DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.
DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.
FONTAINE DE LA PLACE DE L'ÉCOLE.
PLANCHE I
Suivant l'opinion la plus généralement répandue, la dénomination donnée à la place où est située cette fontaine, provient de ce qu'autrefois les religieux de Saint-Germain-l'Auxerrois tenaient en ce lieu une école qu'on appelait Schola sancti Germani. Tous les ans, le maître, qui avait été nommé par le chapitre, venait y recevoir des verges et une férule : cérémonie tout-à-fait auguste et imposante !
Il paraît que très-anciennement on avait songé à faire venir, ou du moins à réunir des eaux sur cette place ou dans les environs. Dubreul rapporte, dans ses Antiquités de Paris (1612) que messieurs de Saint-Germain-l'Auxerrois passèrent, en 16o7, un contrat par lequel ils consentaient à céder la portion de terrain où était le bâtiment de l'École, afin qu'on y construisît une espèce de hangard, servant de réservoir aux eaux qui, élevées par la pompe du Pont Neuf, étaient destinées à alimenter les bassins des Tuileries. Mais Dubreul qui était contemporain, ne dit point où l'École était située, ni si ce projet de réservoir reçut ou non son exécution. On n'en voit point de trace.
Au reste, si l'on ne trouve plus aujourd'hui ce réservoir sur la place de l'École,
Il y existe depuis longtemps un égout, réceptacle des immondices de ce quartier sale et bourbeux La fontaine qu'on a élevée au-dessus de l'égout est beaucoup mieux placée qu'on ne pourrait le croire. N'eût-elle d'autre utilité que celle de laver continuellement les abords de l'égout, ce serait déjà un très grand moyen de propreté et d'assainissement. Ajoutons que l'eau qu'elle fournit est beaucoup plus salubre que celle qu'on peut puiser à la Seine, le long du quai, où les déversoirs de plusieurs cloaques, et les bateaux de blanchisseuses empestent ce côté de la rivière.
Nous voudrions bien pouvoir justifier le goût de la décoration aussi bien que le choix de l'emplacement de cette fontaine, l'une de celles qui ont été ordonnées en 18o6, et qui ont été le plus promptement achevées. Ce monument se compose d'un dé carré, élevé au milieu d'un bassin circulaire, et surmonté d'un vase ; sur chaque face du soubassement est un mascaron de bronze d'où l'eau jaillit. Sur le ventre du vase on voit, du côté du quai, un petit bas-relief représentant deux divinités marines, et à l'opposite, un triton.
Cette fontaine a été désapprouvée par les personnes mêmes les moins versées dans l'art du dessin. La forme du vase, de son couvercle, et surtout la grosseur des anses, dont l'extrémité se termine par une tête de chimère, ont paru d'un très-mauvais goût. Parmi tant de vases antiques, dont on trouve partout la gravure, ne pouvait-on choisir un modèle moins désagréable ?
A peine quatre ans se sont écoulés, et déjà la pierre dont est construite cette fontaine est devenue toute noire Cela tient peut-être moins encore au voisinage des maisons et à la quantité de cheminées, qu'au séjour que font les bateaux à charbon dans ce bassin de la rivière La façade du Louvre, nouvelle ment regrattée, reprendra bientôt sa couleur noirâtre et triste, si l'on n'éloigne pas la principale cause du mal.
La fontaine de la place de l'École s'alimente des eaux réunies d'Arcueil et de la pompe de la Samaritaine.
FONTAINE DE GRENELLE.
PLANCHE II.
Le faubourg Saint-Germain étant devenu très-populeux au commencement du dix-huitième siècle, et se couvrant chaque jour de magnifiques hôtels qu'y faisaient bâtir la haute noblesse et les plus riches particuliers, on sentit la nécessité d'y établir une fontaine nouvelle, autant comme objet d'utilité, que comme objet d'embellissement. Après avoir balancé longtemps sur le choix de son emplacement, les échevins de la ville de Paris se décidèrent à acquérir une portion de terrain dépendante du couvent des Recollettes[1], rue de Grenelle, près de la rue du Bac, et chargèrent Bouchardon, l'un des plus célèbres statuaires de ce temps, d'y ériger un monument, qui, par sa richesse et son étendue, fût en harmonie avec la beauté de ce quartier opulent.
Pour répondre à la confiance et à l'attente des magistrats, l'artiste composa le projet de la fontaine qui existe aujourd'hui, et qui prit son nom du nom même de la rue[2] où elle est située M Turgot, alors prévôt des marchands, en posa la première pierre, l'an 1739, et avant la fin de 1745, tout l'édifice était entièrement achevé. La plus grande recherche avait présidé à sa construction.
On n'y avait employé que des pierres tirées des carrières de Conflans-Sainte Honorine, et appareillées avec le soin le plus minutieux. Aussi, lorsqu'on découvrit la fontaine de Grenelle, l'enthousiasme fut général, et on la regarda, pendant tout le reste du XVIIIe siècle, comme un chef-d'oeuvre de composition et d'exécution. Maintenant, dans l'esprit du public, cette opinion s'est bien modifiée, et peut-être les artistes de nos jours poussent-ils trop loin la sévérité.
Ils blâment dans ce monument, 1" son ordonnance théâtrale où rien, excepté le groupe du milieu, et en bas, deux maigres robinets, ne rappelle le caractère d'une fontaine; 2° le percement des portes et des croisées, ce qui donne à tout le bâtiment l'aspect d'une maison particulière; 3° la hauteur prodigieuse du soubassement, par rapport à l'ordre supérieur; 4° enfin le style rond et maniéré des figures qui servent à sa décoration. Cependant, malgré ces critiques, cette fontaine est encore du petit nombre de celles qu'on peut citer à Paris. Il serait même moins difficile qu'on ne pense, sinon d'en faire disparaître les défauts, du moins de les rendre moins choquants Qu'on établisse d'abord une place vis-à-vis, d'où ce monument puisse être aperçu; que l'eau coule en abondance des urnes sur lesquelles s'appuient les figures de la Seine et de la
Marne, qu'elle s'épanche dans une conque placée au-dessous, et en retombe en nappe dans une vaste cuvette, réservoir commun; que des mascarons, placés de distance en distance dans le soubassement des ailes, forment autant de robinets particuliers; en un mot, que l'on voie jaillir de l'eau de tous côtés. Voilà ce qui donne la vie à une fontaine, ce qui en fait le principal ornement.
Le plan de la fontaine de Grenelle offre, comme on peut le voir dans notre gravure, une portion de cercle au centre de laquelle est l'avant-corps principal et d'où partent deux ailes dont les extrémités aboutissent à l'alignement des maisons L'artiste a choisi cette forme de préférence pour donner plus de développement à sa composition, et pour qu'on pût l'embrasser d'un coup-d'oeil.
Tout le bâtiment règne sur un des côtés de la rue, et occupe un espace d'environ 3o mètres. Il est composé de deux parties bien distinctes ; d'abord d'un soubassement rustique orné de refends, ensuite d'un étage supérieur, qui offre, au milieu d'une espèce de péristyle, et dans les ailes, des niches et des croisées que séparent de petits avant-corps en forme de pilastres sans embases ni chapiteaux. Le tout est couronné par un attique qui continue dans toute la longueur du bâtiment. - -
Le groupe du milieu est en marbre blanc. Voici la description abrégée qu'en donne un auteur contemporain, M. Mariette, connu dans les arts par plusieurs écrits estimables. « La principale de ces statues, celle à laquelle les autres sont subordonnées, représente la ville de Paris élevée sur un piédestal particulier, et assise sur une proue de vaisseau, emblême qui la caractérise; elle semble regarder avec complaisance le fleuve de la Seine et la rivière de la Marne, qui, couchés à ses pieds, paraissent eux-mêmes se féliciter du bonheur qu'ils ont de procurer l'abondance, et de servir d'ornement à cette grande capitale qu'ils baignent de leurs eaux. Un frontispice, formé par quatre colonnes d'ordre ionique supportant un fronton, sert de fond à ce groupe de figures, et met la ville de Paris comme à l'entrée d'un temple qui lui est dédié.
- Ayant principalement pour objet de représenter dans sa composition l'abondance qui en tout temps règne dans Paris, l'artiste a imaginé de placer dans les niches latérales les quatre génies des saisons, exécutés en pierre de Tonnerre.
Chacune de ces figures, caractérisées par les attributs qui la distinguent, est expliquée par de petits bas-reliefs allégoriques, qu'on voit au-dessous se rattacher à l'idée principale. Telle était alors la manière dont on envisageait la sculpture, qu'on la croyait propre à offrir de vastes tableaux, à représenter des scènes entières.
Dans l'entre-colonnement du frontispice, sur une table de marbre noir, il existait en lettres de bronze l'inscription suivante, qui a été effacée pendant les troubles de la révolution : elle est d'autant plus curieuse qu'elle a été composée par le cardinal de Fleury, alors premier ministre. M. Boze, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions, à qui ce prélat l'avait soumise, ne voulut pas y changer un seul mot.
DUM LUDLUDOVICUS XV
POPULI AMOR ET PARENS OPTIMUS
PUBLICAE TRANQUILLITATIS ASSERTOR
GALLICI IMPERII FINIBUS
INNOCUE PROPAGATIS
PACE GERMANOS RUSSOSQUE
INTER ET OTTOMANOS
FELICITER CONCILIATA
GLORIOSE SIMUL ET PACIFICE
REGNABAT
FONTEM HUNC CIVIUM UTILITATI
URBIS QUE ORNAMENTO
CONSECRARUNT
PRAEFECTUS ET AEDILES
-
ANNO DOMINI
M.D.CCXXXIX. -
On pourrait traduire ainsi cette inscription :
« Sous le règne glorieux et pacifique de Louis XV, tandis que le prince, le père de ses peuples et l'objet de leur amour, assurait le repos de l'Europe ; que, sans effusion de sang, il étendait les limites de son empire, et que, par son heureuse médiation, il procurait la paix à l'Allemagne, à la Russie et à la Porte-Ottomane, le Prévôt des marchands et les Échevins consacrèrent cette fontaine à l'utilité des citoyens et à l'embellissement de la ville. L'an de grâce 1739 ».
Le soubassement de l'avant-corps portait aussi une inscription sur une table encadrée par des consoles et des guirlandes de marbre. La première partie contenait les noms et qualités de M. Turgot, et des Échevins de la ville. La seconde était ainsi conçue :
« Cette fontaine a été construite par Edme Bouchardon, sculpteur du Roi, né à Chaumont en Bassigny. Les statues, bas-reliefs et ornements ont été « exécutés par lui ».
Malgré l'extrême solidité de sa construction, la fontaine de Grenelle, faute d'entretien, et par suite des échafauds qu'on y avait dressés plusieurs fois pour effacer les inscriptions et les armoiries, avait souffert des dégradations considérables. Des réparations y ont été faites il y a quelques années. On a aussi enduit à cette époque les sculptures d'un encaustique, que l'on croyait propre à les préserver de l'action de l'air et de l'humidité ; mais ce procédé n'a pas eu le résultat qu'on en espérait. Les figures et les bas-reliefs ont déjà repris, en grande partie, la mousse noirâtre qui les couvrait. On ne connaît encore aucun préservatif bien certain, contre ce fléau des monuments exposés, en plein air, sous un ciel tel que celui de Paris.
Quoi qu'il en soit, la fontaine est maintenant en très-bon état, et elle coule continuellement. L'eau dont elle s'alimente provient de la Seine, et y est amenée par des canaux de fonte, au moyen de la pompe à feu du Gros-Caillou.
FONTAINE DE LA RUE CENSIER.
PLANCHE III.
De toutes les fontaines élevées depuis 18o6, pour l'embellissement de Paris, et la commodité de ses habitants, la plus remarquable, par la singularité et la bizarrerie de sa décoration, est sans contredit la fontaine de la rue Censier.
- Qui a pu déterminer l'architecte à choisir de pareils ornements ?
Les anciens, il est vrai, mettaient souvent leurs fontaines sous la protection d'un dieu ou d'une déesse; mais s'ils y représentaient l'image de la divinité, ce n'était que comme protectrice. D'ailleurs, ils ne rendaient ordinairement cette espèce de culte, qu'aux nymphes des eaux, à des naïades; et nous n'avons vu nulle part qu'ils aient jamais consacré de fontaine à Bacchus. -
Comment se fait-il donc que l'architecte du monument représenté dans notre planche n° III, ait imaginé de mettre un Faune pour présider à sa fontaine, et, pour la décorer, d'y placer tous les attributs de la vendange ? Plus on cherche à pénétrer son intention, moins on la devine. Serait-ce une plaisanterie?... Nous n'oserions l'affirmer ; et, pourtant, on ne saurait supposer autre chose.
Si la décoration de la fontaine de la rue Censier ne satisfait point le bon sens, le goût y trouve tout autant à redire. Pourquoi, pourrait-on demander, avoir placé dans une niche ronde une figure qu'on voit jusqu'à la naissance des cuisses ? pourquoi lui avoir renversé la tête et les épaules, de telle façon, qu'il est impossible que les pieds retrouvent le centre de gravité? Que signifient encore ces ornements en feuillages et en raisins, qui montent de chaque côté, commencent sans base, et ne sont terminés par rien ?
Quant à l'ensemble de cette fontaine, il n'a rien de remarquable Il se compose d'un massif carré, surmonté d'un fronton triangulaire, et adossé à un mur. Au-devant du soubassement est une cuvette, aussi carrée, servant de bassin, et rejetant l'eau de chaque côté par une tête de lion.
Le quartier où est situé ce monument offre peu de souvenirs historiques.
Nous rapporterons seulement ici les étymologies qu'on donne des noms des deux rues au coin desquelles il se trouve placé. Suivant la plupart des historiens, le nom de Censier serait une corruption de sans chef, nom qu'on donnait jadis aux impasses ou culs-de-sac ; et celui de Mouffetard serait aussi, d'après l'abbé Leboeuf, une corruption de Mont-Cétard, vignoble, qui, dans l'origine de Paris, occupait l'emplacement de la rue Mouffetard.
· Au reste, nous sommes loin de garantir toutes ces étymologies. Nous prévenons, au contraire, que souvent il faut se garder d'y ajouter la moindre croyance. Outre le changement de prononciation, l'ignorance des peintres de lettres a dû souvent donner lieu dans la suite à de fausses conjectures, et faire tomber dans d'étranges erreurs.
La fontaine de la rue Censier, dont la composition est de M. Bralle, ingénieur hydraulique de la ville de Paris, et la sculpture, de M. Levallois, élève de feu M. Chaudet 7 s'alimente des eaux que conduit à Paris l'aqueduc d'Arcueil.
FONTAINE DE LA PLACE SAINT-MICHEL.
PLANCHE IV.
Lorsque Paris n'occupait encore que l'île de la Cité, on cultivait des vignes dans tout le quartier au centre duquel se trouve située cette fontaine.
Comme la mieux exposée, la côte que forme la montagne Sainte-Geneviève, une partie de la rue Saint-Jacques, de la rue de la Harpe, et qui s'appelait le mont Leucotitius[3], devait être aussi la plus renommée pour ses vins. Un fameux vignoble, le Clos Gilbert, ou Gibart, donna longtemps son nom à la porte Saint-Michel. Quantum mutatus ab illo ! Combien le même sol est dégénéré! On rencontrerait à peine aujourd'hui, dans tous les jardins du quartier, quelques ceps de vigne dont on n'a nulle envie de faire du vin.
Ce côté de la campagne, le premier cultivé, fut aussi le premier où l'on construisit un palais, et peut-être où l'on éleva un temple. Du moins, tout porte à croire que, dès les premiers temps qui suivirent l'envahissement des Gaules par les Romains, il existait un temple, en l'honneur de Mercure, vers l'endroit où depuis l'on bâtit le couvent des Carmélites de la rue Saint-Jacques.
Quant au palais, il n'y a aucun doute sur sa situation. Le fragment qui en reste, rue de la Harpe, un peu plus bas que la fontaine de la place Saint Michel, suffit de reste pour déterminer sa position. Mais était-ce un palais ou un de ces vastes édifices, connus sous le nom de Thermes, dont on retrouve des vestiges dans presque toutes les villes que les Romains ont habitées? C'est ce qui n'est pas encore bien décidé. Ce qui ferait croire que des thermes ont existé dans ce lieu, c'est que l'on ne peut méconnaître les restes des aqueducs antiques qui portaient sur la colline les eaux de plusieurs sources des environs.
Sous les rois des deux premières races, Paris ne reçut, comme on sait, aucun ou presque aucun accroissement. Il ne s'étendit guères sur les deux rives opposées de la Seine que pendant le règne de Philippe-Auguste, qui fit entourer la ville de murs et de fossés[4]. Cette première enceinte, qui laissait en-dehors le palais dit des Thermes, était reculée, au temps de Charles VI, jusqu'au haut de la rue de la Harpe, où se trouvait une porte flanquée de tourelles, à l'endroit même qu'occupe aujourd'hui la fontaine on prétend que ce fut ce prince qui changea le nom de cette porte, d'abord appelée porte d'Enfer, en celui de porte Saint-Michel; soit à cause de la naissance d'une princesse de sa famille, à laquelle on donna le nom de Michelle, soit à cause (et ceci paraît plus probable) de la grande dévotion qu'il avait en l'archange Saint Michel, que ses prédécesseurs regardaient comme le protecteur du royaume.
« Enfin, Louis XIV régna, dit Saint-Foix, et Paris n'eut plus d'enceinte ; « ses portes furent changées en arcs de triomphe, et ses fossés comblés et plantés d'arbres devinrent des promenades ». On abattit les murailles qui entouraient la capitale et une partie des fortifications qui servaient à leur défense. En 1684, la porte Saint-Michel fut démolie, et sur ses décombres s'éleva une fontaine. La ville avait acquis les eaux de Cachant, et les avait fait réunir par l'aqueduc d'Arcueil à celles de Rongis. Le roi ordonna alors, par un arrêt du 22 avril 1671, que quinze nouvelles fontaines seraient construites dans différents quartiers. Toutes ne furent point exécutées dans le même temps, ni aux endroits indiqués pour leur emplacement. De ce nombre fut la fontaine de la place Saint-Michel, que l'on ne construisit qu'en 1687, sur les dessins de Bullet, élève de Blondel, et architecte de la porte Saint-Martin.
Cette fontaine se compose d'une espèce de petit péristyle composé de quatre colonnes d'ordre dorique, et surmonté d'un fronton ; au-dessus, et un peu en avant, est une grande arcade supportée par des pieds-droits avec imposte, et au-dessous l'on a pratiqué une niche semi-circulaire, au bas de laquelle est un mince robinet qui laisse échapper l'eau. C'est dans la simplicité, dans la justesse des proportions, et dans la pureté des profils qu'il faut chercher le mérite de ce monument. Car, au défaut de ne point offrir au premier coup d'oeil l'aspect d'une fontaine, il joint celui de présenter une forme carrée et angulaire, interposée entre deux arcades.
Pour bien apprécier combien les inscriptions ajoutent de prix à un monument, il faudrait être témoin du sentiment qu'éprouve le voyageur errant sur les ruines d'Athènes ou de Rome, et trouvant sur le marbre, au milieu des décombres, l'empreinte de quelques lettres que le temps n'a pu effacer. Pour quoi donc n'a-t-on pas respecté les inscriptions de nos fontaines ? La plupart, faites par Santeuil, ont déjà pour nous un caractère d'antiquité qui nous charme. Souhaitons qu'on les rétablisse ou même qu'on les remplace par d'autres moins ingénieuses,-mais plus simples.
Voici celle qui ornait la fontaine de la place Saint-Michel. Elle est du chanoine de Saint-Victor.
HOC IN MONTE SUOS RESERAT SAPIENTIA FONTES ;
NE TAMEN HANC PURI RESPUE FONTIS AQUAM.
On pourrait la traduire ainsi :
« Sur cette montagne on peut puiser aux sources de la sagesse ; ne dédaignez pas cependant l'eau pure de cette fontaine ».
Dans cette inscription, Santeuil s'est proposé de faire allusion à l'Université, dont la plupart des collèges étaient situés dans ce quartier. Le jeu de mots qu'elle contient est bien puéril. Aussi ne la citons-nous pas comme un modèle : et toutes celles du chanoine de Saint-Victor ne sont pas de ce genre.
La fontaine de la place Saint-Michel s'alimente des eaux qu'amène à Paris l'aqueduc d'Arcueil. Versées d'abord dans le château-d'eau situé près de l'Observatoire, elles s'y divisent, et par des canaux souterrains se rendent dans un très-grand nombre de fontaines, en différents quartiers.
[1] Les Recollettes, ou filles de l'Immaculée Conception, étaient des religieuses de l'ordre fondé à Tolède, par Béatrix de Silva, en 1484. Elles suivirent depuis la règle de Sainte-Claire, et s'établirent rue du Bac, l'an 1637. [2] Cette rue a porté successivement les noms de Guernelles, Garnelle, et Grenelle, parce qu'autrefois, dit-on, il y avait dans cet endroit une garenne dépendante de l'abbaye Sainte Geneviève. Le fait est qu'elle conduisait au château de Grenelle, situé dans la plaine du même nom. [3] Remarquons en passant, que cette dénomination doit venir à l'appui de l'opinion de plusieurs historiens, qui pensent que le nom de Lutèce vient de Leucotée, c'est-à-dire, blanche, à cause de la couleur du sol crayeux de Paris. C'était, sans doute, pour la même raison qu'on avait dénommé la montagne Sainte-Geneviève, le mont Leucotitius, qui signifie le Mont-Blanc. Cette étymologie paraît beaucoup plus vraisemblable que toutes celles qui sont tirées de la langue celtique. [4] Paris s'agrandit-il sous les rois des deux premières races ? Jusqu'où s'étendit-il sur les deux rives opposées de la Seine ? L'entoura-t-on plusieurs fois au-delà du fleuve, de murs d'enceinte ; et à quelles époques ces diverses enceintes furent-elles formées ? On ne pourra peut-être jamais répondre d'une manière satisfaisante à ces questions. Les anciens plans de Paris, que l'on trouve dans les ouvrages du commissaire la Marre, de Jaillot, et de tant d'autres qui se sont tous successivement répétés, ne sont tracés que d'après des conjectures que Saint-Foix a cherché à détruire par d'autres hypothèses. Cependant nous suivons ici l'opinion de ce dernier, parce qu'elle nous a paru un peu plus fondée. Ce n'est pas que nous prétendions qu'il n'y ait eu, sous les deux premières races, de nombreuses habitations, et plusieurs villages très-rapprochés les uns des autres, sur les deux rives de la Seine les plus voisines de l'île qu'occupait la cité; mais on n'a pu les regarder comme des parties intégrantes des quartiers de Paris, qu'après leur circonscription par des murs d'enceinte. Or, la première clôture de Paris, bien constatée, ne remonte pas au-delà du règne de Philippe-Auguste.