CATHÉDRALE DE BOURGES.
DESCRIPTION
HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE.
A.DE GIRARDOT ET HYP.DURAND
CHAPITRE 1.
COUP-D'OEIL GÉNÉRAL SUR L'ORIGINE ET ENSEMBLE DU MONUMENT.
PARTOUT où le Christianisme fut vainqueur de l'idolâtrie, on sait qu'il édifia ses églises aux lieux et place où s'élevaient les temples païens, quand il ne se servit pas de ces temples mêmes. Les autels trouvés dans les fouilles faites à l'intérieur de Notre-Dame de Paris, ainsi que les nombreux fragments antiques découverts dans les fondations d'autres cathédrales, ne laissent aucun doute à cet égard.
La cathédrale de Bourges parait avoir été une exception à cet usage, autant que nous pouvons le croire; car en l'absence de tous documents authentiques, il faut bien recourir aux traditions. Elles rapportent qu'au troisième siècle, vers l'an 250, époque à laquelle saint Ursin vint de Rome prêcher l'Evangile dans le Berry, le nombre considérable de prosélytes qu'il fit à Bourges notamment, dont il devint le premier évêque, rendit nécessaire la recherche d'un grand local pour la célébration des saints mystères. A cet effet, une députation se rendit auprès de Léocade qui gouvernait cette partie des Gaules, pour obtenir de lui la cession d'une partie du palais romain qui existait alors à Bourges près des murs de la ville, moyennant le prix de 300 pièces d'or. Sans être encore converti à la foi chrétienne, Léocade accorda aux néophytes leur demande, sans vouloir accepter leur or dont il ne prit que trois pièces, pour que leur droit nouveau ne pût être contesté plus tard[1]. Soit qu'à cette époque, une des salles du palais eût été appropriée au nouveau culte, soit qu'un édifice spécial ait été construit, toujours est-il que vers l'an 260, saint Ursin fit la dédicace de la nouvelle église en la plaçant sous l'invocation de saint Etienne et y déposant des reliques de ce premier martyr qu'il avait apportées de Rome.
La même tradition dit encore que cette première église fut détruite peu de temps après sa fondation , et que saint Palais, neuvième évêque de Bourges, en éleva une seconde en 380, qui, suivant Sidoine Apollinaire et Grégoire de Tours, était pour cette époque une des plus remarquables qu'on put voir. Ils ajoutent qu'elle était érigée sur l'emplacement de la première.
Voici donc les deux seuls édifices primitifs dont parlent les auteurs qui ont écrit jusqu'à présent sur ce sujet ; mais il est impossible de ne pas relever l'erreur dans laquelle ils sont évidemment tombés, lorsqu'ils disent que la cathédrale qui existe aujourd'hui, et que nous allons décrire, est le troisième monument élevé sur le même emplacement [2].
Ainsi, de l'an 260 à l'an 380, ils parlent bien des églises bâties par saint Ursin et par saint Palais ; mais ils ne disent rien de celles qui ont pu et dû certainement exister de l'an 380 jusqu'au XIIIe siècle, époque à laquelle remonte la construction de celle dont nous allons nous occuper, c'est-à-dire, pendant l'espace de plus de 800 ans. Or, il est impossible que cette longue 'période se soit écoulée sans avoir vu s'élever des constructions intermédiaires.
Effectivement, en interrogeant le monument lui-même, il est permis de supposer que le caveau , qui sert actuellement de sépulture aux archevêques, a pu servir originairement de crypte à une église dont la date remonte , à en juger par le style des constructions, à la fin du IXe ou au commencement du Xe siècle, ainsi que nous le démontrerons plus tard.
Mais indépendamment de cette quatrième église, qui apparaît au IXe siècle, on peut encore penser avec quelque probabilité que l'intervalle qui la sépare de celle du IVe n'a pas été occupée par cette dernière seulement, quand on songe aux invasions , aux incendies et surtout à la manière dont, suivant Grégoire de Tours, ces édifices étaient construits, le bois formant la majeure partie des matériaux employés à leur construction; il est donc permis de croire que des réédifications partielles ou 'plutôt totales ( car à chaque reconstruction, on sait qu'on ajoutait toujours aux dimensions de l'édifice précédent), on peut croire, disons-nous, que d'autres églises ont dû exister du IVe au IXe siècle. Quoi qu'il en soit, il est certain que la cathédrale du XIIIe siècle, dont la pensée de projet apparait en 1172 [3] n'est pas la troisième église bâtie, mais peut-être bien la cinquième ou sixième de celles qui se seraient succédées sur le même emplacement depuis celle fondée par saint Ursin, en 260.
Bien que nous n'ayons ni la prétention ni l'intention de faire un ouvrage de controverse, mais seulement une description aussi exacte que possible du monument tel qu'il existe en ce moment, il importait cependant de détruire une erreur trop généralement accréditée sur le nombre des églises qui ont précédé notre cathédrale.
Il est encore bon de constater que toutes celles qui ont précédé le XIIIe siècle n'ont pu s'étendre à l'est que jusqu'aux murs du rempart (dont l'emplacement se reconnaît encore dans une cour située au nord de la cathédrale près de la maîtrise, ce qui résulte formellement de la charte donnée par Philippe Auguste, qui permit aux habitants de construire sur les murs de la cité, à la charge de ne pas les détériorer. Il est vrai que le relevé exact de la position de ce mur ferait croire, s'il eût suivi une ligne droite , qu'il aurait laissé en dehors du rempart de la ville le caveau dont nous venons de parler ; mais cette objection , quoique spécieuse en apparence, n'est au fond d'aucune valeur : d'une part, la ligne du mur peut avoir été brisée, cintrée , en un mot, avoir dévié de la ligne droite ; d'un autre côté, le caveau a pu effectivement être établi en dehors des murs peut-être formait-il le soubassement d'une apside qui figurait en élévation une tour du rempart.
Cette disposition d'une chapelle adossée à un mur de rempart et dont l'apside sort en saillie extérieure, n'est pas sans exemple, puisqu'effectivement il se présente à côté ; à quelques pas, en remontant la ligne suivie par le rempart, on trouve l'ancienne église de Notre Dame de Salles, dont le soubassement de l'apside, qui existe encore, est le rudiment d'une des tours de l'enceinte romaine; l'église et son apside sont des constructions du XIe siècle. Une miniature d'un manuscrit de cette époque, conservé aux archives du département[4], représente l'apside de l'église dans la situation que nous venons d'indiquer et qui se voit encore aujourd'hui.
Quant aux constructions élevées depuis le XIII siècle jusqu'à l'entier achèvement du monument, il est facile, autant par l'examen du style que par les preuves écrites que nous relaterons, de leur assigner des dates précises.
Il y a lieu de croire qu'on a procédé, pour la construction de la cathédrale de Bourges, d'après les principes généralement adoptés à cette époque, et qu'on retrouve en beaucoup d'endroits.
Lorsque, pour des causes de vétusté, ou par des motifs d'agrandissement, on se déterminait à entreprendre la reconstruction d'un édifice religieux de quelque importance, on restreignait l'exercice du culte dans la partie la moins mauvaise de l'édifice, et l'on construisait, soit aux lieu et place des parties démolies, si les proportions restaient les mêmes, ou en dehors de ces parties, si le monument s'agrandissait. C'est par suite de ce mode d'opérer, qu'on trouve beaucoup d'églises du moyen âge, dont le chœur plus grand et d'un autre style, est plus moderne que la nef et les clochers, tandis que l'inverse existe pour d'autres ; cela explique encore l'état d'inachèvement dans lequel se trouvent plusieurs monuments importants tels que la cathédrale de Cologne et celle de Beauvais. 11 en a été sans doute ainsi pour Bourges, et comme presque toujours ce fut par le chœur que l'on commença, d'où l'on pourrait induire que l'église qui existait alors ne s'avançait vers l'orient que jusqu'au point où commençait ; à peine le chœur de celle projetée. Le clergé dut nécessairement rester dans la vieille église jusqu'à ce que le nouveau chœur, beaucoup plus vaste lui permit de s'y installer et de livrer le vieil édifice aux constructeurs. Du reste , ces circonstances s'expliquent suffisamment par la différence de styles qu'on remarque, sinon dans l'ensemble du plan qui a dû être arrêté, d'un seul jet, du moins par certains détails d'ornementation , tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ces différences établissent encore avec la même certitude de dates les diverses époques qui ont vu s'élever la façade principale et les tours.
Aussi, pour résumer ce qui précède, on peut dire que la cathédrale actuelle, commencée à l'est au XIIIe siècle, n'a été terminée à l'ouest qu'au XVIe.
Ayant eu constamment pendant plus de trois siècles une marche régulière et non interrompue dans cette direction de l'est à l'ouest, il faut ajouter qu'il ne reste des constructions antérieures au XIIIe siècle qui existent encore dans la cathédrale, que le caveau des Archevêques et les deux portes latérales.
Il est hors de doute que le premier appartenait à une des églises qui ont précédé celle qui existe aujourd’hui ; quant aux portes, il est beaucoup plus douteux qu'elles aient la même origine. C'est ce que nous examinerons plus tard avec soin.
Avant d'entrer dans la description des détails qui nous permettra de fournir les preuves de ce que nous venons d'avancer, nous dirons un mot sur la position et l'aspect général du monument.
Ainsi que nous l'avons dit, la première église fondée par saint Ursin fut établie dans une salle du palais romain. La position élevée de l'emplacement convenait parfaitement à cette destination religieuse, et l'on comprend dès lors que les églises qui s:y sont succédées aient toujours été construites sur le même emplacement.
En effet, de cette position on domine la ville et les campagnes environnantes à une très-grande distance ; le monument s'aperçoit de loin majestueux et imposant, effet que recherchaient toujours les artistes du moyen-âge La première crypte qui a été construite fut sans nul doute creusée exprès pour y déposer les reliques du saint sous la protection duquel était placée l'église ; mais il est évident que la construction de l'église souterraine du XIIIe siècle, que nous voyons aujourd'hui et qui occupe en partie le dessous du chœur et des nefs absidiales, a été uniquement motivée par des considérations de localité en présence de la position que le nouveau chœur devait occuper en dehors du rempart par suite de la grande extension donnée à l'édifice projeté. Dès lors la nécessité de racheter la différence des niveaux par des fondations plus profondes a fait songer à utiliser cette différence pour y établir un étage qui est l'église souterraine que nous admirons aujourd'hui. Du reste, ce motif déterminant se retrouve souvent dans les édifices du XIIIe siècle; il explique la présence de cryptes ou chapelles souterraines à une époque où l'usage le plus constant ne les admettait déjà plus. Le plan général de l'édifice affecte la forme basilicale, c'est à dire un parallélogramme régulier dont l'extrémité à l'est est terminée par un hémicycle qui forme l'apside. L'intérieur est divisé en cinq nefs d'inégale hauteur et longueur; celle du centre est la plus élevée ; c'est la grande nef. Les deux qui la joignent à droite et à gauche le sont moins, nous les appellerons moyennes nefs. Enfin, les deux qui appuient ces dernières étant encore moins élevées, seront les basses nefs. Il résulte de cette disposition, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, un triple effet de baies, de voûtes et de combles dont la cathédrale de Bourges offre peut-être le seul exemple connu ; car ici chaque nef a ses combles, ses voûtes et ses baies qui lui sont propres, bien que superposées les unes au-dessus des autres-, tandis que dans les édifices qui renferment également cinq nefs, comme à Notre-Dame de Paris par exemple, les doubles collatéraux qui appuient chaque côté de la grande nef étant de même hauteur ne peuvent être couverts que par des combles aussi de même hauteur, et ne sont éclairés que par un seul rang de baies.
Les heureux effets qui devaient résulter de cette disposition particulière à la cathédrale de Bourges ne sauraient être exactement appréciés, aujourd'hui que les baies sont en partie dépourvues des verrières qui les garnissaient autrefois. Ce qui faisait incontestablement la beauté de cette combinaison, c'était le jeu de la lumière tempérée par les mille couleurs qui, se mariant et se reflétant de toutes parts, donnait une harmonie toute particulière aux lignes architecturales, ainsi qu'on peut encore en juger, bien imparfaitement il est vrai, par la partie du chœur qui possède encore ses vitraux ; tandis que pour toutes les autres parties de l'édifice un jour vif, en frappant et rompant trop brusquement toutes les lignes, change complètement les effets qui avaient été combinés et les résultats primitivement obtenus.
Aussi il est à remarquer que le moment le plus favorable pour comprendre, apprécier et juger toute la poésie qu'exhale ce monument,, celui qui impressionne fortement l'âme et la dispose aux sentiments religieux en la suspendant en quelque sorte entre le ciel et la terre, est celui où le jour baissant ne laisse pénétrer qu'une lumière moins vive. Alors rien ne saurait rendre l'effet immense, profond et merveilleux qui s'empare des facultés et les remplit d'admiration ; on ne peut se soustraire à son empire ; mais il faut renoncer à l'expliquer et surtout à la décrire.
Une seule chose se fait regretter pour rendre complet l'effet magique de l'intérieur du monument. Ce sont des transepts dont la présence, en même temps qu'elle exprime la forme symbolique de la croix, ajoute encore à la beauté des lignes en formant des oppositions. Cette absence se fait sentir aussi vivement à l'intérieur qu'à l'extérieur ; au dedans parce que l'œil y perd l'effet perspectif de ce qu'on est convenu d'appeler, en terme d'optique, un plan sauté, c'est à dire un intervalle plus grand après une série de divisions régulièrement espacées.
Cette disposition rompt l'unité des lignes de la manière la plus heureuse; elle empêche ainsi la monotonie de s'introduire à côté de la régularité et de la multiplicité. On ne saurait dire, en voyant l'effet grandiose qu'on a obtenu même sans les transepts, quel eût été celui que leur présence aurait produit.
Quant au dehors, l'absence des transepts est également regrettable; car de même que dans le plan, ils marquent et déterminent la croix latine ; de même dans les élévations, ils se combinent admirablement, par leur retour d'équerre, avec les faces latérales dont ils mouvementent l'effet des lignes horizontales et verticales ; ils produisent en un mot des oppositions et des ombres qui ne sont pas moins indispensables à l'architecture qu'à la peinture.
Vue du dehors de la ville, la cathédrale domine de sa masse imposante toute la cité qu'elle parait abriter sous son ombre protectrice ; mais il est fâcheux que de près on ne puisse la voir à une distance plus convenable, c'est-à-dire, sous un angle en rapport avec le développement de ses faces. Aussi il résulte que des issues qui conduisent au parvis, deux rues seulement permettent à peine de voir une partie de l'ensemble de la façade occidentale Malheureusement encore ces rues, débouchant obliquement et irrégulièrement sur la place, ne laissent pas à la vue la possibilité d'embrasser tout le développement, il faut donc changer plusieurs fois de position pour se rendre un compte exact de toutes les parties de cette façade. Quoi qu'il en soit, malgré les observations restrictives que nous venons de faire , malgré le manque d'homogénéité qui se fait remarquer, sinon dans la conception d'ensemble, du moins et surtout dans plusieurs parties des détails , il faut admirer un tel résultat de l'art chrétien, et reconnaitre que, dans ces temps qu'on nous a habitués à considérer comme barbares, nos pères trouvaient dans leur foi ardente des inspirations de génie et des moyens d'exécution qui ont produit des œuvres que nous ne pouvons égaler, malgré les ressources immenses que nous donne le développement actuel des sciences et des arts.
CHAPITRE II.
DESCRIPTION DE L'EXTÉRIEUR.
FAÇADE PRINCIPALE.
DANS un monument de l'importance de la cathédrale de Bourges, il faut, pour rendre une description plus facile pour l'auteur et plus aisée à comprendre du lecteur, la soumettre à certaines formes sans lesquelles tout ne serait que confusion. Il faut étudier d'abord les masses, puis les détails, examiner l'étoffe avant la broderie qui la décore. C'est ainsi que nous allons procéder dans le cours de cette dissection archéologique. Nous commencerons par l'ensemble des constructions, puis nous entrerons dans les détails de chacune des parties qui composent le tout. L'architecture d'abord, puis la peinture et la sculpture.
Nous avons dit que l'intérieur de la cathédrale était distribué en cinq nefs parallèles; cette disposition est parfaitement écrite par les cinq grandes divisions verticales dont se compose la façade principale.
Elle est élevée sur un perron composé de treize marches dont deux en avant forment palier ; les extrémités, à leur retour d'équerre sur le mur de face, en sont arrondies. Chacune de ces cinq grandes divisions présente à sa base une porte surmontée d'un pignon avec voussures dessous formant portail correspondant à chacune des nefs. Le portail central est consacré au Christ et au jugement dernier ; le premier à gauche à la suite est dédié à la Vierge ; le second ensuite, formant la base de la tour nord, est consacré à saint Guillaume, archevêque de Bourges ; celui à droite du portail du centre est dédié à saint Etienne, premier martyr, sans l'invocation duquel la cathédrale est placée ; enfin le dernier ensuite, formant la base de la vieille tour au sud, est consacré à saint Ursin, apôtre du Berry et fondateur de la primitive église de Bourges.
Les divisions verticales sont de largeur et de hauteurs différentes déterminées par de saillants contreforts dont la base s'amortit dans les angles formés par la réunion de deux pignons des portails.
La division centrale correspondant à la grande nef est a plus large ; les deux qui viennent ensuite à droite et à gauche correspondant aux moyennes nefs sont plus étroites ; enfin les deux autres placées aux extrémités, quoique plus larges que ces dernières, le sont moins que la travée centrale. Elles forment les deux tours et correspondent aux basses nefs.
Ces tours sont de style, d'époque et de hauteur différents; celle du nord, plus moderne, est aussi plus élevée que celle plus ancienne du midi.
Les deux contreforts qui délimitent la division centrale ne sont pleins que par la base ; à la hauteur de la première galerie qui les relie, ils sont évidés intérieurement pour recevoir chacun un escalier en vis qui monte jusqu'au sommet, où ils sont terminés par des campaniles ajoutées après coup au XVIe siècle, ainsi qu'il sera dit plus loin.
L'intervalle qui existe entre ces deux contreforts est rempli par une grande verrière formée par le bas de deux arcs en ogives divisés en trois parties avec un quatre-feuilles. Au-dessus est la grande rose, qui n'est pas formée, ainsi que cela se voit ordinairement , d'un cercle parfait, mais bien plutôt d'un carré, dont chacun des côtés présenterait une section de cercle d'un grand diamètre Un des angles du carré en forme la base. L'intérieur est rempli par un rayonnement composé de douze arcs ogives dont chacun se subdivise en deux autres plus petits et trilobés. Au-dessus de cette grande verrière, dont nous ferons l'histoire et qui était connue très anciennement sous le nom de grand Housteau, il existe une galerie reliant une seconde fois les deux contreforts-escaliers entre eux. Elle est analogue à celles qui se rencontrent dans plusieurs cathédrales et qu'on nomme, notamment à Reims, le Gloria. Elle est placée à la base ; et au-devant du mur-pignon de la grande nef, une porte percée dans le mur communique avec le comble surmontant les hautes voûtes. Au-dessus de cette porte, le tympan du pignon est orné d'une rose aveuglée dont les compartiments sont formés de six divisions trilobées. Enfin, encore au-dessus et s'inscrivant sur la pointe du pignon, est une arcade ogivale géminée également aveuglée.
Le sommet du pignon est surmonté d'une croix archiépiscopale en fer. Les deux côtés rampants sont ornés d'un antefixe trilobé, découpé à jour dans la pierre.
Les deux travées à droite et à gauche correspondant aux moyennes nefs, présentent, dans leur disposition d'ensemble, l'aspect de deux étages divisés par des galeries de communication qui relient les contreforts-escaliers avec les tours. La hauteur de ces travées, qui se terminent carrément correspondant à la base du pignon central, le laisse dominer ainsi que les campaniles qui couronnent les escaliers Les tours ont chacune quatre étages élevés au-dessus des portails qui leur servent de base La plus ancienne, celle du midi, est connue sous le nom de Tour Sourde ; elle a 58 mètres de hauteur. Les deux premiers étages qui s'élèvent au-dessus delà voussure du rez-de-chaussée, forment deux sortes de tribunes dont le devant est composé de deux arcs et le fond d'un mur plein en arrière corps. Au-dessus de ces étages, le troisième qui s'élève atteint la hauteur delà travée intermédiaire entre la tour et le contrefort-escalier.
Cet étage, qui forme également tribune, se compose d'un seul arc dont l'ogive repose sur des colonnettes engagées. Au fond, sur le mur plein est une arcade géminée et aveuglée, sauf la partie supérieure ouverte de trois rosaces. Dans le mur plein, il existe deux baies en barbacannes éclairant l'intérieur de la tour. Le quatrième et dernier étage, destiné à recevoir la sonnerie, est percé sur les quatre faces de deux baies en arcades dont les ogives reposent sur des faisceaux de colonnettes à chapiteaux ; le tout inscrit dans un arc plein cintre, au-dessus duquel sont, à droite et à gauche, des rosaces tréflées. Une corniche horizontale couronne toute la hauteur ; elle reçoit un comble à quatre versants, couvert en ardoise, surmonté d'un poinçon armé de plomb et supportant une girouette.
La Tour Neuve ou du Nord porte encore le nom de Tour de Beurre [5]. Bien que construite au XVIe siècle, il faut constater comme une exception à la règle générale dont les artistes du moyen-âge ne s'écartaient guère, et qui consistait à ne chercher en aucune manière à raccorder le style de leurs œuvres avec celui des monuments auprès desquels ils construisaient, qu'ici les constructeurs ont au contraire fait des efforts pour imiter autant que possible, quoique dans un style différent, l'ordonnance architecturale qui caractérise la tour du Sud. En effet, même système de tribunes et galeries correspondant aux mêmes hauteurs : les deux étages inférieurs, plus petits que le troisième et s'arrêtant également à la même hauteur ; enfin un quatrième étage surmontant le tout ; mais il est beaucoup plus élevé que celui qui lui correspond à la vieille tour, et repose sur un soubassement plein décoré d'une arcature. Malgré cette différence, on retrouve encore dans l'agencement de cet étage les mêmes intentions d'imitation que nous avons signalées pour les parties inférieures. Ainsi deux arcades accouplées, mais à plein-cintre, sont renfermées dans une plus grande également à plein-cintre. Le tout est surmonté d'une corniche portant une balustrade en pierre découpée à jour, entourant une plate-forme qui est terminée aux quatre angles par des demi-cercles saillants portés sur des encorbellements. L'angle gauche est surmonté d'un lanternon à: jour formé de six piliers en pierre réunis à leur sommet par des arcs surbaissés. Cette construction porte l'armature en fer qui soutient la cloche servant de timbre à l'horloge renfermée dans la tour. La cloche est abritée par une couverture en plomb à six pans, surmontée d'un bouquet en fer, lequel reçoit un pélican en cuivre doré formant la girouette qui couronne le tout.
La différence la plus sensible qu'on remarque entre cette tour et celle du midi est surtout dans la décoration des contreforts dont nous n'avons pas encore parlé. Effectivement le système général de la décoration de tous ceux de la façade, à l'exception de deux qui appuient la tour du nord, consiste en plusieurs divisions horizontales formant trois étages pour les deux contreforts escaliers, et quatre pour ceux au droit de la tour du sud. Ces étages se retraitent les uns au-dessus des autres; chaque retraite est couronnée par un amortissement avec gorge et boudin au-dessous. L'étage inférieur est arrêté aux angles par des colonnettes à chapiteaux supportant un boudin formant arc-ogive; des feuillages montent dans une gorge ménagée de chaque côté de la colonnette. A l'étage au-dessus, les arêtes sont nues et vives ; enfin au troisième étage, même système que pour le premier, seulement les contreforts delà tour sud sont terminés par un pignon à crochets, surmonté d'une statue. La même décoration, moins la figure, règne au quatrième étage.
Quant aux deux contreforts appuyant la face de la tour du nord, ils se partagent chacun en deux divisions verticales pour la partie basse comprenant les deux premiers étages ; à cet endroit, s'élèvent trois pinacles alternés de dais hérissés de choux frisés sur le rampant des flèches, lesquelles se réunissent en une seule au sommet des contreforts.
Toute cette partie de l'ornementation de la tour est traitée avec ce luxe flamboyant qui n'appartient qu'au commencement du XVIe siècle.
Pour terminer la description d'ensemble de la façade principale, il nous reste à parler d'une construction qui, sans en faire partie, s'y rattache cependant assez pour ne pas être passée sous silence. C'est une sorte de troisième tour qui ne s'élève que jusqu'au milieu environ de la hauteur de la tour du sud à laquelle elle est accolée. Cette bizarre excroissance est connue sous le nom de pilier butant ; son intérieur a longtemps servi de prison pour l'exécution des jugements rendus par la justice du chapitre.
Etabli dans le prolongement de la façade principale, au sud de la vieille tour, il est évident que ce pilier lut construit dans un but de consolidation ; le système d'appareil mis en usage, la forte dimension des matériaux, la disposition même du plan, tout prouve par les précautions prises pour élever cette robuste construction, l'intention d'apporter un puissant appui à une grande faiblesse, un remède héroïque à un mal peut-être incurable.
En attendant que nous revenions plus en détail sur ce point historique, faisons sommairement la description de ce pilier, qui fait, à proprement parler, l'office de deux arcs-boutants s'appuyant sur la tour Chacun d'eux se compose de deux quarts de cercle dont le sommet touche la tour et la base repose sur un massif considérable. Le dessous de l'arc inférieur est vide et forme un passage couvert, sous lequel est la porte d'entrée qui donne accès à l'intérieur ; deux contreforts saillants divisent dans toute sa hauteur le massif, l'un des deux est évidé pour recevoir un escalier qui dessert le premier étage ménagé au-dessus du passage. Le mur de face de cette partie est percé d'une baie dont la courbe de l'arc, surbaissé en arc Tudor, est motivée par la courbe de l'arc boutant; cette baie est divisée en trois par des meneaux avec trèfles et quatre-feuilles au sommet. Le premier étage des contreforts est orné de longues arcatures, le tout est surmonté d'un comble à trois versants couvert en ardoise.
Tel est en résumé l'ensemble des masses qui constituent la façade principale. Si de ce tout qui présente une certaine symétrie, on passe à un examen de détails, on reconnaît alors de grandes disparates qui blessent parfois les yeux et l'harmonie et forment ce qu'on pourrait appeler des taches sur les beautés archéologiques d'un monument.
Ainsi par exemple, la tour sud et la partie intermédiaire qui la rattache à la travée centrale étant les constructions les plus anciennes, la partie centrale ayant été remaniée à une époque postérieure, la travée ensuite et la tour neuve étant encore plus modernes, on comprend dès-lors la variété des nuances qui doivent exister dans les détails de ces diverses époques. Ce sont toutes ces nuances que nous établirons et déterminerons d'une manière précise en mettant à chacune d'elles une date, lorsque nous pénétrerons plus profondément dans le corps du monument dont nous ne touchons toujours que l'épiderme, en continuant notre examen à l'extérieur.
FAÇADES LATÉRALES.
Nous commencerons par le côté nord en prenant pour point de départ la tour neuve. Sa face de ce côté présente [es mêmes dispositions architecturales lue sur la façade principale, sauf cependant le soubassement qui est plein. Dans l'angle rentrant formé par les deux contreforts, nord et est, se trouve une tourelle très-élancée, elle est de forme hexagone et divisée dans sa hauteur en onze étages indiqués par des moulures formant bandeaux ; chacun de ces étages présente deux baies carrées, le dernier en renferme trois.
Cette tourelle contient l'escalier en vis, qui monte du sol intérieur du monument jusqu'au sommet de la tour. Sa forme svelte donne une physionomie toute particulière à cette partie de l'édifice par le brusque contraste qui existe entre son style riche et brillant, mais abâtardi, et celui simple, mais aussi plus sévère des trois étages de nefs contre lesquels elle s'appuie.
Et pourtant cette longue suite de toits, de baies et de contreforts qui s'enchevêtrent et pyramident les uns au-dessus des autres, pour former la façade latérale, n'a pas été construite d'un seul jet. Les sept travées à partir des tours appartiennent au XIVe siècle, tandis que les cinq qui suivent, ainsi que celles qui composent l'apside, sont du XIIIe ; mais on sent que ces deux époques sont de la même famille, aussi faut-il un examen attentif pour reconnaitre l'aînée de la cadette. Il n'en est pas ainsi de l'ordonnance de la tour neuve ; on apprécie à première vue que l'art, en rompant complètement avec les traditions de l'ogive, a pris une nouvelle direction.
Cette face latérale est en partie enclavée dans des propriétés particulières qui nuisent à son effet généraI ; sur les douze travées dont se composent les basses nefs jusqu'à la partie tournante de l'apside, cinq seulement sont visibles. Toutefois, si la partie inférieure ne se développe pas entièrement, ce qu'on en voit ne manque pas d'intérêt, et la partie haute ne perd rien de son effet tout à-la-fois grandiose et pittoresque.
La première travée des basses nefs, celle qui touche la tour neuve, est entièrement occupée par les contreforts de cette tour ; il n'y a de visible que la partie supérieure qui appartient à la grande nef.
Les trois travées qui viennent à la suite sont occupées par des chapelles construites au XV9 siècle entre les contreforts saillants, ainsi que cela s'est pratiqué dans beaucoup d'églises du XIII siècle, qui ne comportaient pas de chapelle originairement.
On sait que dans ces édifices de l'art ogival primitif, les chapelles n'existaient jamais qu'à partir des transepts d'où elles rayonnaient au pourtour du chœur, en formant une sorte de couronne symbolique.
Presque toujours elles étaient en rapport avec les nombres mystiques, trois, cinq ou sept ; ce n'est que plus tard par des fondations et des dons, qu'en augmentant indéfiniment leur nombre, on augmenta également la richesse des établissements religieux ; mais cette prospérité est loin d'avoir tourné au profit de l'art, car on peut trouver dans cette circonstance une des principales causes de la décadence de l'architecture du XIIIe siècle.
Revenons à nos chapelles dont nous ne ferons en ce moment que la description extérieure, nous réservant d'en parler plus en détail, lorsque nous les visiterons intérieurement. Comme on le voit, il a suffi de construire un mur allant d'un contrefort à l'autre, et d'agrandir la baie percée dans la partie latérale du bas-côté, pour former dans chaque intervalle une chapelle spacieuse ; mais si ce résultat a satisfait à la conscience du fondateur de ces chapelles, s'il a contribué à enrichir l'église , il a nui à l'ensemble du monument, en détruisant sa physionomie primitive et son unité, En effet, l'accent et la fermeté donnés à cette partie de l'édifice par la saillie des contreforts n'existant plus, le mur des chapelles forme une seule ligne avec les contreforts , c'est-à-dire , une surface plate, incolore et sans effet, qui remplace un mur mouvementé par le jeu des lignes et l'effet des ombres produites par les contreforts.
Chaque travée présente une grande baie ogivale avec meneaux flamboyants; la première et la troisième ont des moulures au pourtour, dont l'amortissement est garni de choux frisés et repose sur des consoles à figures. La première a de plus des pilastres Renaissance, qui ne laissent aucun doute sur la date de son exécution. Au-dessus est une balustrade en pierre, découpée à jour; elle repose sur une corniche dont la gorge refouillée est ornée de crochets. Deux gargouilles saillantes, formées d'animaux fantastiques, jettent au loin l'eau des combles.
La travée suivante, formant la cinquième après la tour, n'ayant pas reçu de chapelle dans l'intervalle de ses contreforts, conserve encore et laisse voir sa décoration primitive. Elle se compose d'une baie de moyenne proportion avec colonnette à droite et à gauche, portant boudins se réunissant en ogive. Dans la partie au-dessus comprise entre la corniche, il existe une petite baie donnant le jour et l'air au-dessus des basses voûtes. Cette baie étroite et carrée, dont les arêtes extérieures sont à biseau, a son linteau supporté par des crossettes arrondies. La corniche au-dessus est avec des crochets, mais il n'y a pas comme aux précédentes de balustrade qui la couronne. Cette décoration tout à-la-fois gracieuse, ferme et sévère, est de beaucoup préférable à celle des précédentes travées, qui la font regretter.
La sixième travée est entièrement occupée par le portail formant porche latéral, connu sous le nom de Notre-Dame de Grâce, nom qui lui vient d'une statue de la Vierge qui la décorait autrefois, ainsi que nous le dirons lorsque nous nous occuperons de l'iconographie du monument.
Ce portail, dont le style indique le XVe siècle, forme une forte saillie ayant en avant de puissante contreforts de face et de retour se reliant aux arcs-boutants, et terminés par des pignons surmontés de fleurons. La face principale est composée d'une arcade en plein cintre géminée, supportée aux extrémités et au centre par des faisceaux de colonnettes recevant les retombées. Chaque arc est trilobé; une rosace à jour et à six lobes remplit le tympan, une des faces en retour est en tout semblable. Celle vis-à-vis répète la même décoration ; mais elle est aveuglée; dans cette dernière, une porte donne entrée aux cours qui règnent entre la cathédrale et les bâtiments de la maîtrise.
Enfin, la quatrième touchant le monument est percée d'une baie carrée géminée, surmontée d'un plein-cintre formé de boudins dont le tympan est orné de bas-reliefs représentant des scènes de la vie de la Vierge. Au-dessous, formant le linteau, est une riche frise sculptée de rinceaux portant des traces de couleur.
Celte porte, ainsi que l'ornementation qui l'accompagne, appartiennent au style roman fleuri de la fin du XIe siècle. Sa présence à cette place a été le sujet de bien des discussions entre les antiquaires ; c'est en effet une sorte d'énigme que nous n'aurons pas la prétention d'expliquer ; mais après avoir rapporté les diverses opinions qui se sont produites, nous nous permettrons aussi d'émettre la nôtre en temps et lieu. Contentons-nous, pour le moment, de constater sa présence comme un fait des plus curieux.
Au-dessus de la voûte qui couvre le porche, il existe un premier étage qui joue un rôle important dans l'histoire de la cathédrale, par l'incendie qu'il éprouva et lui communiqua en 1559. Nous y reviendrons.
Au-dessus de l'arcade, sur la face principale, il existe une lucarne en pierre percée d'une baie géminée surmontée d'une corniche à motifs et fleurons, dans le style de la Renaissance. Un comble très rapide à quatre versants et couvert en ardoise, surmonte ce porche et la salle du chapitre qui se trouve à côté.
C'est, ainsi que nous l'avons dit, à partir de cet endroit, que le monument se trouve enclavé dans des propriétés particulières, notamment dans celles de la maîtrise ; il serait bien à désirer qu'on pût le dégager des cours et bâtiments humides qui sont en contact avec lui de ce côté. En poursuivant l'examen par une des cours de la maîtrise, on trouve après la travée occupée par la salle du chapitre, que les deux travées qui viennent à la suite sont transformées en chapelles, dans le même style et par les mêmes moyens précédemment décrits pour les premières chapelles.
La travée ensuite est remplie par la sacristie du chapitre qui forme une importante saillie sur le nu des bas-côtés. Les faces extérieures se composent d'un pignon principal flanqué aux angles de contreforts qui se terminent par des pinacles à quatre faces avec crochets et fleurons; sur la face, deux étages de baies à meneaux formant quatre panneaux avec partie flamboyante, renferment un cœur dans le haut. Un bandeau d'amortissement règne à la base du pignon dont le tympan renferme une ogive allongée et trilobée, au-dessus de laquelle sont les armes de Jacques Cœur, qui a fait ériger à ses frais ce monument sur lequel nous reviendrons lorsque nous ferons la description intérieure.
Sous cette sacristie il existe un passage voûté, dans lequel on voit encore des restes du mur antique formant l'enceinte romaine, dont nous avons parlé dans notre premier chapitre. Ce mur est construit en grand appareil et d'une épaisseur de plus de deux mètres. Les fondations de la sacristie ont été assises dessus. On retrouve encore des traces de ce mur au nord dans la rue voisine, et c'est à l'aide de ces diverses fractions qu'il est facile de reconnaître la direction qu'il suivait avant la construction de la cathédrale du XIIIe siècle.
Au-delà du passage voûté se trouvent les deux dernières chapelles qui terminent de ce côté la série de celles construites après coup entre les contreforts. Afin de lui donner plus de largeur, la première est légèrement en saillie sur les contreforts; celle ensuite présente une saillie encore plus forte ; le style flamboyant du XVe siècle décore les murs extérieurs de ces chapelles.
Nous voici parvenus à l'apside. Cette partie, l'une des plus intéressantes du monument, exige une description particulière. Elle est formée de cinq grandes divisions verticales, motivées par Les cinq chapelles apsidales, et déterminées par les contreforts qui montent de fond et se relient aux arcs-boutants des moyennes et grandes nefs. Gomme c'est ici que ces contreforts se voient de la manière la plus complète et se présentent sous plusieurs aspects, nous en décrirons un, et cette description servira pour ceux qui sont semblables.
Ainsi que nous l'avons dit, toute la partie de l'apside présente un étage de plus que le reste du monument. Par suite de la déclivité du terrain, il en résulte que les contreforts ont un soubassement de plus, lequel est marqué par un empâtement biseauté ; au-dessus, deux étages déterminés par un bandeau amorti, dont le deuxième est couronné d'un pignon. C'est ici que se terminait autrefois la hauteur de tous les contreforts qui reçoivent la poussée des arcs-boutants, lesquels se composent de quatre arcs rampants, dont les deux supérieurs arc-boutent la grande nef et se déchargent sur les deux inférieurs qui butent la moyenne pour venir finale ment s'appuyer sur le contrefort. Depuis peu on a surmonté ces contreforts de deux étages dont l'inférieur est plein et à pignon, et celui qu'il supporte est formé de deux pinacles ou pyramides hexagones reliées entre elles par une triple arcature à jour; des crochets et un fleuron ornent ces pyramides. Tel est l'ensemble de ces contreforts qui forment chacun un monument complet. Si, au point de vue archéologique, on doit blâmer ces deux étages ajoutés à chaque contrefort, parce qu'ils changent le caractère primitif du monument, on ne saurait nier cependant que l'effet pittoresque y gagne quelque chose. Nous ferons la même observation pour la balustrade à jour et les pinacles, qui ont été placés au bas du comble de la grande nef. Nous ajouterons qu'il est regrettable que les détails de ces parties, ajoutées après coup, ne soient pas en plus parfaite harmonie avec les parties anciennes l'effet pittoresque n'y aurait rien perdu, et l'ensemble architectural y aurait beaucoup gagné.
Entre chacune des cinq grandes divisions dont nous avons parlé plus haut, se trouve une des chapelles rayonnantes ayant l'aspect de tourelles engagées dans le mur de l'apside. La base, qui a la forme d'un cône renversé, repose sur un contrefort carré ; elle s'appuie encore à droite et à gauche comme sur des béquilles , sur deux colonnes isolées ayant bases et chapiteaux; mais en examinant attentivement cette partie de la construction, on reconnaît bientôt que c'est moins comme supports nécessaires à sa solidité que ces colonnes ont été placées , que pour obvier à un défaut de régularité qui existe entre l'axe des baies de l'étage souterrain et celui des baies -des basses nefs placées à droite et à gauche de chaque tourelle. Il est certain que sans ces colonnes qui prolongent pour l'œil la ligne extérieure des chapelles, la différence d'axe, qui existe entre les deux baies placées au-dessus l'une de l'autre, serait bien plus sensible. C'est une de ces difficultés vaincues avec beaucoup d'adresse et dont le moyen-âge nous présente de nombreux exemples.
Les tourelles sont percées de trois baies ogivales sans moulures, séparées par des colonnettes qui montent jusqu'à l'amortissement du comble en pierre formant pyramide à six pans, dont cinq à l'extérieur avec arêtes à crochets, et le sixième, côté de l'apside montant d'aplomb en forme de pignon aigu. Les arêtes ne tombent pas d'aplomb sur les colonnettes; la différence de la ligne droite du bas du comble avec la courbe du mur des chapelles est rachetée par des consoles historiées de figures fantastiques.
Les baies éclairant la crypte sont avec colonnettes et archivoltes, ainsi que celles de l'étage des basses nefs; au-dessus de ces dernières et sous la corniche, il y a un œil de bœuf donnant sur les basses voûtes.
La corniche à modillons variés, qui couronne cette partie de l'apside , semble avoir été remaniée; ce qui appuierait cette opinion, serait la différence de hauteur qui existe entre celle corniche et celle des tourelles: cette dernière est moins élevée, et l'on ne se rend pas compte de ce qui aurait pu primitivement motiver une semblable différence.
Dans l'intervalle entre chaque contrefort, il existe un mur d'appui laissant un isolement formant fossé jusqu'au mur de l'apside, afin que le jour pénètre dans l'église souterraine.
Ayant fait le tour de l'apside, nous arrivons à la face latérale du sud. Tout ce côté, à quelques légères différences près, que nous allons signaler, est semblable à la façade du nord. Entre les deux premiers contreforts est une chapelle construite au XVe siècle; des armoiries frustes dans un carré quadrilobé existent au sommet de l'ogive.
Cette chapelle est construite sur une voûte formée d'une section de cercle; cette disposition a été motivée pour ménager le jour à une baie qui éclaire l'église souterraine.
En cet endroit, se trouve un escalier ou perron en pierre, qui rachète la différence de niveau du sol.
Le premier contrefort à la suite de la chapelle, diffère, dans sa partie supérieure, de la forme de ceux qui ont été précédemment décrits. Il renferme dans son intérieur l'escalier dit de Saint-Guillaume, ainsi nommé, parce qu'autrefois sa base communiquait avec la célèbre salle de Saint Guillaume, qui faisait partie du palais archiépiscopal bâti par le saint archevêque. Ce contrefort, plus élevé que les autres, se termine par une partie octogone qui prend la forme d'une tourelle surmontée d'une flèche ou pyramide à huit pans, avec crochets sur les arêtes, et fleurons au sommet; un amortissement relie le carré de la base avec les pans coupés de la tourelle. Une réparation récente et maladroite, comme malheureusement nous en aurons plusieurs à signaler dans le cours de cette description, a changé la forme et les proportions de cette flèche, qui était primitivement plus élevée et ne présentait pas la ligne convexe qu'on lui voit maintenant.
L'escalier qui a son entrée par l'intérieur de la chapelle dont nous venons de parler, conduit d'abord sur les voûtes des basses nefs, puis au-dessus du premier arc boutant', par un pont droit supporté par deux rangs de colonnettes, aux combles des moyennes nefs ; enfin il accède encore au comble de la grande nef par une rampe établie au-dessus de l'arc boutant supérieur. Cette combinaison est des mieux entendues sous le rapport de la convenance des communications, et des plus heureuses sous celui de l'effet pittoresque qu'elle produit.
A gauche, à la suite de ce contrefort, il n'y a pas de chapelle, mais seulement un réduit sous lequel existe un passage et une porte donnant entrée à la cathédrale ; dans les deux travées ensuite, deux chapelles construites sur voûte avec croisées au-dessous éclairant la galerie qui conduit de ce côté à l'église souterraine. Les croisées des chapelles sont sans ornements ; la corniche, avec crochets, mais sans balustrade au-dessus.
Au-devant des deux travées qui suivent immédiatement se trouvent les cour et bâtiments dépendant de la sacristie de la paroisse. Ces dépendances, qui sont établies en alignement avec la saillie du porche sud, dont nous allons bientôt parler, masquent le monument et obstruent d'une manière très-fâcheuse le jardin de l'archevêché. Sous aucun rapport, elles ne sont dignes de s'interposer entre ce beau jardin et la magnifique cathédrale.
Le porche sud qui vient immédiatement, occupe la travée qui correspond au porche du nord auquel il forme parallèle. Sa construction, qui est de la même époque, présente les mêmes dispositions en plan et en élévation. Sur deux des faces, sont des arcades géminées en plein cintre ; la porte carrée et géminée, donnant entrée à la cathédrale, est surmontée de boudins formant plein-cintre, qui reposent sur des chapiteaux couronnant des colonnes à figures. Le tympan est occupé par le Christ entouré des attributs des évangélistes ; le linteau au-dessous est rempli par un bas-relief représentant les douze apôtres. Toute cette partie, qui conserve des traces de peinture, est en style roman fleuri de la fin du XIe siècle; nous y reviendrons pour l'iconographie.
Ainsi qu'au porche nord, sur une des faces latérales de celui- ci, la décoration de répétition est aveuglée; mais il existe dans l'arc à droite une porte en style de la Renaissance avec pilastres, corniches, chapiteaux et frise finement sculptés ; au-dessus, motif à coquille renfermant des armes effacées ; au-dessus, une petite croisée grillée. Cette porte conduit à un logement de concierge. Dans l'arc à gauche, sont des inscriptions que nous donnerons plus loin.
La seule différence qui existe entre ce porche et celui du nord consiste en ce qu'il n'est pas, comme ce dernier, surmonté d'un premier étage, mais de contreforts qui se terminent par trois pinacles, dont un plus élevé que les deux autres ; ils sont reliés entr'eux par une balustrade en pierre découpée formant six quatre-feuilles à jour.
Toute la partie supérieure de ce charmant porche a été restaurée depuis peu ; nous voudrions pouvoir louer ce travail, et surtout ne pas avoir à signaler l'acte de vandalisme qui a fait pratiquer des trous d'échafaudage dans des fresques qui décorent intérieurement le tympan des arcades. Si de tels faits sont blâmables, il faut convenir que ceux qui les commettent sont encore plus à plaindre.
De même que sur la façade du nord , la travée qui touche le porche laisse voir le mur primitif du bas-côté; cette heureuse circonstance est due au peu de saillie que présente le contrefort formant un des jambages du porche , saillie qui n'aurait pas permis de donner une largeur suffisante à la chapelle ; ici la même cause a produit le même effet qu'au nord.
Deux gargouilles, une corniche à crochets, et une balustrade à jour, décorent cette partie.
La travée suivante est occupée par une chapelle qui apparait comme l'apside coquette d'une petite église. Outre l'intervalle qu'elle occupe entre les contreforts, elle absorbe encore une partie de la face même de ces derniers. Les trois pans coupés qui la terminent sont arrêtés par quatre pilastres ou gracieux contreforts qui s'étagent sur un empâtement à hauteur de l'appui des croisées, et se terminent en amorce rachetée d'un pignon portant pinacle.
Une balustrade en quatre-feuilles et des gargouilles ornent l'amortissement du toit. Chaque pan coupé est percé d'une baie à meneaux flamboyants par le haut.
En présence d'un si joli résultat de l'art du XVe siècle, on ne se sent pas le courage de critiquer ce qu'une telle construction a d'insolite, implantée comme elle est sur une façade régulière, dont elle rompt la rectitude et ôte la sévérité. C'est une excroissance qui peut nuire à la forme d'un plan, mais les yeux seront toujours satisfaits des élévations qu'elle donne et du pittoresque qu'elle jette sur tout ce qui l'entoure.
Les deux travées ensuite possèdent des chapelles, avec croisées à meneaux flamboyants; à la première des armoiries frustes au sommet de l'ogive choux très riches, gargouilles formées d'animaux, une corniche dont la gorge est remplie de chicorée, et balustrade à jour. A la seconde, petits contreforts à droite et à gauche appuyant l'ogive et reposant sur des consoles. La corniche est avec animaux fantastiques ; elle est surmontée d'une balustrade à croisillons lobés.
Enfin, la dernière travée joignant la vieille tour a été remplie en maçonnerie dans toute l'épaisseur du contrefort dans un but de consolidation ; il n'a été ménagé qu'une petite baie pour éclairer la partie du bas-côté à laque le elle correspond ; deux gargouilles, une corniche à crochets et une balustrade décorent cette travée.
L'intervalle entre les deux contreforts de la tour a été également rempli après coup pour solidifier ce côté, sur lequel s'appuie encore le pilier butant dont nous avons déjà parlé, et près duquel nous voici revenus ; deux mots suffiront pour en faire connaître les faces extérieures non décrites. Celle à l'est présente la même disposition que sur la face principale; à celle du sud deux contreforts décorés à l'étage supérieur d'une arcature qui en dissimule la lourdeur. Une corniche à deux rangs de crochets partage les deux étages ; de ce côté le comble forme croupe. Nous reviendrons sur cette bizarre construction.
Avant d'entrer dans l'intérieur du monument, jetons un dernier coup d'œil sur l'ensemble de son extérieur. C'est surtout en se plaçant dans le jardin de l'archevêché, derrière l'apside et à peu près dans son axe, qu'on peut étudier à fond la savante et harmonieuse combinaison des lignes, et l'effet prodigieux qu'elles produisent.
De cette place, la cathédrale apparaît comme une vaste tiare ou triple couronne, dont tous les étages, solidairement liés les uns aux autres au moyen d'immenses arcs-boutants, viennent s'appuyer sur de puissants contreforts, qui forment comme autant de fleurons. Les innombrables clochetons et pinacles qui dardent leurs flèches dans l'espace, sont tous dominés par la croix qui brille majestueusement au sommet du comble. Mais c'est lorsque le soleil frappe les verrières, que le chatoiement des riches couleurs qu'elles renferment se répand et flamboie comme des pierres précieuses sur un immense diadème.
Il est difficile de trouver ailleurs un exemple plus complet de la force unie à la grâce, de la hardiesse à la solidité, de la richesse de détails à la simplicité de formes. Pourquoi faut-il regretter que des transepts ne viennent pas détruire la mollesse que leur absence imprime aux faces latérales ?
À suivre...
[1] Sidoine Apollinaire et Grégoire de Tours.
[2] Voir l'abbé Romelot.
[3] Dans un acte par lequel l’évêque Etienne donne à Odort, clerc, une place située devant la porte de l'église, et lui permet d'y bâtir une maison, à la condition de rendre remplacement quand la construction de l'église projetée l'exigera.
[4] Cartulaire de Notre-Dame de Salles.
[5] Ce nom n'est justifié par aucun texte ; on a dit il est vrai qu'elle avait été rebâtie avec l'argent donné pour obtenir la permission de manger du beurre en carême; mais on verra plus tard que cette ressource fut à peu près insignifiante en comparaison de toutes celles auxquelles on a eu recours.
Cathédrale Saint-Étienne. Bourges. Photos Rhonan de Bar. CC.2011 (sauf image couverture album source wikipédia.)