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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'Iconographie emblématique de Jésus-Christ

L'HIPPOCAMPE & LE PISTRIX

Par souci d'être moins incomplet dans l'étude du Poisson emblématique, et avec les justes réserves qui s'imposent à moi en face d'une figuration dont les maîtres de l'archéologie n'ont pas démontré la raison d'être dans l'art chrétien, je crois devoir parler ici de 1 image de l'Hippocampe et de celle de son antithèse imaginaire, le Pistrix.

Au naturel l'hippocampe est un poisson fort étrange avec sa tête et son encolure à profil chevalin, son corps garni de pointes qui va se diminuant et se termine en s'enroulant sur lui-même, comme la volute d'une crosse[1]. (Fig. I)

C'est un lophobranche de petite taille qui vit dans les eaux de nos côtes atlantiques, dans celles de la Méditerranée et ailleurs. Après la ponte de la femelle, l'hippocampe mâle rassemble les oeufs, les féconde, puis ne les abandonne pas ainsi que font beaucoup  d'autres poissons, mais veille jalousement sur eux jusqu'à leur éclosion.

L'allure de ses mouvements est aussi particulière que sa forme car il se tient toujours dans une position verticale; peut-être l'agitation continuelle qu'il imprime par le jeu de ses nageoires à tout son corps a-t-elle contribué à lui faire accorder, dans les pays d'Orient d'abord, la puissance médicale dont on l'a cru doué : le génie de la médecine et de la thérapeutique, dans sa forme naturelle.

(Fig 1). L'Hippocampe

Le Poisson eucharistique, l'Hippocampe et le Pistrix dans les plus anciennes traditions des Brahmanes étant issu du mouvement spiroïdal des eaux marines, d'où, d'après les Sumériens, serait aussi sorti le principe de vie ?

Quoi qu'il en soit c'est un fait que, dans tous les pays d'influence grecque, puis dans le monde latin, on eut également foi dans les vertus curatives de l'hippocampe, et Dioscorides, Galien, Pline, et les autres naturalistes anciens nous apprennent qu'on employait avec succès la poudre d'hippocampe dans la pharmacopée de leur temps. Indépendamment même des vertus curatives plus ou moins imaginaires de sa cendre, on crut même que l'étrange poisson portait en soi le don d'éloigner ou de guérir les maladies des hommes ; et c'est sans doute ce qui explique la présence de son image sur le cachet en pierre de l'oculiste romain S. Martinius Ablaptus, (Fig. II) trouvé à Vieux (Calvados[2]). Peut-être l'hippocampe, comme le dauphin fut-il mis en relation avec l'idée de la lumière[3] encore que dans les deux formules de collyre Thalasseros, c'est-à-dire formé d'éléments marins, que nous font connaître Galien[4] et Aetius[5], il n'entre pas de poudre d'hippocampe. Et ces croyances et ces pratiques expliquent que, de nos jours encore, dans tout le bassin de l'Adriatique et dans l'Archipel, le corps desséché de l'hippocampe est regardé comme un efficace talisman. A Venise on le suspend par groupe de trois dans les maisons, et cet usage remonte certainement aux plus anciennes civilisations.

(Fig. 2). L'Hippocampe stylisé du cachet de S. Martinius Ablaptus.

Dans les arts figurés les artistes grecs et romains, païens et chrétiens, n'ont pas d'ordinaire gardé à l'hippocampe la forme si curieuse dont la nature l'a doué : ils l'ont stylisé en accusant davantage sa vague ressemblance avec le cheval, en lui donnant un véritable avant-train d'équidé avec oreilles, crinière flottante et vraies jambes de cheval ; bref en ont fait un demi-cheval marin dont l’equus bipes de Pompéi est une des plus belles images. (Fig. III) C'est de aussi ce que nous voyons sur le cachet S. Martinius Ablaptus. Quelquefois l'Hippocampe a des ailes, comme le Pégase.

Mais sous cet aspect il ne doit jamais être confondu avec l’Hippogriffe qui porte une tête d’aigle. un corps de cheval et des ailes, pas plus surtout, comme c'est trop souvent le cas, avec le Pistrix dont je parlerai plus loin, créations fabuleuses qui répondent à d'autres conceptions.

(Fig 3 : L'Hippocampe stylisé de Pompéi. 1er siècle avant Jésus-Christ.)

L'Hippocampe, dans l'ancien monde grec et latin et dans les pays soumis à leur influence, fut l'un des emblèmes de temps que génie tutélaire et guérisseur, le guide des morts aussi, la monture des dieux marins ou l'entraîneur de leur char ; c'est à ces titres divers que nous le trouvons sur les de Tyr, de Biblos (Fig. V) sous les rois Elbaal et Azbaal (360 à 340 avant Jésus-Christ), sur celles de Tarente (Fig. IV) et sur les statères gaulois des Baïocasses de Normandie des Longostalètes (Fig. VII) de Narbonnaise, des carnutes de Beauce, comme celles d'Auvergne qui portent l'Hippocampe[6], à des centres de population fort éloignés de la mer, et leur cheval-poisson doit symboliser autre chose que l'élément marin ; à noter que les statères gaulois des Baïocasses (Fig. VIII) et des Carnutes (Fig. VI) représentent l'Hippocampe sous sa forme naturelle.

(Fig 4 et 5) : Monnaie de Tarente ; monnaie de Biblos.

Si le monde ancien fit de l'Hippocampe un guérisseur, il en fit aussi un guide. En diverses mythologies des rives de la Méditerranée et du Pont-Euxinil fut le conducteur du navire des morts vers les ports du repos heureux, et les Grecs l'attelèrent au char de Posseidon. Une monnaie d'argent de la Gens Crepereia nous montre le char de Neptune— le Posseidon des Latins— entraîné sur les flots par deux Hippocampes, et les monnaies des gaulois de Redon, de Chartres et de Bayeux, représentent l'Hippocampe au naturel guidant le cheval terrestre ou le cheval ailé, le Pégase grec. (Fig. VI et VIII).

(Fig 6, 7 et 8) : Monnaies gauloises des Carnutes, des Longostanènes et des Baiocasses.

L'hippocampe apparaît donc ici avec une signification allégorique semblable à celles que les anciens attribuaient, dans le temps même de sa propre vogue, au Dauphin-Christ : il est un pilote, un guide bienfaisant.

L'art chrétien de la décoration monumentale adopta l'image de l'hippocampe stylisé sur les plus anciennes fresques des Catacombes[7], et les arts mineurs, gravure, ciselure ou modelage l'utilisèrent aussi pour l'ornementation de divers objets mobiliers plus ou moins précieux. Il apparaît ensuite dans l'art chrétien des Goths et des Francs[8], (Fig. IX et X) enfin nous le trouvons dans la décoration romane de France ; il faut préciser cependant que ses représentations chrétiennes ne sont pas très fréquentées mais elles demeurent des réalités. Peut-être quelquefois, ne représentent-elles que l'élément marin ?... mais cette interprétation ne saurait tout expliquer ; il semble plus raisonnable, plus  logique de chercher la  raison de l'emploi de l'Hippocampe dans les caractères réels ou fictifs que les Anciens lui reconnaissaient, que les auteurs d'alors nous ont fait connaître et. qui avaient cours à l'époque de la formation même de l'art emblématique des Chrétiens.

(Fig 9). L’Hippocampe sur bronze mérovingien du Musée de Dijon. Revue art chrétien, 1896, p. 487.

(Fig. 10). Fibule mérovingienne en forme d'Hippocampe. Dict. Arch. chrét. T. v. vol. II. 1506.

Pourquoi nos premiers symbolistes auraient-ils négligé dans l’Hippocampe ces qualités fictives, quand ils appliquaient les mêmes fables au service, et à la représentation allégorique du Seigneur Jésus sous les images des autres animaux qui les partageaient avec lui ? La croyance antique dans la puissance curative de l'Hippocampe qui se reflète encore chez les Vénitiens, catholiques ou non, n'a-t-elle jamais évoqué dans la pensée du prêtre, du peintre des catacombes, alors qu'ils le cherchaient et le voyaient partout, le souvenir du divin Guérisseur qui parcourut en « bon Samaritain » les plaines et les collines de Judée?...

L'Hippocampe guérisseur des yeux, par exemple, n'est-il pas assimilable en tant qu'emblème, au Poisson de Tobie emblème du Christ accepté par les Pères ; et le sens  e l'Hippocampe conducteur du char des Morts vers les régions heureuses n'est-il pas le même que celui du Dauphin guide des Ames vers les Iles Fortunées[9] ?

De par ses antécédents séculaires, l'Hippocampe avait même, sur deux autres poissons emblématiques, celui de Tobie et le Dauphin, emblème reconnus du Christ, l'avantage d'atteindre à lui seul deux des idées les plus chères à l'iconographie allégorique et primitive du Sauveur, que les deux autres poissons n'exprimaient que séparément, et qui nous le font adorer comme la source de toute lumière et comme le maître de la voie du salut.

Il me semble donc parfaitement possible de regarder l'héritage païen que possédait l'Hippocampe, guérisseur et guide tutélaire, comme l'explication de sa présence dans l'ancien art chrétien et de son entrée dans l'iconographie allégorique du Sauveur.

Et cela reste en parfait accord avec l'esprit et la méthode des premiers maîtres, donc avec la vraisemblance. »

Le Pisirix, antithèse de l'Hippocampe.

Les poètes et les artistes du paganisme ont fait du Pistrix un être fabuleux qui présente des ressemblances et aussi des différences essentielles avec l'Hippocampe stylisé : leur allure générale dans les flots est la même, et elle seule est cause que nos modernes archéologues les ont quasi toujours confondus l'un avec l'autre, ou plutôt ne paraissent connaître que le seul Hippocampe.

(FIG. 11). Le Pistrix, d'après une peinture de Pompéi. (Cf. Rich. op. cit.p.490)

Le Pistrix, dont Florus[10] et Pline[11] et Virgile[12] ont parlé, n'a point la tête et l'avant du cheval, mais il est pourvu d'une tête de dragon et de longues nageoires palmées au lieu de jambes d'équidé. C'est là la règle ; les exceptions ne sont que des licences d'artistes comme il s'en est toujours produit. Au point de vue de leurs caractéristiques morales, l'Hippocampe apparaît comme un génie protecteur et bienfaisant ; le Pistrix, au contraire, est un être méchant et détestable ; il est, dans la faune fabuleuse du paganisme méditerranéen, le monstre infernal marin, et ressemble comme un frère au Leviathan des Livres sacrés des Hébreux.

Aussi, seul, l'Hippocampe se profile sur les plats des monnaies antiques, alors que le Pistrix est réservé à l'illustration des naufrages, des cataclysmes et des lieux maudits.

Parce que nos érudits modernes, — et des meilleurs — n'ont pas observé ces distinctions, ils ont dit et répété que le monstre qui, sur les fresques des catacombes ou sur les marbres de même époque dévore Jonas, est l'Hippocampe : il n'en est rien ; c'est toujours ou quasi toujours le Pistrix infernal qui s'y montre; (Fig. XII et XIII) emblème frappant, en la circonstance, des méchants servant, malgré eux, les desseins de Dieu.[13]

***

(Fig. 12 et 13). Le Pistrix et Jonas. 1°) sur fresque de la catacombe de Bonaria près Caghari ; 2°) sur un tombeau d'El-Djem, Tunisie.

Notons en terminant que jamais l'Hippocampe, pas plus que le Crustacé, n'a été employé pour figurer le fidèle ou les âmes humaines. Ce rôle, sous l'aspect pisciforme, fut attribué, chez les païens aux Néréides et aux Tritons « images des âmes traversant la mer de la vie[14] », et chez les chrétiens au Poisson commun et au Dauphin.

Mais sous les aspects divers du Poisson commun, du Dauphin, du Crustacé, du Christ-Pêcheur et de ses engins, du Poisson eucharistique et vraisemblablement aussi de l'Hippocampe, le Sauveur nous est apparu, mystérieusement enveloppé, mais avec toutes ses divines qualités de Père, de Rédempteur, d'Ami, de Chef et de Guide, de Nourricier, avec tous ses charmes, toutes ses promesses et tous ses dons divins.

(Loudun Vienne). L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] La gravure que j'en donne représente, en demi-grandeur réelle, un hippocampe desséché de la collection de M. le comte J. du Fort, d'après dessin de M. Henri du Fort. [2] Cf. Héron de Villefosse et H. Thédenat, Note sur quelq. cachets d'oculistes romains in Bulletin Monumental, 1882, p. 7 et 13. [3] V. Regnabit. Janvier 1927, p. 149. [4] Galien, Therap. L. IV, C. VIII. [5] Aetius, Telrabiblos, n, serin. IV, c. CX. [6] Cf. Adrien Blanchet, Traité des Monnaies Gauloises. [7] Dom Leclercq, Diction. d'Archéol. chrét. ; fasc. LXVI, col. 2084.[8] Cf. Chabeuf, Rev. de l'Art chrétien, 1896, p. 487.— Dict. d'Archéol. chrét. T. V. v. II, col. 1506. [9] Voir de Rossi, Bull. d'Archéol. chrét. 1870, p. 65. [10] Florus, III, 5, 16. [11] Pline, Histoire Naturelle IX, 2. [12] Virgile. Eneide III., 427.

 

[13] Voir gravures dans Dict. d'Archéol. chrét. T. II, Vol. I, col. 229, 358, 1006, 1148.— T. IV, Vol. II, col. 2610, etc…

[14] Dom Leclercq, Ouvrage cité, T. I, vol. I, col. 1478.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'Iconographie emblématique de Jésus-Christ

LE POISSON EUCHARISTIQUE

Dans une première étude sur le Poisson considéré comme emblème historique de Jésus-Christ, fils de Dieu et Sauveur », nous avons vu, sur l'inscription funéraire de Pectorios d'Autun, ces mots, dont le sens mystérieux est pour nous très clair : « Reçois l'aliment, doux comme le miel, du Sauveur des saints : manges avec délices, tenant le Poisson dans tes mains, et rassasies toi avec le Poisson». L'épitaphe de l'évêque Abercius de Phrygie, qui est, comme celle de Pectorios, du IIIe siècle, dit à son tour ; « La Foi me conduisait partout. Partout elle m'a servi en nourriture un Poisson de source, très grand, très pur, péché par une Vierge sainte : Elle le donnait à manger aux amis[1]... »

Ces textes présentent donc nettement le Poisson, comme terme désignant, dans le vocabulaire mystérieux des chrétiens, le Christ Eucharistique ; terme accepté en Orient et en Occident avec la même signification, et, de plus, représenté par les arts figuratifs d'alors en une multitude de compositions : parfois le Poisson porte les pains sur son dos au-dessus d'une mer tempétueuse ; ou bien il présente dans sa bouche le pain ou le raisin

ailleurs, entre la coupe et le pain, il attend sur un plat d'être distribué comme eux en nourriture ; il impose sa forme ou son image à des objets liturgiques d'usage eucharistique, etc.. Voici le Christ-poisson portant la corbeille ou ciste eucharistique, d'après une fresque de la catacombe romaine de Lucile, qui, vraisemblablement, date du IIe siècle. (Fig.1).

(FIG 1.) - Le Poisson portant l'Eucharistie. Fresque de la catacombe de Lucile. - IIe siècle.

Le Poisson en tant qu'aliment liturgique dans les cultes préchrétiens.

Quand on étudie les cultes antérieurs à notre ère, on ne peut se défendre d'un étonnement très grand : Nous y voyons en effet que tous les grands dogmes de notre foi chrétienne ont été pour ainsi dire préfigurés par des croyances, par des usages religieux, par des formes matérielles emblématiques ou rituelles ; et ce sont ces surprenantes constatations qui ont amené des érudits éminents et très indépendants, dont les œuvres

ne sont pas spécifiquement religieuses, tels, par exemple, que Louis Ménard[2] et Alexandre Moret[3], à considérer comme une sorte de «préchristianisme» certaines manifestations religieuses d'ordre dogmatique ou liturgique, chez de très anciens peuples de la Gentilité.

Pour le chrétien qui étudie, ces faits s'expliquent, si surprenants qu'ils soient au premier coup d'oeil : c'est l'action providentielle préparant de loin, même chez les Gentils, la venue de ce Christ qui devait sauver tous les Justes de la terre, et faire d'eux tous son Peuple.

L'Eucharistie, comme tous nos grands mystères, la Trinité, le Verbe Créateur, l'Incarnation dans le sein d'une vierge, la Résurrection, semble bien, aussi, sous la forme de l'épi, du grain de blé, du vin et du poisson, avoir eu sa part dans cette action préparatoire de la main divine.

Certains cultes d'Asie, longtemps avant la naissance de Jésus, célébraient les mystères du Poisson divin selon des rites spéciaux, du Poisson sacrifié qui était solennellement consommé en nourriture, et qui ressuscitait ensuite.

Quelques écrivains sont partis de ces faits certains que les études d'archéologie orientale confirment tous les jours, pour prétendre que la représentation de Jésus-Christ sous les apparences d'un poisson proviendrait, non de l'acrostiche célèbre IXOYC, ictus poisson, (Jésus, fils de Dieu et Sauveur[4]), mais d'un emprunt fait par l'Église primitive aux cultes asiatiques.

Dans son ouvrage Cultes, Mythes et Religions, le savant israélite Salomon Reinach leur répond : Non : « Assurément, dit-il, aucun homme raisonnable ne voudrait chercher l'origine du Christianisme dans le culte sacrificiel du poisson mais ce culte existait en Syrie ; il était bien antérieur au Christianisme et il est sûr, de toute certitude historique, que nous l'y retrouvons, comme nous retrouvons aussi les survivances de deux autres cultes zoomorphiques, celui de la colombe et celui de l'agneau ».

Le culte du poisson sacrifié et consommé nous est en effet attesté par des monuments indiscutables de Syrie, d'Assyrie, de Mésopotamie et de Chaldée :

(FIG. 2). Le Poisson sacrifié. — Bas-relief de Nimroud.

Un bas-relief de Nimroud (Fig. II) nous montre, placé «sous l'image d'Hu, symbole assyrien du Dieu suprême, sous le Croissant lunaire, symbole de Lin, et sous l'Étoile d'Istar, la déesse d'amour et de fécondité, le Poisson, sacrifié, et déposé au pied de l'autel. Et l'on voit, d'un côté, Oannès ou son prêtre à lui assimilé, et de l'autre côté un personnage ailé, peut-être le sacrificateur, car derrière lui se trouve une épée nue.

Et sur une pierre fine gravée, du Musée Britannique, (Fig. III) le Poisson se voit aussi, mais étendu sur l'autel, et surmonté encore de l'Étoile et du Croissant ; de chaque côté sont assis, pour le repas rituel, un homme dont la tête semble être en contact avec l'emblème d'Ilu, et une femme qui tient levé, comme celui qui lui fait face, une coupe sans pied ; un troisième personnage, qui porte un objet indéterminable, semble aider à la cérémonie.

(Fig. 3). Repas liturgique assyrien. - Cylindre gravé du Musée Britannique.

A remarquer aussi sur ces deux documents[5], et bien que ce soit étranger au sujet que nous étudions, la présence des sept globes mystérieux.

Faut-il rapprocher de ces rites asiatiques, où le Poisson devenait nourriture divine, l'usage dont j'ai déjà parlé, et suivant lequel chaque égyptien mangeait religieusement, devant la porte de sa maison et le neuvième jour de chaque mois, un poisson rôti [6]?

Il semble que non ; mais au fond nous n'en savons rien, ne connaissant pas le point de départ certain de la coutume égyptienne.

Des cérémonies analogues à celles d'Assyrie et de Chaldée, dont la manducation du Poisson était l'acte essentiel, ont été pratiquées de même dans l'Asie Mineure et en Chypre, croit-on.

Tous ces rites tendaient à même fin : à une union intime de l'homme purifié et de la divinité par voie d'incorporation de la chair du Poisson ; à une participation plus ou moins définie avec la nature et les qualités du Poisson sacré.

Les conquêtes et la paix romaines firent connaître ces liturgies païennes du dieu-poisson dans tout l'immense empire des Césars, comme elles y propagèrent celles d'Athys et de Mithra, à la veille du jour où l'Eucharistie allait devenir sur terre le ressort central et la vie même de la religion chrétienne.

 

[1] Cf. Regnabit Xbre 1926, p. 33. — Je crois superflu de surcharger ces pages de citations des anciens docteurs antérieurs ou postérieurs aux documents si expressifs des Pectorios et d'Abercius qui imposent la conviction. [2] L. Ménard : Histoire des Grecs, 2 vol. Paris, Delagrave, .1893. [3] A. Moret : Mystères égyptiens. Paris, Colin, 1923. [4] Cf. Regnabit. Décembre 1926, p. 30. [5] Cf. J. Menant. Glyptique orientale et voir aussi : A de Longpérier in Bullet. archeol. de l'Athoeneum français, 1855 p. 100, et 1856, p. 96. [6] Plutarque. Isis et Osiris, VII.

Le Poisson et les repas eucharistiques dans l'Eglise primitive.

Les scènes de banquet sont nombreuses dans les peintures des Catacombes. Ce sont des compositions artistiques représentant la Sainte Cène, la consécration des espèces eucharistiques, les agapes ou repas religieux et amicaux des fidèles, et le céleste festin des Elus. Et quand l'Église eut enfin sa place au grand soleil, les mosaïques, les sculptures et les peintures des premières - basiliques répétèrent ces mêmes sujets, sans en changer le genre artistique.

On y voit presque toujours sur une table centrale, avec les pains et les coupes de vin, le Poisson couché dans un plat. Sa présence est évidemment une allusion à ce repas que Jésus, après sa résurrection, fit partager à sept de ses disciples qui péchaient au bord du lac de Tibériade : Quand ils l'approchèrent ils virent, dit saint Jean[1], des charbons allumés sur le sable du rivage, un poisson posé dessus, et un pain mis auprès. Et Jésus leur dit : « Venez et mangez », et prenant le pain il leur en donna ; et il fit de même du poisson[2] ».

C'est de ce fait seul que le Poisson a reçu sa signification eucharistique.[3] Et c'est bien cet épisode évangélique des sept disciples favorisés qui fut le plus en faveur dans la composition des banquets mystiques de l'art chrétien primitif ; la catacombe de saint Callixte en contient à elle seule plusieurs représentations[4].

Le Poisson apparaît également au centre de la table, et devant le Sauveur, sur une Cène en mosaïque du VIe siècle, en la basilique de saint Apollinaire-Neuf, à Ravenne. L'Église d'Abou-Sargah (St-Serge) au Vieux-Caire, qui est du VIIe siècle ou du VIIIe, garde une épaisse porte en bois sculpté où la Sainte Cène est aussi représentée : les douze, entourent une table oblongue dont Jésus occupe le haut-bout et qui porte douze pains sur ses bords ; au milieu se trouve un grand poisson que le Sauveur prend pour le distribuer à ses convives[5].

Cette présence du Poisson sous la main de Jésus pendant la Cène rappelle sa présence, aussi, sur une table en trépied du cimetière souterrain de Saint-Corneille, où nous le voyons dans un plat, à côté d'un pain.[6]  « Près de cet autel un personnage debout, vêtu du seul pallium qui laisse à nu le bras et le flanc droits, impose les mains sur ces offrandes ; et de l'autre côté une femme également debout lève les bras au ciel. (Fig. IV) Celui qui ne verrait pas là, dit M. de Rossi, la consécration eucharistique serait complètement aveugle... Nous avons ici un ascète, ou pour mieux dire un prêtre vêtu du pallium à la manière de philosophes, et imposant les mains, geste auquel il est impossible, en égard surtout à la nature des objets déposés sur la table, d'assigner un autre sens que celui de la consécration [7]».

Et sur un autre document des catacombes une main s'étend également, vers un poisson et un pain dans un geste qui peut-être aussi bien une imposition de la main qu'un acte de préhension[8]. (Fig. V).

Le Poisson rôti et donne en aliment s est présente souvent aussi dans la bouche ou sous la plume des premiers docteurs : « Le Sauveur, dit saint Prosper d'Aquitaine, est le Poisson préparé (littéralement « le poisson cuit, » de coctus) en sa Passion pour une nourriture qui est notre lumière de tous les jours » ; et l'Anonyme africain du Ve siècle dont l'ouvrage [9] fait suite à celui de saint Prosper dit également, en faisant allusion à l'épisode du lac de Tibériade que le Christ est « le grand Poisson qui, sur le rivage a nourri lui-même ses disciples, et s'est offert Poisson (ictus) au monde entier. »

(FIG. 4). Le Poisson sur l'autel ; peinture des Catacombes.

(FIG. 5). Le Poisson et le Pain sur l'autel ; peinture des Catacombes.

Saint Augustin, plus formel, ajoute : « Le Seigneur fit à ses sept disciples un repas composé du poisson qu'ils avaient vu posé sur des charbons embrasés et de pain. Le poisson ainsi rôti, c'est le Christ[10] ».

La présence du Poisson s'explique aussi sur la table céleste du festin des Élus, puisque l'Ictus, c'est le Christ, nourriture éternelle dont s'alimentent les commensaux de la table céleste, et il peut y voisiner avec le « Pain des Anges » et le Vin dont Jésus a dit qu'il le boirait à nouveau lui-même dans le royaume de son Père[11].

Il est bien évident que la multiplicité de ces figurations du Poisson eucharistique dans l'art primitif chrétien devait entretenir les fidèles dans une disposition mentale qui nécessairement élevait leurs pensées vers le Sauveur, l'« Ictus divin », à chaque fois que, sur la table rituelle des agapes ou sur la table familiale de la demeure privée, le poisson se présentait comme aliment ; et leurs esprits se trouvaient, tout naturellement aussi, incités à l'acte mental que la spiritualité chrétienne appelle la « communion spirituelle ». L'art monumental n'était pas du reste le seul à s'orner du divin emblème : des vases, des objets divers d'usage eucharistique en sont aussi décorés. Je reproduis en exemple une cuiller eucharistique trouvée à Soché, en Thivars (Eure-et-Loir), (Fig, VI) nous y voyons le Poisson représenté dans le creux de la coupelle[12].

(FIG. 6). La cuiller eucharistique de Soché en Thivars. Epoque gallo-romaine.

De grands plats, portant la même image, ont été aussi recueillis en divers lieux depuis un siècle, auquel certains savants ont cru pouvoir reconnaître également l'attribution eucharistique qui paraît certaine pour les cuillers. Je reproduis l'un d'eux qui fut trouvé à Soulosse (Vosges) ; il est en cuivre argenté et date du ne siècle ou du me. (Fig. VII) Un plat semblable fut aussi recueilli à Appleshaw Angleterre[13]. — Des réserves s'imposent

cependant quand à l'emploi eucharistique de ces plats, car, les anciens usaient aussi, avant l'ère chrétienne de plats à poisson décorés de même façon ainsi que l'ont prouvé les découvertes de Pompéi.[14]

Mais la certitude nous est acquise sur le caractère mystique du Poisson quand il se présente en compagnie du pain sacré, comme, par exemple, sur un plomb du Musée Sainte-Anne, de Jérusalem[15], trouvé à Tyr (Fig. VIII) ou bien avec le Vase de vin comme sur une lampe antique que je reproduis également ci-contre[16]. (Fig. IX).

Et ces documents peuvent être rapprochés des Poissons de la catacombe romaine de Saint-Callixte [17] qui portent dans leur bouche l'un le pain et l'autre le raisin eucharistique. (Fig. X).

 

(FIG. 7). Plat de Solimaniaca IIe - IIIe siècle.

(FIG. 8). Bulle de plomb, provenant de Tyr.

(FIG. 9). Lampe antique portant le Poisson et le Vase eucharistique.

(FIG. 10). Poissons eucharistiques de la catacombe de Saint-Callixte à Rome.

Il arrive parfois que le pain sacramentel ainsi porté par le Poisson est opposé au fruit fatal du Paradis terrestre, dont il affecte la forme globulaire, et que tient un autre animal. C'est ainsi qu'une lampe de bronze en nacelle, d'art romain, est pourvue d'une proue faite d'un Dauphin qui porte le « Pain vivant » alors qu'à la poupe, et pris ici comme emblème de l'Esprit mauvais, un griffon se dresse, tenant dans son bec d'aigle le fruit maudit[18].  C'est le duel entre le Christ, nouvel Adam, et l'Esprit infernal qui fit tomber en faute l'ancien Adam, duel symbolisé par l'opposition du Pain de Vie au fruit de mort : « cette interprétation est certainement hors de doute[19] ».

Il est permis de voir le même symbolique sur une agrafe romaine en bronze trouvée à Angers[20]. (3) On y voit un Dauphin qui tient en bouche un objet globulaire ; son corps se retrousse en arrière et se termine par une autre forme animale du genre serpent, un anguis quelconque qui porte ainsi que le Dauphin un objet semblable. (Fig. XI) Une grafe similaire aurait été trouvée à Cherchell, en Algérie[21]. Nacelle et agrafes, relèvent certainement de l'art chrétien, et servent la même idée.

(FIG. 11). L'agrife gallo-romaine d'Angers, Collection F. Parenteau.

Le Poisson, emblème du fidèle, et l'Eucharistie.

De très nombreux documents d'art, objets mobiliers ou décorations monumentales, rapprochent le Poisson fidèle du pain, du raisin, de la corbeille ou du vase eucharistiques. C'est ainsi que sur une précieuse sculpture de Syracuse deux poissons nagent vers un canthare sacramentel[22]. Le même motif se voit aussi à Reims sur un des plus anciens chapiteaux chrétiens  des Gaules[23]. Enfin, un marbre de Modène porte cinq pains eucharistiques marqués de la croix vers lesquels, s'avancent  deux poissons ; au-dessus du tout le ciseau du lapicide a gravé le mot grec SYNTROPHION, « le banquet en commun ». (Fig. XII).

Et ce banquet, caractérisé par les pains d'autel, n'est pas l'agape, mais la manducation sacramentelle du pain.

(FIG. 12). Poissons fidèles allant vers l'Eucharistie. Marbre de Modène.

Le Poisson eucharistique dans l'art du Moyen-âge.

La seconde partie du Moyen-âge conserva, sans en user beaucoup cependant, le bel emblème du Poisson eucharistique.

En France nous le trouvons dans l'ornementation sculptée de quelques églises romanes du XIe siècle et du XIIe. L'église de Saint-Nectaire d'Auvergne, par exemple, en offre un intéressant exemple : l'un de ses chapiteaux représente la Cène où le Sauveur et quatre  de ses apôtres sont assis devant une table sur laquelle se trouvent un Poisson et des pains.

Un vitrail du XIIe siècle aussi, dans la cathédrale de Chartres représente le même repas : à la droite du Seigneur sont trois apôtres, dont saint Jean qui repose sur la poitrine de l'Ami divin ; trois autres sont à sa gauche ; devant, Judas, assis très bas, touche de la main le Poisson servi sur un plat au milieu de la table, en face de Jésus[24]. Et ainsi en bien d'autres lieux.

Il ne faudrait pas confondre avec ces documents d'ordre eucharistique une médaille médiévale qui eut vogue dans le centre de la France et sur laquelle figurent cinq pains et deux poissons. Cette pièce n'est relative qu'au culte de saint Martial que les Limousins ont prétendu avoir été ce jeune homme qui portait deux poissons avec cinq pains d'orge, avec quoi le Sauveur put rassasier cinq mille hommes en Galilée[25]. Cette médaille fut l'oeuvre d'une confrérie pieuse de Limoges, en l'honneur du patron de la cité[26].

(Loudun Vienne). L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Saint Jean, Evangile, XXI, 9. [2] lbid., 12, 13. [3] Cf. Abbé Martigny Dictionn. des Antiquit. chrét. p. 245. [4] lbid., p.246.— Dom Leclercq, Manuel d'Arch chrét. p. 546. — L. Lefort Chronolog. des peintures des Catacombes, in Revue archéolog. T. XL, 1880, p. 214.[5] D. Leclercq, Dictionn. d'Archèol.chrétienne. T.. n, vol. II, col. 1561, et grav. 1843. Le Poisson eucharistique, l'Hippocampe et le Pistrix 339.[6] Cf. G. C. Broussolle, Théorie de la Messe ; fig. 42, p. 134. [7] Abbé Martigny, Ouvrage cité, p. 246. [8] Cf. V. Davin, La Capella Greca, in Revue de l'Art chrétien, T. xxv, p. 177, pl. XI. [9] De promissionibus et proedictionibus Dei. [10] Saint Augustin, Tract, XII, ad in Joann. [11] (2) Evangiles. Saint Matthieu XXVI, 29.— Saint Marc XIV, 25. — Saint Luc XXII, 18. [12] H. Leclercq. Dict. d'Arch. chrét. T.III, vol.II, col. 3175, grav. 3451 et 3453. [13] Cf. Revue de l'Art chrétien. Ann. 1907, p. 265. The archoeologia T. LVI, p. 12.[14] Cf. A. Rich, Dict., des Antiquités grecques et romaines, p. 280. [15] R. P. Decloedt, Plombs du Musée Biblique; in Revue Numismatique 4e Séné, T. XVIII, (1894) p. 445, et PI. XI, n°24. [16] D'après A. Parmentier, Album Historique 2e Livr, p. 28. [17] Gravure d'après R. Biliard : La Vigne dans l'antiquité p. 235. [18] Cf. De Rossi Bull. d'Archéol. chrét. 1868, Nov.-déc. 1870, p. 72-73. [19] D. Leclercq, ouvrage cité, T. IV, vol. I, col. 293. [20] Cf. Fort. Parenteau, Inventaire archéologique P.l 14 et p. 33. [21] lbid., p. 34. [22] Cf. de Rossi Bull. d'Archéolog. chrét. ; 1877, pl. X. [23] V. Bulletin Monumental. T. LXIX, (1905) p. 224. [24] Cf. E. Mâle, L'Art religieux du XIIe siècle en France ; p. 111, fig. 99. [25] Saint Jean, Evangile ; VI, 1-15. [26] Cf. M. Ardant, chapelets, médailles et panonceaux des confréries de Pénitents de Limoges, in Revue de l'Art Chrétien, an. 1858, p. 147.

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