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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

LA DIVINE MUSIQUE DU VERBE.

LE COEUR & LA LYRE

(En hommage au Maître Jean Cocteau. Rhonan de Bar)

Des pages émouvantes de Mlle Germaine Maillet nous ont dit dernièrement[1] le réel tourment de talentueux poètes, de sincères chercheurs du divin idéal. Elle nous montre comment, en des strophes ardentes comme des flammes, et tristes, parfois, comme des sanglots, ils ont fébrilement chanté l'angoisse de leur pensée et la souffrance de leur âme.

Détresses, hélas inguérissables, parce que ces pauvres coeurs vibrent trop loin du Christ ; parce qu'ils ne s'approchent pas assez de cette harpe aux harmonies consolatrices qu'est le Coeur du Verbe de Dieu ; de cette harpe divinement aimantée que la plume, si merveilleusement inspirée toujours, du R. P. Anizan comparait à la harpe du barde, en la fiction de Taliesinn, laquelle paraissait être, sur le lac désolé, comme le coeur vivant des êtres.

Ce rapprochement entre le Coeur d'où jaillirent les paroles de vie qui ont régénéré le monde et l'instrument dont les cordes vibrent- en accord si parfait avec les émotions de la voix et du coeur de l'homme, est particulièrement heureux. Le coeur et la parole ne sont qu'une même chose prolongée ; la voix, c'est la résonnance du coeur ; ils sont comme la source et le flot, comme la blessure et le sang qui s'en épanche, comme la rose et son parfum, comme l'arbre et son fruit, comme le brasier et la chaleur qui s'en échappe : « La bouche parle de l'abondance du coeur », a dit Jésus.

En Dieu, comme en l'homme, son image, le verbe est un jaillissement du coeur hors de la personne. C'est le coeur qui, par la parole, prend contact avec le dehors. La langue est son organe, et les lèvres son écrin.

Voilà pourquoi les Egyptiens qui, plus que les autres païens d'autrefois, ont eu des vues étonnantes sur la Divinité, chantèrent « le Mystère du Verbe Créateur », en même temps qu'ils s'inclinèrent devant le Coeur de Dieu et devant tout ce que le cœur humain renferme de bon.

Et c'est la raison de la vénération qu'ils eurent pour le perséa, cet arbuste symbolique qu'ils consacrèrent à Isis « parce que son fruit ressemble à un coeur et sa feuille à une langue[2] ».

Le sage d'Egypte ne regardait pas seulement le coeur comme l'organe affectif de l'homme, mais encore comme la vraie source de son intelligence ; pour lui, la pensée naissait d'un mouvement du coeur, et s'extériorisait par la parole; le cerveau n'était considéré que comme un relai où la parole peut s'arrêter, mais qu'elle franchit souvent d'un élan spontané.

Le chant n'est que l'épanouissement de la parole. Quand le coeur est trop gonflé par une intense émotion, quand il vibre non seulement en surface mais dans le tréfonds de ses fibres, la parole, alors, devient insuffisante, et l'homme chante. Il chante de joie ou de douleur car le sanglot n'est que le chant des déchirements de son coeur.

La première musique humaine est née de la première grande joie ou de la première grande douleur.

Bientôt, la voix que Dieu lui a donnée ne suffit plus à l'homme pour soulager le poids de ses bonheurs ou de ses détresses : ce fut alors qu'il inventa les instruments de musique.

Le premier, dit-on, fut la flûte, la flûte de roseau qui chante comme la voix des oiseaux ; et le second fut la lyre qui chante et pleure comme la voix humaine ; la lyre aux charmes de laquelle les pythagoriciens recourraient avant de se livrer au sommeil « afin d'apaiser et d'enchanter les éléments instinctifs et passionnés de leur âme[3]».

Combien de fois l'art ancien a-t-il célébré la lutte musicale de Pan et d'Apollon !... Pan, le dieu champêtre et sensuel que des pieds fourchus d'herbivore relient à la terre, défie, avec sa flûte à tuyaux réunis, Apollon, le dieu de la lumière, et sa lyre... Tous deux jouent avec grand talent, mais de la lyre s'envolent des accords si beaux que la flûte, auprès d'eux, ne semble que balbutier... Pourtant, le roi Midas, l'arbitre de là lutte harmonieuse, étrangement aveuglé, se prononce pour Pan contre Apollon. Et celui-ci,, pour l'en châtier lui inflige une paire d'oreilles d'âne.

Ce n'est là qu'un apologue qui nous montre à quel point passions et préjugés peuvent fausser la clairvoyance et l'impartialité d'un juge. Mais les mystiques chrétiens des siècles

passés ont vu dans cette fiction, par analogie, bien autre chose : la voix même du Christ qui chante aux hommes la loi salutaire, la voix du vrai Dieu de lumière luttant contre la voix ennemie qui les appelle aussi[4].

Des chants très anciens, composés par les rapsodes et les aèdes de Grèce longtemps avant la venue du Seigneur, glorifiaient, aussi le combat d'Apollon, fils du Dieu suprême, contre le reptile ennemi ; tel par exemple, cet hymne dont le texte, découvert sur les marbres du temple de Delphes, en 1894, commence ainsi : « Dieu dont la lyre est d'or, Fils du grand Zeus, sur le sommet de ces monts neigeux, toi qui répands sur les mortels d'immortels oracles, je dirai comment tu conquis le trépied prophétique gardé par le Dragon, quand, de tes traits, tu mis en fuite le monstre affreux aux tortueux replis[5]... !

Cette lyre d'Apollon musicien et dieu, et la lyre d'Orphée, poète divinisé, emblèmes toutes deux du Verbe surhumain, ont trouvé le plus favorable accueil chez les anciens symbolistes chrétiens :

Si certains côtés de la fiction d'Apollon, dieu païen de la lumière, de la blancheur, de l'harmonie, de l'éloquence et de la beauté leur apparurent comme un élément acceptable d'analogies emblématiques avec les réalités du Christ, le mythe d'Orphée, bien plus encore, se prêta à des rapprochements qu'ils estimèrent heureux.

On sait ce que la Légende grecque raconte d'Orphée : Fils, disent les uns, d'Apollon lui-même et de Clio, du roi Enéagre de Thrace et de Calliope, disent les autres — en réalité,

croit-on, d'une prêtresse d'Apollon— Orphée aurait appris du célèbre Linus, et dès son tout jeune âge, à unir aux accords de la lyre sa voix, qui était d'une inégalable beauté.

Et bientôt, son génie s'élevant toujours, il parvint à la suprême puissance de l'art ; en sorte que, parfois, les êtres les moins dociles et les plus redoutables, et même l'inerte matière lui étaient soumis : aux ineffables harmonies qui s'envolaient de sa lyre et de ses lèvres les oiseaux venaient pour s'unir à ses concerts ; les fauves les plus féroces, devenus attentifs et doux, se couchaient à ses pieds pour l'écouter ; les arbres dénudés se couvraient de verdure et les boutons s'épanouissaient en frémissant quand il chantait ; les vents et les grêles et les foudres des ouragans s'apaisaient, et les navires enlisés dans les sables des grèves allaient d'eux-mêmes à la pleine eau quand la voix enchanteresse d'Orphée s'élançait de son coeur et planait au-dessus des choses...

Orphée qui avait suivi les Argonautes à la conquête de la toison d'or, revint ensuite en Thrace, sa patrie; et voilà qu'un jour, ô jour de deuil ! les femmes de Thrace, furieuses de l'indifférence que le poète, fidèle au souvenir d'Euridice, leur témoignait, le mirent à mort et jetèrent ses restes déchirés dans l'Hèbre.

Mais le fleuve emporta doucement jusqu'à Lesbos, et sans les vouloir engloutir, sa tête aux lèvres inspirées et sa lyre qui flottait près d'elle.

Cette légende d'Orphée grandit encore ; on raconta qu'à Lesbos sa tête et sa lyre rendaient des oracles, et les Grecs ne parlèrent plus que du « divin Orphée.

Des rites mystérieux et d'origine céleste, disait-on, avaient été apportés par lui de Thrace en Grèce, et les sages estimaient qu'ils contenaient les secrets de l'efficace purification, seul moyen d'accession à l'immortalité heureuse.

Ces mystères orphiques se basaient sur la fiction de Dyonisios-Zagreus : Coré, fille de Cères, engendra de Zeus, le dieu suprême, un enfant appelé Zagreus ; Héra[6], jalouse de Coré fit déchirer le nouveau-né par les Titans qui le mirent en pièces, mais la sage Athéna[7] sauva le coeur de Zagreus, et l'enfant renaquit de son propre coeur sous le nom de Dyonisios.

Les rites religieux basés sur cette fiction mystérieuse de Zagreus avaient pour but d'assurer au fidèle initié, au myste, la félicité éternelle : homme, il ne pouvait y prétendre et devait, pour y parvenir, se diviniser, c'est-à-dire se purifier par la souffrance et mourir à ce qui est, pour ressusciter dans une âme nouvelle. Les souffrances de Zagreus, sa mort et sa renaissance étaient l'allégorie des étapes de cette palingénésie, c'est-à-dire de cette régénération de l'âme humaine en vue de son admission au bonheur éternel et suprême.

Orphée apparaissait donc aux initiés grecs des mystères de Zagreus-Dyonisios, comme une sorte de sauveur qui leur avait apporté la clef de la vie heureuse pour l'au-delà de la tombe.

Et les poésies écrites qui lui étaient attribuées continuaient la magique puissance de son talent et gardaient autour de son nom la prestigieuse auréole des premiers temps.

De toutes les fictions inventées par l'exubérante imagination des poètes et des mystiques antérieurs à notre ère pour glorifier le verbe humain, aucune, autant que celle d'Orphée,

n'a impressionné les chrétiens des premiers siècles. Et parmi la grande quantité de rites de mystères, de cultes mêlés de sublimités et d'abominations que les paganismes antiques ont connus, aucun, sauf peut-être certains concepts égyptiens, ne se sont approchés autant de quelques-unes des vérités chrétiennes que les théories orphiques.

C'est pourquoi les premiers maîtres chrétiens de Grèce et de Rome virent, dans les légendes relatives au sublime artiste de Thrace charmant par sa voix les animaux sauvages, et se faisant suivre d'eux, la providentielle image du Christ béni appelant les hommes de toutes races à la foi nouvelle ; et sans doute virent-ils aussi, dans les rites orphiques de purification, la lueur anticipée de la spiritualité chrétienne, née plus tard des paroles enseignantes de Jésus.

 

[1] Regnabit Xbre 1925. [2] Plutarque. Isis et Osiris, c. 68 ; — Le perséa des Egyptiens devait être l'une des trente et quelques variétés de « Manguier », dont, en effet, les fruits sont cordiformes et les feuilles lancéolées. [3] Plutarque : Isis et Osiris, c. 79. 4] Et ce rapprochement pourrait aussi s'établir avec ce que les mythologues égyptiens racontent d'Hermès qui, après avoir enlevé au mauvais génie Tryphon ses nerfs, en fit des cordes pour sa lyre.—Cf. Plutarque. Isis et Osiris, c. 55. [5] Traduct. de MM. Reinach et G. d'Eichthal. [6] Chez les Grecs. Zeus, Coré et Héra étaient les mêmes mythes que Jupiter Proserpine et Junon chez les Romains. [7] Athéna, c'est Minerve, déesse de la sagesse.

De plus, pour toute une partie de la société païenne « Orphée représentait, dit Heussner[1], l'idée d'immortalité, et, à ce titre, il fut admis par les premiers chrétiens comme un témoin antique de leurs propres espérances. »

Cette interprétation peut être considérée comme une variante de celle de Schultze qui voit dans l'Orphée des Catacombes «un prophète païen du Christianisme[2] «, opinion que Dom Leclercq appuie de sa haute autorité.[3]

Car, aux saintes Catacombes de Rome, l'image d'Orphée, avec sa lyre et son cortège d'animaux, voisine avec celles des fondateurs de notre religion dans l'impressionnant décor de ces chambres souterraines où furent ensevelis nos grands martyrs.

Ainsi le voit-on dans la catacombe de Domitille, dans celle de saint Callixte et ailleurs.

Il est possible que, dans certaines de ces peintures vénérables, Orphée ne soit figuré, selon le mot de Schultze, qu'au titre de prophète païen du Christianisme, mais il demeure certain qu'il fut quelquefois une image du Seigneur Jésus-Christ lui même, du Verbe divin, peint sous ses traits.

En voici peut être l'un des plus curieux témoignages : Un peu avant 1900, des terrassiers, creusant le sol dans l'ancien bourg gaulois de Loudun (Vienne) pour y asseoir un mur, trouvèrent, au milieu de charbons, de cendres, et de débris céramiques, une pierre calcaire sculptée au couteau qu'ils portèrent, peu d'heures après, au savant archéologue loudunnais, M. Joseph Moreau de la Ronde. Celui-ci se rendît au lieu de la découverte et reconnut, pour en avoir étudié précédemment un bon nombre dans ce même sol, que la pierre sculptée provenait du foyer d'une sépulture incinérée, ce qui permet de la dater de la fin du IIIe siècle de notre ère, ou du début du IVe. C'était l'époque où, à cent mètres au-dessus de l'endroit où elle fut trouvée, furent décapités, d'après la tradition locale, les saints Clair et Lucain, victimes de la persécution de Maximieri. (296-305).

La pierre porte, d'un côté, le chiffre de Iesus-Xrist, un I sur un X, et deux colombes adorent le monogramme divin. Ce motif, répété deux fois, est une indéniable preuve du caractère chrétien de la pierre. Sur son autre face, un personnage drapé à l'antique tient, du bras gauche, une lyre ; et de chaque côté de lui deux oiseaux chantent. C'est donc bien en apparence une image d'Orphée ; mais à ses pieds un fidèle prie, à genoux, et, près de chacun des oiseaux, se trouve, pareille à celles qu'on voit aux Catacombes, la représentation d'un pain eucharistique.

Dans ce décor tout chrétien, en si parfait accord, avec le chiffre de Jésus-Christ gravé de l'autre côté, sous l'image poétique d'Orphée c'est le Sauveur du monde qui apparaît, divin charmeur des Ames[4].

La présence à Loudun de cette icône du Christ-Orphée peut s'expliquer ainsi : Immédiatement au-dessus du terrain qui l'a fournie se trouvait l'ancienne forteresse romaine de Lugriunum dont les murs et les tours ont encore, à certains endroits, deux ou trois mètres de hauteur. Cette enceinte qui  comprenait cinq hectares de terrain, avec prétoire et bâtiments sur hypocaustes, devait loger, avec une garnison à demeure, les légions en marche ; il est donc de toute vraisemblance qu'il se trouva, parmi les légionnaires de passage ou d'habitat, quelques chrétiens instruits, venus de Rome et que l'un d'eux mourut au cours de son séjour. Son incinération aurait, été, en cette occurrence, commandée d'office, mais la pierre d'Orphée déposée sans doute avec ses cendres par la main d'un coreligionnaire, nous est un témoignage de sa foi devenue notre foi.

Je ne connais qu'une autre figuration du Christ-Orphée, de ces temps lointains, trouvée sur le sol de France: elle est sculptée sur un sarcophage chrétien découvert à Cacarens (Gers).

Il représente Orphée jouant de la lyre au milieu des brebis fidèles. En étudiant ce sarcophage à l'Académie des Inscriptions, le 13 avril 1894, M. E, Le Blant fit remarquer que c'était le seul monument de cette sorte trouvé en Gaule. La pierre de Loudun qui revoyait le jour vers cette même époque est plus ancienne que le sarcophage de Cacarens.

En Italie l'image d'Orphée a été assez souvent adoptée pour la décoration des tombeaux chrétiens des premiers siècles ; et ce choix, comme sa présence dans la sépulture incinérée de Loudun, peut s'expliquer par le fait que le monde antique regardait Orphée comme personnifiant l'idée d'immortalité.

Les arts du Moyen-Age, du moins en France, délaissèrent, à tort, l'image d'Orphée comme l'emblème de la parole du Sauveur.

On la retrouve cependant parmi les sculptures bénédictines de la grande abbaye de Cluny, au XIe siècle ; le poète y représente le chant grégorien en son troisième ton. A la Cathédrale de Reims, il figure également sur les sculptures du XIIe siècle, en compagnie d'Arion et de Pythagore, pour représenter la Musique[5].

La lyre fut aussi employée seule pour symboliser l'harmonie et jusqu'en ces derniers siècles conserva même son sens d'emblème direct du Sauveur.

Quand, en 1648, les moines cisterciens de l'Abbaye du Pin-en-Béruges, au diocèse de Poitiers, firent restaurer leur abbaye, ils la couvrirent de longues tuiles plates ornées, au trait creusé, d'emblèmes religieux : On y voit la Lyre-Christ marquée en son milieu du monogramme de Iesus, I. H. S. 

Orphée, dans l'attitude de Mithra (la lyre brisée), sur un antique sarcophage chrétien du Musée du Vatican. ET Orphée sur une sculpture de l'Abbaye de Cluny, XIe siècle.

J'ai déjà reproduit en cette Revue[6], et je répète ici, la lyre-Coeur de Jésus sculptée sur un vieux meuble du monastère des Bénédictines du Calvaire, à Loudun, XVII-XVIIIe siècle, et cette sculpture me ramène, pour finir, aux habituelles études de Regnabit.

En suis-je donc sorti avec les vieilles fictions païennes d'Apollon et d'Orphée ?... Bien moins, je crois, en réalité qu'en apparence.

Cette lyre du Christ-Orphée, image de la Parole jaillie du Coeur divin, ne rappelle-t-elle pas les visions qui ravissaient, au XIV de notre ère, l’âme de Ste Gertrude ?

«Tantôt le Coeur de Jésus lui apparaît comme une lyre harmonieuse vers laquelle se penche doucement la Sainte-Trinité que réjouissent les suaves mélodies de cet instrument. L'adorable Trinité y dispose trois cordes dont le doux accord doit suppléer aux manquements de Gertrude, et ces trois cordes sont la puissance du Père, la sagesse du Fils et l'amour du Saint-Esprit[7].

Tuile plate, portant la Lyre mystique. Abbaye du Pin-en-Beruges 1648. Musée des Antiq. de l'Ouest, à Poitiers. ET La Lyre mystique. Sculpture sur bois de' l'ancien monastère des Calvairiennes de Loudun — XVII-XVIIIe s.

Faire ainsi chanter ensemble par le Coeur-Lyre de Jésus les perfections divines ne semble-t-il pas être comme l'épanouissement, la floraison chrétienne de cette conception, splendide de grandeur, qu'énonçait déjà, six siècles avant la nuit de Bethléem, l'école de Pythagore : « Faire des sept orbes planétaires une lyre céleste donnant les sept notes de la gamme par la proportion de leurs distances respectives[8] (1), et faire qu'ainsi, toute l'immensité de l'Espace vibrât d'un coup, dans un hymne sans pareil, à la gloire de la Divinité.

Dieu a voulu, parce que dans tous les paganismes de très belles âmes l'ont servi, sans pourtant assez le connaître, dans toute la droiture de leur coeur, que le rayon de son soleil les illuminât ; et, de loin en loin, des inspirés se sont levés pour acclamer à leur façon ce Verbe divin qui parlait en eux au milieu d'un tumulte d'erreurs. Tous croyaient à leur manière connaître Dieu, le vrai Dieu, et nous pouvons discerner, en y regardant bien, dans les profils des mythes anciens qu'ils ont créés des traits à peine esquissés que nous retrouvons, resplendissants, dans la Personne du Sauveur.

Qui donc sait si, éclairés par des traditions multi-millénaires ou par de divines lumières intérieures les Mages de l'Asie ne l'ont point très obscurément pressenti sous la figure emblématique d'Indra ; Zoroastre, sous l'auréole brûlante d'Ormuz au coeur de feu ; Hermès, sous la tiare d'Osiris, alors que se chantait devant les Pyramides et le Spninx, le mystère du Verbe Créateur-y Orphée, peut-être, sous les traits de Zagreus renaissant de son propre coeur ; et Pythagore, sous le nom du Divin Logos, la Parole créatrice et vivifiante ?

A toutes ces soifs, à toutes ces insoupçonnées aspirations de la vieille humanité vers Celui qui devait venir, ce fut Jean le Bien-Aimé qui jeta le mot apaisant, après que Jésus eut consommé son Œuvre :

« Le Verbe de Dieu s'est fait chair, et il a demeuré parmi nous

Si le sang qui sortit, au jour de sa mort, de sa poitrine entr'ouverte est vraiment la sève de son Coeur, son Verbe, sa Parole en est la Fleur.

Et profonde est la pensée qui fit sculpter, comme étant un même tout emblématique, le Coeur du Christ image de son amour, source de son Sang, et la Lyre, image de sa parole, Fleur de son Coeur.

Loudun (Vienne).

 

L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

 

1] Cf. Heussner : Die altchristlichen.Orplieusdarstellimgen. [2] Cf. Revue de l'Histoire des Relig., 1894, p. 243. [3] Dom H. Leclercq : Manuel d'archéol. chrét. T. I. p. 128, [4] Je dois la possession de cet intéressant document à la grande amabilité de M. André Moreau de la Ronde, fils de l'archéologue, qui a bien voulu me l'offrir en faveur des études que je poursuis.  [5] Cf. Barbier de Montault : Traité d'Iconographie chrétienne. T. I. p. 307 et PI. XVII. [6] Regnabit, juillet 1925 p. 99. [7] Dom Berlière, La Dévotion au Sacré Coeur dans l'Ordre de Saint-Benoît, p. 32. [8] Bouché-Leclerq, Les Précurseurs de l’Astrologie Grecque, I.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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L'ICONOGRAPHIE DU CŒUR DE JÉSUS

LE CŒUR : " FONTAINE DE VIE & DE SAINTETÉ ".

La Société des Antiquaires de l'Ouest possède dans un de ses musées de Poitiers, celui des Augustins, un vase du XVIIe siècle dont la décoration entre dans le cadre des études de Regnabit. C'est une grande hydrie ou buire, fontaine à eau, d'environ 35 centimètres de hauteur, pansue comme une jarre provençale et munie de deux anses à la façon des amphores antiques.

Faite de terre cuite, elle est recouverte d'un glacé de couleur vert-grisâtre ; son large col était jadis fermé par un chapeau de même nature dont le centre proéminent devait se terminer par un bouton de préhension plus ou moins ornementé.

Comme toute décoration ce vase porte, à son col, le visage radieux du soleil et, à sa base, le Cœur de Jésus dont l'extrémité inférieure se prolonge en tube d’écoulement pour conduire au dehors le liquide du dedans. Ce Cœur est surmonté d'une croix placée entre deux flammes rigides, sèchement infléchies en crosses ; c'est donc bien l'image incontestable du Cœur de Jésus-Christ.

A première vue, la transformation du Cœur Sacré en vulgaire robinet de fontaine-lavabo paraît d'une hardiesse peu heureuse, pour ne pas dire absolument irrespectueuse ; pourtant, si peu enthousiaste que je sois de la symbolique du XVIIe siècle, descendante anémiée souvent de celle du Moyen-Age, il me semble qu'elle a atteint, cette fois, une droiture et une plénitude de sens inaccoutumés, parce qu'elle s'est inspirée là, directement des Livres-sacrés, et non du mièvre sentimentalisme qui presque toujours la sert mal.

Buire-fontaine du musée des Augustins, à Poitiers.

Et c'est la margelle d'un puits, plus ancien qu'elle, qui va nous donner, j'ose croire, le mot de l'énigme du Cœur de la buire-fontaine de Poitiers : Dans la cour d'honneur du château du Bois-Rogues, près de Loudun, où jadis  François 1er fit conduire, pour une captivité fort relative et toute seigneuriale, Maximilien Sforza, duc de Milan, se trouvait encore, au XIXe siècle, un puits d'époque Renaissance où l'on voyait, sous le monogramme du nom de Jésus chargé d'une croix dont la hampe portait le Coeur sacré, l'inscription suivante: Haurietis aquas in gaudio de fontibus salvatoris. « Vous puiserez dans la joie les eaux des fontaines du salut. »

Ce puits n'existe plus, et l'inscription que je reproduis ici[1]  ne nous est conservée que par la copie qu'en fit, le 23 juillet 1863 le savant archéologue loudunais Joseph Moreau de la Ronde comme terme de comparaison avec l'inscription ciselée sur le puits de sa propre demeure patrimoniale de La Ronde, près Loudun, qui portait aussi, mais en lettres du XVIIe siècle : Haurietis aquas in gaudio de fontibus salvatoris. Isayae II.

 

Inscription d'un puits du XVI" siècle' Château du Bois-Rogues. près Loudun ( Vienne)

Le puits de la Ronde, comme celui du Bois-Rogues, a été rasé et comblé; mais, à la démolition de sa margelle, la pierre chargée de l'inscription a été encastrée au-dessus de la porte d'un pavillon du jardin où elle est encore.

HAVRIETIS AQVAS

IN GAVDIO DE FONTI

BVS SALVATORIS ISAYAE II

Inscription du puits du château de la Ronde, près Loudun (Vienne)

La référence qu'elle donne des paroles bibliques n'est pas absolument exacte : elles sont bien du prophète Isaie, non en son chapitre IIe, mais au XIIe, verset 3e, où elles commencent le magnifique passage que voici :

3)- Vous puiserez avec allégresse les eaux des fontaines de salut.

4)-Et vous chanterez ce jour-là: Rendez-grâce au Seigneur d'Israël, invoquez son nom, publiez devant  les peuples ses merveilles et proclamez qu'il est un asile assuré »

Ainsi donc, pour la pensée qui a présidé, durant la première moitié du XVIe siècle, à l'épigraphie du puits du Bois-Rogues, il n'y avait aucun doute, aucune hésitation : la « source du salut », la « fontaine du Sauveur » selon la traduction de saint Bernard, la « font salvatrice » auraient dit alors nos pères du Poitou, c'est le Coeur même du Sauveur Jésus, le Coeur qui sur la pierre du puits, fait corps avec la croix rédemptrice, avec le nom de Jésus, i H s ; et c'est devant lui, en relation immédiate avec lui, que s'aligne l’Haurietis aquas d'Isaïe.

Et pour qui veut aller plus loin que la matérialité apparente et superficielle des mots, l'eau limpide du puits, vivifiante et purificatrice, n'est plus que la matérielle image, que la figure emblématique de l'invisible don divin jailli du Coeur et fluant pour redonner aux âmes, dans la joie salutaire, la purification et la vie de justice.

Impossible me semble-t-il, de donner en dehors de cette interprétation, aucun sens vraisemblable et solide, à la compénétration, à la juxtaposition du Coeur, de la Croix, du monogramme et du texte biblique.

Et cette même pensée, cette proclamation que le Coeur du Sauveur est bien la source de notre rédemption par l'effacement, disons le mot vulgaire, par le « lavage » des humaines culpabilités, cette pensée, pour être moins ostensiblement écrite, me paraît aussi nettement exprimée sur la buire-fontaine de Poitiers. Là, nulle inscription ne nous en dit le consolant secret, mais le fait de faire découler du Coeur divin lui-même le liquide bienfaisant, n'est-il point un éloquent langage ? La main du potier qui l'a ainsi stabilisé dans son charitable office ne semble-t-elle pas avoir voulu lui faire crier à tous : Ô vous qui êtes souillés, venez à moi qui suis la source et le moyen de toute purification et vous retrouverez ainsi la vivante splendeur de vos âmes... ?

Et, d'elles-mêmes, les paroles des actuelles Litanies du Sacré-Coeur viennent en l'esprit :

Cor Jesu, fons vitae et sanctitatis.

Coeur de Jésus, vous êtes la fontaine de la Vie et de la Sainteté.

Et plus loin, quand le même texte liturgique le salue du titre de « Fontaine de toute consolation », la pensée ne rejaillit-elle pas vers l'« ingaudio » du livre d'Isaïe ?

Certes, en appliquant au Coeur de Jésus l’Haurietis aquas du prophète, l'inspirateur de la sculpture du Bois-Rogues n'était point un inventeur, il arrivait après trop d'autres.

En étudiant magnifiquement, dans le dernier fascicule de Regnabit, le Sermon de saint Bernard pour la Nativité du Seigneur » Dom P. Séjourné en a reproduit les passages par lesquels le grand Abbé montrait à ses moines du XIIe siècle «les sources du Sauveur » : la « source de miséricorde » qui purifie ; la « source de sagesse» qui satisfait l'âme ; « la source de grâce » qui l'arrose et la fait croître; la «source de zèle » où le coeur du chrétien va puiser ses ardeurs. Et le grand mystique d'ajouter : « Voyez si ce ne seraient point là les fontaines dont Isaïe par avance aurait dit : « Vous puiserez avec joie les eaux des sources du Sauveur ». Puis, ayant contemplé ces quatre sources qu'il apparente avec les plaies des quatre membres de Jésus crucifié, le saint se recueille, et tournant ses regards vers la plaie béante du Coeur, la désigne comme la source suprême, celle même de la vie, de la vie véritable qui commence pour l'homme à l'émission du dernier soupir de Sa poitrine. C'est pourquoi je tiens pour certain que si le grand abbé de Citeaux avait vu le potier poitevin modeler dans la glaise le coeur-fontaine qui décore l'hydrie des Antiquaires de l'Ouest, il se serait incliné devant cette image évocatrice en murmurant l’Haurietis aquas d'Isaïe.

* * *

J'ose même aller plus loin dans ce même sillon du domaine de l'interprétation iconographique, au sujet d'un autre vase à eau, sur lequel l'incomparable artiste qui l'a conçu me semble avoir obéi à une inspiration mystique assez voisine de celle qui guida le céramiste de la buire-fontaine de Poitiers.

A trois lieues de Loudun et de ce château du Bois-Rogues où le Coeur de Jésus surmontait l'inscription du puits, à l'époque même où la parole biblique y fut gravée, les Gouffier d'Oiron, ducs de Roannais, demeuraient en leur princière résidence d'Oiron dont ils faisaient un foyer où les arts — tous les arts — recevaient un culte fervent. Hélène de riangest, duchesse de Roannais, faisait alors modeler dans les ateliers voisins de Saint-Porchaire, ces merveilleuses faïences, dites d'Oiron, qui sont les plus purs, les plus splendides joyaux de notre céramique française et dont les moindres débris sont aujourd'hui prisés, littéralement, bien plus que leur poids d'or [2].

 

[1]  J’ai déjà cité ce document, dans l'Echo de Saint Gabriel ; ann. 1904, p. 8. [2]  On ne connaît que six ou sept pièces entières des faïences d'Oiron qui ont été classées dans la collection Rothschild et dans les anciennes collections Sauvageo et Dutuit, lesquelles sont au Louvre. Le seul chandelier de faïence émaillée au chiffre de Henri II, fut acheté par Dutuit, à la fin du XIX e siècle, 91.000 fr, sans les frais. C'est dire la magnificence dd ces pièces et leur insensée valeur actuelle  (Cf. Les Arts, ann. 1902, n° 18, p. 3.).

L'ancienne collection Dutuit possédait trois pièces d'Oiron ; l'une d'elle, une buire à eau, porte à la courbure de sa panse, sur un fond blanc laiteux et dans la magie d'un décor fou d'entrelacs et d'arabesques de couleurs varices, un cartouche unicolore sur lequel un emblématique pélican s'ouvre la poitrine pour, par l'ablution de son sang,  rendre la vie à sa couvée.

Cette source empourprée ouverte au coeur de l'oiseau qui, par son moyen, redonne l'existence à des êtres morts, est-elle d’une conception bien différente de la cinquième source ouverte au flanc divin, dont parle saint Bernard ? Car, ne l'oublions pas, dans l'iconographie chrétienne du Moyen-Age, du Xe siècle à la Renaissance, le Pélican se frappant au coeur, « s'acorant », est un emblème de la Rédemption revivifiante et non de l'Eucharistie.

Écoutons Guillaume de Normandie, l'un des maîtres les plus sûrs de la symbolique au XIIe siècle, et qui, dans son Bestiaire divin, nous dit :

« Les petits du Pélican devenus grands frappent leur père de leurs becs et celui-ci dans sa juste colère les tue ; mais trois jours après il revient vers eux, se perce le flanc, et son sang répandu sur eux, les rappelle à la vie ». Puis Guillaume fait l'application de cette fiction touchante au Sauveur Jésus. Tout cela est développé dans quatre-vingt-quinze vers romans dont la reproduction serait trop longue ici[1] .

Le Pélican sur une faïence d'Oirons XVIe.

Albert le Grand, Vincent de Beauvais, Hugues de saint-Victor ont expliqué le symbole du Pélican par le même fabuleux récit ; chez eux, tous les oisillons révoltés et châtiés à mort sont purifiés, lavés, pardonnes et rendus à la vie par la seule ablution du sang paternel, et non par son incorporation en tant que nourriture. Les morts ne sauraient être alimentés. Et si saint Augustin, commentant le Psaume 101, pressentit que le Pélican deviendrait un emblème eucharistique, sa pensée n'a point trouvé d'écho dans l'iconographie médiévale.

C'est pourquoi, quand saint Thomas d'Aquin, dans l'hymne Adoro te de son Office du Saint Sacrement, à son tour appliquera la figure du Pélican au Sauveur, il n'exprimera lui aussi que l'idée du rachat de l'âme humaine par l'ablution purificatrice du sang divin, et non par l'acte de nutrition eucharistique :

Pie Pellicane, Jesu Domine Me immundum manda tuo sanguine,

Cujus una stilla salvum facere Totum mundum quit ab omni scelere.

Pélican plein de bonté, Lavez dans votre sang nos souillures : une goutte suffit pour effacer tous les péchés du monde.

Au temps même où le génial céramiste de la duchesse de Roannais pliait les courbes molles des anses et décorait les contours de sa buire, du Bartras [2], en son style de l'école de Ronsard, donnait au Pélican symbolique le même sens mystique que les auteurs des siècles précédents. Ce n'est qu'après eux tous, par altération, par nescience de la pensée les grands siècles d'intellectualisme chrétien, que le Pélican devint l'un de symboles tardifs de l'Eucharistie. Voilà pourquoi les artistes, sculpteurs, peintres et ciseleurs du Moyen-Age le plaçaient quasi toujours au sommet de la croix ou dans le branchage de « l'Arbre de Vie ».

Sur une buire ancienne, je vois le Pélican en rapport direct d'idée avec la fiction qui le montre purifiant, ressuscitant et revivifiant à la source de son coeur, et par toute la sève de son coeur, sang et eau, ses enfants coupables et mortellement châtiés. N'est point vraiment là, dans le plus chaud symbole de son effusion, cette Eau que saint Jean vit, en l'île de Pathmos, « sortir du côté droit du Temple », et « qui sauve tous ceux qui en sont touchés », cette source purificatrice sur laquelle toute l'âme mystique du Moyen-Age s'est penchée avec la joie « du cerf altéré sur l'eau des fontaines, selon l'expression du Psaume 41, et qu'elle a magnifiée de tant de façons ?[3]

Suis-je donc trop osé en accordant au Pélican, sur la buire d'Oiron, une valeur anagogique quasi égale à celle du Cœur-fontaine de la buire de Poitiers, et quasi aussi la même signification ? Pour les deux inspirateurs de ces vases, comme pour la pensée qui a décoré le puits du Bois Rogues, l'eau qui fluait des uns et de l'autre apportait aux corps revivification et purification physique et matérielle, et, du Coeur ouvert du Sauveur, représenté dans sa forme ou figuré par le Pélican blessé, coulait, pour les âmes, « la source de vie et de toute sainteté ».

Et pour qu'on ne s'illusionne pas au point de croire réservé jadis exclusivement à l'élite intellectuelle des fidèles, ce symbolisme à la hauteur duquel la j-piété peut cependant hausser les simples, descendant l'échelle des temps et, jusqu'à l'extrême, l'étiage des arts, je veux graver en terminant l'image d'un bénitier tout populaire de mon voisinage; un de ces pauvres bénitiers de chevet où se signaient ceux de nos anciens qui portaient la veste de bure ou la blouse de toile, et nos grand'mères en robes de droguet ou de futaine. Il est fait de la plus grossière faïence du XVIIe siècle ou du XVIIIe, comme les vieilles assiettes des foyers campagnards, et son ornementation polychrome est de la naïveté la plus enfantine.

Or, sa vasque même, la vasque où repose l'eau sacramentale et bénite est faite du Coeur même de Jésus. C'est donc jusqu'en Lui-même, que le doigt du chrétien allait puiser l'eau salutaire, exorcisante et protectrice. Là aussi, on aurait pu écrire : Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris.

Bénitier campagnard loudunais, XVIIe ou XVIIIe s.

Loudun (Vienne)

CHARBONNEAU-LASSAY

 


[1]  Cf. C. Hippeau : Le Bestiaire Divin de Guillaume, Clerc de Normandie, VI, p. 93 et 207. Caen, Hardel 1852. [2] Cf. Hippeau : ouvrage cité, p. 96. [3] C'est la même idée de purification par l'ablution, par le bain, qui a présidé à la composition des " Fontaines de vie " par lesquelles le XVe siècle à glorifié l'action rédemptrice du Saint Sang, et qui ont inspiré à l'éminent maître Emile Mâle des pages qui sont de la belle et pure lumière d'archéologie sacrée (L'art religieux à la fin du Moyen-Age en France - Paris, Colin 1922 - p. 110 et suivantes.) Le thème ordinaire de ces " fontaines de vie " est ainsi réalisé : La croix ou expire Jésus crucifié s'élève d'une vasque dans laquelle le sang pleut de ses cinq plaies et surtout de celle du coeur, comme de cinq sources, en telle abondance que la vasque en est toute pleine ; et les pécheurs s'y viennent efficacement laver et baigner complètement. C'est " la fontaine du Sauveur ".., " le bain de vie " ".., la fontaine de pureté " selon les termes mêmes des hymnes liturgiques contemporains que cite Émile Mâle.

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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LE SACRÉ-COEUR DU DONJON DE CHINON

attribué aux Chevaliers du Temple (Second Article)

J'ai donné dans Regnabit, en janvier dernier, la réduction de la gravure murale du donjon du Coudray, à Chinon, où paraît un coeur rayonnant entouré de personnages et de signes énigniatiques.

Cette image, je l'ai taillée d'après un simple levé à vue, pris sous la mauvaise lumière d'un jour de pluie qui rendait plus sombre encore la sombre salle où il se trouve. Depuis lors, le très distingué directeur du Hiéron de Paray, Mr de Noaillat s'est rendu à Chinon, et là, à pied d'oeuvre, son Regnabit à la main, il a comparé l'original et le dessin ; puis, de lui-même, s'est empressé, ce dont je lui reste très reconnaissant, d'assurer à Regnabit que la reproduction donnée est bien exacte.

J'ai cependant voulu ces jours derniers revoir le graffite de Chinon par un jour de clair soleil et à l'heure où les rayons, face à la porte, éclairent d’une caresse oblique les traits creusés, et les font ressortir pleinement. C'est ainsi que j'ai corrigé une différence de proportion entre deux figures, sans importance du reste, et que j'ai relevé quelques menus détails inaperçus d'abord, notamment un I H S en cursive gothique, devant le personnage agenouillé qui porte au bras gauche son bouclier.

Je consigne ce nouvel et définitif état dans les planches incluses en ces lignes qui donnent plus en grand, la partie principale de la précieuse gravure murale du château de Chinon.

Le premier article la concernant a valu à son auteur un afflux assez considérable de lettres qui témoignent de l'intérêt que les érudits catholiques accordent à l'iconographie du Sacré-Coeur.

Une seule de ces lettres refuse absolument de reconnaître dans le coeur représenté à Chinon celui de Jésus-Christ. Comme cette opinion ne repose que sur la prétendue impossibilité théorique d'une représentation du Coeur divin au début du XIVe siècle, elle se modifiera d'elle-même, je l'espère, quand Regnabit aura donné la preuve facile qu'une indiscutable inocographie du Cœur de Jésus a vraiment précédé, de bien plus d'un siècle, son culte liturgique.

Il n'y a pas du reste, ce me semble, d'impossibilité chronologique qui puisse tenir devant ces faits d'une réalité matérielle indéniable :

a) que le Coeur de Chinon est le centre d'une gloire rayonnante; ce qui dans l’ensemble d'une composition où tout est prière ardente, supplication et réparation, lui donne une importance tellement supérieure à celle des autres figures qu'elle ne saurait convenir à aucun cœur humain.

b) qu'en traçant son ouvrage le graveur pensait certainement à la plaie du Côté divin puisqu'en deux endroits la lance y paraît appointée à la place qu'occupait sur la Croix le flanc du Sauveur crucifié.

c) que ce Cœur rayonnant de gloire est contemplé par un personnage dont le caractère de sainteté est indiscutablement affirmé par le nimbe qui l'entoure et que, partant, ce cœur ne peut être que Celui du Sauveur.

Un autre correspondant me dit : si l'objet représenté est bien un cœur, ce ne peut être assurément que le Cœur divin, mais n'est-ce point plutôt un bouclier, un écu de chevalier ? Non, très certainement. Un bouclier rayonnant et sur lequel ne paraît aucune figure de blason — car la surface excavée a été lissée avec un soin extrême — n'aurait aucun sens possible; puis, un bouclier représenté en creux n'aurait pas, ne pourrait pas avoir, cette forme extraordinairement concave. Qu'on rapproche la coupe horizontale ci-contre :

de la coupe verticale donnée en janvier et l'on verra combien l'hypothèse du bouclier est inacceptable.

Je sais bien que ce même contour fut donné quelquefois aux écus héraldiques des XIIIe et XIVe siècles : dans l'ébrasement des archères de ce donjon de Chinon, dans la salle même où nous sommes, des chevaliers de cette époque ont gravé leurs armoiries et, l'un d'eux a donné à son écusson le pourtour cordiforme ; le Voici :

Là, pas de doute, c'est un blason, et rien de plus ; les trois chevrons du champ et le lys du chef en font foi; le trait creusé de ce dessin n'a pas quatre millimètres de profondeur, et c'est normal. Dans le grand graffite pas de doute non plus : c’est un cœur; la forme de la concavité et sa profondeur, qui atteint 38 millimètres, interdisent de songer à autre chose. Là ce n'est plus simplement de la gravure, c'est de la sculpture en creux. Seuls la croix placée au-dessus et le nimbe qui entoure la tête en profil du saint ont une profondeur quasi égale. Ces trois figures ont donc bien été regardées par le graveur comme les plus importantes de son travail.

Deux autres correspondants, tout en acceptant le cœur de Chinon comme l'image du Cœur de Jésus, portent la question sur un autre terrain et me disent : Mais vous n'avez pas la preuve certaine que la tradition chinonaise qui attribue cette gravure à l'un des Templiers captifs du Coudray, est bien fondée !

La preuve certaine ? Non, assurément je ne l'ai pas.

Et j'ajoute qu'il ne me paraît pas nécessaire que ce soit un Templier qui l'ait tracé pour que le cœur de Chinon soit l'image de Celui du Sauveur Jésus.

Je ne fais pas l'iconographie de l'Ordre du Temple, ni celle du château de Chinon, mais celle du Cœur sacré de Jésus-Christ.

Si le cœur au divin rayonnement est l’œuvre de l'un des Templiers qui furent incarcérés dans la tour où il se trouve, nous avons sa date précise : 1308. Si, au contraire, il est dû au couteau d'un prisonnier quelconque, nous devons chercher sa date ailleurs ; et mieux que toute autre particularité du graffite, la paléographie des inscriptions qui s'y trouvent peut nous la donner approximativement.

Il y en a deux : IE REQUIERA DIEU PARDON, puis une signature : IEHAN DUGUA... (au nouvel examen, j'ai relevé ce même nom répété plus lisiblement, en petite écriture de même forme, plus haut sur le mur : J. Duguabil ou Duguahel). J'ai consulté au sujet de ces inscriptions de savants confrères en archéologie, plus qualifiés épigraphistes que moi ; l'un d'eux estime que la signature pourrait être un peu moins ancienne que l'inscription, repentante ; elle ne donnerait donc pas le nom du graveur, comme il paraissait d'abord naturel de le supposer.

Mais la phrase ie requier à Dieu pdon fait bien, elle, partie intégrante et inséparable du sujet, Or, la forme de ses lettres ne défend nullement de l'attribuer à la première partie du XIVe siècle.

La voici, gravée sur calque direct.

La date du graffite ne serait donc pas sensiblement déplacée Par le fait qu'il ne serait pas dû à l'un des Maîtres du Temple.

Et mon correspondant ajoute : (Il s'est créé de toutes pièces, tant de traditions au XVe siècle.. » _ A la vérité, cette époque fut assez imaginative, mais elle n'aurait pu appliquer au graffite de Chinon une origine fantaisiste, même vraisemblable, que si la gravure à laquelle cette fantaisie s'appliquait avait été, dès lors, assez ancienne pour qu'on ait oublié son véritable auteur ; et voilà qui nous renvoie vers le XIVe siècle. —

Partie centrale du graffite du Donjon de Chinon, attribué aux Templiers, gravure sur bois, au canif, par l'auteur. (Le visage du personnage a été regrettablement mutilé)

Assurément d'autres prisonniers que les chefs du Temple ont habité la tour du Coudray ; deux ans avant qu'ils y fussent enfermés le même gouverneur qui les y eut en garde, Jean de jeanvelle, y détenait encore, au nom du roi, et depuis quatre ans, Robert, fils de Guy, comte de Flandre ; et nombre de chevaliers français ou anglais y furent aussi gardés durant la guerre de Cent-Ans. Mais ni Robert de Flandre, ni les chevaliers prisonniers de guerre n'étaient vraisemblablement menacés de mort, et vraiment —encore que tout homme en ait besoin— ne semblent avoir eu de particulières raisons d'implorer si ostensiblement le pardon divin : celles qu'avaient les Templiers étaient, on l'avouera, bien autrement fondées !

En quittant le graffite de Chinon, Mr de Noaillat m'en écrivait : « Quel appel pressant à la miséricorde !.. » et devant ma gravure, un excellent artiste peintre, assurément physiologiste, mais point mystique, disait récemment : « toute cette composition sur l'angoisse et crie le repentir». Et les deux paroles, en se faisant écho, donnent la note juste.

En fait, nous sommes en possession d'une tradition locale encore indiscutée. Que vaut-elle au regard de la critique ? Ce que vaut toute tradition qui concerne l'origine d'une œuvre dont l'auteur n'est pas désigné par des documents positifs et probants ; c'est dire qu'on ne peut la rejeter comme fausse que sur des documents contraires également explicites et probants. En l'absence des uns et des autres, avant d'accepter en fait la tradition chinonaise, — jusqu'à meilleure information et sous lesréserves que mon titre comporte : « Le Sacré-Coeur du donjon de Chinon attribué aux Chevaliers du Temple»,— j'ai cherché sans parti pris, dans la composition même du sujet :

1° — Ce qui pourrait l'infirmer ?

Et je n'y trouve rien : — Car on ne saurait faire état de l'étonnement que cause toujours l'arrivée d'un document authentique de date insoupçonnée; cet étonnement ne relevant que de notre préalable insuffisance de documentation.—

2°  Ce qui pourrait au contraire s'y trouver de propre à faire accorder la tradition avec la vraisemblance ? Et sous ce rapport, au risque de me redire, je note :

a) Que la composition tout entière possède un caractère très particulier de piété chrétienne et mystique, un « style », si j'ose dire, autant hermétique qu'hiératique, et dénonce chez son auteur une habitude visuelle des représentations de l'iconographie sacrée. Et tout cela semble plus naturel

dans l'esprit et sous la main d'une Moine-Chevalier du Temple que sous le heaume séculier et sous le couteau d'un de ces héroïques ferrailleurs que furent les barons féodaux de la guerre de Cent-Ans.

b) Que l'épigraphie de la phrase : Ie requier à Dieu pdon n'est pas en contradiction avec la date donnée par la tradition.

c) Que ce que l'on sent bien avoir été l'état d'âme des chefs du Temple, relativement au sort de leur Ordre et de leurs personnes, en leur situation particulièrement grave et inquiétante au château de Chinon, 1s'accorde pleinement avec l'impression que produit « le cri de repentir » et « l'appel pressant à la miséricorde» de cette composition «qui sue l'angoisse ».

d) Que je retrouve, dans le graffite de Chinon, des figures héraldiques, relevées sur des sculptures lapidaires non douteuses des Commanderies du Temple de Roche (Vienne) et du Temple de Mauléon (Deux Sèvres).

e) Et, Dieu me pardonne, j'ose ajouter ceci : On m'assure que certaine branche de la Franc-Maçonnerie se targue d'avoir conservé dans ses rites, ses titres et ses symboles, des particularités qui lui viendraient d'un groupe d'anciens Templiers qui se serait constitué clandestinement en société secrète, après dissolution officielle de l'Ordre, puis fondu dans la Maçonnerie (?).. Si cela est, les groupes de trois points, répétés, non trois, mais en réalité quatre fois, sur les gradins de la croix centrale du graffite, donneraient une apparence de consistance au moins bizarre, tout à la fois aux prétentions historiques des Maçons et, ce qui nous intéresse un peu plus ici, à la tradition chinonaise.

Voilà pourquoi, jusqu'à preuves contraires naturellement, je regarde comme devant être plutôt acceptée que rejetée l'opinion qui attribue à la main d'un Templier la gravure qui nous occupe, et que l'historien chinonais Gabriel Richard fait sienne, sans ambages ni réserves, dans le passage de son Histoire de Chinon que j'ai cité en janvier.

C'est aussi l'avis général, à trois exceptions près, des nombreux lecteurs de Regnabit qui ont bien voulu nous manifester leur pensée.

L'un d'eux, un érudit doublé d'un bon artiste, nous écrit en substance : Qu'il verrait volontiers, dans les personnages énigmatiques figurés au graffite, des Saints de l'Ordre de Citeaux, frères spirituels des Templiers. Et c'est un fait que tous portent le nimbe caractéristique des saints, Le principal d'entre eux, en l'hypothèse exposée, serait saint Bernard qui fut de son vivant, le législateur et le grand ami de l'Ordre du Temple, alors tant idéalement beau ! L'Ordre en effet conserva ensuite pour le saint fondateur de Citeaux un culte particulier et une ostensible reconnaissance. Officiellement, cette gratitude se traduisait par ce passage du serment que les Grands-Maîtres prononçaient à leur élection : « Je ne refuserai pas... principalement aux Moines de Citeaux et à leurs Abbés comme étant nos frères et nos compagnons, aucun secours..»

Et ce serait en raison de ce patronnât réel de saint Bernard sur l'Ordre des Templiers que l'auteur de la gravure l'y aurait figuré contemplant le Coeur de Jésus, comme pour demander au saint Abbé de présenter au Coeur miséricordieux du Sauveur son repentir et sa grande espérance du pardon, le sort aussi de son Ordre et de lui-même[1].

— Cette interprétation peut en effet s'appliquer avec vraisemblance aux saints du graffitte de Chinon, sauf toutefois à celui qui semble agenouillé et porte à son bras l'écu armorié, car celui là s'affirme moins comme un cistercien que comme un guerrier de noble rang.

Peut-être, pourrait-on voir en lui le fondateur même de l'Ordre des Templiers Hugues de Payens, qui, à la vérité, ne fut jamais canonisé officiellement, mais qui devait jouir alors, au titre de vénérable serviteur de Dieu, d'un culte restreint à son Ordre, comme il en a été pour le bienheureux Gérard Tune de Martigues, fondateur des Chevaliers de S* Jean de Malte, et pour le bienheureux Robert d'Arbrissel, fondateur des Bénédictines de Fontevrault, avant que leurs cultes ne fussent autorisés, à titre public, par l'Église.

Quant au sens intrinsèque que le graveur attachait à chacune des diverses autres figures plus ou moins hiéroglyphiques du graffitte de Chinon : mains coupées et ouvertes, sigle en tau surmonté d'un cercle, blasons gironnés, etc.. je n'espère guère qu'on en pénètre jamais l'énigme. Mais peut-être des recherches dans ce qui reste d'anciennes commanderies du Temple aboutiraient-elles à la découverte de ces mêmes figures et donneraient ainsi à la gravure entière de Chinon une attribution d'origine Plus affirmée.

En résumé, et derechef, la tradition Chinonaise relative aux Templiers est la seule base qui permette de risquer une interprétation générale du sujet gravé au Cbudray, et c'est elle seule qui permet aussi de dater de 1308 le Coeur de Jésus qui s'y trouve figuré ; mais sans elle il est quand même permis de l'attribuer au XIVe siècle.

Un souvenir historique en terminant : Un autre personnage, bien autrement illustre que Robert de Flandre, Jacques Molay et les autres Maîtres du Temple habita jadis le donjon du Coudray; Jeanne d'Arc en effet, à quelque vingt pas du logis royal qu'occupait alors Charles VII, demeura dans cette tour, du 8 mars 1429 jusqu'au 20 avril, jour où elle quitta Chinon. Il est bien absolument impossible que, passant à toute heure, devant le Coeur rayonnant de cette étrange gravure, devant ce coeur qui s'impose aux regards, et qui ne devait pas être pour elle un incompréhensible mystère, la sainte Libératrice ne se soit pas arrêtée devant lui pour le contempler, comme le saint de pierre auréolé, et pour recommander à sa compatissante bonté la royale Fleur de France qui transparait en sa glorieuse irradiation —

Et par là encore, l'humble graffitte chinonais allie, dans la pensée du croyant, le plus divin Objet delà Piété chrétienne à la plus grande Histoire.

NOTE ADDITIONNELLE. — Au moment de mettre sous presse je reçois d'un érudit médiéviste parisien une lettre flatteuse que je voudrais pouvoir donner ici en entier.

J'en veux au moins citer la partie générale :

« A défaut de documents historiques positifs concernant ce graffitte, force est de s'en tenir à ses éléments constituants et aux données convergentes de l'érudition qui l'expliquent.

« La mentalité médiévale toute nourrie de symbolisme — en poésie, en littérature profane et religieuse, en architecture, peinture et sculpture, en héraldique, etc, s'y reflète d'une façon saisissante.

« Tel qu'il se présente —et sauf interprétation cabalistique, ici invraisemblable— il est, dans tous ses détails strictement religieux et conforme à la tradition qui le concerne.

« Œuvre de fantaisie, conçue sans doute progressivement,  au fur et à mesure de l'exécution, nous ne pouvons exiger une unité, une symétrie matérielle absolue comme devant une « œuvre d'art » entreprise selon ses règles techniques propres. Pourtant, et malgré cela, pour la signification il y a là un symbolisme complet très harmonieux, bien dans la note allégorique des XIIIe et XIVe siècles. Les moines ou gens d'église en étaient imprégnés alors... »

— Et ces lignes sont en accord parfait avec ce que j'exposais dans les pages précédentes. Dans leur contexte elles regardent comme possible l'attribution du graffitte de Chinon au XIVe siècle, même indépendamment de la tradition qui l'attribuera l'un des Chevaliers du Temple. Et c'est de cela surtout que je prends acte.

Loudun (Vienne)

L. CHARBONNEAU-LASSAY.

Bois gravé au canif par L.Charbonneau-Lassay

 

[1] On sait que saint Bernard et son pieux ami Guillaume de saint Thierry, (mort vers 1150), furent des premiers-à célébrer le Coeur divin et à le désigner à la piété médiévale, non pas seulement en tant que partie corporelle atteinte par la Lance, au Calvaire, mais comme centre et foyer de l'Amour rédempteur ; à tel point qu'on crut longtemps pouvoir attribuer au saint abbé de Citeaux le bel hymne «Summi regis Cor aveto » et qu'on le regarde comme la principale source du culte florissant qu'eurent, dans la seconde partie du Moyen-Age, les Cinq Plaies et le Coeur sacré, notamment en Rhénanie où ses ouvrages furent particulièrement en faveur. — Cf. Bainvel, La dévotion au S. C. de Jésus. Paris Beauchesne 1921, p. 205 et Regnabit, janv. 1922, p. 211.

 

 

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Publié le par Rhonan de Bar
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LE SACRÉ-CŒUR DU DONJON DE CHINON

Attribué aux Chevaliers du Temple

Nous n'avons point à redire ici l'histoire de l'Ordre des Templiers ; rappelons seulement qu'il fut institué pour la défense militaire des conquêtes territoriales de la première Croisade et la protection des pèlerins d'Europe qui se rendaient aux sanctuaires vénérés de la Terre-Sainte.

Pendant près de deux siècles il justifia héroïquement, par la généreuse effusion de son sang dans tous les combats d'Orient, les faveurs que les Papes et les souverains lui prodiguèrent et les richesses immenses qu'il reçut, tant des princes que des seigneurs d'Occident qui, ne pouvant aller guerroyer en Palestine, s'y faisaient remplacer par des dons importants à ceux dont les vies étaient vouées aux luttes incessantes de la Guerre-Sainte. Le Grand-Maître du Temple avait la puissance, les privilèges et le rang reconnu d'un souverain.

Cette prospérité matérielle et l'inactivité militaire dans laquelle l'Ordre s'endormit durant ses trente-cinq dernières années, causèrent sa perte. Désertant la voie sainte que leur Règle leur traçait et l'objectif nettement défini qu'elle imposait à leur zèle, les Chefs de l'Ordre, profitant de ses richesses immenses, se livrèrent à l'agiotage et devinrent en fait les banquiers des États d'Europe qu'ils tinrent ainsi financièrement en demi-tutelle. Des princes, et notamment Philippe IV de France, en prirent ombrage et ce dernier, poussé surtout, croit-on, par les conseils de ses Légistes, résolut de provoquer la destruction de l'Ordre.

Un relâchement incontestable et quasi général, des désordres nombreux, isolés, mais avérés, servirent à souhait les ennemis du Temple. En plusieurs commanderies de France surtout, des chevaliers avaient apporté de leur séjour aux pays orientaux des doctrines pernicieuses et des pratiques plus ou moins occultes procédant de divers hérétiques, gnostiques, manichéens, canthares, lucifériens, etc., et la licence des moeurs avait suivi de près les erreurs de croyance'; par ailleurs, des cérémonies d'un symbolisme équivoque ou catégoriquement abominable, usitées en quelques commanderies, servirent de base aux pires accusations de sacrilège, d'idolâtrie, de magie et autres turpitudes.

Après une enquête générale ordonnée par le pape Clément V, qui se trouvait en France, le sort de l'Ordre du Temple fut remis aux mains des Pères du Concile de Vienne-en-Dauphiné, lesquels, constatant le relâchement de sa discipline et ses torts réels, d'autre part reconnaissant qu'il ne répondait plus au but de son institution, estimèrent que sa suppression était opportune. Elle fut prononcée par Clément V en consistoire secret, au mois d'octobre 1311, et la bulle en fut publiée l'année suivante.

Philippe le Bel n'avait point attendu la décision pontificale pour déférer les Templiers, à divers titres plus ou moins spécieux, devant la justice séculière ; et, dès 1307, il s'était assuré de leurs personnes en faisant arrêter le même jour, 13 octobre, tous ceux de son royaume, sans en excepter le Grand-Maître, Jacques Molay, qu'il avait fait venir de Chypre, sa résidence habituelle, sous prétexte d'élaborer avec lui les plans d'une croisade prochaine.

Le pape Clément faisait alors au monastère des Cordeliers de Poitiers un séjour qui dura seize mois, et le roi de France résidait à cette occasion dans la même ville, chez les religieux Jacobins.

Le Grand-Maître et les principaux Templiers de France, au nombre de soixante-douze, furent donc conduits vers Poitiers ; mais Jacques Molay s'étant trouvé malade à leur passage à Chinon, ils y furent tous internés dans les tours du château, et le roi, pour d'obscurs motifs, les y maintint longtemps après la guérison de leur chef.

En août 1308 ils y furent interrogés par les cardinaux Béranger Frédali, Etienne de Susy et Landolphe Brancaccio, délégués par le Pape. Leur enquête terminée les éminents prélats admirent les prisonniers à la participation des Sacrements, et dans une lettre écrite avant leur départ "de Chinon, intercédèrent pour eux près du roi Philippe ; mais l'année suivante un parlement séculier, tenu à Tours, et dans lequel prédomina l'influence

des Légistes, les condamna à l'unanimité. Depuis quelques mois du reste les infortunés captifs ne se faisaient guère d'illusion, mais de ce jour ils se sentirent perdus et purent entrevoir déjà les sinistres lueurs des bûchers des îles de la Seine.

Or, la tradition chinonaise veut qu'il soit resté dans le château qui fut le cadre pesant de leurs terribles angoisses, un témoignage impressionnant des pensées de piété et de repentir en lesquelles leurs âmes cherchèrent une force de résignation, un élément de consolation pour leur détresse présente, et pour l'autre vie, une source de confiante espérance en la bonté de Celui qui, seul infaillible en ses jugements, laisse si souvent à sa Miséricorde le pas sur sa Justice. C'est pourquoi les souvenirs locaux attribuent à l'un de ces malheureux tout un ensemble de « graffites », c'est-à-dire de dessins profondément gravés au couteau sur la muraille intérieure du grand donjon du Coudray, centre de la forteresse de Chinon où se trouvaient sans doute les plus éminents des chevaliers captifs.

Voici ce que dit de ces gravures le plus récent et le mieux informé des historiens chinonais, M. Gabriel Richaud, avocat au barreau de cette ville :

Le « Graffite » dit des Templiers au donjon du-château de Chinon (Indre et Loire).

«.... On peut voir... creusés dans la pierre, des signes, des caractères, des dessins grossiers. Cinq mots en lettres gothiques sont les seuls qui soient lisibles : Je requier à Dieu pardon. On distingue encore quelques figures de blason, des croix, des profils de personnages prosternés.

L'un d'eux a un costume mi-partie ecclésiastique et militaire : une robe longue, l'écu et l'épée.

Ces inscriptions proviennent assurément des chevaliers du Temple[1] »

 

[1] Gabr. Richaud : Hist. de Chinon p. 68. Paris, Jouve; 1912.

Ajoutons que la figure principale de l'ensemble gravé n'est point citée dans la brève description de Gabriel Richaud. C'est un coeur très profondément creusé avec un soin extrême et tout entouré de rayons radieux ; et ce coeur, il paraît impossible qu'il n'ait pas été, dans la pensée du graveur, le Coeur même du Christ-Jésus. Tout le donne' à croire : la gloire rayonnante qui l'environne, ses dimensions, la perfection de son exécution et la profondeur de son affouillement dans la pierre qui surpasse de beaucoup celle des autres figurations. Au surplus, une particularité d'un autre sujet, gravé près de ce coeur, vient nous dire nettement que la pensée de l'auteur était particulièrement portée vers la blessure faite par la lance[1] du légionnaire romain au flanc du Rédempteur : la croix haussée dont le socle en gradins porte les mots gothiques IE REQUIERA DIEU PDON, est accompagnée des clous, du roseau, de la lance ; et cette arme est inclinée de façon que son fer

atteint la croix à la hauteur exacte où se trouvait le flanc de la Victime expiatoire ; et sur le fût même de la croix une incision très nette, indiscutablement intentionnelle, semble symboliser la blessure latérale elle-même. Aucun argument contraire à tirer de ce que le coup de lance est figuré du côté gauche ; nous ne sommes pas ici en face du travail d'un artiste de métier, coutumier des usages de l'iconographie sacrée, mais en présence de l'œuvre émue d'un prisonnier malheureux qui extériorise sa prière, le repentir de ses erreurs et de ses fautes, et son recours en la bonté du Sauveur.

Nous considérons donc le coeur du graffite de Chinon comme une figuration certaine du Coeur de Jésus. Quant à son attribution à l'époque du procès des Templiers, elle paraît établie plutôt que combattue, — en plus de la tradition constante qui l'a toujours regardée comme l'oeuvre de l'un d'eux — par les caractères gothiques qui s'y trouvent : ie requier à dieu pdon, et, plus haut sur le mur, ce nom qui est peut-être celui du graveur et que l'effritement de la pierre rend malheureusement indéterminable : — JEHANDUGUAL.... — C'est assurément la plus ancienne, représentation du,Coeur divin connue jusqu'ici en France et peut-être au monde, encore qu'on nous en signale une autre, en Belgique, qui en serait à peu près contemporaine (?).

     (2) Coupe de la pierre qui porte le cœur gravé. 

(3) Détail d'une des figures de l'ensemble gravé.

Notons aussi que dès l'époque des Templiers la pensée chrétienne, orientée par la grande dévotion du siècle précédent pour les Cinq Plaies du Sauveur, se tournait plus particulièrement vers son Coeur comme vers le centre de ses souffrances et la source naturelle du Sang rédempteur. Et c'est à ce dernier titre surtout que, tout en rappelant qu'elle fut le berceau mystique de l'Église les auteurs d'alors parlent de la Plaie latérale, notamment Clément V lui-même en ses Constitutions[2] et les Pères de ce Concile de Vienne qui supprima, en 1311, l'ordre du Temple.

Très peu après l'emprisonnement des captifs de Chinon le Cœur de Jésus est nomément désigné, sous la plume d'Arnaut Vidal de Castelnaudari, dans la magnifique Prière du seigneur de la Barre que le R. P. Anizan a si magistralement commentée pour les lecteurs de «Regnabit [3]» :

Et quan tu fust martz, Senher,

après Quand tu fus mort, Seigneur, alors

Ton Cor partit ab fere de lansa

Ton Cœur fut ouvert par la lance

 

[1] Coupe de la pierre qui porte le coeur gravé. [2] I. In lib. I, cap. I, Tit. I.  3] F. Anizan : La bela preguieyra del senher de la Barra. In Regnabit N° d'oct. 1921 ; p. 344-349.

 

Cela s'écrivait en 1318, alors que depuis quatre ans à peine refroidissait la cendre des brasiers où les Templiers furent consumés vivants !... Pourquoi, contemporain d'Arnaut Vidal, le chevalier qui grava au mur de sa prison la croix du Sauveur et les instruments de ses douleurs mortelles, qui inclina la pointe de la lance vers la place que son Coeur occupait sur la Croix, n'aurait-il pas eu la pensée de figurer le Coeur lui-même et de l'entourer des rayons de triomphe qui, de son temps, étaient l'emblème mystique, spécial et réservé, de l'état glorieux ?...

— Une autre remarque que suggère le graffite de Chinon : On sait que l'une des principales accusations portées contre les  Templiers devant les Tribunaux ecclésiastiques et royaux fut celle de renier la divinité de Jésus, et d'insulter la Croix qu'ils ne considéraient que comme un gibet honteux que tout chrétien devait avoir en horreur ; et ils se rencontraient en cela avec les sectes orientales des Canthares, des Bogomiles et des Lucifériens.  Sans nous éloigner de la région qui nous occupe, deux documents nous sont restés qui semblent se rapporter à ces errements impies : A la commanderie loudunaise de Moulins, paroisse de Bournan, frère André de Mont-Loué, servant d'armes, déclara au cours de l'enquête pontificale, avoir vu recevoir aux voeux, en la chapelle de la dite commanderie, le chevalier Guillaume de saint-Benoit qui renia trois fois Jésus-Christ et cracha sur la Croix[1].

D'autre part, le Musée des Antiquaires de l'Ouest, à Poitiers, possède une curieuse sculpture provenant de la commanderie de Montgaugier sur laquelle un chevalier monté s'éloigne, en lui tournant le dos, du Sauveur représenté dans l'attitude habituelle du Crucifié, mais sans croix[2]...Fut-ce pour protester contre ce mépris du bois rédempteur, reproché à certains de ses frères, que dans son pieux ouvrage, le graveur de Chinon figura d'abord trois fois la croix sainte, avec sur elle, l'indication des Cinq-Plaies, et qu'il la répéta une quatrième fois sur le mur d'en face, plus complètement entourée encore puisqu'on y voit la colonne de la flagellation et le triomphal « Sol et Luna » ? Nous le croyons.

D'autres signes de la gravure qui nous occupe restent pour nous des mystères : Une main ouverte et dressée, comme pour prêter serment, est représentée trois fois, pareille à celles des statères d'or de la tribu gauloise des Pictons, avec lesquelles elle ne peut avoir aucun rapport, bien entendu — à moins que dans les deux cas elles soient simplement un emblème de commandement — Mais quel sens peut avoir la figure tracée devant le personnage agenouillé, sorte de globe sur un pied en forme de taie?

Et pourquoi l'auteur a-t-il gravé, dans les rayons même qui jaillissent du Coeur, le blason où se voit la fleur royale de France ?

A côté du Coeur rayonnant, une sorte d'écu bannière, écartelé, porte, en ses quatre quartiers, la même figure héraldique qui se voit sur le bouclier du personnage agenouillé plus haut. Coïncidence singulière, ce même motif se trouve aussi sur l'écu sculpté à la tête de la statue funéraire d'un Templier de la commanderie de Roche, près Poitiers[3], et nous l'avons nous-même relevé sur un cartouche orbiculaire à la commanderie du Temple de Mauléon (Deux-Sèvres). Avait-il un sens spécial dans l'héraldique particulière à l'Ordre du Temple ?... Qui le dira ?...

Quoi qu'il en soit, ces rapprochements nous semblent appuyer la tradition chinonaise en ce qui concerne l'origine et la date de la gravure que nous venons d'étudier et qui sert d'écrin à l'un des plus curieux et des plus précieux documents de l'iconographie du Coeur de Jésus.

NOTE COMPLÉMENTAIRE: Le mur intérieur du Donjon de Chinon sur lequel le graffite que nous venons de signaler a été gravé au couteau est en calcaire oolithique à grain fin et ferme. La surface couverte par l'ensemble gravé peut s'inscrire dans un rectangle de 0,85 de longueur sur 0,70 de hauteur. Le Cœur rayonnant, seul, sans son auréole radiée mesure 11 centimètres de hauteur.

L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Procès des Templiers. Paris 1841-1851. ap. collect. de Doc. inédits sur l'Hist. de Fr. T. II. p. 104. [2] A. de la Bouraliere : Deux souvenirs des Templiers. In. Bull, des Antiq. de l'Ouest. Ann. 1091, I tr. [3] Musée lapidaire des Antiquaires de l'Ouest, à Poitiers.

 

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