DES CHEVALIERS-BANNERETS.
CHAPITRE XX.
L'étymologie du mot banneret vient de Banner-Herren, qui signifiait, en langue celtique, un Seigneur à bannière : d'autres le font dériver du mot ban, qui veut dire Proclamation publique d'aller à la guerre , ou de celui de bandière, dont on a fait depuis celui de bannière, bandum signum dicitur militare, parce que les bannerets étaient ceux qui possédaient des fiefs qui donnaient le droit de lever bannière, et dont les propriétaires pouvaient mettre sur pieds, à leurs dépens, des troupes qu'ils conduisaient, sous leur bannière, au service du Roi.
L'origine des bannerets remonte à l'an 383, ou Conan, commandant les légions romaines en Angleterre, se révolta, sous l'empire de Gratien, et se rendit maître de ce royaume et de la Bretagne, qu'il distribua à plusieurs bannerets. C'est de cette dernière province que cette dignité passa depuis en France, lorsque l'introduction du gouvernement féodal fit aussi transporter aux fiefs et aux domaines, les titres qui auparavant n'avaient été décernés qu'aux personnes. Ainsi, les Ducs, les Marquis, les Comtes firent ériger leurs terres en Duchés, Marquisats et Comtés, et les Chevaliers firent ériger les leurs en fiefs de bannière, lorsqu'elles fournissaient le nombre de vassaux voulu par les coutumes.
Le titre de Chevalier-Banneret était le plus considérable et le plus élevé de l'ordre de la Chevalerie; il n'appartenait qu'à des gentilshommes qui avaient d'assez grands fiefs pour leur donner le droit de porter la bannière dans les armées royales. Il fallait, pour obtenir ce titre, être gentilhomme de nom et d'armes, c'est-à-dire, de quatre quartiers, ou lignes paternelles et maternelles.
Ducange cite un ancien cérémonial manuscrit qui indique la manière dont se faisait le Chevalier-Banneret et le nombre d'hommes qu'il devait avoir à sa suite. « Quand un bachelier, dit ce Cérémonial, a grandement servi et suivi la guerre, et que il a terre assez, et qu'il puisse avoir gentilshommes ses hommes et pour accompagner sa bannière, il peut licitement lever bannière en bataille, et non autrement; car nul homme ne doit lever bannière en bataille s'il n'a du moins cinquante hommes d'armes, tous ses hommes, et les archiers et les arbalestriers qui y appartiennent ; et, s'il les a, il doit, à la première bataille où il se trouvera, apporter un pennon de ses armes, et doit venir au connétable ou aux maréchaux, ou à celui qui sera lieutenant de l'ost pour le Prince, requérir qu'il porte bannière; et s'ils lui octroyent, doit sommer les héraults pour témoignage, et doivent couper la queue du pennon, etc. »
Effectivement, lorsqu'un gentilhomme aspirait à l'honneur d'être banneret, il choisissait l'occasion d'un combat, d'une bataille ou d'un tournois, pour présenter son pennon roulé au Roi ou au chef de l'armée l'un ou l'autre le développait, en coupait la queue, le rendait carré, puis le remettait entre les mains du Chevalier, en lui disant : « Voici votre bannière; Dieu vous en laisse votre preux faire. »
Mais, avant que le gentilhomme pût se présenter au Roi ou au chef de l'armée, pour demander la bannière de banneret, on commettait les héraults d'armes, qui devaient s'assurer s'il avait assez de biens pour fournir à la dépense à laquelle cette dignité l'exposait; s'il avait le nombre suffisant de vassaux pour le suivre à la guerre et garder la bannière. On sait que ce nombre était au moins de vingt-quatre gentilshommes bien montés, avec chacun leurs sergens, lesquels en épée et en jacque de maille, portaient la masse d'armes, l'écu et la lance de leur maître : ce qui les fit nommer écuyers.
Si les héraults rendaient témoignage que ce Chevalier était en état de fournir à cette dépense, ils développaient son pennon, et en coupaient les deux bouts pour le rendre carré, et le repliaient, jusqu'à ce que le Prince ou le Général lui eût permis de le déployer et ficher à terre.
Les Chevaliers - Bannerets de cavalerie devaient un marc d'or aux héraults, et ceux d'infanterie un marc d'argent.
La bannière carrée, portée au haut d'une lance, était la véritable enseigne du banneret ; celle des simples Chevaliers se prolongeait en deux cornettes ou pointes, telles que les banderolles qu'on portait dans les cérémonies des églises. Le Chevalier-Banneret devait avoir sous ses ordres quatre Chevaliers-Bacheliers, et toujours il prenait le pas, avec sa troupe, sur celle d'un banneret qui n'était pas Chevalier, et celui-ci obéissait au premier; car le titre de Banneret ne donnait pas celui de Chevalier : ce dernier était personnel, et celui qui en était décoré ne tenait cet honneur que de son épée et de sa valeur. Il y avait donc deux sortes de bannerets, celui qui était Chevalier et celui qui ne l'était pas.
A la vérité, dans la suite, ce titre devint héréditaire, et passa à ceux qui possédaient la terre ou le fief d'un banneret, bien qu'ils n'eussent pas l'âge qui était nécessaire, et qu'ils n'eussent pas encore donné des preuves de leur courage pour mériter cette qualité.
Le banneret devait avoir un château avec vingt-cinq feux au moins, c'est-à-dire, vinqt-cinq chefs de famille qui lui prêtassent hommage. Cependant, il y en avait quelquefois moins, quelquefois plus, selon la condition des fiefs.
Le banneret avait souvent des supérieurs bannerets ; nous en trouvons la preuve dans un arrêt de l'an 1442, qui porte que le Vicomte de Thouars, le plus grand et le premier vassal du Comte de Poitou, avait sous lui trente-deux bannières; par conséquent, ce Vicomte, qui était banneret, avait sous son obéissance, ainsi que beaucoup d'autres de même qualité, plusieurs bannerets ses vassaux.
Dans les arrêts des Parlemens, les bannerets étaient toujours qualifiés de ce titre. On cite celui du 23 février 1385, en faveur de Jeanne de Ponthieu, dans lequel il est dit que Dreux de Crevecoeur, son mari, était Chevalier-Banneret.
Les Chevaliers - Bannerets étaient souvent compris au rang des Hauts-Barons, et jugeaient avec eux : Barones vocati solent ii proceres, qui vexillum in bellum efferunt ; mais ils n'étaient pas tous décorés du titre de Baron. Deux arrêts, des 2 et 7 juin 1401, justifient que Guy, Baron de Laval, disputait à Raoul de Coetquen son titre de Baron : celui-ci cependant fut maintenu dans cette qualité, en prouvant qu'il avait plus de cinq cents vassaux et une fortune considérable.
En Bretagne, les Barons étaient distingués des bannerets, et les bannerets de cette province étaient créés en pleins Etats.
Bertrand d'Argentré dit aussi qu'en l'an 1462 il se convoqua une assemblée, sous François II, Duc de Bretagne, dans laquelle il y avait divers degrés pour l'écuyer, le bachelier, le Chevalier-Banneret et le Baron.
Un arrêt du Parlement de Paris, du 23 février 1585, donne la qualité de Miles vexillatus à un Chevalier-Banneret.
Les chroniques de France nous apprennent que les bannerets n'étaient pas seulement employés aux occasions de la guerre, mais encore aux cérémonies de la paix ; car elles contiennent que Monseigneur Charles, régent du royaume, Duc de Normandie et Dauphin de Viennois, envoya trois Chevaliers - Bannerets et trois Chevaliers-Bacheliers, pour voir faire au Prince de Galles le serment de la paix de Bretigny, le 7 mai 1360.
Et il fut ordonné dans le conseil de Charles VI, l'an 1396, que madame Isabeau de France, fille du Roi, allant en Angleterre épouser le roi Richard II, son état et sa suite seraient composés de deux Chevaliers-Bannerets et de cinq Chevaliers-Bacheliers ; savoir : des Seigneurs d'Aumont et de Garancières, bannerets ; de Messires Renault et Jean de Trie, de Galois d'Aunoy, de Charles de Chambly, et du Seigneur de Saint-Clair, bacheliers.
Quand un noble était vassal d'un Duc ou d'un autre grand Seigneur, et qu'il avait lui-même des vassaux qui marchaient sous sa bannière, il était banneret du Duché, du Marquisat ou du Comté de son suzerain.
Les anciens officiers de la couronne et leurs lieutenans avaient droit de porter bannière, quoique d'ailleurs ils ne fussent pas bannerets. « Tous royaux et tous «leurs lieutenans, connétables, amiraux, maîtres des arbalestriers, et tous les Maréchaux de France, sans être Barons ni bannerets, disant qu'ils sont officiers par dignité de leurs offices, peuvent porter bannière et non autrement. En guerre, pour ôter les débats des envies, le droit ordonne que les bannières plus anciennes soient les plus prochaines de celle du Roi (Menetrier, Origines, 194, 190). »
On énumérait autrefois les armées par le nombre des bannières, comme on le fait aujourd'hui par le nombre de régimens.
Les Chevaliers bannerets, suivant le père Daniel, ne paraissent dans notre histoire que sous Philippe-Auguste. Ils subsistèrent jusqu'à la création des compagnies d'ordonnances par Charles VII. Alors il n'y eut. plus de bannières ni de Chevaliers-Bannerets : toute la gendarmerie fut mise en compagnie réglée.
Les Chevaliers-Bannerets avaient le privilége du cri de guerre, ou cri d'armes, qui leur était particulier, et qui leur appartenait privativement à tous les Bacheliers et à tous les écuyers, comme chefs des vassaux qu'ils conduisaient à la guerre sous leur bannière. Ils se servaient de ce cri, lorsqu'ils se trouvaient en péril, pour animer leurs troupes à défendre courageusement l'honneur de leurs bannières, ou pour leur servir de ralliement.
L'investiture était donnée au Chevalier-Banneret par la bannière carrée. Il se présentait devant le Prince ou son délégué, tenant en main sa bannière, se mettait à genoux, la remettait au Prince, qui la lui rendait après l'avoir agitée, et lui donnait l'accolade.
Les Chevaliers de Bretagne portaient leurs armoiries dans des écussons carrés, pour désigner qu'ils étaient descendus de Chevaliers-Bannerets.
Les armoiries de ces Chevaliers étaient décorées dans leurs ornemens extérieurs d'un vol banneret, qu'on plaçait en bannière de chaque côté du cimier, et qui était coupé en carré, comme l'écu des anciens Chevaliers bannerets l'était par le bas. Cet écu était aussi décoré, autrefois, d'un cercle d'or, sans être émaillé, mais orné de trois grosses perles.
Ils jouissaient de tous les honneurs, droits, prérogatives et prééminences mentionnés au chapitre des Chevaliers militaires, parmi lesquels ils tenaient souvent le premier rang.
La paie d'un Chevalier banneret était de 50 sous par jour.
Il y avait aussi des Ecuyers-Bannerets qui possédaient des fiefs avec le droit de bannière ; mais qui, n'ayant pas encore reçu l'honneur de la Chevalerie, n'osaient s'en attribuer le titre. Ils ne prenaient point non plus la qualité de Messire, de Monseigneur ou de Monsieur, et portaient des éperons d'argent. Quoiqu'ils marchassent après les Bacheliers qui étaient Chevaliers, il y a eu des circonstances, néanmoins, où l'écuyer banneret commandait au Chevalier, même banneret, lorsque le commandement était donné spécialement par le Roi à ces écuyers.