on le tue pour se les procurer comme des talismans précieux contre la morsure des serpents et des scorpions du Péïchawer.

(FIG. I). Marbre du Musée de Naples. Art romain préchrétien.

Citant ce passage de l'historien hébreu Josèphe, mort vers 95 de notre ère : « les ibis saisissent les serpents et les dévorent comme font les cerfs[10] », Boissier observé qu'une seule espèce de cervidés paraît avoir cette particularité d'appétit.

C'est, dit-il, le Chevreuil odoriférant ou Cerf musqué, qui vit en Asie. Son odeur étourdit le reptile qui ne se défend pas, ne fuit pas, et se laisse mettre à mort par son impitoyable adversaire[11].

À partir du IVe siècle surtout, tous les écrivains mystiques se sont emparés des instincts du cerf musqué et du pausen pour les concéder gratuitement à notre cerf d'Europe, et faire ainsi de lui un opportun emblème de Jésus-Christ. A citer, pour cette époque, saint Ambroise et saint Augustin ; au Ve siècle, saint Eucher de Lyon; plus tard saint Bernard, saint Bonaventure, saint Brunon d'Asti, Hugues de saint-Victor, et autres. Pour eux, le Cerf emblématique fut l'image du Christ écrasant sous son pied ou broyant dans sa bouche la tête de la puissance infernale.

Ainsi nous le montre une mosaïque de St Clément de Rome où nous voyons, au pied de la croix, le serpent qui se développe en un cercle au milieu duquel un Cerf se penche vers sa tête pour l'écraser.

Les Bestiaires, notamment, ces étranges et précieux écrits dérivés de l'antique Physiologus applaudirent à ce symbolisme attribué au Cerf, et le redirent unanimement :

« Ne devons mettre en oubliance

Le dit, ne la senefiance

Del cerf, qui estrangement ovre (opère).

Quer il menje la colovre... »,

dit le Bestiaire Divin de Guillaume le Normand (XIIe siècle) ; et il ajoute :

Autresi (ainsi) fist Nostre Seignor

Iésu Crist, nostre Sauveor

Quand les portes (puissances) d'enfer brisa,

Et le Deable défola (écrasa du pied[12]).

Les écrits spéciaux de cette époque médiévale insistent surtout sur l'ingénieux moyen qu'ils disent être employé par le Cerf pour forcer son ennemi a sortir de son ténébreux repaire :

Écoutons le Bestiaire en prose de la Bibliothèque de l'Arsenal :

« Li cers est beste de grant sens... de telle nature, se il trovast un serpent en une fosse (en son trou) il iroit et empleroit sa boce pleine d'aighe et l'espandroit el pertuis ou lé serpent seroit ens. Et lors, s'en ist le serpens por l'ésprit que il cers a en sa bouche, et le trait fors et défoule à ses pieds et ôcit. Tôt altresi nostre Sire Ihu Crist quand vit le diable abitant en l'umaine nation il espandit la fontaine de sapience en nous... ».

Par ailleurs, un écrit de même époque, mais de l'autre bout de la Chrétienté, le Bestiaire Arménien dont le P. Ch.Cahier, S. J. a publié la traduction, nous dit : « Le cerf est l'ennemi du serpent. Le serpent pour l'éviter va se cacher dans le trou d'une roche. Mais le cerf emplit d'eau sa bouche, et va dégorger dans la fente où s'est réfugié le reptile. Si le serpent, forcé dans sa retraite, vient à quitter son trou, aussitôt le cerf le met en pièces ; s'il demeure il n'échappe pas à la mort, car il est noyé. De même, notre Sauveur a tué le démon, le grand dragon, et par l'eau céleste qui avait sa source dans sa divine sagesse, et par son ineffable vertu. Le serpent invisible ne peut tenir contre une eau de cette nature, mais périt aussitôt[13]».

Le même savant jésuite fait justement remarquer que les auteurs du Moyen-âge ont appliqué au Cerf qui chasse ainsi le serpent de son trou, la parole de saint Paul[14] : « Le Seigneur Jésus exterminera l'impie par le souffle de bouche[15] ».

(FIG. II). Cerfs du Bestiaire divin de Guillaume le Normand. —

Je donne ci-contre (Fig. II) un motif tiré d'une miniature d'un manuscrit médiéval du Bestiaire Divin de Guillaume de Normandie, dans laquelle nous voyons, d'une part, un cerf jetant l'eau de sa bouche sur le trou du reptile, et, à côté, le Cerf lui brisant la tête entre ses dents.

Une autre miniature de même date, sur le manuscrit du Bestiaire de l'Arsenal nous montre le cerf qui vient d'inonder le repaire du serpent-dragon et qui s'apprête à lui briser la tête. (Fig. III)[16] (i).

Faisant ainsi du Cerf l'un des emblèmes du Christ combattant, les anciens firent de l'eau qu'il rejette de sa bouche pour relancer son adversaire, l'image allégorique de la Parole victorieuse du Sauveur, de son Verbe ; c'est pourquoi, après avoir décrit le geste du cerf, Guillaume le Normand ajoute que notre Sire, dans la suite des siècles, occira le diable félon par l'esprit qui jaillira constamment de sa bouche bienheureuse[17]... Et plusieurs des écrivains spirituels ci-dessus nommés ont commenté aussi ce rapprochement entre l'eau buccale du cerf et la divine Parole du Sauveur.

Comprend-on maintenant l'existence des nombreuses variétés d'amulettes formées des « issues » du cerf, et utilisées jadis à rencontre des venimeux serpents terrestres et du Serpent infernal ?

(FIG. III). Cerf du Bestiaire de l'Arsenal.

Au Ier siècle de notre ère, Pline conseillait gravement, comme refuge assuré contre les serpents, de dormir sur une peau de cerf, ou de s'oindre de la présure d'un faon tué dans le sein de sa mère[18].

Dans l'Inde, les anciens Brahmanes formaient avec de la corne de cerf calcinée, un conglomérat qu'ils nommaient « pierre serpentine », et qui protégeait, disaient-ils, contre les reptiles [19]; ce qui se rapproche de l'utilisation, dans le même but, des calculs de foie du pausen dont il est ci-dessus question.

Mme Félicie d'Ayzac a cité, pour la France, toute une suite d'objets de ce genre : amulettes de corne et de dents de cerf, vêtements de poil ou de cuir, drogues composées de graisse, de moelle ou de sang de cerf mêlés d'estragon, de sariette, de myrthe, etc., etc. Le tout à l'encontre de toutes bêtes venimeuses [20].

(FIG. IV). Agrafes en forme de Cerfs.Angers Poitiers bronze et grenats bronze et malachites. VI-VIII s.

Une formule magique de conjuration, et sans doute fort ancienne, tirée du traditionisme suisse[21], que cite Boissier[22] , avait le même but qu'ont bien pu viser aussi les médaillons ou bijoux anciens qui portent l'image du cerf, et dont le caractère religieux et cynégétique n'est pas apparent (Fig. IV).

II. — LE CERF ET LA LUMIÈRE.

Une conception que je crois plus ancienne en Europe que les traditions relatives à la haine du Cerf pour le serpent, mettait le premier des deux en relation avec l'idée, ou si l'on veut, avec le culte de la Lumière.

L'art pré-mycénien nous montre en effet assez souvent le cerf attelé au char solaire, et il semble, dit Déchelette[23], que la mythologie grecque ait connu le souvenir de ce privilège que le cerf partagea avec le cheval, puisqu'elle le consacra à la divine Arthémis, soeur d'Apollon, née avec lui en nie de Délos, et qui participait à sa nature.

Par ailleurs, nous savons que le faon du cerf et de la biche fut l'un des attributs d'Apollon, le dieu de lumière lui-même, et Pausanias parle de statues de ce dieu qui le montraient portant un petit faon dans sa main[24]. Vers la fin du siècle dernier, et comme pour appuyer le vieil historien grec, on découvrait à Tralles la main de bronze d'une statue d'Apollon avec, sur sa paume étendue, la statuette d'un faon couché[25] (Fig.V).

En Orient, un parallélisme certain relia le combat d'Orrnuzd et d'Ahriman à celui du Soleil et de la Nuée, au combat aussi du Pausen et du Serpent ; ce dernier animal, chtonien et ténébreux, fut dans tout le vieux monde l'hiéroglyphe de l'ombre dangereuse et des mystères souterrains.

(FIG. V). Le Faon sur la main d'Apollon Art grec ancien.

Dans la mythologie de la Grande Grèce et du monde romain nous voyons Cadmos qui tue le Serpent-dragon, puis Apollon qui met à mort le python pour lui ravir le trépied prophétique. Sur un cratère grec du Musée du Louvre, l'artiste céramiste a bien eu soin de figurer une partie du disque du soleil rayonnant au-dessus du Cadmos qui brandit son arme sur le vaincu, et ailleurs Apollon ne lâche la sienne que pour prendre dans sa main, étant vainqueur, le faon timide du cerf.

Les mêmes rapports d'idée ont-ils existé dans la primitive mystique chrétienne entre le combat du Cerf-Christ, qui est « la Lumière du Monde », et le Serpent-Satan qui fut toujours dans la pensée et dans le vocabulaire chrétien a le Prince des Ténèbres » ? Les débuts de notre symbolisme chrétien n'ont pas encore été suffisamment observés ni assez scientifiquement étudiés pour qu'il soit possible de répondre encore, avec certitude, ni oui, ni non.

 

[1] St Epiphàne, archevêque de Salamine, (310 à 403). [2] Pline, Hist. Nat. VIII, 50. [3] Théophraste; Decausis vegetationis, liv. IV, 10. [4] Xénophon, Géoponiques, XIX, 6. [5] Elien, Hist. des Animaux, XI, 9. [6] Martial, Op. XII, 29. [7]Lucrèce, Op. VI. [8] Cf. M. Albert, in Revue Archéologique, 2 Ser, T. XLII (1881) p. 93. [9] Sf. M. Karil, Les Afghans'; in Revue du Monde Catholique. T. VI (1880), 33, P. 401.[10] Josèphe, Antiquités judaïques, II. [11] Cf. Boissier, Les cerfs mangeurs de serpents, in Revue Archéolog, 4 Ser. T. IX, 1907, p. 224. [12] Le Bestiaire Divin de Guillaume, clerc de Normandie. Edit. Hippeau, p. 277-278. [13] C. Cahier Du Bestiaire in Nouveaux mélanges archéologiques. 1874, p. 136. [14] St Paul : IIe Ep. aux. Thessalonciens II. 8. [15] Cf. C. Cahier Bestiaires, in Mélanges archéol. T. III, p. 267. [16] Ibid. T. II. PI. XXII. [17] Le Bestiaire divin. Edition Hippeau, p. 27. [18] Pline. Hist. Natur. VIII, 50 et XXVIII, 42. [19] Cf. R. p. Feyjoo, Lettres érudites ; Ap. Landrin, Dict. de Minéralogie. P- 335 [20] F. d'Ayzac, Iconogr. du cerf, in Revue de l'Art chrétien, T. VIII, (1864), P 335. [21] Archives suisses des Tradit. populaires, Ann. 1908,  Liv. p 109. [22] Boissier, Revue Arcltéolog. 1908, p. 424. [23] J. Déchelette, Le culte du Soleil, aux temps préhistoriques, in Revue Archelog. T. XIII (1909), p. 314. [24] Pausanias, Voyage historique.  [25] Cf.- Institut de correspond, hellénique, séance du , 21 mai 1876, et Revue Archéol. 2 Ser. T. XXXIII (1876), p. 291.

III. — LE CERF ET LES CHASSES LÉGENDAIRES.

Toute manifestation du Christ aux hommes, toutes et chacune de ces épiphanies intimes, si fréquentes dans la vie des âmes, sont des illuminations de grâce, des dons de connaissance et de lumière spirituelles dont il favorise celles qu'il lui plaît de choisir et d'attirer plus près de Lui : Dans la « Légende dorée » de la seule hagiographie occidentale plusieurs scènes de chasse, très connues, nous montrent Jésus-Christ empruntant la forme du cerf pour se manifester ainsi à des âmes d'élite. Les plus populaires sont les chasses de saint Hubert et de saint Eustache.

Voici ce qu'un très vieux récit de France raconte sur le dernier de ces deux saints : Il était un païen nommé d'abord Placide, vertueux, du reste, et rempli de bonté pour tous les malheureux. Un jour qu'il chassait avec quelques amis, ils lancèrent ensemble une troupe de cerfs superbes. Bientôt, quittant ses compagnons, Placide se jeta éperdument à la poursuite du plus grand et du plus beau des cerfs qui s'était séparé du reste de la bande.

Et voilà qu'au bout d'une course folle le cerf s'élança soudain sur le sommet d'un rocher, et là, se retournant vers le chasseur, lui dit : « Placide, pourquoi ne pas me suivre sur les hauteurs ? Je suis le Christ qui t'aime et que tu sers sans le connaître encore : tes aumônes, ton esprit de justice me plaisent et c'est pourquoi je me suis fait Cerf magnifique pour l'attirer à moi».

— « Seigneur, si vous êtes ce Christ dont on parle tant, répondit Placide, expliquez vos paroles, et je croirai en Vous ». Et le Cerf divin répondit : « Je suis le Christ. C'est moi qui ai fait le ciel et la terre, et le soleil et la lumière et les saisons. J'ai tiré l'homme du limon terrestre, et, plus tard, pour le sauver de ses iniquités, j'ai pris chair d'homme, puis  mort en croix; et puis, après trois jours passés dans l'ombre du sépulcre, j'ai repris la vie pour toujours. Et maintenant je t'attends ; viens à moi, Placide : je suis le Christ ! ».

Et voilà qu'aux yeux ravis du bon païen, le Cerf grandit immensément et se fondit bientôt dans l'éblouissement d'une lumière intense. Et, dans cette lumière, apparaissait à son tour un homme crucifié dont les quatre membres et le Coeur saignaient...

Peu à peu, le rocher reparut dans son âpre nudité de toujours, et Placide s'en fut ; puis abandonnant tout, et jusqu'à son premier nom, se donna tout entier au Christ qui, par la voix du Cerf merveilleux, avait illuminé son âme.

La légende de la chasse de saint Hubert que rapportent Beile, Surius, Malanus et autres anciens auteurs, et que raconte si bellement la grande frise, sculptée à la fin du XVe siècle au portail de la chapelle royale du château d'Ambroise, n'est que le double de la légende de saint Eustache. Tous les artistes de l'ancienne France qui les ont voulu représenter l'une et l'autre ont placé entre les bois du cerf l'image du Crucifié divin afin de bien exprimer la substitution de l'un à l'autre.

Et ce détail rappelle qu'un jour saint Félix de Valois, voulant se désaltérer à l'eau d'une fontaine à demi-glacée, vit apparaître sur l'autre bord un beau cerf qui portait dans sa ramure une croix mi-partie rouge et mi-partie bleue. Bientôt, sous les efforts de Félix, la froide fontaine au Cerf vit naître, près d'elle, l'abbaye de Cerfroid, et la croix rouge et bleue du Cerf devint l'insigne de l'Ordre des moines Trinitaires fondé par Félix à Cerfroid pour la rédemption des captifs[1].

Dans tous ces récits, le Cerf s'affirme comme la forme empruntée par le Sauveur pour se manifester à des âmes terrestres et les éclairer sur ce qu'il attend d'elles : Les bijoux anciens qui portent une « rencontre » de cerf avec le crucifix sur le front, ou le monogramme du Christ dans sa ramure ou bien au-dessus d'elle[2] (Fig. VI) ne sont que les hiéroglyphes de ces manifestations de la lumière surnaturelle.

LE CERF ET L'HÉRÉSIE.

L’héraldiste français O'Kelly de Galway dont l'oeuvre, très inégale en ses diverses parties, prouve au moins qu'il a connu certaines traditions anciennes fort oubliées, dit que le Cerf fut, jadis, « un symbole du Sauveur basé sur la haine de cet animal contre le serpent, type de l'hérésie[3] ».

O'Kelly ne nous dit point comment l'idée d'hérésie est venue prendre place dans le symbolisme du Cerf; ne serait-ce point à cause de l'antique idée de lumière attachée à lui, et que l'hérésie, dont le serpent fut en effet l'un des emblèmes, est en réalité une ombre malfaisante jetée sur la pure lumière de la vérité doctrinale, une ombre de mort pour les âmes que le Christ, par son église, combat toujours victorieusement ?

Mamachi[4] est le plus satisfaisant quand il rappelle qu'en raison de la rapidité de la course du cerf devant les chasseurs, cet animal fut pris par les fidèles des premiers siècles comme emblème de ce qu'ils devaient croire et faire à rencontre de l'hérésie des Cataphrygiens qui soutenaient qu'un chrétien n'a pas le droit de fuir devant le martyre quand il le peut sans renier sa foi, erreur à laquelle Tertullien lui-même a prêté l'appui de son grand talent[5].

(FIG. VI). Le Cerf et le Monogramme sacré sur la tapisserie chrétienne d'Akmin (Égypte). IIIe ou IVe s.

Mais en cette occurence le Cerf n'est que l'image du chrétien prudent et non du Christ ; ajoutons aussi que le cerf sait bien souvent mourir en beauté, tête aux chiens.

LE CERF ET L'IDÉE D'ABONDANCE.

Chez les Gaulois, au temps du druidisme, le dieu Cernunnos était le mythe auquel les hommes demandaient tous les biens; et l'image de ce dieu de l'Abondance le montrait, le plus souvent, sous une forme humaine surmontée d'une forte ramure de cerf.

Ainsi voit-on Cernunnos sur un autel gaulois de Paris[6] (2), et sur une autre sculpture de Reims. A l'époque gallo-romaine, le dieu apparaît parfois avec la corne d'abondance et la patère[7]. Enfin, une stèle du Musée de Luxembourg, de cette même époque gallo-romaine où la richesse se concrétisait définitivement surtout dans le numéraire métallique[8], représente, non plus Cernunnos homme cornu, mais le Cerf lui-même, son emblème, jetant par sa bouche une pluie de pièces de monnaie (Fig. VII). On voit que l'idée avait glissé du dieu cornu à l'animal qui, d'abord ne lui prêtait que sa ramure.

Quand on sait combien les traditions celtiques ont été tenaces en notre race et dans ses coutumes, (au point qu'elles se retrouvent encore dans les nôtres), on peut se demander avec raison si les populations chrétiennes des temps mérovingiens, qui ont usé maintes fois de l'image du Cerf comme emblème du Christ, ne l'ont parfois considéré avec un regard chargé du reflet des vieilles croyances qui l'avaient promu à la fonction de distributeur des biens de ce monde. L'iconographie ancienne, qui a soulevé pour nous assez largement le pan du voile au-dessus des pensées des hommes d'autrefois, ne nous a pas encore tout montré, et nous ne tenons encore d'elle aucun document probant sur la possibilité que je me permets d'exposer ici : Ce sera peut-être son cadeau de demain.

(FIG. VII). Partie d'une sculpture gauloise du Musée du Luxembourg.

LE CERF ET LA VIE.

Le Cerf partage avec le Taureau et le Bélier l'honneur de représenter Jésus-Christ dans sa triple qualité de Père, de Chef, de Guide vigilant du troupeau chrétien composé de l'Église, son Épouse, et de leurs enfants.

Son attitude en forêt autorise en effet ce symbolisme ; il est parfait quand, en tête de sa harde de biches et de faons qui sont son amour et son sang, il va sous bois, le regard en éveil et l'oreille attentive, prêt à prévenir ceux qu'il aime au moindre danger.

LE CERF EMBLEME DES APOTRES.

Dès le IVe siècle, saint Jérôme[9] compara au Cerf, à cause de la rapidité de sa marche, non seulement saint Paul, le grand voyageur apostolique, mais tous les premiers prédicateurs de l'Evangile, et fit du cerf l'emblème de l'activité que doivent avoir tous ceux qui se consacrent aux travaux de l'apostolat.

Cette conception persista longtemps chez les auteurs spirituels ; c'est ainsi que nous la retrouvons au VII6 siècle dans Bède le Vénérable [10] et plus tard dans des oeuvres de saint Bruoon d'Asti [11] et de ses contemporains.

LE CERF EMBLÈME DE L'AME CHRÉTIENNE. — LA SOIF ARDENTE DU CERF.

Les premières paroles du Psaume XLIIe[12] imposèrent à l'antique symbolisme chrétien l'image du Cerf comme l'emblème de l'âme fidèle qui aspire vers Dieu : « Comme le cerf altéré aspire après les sources d'eau — ainsi mon âme soupire après toi, ô mon Dieu ! — Mon âme a soif du Dieu vivant ! ».

Et les artistes penchèrent les lèvres du Cerf vers les ondes du Jourdain, où Jésus reçoit le baptême de Jean, ainsi qu'on le voit sur une fresque de la catacombe romaine de Pontien[13] ; ou bien ils lé Courbèrent sur la vasque eucharistique toute remplie du sang « du Dieu vivant » (Fig. VIII[14]) ; on les inclinèrent vers les quatre sources qui jaillissent du monticule de l'Agneau, ainsi qu'on le voit sur un précieux sarcophage de Marseille [15].

Dans toutes ces œuvres de l'art chrétien des cinq premiers siècles, c'est d'abord la soif  de l'approche de Dieu par la purification baptismale que nous voyons symbolisée; puis la soif aussi, d'une 'union plus intime par la participation au Sang eucharistique. Le premier de ces deux désirs fut plus particulièrement exprimé dans la décoration des Baptistères par l'image du Cerf buvant, comme à Valence[16], à Salone[17], etc., où il est l'emblème certain du Catéchumène admis, selon son ardent désir, à la réception du baptême. Ailleurs et Surtout dans l'art médiéval d'Occident, le Cerf penché sur le vase eucharistique ou sur la source vivifiante personnifie la Dévotion et son ardent désir d'union à Dieu[18].

LES « POURSUITES» ALLÉGORIQUES DU CERF.

Un thème iconographique, d'époque mérovingienne et qui paraît avoir été plus particulièrement répandu dans la région de l’Aquitaine-Seconde ; diocèses de Poitiers, Angers, Nantes, Tours, Angoulême, Saintes et Bordeaux, nous montre la figure d'un Cerf, poursuivi par des chiens, sans chasseur, et qui fuit, vers une croix derrière laquelle se courbe la palme, récompense des victorieux (Fig. IX).

(Fig. VIII). Lampe chrétienne de Carthage. Époque romaine.

Ce sujet décore, d'ordinaire, le médaillon central de petits plateaux de terre cuite dont la fabrication semble aller du Ve siècle au VIIe; il exprime, si l'on veut, la victoire de l'âme sur le mal par la fuite des agents du péché, ou mieux encore la poursuite de l'âme chrétienne par toutes les tentations, par toutes les épreuves de la vie figurées ici en accord1 avec l'expression de David : « Mes ennemis m'ont environné comme une bande furieuse de chiens », poursuite contre laquelle il n'y a pour l'âme de sûr et victorieux refuge que dans le Christ-Sauveur figuré ici par sa croix qui conduit à la palme : « Puis, mon Bien-Aimé, dit l'Épouse du Cantique, cours et sois ainsi semblable aux jeunes cerfs sur les montagnes où croissent les baumiers [19].

Mais l'âme n'est point délaissée de Dieu pendant l'épreuve ; c'est pourquoi plusieurs représentations de la poursuite du Cerf nous montrent à côté du fugitif, soit le monogramme du Christ[20], soit la Colombe, son pacifique emblème [21], soit le Soleil divin au centre duquel rayonne le monogramme du Non sacré, X sur P, XPistos[22].

(FIG. IX). Deux «poursuites» du Cerf. Collection Parenteau.

AUTRES FIGURATIONS EMBLÉMATIQUES DU CERF-FIDÈLE.

Tout le long du cours des siècles les artistes chrétiens se sont servis du Cerf, en diverses manières pour représenter l'âme fidèle : A l'Ermitage de San-Bandelio, X-XIe siècle, le Cerf s'avance vers la roue mystérieuse du Christ-Soleil ; au-dessus de la porte de l'église abbatiale de Saint-Jouin de Marnes (Deux-Sèvres), XIIe siècle, deux Cerfs goûtent le fruit de l'Arbre de Vie ; un petit sceau du XVe siècle, mis en vente à Vichy, en 1924, portait le Cerf blessé d'une flèche partie du ciel, image de l'amour ou de la grâce de Dieu ; et ce même sujet décore également une bague mérovingienne de la collection Parenteau, à Nantes[23] ; une image peinte, du XVIIIe siècle, appartenant à M. Claude de Monti, comte de Rezé (1018) montre le cerf couché dans les fleurs, au pied d'une croix : C'est l'emblème de la tranquillité en Dieu, le plus précieux des bonheurs de ce monde !

SYMBOLISME DE LA BICHE ET DU CERF RÉUNIS :

Après l'art du paganisme qui l'avait attachée au char de Diane, le très ancien symbolisme chrétien s'est occupé de la Biche en même temps que du Cerf.

Il fit même de l'une, en même temps que l'autre, l'image du Christ combattant le Serpent maudit. Et Rhaban-Maur, au IXe siècle, en exposait la raison en se basant sur ce passage de saint Grégoire : « C'est la coutume de la Biche d'exterminer tous les serpents qu'elle rencontre et de les mettre en pièces avec ses dents [24]».

(Fig. X). Le Cerf et la Biche. Sarcophage de Ravenne (IV"-V* s.)

Réunie au Cerf, nous voyons la Biche boire avec lui au fleuve de vie qui coule aux pieds de l'Agneau divin, ainsi nous les montre une cassette d'argent trouvée dans le sol de l'église primitive d’Ain-Zizara (Tunisie), IHe-IVe siècle[25].

La même scène est interprétée sur la grande sculpture d'un très beau sarcophage de Ravenne où le couple gracieux se désaltère au liquide vivifiant d'un imposant canthare [26] (Fig. X).

Dans l'une et l'autre de ces deux pièces d'art nous lisons le plus bel emblème de la vie conjugale et chrétienne qui ait été conçu : l'époux et l'épouse puisant le réconfort à même source de foi, et demandant ensemble le bonheur au Christ, unique et vraie source de vie, de sagesse, de justice, de douceur et de paix ; le bonheur terrestre, qu'en attendant l'autre, de hautes âmes qui le veulent savent trouver en Lui, dans la vie à deux, au-dessus, et voire même à rencontre des ordinaires  cupidités et des orgueils vulgaires, et jusqu'au milieu des épreuves.

L'art du second millénaire a délaissé cet éloquent et bel emblème : l'art d'aujourd'hui s'honorerait en le reprenant.

L. CHARBONNEAU-LASSAY.

Loudun (Vienne).

 

 

[1] Cf. G. M. Zadac, in La Science Historique, 1927. P- 37,39. [2] Tapisserie d'Akmimo sur le Nil, III" IV« siècle. Cf. Dom H. Leclercq. Dict. d'Arch. chrét, T. I, vol I, col. 1052. [3] O'Kelly de Galway, Dict. de la Science du Blason, p. 115. [4] Mamachi, Origines Chrétiennes, III, c. 89. [5] Tertullien, De coron, milit. c. I. — Cf. Martigny, DM. des Antiquit. Chrét. P- 136. [6] Cf. Camille Gullian, Gallia p. 217. [7] Cf. G. Welter, Une nouvelle forme de Cernunnos. in Revue Archéolog. 4 Sér. T. XVII (1911) p. SS. [8] A Reims Cernunnos encorné de bois de cerf vide un sac de grain, autre emblème d'abondance. Cf. G. Dottin. La Religion des Celtes, p. 20. [9] St Jérôme, In Isaiam, c. XXVIII. [10] Bède, In Psalm. XXVIII. [11] St Brunon d'Asti. De novo mundo, et In Gènes. XLIX, 6. [12] Ps. 41 de la Vulgate, v. I et 2. [13] Cf. Dom Leclercq, in Diction. d'Archéolog. Chrét. T. II, vol. II, col. 3.301.[14] Cf. P. Delattre, Lampes chrétiennes de Carthage, in Revue de l'Art Chrét. ann. 1891, p. 139, n° 90. [15] Cf. Milin, Midi de la France, PI. LIX, n» 90. [16] Cf. D. Leclercq. Op. cit. [17] Cf. Mgr. Barlieu de Montault, Bibliographie, in Revue de l'Art Chrétien 1883, (tiré à part, p. 9). [18] Cf. B. de Montault, Traité d'Iconographie chrétienne, T. I. Liv. V. p. 207. [19] Salomon, Cantique des cantiques, VIII, 14.[20] Bordeaux, Cf. Camille Jullian, Inscription romaine de Bordeaux, T. II, p. 58. [21] Nantes et Rezé, cf. F. Parenteau. Catalog. Raisonné de l'Exposit. de Nantes, 1872. PI. XI ; et Inventaire Archéolog. p. 44, pl. XXI, n° 2 et 10. [22] St. Just. sur Dive M. et L. Cf. L. Ch. L. dessin inédit. [23] Parenteau, lavent. Archéolog. p. 56, PI. XVIII, n° 18. [24] Rhaban-Maur, In Hierem. Comment. VII, 14.[25] Lettre de J. P. d'Olivier à Pécrèsc, in Mém. de la Soc. des Antiq. de France. Ann. 1903, p. 35.[26] Cf. H. Leclercq. Manuel d'Archéolog. Chrét. T. II, p. 310.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'ICONOGRAPHIE EMBLÉMATIQUE DE JÉSUS-CHRIST. LE BÉLIER & LE MOUFLON

V. — LE BÉLIER, EMBLÈME DU CHRIST

FORT, PUISSANT ET TRIOMPHATEUR

La façon dont les béliers combattent en frappant du front leurs adversaires ont fait d'eux, chez les Anciens, un emblème de la force guerrière et du courage.

Pour lui comme pour le Taureau, la Licorne, le Bouc, le Rhinocéros, l'idée de force et de puissance a été attachée par le symbolisme de tous les âges, aux cornes de sa tête ; les textes sacrés, dans la Bible et les écrits des docteurs et des mystiques anciens, emploient souvent ces expressions : « la corne du méchant », « la corne du juste » en parlant du pouvoir de l'homme pour le bien ou pour le mal, et de sa mise en oeuvre ; c'est ainsi qu'il est écrit au Livre des Psaumes : « ...et omnia cornua peccatorum confringam, et exultabuntur cornua justi.[1] »

Et cette idée symbolique de force, attachée à la corne était parente, certainement, de celle qui fit que les Gaulois, comme avant eux les Grecs mycémiens, fixèrent des cornes, naturelles ou imitées, sur leur casque de combat[2].

De là aussi l'instrument de siège qu'utilisa le génie militaire antique sous le nom de bélier. C'était essentiellement une lourde poutre de bois armée à son extrémité d'une tête de bélier en fonte de fer ou en airain et suspendue par son milieu. Par un mouvement de va-et-vient on en frappait les portes ou les murs des villes assiégées afin d'en provoquer la rupture ou l'écroulement. Le bélier militaire était un instrument de succès ; mais de même, dirent les premiers mystiques chrétiens, que cet instrument ne peut procurer la victoire que fixé sur la poutre de bois et par le moyen même de ce bois, de même aussi le Sauveur ne put réaliser la Rédemption du genre humain que cloué à la croix, et n'eut que par le moyen de ce bois la victoire sur le péché, d'une part, et, d'autre part, sur la justice de Dieu.

C'est pourquoi le Bélier-Christ, ainsi victorieux, fut souvent figuré, comme l'Agneau, avec l'étendard triomphal. Ainsi le voyons nous sur une clef de voûte de la cathédrale de Troyes, XIIIe siècle, que Didron regarde comme « l'emblème de la force du Fils de Dieu [3]». C'est la force triomphante. (FIG. IO).

(FIG. IO). Le Bélier triomphant, (Cathédrale de Troyes. — XIIIe s.)

VI. — LE BÉLIER, EMBLÈME DU VERBE DE DIEU

Le Bélier, fut pris aussi comme hiéroglyphe de la voix divine, de la Parole éternelle !... parce que, dit saint Ambroise, les brebis le suivent à sa voix. Il est possible, en effet, que la docilité du troupeau à suivre la voix du bélier, chef, conducteur et père, ait fait de lui, même chez les païens anciens, l'emblème du guide des Ames vers leurs éternelles destinées ; et c'est peut-être pourquoi le même saint Ambroise dit autre part que le Bélier « est pris pour le symbole du Verbe divin, même par ceux qui ne croient pas à la venue du Messie[4] ».

Certaines figurations primitives et du Moyen-âge nous montrent parfois le Bélier-Christ tenant entre ses lèvres un rameau feuillu ; les mystiques figuraient par ce dernier emblème l'action vivifiante du Verbe divin. C'est l'image de la doctrine pénétrant avec force et amour et agissant sur les âmes comme l'atmosphère du printemps agit sur la végétation : « Folium sermo doctrinae », dit à ce sujet saint Eucher[5].

Saint Grégoire admet ce symbolisme un peu bien compliqué, mais en y voyant, de préférence, « un rameau de l'Arbre de Vie dont les feuilles ne tombent pas, parce que la Parole du Christ est impérissable[6].

Où donc ai-je vu aussi le Bélier-Christ, monté sur un rocher, la tête haute et la bouche ouverte, jetant, sans doute, à tous les horizons, l'appel aux Ames ?

VII — LE BÉLIER EMBLÈME DU CHRIST LUMIÈRE DU MONDE.

Il est incontestable que le Bélier, comme l’Agneau, a interprété dans l'iconographie emblématique cette parole de saint Jean qui, parlant de la Jérusalem céleste, dit que « l'Agneau en est la lampe[7] ». C'est ce que nous représente une lampe de bronze, à deux foyers, faite en forme de bélier debout, que Dom Leclercq a publiée[8], après Mr de Lasteyrie à qui elle appartenait[9], en y voyant aussi l'emblème du Christ-Lumière ; d'après le texte apocalyptique de saint Jean.

D'autres lampes chrétiennes des premiers siècles montrent aussi le Bélier-Christ, témoins plusieurs de celles recueillies à Carthage par le R. P. Delattre[10]. (FIG. 11).

(FIG. 11). Le Bélier sur lampe carthaginoise.

VIII. — LE BÉLIER EMBLÈME DU CHRIST RÉDEMPTEUR

Il est inutile de rappeler ici que le bélier, comme l'agneau et la brebis, fut offert en sacrifice sanglant à Dieu, et aux dieux, chez tous les peuples anciens.

En ce qui concerne les Hébreux, le Lévitique et les Nombres nous renseignent sur la liturgie sacrificielle du bélier.

Cicéron nous précise, de son côté, que dans le monde romain le sang du bélier était offert surtout aux dieux lares, protecteurs du foyer familial[11] ; le seul chenet gallo-romain de terre .Cuite en forme de bélier qui ait une inscription, porte justement ces mots : « Laribus augustus[12] ».

Rome et la Grèce qui connurent avec le culte d'Anahita-Cybèle les sacrifices tauroboliques[13], pratiquèrent de la même manière le Criobole, ou sacrifice mystérieux du bélier, qui relevait du culte proche-oriental d'Atys : l'initié, placé dans une fosse sous un plancher à claire-voie recevait sur tout son corps nu le sang du bélier qu'un sacrificateur égorgeait au-dessus de lui ; il croyait, par la vertu communicative de ce sang d'hostie, entrer en immédiate union avec la divinité à laquelle le sacrifice était offert et se rapprocher intimement d'elle.

Comme la plupart des victimes offertes dans les antiques sacrifices, le Bélier devint, chez les chrétiens, l'image du Christ victime ; et ce symbolisme se maintint jusque pendant le moyen-âge, selon le témoignage de Rhaban-Maur et de l'Anonyme de Clairvaux qui voient dans le Bélier le Verbe fait chair et immolé en sacrifice pour notre rédemption[14].

Beaucoup plus anciennement, dans la glose mystique du sacrifice d'Abraham sur le Moria, où le bélier fut substitué au fils du patriarche[15], on avait présenté l'animal sacrifié à la place d'Isaac comme la figure du Christ immolé à la place de l'humanité coupable. Déjà au 11e siècle, saint Méliton de Sardes commenta ce symbolisme[16]. Origène, à la même époque écrivait : « ...sed quomodo Christo uterque conveniat et Isaac qui non est jugulatus et aries qui jugulatus est opère pretium est noscere[17]... »

Plus tard, au IVe siècle, saint Ambroise, surtout, s'est attaché à cette interprétation mystique du célèbre sacrifice biblique[18]. Saint Augustin, son disciple, expliqua à son tour comment le bélier suspendu par les cornes aux branches du roncier est une image du Sauveur couronné d’épines[19]. Et comme écho à cette symbolique littéraire des Pères[20] dont il serait facile de citer de nombreux textes une sculpture chrétienne de cette époque gallo-romaine, qui est au musée d'Arles, représente le sacrifice d'Abraham avec le bélier suspendu par les cornes à l'arbuste épineux. L'érudit Edmond Le Blant en parle ainsi en lui appliquant les idées des Pères que je viens d'exposer brièvement : « Le sacrifice d'Abraham est, on le sait une image de la Passion ; les Pères s'accordent à l'enseigner. Le Christ, dans sa double nature leur paraît également symbolisé par le Bélier et et par Isaac, images du sacrificium cruentum et du sacrificium incruentum. Isaac conduit à la mort fut chargé du fardeau de branchages comme le Seigneur porta l'instrument de son supplice ; le buisson où fut arrêté le bélier symbolise la croix ainsi que l'explique ce passage de saint Basile de Seleucie dont un bas-relief d'Arles (FIG. XII) semble une traduction faite pour les yeux : « Vois le Bélier suspendu à la plante, comme le Christ le fut à la croix[21]. »

Ainsi donc, emblème tout à la fois du Rédempteur suspendu au bois de sa croix et couronné d'épines, d'une part, et de son double sacrifice sanglant et non sanglant d'autre part, le Bélier biblique est une des images emblématiques du Christ victime les mieux consacrées par les maîtres de la doctrine et par l'art chrétien.

(FIG. 12). Le Bélier suspendu par les cornes. Sculpture gallo-romaine d'Arles.

IX. LE BÉLIER EMBLÈME DU CHRÉTIEN

Les mêmes documents artistiques des premiers siècles nous montrent assez fréquemment le Bélier tenant la place dû fidèle chrétien, soit qu'il le figure avec la Brebis placés à droite et à gauche du Christ, soit qu'il occupe la même place au pied du monticule de l'Agneau divin. Parfois le Christ-berger garde un troupeau qui ne se compose que de béliers, et dans lequel on peut être tenté de voir les images allégoriques des chefs terrestres de l'Église, conducteurs des fidèles[22]. Ailleurs, comme du reste sur ce même sarcophage que je viens de citer en note, c'est le bélier, et non la brebis que le Bon Pasteur est allé retirer des sentiers de perdition et qu'il rapporte affectueusement sur ses épaules, scène miséricordieuse qui, malheureusement, n'est pas forcément en opposition avec l'interprétation que je viens de risquer : les sculpteurs et les peintres de nos cathédrales médiévales ont bien exprimé hardiment la même idée, sans l'ombre d'un voile allégorique.

D'autre fois les Béliers réunis en nombre quelconque représentent les Élus ; c'est ainsi que sur un très beau sarcophage romain[23] le Christ-juge siège au milieu, et de sa main droite accueille une file de huit béliers dont il regarde et caresse le premier, tandis que, de la gauche, il repousse cinq boucs dont le premier se cabre sous le geste de condamnation ; c'est la traduction artistique des derniers mots de ce passage d'Ezéchiel : « Ainsi parle Yahwéh — voici que je vais juger entre brebis et brebis, — entre les béliers et les boucs[24] ».

L'ANTITHÈSE DU BÉLIER-CHRIST, LE BOUC

L'antithèse du Bélier-Christ dans l'iconographie emblématique des âges anciens, c'est le Bouc-Satan, le Bouc pris dans le mauvais sens, car nous verrons quie, sous le rôle du Bouc Emissaire des rites hébraïques, la pensée chrétienne en a fait aussi un emblème du Christ béni.

De même que la corne du bélier fut l'image emblématique de la force agissante du Bien, de même aussi la corne du Bouc représenta l'énergie des méchants mise au service effectif du mal. Dans le satanisme et la démonologie, le Bouc est une des figures habituelles de l'Esprit mauvais ; et la puanteur infecte de cet animal est constamment regardée comme le fumet ordinaire de Satan et de ses oeuvres, en opposition à « l'arôme des vertus » et à cet ensemble de suavités idéales que la spiritualité chrétienne appelle « la bonne odeur de Jésus-Christ ».

Loudun (Vienne). L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Rhaban Maur, In Exod. IV, 9. [2] Cf. Schliemann, Mycènes, p. 211 et 213, fig. 213. [3] Didron, Histoire de Dieu, pp. 308 et 331. [4]  St Ambroise, Epitre LX, c. III.[5] Cf. Dom Pitra, Spicilège de Solesmes, T. III, p. 402. [6] St Grégoire, Formules spirituelles, ap. Pitra, ibid. T. II, p. 412. [7] St Jean l'Ev., Apocalypse, XXI, 23. [8] D. Leclercq, Dict. d'Arch. Chr., T. I, vol. I c. 895. [9] De Lasteyrie, Mém. Soc, des Antiq. de France. T. XXII, p. 223 ; et Garucci,Hiéroglypta, ann. 1836, p. 46, etc. [10] Delattre, Lampes chrétiennes de Carthage, in Rev. de l'Art chrétien, 1890,p. 40, n° 137. [11] Cicéron, De Lage II, 22. [12] Cf. J. Déchelette. Revue archéologique, 1898, T. XXXIII et Man. d'arch.T. II, 3 Part. p. 1401. [13] L. Ch. L., Taurus Christus in Regnabit, juin 1926, p. 40. [14] Ap. Spicilège de Solesmes, T. III, p. 24 [15] Voir Genèse XXII, 1-19.[16] S. Méliton. Fragm. in Routh., Reliq. sacra. T. I, p. 116 ; et Piper, in Bullet. Monumental. 3 ter.. T. XXVIII, 1861, p. 483.[17] Origène, Homil. VIII, in Gènes. 9.[18] S. Ambroise, De Abraham. L. I, VIII ; et Epist. ad Justum. [19] S. Augustin, Contra Fauslum XXII, 7^ et De Chitate Dei XVI, II20] Cf. Dictionn. d'archéol. chrit., T. II, v. I, col. 656, note 11.[21] Edm. Le Blant, Le sarcophage chrétien de Luc de Béarn, in Revue archéologique, 2« sér., T. XL, 1880, p. 131.[22] Ex-sarcophage de Rome, reproduit par Bottari. Routa sotterranea. II-CXLIII.[23] Voir Diction. d'Archéolog. chrét., T. II, vol. I, fig. 1469. [24] Ezechiel, Prophétie XXXIV, 17.

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L'ICONOGRAPHIE EMBLEMATIQUE DE JESUS-CHRIST

LE BÉLIER & LE MOUFLON

La représentation du Bélier fut l'un des emblèmes religieux que préférèrent les plus anciennes civilisations historiques, héritières en cela, sans doute, de celles qui les ont précédées. On pourrait écrire un volume entier sur le rôle symbolique du Bélier dans le vieux monde ; disons ici seulement en quelques lignes comment il fut envisagé chez les derniers peuples préchrétiens de l'Orient et de l'Occident.

I. — LE BÉLIER DANS LES CULTES PRÉCHRÉTIENS

Chez les Mazdéens de Perse, dans les cultes du Touran et dans le plus ancien hindouisme, le Bélier fut l'emblème et le véhicule d'Agni, l'un des deux grands principes, L'Esprit pur, en opposition avec Soma, la Matière ou plus exactement la Nature ; Agni fut le dieu du Feu ou plutôt le régent du royaume du Feu, considéré le plus souvent comme foyer de chaleur animatrice présent dans les êtres vivants [1].

D'après les livres sacrés de l'Inde, le Rig-Veda et l'Evesta notamment, Agni apparaît bien parfois comme le feu matériel, le feu du foyer et surtout celui de l'autel du sacrifice, mais plus souvent comme le feu universel, celui du soleil et des autres astres incandescents, celui des feux follets et du fouet de l'éclair ; des liens étroits qui correspondaient à des pensées profondes rattachaient pour eux ces feux divers aux idées de la purification matérielle et spirituelle, de l'action, de la force, de l'ardeur, de l'amour et de la vie.

Aujourd'hui les Hindous boudhistes ont rabaissé Agni (Akkini), le dieu du feu pur et purificateur des Anciens, au rôle prosaïque de dieu du foyer culinaire, avec deux têtes et quatre mains qui portent d'ordinaire un éventail, une torche, une cuiller et une écuelle ; mais, par un traditionnisme tenace, on figure encore actuellement ce marmiton renforcé monté sur le vieux Bélier sacré des ancêtres.

(Fig 1). Le double Bélier sur chapiteau de Persépolis, d'après L. Ménard. Hist. Des Grecs, T. II, p. 675.

(FIG. 2). Le Bélier d'Ammon sur le tombeau du pharaon Séti I, — Lefébure, Annales du Musée Guimet, ann. 1886, T. IX, pl. XLVIII.

En Égypte, dès le temps des plus anciennes dynasties pharaoniques on adorait Ammon-Râ, le Soleil agissant, sous la forme du Bélier couronné du globe ou du disque solaire (FIG, 2). Le Bélier était l'animal emblématique de Kneph, un des plus anciens aspects du dieu créateur de la vie[2], que l'on représentait généralement avec une tête de bélier (FIG. 3). Celui d'Osiris avait quatre têtes et quatre cornes, une tête et une corne pour chacun des points cardinaux[3]. Plus tard, le Bélier finit par devenir, comme l'oiseau, le représentant sensible de l'idée de survivance humaine, et par avoir le sens d'Ame[4].

(FIG. 3). Le dieu Kneph, à tête de Bélier. Temple de Ramsès II, à Antinoé, Egypte. — Gayet, Annales du Musée Guimet, 1897, 3e Part, Pl. XVI.

Les Grecs empruntèrent aux Égyptiens le symbolisme du Bélier ; leur suprême expression de la Divinité, Zeus, fuit assimilée à l'Ammon d'Égypte et figurée avec un torse d'homme à cornes de bélier ; sur les monnaies de Lysimachos Alexandre le Grand fut ainsi représenté en Zeus-Ammon[5]. Les pièces d'or de là Cyrénaïque au contraire montrent le dieu Zeus, sous forme humaine normale, drapé et-debout près d'un bélier ; et ce dernier paraît seul sur les monnaies de Thessalie et de Cephalonia[6].

En Chypre, les figurations anciennes permettent de croire que le symbolisme égypto-phénicien du Bélier fut transposé, dans les vieux cultes de cette île, au Mouflon qui s'y trouvait autrefois plus répandu que le bélier et qui s'y rencontre encore communément. Il semble bien certain que dans

les premières chrétientés chypriotes les significations emblématiques du Bélier-Christ furent aussi attribuées au Mouflon ; l'analogie frappante des caractères entre les deux animaux autorisait, en effet, ce rapprochement[7].  (FIG. 4).

En Gaule, le Bélier joua un rôle important dans le culte encore mal connu des Druides : une tête de bélier sert d'attribut au dieu à trois têtes ; c'est ainsi que nous la voyons près de la divinité tricéphale du Musée Carnavalet, à Paris ; sur une stèle, aussi, de la collection Duquenelle, à Reims, et sur deux autres stèles gauloises trouvées dans la même ville.

Une statue gauloise provenant de Sommérécourt (Haute-Marne), porte sur la tête la trace de scellement de deux cornes en métal et tient en main le Serpent à tête de bélier[8], emblème vraisemblable des idées réunies de force et de souplesse, de courage et d'habileté, d'audace et de prudence, allusion à certain pouvoir curatif que d'antiques et obscures croyances attachaient respectivement au bélier et au serpent.

(FIG. 4). Tête hiératique de mouflon, d'après une ancienne urne chypriote. (Rev. archéol. sér. T. IX, (1887), p. 78. 3888, p. 279.

Dans le culte familial des Gaulois le Bélier était le dieu du foyer : les chenets gallo-romains d'argile cuite, à l'effigie du Bélier, sont assez nombreux dans nos régions françaises de l'Ouest [9] et ailleurs[10] (FIG. 5).

Le Bélier a part aussi dans l'archéologie religieuse et pré-chrétienne de la Germanie, de l'Ibérie, de l'Italie et de l'Afrique du Nord ; c'était trop pour que cet animal marqué par tant de faveur dans tout l'ancien monde, put être négligé par les symbolistes chrétiens, aussi l'ont-ils fait entrer dans la faune hiératique du Christ avec presque tous les sens que les paganismes lui avaient attribués.

(FIG.5) Chenet gaulois à tête de bélier, d'après Déchelette, Rev. archéol., 1898.

II —LE BÉLIER, SIMPLE EMBLÈME DE LA PERSONNE DU CHRIST

Souvent le Bélier fut peint ou sculpté dans l'art chrétien primitif pour figurer emblématiquement Jésus-Christ sans que l'idée particulière et précise d'aucun de ses divers caractères y ait été attachée ; c'est Jésus, simplement.

Une terre cuite chrétienne et romaine nous montre ainsi le Bélier qui chemine en portant sur ses épaules son monogramme, XPistos, placé dans un nimbe entre l'Alpha et l'Oméga symboliques[11] (FIG. 6). Sur l'épitaphe d'Eumorphiès découverte à Rome, et qui est aujourd’hui à Strasbourg[12], le Bélier-Christ paraît entre deux Poissons-fidèles.

(Fig 6) : Le Bélier-Christ aux premiers temps chrétiens.

C’est simplement Jésus-Christ, Dieu et Homme, aussi sur une lampe très singulière de Carthage où le bélier, dont la laine et la queue sont caractéristiques, porte un buste d'homme chargé de la croix (FIG. 7). Comme en tous les êtres hybrides à demi corps humain, les Centaures, par exemple, quand ils servent d'hiéroglyphes à Jésus-Christ, le buste d'homme, « créé à l'image de Dieu[13] », est image de la Divinité du Sauveur, et le corps de quadrupède, qui relie l'être à la terre, est image de son Humanité.

III. — LE BÉLIER EMBLÈME DU CHRIST-PASTEUR

Si, comme nous l'avons vu précédemment, les textes sacrés et après eux les arts figuratifs ont fait de l'agneau l'emblème du Christ pasteur, le bélier, qui est agneau adulte, devait, plus naturellement encore, partager la même fonction : l'habitude qu'a le bélier de prendre, aux pâturages, la tête du troupeau, et celle qu'ont les brebis de marcher à sa suite, ont fait du bélier, depuis que l'homme élève des troupeaux, l'image du pasteur lui-même.

La littérature hébraïque comme celle de toutes les anciennes civilisations a usé de cette comparaison. Un seul texte en preuve : « Les princes de Sion, dit Jérémie, sont devenus comme des béliers qui ne trouvent point les bons pâturages[14]. »

D'autres prophètes assimilent aussi les conducteurs de peuples au bélier.

Dans la décoration chrétienne de la crypte de l’Ardéatine, ainsi qu'en d'autres sanctuaires romano-chrétiens, on voit parfois le Bélier porter, ainsi que l'Agneau, les attributs du berger : le bâton pastoral et le vase à traire.

Parce que le Christ est, ainsi que le bélier, le chef et le guide du troupeau, souvent les pontifes de son Église, qui est son troupeau, ont placé l'image emblématique du Bélier dans la volute de leur bâton pastoral. Je reproduis en exemple la belle crosse d'ivoire, du XIe siècle, qui passe pour être celle du pape Grégoire VII, Hildebrand, dont elle est en effet contemporaine, et que l'on conserve au monastère de Saint-Grégoire du Coelius, à Rome [15], (FIG. 8).

(FIG. 7). Le Bélier-Christ sur une lampe de Carthage.

De nombreuses autres crosses, en tous les siècles, nous présentent ainsi le Bélier ou l'Agneau combattant le Serpent ou le Dragon, double imagé du Christ et de Satan[16].

IV. — LE BÉLIER EMBLÈME DE LA PATERNITÉ MYSTIQUE DU CHRIST.

De même que certains autres animaux mâles, le taureau et le cerf par exemple, le Bélier fut aussi, pour nos pères de l'Église primitive, l'un des emblèmes de la fécondité mystique du Christ qui a dit : « Comme le Père a la Vie en soi, ainsi a-t-il été aussi donné au Fils d'avoir en Soi la Vie » ; et ailleurs : « Je suis la Vie ».

Ce n'était pas du reste une idée nouvelle aux premiers siècles chrétiens, que celle d'unir le Bélier symbolique à l'idée de la propagation de la vie : les cultes préchrétiens du bassin oriental de la Méditerranée et de l'Asie Occidentale ont admis et répandu comme des symboles du mystère de la génération chez l'Homme et chez les Animaux, des amulettes en forme de tête de bélier ou de mouflon, comme d'autres, aussi, représentant la tête du taureau[17]. Certaines de ces amulettes criocéphales, d'origine phénicienne cypriote ou mycénienne sont tellement stylisées qu'on les a prises souvent pour des représentations du poulpe, stylisées aussi à plaisir, et dont elles se rapprochent en effet, mais avec lesquelles toutes ne peuvent être confondues[18] (FIG. 9).

(Fig 8). Crosse d'ivoire, XIe siècle, du monastère de St-Grégoire, à Rome.

En Égypte la statue sacrée du Bélier, dans le temple de Mendès passait pour pouvoir procurer aux femmes la fécondité, car il était regardé comme recelant en quelque sorte l'âme d'Osiris ; son nom, Bâ, est en effet synonyme du mot « âme [19]».

L'application au Bélier-Christ de ces idées attachées au Bélier emblématique païen était chose toute simple. Le Fils, n'est-il pas, au même titre que le Père et « l'Esprit Créateur », l'auteur et le mainteneur de toutes vies physiques, la source de toute vie spirituelle dans l'Eglise et dans les âmes, de toute vie intellectuelle et instinctive chez tous les êtres vivants ?

N'oublions pas que sur- le Cercle du Zodiaque, transmis, semble-t-il, par les Chaldéens aux Phéniciens, aux Grecs, puis aux Égyptiens [20], le signe du Bélier, Aries, chevauche sur nos mois de Mars et d'Avril, et que celui du Taureau, Taurus, règne sur les mois d'Avril et de Mai, donnant ainsi, par moitiés successives, les trois mois du printemps qui sont l'époque de l'année où la vie bouillonne plus fort en toute la nature : le  sang dans les artères des animaux, la sève sous l'écorce des végétaux, et, dans l'air, les premières tiédeurs vivifiantes ; alors les graines se gonflent et germent en terre, les bourgeons crèvent leur enveloppe, les premières fleurs font éclater leurs boutons ; dans les eaux, les œufs s'accumulent autour des roseaux ou des algues, et, sur terre, les nids s'agrafent aux fourches des ramures : c'est « le temps de la merlaison », disaient jadis les vieux paysans du Poitou.

(FIG. 9).— I) Poulpe (Perrot et Chypiez, Hist. de l'Art, T. VI, p. 932. — 2) Tête de Mouflon (Chantre, Recherches anthropolog. dans le Caucase. T. II, 145 ; et Atlas, pl. LVII, fig 4.

Tout est amour, tout est vie ; et sur tout cet amour et toute cette vie dont la manifestation est autant une résurrection qu'une naissance, domine la grande fête de la Résurrection du Christ qui est amour et germe de toute vie et de toute résurrection.

De millénaires traditions accordaient aussi au sang du Bélier, et même à la râpure de ses cornes, d'étranges propriétés curatives ; même encore en notre moyen-âge, par assimilation morphologique avec la corne du bélier, le fossile qu'on appelait alors de ce nom, puis au XVIIIe siècle, « corne d'Ammon », l'ammonite actuelle de nos géologues, passait pour un efficace remède. On trouve encore le reflet de cette croyance au temps de Louis XIV[21] ; faut-il chercher en elle ou dans un rapport avec l'idée de vie —- de vie continuée au-delà de la tombe — le pourquoi de la présence de l'ammonite fossile dans le mobilier de sépultures mérovingiennes ou je l'ai constaté deux fois, notamment à Cerizay (Deux-Sèvres), en 1896, où deux petites ammonites de 13 et de 15 millimètres de diamètre, percées d'un trou central, avaient été suspendîtes au col d'un inhumé du VIe siècle ou du VIIe. Le Christ est guérisseur aussi, pour les âmes et pour les corps ; les maîtres premiers de notre symbolisme chrétien n'eurent donc pas à hésiter pour transposer à sa Personne, sous l'aspect emblématique du Bélier, les idées reçues avant eux à l'endroit des qualités prolifiques et curatives plus ou moins réelles de cet animal.

À Suivre...

Loudun (Vienne).

L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Cf. R. Guenon, l'Homme et son devenir d'après le Vedanta, p. 132.  [2] Cf. Maspéro, Etudes de Mythologie. T. II, p. 273-275.[3] Cf. Maspéro, Le Livre des Morts, in Revue de l'Histoire des- Religions, an. 1887, p.  278.[4]  Cf. Maspéro. Les Hypogées royaux de Thèbes, in Rev. Hist. des Religions.[5] Cf. Louis Ménard, Hist. des Grecs. T. II, p. 726. [6]  Voir A. de Barthélémy, Numismatique ancienne, Edit. Roret, pl. VIII,N° 266, 267 et. 272. — L. Ménard: Hist. des Grecs. T. I, p. 7. [7] Dans l'art égyptien les cornes du bélier rapprochent de celles du mouflon. [8] Cf. Alex Bertrand, Rev. archéologie. 3e sér,  T. IV, 1884, p. 303. [9] Cf. Baudry et Ballereau, Puits funéraires du Bernard, p. 231. — P. C. de la Croix, Notes sur des chenets gallo-romains, in Bull. Soc. Antiq. de l'Ouest, an, 1909, p. 830, etc.[10]Cf. J. Déchelette, Man. d'Archéol., T. II, 3e Part. p. 1401, et Revue Archéologie. Ann. 1898. [11] Garucci, Storia, T. VI, pl. 465. [12] Cf, Diction, d'archéol. chrétienne, Fasc. LXXVI, cal 2020, fig. 6055. [13] Genèse I, 27. [14] Jérémie, Lamentation I, 6. 86 Doctrine. [15] Cf. Mgr Barbier de Montault, La poésie liturgique au Moyen-Age, in Rev. de l'art chrétien. Mars 1857, p. 125.p. 180. 198, 237. [16] Voir Arth. Martin, Des crosses pastorales, m Mélanges Archéologiques, T. IV, p. 198, 237. [17] L. Ch. L., Vitulus Christvs, Taurus Christus, in Regnabit, juin 1926, p. 40, fig. 1 et 2.[18] Cf. Pottier, Observations sur la céramique mycénienne, in Rev. Archéolog-, 3 ser T. XXVIII, p. 17-33. [19] Cf. Lefébure, Bull, critiq. des Religions de l'Egypte, in Rev. Hist. des Relig. T. LXVII, n° 1, 1913, p. 3. [20] Abbé Moreux, La science mystérieuse des Pharaons, p. 106. [21] Voir Boccone, Recherches et observations naturelles, p. 306, (Amsterdam, 1674).

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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L'Iconographie emblématique de Jésus-Christ

L'HIPPOCAMPE & LE PISTRIX

Par souci d'être moins incomplet dans l'étude du Poisson emblématique, et avec les justes réserves qui s'imposent à moi en face d'une figuration dont les maîtres de l'archéologie n'ont pas démontré la raison d'être dans l'art chrétien, je crois devoir parler ici de 1 image de l'Hippocampe et de celle de son antithèse imaginaire, le Pistrix.

Au naturel l'hippocampe est un poisson fort étrange avec sa tête et son encolure à profil chevalin, son corps garni de pointes qui va se diminuant et se termine en s'enroulant sur lui-même, comme la volute d'une crosse[1]. (Fig. I)

C'est un lophobranche de petite taille qui vit dans les eaux de nos côtes atlantiques, dans celles de la Méditerranée et ailleurs. Après la ponte de la femelle, l'hippocampe mâle rassemble les oeufs, les féconde, puis ne les abandonne pas ainsi que font beaucoup  d'autres poissons, mais veille jalousement sur eux jusqu'à leur éclosion.

L'allure de ses mouvements est aussi particulière que sa forme car il se tient toujours dans une position verticale; peut-être l'agitation continuelle qu'il imprime par le jeu de ses nageoires à tout son corps a-t-elle contribué à lui faire accorder, dans les pays d'Orient d'abord, la puissance médicale dont on l'a cru doué : le génie de la médecine et de la thérapeutique, dans sa forme naturelle.

(Fig 1). L'Hippocampe

Le Poisson eucharistique, l'Hippocampe et le Pistrix dans les plus anciennes traditions des Brahmanes étant issu du mouvement spiroïdal des eaux marines, d'où, d'après les Sumériens, serait aussi sorti le principe de vie ?

Quoi qu'il en soit c'est un fait que, dans tous les pays d'influence grecque, puis dans le monde latin, on eut également foi dans les vertus curatives de l'hippocampe, et Dioscorides, Galien, Pline, et les autres naturalistes anciens nous apprennent qu'on employait avec succès la poudre d'hippocampe dans la pharmacopée de leur temps. Indépendamment même des vertus curatives plus ou moins imaginaires de sa cendre, on crut même que l'étrange poisson portait en soi le don d'éloigner ou de guérir les maladies des hommes ; et c'est sans doute ce qui explique la présence de son image sur le cachet en pierre de l'oculiste romain S. Martinius Ablaptus, (Fig. II) trouvé à Vieux (Calvados[2]). Peut-être l'hippocampe, comme le dauphin fut-il mis en relation avec l'idée de la lumière[3] encore que dans les deux formules de collyre Thalasseros, c'est-à-dire formé d'éléments marins, que nous font connaître Galien[4] et Aetius[5], il n'entre pas de poudre d'hippocampe. Et ces croyances et ces pratiques expliquent que, de nos jours encore, dans tout le bassin de l'Adriatique et dans l'Archipel, le corps desséché de l'hippocampe est regardé comme un efficace talisman. A Venise on le suspend par groupe de trois dans les maisons, et cet usage remonte certainement aux plus anciennes civilisations.

(Fig. 2). L'Hippocampe stylisé du cachet de S. Martinius Ablaptus.

Dans les arts figurés les artistes grecs et romains, païens et chrétiens, n'ont pas d'ordinaire gardé à l'hippocampe la forme si curieuse dont la nature l'a doué : ils l'ont stylisé en accusant davantage sa vague ressemblance avec le cheval, en lui donnant un véritable avant-train d'équidé avec oreilles, crinière flottante et vraies jambes de cheval ; bref en ont fait un demi-cheval marin dont l’equus bipes de Pompéi est une des plus belles images. (Fig. III) C'est de aussi ce que nous voyons sur le cachet S. Martinius Ablaptus. Quelquefois l'Hippocampe a des ailes, comme le Pégase.

Mais sous cet aspect il ne doit jamais être confondu avec l’Hippogriffe qui porte une tête d’aigle. un corps de cheval et des ailes, pas plus surtout, comme c'est trop souvent le cas, avec le Pistrix dont je parlerai plus loin, créations fabuleuses qui répondent à d'autres conceptions.

(Fig 3 : L'Hippocampe stylisé de Pompéi. 1er siècle avant Jésus-Christ.)

L'Hippocampe, dans l'ancien monde grec et latin et dans les pays soumis à leur influence, fut l'un des emblèmes de temps que génie tutélaire et guérisseur, le guide des morts aussi, la monture des dieux marins ou l'entraîneur de leur char ; c'est à ces titres divers que nous le trouvons sur les de Tyr, de Biblos (Fig. V) sous les rois Elbaal et Azbaal (360 à 340 avant Jésus-Christ), sur celles de Tarente (Fig. IV) et sur les statères gaulois des Baïocasses de Normandie des Longostalètes (Fig. VII) de Narbonnaise, des carnutes de Beauce, comme celles d'Auvergne qui portent l'Hippocampe[6], à des centres de population fort éloignés de la mer, et leur cheval-poisson doit symboliser autre chose que l'élément marin ; à noter que les statères gaulois des Baïocasses (Fig. VIII) et des Carnutes (Fig. VI) représentent l'Hippocampe sous sa forme naturelle.

(Fig 4 et 5) : Monnaie de Tarente ; monnaie de Biblos.

Si le monde ancien fit de l'Hippocampe un guérisseur, il en fit aussi un guide. En diverses mythologies des rives de la Méditerranée et du Pont-Euxinil fut le conducteur du navire des morts vers les ports du repos heureux, et les Grecs l'attelèrent au char de Posseidon. Une monnaie d'argent de la Gens Crepereia nous montre le char de Neptune— le Posseidon des Latins— entraîné sur les flots par deux Hippocampes, et les monnaies des gaulois de Redon, de Chartres et de Bayeux, représentent l'Hippocampe au naturel guidant le cheval terrestre ou le cheval ailé, le Pégase grec. (Fig. VI et VIII).

(Fig 6, 7 et 8) : Monnaies gauloises des Carnutes, des Longostanènes et des Baiocasses.

L'hippocampe apparaît donc ici avec une signification allégorique semblable à celles que les anciens attribuaient, dans le temps même de sa propre vogue, au Dauphin-Christ : il est un pilote, un guide bienfaisant.

L'art chrétien de la décoration monumentale adopta l'image de l'hippocampe stylisé sur les plus anciennes fresques des Catacombes[7], et les arts mineurs, gravure, ciselure ou modelage l'utilisèrent aussi pour l'ornementation de divers objets mobiliers plus ou moins précieux. Il apparaît ensuite dans l'art chrétien des Goths et des Francs[8], (Fig. IX et X) enfin nous le trouvons dans la décoration romane de France ; il faut préciser cependant que ses représentations chrétiennes ne sont pas très fréquentées mais elles demeurent des réalités. Peut-être quelquefois, ne représentent-elles que l'élément marin ?... mais cette interprétation ne saurait tout expliquer ; il semble plus raisonnable, plus  logique de chercher la  raison de l'emploi de l'Hippocampe dans les caractères réels ou fictifs que les Anciens lui reconnaissaient, que les auteurs d'alors nous ont fait connaître et. qui avaient cours à l'époque de la formation même de l'art emblématique des Chrétiens.

(Fig 9). L’Hippocampe sur bronze mérovingien du Musée de Dijon. Revue art chrétien, 1896, p. 487.

(Fig. 10). Fibule mérovingienne en forme d'Hippocampe. Dict. Arch. chrét. T. v. vol. II. 1506.

Pourquoi nos premiers symbolistes auraient-ils négligé dans l’Hippocampe ces qualités fictives, quand ils appliquaient les mêmes fables au service, et à la représentation allégorique du Seigneur Jésus sous les images des autres animaux qui les partageaient avec lui ? La croyance antique dans la puissance curative de l'Hippocampe qui se reflète encore chez les Vénitiens, catholiques ou non, n'a-t-elle jamais évoqué dans la pensée du prêtre, du peintre des catacombes, alors qu'ils le cherchaient et le voyaient partout, le souvenir du divin Guérisseur qui parcourut en « bon Samaritain » les plaines et les collines de Judée?...

L'Hippocampe guérisseur des yeux, par exemple, n'est-il pas assimilable en tant qu'emblème, au Poisson de Tobie emblème du Christ accepté par les Pères ; et le sens  e l'Hippocampe conducteur du char des Morts vers les régions heureuses n'est-il pas le même que celui du Dauphin guide des Ames vers les Iles Fortunées[9] ?

De par ses antécédents séculaires, l'Hippocampe avait même, sur deux autres poissons emblématiques, celui de Tobie et le Dauphin, emblème reconnus du Christ, l'avantage d'atteindre à lui seul deux des idées les plus chères à l'iconographie allégorique et primitive du Sauveur, que les deux autres poissons n'exprimaient que séparément, et qui nous le font adorer comme la source de toute lumière et comme le maître de la voie du salut.

Il me semble donc parfaitement possible de regarder l'héritage païen que possédait l'Hippocampe, guérisseur et guide tutélaire, comme l'explication de sa présence dans l'ancien art chrétien et de son entrée dans l'iconographie allégorique du Sauveur.

Et cela reste en parfait accord avec l'esprit et la méthode des premiers maîtres, donc avec la vraisemblance. »

Le Pisirix, antithèse de l'Hippocampe.

Les poètes et les artistes du paganisme ont fait du Pistrix un être fabuleux qui présente des ressemblances et aussi des différences essentielles avec l'Hippocampe stylisé : leur allure générale dans les flots est la même, et elle seule est cause que nos modernes archéologues les ont quasi toujours confondus l'un avec l'autre, ou plutôt ne paraissent connaître que le seul Hippocampe.

(FIG. 11). Le Pistrix, d'après une peinture de Pompéi. (Cf. Rich. op. cit.p.490)

Le Pistrix, dont Florus[10] et Pline[11] et Virgile[12] ont parlé, n'a point la tête et l'avant du cheval, mais il est pourvu d'une tête de dragon et de longues nageoires palmées au lieu de jambes d'équidé. C'est là la règle ; les exceptions ne sont que des licences d'artistes comme il s'en est toujours produit. Au point de vue de leurs caractéristiques morales, l'Hippocampe apparaît comme un génie protecteur et bienfaisant ; le Pistrix, au contraire, est un être méchant et détestable ; il est, dans la faune fabuleuse du paganisme méditerranéen, le monstre infernal marin, et ressemble comme un frère au Leviathan des Livres sacrés des Hébreux.

Aussi, seul, l'Hippocampe se profile sur les plats des monnaies antiques, alors que le Pistrix est réservé à l'illustration des naufrages, des cataclysmes et des lieux maudits.

Parce que nos érudits modernes, — et des meilleurs — n'ont pas observé ces distinctions, ils ont dit et répété que le monstre qui, sur les fresques des catacombes ou sur les marbres de même époque dévore Jonas, est l'Hippocampe : il n'en est rien ; c'est toujours ou quasi toujours le Pistrix infernal qui s'y montre; (Fig. XII et XIII) emblème frappant, en la circonstance, des méchants servant, malgré eux, les desseins de Dieu.[13]

***

(Fig. 12 et 13). Le Pistrix et Jonas. 1°) sur fresque de la catacombe de Bonaria près Caghari ; 2°) sur un tombeau d'El-Djem, Tunisie.

Notons en terminant que jamais l'Hippocampe, pas plus que le Crustacé, n'a été employé pour figurer le fidèle ou les âmes humaines. Ce rôle, sous l'aspect pisciforme, fut attribué, chez les païens aux Néréides et aux Tritons « images des âmes traversant la mer de la vie[14] », et chez les chrétiens au Poisson commun et au Dauphin.

Mais sous les aspects divers du Poisson commun, du Dauphin, du Crustacé, du Christ-Pêcheur et de ses engins, du Poisson eucharistique et vraisemblablement aussi de l'Hippocampe, le Sauveur nous est apparu, mystérieusement enveloppé, mais avec toutes ses divines qualités de Père, de Rédempteur, d'Ami, de Chef et de Guide, de Nourricier, avec tous ses charmes, toutes ses promesses et tous ses dons divins.

(Loudun Vienne). L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] La gravure que j'en donne représente, en demi-grandeur réelle, un hippocampe desséché de la collection de M. le comte J. du Fort, d'après dessin de M. Henri du Fort. [2] Cf. Héron de Villefosse et H. Thédenat, Note sur quelq. cachets d'oculistes romains in Bulletin Monumental, 1882, p. 7 et 13. [3] V. Regnabit. Janvier 1927, p. 149. [4] Galien, Therap. L. IV, C. VIII. [5] Aetius, Telrabiblos, n, serin. IV, c. CX. [6] Cf. Adrien Blanchet, Traité des Monnaies Gauloises. [7] Dom Leclercq, Diction. d'Archéol. chrét. ; fasc. LXVI, col. 2084.[8] Cf. Chabeuf, Rev. de l'Art chrétien, 1896, p. 487.— Dict. d'Archéol. chrét. T. V. v. II, col. 1506. [9] Voir de Rossi, Bull. d'Archéol. chrét. 1870, p. 65. [10] Florus, III, 5, 16. [11] Pline, Histoire Naturelle IX, 2. [12] Virgile. Eneide III., 427.

 

[13] Voir gravures dans Dict. d'Archéol. chrét. T. II, Vol. I, col. 229, 358, 1006, 1148.— T. IV, Vol. II, col. 2610, etc…

[14] Dom Leclercq, Ouvrage cité, T. I, vol. I, col. 1478.

 

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L'Iconographie emblématique de Jésus-Christ

LE POISSON EUCHARISTIQUE

Dans une première étude sur le Poisson considéré comme emblème historique de Jésus-Christ, fils de Dieu et Sauveur », nous avons vu, sur l'inscription funéraire de Pectorios d'Autun, ces mots, dont le sens mystérieux est pour nous très clair : « Reçois l'aliment, doux comme le miel, du Sauveur des saints : manges avec délices, tenant le Poisson dans tes mains, et rassasies toi avec le Poisson». L'épitaphe de l'évêque Abercius de Phrygie, qui est, comme celle de Pectorios, du IIIe siècle, dit à son tour ; « La Foi me conduisait partout. Partout elle m'a servi en nourriture un Poisson de source, très grand, très pur, péché par une Vierge sainte : Elle le donnait à manger aux amis[1]... »

Ces textes présentent donc nettement le Poisson, comme terme désignant, dans le vocabulaire mystérieux des chrétiens, le Christ Eucharistique ; terme accepté en Orient et en Occident avec la même signification, et, de plus, représenté par les arts figuratifs d'alors en une multitude de compositions : parfois le Poisson porte les pains sur son dos au-dessus d'une mer tempétueuse ; ou bien il présente dans sa bouche le pain ou le raisin

ailleurs, entre la coupe et le pain, il attend sur un plat d'être distribué comme eux en nourriture ; il impose sa forme ou son image à des objets liturgiques d'usage eucharistique, etc.. Voici le Christ-poisson portant la corbeille ou ciste eucharistique, d'après une fresque de la catacombe romaine de Lucile, qui, vraisemblablement, date du IIe siècle. (Fig.1).

(FIG 1.) - Le Poisson portant l'Eucharistie. Fresque de la catacombe de Lucile. - IIe siècle.

Le Poisson en tant qu'aliment liturgique dans les cultes préchrétiens.

Quand on étudie les cultes antérieurs à notre ère, on ne peut se défendre d'un étonnement très grand : Nous y voyons en effet que tous les grands dogmes de notre foi chrétienne ont été pour ainsi dire préfigurés par des croyances, par des usages religieux, par des formes matérielles emblématiques ou rituelles ; et ce sont ces surprenantes constatations qui ont amené des érudits éminents et très indépendants, dont les œuvres

ne sont pas spécifiquement religieuses, tels, par exemple, que Louis Ménard[2] et Alexandre Moret[3], à considérer comme une sorte de «préchristianisme» certaines manifestations religieuses d'ordre dogmatique ou liturgique, chez de très anciens peuples de la Gentilité.

Pour le chrétien qui étudie, ces faits s'expliquent, si surprenants qu'ils soient au premier coup d'oeil : c'est l'action providentielle préparant de loin, même chez les Gentils, la venue de ce Christ qui devait sauver tous les Justes de la terre, et faire d'eux tous son Peuple.

L'Eucharistie, comme tous nos grands mystères, la Trinité, le Verbe Créateur, l'Incarnation dans le sein d'une vierge, la Résurrection, semble bien, aussi, sous la forme de l'épi, du grain de blé, du vin et du poisson, avoir eu sa part dans cette action préparatoire de la main divine.

Certains cultes d'Asie, longtemps avant la naissance de Jésus, célébraient les mystères du Poisson divin selon des rites spéciaux, du Poisson sacrifié qui était solennellement consommé en nourriture, et qui ressuscitait ensuite.

Quelques écrivains sont partis de ces faits certains que les études d'archéologie orientale confirment tous les jours, pour prétendre que la représentation de Jésus-Christ sous les apparences d'un poisson proviendrait, non de l'acrostiche célèbre IXOYC, ictus poisson, (Jésus, fils de Dieu et Sauveur[4]), mais d'un emprunt fait par l'Église primitive aux cultes asiatiques.

Dans son ouvrage Cultes, Mythes et Religions, le savant israélite Salomon Reinach leur répond : Non : « Assurément, dit-il, aucun homme raisonnable ne voudrait chercher l'origine du Christianisme dans le culte sacrificiel du poisson mais ce culte existait en Syrie ; il était bien antérieur au Christianisme et il est sûr, de toute certitude historique, que nous l'y retrouvons, comme nous retrouvons aussi les survivances de deux autres cultes zoomorphiques, celui de la colombe et celui de l'agneau ».

Le culte du poisson sacrifié et consommé nous est en effet attesté par des monuments indiscutables de Syrie, d'Assyrie, de Mésopotamie et de Chaldée :

(FIG. 2). Le Poisson sacrifié. — Bas-relief de Nimroud.

Un bas-relief de Nimroud (Fig. II) nous montre, placé «sous l'image d'Hu, symbole assyrien du Dieu suprême, sous le Croissant lunaire, symbole de Lin, et sous l'Étoile d'Istar, la déesse d'amour et de fécondité, le Poisson, sacrifié, et déposé au pied de l'autel. Et l'on voit, d'un côté, Oannès ou son prêtre à lui assimilé, et de l'autre côté un personnage ailé, peut-être le sacrificateur, car derrière lui se trouve une épée nue.

Et sur une pierre fine gravée, du Musée Britannique, (Fig. III) le Poisson se voit aussi, mais étendu sur l'autel, et surmonté encore de l'Étoile et du Croissant ; de chaque côté sont assis, pour le repas rituel, un homme dont la tête semble être en contact avec l'emblème d'Ilu, et une femme qui tient levé, comme celui qui lui fait face, une coupe sans pied ; un troisième personnage, qui porte un objet indéterminable, semble aider à la cérémonie.

(Fig. 3). Repas liturgique assyrien. - Cylindre gravé du Musée Britannique.

A remarquer aussi sur ces deux documents[5], et bien que ce soit étranger au sujet que nous étudions, la présence des sept globes mystérieux.

Faut-il rapprocher de ces rites asiatiques, où le Poisson devenait nourriture divine, l'usage dont j'ai déjà parlé, et suivant lequel chaque égyptien mangeait religieusement, devant la porte de sa maison et le neuvième jour de chaque mois, un poisson rôti [6]?

Il semble que non ; mais au fond nous n'en savons rien, ne connaissant pas le point de départ certain de la coutume égyptienne.

Des cérémonies analogues à celles d'Assyrie et de Chaldée, dont la manducation du Poisson était l'acte essentiel, ont été pratiquées de même dans l'Asie Mineure et en Chypre, croit-on.

Tous ces rites tendaient à même fin : à une union intime de l'homme purifié et de la divinité par voie d'incorporation de la chair du Poisson ; à une participation plus ou moins définie avec la nature et les qualités du Poisson sacré.

Les conquêtes et la paix romaines firent connaître ces liturgies païennes du dieu-poisson dans tout l'immense empire des Césars, comme elles y propagèrent celles d'Athys et de Mithra, à la veille du jour où l'Eucharistie allait devenir sur terre le ressort central et la vie même de la religion chrétienne.

 

[1] Cf. Regnabit Xbre 1926, p. 33. — Je crois superflu de surcharger ces pages de citations des anciens docteurs antérieurs ou postérieurs aux documents si expressifs des Pectorios et d'Abercius qui imposent la conviction. [2] L. Ménard : Histoire des Grecs, 2 vol. Paris, Delagrave, .1893. [3] A. Moret : Mystères égyptiens. Paris, Colin, 1923. [4] Cf. Regnabit. Décembre 1926, p. 30. [5] Cf. J. Menant. Glyptique orientale et voir aussi : A de Longpérier in Bullet. archeol. de l'Athoeneum français, 1855 p. 100, et 1856, p. 96. [6] Plutarque. Isis et Osiris, VII.

Le Poisson et les repas eucharistiques dans l'Eglise primitive.

Les scènes de banquet sont nombreuses dans les peintures des Catacombes. Ce sont des compositions artistiques représentant la Sainte Cène, la consécration des espèces eucharistiques, les agapes ou repas religieux et amicaux des fidèles, et le céleste festin des Elus. Et quand l'Église eut enfin sa place au grand soleil, les mosaïques, les sculptures et les peintures des premières - basiliques répétèrent ces mêmes sujets, sans en changer le genre artistique.

On y voit presque toujours sur une table centrale, avec les pains et les coupes de vin, le Poisson couché dans un plat. Sa présence est évidemment une allusion à ce repas que Jésus, après sa résurrection, fit partager à sept de ses disciples qui péchaient au bord du lac de Tibériade : Quand ils l'approchèrent ils virent, dit saint Jean[1], des charbons allumés sur le sable du rivage, un poisson posé dessus, et un pain mis auprès. Et Jésus leur dit : « Venez et mangez », et prenant le pain il leur en donna ; et il fit de même du poisson[2] ».

C'est de ce fait seul que le Poisson a reçu sa signification eucharistique.[3] Et c'est bien cet épisode évangélique des sept disciples favorisés qui fut le plus en faveur dans la composition des banquets mystiques de l'art chrétien primitif ; la catacombe de saint Callixte en contient à elle seule plusieurs représentations[4].

Le Poisson apparaît également au centre de la table, et devant le Sauveur, sur une Cène en mosaïque du VIe siècle, en la basilique de saint Apollinaire-Neuf, à Ravenne. L'Église d'Abou-Sargah (St-Serge) au Vieux-Caire, qui est du VIIe siècle ou du VIIIe, garde une épaisse porte en bois sculpté où la Sainte Cène est aussi représentée : les douze, entourent une table oblongue dont Jésus occupe le haut-bout et qui porte douze pains sur ses bords ; au milieu se trouve un grand poisson que le Sauveur prend pour le distribuer à ses convives[5].

Cette présence du Poisson sous la main de Jésus pendant la Cène rappelle sa présence, aussi, sur une table en trépied du cimetière souterrain de Saint-Corneille, où nous le voyons dans un plat, à côté d'un pain.[6]  « Près de cet autel un personnage debout, vêtu du seul pallium qui laisse à nu le bras et le flanc droits, impose les mains sur ces offrandes ; et de l'autre côté une femme également debout lève les bras au ciel. (Fig. IV) Celui qui ne verrait pas là, dit M. de Rossi, la consécration eucharistique serait complètement aveugle... Nous avons ici un ascète, ou pour mieux dire un prêtre vêtu du pallium à la manière de philosophes, et imposant les mains, geste auquel il est impossible, en égard surtout à la nature des objets déposés sur la table, d'assigner un autre sens que celui de la consécration [7]».

Et sur un autre document des catacombes une main s'étend également, vers un poisson et un pain dans un geste qui peut-être aussi bien une imposition de la main qu'un acte de préhension[8]. (Fig. V).

Le Poisson rôti et donne en aliment s est présente souvent aussi dans la bouche ou sous la plume des premiers docteurs : « Le Sauveur, dit saint Prosper d'Aquitaine, est le Poisson préparé (littéralement « le poisson cuit, » de coctus) en sa Passion pour une nourriture qui est notre lumière de tous les jours » ; et l'Anonyme africain du Ve siècle dont l'ouvrage [9] fait suite à celui de saint Prosper dit également, en faisant allusion à l'épisode du lac de Tibériade que le Christ est « le grand Poisson qui, sur le rivage a nourri lui-même ses disciples, et s'est offert Poisson (ictus) au monde entier. »

(FIG. 4). Le Poisson sur l'autel ; peinture des Catacombes.

(FIG. 5). Le Poisson et le Pain sur l'autel ; peinture des Catacombes.

Saint Augustin, plus formel, ajoute : « Le Seigneur fit à ses sept disciples un repas composé du poisson qu'ils avaient vu posé sur des charbons embrasés et de pain. Le poisson ainsi rôti, c'est le Christ[10] ».

La présence du Poisson s'explique aussi sur la table céleste du festin des Élus, puisque l'Ictus, c'est le Christ, nourriture éternelle dont s'alimentent les commensaux de la table céleste, et il peut y voisiner avec le « Pain des Anges » et le Vin dont Jésus a dit qu'il le boirait à nouveau lui-même dans le royaume de son Père[11].

Il est bien évident que la multiplicité de ces figurations du Poisson eucharistique dans l'art primitif chrétien devait entretenir les fidèles dans une disposition mentale qui nécessairement élevait leurs pensées vers le Sauveur, l'« Ictus divin », à chaque fois que, sur la table rituelle des agapes ou sur la table familiale de la demeure privée, le poisson se présentait comme aliment ; et leurs esprits se trouvaient, tout naturellement aussi, incités à l'acte mental que la spiritualité chrétienne appelle la « communion spirituelle ». L'art monumental n'était pas du reste le seul à s'orner du divin emblème : des vases, des objets divers d'usage eucharistique en sont aussi décorés. Je reproduis en exemple une cuiller eucharistique trouvée à Soché, en Thivars (Eure-et-Loir), (Fig, VI) nous y voyons le Poisson représenté dans le creux de la coupelle[12].

(FIG. 6). La cuiller eucharistique de Soché en Thivars. Epoque gallo-romaine.

De grands plats, portant la même image, ont été aussi recueillis en divers lieux depuis un siècle, auquel certains savants ont cru pouvoir reconnaître également l'attribution eucharistique qui paraît certaine pour les cuillers. Je reproduis l'un d'eux qui fut trouvé à Soulosse (Vosges) ; il est en cuivre argenté et date du ne siècle ou du me. (Fig. VII) Un plat semblable fut aussi recueilli à Appleshaw Angleterre[13]. — Des réserves s'imposent

cependant quand à l'emploi eucharistique de ces plats, car, les anciens usaient aussi, avant l'ère chrétienne de plats à poisson décorés de même façon ainsi que l'ont prouvé les découvertes de Pompéi.[14]

Mais la certitude nous est acquise sur le caractère mystique du Poisson quand il se présente en compagnie du pain sacré, comme, par exemple, sur un plomb du Musée Sainte-Anne, de Jérusalem[15], trouvé à Tyr (Fig. VIII) ou bien avec le Vase de vin comme sur une lampe antique que je reproduis également ci-contre[16]. (Fig. IX).

Et ces documents peuvent être rapprochés des Poissons de la catacombe romaine de Saint-Callixte [17] qui portent dans leur bouche l'un le pain et l'autre le raisin eucharistique. (Fig. X).

 

(FIG. 7). Plat de Solimaniaca IIe - IIIe siècle.

(FIG. 8). Bulle de plomb, provenant de Tyr.

(FIG. 9). Lampe antique portant le Poisson et le Vase eucharistique.

(FIG. 10). Poissons eucharistiques de la catacombe de Saint-Callixte à Rome.

Il arrive parfois que le pain sacramentel ainsi porté par le Poisson est opposé au fruit fatal du Paradis terrestre, dont il affecte la forme globulaire, et que tient un autre animal. C'est ainsi qu'une lampe de bronze en nacelle, d'art romain, est pourvue d'une proue faite d'un Dauphin qui porte le « Pain vivant » alors qu'à la poupe, et pris ici comme emblème de l'Esprit mauvais, un griffon se dresse, tenant dans son bec d'aigle le fruit maudit[18].  C'est le duel entre le Christ, nouvel Adam, et l'Esprit infernal qui fit tomber en faute l'ancien Adam, duel symbolisé par l'opposition du Pain de Vie au fruit de mort : « cette interprétation est certainement hors de doute[19] ».

Il est permis de voir le même symbolique sur une agrafe romaine en bronze trouvée à Angers[20]. (3) On y voit un Dauphin qui tient en bouche un objet globulaire ; son corps se retrousse en arrière et se termine par une autre forme animale du genre serpent, un anguis quelconque qui porte ainsi que le Dauphin un objet semblable. (Fig. XI) Une grafe similaire aurait été trouvée à Cherchell, en Algérie[21]. Nacelle et agrafes, relèvent certainement de l'art chrétien, et servent la même idée.

(FIG. 11). L'agrife gallo-romaine d'Angers, Collection F. Parenteau.

Le Poisson, emblème du fidèle, et l'Eucharistie.

De très nombreux documents d'art, objets mobiliers ou décorations monumentales, rapprochent le Poisson fidèle du pain, du raisin, de la corbeille ou du vase eucharistiques. C'est ainsi que sur une précieuse sculpture de Syracuse deux poissons nagent vers un canthare sacramentel[22]. Le même motif se voit aussi à Reims sur un des plus anciens chapiteaux chrétiens  des Gaules[23]. Enfin, un marbre de Modène porte cinq pains eucharistiques marqués de la croix vers lesquels, s'avancent  deux poissons ; au-dessus du tout le ciseau du lapicide a gravé le mot grec SYNTROPHION, « le banquet en commun ». (Fig. XII).

Et ce banquet, caractérisé par les pains d'autel, n'est pas l'agape, mais la manducation sacramentelle du pain.

(FIG. 12). Poissons fidèles allant vers l'Eucharistie. Marbre de Modène.

Le Poisson eucharistique dans l'art du Moyen-âge.

La seconde partie du Moyen-âge conserva, sans en user beaucoup cependant, le bel emblème du Poisson eucharistique.

En France nous le trouvons dans l'ornementation sculptée de quelques églises romanes du XIe siècle et du XIIe. L'église de Saint-Nectaire d'Auvergne, par exemple, en offre un intéressant exemple : l'un de ses chapiteaux représente la Cène où le Sauveur et quatre  de ses apôtres sont assis devant une table sur laquelle se trouvent un Poisson et des pains.

Un vitrail du XIIe siècle aussi, dans la cathédrale de Chartres représente le même repas : à la droite du Seigneur sont trois apôtres, dont saint Jean qui repose sur la poitrine de l'Ami divin ; trois autres sont à sa gauche ; devant, Judas, assis très bas, touche de la main le Poisson servi sur un plat au milieu de la table, en face de Jésus[24]. Et ainsi en bien d'autres lieux.

Il ne faudrait pas confondre avec ces documents d'ordre eucharistique une médaille médiévale qui eut vogue dans le centre de la France et sur laquelle figurent cinq pains et deux poissons. Cette pièce n'est relative qu'au culte de saint Martial que les Limousins ont prétendu avoir été ce jeune homme qui portait deux poissons avec cinq pains d'orge, avec quoi le Sauveur put rassasier cinq mille hommes en Galilée[25]. Cette médaille fut l'oeuvre d'une confrérie pieuse de Limoges, en l'honneur du patron de la cité[26].

(Loudun Vienne). L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Saint Jean, Evangile, XXI, 9. [2] lbid., 12, 13. [3] Cf. Abbé Martigny Dictionn. des Antiquit. chrét. p. 245. [4] lbid., p.246.— Dom Leclercq, Manuel d'Arch chrét. p. 546. — L. Lefort Chronolog. des peintures des Catacombes, in Revue archéolog. T. XL, 1880, p. 214.[5] D. Leclercq, Dictionn. d'Archèol.chrétienne. T.. n, vol. II, col. 1561, et grav. 1843. Le Poisson eucharistique, l'Hippocampe et le Pistrix 339.[6] Cf. G. C. Broussolle, Théorie de la Messe ; fig. 42, p. 134. [7] Abbé Martigny, Ouvrage cité, p. 246. [8] Cf. V. Davin, La Capella Greca, in Revue de l'Art chrétien, T. xxv, p. 177, pl. XI. [9] De promissionibus et proedictionibus Dei. [10] Saint Augustin, Tract, XII, ad in Joann. [11] (2) Evangiles. Saint Matthieu XXVI, 29.— Saint Marc XIV, 25. — Saint Luc XXII, 18. [12] H. Leclercq. Dict. d'Arch. chrét. T.III, vol.II, col. 3175, grav. 3451 et 3453. [13] Cf. Revue de l'Art chrétien. Ann. 1907, p. 265. The archoeologia T. LVI, p. 12.[14] Cf. A. Rich, Dict., des Antiquités grecques et romaines, p. 280. [15] R. P. Decloedt, Plombs du Musée Biblique; in Revue Numismatique 4e Séné, T. XVIII, (1894) p. 445, et PI. XI, n°24. [16] D'après A. Parmentier, Album Historique 2e Livr, p. 28. [17] Gravure d'après R. Biliard : La Vigne dans l'antiquité p. 235. [18] Cf. De Rossi Bull. d'Archéol. chrét. 1868, Nov.-déc. 1870, p. 72-73. [19] D. Leclercq, ouvrage cité, T. IV, vol. I, col. 293. [20] Cf. Fort. Parenteau, Inventaire archéologique P.l 14 et p. 33. [21] lbid., p. 34. [22] Cf. de Rossi Bull. d'Archéolog. chrét. ; 1877, pl. X. [23] V. Bulletin Monumental. T. LXIX, (1905) p. 224. [24] Cf. E. Mâle, L'Art religieux du XIIe siècle en France ; p. 111, fig. 99. [25] Saint Jean, Evangile ; VI, 1-15. [26] Cf. M. Ardant, chapelets, médailles et panonceaux des confréries de Pénitents de Limoges, in Revue de l'Art Chrétien, an. 1858, p. 147.

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L’ICONOGRAPHIE DU COEUR DE JESUS

Postérieurement à la Renaissance.

L'HABITAT SPIRITUEL DANS LE COEUR DE JESUS.

La troisième question, qu'il est utile d'examiner pour pouvoir, au moins le plus souvent, discerner le Coeur de Jésus d'avec celui du fidèle qui lui fut quelquefois assimilé par un commun accord de la piété et de l'art, c'est l'habitat spirituel du coeur fidèle dans celui de son Sauveur.

Née dès les premiers siècles de l’Église, nous voyons plus particulièrement cette forme de piété en honneur dans les cloîtres du Moyen-âge, mais il serait absolument erroné de penser qu'elle fut particulièrement réservée aux seuls raffinés, si j'ose ainsi parler, de la mysticité chrétienne. Elle fut toujours prêchée à tous, et à partir du XVIe siècle, au moins, nous la trouvons interprétée par l'iconographie en des compositions destinées à être répandues partout.

Il est, du reste, peu de formes aussi simplement naturelles par lesquelles l'âme chrétienne puisse aspirer à se rapprocher mentalement de son Sauveur, car, en y recourant, elle obéit à ce qu'on peut bien appeler son instinct de conservation.

En tous temps et dans tous les milieux, le chrétien connut, pour son âme, des dangers ; en tous temps et en tous lieux il en connaîtra. A rencontre de sa sécurité ils viennent de tout : des conditions dans lesquelles sa vie se déroule, des richesses et de la pauvreté, de la force et de la maladie ; de ses semblables qui le lèsent, le persécutent, l'humilient, ou le sollicitent, ou l'entraînent en des terrains interdits ; de lui-même, de cette double nature spirituelle et animale dont saint Paul nous dit qu'elle changeait son propre esprit en terrain de bataille. Donc, dangers partout pour celui qui veut garder son âme intacte autant qu'il est possible à l'homme vivant en ce monde.

Devant ces dangers multiples surgit dans l'âme la crainte.

Et, dans tous les temps, la crainte raisonnée fut, pour l'être humain, l'un des sentiments les plis heureusement féconds: elle lui fit inventer l'arme pour la défense de son corps, et l'habitation fermée pour la sécurité de son repos et de son bien.

Aussi l'âme fidèle, sentant sa faiblesse et prise de crainte  devant les périls, voulut avoir un refuge. Elle le voulut saint et sacré ; et regardant son Rédempteur mort pour son salut, elle vit à son flanc l'ouverture béante par laquelle le sang du Coeur a coulé pour elle, et se dit : Voilà mon asile !

Ainsi, l'âme, ayant peur de l'homme qui la pousse ou l'entraîne à sa perte, ayant peur, aussi, de Celui qui la jugera, se jette dans le Coeur de son Sauveur et de son Juge.

Si j'osais risquer ici, au hasard du souvenir, un rapprochement, j'évoquerais, comme l'expression d'un pareil désir, et d'Un pareil besoin de protection le pieux sentiment de ce Pharaon de la XIXième dynastie, quelque douze cents ans avant notre ère, qui, s'adressant au dieu Amon, le dieu Un, le dieu suprême, désirait « qu'il le portât dans son coeur ».

Mais restons sur le terrain chrétien. Tout le premier millénaire tourna son espérance vers cette plaie du côté de Jésus, et si les artistes d'alors ne la montrent pas d'une manière aussi réaliste que l'ont fait ceux qui les ont suivis dans le déroulement des siècles, ils multiplient du moins partout son image mystérieuse au centre des quatre autres blessures du corps divin, la représentant plus grande' ou plus glorieuse que les autres.

Dès le IVe siècle la grande voix du saint évêque de Constantinople,

Jean Chrysostome, proclama l'explication de cette primauté d'honneur dont la plaie latérale du Christ doit être honorée dans l'art chrétien : « En transperçant le côté du Christ, le soldat nous ouvrit l'entrée du Saint des Saints.[1]..»

La porte ouverte, c'est l'invite à entrer; et la porte dont parle le saint de Constantinople n'ouvre-t-elle pas sur le plus sacro-saint des sanctuaires et des asiles ? »

L'iconographie nous prouve que, même aux temps les plus troublés du IXe siècle et du Xe, cette attention de l’Église ne faiblit point à l'endroit de la plaie latérale ; et, durant les temps qui suivirent, surtout après que saint Bernard, au XIe siècle, eut guidé la pensée des mystiques non pas seulement jusqu'à l'abord de la plaie sanglante, mais jusqu'au Coeur dont elle n'est que la voie sacrée, les âmes, plus avidement encore que celles qui n'étaient plus, y cherchèrent pour leur salut un havre de sécurité plus efficacement protecteur que tous autres.

Dès lors, les auteurs spirituels établirent et maintinrent, les uns après les autres la théorie théologique de l'habitat dans la plaie du côté et dans le Coeur de Jésus-Christ, présentés sous un double aspect de sanctuaire et dé refuge.

Pour justifier cette assertion il me faut bien citer ici quelques brefs extraits de ce qu'ils ont écrit.

SAINT ANTOINE DE PADOUE. 1195-1231, Si Jésus-Christ est la pierre, le creux de la pierre où l'âme religieuse doit se réfugier, c'est la plaie du côté de Jésus-Christ. Foramen istud est vulnus in latere Christi. N'est-ce pas à cet asile choisi que le divin Époux appelle l'âme religieuse quand il lui dit dans le Cantique: Lève-toi, ma colombe, mon amie, mon épouse ; hâte-toi de venir dans les ouvertures du rocher, dans les profondeurs de la pierre. (Cantic. II, 13.) Le divin Époux parle des creux multiples de la pierre, mais il parle aussi de la grotte profonde, caverna maceriae. Il y a dans sa chair de nombreuses blessures, et il y a la plaie de son côté ; celle-là mène à son Coeur, et c'est là qu'il appelle l'âme dont il fait son épouse. Il lui a tendu les bras, il lui a ouvert son côté et son Coeur pour qu'elle vienne s'y cacher. Christus enim non solum se, sed etiam latus et Cor columbae aperuit, ut se ibi asbconderet.

En se retirant dans les profondeurs de la pierre, la colombe se met à couvert des poursuites de l'oiseau ravisseur ; en même temps elle se ménage une demeure tranquille, où elle repose doucement. Et l'âme religieuse trouvera dans le Coeur de Jésus, avec un asile assuré contre toutes les machinations de Satan, une délicieuse retraite... Ne restons

pas à l'entrée de la grotte, allons au plus profond, summo ore foraminis.

Le texte hébreux dit : trans osfoveae, bien avant dans l'enfoncement).

A l'entrée de la grotte, aux lèvres de la plaie, nous trouvons, il est vrai, le sang qui nous a rachetés, foraminis os est sangals Christi. Il parle ; il demande miséricorde pour nous. Mais là ne doit pas s'arrêter l’âme religieuse. Lorsqu'elle a entendu la voix du sang divin, qu'elle aille jusqu'à la source de laquelle il découle, au plus intime du Coeur de Jésus. Lé elle trouvera la lumière, les consolations, la paix, des délices ineffables.

(Sermo XCVIII in Psalm. 54— Traduit par Henri de Grèzes—Le Sacré-Coeur.— Etudes Franciscaines.)

SAINT BONAVENTURE (1221-1274)—« Comme il est doux, comme il est bon d'habiter en ce Coeur !... J'Irai prier dans ce temple, dans ce Saint des Saints... Accueillez (ô Jésus) mes prières dans le sanctuaire où vous exaucez ; ou plutôt tirez-moivous-même tout entier dans votre Coeur. » (Vitis mystica c. ni.)

JEAN TAULER, dominicain, (1294-1361)—Il fait dire à Jésus : « Comme le sceau imprime sa forme dans la cire, ainsi la violence de mon amour pour l'homme a imprimé en moi l'image de cet homme ; en moi je veux dire dans mes mains, dans mes pieds et même dans mon divin Coeur, tellement que je ne puisse jamais l'oublier. (Homeliae p. 460. cité par Franciosi. Le Sacré-Coeur et la tradition, col. 205.)

Était-il possible à ces saints auteurs d'être plus explicites ?

Ils le répètent, c'est dans la plaie sacrée et dans le Coeur du Christ, nommément désigné, que se trouve l'heureux et sûr asile de l'âme.

A l'époque où vivait Jean Tauler, se placent les premières représentations certaines que nous ayions jusqu'ici du Cœur de Jésus, du Sacré Coeur. J'en ai déjà reproduit plusieurs en exemples dans cette Revue: le Coeur crucifié sur le moule à hosties de Vich, le Coeur qui rayonne au graffite de Chinon, celui du sceau de Jaque Muzekin, pelletier de la cour de Bourgogne, et autres, tous antérieurs au début du XVe siècle.

Il est de toute évidence, et je dois le répéter ici, qu'en acceptant, comme ils l'ont fait, cette image du Coeur physique de Jésus, les théologiens et les écrivains spirituels d'alors ont attaché a la dite image tout ce que les docteurs et les orateurs sacrés d'avant eux avaient dit et écrit de la plaie du côté divin.

Pour eux, Coeur et plaie sont deux choses qui n'en font qu'une, deux choses sacrées qu'un même coup de lance à unies pour l'éternité.

Et leurs successeurs ont parlé comme eux, continuant l'hymne splendide qui glorifie tout ensemble la blessure de la lance et le Coeur auquel elle aboutit :

DOM HENRI ARNOLD, Chartreux ( -1487)

0 homme, dit Notre-Seigneur, voyez et considérez dans quelle position douloureuse je me trouve sur la croix, j'ai les deux bras étendus pour être toujours à même de vous accueillir... j'ai les pieds cloués afin de vous apprendre que je ne peux pas me séparer de vous ; mes mains percées d'outre en outre vous donnent 'à entendre qu'il leur serait impossible, même en se fermant, de retenir les grâces que vous désirez. Mais sachez-le bien, ce ne sont pas les clous qui m'attachent à la croix et m'y retiennent, c'est mon amour... Afin de ne vous oublier jamais, je vous ai écrit profondément dans les plaies de mes pieds et de mes mains ; j'ai été plus loin, je me suis fait ouvrir le côté par la lance d'un soldat pour vous ouvrir l'entrée de mon Coeur et vous montrer combien est grand mon amour pour vous. Après ma mort j'ai fait couler de mon côté du sang et de l'eau, du sang pour votre rançon de l'eau pour laver vos crimes. FRANCIOSI, col. 233. — Mois du Sacré-Coeur de Jésus, par d'anciens auteurs chartreux, etc. pages 60, 61.)

LUDOLPHE DE SAXE, chartreux— (1295-1378)— Lève-toi, âme qui est l'amie du Christ. Comme la colombe, va faire ton nid dans l'ouverture béante. Là, comme le passereau qui a trouvé sa demeure, ne cesse de veiller ; là, comme la tourterelle, cache les fruits de ton chaste amour... Dans ces trous de la pierre, dans ces profondeurs de la muraille, et maintenant et pour ton heure dernière, apprends à courir ; va t'y cacher ; tu y trouveras de gras pâturages, et tu échapperas à la gueule des lions ; (Vita Jesu-Christe u part. c. LXIV, n° 17— Cité par Franciosi. Le Sacré-Coeur et la tradition, col. 208.)

SAINTE CATHERINE DE SIENNE (1347-1380) répète souvent que le côté ouvert de Jésus est un lieu de refuge, et la chambre nuptiale des épouses du Christ.

(Dialogue ch. 20, 124, 126. Lettres 143, 210, 270, 309, 322, 329.)

DOM NICOLAS KEMPF (1393-1497)— Venez, ma colombe et n'allez pas voltiger à l'aventure, mais venez dans les trous de la pierre, dans la caverne pratiquée au milieu de la muraille de pierres sèches. La pierre c'est le Christ lui-même, les trous qui se rtouvent dans la pierre ce sont les plaies de Jésus-Christ... Quant à ce trou ou cette caverne pratiquée dans la muraille, c'est l'ouverture du côté de Notre-Seigneur. L'âme qui veut monter et s'élever jusqu'à son Bien-Aimé, doit donc ; lorsque les milans, les vautours et les autres oiseaux de proie images de démons, fondent sur elle, prendre la fuite, comme une timide colombe, et se réfugier dans les trous de la pierre, c'est-à-dire, dans les plaies de Jésus-Christ, et surtout dans la caverne profonde, à savoir dans la plaie du côté de Jésus et dans son Coeur. Là, elle n'a plus rien à craindre. Qu'elle bâtisse son nid dans le Coeur de Jésus, qu'elle s'y réfugie, qu'elle s'y repose et y prenne son sommeil : les esprits infernaux n'essaieront jamais de lui tendre des pièges, ils n'osent pas s'approcher de la plaie du Coeur de Jésus. FRANCIOSI. Col. 233— Mois du Sacré-Coeur de Jésus par d'anciens Chartreux, etc. page 63-65.

SAINT THOMAS DE VILLENEUVE (1486-1554)— Le nid de la tourterelle, c'est la poitrine du corps, du corps, dis-je, de son bien-aimé ; elle y entre par l'ouverture du côté, elle s'y fait un nid tranquille, elle y place ses petits en sûreté— (In Ascensione Domini Conc. II.)

LANSPERGE le Chartreux (1489-1539)—«Si la dévotion vous y pousse, vous pourriez aussi baiser cette image, j'entends le Coeur du Seigneur Jésus, vous donnant cette persuasion que c'est bien ce Cœur même que pressent vos lèvres, avec le désir d'y imprimer votre coeur, d'y plonger votre esprit et de vous y absorber. (Pharetra divini amoris, 1. I pars v.)

SAINT PIERRE D'ALCANTARA (1499-1562)—«Ce jour-là il faudra méditer sur le coup de lance qu'on donna au Sauveur... Un soldat s'approche la lance à la main, et il l'enfonce dans la poitrine nue du Sauveur. Telle fut la violence du coup que la croix en fut ébranlée, et il sortit de sa plaie de l'eau et du sang pour la guérison des péchés du monde. O fleuve qui sors du Paradis et qui arrose dans ton cours toute la surface de la terre ! O plaie de son côté sacré que lui a faite son amour bien plus que le fer cruel d'une lance ! O porte du ciel, ouverture qui éclaire le Paradis, lieu de refuge, tour de sécurité, sanctuaire des justes, nid des timides colombes, couche fleurie de l'épouse, de Salomon ! Dieu te conserve précieuse plaie du côté qui blesse les coeurs pieux, rose d'ineffable beauté, rubis d'un prix inestimable, entrée du Coeur de Jésus-Christ, témoignage de son amour et gage de la vie éternelle,— (FRANCIOSI Col. 255. Traité de l'oraison et de la méditation 1° partie, ch. 4.)

Voilà le résumé de l'enseignement de nos seize premiers siècles chrétiens. Et ce serait à tort qu'on le voudrait considérer comme une spiritualité réservée aux seuls ascètes et mystiques des monastères. C'était ce qu'on disait aux fidèles du haut des chaires d'Italie, de France, d'Espagne, d'Angleterre, et d'Allemagne.

Saint Antoine de Padoue, dans le sermon dont nous venons de lire quelques lignes, ne s'adressait pas qu'à des moines, et j'ai déjà donné dans cette Revue[2] le passage du sermon sur la Passion du Seigneur, prêchée aux Parisiens par le P. Olivier Maillard, et qui, traduit en latin pour les doctes, fut imprimé par Jehan Petit en 1513. Maillard termine ainsi le passage relatif au coup de lance : « Vous avez voulu, (Seigneur) que votre côté soit ouvert, je vous en prie[3], faites que je puisse habiter au milieu de votre Coeur. »

Vers la fin de ce même xvi« siècle, saint François de Sales, dans un sermon public aussi, disait : «La seconde raison pour laquelle Nostre-Seigneur voulut qu'où lui ouvrit le costé, nous est signifiée par ces paroles du Cantique des Cantiques, qu'il dit à l'âme dévote : « Veni, columba mea, in foraminibus petrae, in caverna maceriae, (Cant. n, 14). Venez, ma toute belle, venez ma bien-aymée, vous retirer, comme une chaste colombe, dans les trous de la mazure et dans les pertuis de la pierre» : Paroles par lesquelles il nous convie d'aller à luy avec toute confiance, pour nous cacher et reposer dans son diyin costé, c'est-à-dire dans son Cœur qui est ouvert pour nous y recevoir avec un amour et une bénignité non pareille, afin de nous servir de refuge et de retraite asseurée en toutes nos tribulations... (FRANCIOSI, Col 304.— Sermon pour la feste de Saint Jean-Porte-Latine.)

Comment cette thèse de l'habitat, mystique dans le cœur même de Dieu a-t-elle été servie par les arts figuratifs ?...

Des initiales de prénoms baptismaux et de patronymes furent fréquemment inscrites dans le cadre d'Un coeur sur les marques corporatives et commerciales de la fin du Moyen-âge et depuis, mais nous devons reconnaître qu'il est très souvent impossible d'affirmer si ces coeurs sont l'image de celui de Jésus dans lequel un fidèle s'est réfugié spirituellement, sous l'emblème de ses initiales nominales, ou s'ils ne sont que le coeur de l'artisan, du commerçant, désigné par ces mêmes initiales ; l'une et l'autre interprétation sont souvent également vraisemblables.

Plus expressive me paraît être la marque commerciale de l'opulent John Gresham (mort en 1555), qui prêta souvent des sommes considérables au roi d'Angleterre Henri VIII. Elle porte, dans un grand cœur surmonté de la croix double, les initiales de John Gresham accompagnées d'un petit coeur qui doit être le sien.

Marque commerciale de John Gresham XVIe siècle sur vitrail de l'hôpital de Great Lefort (Essex.) D'après croquis de M. E. W.

L'empreinte d'un moule en buis, d'origine espagnole, béarnaise ou basque, que j'ai eu par le comte Raoul de Roche brune me paraît s'apparenter aussi aux marques artisanes du XVIe siècle. Le monogramme S. F., ou F. S., y accompagne ; dans le Coeur de Jésus que surmonte la croix, Un coeur plus petit qui ne peut être que celui du possesseur de la marque, réfugié dans le Saint des Saints, pour parler comme saint Jean-Chrysostome.

Voici la reproduction de deux gravures sur bois, images toutes populaires de la fin du XVIIe siècle ou du XVIII, dont les bois originaux sont au musée des Antiquaires de l'Ouest, à Poitiers. L'une et l'autre nous montrent le coeur fidèle dans celui de son Sauveur. Sur la première le coeur fidèle est au pied du Monogramme, I. H. S. et dans son rayonnement qui illumine l'intérieur de celui de Jésus-Christ. Le Coeur sacré, qui portela croix, la lance et l'éponge rayonne à son tour dans un ovale que cantonnent divers motifs relatifs au supplice rédempteur.

La seconde image montre simplement le Coeur fidèle en position d'hommage sous le monogramme de Jésus et dans le cadre de son Coeur sacré qu'entoure la couronne d'épines.

La singulière médaille en cuivre repoussé, recueillie par le R. P. Georges Goyet à Saint-Loup-sur-Thouet, (Deux-Sèvres) me semble bien, maintenant, se rapporter au thème de l'habitat du coeur humain dans celui de Jésus.

Moule de marque commerciale(?) en buis. XVIe siècle.

Bois gravés pour images populaires—XVIII siècle. Musée des Antiquaires de l'Ouest, à Poitiers.

On eut aussi quelquefois, dans nos derniers siècles, l'idée de représenter le Coeur de Jésus dans Celui de sa Mère, mais alors l'un et l'autre furent suffisamment caractérisés pour que nous les puissions reconnaître.

Médaille en cuivre repoussé provenant de Saint-Loup-sur-Thouet

Une autre manière de figurer le recours à l'hospitalité protectrice du Coeur de Jésus que le XVIIIe siècle connut, et dont le XIXe usa dans des compositions souvent lamentables à force d'être mièvres, fut de représenter un oiseau et plus spécifiquement une colombe (une, et non pas toute une volée) arrivant de plein vol vers la plaie béante du Coeur sacré.

C'est l'interprétation des paroles du Cantique des Cantiques dont s'inspira saint Antoine de Padoue, dans le texte précité.

II y avait là un beau motif artistique à établir ; les dessinateurs du siècle dernier l'ont abordé avec un manque complet de sens hiératique et ils ont ainsi gâté l'expression d'une toute belle pensée. En résumé, il apparaît donc comme règle générale que si le thème de l'habitat spirituel du coeur fidèle dans celui de Jésus-Christ n'est pas d'ordinaire, clairement manifesté en iconographie par des initiales de noms humains placés seuls sur un coeur, d'autre part, on peut regarder, avec une certitude suffisamment justifiée, comme étant des images du Coeur du Seigneur, ceux des compositions pieuses qui portent en eux-mêmes, avec ou sans initiales, de petits coeurs dépourvus de caractères particuliers.

L. CHARBONNEAU-LASSAY. Loudun (Vienne)

[1] St Jean Chrys. Homélies. 84. Ch. IX. [2] Inextenso dans : La blessure du Côté de Jésus. Regnabit, nov. 1913. p. 391. [3] Passio domini nostri Jesu Xri a reverendo p. Oliverii Maillard Parisius declamata.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

VII.

DE LA BEAUTÉ DES IMAGES.

Toutes les images qui veulent être chrétiennes doivent être bonnes et édifiantes, et dans les églises, disons qu'en principe il ne doit pas en entrer d'autres; nous désirerions aussi que toute image chrétienne eût un certain degré de beauté; il est connu cependant que beaucoup des images les plus vénérées ne remplissent aucunement cette condition : le degré de vénération dont elles sont l'objet ne dépend pas non plus de leur ressemblance avec le prototype sacré qu'elles représentent. Comme fondement de cette vénération, il suffit qu'elles soient prises en fait comme destinées à le représenter ; l'édifice d'honneur et de grâces qui s'y attachent repose sur cette seule considération, en dehors de toute question d'art, d'imitation et de beauté.

L’Église elle-même ne prescrit rien directement quant à la beauté des images ; et si nous tirons de sa doctrine une conclusion en faveur de leur beauté, c'est par voie de déduction en étudiant son esprit et ses pratiques.

Dieu aime que l'on consacre à son service tout ce qu'on a de plus précieux. Ne l'a-t-il pas montré lorsque, dirigeant lui-même la construction du tabernacle, de l'arche d'alliance et de tous les objets sacrés destinés à son culte, il a voulu que Moïse y employât en abondance l'or le plus pur ? Et l'Église ne se plaît-elle pas à revêtir ses prêtres et ses autels des étoffes les plus riches ? Y a-t-il des pierreries d'un trop grand prix pour les châsses de ses saints? et ces images spécialement, qui auraient souvent si peu de valeur si on en considérait uniquement la matière et la forme, quand, à d'autres titres, elles ont acquis des droits à la vénération, n'encourage- t-elle pas à les relever par les plus brillantes parures?

Or ; parmi les choses qui peuvent flatter le regard et donner extérieurement de l'éclat, ce qu'il y a déplus précieux n'est pas le poli durable des métaux et la vivacité persistante des couleurs. La beauté des formés, l'harmonie des teintes et par-dessus tout l'expression des beautés invisibles qui appartiennent au domaine des âmes, en un mot, tout ce qui constitue l'art, le distingue du métier, et ce qui élève le plus son niveau est d'un prix bien éminemment supérieur.

Dieu, dans les circonstances même que nous venons de rappeler, ne nous a pas laissé ignorer l'estime qu'il fait.de l'art par-dessus la richesse de la matière : car, tandis qu'il a laissé aux fils de Caïn l'honneur d'être les premiers mentionnés pour des œuvres d'industrie, il nous a mis eh-droit de dire qu'il ouvre la première école où l'art fût enseigné, à Béséléel et à Ooliab, selon toute la grandeur de sa légitime mission.

L’Église, de son côté, a toujours apprécié le mérite de l'art, elle a été son refuge dans les moments de décadence, elle l'a conservé, réchauffé, ranimé et c'est dans son sein qu'il a reculé plus bel éclat dont il ait jamais brillé.

Évidemment, l'Église aime le beau, elle le désire, elle le recherche, elle le propage; et quand, par l'effet du trouble et de la confusion apportés dans les choses d'ici-bas, il lui arrive cependant dé trouver le bien dépouillé de ce vêtement qui lui appartient en propre, elle n'en recueille pas avec moins de sollicitude le pauvre délaissé ; et si elle ne peut pas toujours lui rendre sa légitime parure, parce qu'il faudrait pour cela lui créer une vie nouvelle, elle ne balance pas : elle l'élève, quoi qu'il en soit, au rang qui lui appartient, auquel il a droit pour lui-même, puis elle encourage à l'embellir par tous les moyens secondaires dont ses enfants peuvent disposer. L'image est grossière, mais elle a pour sanctuaire la cathédrale de Chartres !

Pour nous donc, spécialement, qui recherchons les vrais principes de l'art chrétien, le bien' d'abord, le beau ensuite, telle sera notre règle : ces deux choses sont faites pour demeurer inséparables ; mais, malheureusement, l'homme n'a que trop souvent réussi à les séparer : nous nous attacherons au bien pour le rendre beau autant que possible, nous poursuivrons le beau pour le ramener aux conditions du bien ou le rejeter impitoyablement comme hors de sa place et de son rôle.

Ainsi, comme les images ne sont pas seulement des livres d'une lecture facile pour les ignorants, mais encore des livres où les esprits cultivés trouvent des enseignements que les efforts de l'intelligence ne leur procureraient pat- sans le secours des yeux, il arrive que les images, quand elles viennent à satisfaire aux plus hautes notions de l'art, sont comparables aux chefs-d'oeuvre de l'éloquence et de la poésie qui élèvent les âmes et les captivent par les plus nobles des attraits.

Il semble cependant, que faisant dans ce monde son œuvre propre de rétablir le fondement du beau qui est le bien, l’Église réserve pour l'autre vie le dernier couronnement du bien qui est la perfection du beau. En attendant, résignée à n'obtenir du beau qu'une imparfaite ébauche, ou tout au plus quelques aspirations vers ses célestes splendeurs, elle encourage ses enfants à lui donner cette satisfaction, mais ne craint pas de l'emprunter souvent à des mains étrangères. Suffisantes pour consoler ceux qui ont une fois entrevu les harmonies et les splendeurs de la patrie absente, parce qu'elles en ont quelques reflets et les rappellent, les beautés ainsi obtenues ne sauraient cependant répondre à la perfection absolue que doivent prendre tous les types admis à figurer dans cette pairie céleste ; et comme ces beautés sont toujours relatives et transitoires, l’Église ne s'inquiète que secondairement du plus ou du moins : pleine de condescendance pour les fluctuations du goût, qui selon les temps voit le beau ici ou là, elle ne semble demander qu'une chose, c'est qu'à chaque époque on lui consacre ce qui est réputé le mieux. En retour, vous verrez, nous ne disons pas l’Église du haut de la chaire de vérité, mais ses ministres et ses chefs, agissant en leur nom personnel, sous l'impulsion de l'esprit qu'ils en ont reçu, patronner avec ardeur les beaux-arts. Ils les prennent tels que les fait la vogue du jour ; mais s'ils s'arrêtent à ce qui est compris des hommes, soyez sûr que leur attrait les porte vers le beau tel que le comprennent les anges.

C'est après avoir prié Dieu de nous communiquer cet attrait supérieur que nous essayons, dans l'Étude suivante, de dire tout ce que nous pouvons nous-même en comprendre, ayant, à la fin de celle-ci, seulement pris à tâche de montrer, non que l'Église en pose directement les règles, mais qu'elle les inspire...

Tour Saint Jacques. Église Saint Sulpice. Paris. Photos Rhonan de Bar.
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