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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'ICONOGRAPHIE DU CŒUR DE JÉSUS ET DES CINQ PLAIES.

LES SOURCES DU SAUVEUR

Deux choses, plus que toutes autres paraissent avoir frappé les regards et l'esprit des premiers hommes dans le spectacle du monde physique : le soleil et les sources, les sources surtout ; et le soleil n'occupa si fortement leur constante pensée que parce qu'il est lui-même la source double et splendide de deux des éléments essentiellement nécessaires aux vies terrestres : la chaleur et la lumière.

En tous pays Je pauvre sauvage qui, dans le formidable lointain des âges connut la jeunesse du monde, rechercha le voisinage heureux des sources d'où l'eau s'échappe encore toute pure, pour y établir les premiers foyers humains. Dans sa reconnaissance pour le bienfait qui lui venait d'elles, sa féconde imagination de grand enfant les peupla de génies mystérieux, et souvent leur attribua gratuitement les qualités les plus merveilleuses, comme s'il eut été impossible qu'elles ne les eussent pas toutes ! et sa main jeta en naïf hommage dans les fontaines où s'épanchait la pureté de leurs ondes, des objets divers qui lui étaient précieux.

Le demi-civilisé de nos tribus gauloises et le Gallo-romain continuèrent aux sources, à leurs divinités imaginaires, la pratique des offrandes de gratitude, et quand le Christianisme organisa dans l'Occident le culte nouveau, presque partout il consacra à des saints choisis, souvent locaux, les sources les plus renommées.

Aussi, quoi de plus naturel que de voir, dès l'époque des Catacombes romaines, les premiers artistes chrétiens symboliser sous la figure de sources généreuses le don secourable que Dieu fait à l'homme de ses diverses grâces ?

Regardez, des peintures couvrent les parois de ces salles souterraines où les restes glorieux des Martyrs ont été déposés dans la paix du Christ. Partout l'artiste y a multiplié les images de repos, de sérénité, de bonheur éternels : à l'ombre des palmiers un pasteur garde son troupeau dans un vallon fleuri ; des poissons nagent dans les eaux paisibles ; des enfants ailés cueillent des lis ; des orantes prient, les yeux et les bras levés ; des colombes, des paons, des phénix, des papillons légers volent ou se tiennent au milieu des feuillages et des fleurs, pendant que, très en place Les sources du Sauveur d'honneur, debout sur une roche ou sur un tertre gazonné, L'AGNEAU se tient debout, la tête glorieuse.

A ses pieds, du tertre qui le porte, quatre sources jaillissent et forment quatre fleuves sur lesquels des cerfs se penchent pour boire à longs traits.

L'Agneau c'est le Christ, sauveur du monde; les fleuves qui sourdent à ses pieds c'est la grâce de vie éternelle qu'il répand par les quatre Évangiles sur les quatre parties, alors seules connues, du monde racheté ; et les cerfs sont les âmes fidèles qui réalisent ce que David avait dit de lui-même : « Mon âme vous désire, ô Dieu, comme les cerfs assoiffés désirent l'eau des fontaines[1] ».

Ailleurs, autour du monticule d'où découlent les fleuves, ce sont des saints qui tendent vers l'Agneau leurs mains suppliantes, comme dans la crypte des SS. Marcellin et Pierre. Au VIe siècle, ainsi qu'il est représenté sur la grande mosaïque de la basilique des SS. Côme et Damien. C'est toute l'Église, semble-t-il, sous le symbole de douze agneaux, qui marche vers les quatre sources du rocher où s'érige l'Agneau divin.

Dans les Gaules aussi, et dans le même, temps, le symbole des sources mystiques fut en faveur. Je n'en donnerai comme exemple qu'une fort belle pierre fine gravée, de la riche collection de M. le comte Raoul de Rochebrune, un lapis-lazuli sur le bleu vif duquel l'artiste a figuré non pas l'Agneau, mais le Monogramme du Christ —le X et le P superposés— planté sur le monticule comme un drapeau triomphal. Dans la vasque d'où s'échappent les fleuves régénérateurs deux cerfs se désaltèrent avidement. Puis le thème se complète par une conclusion : parce que c'est aux sources divines et non point aux sources pernicieuses, que les cerfs s'adressent, une couronne glorieuse leur est préparée au ciel et des colombes la tiennent au-dessus de leurs têtes.

Cette superbe intaille, qui fut dans la collection Parenteau avant d'entrer dans celle de M. de Rochebrune, fut trouvée, selon toutes vraisemblances, sur les frontières méridionales des Deux-Sèvres et de la Vendée. Elle paraît attribuable au Ve siècle. Parfois, vers la même époque, ce sont un cerf et sa biche qui boivent ensemble le présent divin sous le regard de l'Agneau-Sauveur ; jamais peut-être l'iconographie n'a conçu de la vie conjugale chrétienne un plus discret, un plus digne, un plus gracieux emblème, un programme plus parfait aussi[2].

Intaille sur lapis-lazuli. Ve Siècle. Collection du Comte  de Rochebrune.

Plus tard, deux autres sources mystiques apparaissent dans le champ de l'art iconographique : De l'Agneau lui-même, frappé au coeur, un large jet de sang jaillit dans la coupe du calice posé à ses pieds; c'est la source emblématique de l'Eucharistie.

Et, dressé sur le bord de son nid, au-dessus de sa couvée qu'il purifie et ressuscite ainsi, le Pélican verse, lui aussi, le sang de sa poitrine ; là, ce n'est plus la source du don eucharistique, mais celle de la grâce purificatrice et rédemptrice.

Avec ce même sens de purification obtenue par la vertu delà plaie latérale de Jésus, le symbole du vase de terre se présente à nous "comme une image moins frappante et d'une signification plus cachée.

Dans les belles pages consacrées au Sermon de saint Bonaventure sur les bienfaits du Coeur de Jésus[3], Dom Séjouné nous a déjà parlé de cet emblème de la fiole carrée de terre cuite pourvue d'une ouverture sur le côté, dont la Glose nous dit qu'elle est l'image du Corps du Seigneur, fait de l'humanie argile, et qui, par l'ouverture de son côté, nous a versé la Vie.

Que des vases matériels de terre aient été Vraiment modelés jadis, en accord avec le texte de la Glose, dans les nombreuses abbayes médiévales où les moines faisaient oeuvre de potiers et plus encore d'artistes céramistes, ce me paraît bien vraisemblable.

Très rares sans doute sont ceux qui sont parvenus jusqu'à nous et je n'ai point encore que l'avantage désiré d'en rencontrer.

La plaie latérale de Jésus avec, cette fois, le sens de source eucharistique apparaît plus nettement dans la seconde partie du Moyen-âge, bien que figurée parfois isolément du Corps du Seigneur.

C'est ainsi que dans une miniature des- Heures de Caillaut et Martineau, peinte au XVe siècle[4], et sur laquelle, à côté du Crucifié qu'entourent les Instruments de sa Passion, la plaie de son côté est figurée à part, dans l'ouverture même d'un large calice. Et le même caractère d'emblème eucharistique (en même temps que la qualité d'armes parlantes et personnelles) doit être reconnue aussi à l'image héraldique de la même plaie sacrée du «costé» de Jésus représentée en forme de croissant sur le sceau de Jehan Coste, XVe siècle, au-dessus du calice en lequel tombe le sang qui s'en échappe.

Plaque de gant liturgique, XIIIe siècle Collection Jean Martin, de Lyon. 1902

Le Pélican sur une faïence d'Oiron. XVI' siècle.

Ces deux compositions, ne paraissent-elles pas inspirées par cet incomparable poème du Saint-Graal qui à lui seul jetât sur le monde chrétien, à la fin du règne exclusif de la beauté chrétienne dans l'art, mille fois plus de poésie que toute la horde des vieilles fictions païennes que la Renaissance eût le néfaste effet de faire pénétrer jusque dans l'art religieux de France ?

Sources aussi de régénération, les plaies divines alimentèrent également, pour la piété médiévale les « Pressoirs divins » et les impressionnantes « Fontaines de vie» où les hommes souillés se délivrent des macules mortelles du péché.

Jamais autant qu'aux trois derniers siècles du Moyen-âge, le Monde chrétien ne s'est prosterné avec plus de véhémente piété et de confiante espérance devant le sang du côté et des quatre membres de Jésus. Que voilà donc cinq sources merveilleuses, génératrices inépuisables de grâces les plus précieuses et des vertus les plus désirables ! Et les mystiques d'alors de demander à chacune d'elles un de ces dons salutaires.

Déjà nous avons dit ailleurs[5] comment, dès le XIe siècle, saint Bernard, en son Sermon pour la Nativité du Seigneur, a montré dans les plaies des membres divins les sources de « Miséricorde et de Sagesse, de Grâce et de Zèle et dans la plaie du côté sacré la source même de la Vie. D'autre part, en l'un des derniers fascicules de Regnabit[6], le R. P. Anizan nous a magnifiquement expliqué, dans une précieuse étude d'ensemble, comment les théologiens et les mystiques, depuis le XIe siècle jusqu'à nous ont compris et défini le don de vie qui flue, pour les âmes, du Coeur et du côté béants de Jésus transpercé. Voyons comment cette source du Coeur Sacré et les quatre autres qui n'en sont, pour ainsi dire que des dérivés, puisque le sang rédempteur qu'elles déversent vient de Lui, comment, dis-je, ces sources ont été figurées dans les créations artistiques de nos vieux imagiers.

Au XVe siècle l'art s'inspire plus vivement que jamais du thème des sources mystiques ; il ne le montre plus seulement par des lignes et des couleurs, il le fait crier par des paroles qui portent la pensée à sa plénitude d'expression et de précision.

Par exemple : sur un vitrail du XVe siècle, en la sacristie de l'ancienne église catholique de Sidmouth (Devonshire), devenue depuis le XVIe siècle temple réformé, un blason splendide porte les cinq-plaies de Jésus, désignées comme sources des biens spirituels.

Elles y apparaissent comme cinq blessures de pourpre oblongues, sommées de couronnes d'or, et dont le sang s'échappe en abondance.

Les Sources du Sauveur " sur l'écusson aux Cinq-Plaies de Sidmouth Church (Devonshire) - Angleterre. (XV* siècle)

Au-dessus de la plaie qui correspond à la main droite du Crucifié une inscription en cursive gothique nous dit : WEL OF WISDOM, « source de Sagesse » ; pour la plaie de la main gauche : WEL OF MERCY, « source de Miséricorde » ; pour la plaie du pied droit : WEL OF GRACE, «source de Grâce »; pour la plaie du pied gauche : WEL OF GODLY CONFORT « source du Réconfort spirituel ; et la plaie du côté, qui verse directement le sang du Coeur, est ainsi désignée: WEL OF EVERLASTING LIFE «source de l'éternelle Vie ».

Que l'on traduise le mot wel, well, par source, fontaine, ou puits, l'idée reste la même.

— Autour de Jésus crucifié, sur une miniature du XVe siècle aussi, et d'origine probablement bourguignonne ou flamande, des phylactères[7], dont j'ai noté jadis les inscriptions, reconnaissent aux plaies sacrées des dons semblables :

Pour la main droite : Source de Justice.

Pour la main gauche : Source de Sagesse. - .

Pour les deux pieds, cloués l'un sur l'autre : Sources de Force et de Prudence.

Et, pour le côté saignant: Source de Vie et de Miséricorde.

L'inspiration de demander la miséricorde en même temps que la vie à la plaie du Coeur — qui, s'il est le centre de la vie l'est aussi de la bonté— ne semble-t-elle pas très raisonnée, très logique ? la miséricorde de Dieu n'est-elle pas pour nos âmes le complément nécessaire, indispensable du don de vie spirituelle, faute duquel cette vie ne saurait résister aux mortelles atteintes de nos trop fréquentes culpabilités ?

Ces vieux artistes mystiques connaissaient les âmes comme nos anatomistes les corps!

— Si les divines blessures sont des sources d'où découle pour l'âme la vie et aussi les vertus qui, étymologiquement, sont ses «forces », elles sont également les sources des remèdes efficaces à ses débilités, à ses maladies les plus dangereuses.

C'est ce que nous affirme, comme une voix d'outre-tombe l'image de Robert Hacumblen gravée sur la lame de cuivre qui recouvre ses restes en la chapelle du Kings-Collège, à Cambridge, dont il fut le Prévôt, de 1509 à 1528. De ses mains jointes sur le camail canonial papelonné de plumes de cygne, un long phylactère se déroule vers l'image emblématique des Cinq Plaies, gravée sur blason dans le bronze ; et sur la souple banderole, qu'un souffle semble faire onduler on lit ces mots en lettres gothiques :

Tes plaies, ô Christ, sont mon plus doux remède [8].

— Mais comme si, à ses yeux, les Cinq Plaies n'étaient pas à proprement parler cinq sources distinctes, mais cinq ruisseaux alimentés par une même source commune et plus profonde, voilà qu'un autre artiste anglais sculptant, au début du XVIe s., la chaire de l'église de Camboure (Cornwall) y dit bien que les Cinq Plaies sont les fontaines de Piété et de Réconfort de Grâce et de Miséricorde, et, pour la plaie latérale, de Vie éternelle, mais s'il les a bien figurées toutes cinq sur le blason qui les porte, une seule y répand son flot, et réunit ainsi les dons de toutes.

Les Cinq Plaies, " sources de remèdes spirituels sur le cuivre funéraire de Robert Hacumblen, en  la chapelle de Kings-College à Cambridge (Angleterre). 1/2 grandeur. — (XVe siècle.)

Celle-là, ce n'est point la simple ouverture faite dans la chair par la lance, c'est l'image même du Coeur vulnéré et qui, entre les mains et les pieds percés saigne dans la coupe  ouverte du calice, comme l'Agneau « acoré » sur l'emblème plus ancien; image splendide du don eucharistique en lequel l'âme trouve tout ensemble les dons spirituels les plus précieux et le donateur le plus munificent qui puisse être.

Un peu plus tard, en 1549, — toujours en Angleterre — quand les régions de Devon, de Norfolk et d'Yorck s'insurgèrent en faveur de la foi catholique, comme plus tard, en France, les Vendéens se soulèveront contre la Convention, les insurgés prirent, comme signe de ralliement, un blason, semblable à celui de Comboure : entre les mains et les pieds percés, le Sacré-Cœur saignant dans le calice.

Pour revenir aux sources spirituelles, aux sources du Sauveur, notons comment depuis saint Bernard, au XIe siècle, jusqu'au XVIe le thème des plaies sacrées en tant que fontaines généreuses des grâces divines n'a pas changé. Relativement à la plaie du Coeur surtout il est resté invariablement le même : pour les artistes comme pour les théologiens et les mystiques c'est la source de Vie éternelle, «Wel of everlasting life ».

Tant que les artistes maintinrent les représentations symboliques des Saintes Plaies, en tant que sources ou fontaines mystiques, dans le domaine artistique des Crucifixions ou dans celui du blason, ce thème reçut, du premier de ces domaines un cachet de sainteté et du second, un caractère de noblesse qui lui gardèrent la dignité d'aspect convenable à la haute pensée qu'il interprétait. Mais, quand, après la Renaissance en laquelle sombrèrent la sobriété, la simplicité très naïve parfois et l'extraordinaire énergie d'expression du symbolisme religieux du Moyen-âge, les peintres, sculpteurs ou graveurs voulurent à leur tour, traduire le vieux thème des sources mystiques, ils se trouvèrent dans un étrange embarras et finalement, au lieu de blessures glorifiées par une héraldique vraiment royale comme sur le blason de Sidmouth, ou plus simple, comme sur celui de Cambridge, ou comme celles, les plus naturelles de toutes, du crucifix que je viens, de citer, ils se crurent obligés d'édifier des architectures, des fontaines monumentales et compliquées à l'instar des vasques marmoréennes des jardins italiens, aux saillies desquelles ils eurent le mauvais goût d'accrocher les membres coupés du Sauveur dans une disposition d'ensemble qui appelle à l'esprit des comparaisons triviales.

Les Cinq-Plates, sculpture de l’ancienne église de Comboure (Cornwall[9]).

La fontaine de grâce du graveur Frédéric Boutrais présentée ci-contre est de cette tardive et mauvaise école.

Certes, le Moyen-âge à son déclin a bien, lui aussi, comme nous l'avons vu, en France, en Angleterre, en Allemagne et ailleurs, représenté les Saintes Plaies par les figures du Cœur des mains et des pieds de Jésus séparés de son image entière,mais au moins les plaçat-il sur le bois de la croix, ou, ce qui fut beaucoup plus fréquent, et mieux encore, sur des écussons. Là, de ce seul fait, le Coeur, les mains et les pieds de Jésus devenaient des « motifs », des «meublés» d'Héraldique Sacrée, et leur présentation à l'état isolé était acceptée et consacrée par les règles précises de l'art le plus élevé, le plus choisi que l'esprit humain ait inventé pour glorifier par lui tout ce qu'il veut placer au-dessus de l'ordinaire, tout ce qu'il veut traiter « noblement ».

La fontaine de grâce, d'après une gravure de Frédéric Boutrais - XVIIe siècle

Ce que nous venons de dire n'est assurément qu'un trop bref aperçu de la façon dont les vieux imagiers chrétiens ont illustré sur le verre, la pierre, le bronze ou le vélin ce thème si suggestif des « sources du Sauveur » conçu par les plus hautes âmes, exposé par les plus saints écrivains d'alors ; il suffira peut-être cependant à montrer un peu comment les artistes contribuèrent eux aussi à orienter les âmes vers ces sources divinement précieuses, Siloés toujours vivifiantes et guérissantes, celles-là, et qui garderont éternellement leur généreuse efficacité.

L. CHARBONNEAU-LASSAY

Loudun (Vienne)

 

[1] Ps. 41, v. 2 [2] Cassette-reliquaire d'argent de l'église d'Aïn-Zirara, cf. Poinssot, in Mémoire des Antiquaires de France, ann. 1903, p. 33. [3] Regnabit, fév. 1923, p. 215. [4] Cf. Mâle : L'Art religieux de la fin du Moyen-Age en France, p. 109, fig. 56. Paris, Colin, 1922. [5] Le Coeur de Jésus, fontaine de vie et de sainteté, in Regnabit mars 1923, p. 287. [6] Regnabit de Juin 1923. La source de Vie, p. 3-26 [7] Longs rubans déroulés, comme sur l'écusson de Sidmouth, et sur lesquels sont placé se les inscriptions explicatives. [8] Je dois la connaissance de ces deux intéressants documents anglais à la très grande obligeance de Madame Edith E. Wilde, membre des Sociétés Archéologiques de Hampshire et d'Essex ; et j'en ai exécuté les gravures sur bois, la première d'après une photographie complaisamment communiquée par le Rd C. K. Woolcombe, Vicar de Sidmouth Church, la seconde d'après un très beau frottis très aimablement envoyé par M. W. P. Littlechilde, ancien clerc de chapelle au Kings-Collège de Cambridge. — Très respectueux remerciements. [9] D'après croquis aimablement communiqué par Mm« E. E. Wilde.

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'ICONOGRAPHIE EMBLÉMATIQUE DE JÉSUS-CHRIST. LES CAPRIDÉS

 

LE CHEVREAU

I. — LE CHEVREAU DANS L'ANTIQUITÉ PAÏENNE.

Comme l'Agneau, le Chevreau fut, dès l'origine des cultes à sacrifices, chez les peuples païens comme en celui d'Israël, l'un des animaux domestiques le plus souvent offert en holocauste à la Divinité.

Et il semble même qu'on ait réuni souvent, pour être soumis indifféremment aux mêmes rites sacrificiels, les petits des chèvres, des chevreuils, et même des daims et des cerfs, c'est-à-dire les faons des petits quadrupèdes cornus et légers ; aussi bien les arts sacrés des pagnanismes pré-chrétiens ne permettent-ils pas de distinguer en leurs productions les petits de la chèvre de ceux des autres animaux qui lui ressemblent.

Nous verrons plus loin la même particularité d'assimilation dans la symbolique littéraire du Moyen-âge.

Dans les anciens cultes à mystères : celui d'Istar et de Thamouz, chez tes Assyriens, par exemple, puis dans les théories mystérieuses des Pythagoriciens, des Orphistes, et dans les rites de Dionysos, le Chevreau fut l'image du fidèle initié aux secrets enseignements. On connaît la formule consacrée dans l'Orphisme qui en témoigne, et que les Pythagoriciens adoptèrent aussi, ces mots mystérieux qui se lisent sur les deux lamelles

d'or de Thurii (IV - III0 s. av. J.-C.) : « Chevreau, je suis tombé dans le lait »; ou selon Wollgraff : « Chevreau, je me suis précipité sur le lait », c'est-à-dire sur le sein nourricier de la Divinité[1] (i). Ici, le lait, c'est assurément la doctrine cachée, issue directement des maîtres sans qu'elle soit apparue aux profanes, comme le lait passe invisiblement des mamelles maternelles dans les lèvres du faon. C'est pourquoi, dans la décoration de la basilique pythagoricienne de la Porte-Majeure, à Rome, nous voyons une bacchante debout, qui tient le Chevreau dans ses bras et le tend vers une autre femme qui écarte les voiles de sa poitrine pour lui donner son sein[2].

De même sur les peintures dionysiaques de la villa Item, à Pompéï, nous voyons une prêtresse qui allaite un faon[3] .

Est-ce en raison de particularités de ce genre ou de rites de nous inconnus et pratiqués chez les Assyriens, dans les mystères d'Istar et de Thamouz, très antérieurement au Pythagorisme et à l'Orphisme, que le Pentateuque, imposa aux Hébreux, voisins des Assyriens, ce précepte plusieurs fois répété : « Tu ne feras pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère[4] ».

La loi de Moïse n'édicté rien de semblable relativement aux petits des autres animaux.

L'histoire religieuse du Chevreau avant notre ère nous le présente donc comme une image de l'âme qui cherche la doctrine divine, mais je n'ai vu nulle part qu'il ait été regardé comme une image directe de la Divinité.

II — LE CHEVREAU EMBLÈME DU CHRIST INCARNÉ.

Dans le Pentateuque rien de spécial n'est dit en ce qui concerne l'immolation du Chevreau ; il suit les rites indiqués pour les sacrifices du petit bétail, mais à lui comme à l'agneau, au veau, à la génisse, c'est-à-dire à toute victime non adulte, s'attacha une particulière idée d'innocence.

Et ce serait, croit-on, cette idée de pureté qui fît, au Moyen-Age, choisir la peau du chevreau, de préférence aux autres cuirs et aux tissus, pour la confection des gants pontificaux d'usage liturgique[5]  ; et qui lui valut d'entrer dans la série des emblèmes de N.-S. Jésus-Christ au titre de victime virginale.

Il y figure aussi comme image mystérieuse du Christ incarné, parce que les mystiques virent en lui l'emblème de la vie dans la chair ; aussi Pierre de Riga dit-il en substance que le Christ est devenu semblable au chevreau parce qu'il a jugé convenable de prendre chair, et que s'étant manifesté ainsi, il a droit d'être appelé : « le faon des cerfs.

« Et similes capress Christus, quia plebis Hebreae

Ortus de génère, carmen dignatur habere;

Et quia de vetere sanctorum germine natus

Extivit, hinnulus est cervorum jure vocatus[6].

III. — LE CHEVREAU EMBLÈME DU CHRIST SUBSTITUÉ A L'HOMME.

La symbolique chrétienne a toujours attaché au Chevreau, en tant qu'emblème du Christ, l'intention de lui faire représenter le mystère d'amour par lequel le Rédempteur s'est substitué à l'homme coupable pour mériter à celui-ci la clémence et les grâces du Père.

Cette idée de substitution repose sur la scène biblique que conte la Genèse en laquelle il est dit que Jacob, couvert de la peau d'un chevreau, se substitue ainsi à son frère Esau pour surprendre à son profit la suprême bénédiction de leur père Isaac, devenu aveugle[7].

Aussi, le Chevreau emblématique est-il, dit un texte du Moyen-Age, la figure du Christ expiateur substitué à nous ; du Christ qui s'est couvert de nos péchés aux yeux de son Père comme Jacob se couvrit de la peau velue du chevreau pour se substituer à son frère, et ravir ainsi les faveurs du patriarche.

Un autre texte vient à son tour prêter son aide à l'acceptation de cette emblématique : Depuis les origines chrétiennes l'Agneau immolé par les Hébreux à la première Pâque est regardé comme un emblème incontesté du Seigneur Jésus ; or, dans la première loi sur la Pâque stipulée au livre de l'Exode, Moïse permet aux Hébreux de substituer un chevreau à l'agneau pascal : « Vous prendrez soit un agneau, soit un chevreau... Vous le garderez jusqu'au quatorzième jour de ce mois, et dans tout Israël on l'immolera entre les deux soirs[8].

Dans tout le reste de cette même loi pascale le texte ne parle plus que de l'agneau; le chevreau n'est donc nommé au début que comme une victime qui peut, faute d'agneau, remplacer celui-ci ; mais en ce cas, la même vertu de préservation contre « le Destructeur » promise au sang de l'agneau pascal, l'est aussi implicitement au sang du chevreau. Et si l'un est une préfigure du Seigneur Jésus, l'autre l'est aussi.

LA CHÈVRE

Le symbolisme christique de la Chèvre dans l'art et la littérature ne procède ni du caractère de victime qu'elle a eu dans les rites mosaïques, ni du rôle religieux qui fut sien dans les paganismes préchrétiens d'Orient, notamment en ceux de l'Assyrie, de la Perse et de la Médie où elle fut l'un des animaux sacrés en raison du rôle de la Chèvre Céleste dans la mythologie de ces pays [9]. Il  repose entièrement sur les naïves croyances des anciens naturalistes grecs et romains qui prêtent à la chèvre des qualités visuelles extraordinaires.

Et ici disons dé suite qu'ils réunissent en cela la chèvre domestique avec la chèvre des montagnes, le bouquetin, l'isard et le chamois. A mesure, disaient-ils, que ces animaux s'élèvent en gravissant les plus hauts sommets ils acquièrent le privilège, non seulement de voir leur champ de vision s'élargir et s'étendre, mais encore celui de sentir croître extraordinairement en eux leur puissance, leur acuité visuelle, en sorte que nul être au monde ne saurait, à leur égal, embrasser d'un coup d'oeil les étendues les plus immenses, ni distinguer aussi parfaitement les détails.

Aussi saint Grégoire de Nysse, qui mourut vers l'an 400, présente-t-il la Chèvre comme l'emblème de la totale perfection et de l'ubiguité du regard scrutateur du Christ qui, en tant que Dieu, voit tout dans le passé, le présent et l'avenir[10]. D'autres Pères, par extension de la même idée, ont présenté la Chèvre comme l'emblème du Sauveur guérissant la cécité spirituelle des âmes[11] , et ouvrant, en ceux qu'il lui plaît de favoriser, les yeux de l'esprit sur ces merveilles dont saint Paul, après ses extases, disait que l'oeil et l'oreille de l'homme n'en peuvent aucunement percevoir les splendeurs.

Le Physiologus et les Bestiaires du Moyen-Age qui en sont dérivés, se basant toujours sur les dires de Pline et des Anciens, prirent aussi la Chèvre comme l'emblème de l'omniscience du Christ, du Sauveur qui est, dit le Bestiaire de Pierre le Picard, XIIIe siècle, « Dex et sire de toi science ».

La chèvre gravissant la montagne. D'après une miniature de la Bibliothèque de l'Arsenal (XIIe s.) cf. Cahier, Mél. Archéol. T. II, pl, XX. A. U.

Et des mystiques de la même époque firent aussi de la Chèvre, en partant du même point, la figure du Christ qui observe, des hauteurs du ciel, les actes des justes et* des méchants en vue des rémunérations et des justices futures[12].

Les moeurs des capridés qui leur font affectionner les hauts sommets valent aussi à l'animal qui les représente en symbolisme, d'être image emblématique du Christ pour d'autres raisons que celle de l'excellence de sa vue.

Ainsi Pierre Le Picard, en son Bestiaire, établit un rapprochement emblématique entre le Christ et la Chèvre en vertu du passage du Cantique de Salomon où il est dit : « Mon Bien-Aimé vient saillant sur les monts[13]», traduction un peu libre du texte hébreux qui dit exactement : « Sois semblable, mon Bien-Aimé à la gazelle, au faon des biches; sur les montagnes ravinées[14]».

Et Pierre le Picard de continuer par cette comparaison inattendue : Comme la chèvre paît sur les penchants des montagnes les herbes odoriférantes, de même notre Sire Jésus- Christ paît en la sainte Eglise, car les bonnes oeuvres et les aumônes des chrétiens fidèles « sont viande de Dieu[15];..».

Les hermétistes du Moyen-Age rapprochèrent aussi la Chèvre de la Personne de Jésus en lui appliquant le vieux sens païen, christianisé par eux; du Capricorne zodiacal qui était dans l'ésotérisme ancien la Janum coeli, la Porte du Ciel, par opposition à la Pieuvre, la Janna inferni.

Janua coeli, titre qui convient en effet merveilleusement à Celui qui ouvrit; pour les justes de l'humanité déchue et rejetée, la porte de la vie éternellement heureuse ; titre que la langue liturgique de l'Eglise fait partager au Rédempteur et à sa Mère, et que nous étudierons plus tard à propos du symbolisme de la Porte.

I.— LA CHÈVRE EMBLÈME DU CHRÉTIEN.

Dans l'art des Catacombes de Rome, la Chèvre apparaît le plus souvent dans un rôle purement décoratif, ne servant, semble-t-il, qu'à animer un paysage plus ou moins complètement désert. Mais il n'en est pas de même quand elle se  trouve avec les brebis et les béliers autour du Pasteur gardant son troupeau comme c'est le cas sur une des grandes fresques de la catacombe de Domitille, à Rome ; ou encore quand elle est représentée de chaque côté du Bon-Pasteur, comme sur une autre peinture des cryptes des saints Pierre et Marcellin[16]. Aucun doute n'est permis : la Chèvre, en ces deux occurences, est l'image du fidèle. De même sur une urne de Pesaro, qui est du Ve siècle et probablement d'utilisation baptismale, deux gazelles, et non deux cerfs comme: Martigny l'a cru[17], boivent dans une même vasque, emblème du Baptême ou de l'Eucharistie.

Pierre Le Picard en son Bestiaire fait aussi de la Chèvre l'image du fidèle quand il applique au Seigneur Jésus la parole d'Amos : « Je n'ière mie fils de prophète, mais paistre de chièvres[18]», ce que Crampon traduit plus littéralement du texte hébreux : « Je ne suis point fils de prophète, mais bouvier, et je cultive les sycomores[19]».

Les Bestiaires et les mystiques du temps de Pierre Le Picard sont mieux inspirés quand ils accordent emblématiquement à l'âme sainte, comme ils l'ont fait par ailleurs à Jésus-Christ, le privilège d'incomparable vue que les naturalistes antiques  attribuaient à la chèvre : Ainsi, disaient-ils, que la chèvre sent accroître ses facultés visuelles à mesure qu'elle s'élève plus haut sur la montagne, de même plus l'âme monte vers Dieu et plus elle se rapproche des célestes sommets par l'union spirituelle au Christ et la pratique non commune des vertus, plus elle sent augmenter en elle sa puissance de pénétration des « choses de Dieu », et ses facultés intuitives qui lui ouvrent des horizons sur les domaines que Dieu ne révèle qu'à ceux qui font effort pour s'exhausser vers lui.

Le Bon Pasteur et les Chèvres. Catacombe romaine de Domitille.

Les chèvres sur l'urne de Pesaro.

II. — LA CHÈVRE EMBLÈME DE SATAN.

La Chèvre est entrée dans le symbolisme satanique comme image du démon de l'impureté qu'elle personnifiait bien avant notre ère, en raison sans doute des crimes de bestialité auxquels on la faisait participer, et que les prescriptions mosaïques punissaient de mort chez les Hébreux[20] .

La chèvre sur sculpture de la cathédrale d'Auxerre (XIII-XIV s.)

L'art chrétien du Moyen-Age la donne souvent comme compagne ou comme monture à la personnification humaine de la Luxure : ainsi la voyons-nous sur de nombreuses représentations peintes ou sculptées des Vertus et des Vices, ou des Péchés capitaux, et sur maintes autres oeuvres d'art, par exemple sur le manuscrit français de la Bibliothèque Nationale n° 7.on, 3, 3, et sur le Livre d'Heures de Louise de Savoie, XVIe siècle, qui est à Cluny[21] .

Mais nulle part, peut-être, la Chèvre et la Luxure ne sont représentées ensemble avec autant de maîtrise qu'au transept de la cathédrale d'Auxerre, sous une console de l'extrême fin du XIIIe siècle qui est, pour cette époque, une incomparable étude de nu.

Ajoutons, pour tout dire, que la Chèvre fut, dans l'emblématique spéciale d'autrefois, l'emblème du succube ou démon femelle incarné sur terre.

LOUIS CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Cf. Jérôme Carçapino, La Basilique Pythagoricienne de la Porte Majeure,, Paris, 1927, Pl 311. [2] Cf. J. Carcopino, ouvr. cité, p. 156. [3] Cf. Rizzo, Mythes, H. III, 1, et p. 70-71. [4]Exode XXIII, 19 et XXXIV, 26. - Deutéronome, XIV. 21. [5] Cf. Mgr Barbier de Montault, Les gants pontificaux, in Buttet, Monumental, T. XLI.I, p. 461. [6] Ap. Pitra Spicilège de Solesmes, T. III, p. 34. [7] Genèse, XXVII, 1-29. [8] Exode, XII, s-6. i4 Doctrine. [9] Cf. Ch. Lenormant, in Mélanges Archeologiq., T. III, p. 129. [10] Cf. St Grégoire de Nysse, Homélie V. [11] V. Fél. d'Ayzac, La Zoologie mystique au Moyen-Age in Revue de l'Art Chretien, T. X (1866), p. 181. [12] Cf. J. Corblet, Vocabulaire des Symboles, in Revue de l'Art Chrétien, T. XVI, p. 461. [13] Salomon, Cantique des Cantiques, II, V.[14] Traduct. Crampon, La Sainte Bible, p. 866.[15] Pierre le Picard Bestiaire (Texte intégral dans Bestiaires par Ch. Cahier-S. J. -in Mélanges archéologiques, T. III, p. 218. [16] Voir Dictionn. d'Archéologie Chrétienne, T. III, vol. I, col. 1322, flg. 2791 et 2792. [17] Cf. Martigny, Gazette archéologique, T. III (r877), p. 193. [18] Amos Prophétie VII, 14. [19] Crampon, La Sainte Bible, p. 1377. [20] Lévitique, XVIII, 23 et XX, 15-16. [21] Cf. Arth. Martin, La Châsse de Saint Taurin d'Evreux, in Mélanges Archéologiques, T. II, p. 27 et 35

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'ICONOGRAPHIE EMBLÉMATIQUE DE JÉSUS-CHRIST

LE CERF & LA BICHE

Si l'on ne regarde que le nombre limité des monuments iconographiques qui le représentent, on est autorisé à croire que le Cerf emblématique n'a joui que d'une faveur limitée chez les Chrétiens des trois premiers siècles. Cependant, même à cette époque, il fut certainement l'un des animaux symboliques acceptés, de la façon la plus certaine et la mieux définie, comme image allégorique de Notre Seigneur Jésus-Christ, et du chrétien fidèle.

À ce titre, le Commentaire du Physiologus, dit de saint Épiphane[1], consacre au Cerf un de ses vingt-six chapitres en lesquels sont greffés sur les données contestables ou non des anciens naturalistes grecs et latins des développements d'exégèse religieuse. Et les idées relatives au Cerf que le vieux monde présentait au nouveau symbolisme chrétien pouvaient admirablement servir le but didactique et anagogique que celui-ci se proposait d'atteindre.

I. — LE CERF EMBLÈME DU CHRIST COMBATTANT.

En effet, naturalistes et poètes anciens : Pline[2], Théophraste[3], Xénophon[4], Elien[5], Martial[6], Lucrèce[7] , et bien d'autres ont présenté le cerf comme l'ennemi particulier et implacable de tous les serpents qu'il poursuivrait de sa haine jusque sous terre.

En écho à cette antique croyance je reproduis ici un marbre romain du Musée de Naples [8]qui nous montre le combat du cerf contre le serpent. (Fig. I) : Sous la vigoureuse contraction du reptile qui s'enlace autour de lui le noble  animal est tombé sur ses genoux, mais il a pu saisir la tête de son ennemi et l'écrase entre ses dents ; alors, l'étreinte qui l'oppresse se relâche, il se relève victorieux: c'est ce qu'indiquent le mouvement de la patte droite de son train de devant et le flottement de la queue du serpent.

À la vérité, sur l'antagonisme de ces deux animaux les Anciens n'ont fait que transposer à notre cerf d'Europe les moeurs d'animaux orientaux d'espèces voisines de la sienne : En Afghanistan il existerait réellement une variété de cervidés ou de capridés qui font la guerre aux serpents, et même souvent les dévorent. Les Persans nomment ces animaux des pausens[9]. Les derniers Mazdéens de cette région voient dans le duel du pausen et du serpent l'image allégorique de la lutte victorieuse du Principe bon, Ormuzd, contre le Principe mauvais, Ahriman.

Et comme le pausen est souvent atteint de calculs du foie ou de la vessie, on le tue pour se les procurer comme des talismans précieux contre la morsure des serpents et des scorpions du Péïchawer.

(FIG. I). Marbre du Musée de Naples. Art romain préchrétien.

Citant ce passage de l'historien hébreu Josèphe, mort vers 95 de notre ère : « les ibis saisissent les serpents et les dévorent comme font les cerfs[10] », Boissier observé qu'une seule espèce de cervidés paraît avoir cette particularité d'appétit.

C'est, dit-il, le Chevreuil odoriférant ou Cerf musqué, qui vit en Asie. Son odeur étourdit le reptile qui ne se défend pas, ne fuit pas, et se laisse mettre à mort par son impitoyable adversaire[11].

À partir du IVe siècle surtout, tous les écrivains mystiques se sont emparés des instincts du cerf musqué et du pausen pour les concéder gratuitement à notre cerf d'Europe, et faire ainsi de lui un opportun emblème de Jésus-Christ. A citer, pour cette époque, saint Ambroise et saint Augustin ; au Ve siècle, saint Eucher de Lyon; plus tard saint Bernard, saint Bonaventure, saint Brunon d'Asti, Hugues de saint-Victor, et autres. Pour eux, le Cerf emblématique fut l'image du Christ écrasant sous son pied ou broyant dans sa bouche la tête de la puissance infernale.

Ainsi nous le montre une mosaïque de St Clément de Rome où nous voyons, au pied de la croix, le serpent qui se développe en un cercle au milieu duquel un Cerf se penche vers sa tête pour l'écraser.

Les Bestiaires, notamment, ces étranges et précieux écrits dérivés de l'antique Physiologus applaudirent à ce symbolisme attribué au Cerf, et le redirent unanimement :

« Ne devons mettre en oubliance

Le dit, ne la senefiance

Del cerf, qui estrangement ovre (opère).

Quer il menje la colovre... »,

dit le Bestiaire Divin de Guillaume le Normand (XIIe siècle) ; et il ajoute :

Autresi (ainsi) fist Nostre Seignor

Iésu Crist, nostre Sauveor

Quand les portes (puissances) d'enfer brisa,

Et le Deable défola (écrasa du pied[12]).

Les écrits spéciaux de cette époque médiévale insistent surtout sur l'ingénieux moyen qu'ils disent être employé par le Cerf pour forcer son ennemi a sortir de son ténébreux repaire :

Écoutons le Bestiaire en prose de la Bibliothèque de l'Arsenal :

« Li cers est beste de grant sens... de telle nature, se il trovast un serpent en une fosse (en son trou) il iroit et empleroit sa boce pleine d'aighe et l'espandroit el pertuis ou lé serpent seroit ens. Et lors, s'en ist le serpens por l'ésprit que il cers a en sa bouche, et le trait fors et défoule à ses pieds et ôcit. Tôt altresi nostre Sire Ihu Crist quand vit le diable abitant en l'umaine nation il espandit la fontaine de sapience en nous... ».

Par ailleurs, un écrit de même époque, mais de l'autre bout de la Chrétienté, le Bestiaire Arménien dont le P. Ch.Cahier, S. J. a publié la traduction, nous dit : « Le cerf est l'ennemi du serpent. Le serpent pour l'éviter va se cacher dans le trou d'une roche. Mais le cerf emplit d'eau sa bouche, et va dégorger dans la fente où s'est réfugié le reptile. Si le serpent, forcé dans sa retraite, vient à quitter son trou, aussitôt le cerf le met en pièces ; s'il demeure il n'échappe pas à la mort, car il est noyé. De même, notre Sauveur a tué le démon, le grand dragon, et par l'eau céleste qui avait sa source dans sa divine sagesse, et par son ineffable vertu. Le serpent invisible ne peut tenir contre une eau de cette nature, mais périt aussitôt[13]».

Le même savant jésuite fait justement remarquer que les auteurs du Moyen-âge ont appliqué au Cerf qui chasse ainsi le serpent de son trou, la parole de saint Paul[14] : « Le Seigneur Jésus exterminera l'impie par le souffle de bouche[15] ».

(FIG. II). Cerfs du Bestiaire divin de Guillaume le Normand. —

Je donne ci-contre (Fig. II) un motif tiré d'une miniature d'un manuscrit médiéval du Bestiaire Divin de Guillaume de Normandie, dans laquelle nous voyons, d'une part, un cerf jetant l'eau de sa bouche sur le trou du reptile, et, à côté, le Cerf lui brisant la tête entre ses dents.

Une autre miniature de même date, sur le manuscrit du Bestiaire de l'Arsenal nous montre le cerf qui vient d'inonder le repaire du serpent-dragon et qui s'apprête à lui briser la tête. (Fig. III)[16] (i).

Faisant ainsi du Cerf l'un des emblèmes du Christ combattant, les anciens firent de l'eau qu'il rejette de sa bouche pour relancer son adversaire, l'image allégorique de la Parole victorieuse du Sauveur, de son Verbe ; c'est pourquoi, après avoir décrit le geste du cerf, Guillaume le Normand ajoute que notre Sire, dans la suite des siècles, occira le diable félon par l'esprit qui jaillira constamment de sa bouche bienheureuse[17]... Et plusieurs des écrivains spirituels ci-dessus nommés ont commenté aussi ce rapprochement entre l'eau buccale du cerf et la divine Parole du Sauveur.

Comprend-on maintenant l'existence des nombreuses variétés d'amulettes formées des « issues » du cerf, et utilisées jadis à rencontre des venimeux serpents terrestres et du Serpent infernal ?

(FIG. III). Cerf du Bestiaire de l'Arsenal.

Au Ier siècle de notre ère, Pline conseillait gravement, comme refuge assuré contre les serpents, de dormir sur une peau de cerf, ou de s'oindre de la présure d'un faon tué dans le sein de sa mère[18].

Dans l'Inde, les anciens Brahmanes formaient avec de la corne de cerf calcinée, un conglomérat qu'ils nommaient « pierre serpentine », et qui protégeait, disaient-ils, contre les reptiles [19]; ce qui se rapproche de l'utilisation, dans le même but, des calculs de foie du pausen dont il est ci-dessus question.

Mme Félicie d'Ayzac a cité, pour la France, toute une suite d'objets de ce genre : amulettes de corne et de dents de cerf, vêtements de poil ou de cuir, drogues composées de graisse, de moelle ou de sang de cerf mêlés d'estragon, de sariette, de myrthe, etc., etc. Le tout à l'encontre de toutes bêtes venimeuses [20].

(FIG. IV). Agrafes en forme de Cerfs.Angers Poitiers bronze et grenats bronze et malachites. VI-VIII s.

Une formule magique de conjuration, et sans doute fort ancienne, tirée du traditionisme suisse[21], que cite Boissier[22] , avait le même but qu'ont bien pu viser aussi les médaillons ou bijoux anciens qui portent l'image du cerf, et dont le caractère religieux et cynégétique n'est pas apparent (Fig. IV).

II. — LE CERF ET LA LUMIÈRE.

Une conception que je crois plus ancienne en Europe que les traditions relatives à la haine du Cerf pour le serpent, mettait le premier des deux en relation avec l'idée, ou si l'on veut, avec le culte de la Lumière.

L'art pré-mycénien nous montre en effet assez souvent le cerf attelé au char solaire, et il semble, dit Déchelette[23], que la mythologie grecque ait connu le souvenir de ce privilège que le cerf partagea avec le cheval, puisqu'elle le consacra à la divine Arthémis, soeur d'Apollon, née avec lui en nie de Délos, et qui participait à sa nature.

Par ailleurs, nous savons que le faon du cerf et de la biche fut l'un des attributs d'Apollon, le dieu de lumière lui-même, et Pausanias parle de statues de ce dieu qui le montraient portant un petit faon dans sa main[24]. Vers la fin du siècle dernier, et comme pour appuyer le vieil historien grec, on découvrait à Tralles la main de bronze d'une statue d'Apollon avec, sur sa paume étendue, la statuette d'un faon couché[25] (Fig.V).

En Orient, un parallélisme certain relia le combat d'Orrnuzd et d'Ahriman à celui du Soleil et de la Nuée, au combat aussi du Pausen et du Serpent ; ce dernier animal, chtonien et ténébreux, fut dans tout le vieux monde l'hiéroglyphe de l'ombre dangereuse et des mystères souterrains.

(FIG. V). Le Faon sur la main d'Apollon Art grec ancien.

Dans la mythologie de la Grande Grèce et du monde romain nous voyons Cadmos qui tue le Serpent-dragon, puis Apollon qui met à mort le python pour lui ravir le trépied prophétique. Sur un cratère grec du Musée du Louvre, l'artiste céramiste a bien eu soin de figurer une partie du disque du soleil rayonnant au-dessus du Cadmos qui brandit son arme sur le vaincu, et ailleurs Apollon ne lâche la sienne que pour prendre dans sa main, étant vainqueur, le faon timide du cerf.

Les mêmes rapports d'idée ont-ils existé dans la primitive mystique chrétienne entre le combat du Cerf-Christ, qui est « la Lumière du Monde », et le Serpent-Satan qui fut toujours dans la pensée et dans le vocabulaire chrétien a le Prince des Ténèbres » ? Les débuts de notre symbolisme chrétien n'ont pas encore été suffisamment observés ni assez scientifiquement étudiés pour qu'il soit possible de répondre encore, avec certitude, ni oui, ni non.

 

[1] St Epiphàne, archevêque de Salamine, (310 à 403). [2] Pline, Hist. Nat. VIII, 50. [3] Théophraste; Decausis vegetationis, liv. IV, 10. [4] Xénophon, Géoponiques, XIX, 6. [5] Elien, Hist. des Animaux, XI, 9. [6] Martial, Op. XII, 29. [7]Lucrèce, Op. VI. [8] Cf. M. Albert, in Revue Archéologique, 2 Ser, T. XLII (1881) p. 93. [9] Sf. M. Karil, Les Afghans'; in Revue du Monde Catholique. T. VI (1880), 33, P. 401.[10] Josèphe, Antiquités judaïques, II. [11] Cf. Boissier, Les cerfs mangeurs de serpents, in Revue Archéolog, 4 Ser. T. IX, 1907, p. 224. [12] Le Bestiaire Divin de Guillaume, clerc de Normandie. Edit. Hippeau, p. 277-278. [13] C. Cahier Du Bestiaire in Nouveaux mélanges archéologiques. 1874, p. 136. [14] St Paul : IIe Ep. aux. Thessalonciens II. 8. [15] Cf. C. Cahier Bestiaires, in Mélanges archéol. T. III, p. 267. [16] Ibid. T. II. PI. XXII. [17] Le Bestiaire divin. Edition Hippeau, p. 27. [18] Pline. Hist. Natur. VIII, 50 et XXVIII, 42. [19] Cf. R. p. Feyjoo, Lettres érudites ; Ap. Landrin, Dict. de Minéralogie. P- 335 [20] F. d'Ayzac, Iconogr. du cerf, in Revue de l'Art chrétien, T. VIII, (1864), P 335. [21] Archives suisses des Tradit. populaires, Ann. 1908,  Liv. p 109. [22] Boissier, Revue Arcltéolog. 1908, p. 424. [23] J. Déchelette, Le culte du Soleil, aux temps préhistoriques, in Revue Archelog. T. XIII (1909), p. 314. [24] Pausanias, Voyage historique.  [25] Cf.- Institut de correspond, hellénique, séance du , 21 mai 1876, et Revue Archéol. 2 Ser. T. XXXIII (1876), p. 291.

III. — LE CERF ET LES CHASSES LÉGENDAIRES.

Toute manifestation du Christ aux hommes, toutes et chacune de ces épiphanies intimes, si fréquentes dans la vie des âmes, sont des illuminations de grâce, des dons de connaissance et de lumière spirituelles dont il favorise celles qu'il lui plaît de choisir et d'attirer plus près de Lui : Dans la « Légende dorée » de la seule hagiographie occidentale plusieurs scènes de chasse, très connues, nous montrent Jésus-Christ empruntant la forme du cerf pour se manifester ainsi à des âmes d'élite. Les plus populaires sont les chasses de saint Hubert et de saint Eustache.

Voici ce qu'un très vieux récit de France raconte sur le dernier de ces deux saints : Il était un païen nommé d'abord Placide, vertueux, du reste, et rempli de bonté pour tous les malheureux. Un jour qu'il chassait avec quelques amis, ils lancèrent ensemble une troupe de cerfs superbes. Bientôt, quittant ses compagnons, Placide se jeta éperdument à la poursuite du plus grand et du plus beau des cerfs qui s'était séparé du reste de la bande.

Et voilà qu'au bout d'une course folle le cerf s'élança soudain sur le sommet d'un rocher, et là, se retournant vers le chasseur, lui dit : « Placide, pourquoi ne pas me suivre sur les hauteurs ? Je suis le Christ qui t'aime et que tu sers sans le connaître encore : tes aumônes, ton esprit de justice me plaisent et c'est pourquoi je me suis fait Cerf magnifique pour l'attirer à moi».

— « Seigneur, si vous êtes ce Christ dont on parle tant, répondit Placide, expliquez vos paroles, et je croirai en Vous ». Et le Cerf divin répondit : « Je suis le Christ. C'est moi qui ai fait le ciel et la terre, et le soleil et la lumière et les saisons. J'ai tiré l'homme du limon terrestre, et, plus tard, pour le sauver de ses iniquités, j'ai pris chair d'homme, puis  mort en croix; et puis, après trois jours passés dans l'ombre du sépulcre, j'ai repris la vie pour toujours. Et maintenant je t'attends ; viens à moi, Placide : je suis le Christ ! ».

Et voilà qu'aux yeux ravis du bon païen, le Cerf grandit immensément et se fondit bientôt dans l'éblouissement d'une lumière intense. Et, dans cette lumière, apparaissait à son tour un homme crucifié dont les quatre membres et le Coeur saignaient...

Peu à peu, le rocher reparut dans son âpre nudité de toujours, et Placide s'en fut ; puis abandonnant tout, et jusqu'à son premier nom, se donna tout entier au Christ qui, par la voix du Cerf merveilleux, avait illuminé son âme.

La légende de la chasse de saint Hubert que rapportent Beile, Surius, Malanus et autres anciens auteurs, et que raconte si bellement la grande frise, sculptée à la fin du XVe siècle au portail de la chapelle royale du château d'Ambroise, n'est que le double de la légende de saint Eustache. Tous les artistes de l'ancienne France qui les ont voulu représenter l'une et l'autre ont placé entre les bois du cerf l'image du Crucifié divin afin de bien exprimer la substitution de l'un à l'autre.

Et ce détail rappelle qu'un jour saint Félix de Valois, voulant se désaltérer à l'eau d'une fontaine à demi-glacée, vit apparaître sur l'autre bord un beau cerf qui portait dans sa ramure une croix mi-partie rouge et mi-partie bleue. Bientôt, sous les efforts de Félix, la froide fontaine au Cerf vit naître, près d'elle, l'abbaye de Cerfroid, et la croix rouge et bleue du Cerf devint l'insigne de l'Ordre des moines Trinitaires fondé par Félix à Cerfroid pour la rédemption des captifs[1].

Dans tous ces récits, le Cerf s'affirme comme la forme empruntée par le Sauveur pour se manifester à des âmes terrestres et les éclairer sur ce qu'il attend d'elles : Les bijoux anciens qui portent une « rencontre » de cerf avec le crucifix sur le front, ou le monogramme du Christ dans sa ramure ou bien au-dessus d'elle[2] (Fig. VI) ne sont que les hiéroglyphes de ces manifestations de la lumière surnaturelle.

LE CERF ET L'HÉRÉSIE.

L’héraldiste français O'Kelly de Galway dont l'oeuvre, très inégale en ses diverses parties, prouve au moins qu'il a connu certaines traditions anciennes fort oubliées, dit que le Cerf fut, jadis, « un symbole du Sauveur basé sur la haine de cet animal contre le serpent, type de l'hérésie[3] ».

O'Kelly ne nous dit point comment l'idée d'hérésie est venue prendre place dans le symbolisme du Cerf; ne serait-ce point à cause de l'antique idée de lumière attachée à lui, et que l'hérésie, dont le serpent fut en effet l'un des emblèmes, est en réalité une ombre malfaisante jetée sur la pure lumière de la vérité doctrinale, une ombre de mort pour les âmes que le Christ, par son église, combat toujours victorieusement ?

Mamachi[4] est le plus satisfaisant quand il rappelle qu'en raison de la rapidité de la course du cerf devant les chasseurs, cet animal fut pris par les fidèles des premiers siècles comme emblème de ce qu'ils devaient croire et faire à rencontre de l'hérésie des Cataphrygiens qui soutenaient qu'un chrétien n'a pas le droit de fuir devant le martyre quand il le peut sans renier sa foi, erreur à laquelle Tertullien lui-même a prêté l'appui de son grand talent[5].

(FIG. VI). Le Cerf et le Monogramme sacré sur la tapisserie chrétienne d'Akmin (Égypte). IIIe ou IVe s.

Mais en cette occurence le Cerf n'est que l'image du chrétien prudent et non du Christ ; ajoutons aussi que le cerf sait bien souvent mourir en beauté, tête aux chiens.

LE CERF ET L'IDÉE D'ABONDANCE.

Chez les Gaulois, au temps du druidisme, le dieu Cernunnos était le mythe auquel les hommes demandaient tous les biens; et l'image de ce dieu de l'Abondance le montrait, le plus souvent, sous une forme humaine surmontée d'une forte ramure de cerf.

Ainsi voit-on Cernunnos sur un autel gaulois de Paris[6] (2), et sur une autre sculpture de Reims. A l'époque gallo-romaine, le dieu apparaît parfois avec la corne d'abondance et la patère[7]. Enfin, une stèle du Musée de Luxembourg, de cette même époque gallo-romaine où la richesse se concrétisait définitivement surtout dans le numéraire métallique[8], représente, non plus Cernunnos homme cornu, mais le Cerf lui-même, son emblème, jetant par sa bouche une pluie de pièces de monnaie (Fig. VII). On voit que l'idée avait glissé du dieu cornu à l'animal qui, d'abord ne lui prêtait que sa ramure.

Quand on sait combien les traditions celtiques ont été tenaces en notre race et dans ses coutumes, (au point qu'elles se retrouvent encore dans les nôtres), on peut se demander avec raison si les populations chrétiennes des temps mérovingiens, qui ont usé maintes fois de l'image du Cerf comme emblème du Christ, ne l'ont parfois considéré avec un regard chargé du reflet des vieilles croyances qui l'avaient promu à la fonction de distributeur des biens de ce monde. L'iconographie ancienne, qui a soulevé pour nous assez largement le pan du voile au-dessus des pensées des hommes d'autrefois, ne nous a pas encore tout montré, et nous ne tenons encore d'elle aucun document probant sur la possibilité que je me permets d'exposer ici : Ce sera peut-être son cadeau de demain.

(FIG. VII). Partie d'une sculpture gauloise du Musée du Luxembourg.

LE CERF ET LA VIE.

Le Cerf partage avec le Taureau et le Bélier l'honneur de représenter Jésus-Christ dans sa triple qualité de Père, de Chef, de Guide vigilant du troupeau chrétien composé de l'Église, son Épouse, et de leurs enfants.

Son attitude en forêt autorise en effet ce symbolisme ; il est parfait quand, en tête de sa harde de biches et de faons qui sont son amour et son sang, il va sous bois, le regard en éveil et l'oreille attentive, prêt à prévenir ceux qu'il aime au moindre danger.

LE CERF EMBLEME DES APOTRES.

Dès le IVe siècle, saint Jérôme[9] compara au Cerf, à cause de la rapidité de sa marche, non seulement saint Paul, le grand voyageur apostolique, mais tous les premiers prédicateurs de l'Evangile, et fit du cerf l'emblème de l'activité que doivent avoir tous ceux qui se consacrent aux travaux de l'apostolat.

Cette conception persista longtemps chez les auteurs spirituels ; c'est ainsi que nous la retrouvons au VII6 siècle dans Bède le Vénérable [10] et plus tard dans des oeuvres de saint Bruoon d'Asti [11] et de ses contemporains.

LE CERF EMBLÈME DE L'AME CHRÉTIENNE. — LA SOIF ARDENTE DU CERF.

Les premières paroles du Psaume XLIIe[12] imposèrent à l'antique symbolisme chrétien l'image du Cerf comme l'emblème de l'âme fidèle qui aspire vers Dieu : « Comme le cerf altéré aspire après les sources d'eau — ainsi mon âme soupire après toi, ô mon Dieu ! — Mon âme a soif du Dieu vivant ! ».

Et les artistes penchèrent les lèvres du Cerf vers les ondes du Jourdain, où Jésus reçoit le baptême de Jean, ainsi qu'on le voit sur une fresque de la catacombe romaine de Pontien[13] ; ou bien ils lé Courbèrent sur la vasque eucharistique toute remplie du sang « du Dieu vivant » (Fig. VIII[14]) ; on les inclinèrent vers les quatre sources qui jaillissent du monticule de l'Agneau, ainsi qu'on le voit sur un précieux sarcophage de Marseille [15].

Dans toutes ces œuvres de l'art chrétien des cinq premiers siècles, c'est d'abord la soif  de l'approche de Dieu par la purification baptismale que nous voyons symbolisée; puis la soif aussi, d'une 'union plus intime par la participation au Sang eucharistique. Le premier de ces deux désirs fut plus particulièrement exprimé dans la décoration des Baptistères par l'image du Cerf buvant, comme à Valence[16], à Salone[17], etc., où il est l'emblème certain du Catéchumène admis, selon son ardent désir, à la réception du baptême. Ailleurs et Surtout dans l'art médiéval d'Occident, le Cerf penché sur le vase eucharistique ou sur la source vivifiante personnifie la Dévotion et son ardent désir d'union à Dieu[18].

LES « POURSUITES» ALLÉGORIQUES DU CERF.

Un thème iconographique, d'époque mérovingienne et qui paraît avoir été plus particulièrement répandu dans la région de l’Aquitaine-Seconde ; diocèses de Poitiers, Angers, Nantes, Tours, Angoulême, Saintes et Bordeaux, nous montre la figure d'un Cerf, poursuivi par des chiens, sans chasseur, et qui fuit, vers une croix derrière laquelle se courbe la palme, récompense des victorieux (Fig. IX).

(Fig. VIII). Lampe chrétienne de Carthage. Époque romaine.

Ce sujet décore, d'ordinaire, le médaillon central de petits plateaux de terre cuite dont la fabrication semble aller du Ve siècle au VIIe; il exprime, si l'on veut, la victoire de l'âme sur le mal par la fuite des agents du péché, ou mieux encore la poursuite de l'âme chrétienne par toutes les tentations, par toutes les épreuves de la vie figurées ici en accord1 avec l'expression de David : « Mes ennemis m'ont environné comme une bande furieuse de chiens », poursuite contre laquelle il n'y a pour l'âme de sûr et victorieux refuge que dans le Christ-Sauveur figuré ici par sa croix qui conduit à la palme : « Puis, mon Bien-Aimé, dit l'Épouse du Cantique, cours et sois ainsi semblable aux jeunes cerfs sur les montagnes où croissent les baumiers [19].

Mais l'âme n'est point délaissée de Dieu pendant l'épreuve ; c'est pourquoi plusieurs représentations de la poursuite du Cerf nous montrent à côté du fugitif, soit le monogramme du Christ[20], soit la Colombe, son pacifique emblème [21], soit le Soleil divin au centre duquel rayonne le monogramme du Non sacré, X sur P, XPistos[22].

(FIG. IX). Deux «poursuites» du Cerf. Collection Parenteau.

AUTRES FIGURATIONS EMBLÉMATIQUES DU CERF-FIDÈLE.

Tout le long du cours des siècles les artistes chrétiens se sont servis du Cerf, en diverses manières pour représenter l'âme fidèle : A l'Ermitage de San-Bandelio, X-XIe siècle, le Cerf s'avance vers la roue mystérieuse du Christ-Soleil ; au-dessus de la porte de l'église abbatiale de Saint-Jouin de Marnes (Deux-Sèvres), XIIe siècle, deux Cerfs goûtent le fruit de l'Arbre de Vie ; un petit sceau du XVe siècle, mis en vente à Vichy, en 1924, portait le Cerf blessé d'une flèche partie du ciel, image de l'amour ou de la grâce de Dieu ; et ce même sujet décore également une bague mérovingienne de la collection Parenteau, à Nantes[23] ; une image peinte, du XVIIIe siècle, appartenant à M. Claude de Monti, comte de Rezé (1018) montre le cerf couché dans les fleurs, au pied d'une croix : C'est l'emblème de la tranquillité en Dieu, le plus précieux des bonheurs de ce monde !

SYMBOLISME DE LA BICHE ET DU CERF RÉUNIS :

Après l'art du paganisme qui l'avait attachée au char de Diane, le très ancien symbolisme chrétien s'est occupé de la Biche en même temps que du Cerf.

Il fit même de l'une, en même temps que l'autre, l'image du Christ combattant le Serpent maudit. Et Rhaban-Maur, au IXe siècle, en exposait la raison en se basant sur ce passage de saint Grégoire : « C'est la coutume de la Biche d'exterminer tous les serpents qu'elle rencontre et de les mettre en pièces avec ses dents [24]».

(Fig. X). Le Cerf et la Biche. Sarcophage de Ravenne (IV"-V* s.)

Réunie au Cerf, nous voyons la Biche boire avec lui au fleuve de vie qui coule aux pieds de l'Agneau divin, ainsi nous les montre une cassette d'argent trouvée dans le sol de l'église primitive d’Ain-Zizara (Tunisie), IHe-IVe siècle[25].

La même scène est interprétée sur la grande sculpture d'un très beau sarcophage de Ravenne où le couple gracieux se désaltère au liquide vivifiant d'un imposant canthare [26] (Fig. X).

Dans l'une et l'autre de ces deux pièces d'art nous lisons le plus bel emblème de la vie conjugale et chrétienne qui ait été conçu : l'époux et l'épouse puisant le réconfort à même source de foi, et demandant ensemble le bonheur au Christ, unique et vraie source de vie, de sagesse, de justice, de douceur et de paix ; le bonheur terrestre, qu'en attendant l'autre, de hautes âmes qui le veulent savent trouver en Lui, dans la vie à deux, au-dessus, et voire même à rencontre des ordinaires  cupidités et des orgueils vulgaires, et jusqu'au milieu des épreuves.

L'art du second millénaire a délaissé cet éloquent et bel emblème : l'art d'aujourd'hui s'honorerait en le reprenant.

L. CHARBONNEAU-LASSAY.

Loudun (Vienne).

 

 

[1] Cf. G. M. Zadac, in La Science Historique, 1927. P- 37,39. [2] Tapisserie d'Akmimo sur le Nil, III" IV« siècle. Cf. Dom H. Leclercq. Dict. d'Arch. chrét, T. I, vol I, col. 1052. [3] O'Kelly de Galway, Dict. de la Science du Blason, p. 115. [4] Mamachi, Origines Chrétiennes, III, c. 89. [5] Tertullien, De coron, milit. c. I. — Cf. Martigny, DM. des Antiquit. Chrét. P- 136. [6] Cf. Camille Gullian, Gallia p. 217. [7] Cf. G. Welter, Une nouvelle forme de Cernunnos. in Revue Archéolog. 4 Sér. T. XVII (1911) p. SS. [8] A Reims Cernunnos encorné de bois de cerf vide un sac de grain, autre emblème d'abondance. Cf. G. Dottin. La Religion des Celtes, p. 20. [9] St Jérôme, In Isaiam, c. XXVIII. [10] Bède, In Psalm. XXVIII. [11] St Brunon d'Asti. De novo mundo, et In Gènes. XLIX, 6. [12] Ps. 41 de la Vulgate, v. I et 2. [13] Cf. Dom Leclercq, in Diction. d'Archéolog. Chrét. T. II, vol. II, col. 3.301.[14] Cf. P. Delattre, Lampes chrétiennes de Carthage, in Revue de l'Art Chrét. ann. 1891, p. 139, n° 90. [15] Cf. Milin, Midi de la France, PI. LIX, n» 90. [16] Cf. D. Leclercq. Op. cit. [17] Cf. Mgr. Barlieu de Montault, Bibliographie, in Revue de l'Art Chrétien 1883, (tiré à part, p. 9). [18] Cf. B. de Montault, Traité d'Iconographie chrétienne, T. I. Liv. V. p. 207. [19] Salomon, Cantique des cantiques, VIII, 14.[20] Bordeaux, Cf. Camille Jullian, Inscription romaine de Bordeaux, T. II, p. 58. [21] Nantes et Rezé, cf. F. Parenteau. Catalog. Raisonné de l'Exposit. de Nantes, 1872. PI. XI ; et Inventaire Archéolog. p. 44, pl. XXI, n° 2 et 10. [22] St. Just. sur Dive M. et L. Cf. L. Ch. L. dessin inédit. [23] Parenteau, lavent. Archéolog. p. 56, PI. XVIII, n° 18. [24] Rhaban-Maur, In Hierem. Comment. VII, 14.[25] Lettre de J. P. d'Olivier à Pécrèsc, in Mém. de la Soc. des Antiq. de France. Ann. 1903, p. 35.[26] Cf. H. Leclercq. Manuel d'Archéolog. Chrét. T. II, p. 310.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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L'ICONOGRAPHIE EMBLÉMATIQUE DE JÉSUS-CHRIST. LE BÉLIER & LE MOUFLON

V. — LE BÉLIER, EMBLÈME DU CHRIST

FORT, PUISSANT ET TRIOMPHATEUR

La façon dont les béliers combattent en frappant du front leurs adversaires ont fait d'eux, chez les Anciens, un emblème de la force guerrière et du courage.

Pour lui comme pour le Taureau, la Licorne, le Bouc, le Rhinocéros, l'idée de force et de puissance a été attachée par le symbolisme de tous les âges, aux cornes de sa tête ; les textes sacrés, dans la Bible et les écrits des docteurs et des mystiques anciens, emploient souvent ces expressions : « la corne du méchant », « la corne du juste » en parlant du pouvoir de l'homme pour le bien ou pour le mal, et de sa mise en oeuvre ; c'est ainsi qu'il est écrit au Livre des Psaumes : « ...et omnia cornua peccatorum confringam, et exultabuntur cornua justi.[1] »

Et cette idée symbolique de force, attachée à la corne était parente, certainement, de celle qui fit que les Gaulois, comme avant eux les Grecs mycémiens, fixèrent des cornes, naturelles ou imitées, sur leur casque de combat[2].

De là aussi l'instrument de siège qu'utilisa le génie militaire antique sous le nom de bélier. C'était essentiellement une lourde poutre de bois armée à son extrémité d'une tête de bélier en fonte de fer ou en airain et suspendue par son milieu. Par un mouvement de va-et-vient on en frappait les portes ou les murs des villes assiégées afin d'en provoquer la rupture ou l'écroulement. Le bélier militaire était un instrument de succès ; mais de même, dirent les premiers mystiques chrétiens, que cet instrument ne peut procurer la victoire que fixé sur la poutre de bois et par le moyen même de ce bois, de même aussi le Sauveur ne put réaliser la Rédemption du genre humain que cloué à la croix, et n'eut que par le moyen de ce bois la victoire sur le péché, d'une part, et, d'autre part, sur la justice de Dieu.

C'est pourquoi le Bélier-Christ, ainsi victorieux, fut souvent figuré, comme l'Agneau, avec l'étendard triomphal. Ainsi le voyons nous sur une clef de voûte de la cathédrale de Troyes, XIIIe siècle, que Didron regarde comme « l'emblème de la force du Fils de Dieu [3]». C'est la force triomphante. (FIG. IO).

(FIG. IO). Le Bélier triomphant, (Cathédrale de Troyes. — XIIIe s.)

VI. — LE BÉLIER, EMBLÈME DU VERBE DE DIEU

Le Bélier, fut pris aussi comme hiéroglyphe de la voix divine, de la Parole éternelle !... parce que, dit saint Ambroise, les brebis le suivent à sa voix. Il est possible, en effet, que la docilité du troupeau à suivre la voix du bélier, chef, conducteur et père, ait fait de lui, même chez les païens anciens, l'emblème du guide des Ames vers leurs éternelles destinées ; et c'est peut-être pourquoi le même saint Ambroise dit autre part que le Bélier « est pris pour le symbole du Verbe divin, même par ceux qui ne croient pas à la venue du Messie[4] ».

Certaines figurations primitives et du Moyen-âge nous montrent parfois le Bélier-Christ tenant entre ses lèvres un rameau feuillu ; les mystiques figuraient par ce dernier emblème l'action vivifiante du Verbe divin. C'est l'image de la doctrine pénétrant avec force et amour et agissant sur les âmes comme l'atmosphère du printemps agit sur la végétation : « Folium sermo doctrinae », dit à ce sujet saint Eucher[5].

Saint Grégoire admet ce symbolisme un peu bien compliqué, mais en y voyant, de préférence, « un rameau de l'Arbre de Vie dont les feuilles ne tombent pas, parce que la Parole du Christ est impérissable[6].

Où donc ai-je vu aussi le Bélier-Christ, monté sur un rocher, la tête haute et la bouche ouverte, jetant, sans doute, à tous les horizons, l'appel aux Ames ?

VII — LE BÉLIER EMBLÈME DU CHRIST LUMIÈRE DU MONDE.

Il est incontestable que le Bélier, comme l’Agneau, a interprété dans l'iconographie emblématique cette parole de saint Jean qui, parlant de la Jérusalem céleste, dit que « l'Agneau en est la lampe[7] ». C'est ce que nous représente une lampe de bronze, à deux foyers, faite en forme de bélier debout, que Dom Leclercq a publiée[8], après Mr de Lasteyrie à qui elle appartenait[9], en y voyant aussi l'emblème du Christ-Lumière ; d'après le texte apocalyptique de saint Jean.

D'autres lampes chrétiennes des premiers siècles montrent aussi le Bélier-Christ, témoins plusieurs de celles recueillies à Carthage par le R. P. Delattre[10]. (FIG. 11).

(FIG. 11). Le Bélier sur lampe carthaginoise.

VIII. — LE BÉLIER EMBLÈME DU CHRIST RÉDEMPTEUR

Il est inutile de rappeler ici que le bélier, comme l'agneau et la brebis, fut offert en sacrifice sanglant à Dieu, et aux dieux, chez tous les peuples anciens.

En ce qui concerne les Hébreux, le Lévitique et les Nombres nous renseignent sur la liturgie sacrificielle du bélier.

Cicéron nous précise, de son côté, que dans le monde romain le sang du bélier était offert surtout aux dieux lares, protecteurs du foyer familial[11] ; le seul chenet gallo-romain de terre .Cuite en forme de bélier qui ait une inscription, porte justement ces mots : « Laribus augustus[12] ».

Rome et la Grèce qui connurent avec le culte d'Anahita-Cybèle les sacrifices tauroboliques[13], pratiquèrent de la même manière le Criobole, ou sacrifice mystérieux du bélier, qui relevait du culte proche-oriental d'Atys : l'initié, placé dans une fosse sous un plancher à claire-voie recevait sur tout son corps nu le sang du bélier qu'un sacrificateur égorgeait au-dessus de lui ; il croyait, par la vertu communicative de ce sang d'hostie, entrer en immédiate union avec la divinité à laquelle le sacrifice était offert et se rapprocher intimement d'elle.

Comme la plupart des victimes offertes dans les antiques sacrifices, le Bélier devint, chez les chrétiens, l'image du Christ victime ; et ce symbolisme se maintint jusque pendant le moyen-âge, selon le témoignage de Rhaban-Maur et de l'Anonyme de Clairvaux qui voient dans le Bélier le Verbe fait chair et immolé en sacrifice pour notre rédemption[14].

Beaucoup plus anciennement, dans la glose mystique du sacrifice d'Abraham sur le Moria, où le bélier fut substitué au fils du patriarche[15], on avait présenté l'animal sacrifié à la place d'Isaac comme la figure du Christ immolé à la place de l'humanité coupable. Déjà au 11e siècle, saint Méliton de Sardes commenta ce symbolisme[16]. Origène, à la même époque écrivait : « ...sed quomodo Christo uterque conveniat et Isaac qui non est jugulatus et aries qui jugulatus est opère pretium est noscere[17]... »

Plus tard, au IVe siècle, saint Ambroise, surtout, s'est attaché à cette interprétation mystique du célèbre sacrifice biblique[18]. Saint Augustin, son disciple, expliqua à son tour comment le bélier suspendu par les cornes aux branches du roncier est une image du Sauveur couronné d’épines[19]. Et comme écho à cette symbolique littéraire des Pères[20] dont il serait facile de citer de nombreux textes une sculpture chrétienne de cette époque gallo-romaine, qui est au musée d'Arles, représente le sacrifice d'Abraham avec le bélier suspendu par les cornes à l'arbuste épineux. L'érudit Edmond Le Blant en parle ainsi en lui appliquant les idées des Pères que je viens d'exposer brièvement : « Le sacrifice d'Abraham est, on le sait une image de la Passion ; les Pères s'accordent à l'enseigner. Le Christ, dans sa double nature leur paraît également symbolisé par le Bélier et et par Isaac, images du sacrificium cruentum et du sacrificium incruentum. Isaac conduit à la mort fut chargé du fardeau de branchages comme le Seigneur porta l'instrument de son supplice ; le buisson où fut arrêté le bélier symbolise la croix ainsi que l'explique ce passage de saint Basile de Seleucie dont un bas-relief d'Arles (FIG. XII) semble une traduction faite pour les yeux : « Vois le Bélier suspendu à la plante, comme le Christ le fut à la croix[21]. »

Ainsi donc, emblème tout à la fois du Rédempteur suspendu au bois de sa croix et couronné d'épines, d'une part, et de son double sacrifice sanglant et non sanglant d'autre part, le Bélier biblique est une des images emblématiques du Christ victime les mieux consacrées par les maîtres de la doctrine et par l'art chrétien.

(FIG. 12). Le Bélier suspendu par les cornes. Sculpture gallo-romaine d'Arles.

IX. LE BÉLIER EMBLÈME DU CHRÉTIEN

Les mêmes documents artistiques des premiers siècles nous montrent assez fréquemment le Bélier tenant la place dû fidèle chrétien, soit qu'il le figure avec la Brebis placés à droite et à gauche du Christ, soit qu'il occupe la même place au pied du monticule de l'Agneau divin. Parfois le Christ-berger garde un troupeau qui ne se compose que de béliers, et dans lequel on peut être tenté de voir les images allégoriques des chefs terrestres de l'Église, conducteurs des fidèles[22]. Ailleurs, comme du reste sur ce même sarcophage que je viens de citer en note, c'est le bélier, et non la brebis que le Bon Pasteur est allé retirer des sentiers de perdition et qu'il rapporte affectueusement sur ses épaules, scène miséricordieuse qui, malheureusement, n'est pas forcément en opposition avec l'interprétation que je viens de risquer : les sculpteurs et les peintres de nos cathédrales médiévales ont bien exprimé hardiment la même idée, sans l'ombre d'un voile allégorique.

D'autre fois les Béliers réunis en nombre quelconque représentent les Élus ; c'est ainsi que sur un très beau sarcophage romain[23] le Christ-juge siège au milieu, et de sa main droite accueille une file de huit béliers dont il regarde et caresse le premier, tandis que, de la gauche, il repousse cinq boucs dont le premier se cabre sous le geste de condamnation ; c'est la traduction artistique des derniers mots de ce passage d'Ezéchiel : « Ainsi parle Yahwéh — voici que je vais juger entre brebis et brebis, — entre les béliers et les boucs[24] ».

L'ANTITHÈSE DU BÉLIER-CHRIST, LE BOUC

L'antithèse du Bélier-Christ dans l'iconographie emblématique des âges anciens, c'est le Bouc-Satan, le Bouc pris dans le mauvais sens, car nous verrons quie, sous le rôle du Bouc Emissaire des rites hébraïques, la pensée chrétienne en a fait aussi un emblème du Christ béni.

De même que la corne du bélier fut l'image emblématique de la force agissante du Bien, de même aussi la corne du Bouc représenta l'énergie des méchants mise au service effectif du mal. Dans le satanisme et la démonologie, le Bouc est une des figures habituelles de l'Esprit mauvais ; et la puanteur infecte de cet animal est constamment regardée comme le fumet ordinaire de Satan et de ses oeuvres, en opposition à « l'arôme des vertus » et à cet ensemble de suavités idéales que la spiritualité chrétienne appelle « la bonne odeur de Jésus-Christ ».

Loudun (Vienne). L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Rhaban Maur, In Exod. IV, 9. [2] Cf. Schliemann, Mycènes, p. 211 et 213, fig. 213. [3] Didron, Histoire de Dieu, pp. 308 et 331. [4]  St Ambroise, Epitre LX, c. III.[5] Cf. Dom Pitra, Spicilège de Solesmes, T. III, p. 402. [6] St Grégoire, Formules spirituelles, ap. Pitra, ibid. T. II, p. 412. [7] St Jean l'Ev., Apocalypse, XXI, 23. [8] D. Leclercq, Dict. d'Arch. Chr., T. I, vol. I c. 895. [9] De Lasteyrie, Mém. Soc, des Antiq. de France. T. XXII, p. 223 ; et Garucci,Hiéroglypta, ann. 1836, p. 46, etc. [10] Delattre, Lampes chrétiennes de Carthage, in Rev. de l'Art chrétien, 1890,p. 40, n° 137. [11] Cicéron, De Lage II, 22. [12] Cf. J. Déchelette. Revue archéologique, 1898, T. XXXIII et Man. d'arch.T. II, 3 Part. p. 1401. [13] L. Ch. L., Taurus Christus in Regnabit, juin 1926, p. 40. [14] Ap. Spicilège de Solesmes, T. III, p. 24 [15] Voir Genèse XXII, 1-19.[16] S. Méliton. Fragm. in Routh., Reliq. sacra. T. I, p. 116 ; et Piper, in Bullet. Monumental. 3 ter.. T. XXVIII, 1861, p. 483.[17] Origène, Homil. VIII, in Gènes. 9.[18] S. Ambroise, De Abraham. L. I, VIII ; et Epist. ad Justum. [19] S. Augustin, Contra Fauslum XXII, 7^ et De Chitate Dei XVI, II20] Cf. Dictionn. d'archéol. chrit., T. II, v. I, col. 656, note 11.[21] Edm. Le Blant, Le sarcophage chrétien de Luc de Béarn, in Revue archéologique, 2« sér., T. XL, 1880, p. 131.[22] Ex-sarcophage de Rome, reproduit par Bottari. Routa sotterranea. II-CXLIII.[23] Voir Diction. d'Archéolog. chrét., T. II, vol. I, fig. 1469. [24] Ezechiel, Prophétie XXXIV, 17.

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