Sainte Geneviève
(422/23-512)
Le fils de Mérovée, Childéric, servait alors dans les armées romaines comme auxiliaire ; les Franks et lui étaient pour les Romains des alliés indispensables, mais terribles, dont le naissant empire et la jeune puissance allaient bientôt peser dans la balance du monde bien plus lourdement que la gloire passée et le nom antique des Césars. Il arrivait souvent que, pendant ses expéditions, Childéric s'arrêtait à Paris ; on lui parla de Geneviève, et quoique païen, le roi des Franks témoignait un grand respect pour les vertus de la sainte. Un jour même, au moment où il allait faire exécuter une sentence de mort contre plusieurs condamnés, Geneviève se présenta inopinément à ses yeux, se jeta à ses pieds et lui demanda la grâce des coupables. Childéric ne put la lui refuser, et Geneviève rentra dans Paris, menant à sa suite les captifs qu'elle venait de délivrer. On ajoute que les portes de la ville s'étaient ouvertes miraculeusement devant ses pas, au moment où elle se disposait à aller implorer la clémence du roi , au nom d'un Dieu qu'il ne connaissait pas , mais qu'il révérait en voyant les vertus de ses serviteurs.
Clovis succéda à Childéric, et fidèle aux desseins des chefs barbares, ses ancêtres, il voulut étendre ses possessions du côté de la Seine. Il s'empara de Soissons, et de là se porta vers Paris, qu'occupaient encore les troupes romaines. La ville était alors renfermée toute entière dans l'île de la Cité et défendue par des murailles et des tours. Clovis désespéra de la prendre d'assaut, mais il la bloqua étroitement, l'enveloppant comme dans un réseau d'ennemis. Bientôt les vivres devinrent rares, la famine se fit sentir : des femmes pâles et languissantes, des guerrier» fléchissant sous le poids des armes, des enfants expirant sur le sein tari de leurs mères remplissaient les rues et les places publiques de la ville. Geneviève, qui, durant les calamités, ne quittait presque pas le pied des autels, sentit à la vue des malheurs de ses concitoyens, s'animer ce pieu* courage, celle énergie patriotique et sainte dont le Ciel avait allumé la flamme sacrée en son âme. Une seule ressource restait à la ville assiégée: elle possédait quelques nefs qui, dirigées par des hommes intrépides, pouvaient rapporter des vivres aux habitants de Paris et les sauver ou de l'agonie de la faim, ou des fureurs du roi barbare. Mais qui osera entreprendre ce périlleux voyage? Geneviève se présente, et ses paroles portent l'espérance dans tous les cœurs. Elle s'embarque, menant avec elle quelques personnes dévouées, parmi lesquelles l'histoire cite un prêtre nommé Bessus ; onze barques suivent la sienne, et cette petite flottille remonte la Seine jusqu'à la ville d'Arcis. Là, on fit d'amples provisions. Voulant les augmenter encore, Geneviève alla jusqu'à Troyes, où elle reçut également d'abondants secours pour son peuple affligé. Mais la vierge, à son tour, répandit autour d'elle, en ce saint voyage, les grâces dont le Seigneur l'avait rendue dépositaire ; elle guérit les malades et les aveugles par la vertu de ses prières et du signe de la Croix ; ce fut comme un échange, où les peuples donnaient leurs biens aux amis, aux compatriotes souffrants de Geneviève, et où Geneviève répandait sur les peuples les dons surnaturels dont elle était enrichie. Pleine de joie, elle reprit sa route vers Paris; sur le point d'y rentrer, la tempête assaillit la petite flotte, et lui fit courir le plus grand danger. Les passagers se croyaient au moment de périr, quand Geneviève se mit en prières, forte de sa confiance et de sa foi.... Une heure après, les barques chargées de blé entraient dans Paris, pendant que les prêtres elle peuple chantaient le cantique de l'Exode : Le Seigneur est ma force et ma louange; il a été mon salut.
Geneviève s'occupa aussitôt à distribuer les vivres qu'elle avait apportés. Aux uns elle donnait du blé, aux plus pauvres et aux plus affamés du pain, et elle éprouvait une telle angoisse de cœur en entendant quelqu'un se plaindre de la faim, qu'elle allait chercher au four les pains que ses compagnes avaient fait cuire pour l'usage de leur maison. Les vierges s'inquiétaient alors, mais la joie et la confiance renaissaient en leur âme, quand elles entendaient les pauvres vanter la charité de Geneviève et montrer les pains frais qu'elle venait de leur donner. Lorsqu'elle distribuait ses dons, Geneviève semblait rayonnante de joie; ses yeux se remplissaient de douces larmes, et l'on voyait que cette âme céleste, après avoir renoncé à tout, goûtait encore une félicité secrète dans le bonheur des autres.
Le blocus de la ville durait depuis quatre ans, lorsque Clovis reçut la nouvelle d'une invasion, faite par les Tongriens ou Tongres, sur le territoire des Franks-Saliens. Ces Tongres, qui sont maintenant les habitants du pays de Liège, étaient chrétiens, et par conséquent amis dos habitants de Paris; ils mutaient, par leur brusque entreprise, faire diversion et forcer le roi des Franks à lever le siège. Clovis les attaqua avec sa vigueur ordinaire, les battit en plusieurs rencontres, s'empara de la ville de Tongres (an 191), joignit ce nouvel état à ses conquêtes, et revint vers Paris, qu'il continua à resserrer étroitement. Mais Paris, la ville des Denis et des Eleuthère, Paris, depuis si longtemps chrétienne, ne voulait pas reconnaître un maître païen, et en voyant les qualités de Clovis, ses vertus militaires, la générosité qui éclatait souvent en ses actions, toute l'Eglise des Gaules formait des vœux afin que le fier Sicambre courbât la tête sous le joug de Jésus-Christ. Geneviève priait avec ardeur, affligée par les maux de ses concitoyens, par ceux de la sainte Eglise, que désolait alors l'hérésie d'Arius, les irruptions des barbares, et les guerres sanglantes des peuples chrétiens.
Bientôt une circonstance favorable vint présenter aux Chrétiens quelques lueurs d'espoir. Le jeune roi frank n'était pas marié; on apprit tout-à-coup dans les villes et les bourgades, et dans le sein même de la ville assiégée, qu'il avait fait porter son anneau à la princesse Clotilde, fille de Çhilpéric roi de Bourgogne. Captive dans la maison de son oncle, de Gondebaud, le meurtrier de sa famille, Clotilde avait conservé, au milieu d'une cour tout arienne, les principes de la foi catholique, et, guidée par l'esprit de Dieu, elle avait donné au roi païen sa foi de fiancée, se souvenant que la femme fidèle sanctifie l'époux infidèle, et se sentant appelée sans doute à une haute et magnifique mission. Elle avait été reçue à Soissons avec une pompe, royale; Clovis l'avait épousée par le sol et le denier, lui assignant, en témoignage d'amour, un riche apanage. Dès ce moment, la jeune reine acquit un grand ascendant sur l'esprit de son époux; elle obtint môme la permission de faire baptiser ses premiers nés; néanmoins, pendant plusieurs années, son pouvoir n'alla pas plus loin. Clovis ne voulait pas abandonner le culte de ses ancêtres; mais la prière de deux saintes se liguait contre lui. Clotilde priait comme épouse et comme mère; Geneviève priait au nom de toute l'Eglise de Dieu, et leurs prières furent exaucées.
Les Allemands, de concert avec les Suèves, les Doyens et d'autres petits peuples, se jetèrent sur les états de Clovis, et commencèrent à les ravager. Clovis se joignit à Sigebert, son parent, chef ou roi des Franks Ripuaires, réunit quelques légions romaines et marcha contre les alliés Allemands, qui formaient une armée de plus de cent mille hommes. Il les rencontra à Tolbiac (an 496) aujourd'hui Tulpich, dans le duché de Juliers. Le combat s'engagea et se soutint avec force de part et d'autre. Cependant les troupes de Clovis plient; Gaulois, Romains, Franks eux-mêmes semblent reculer devant la farouche armée des Allemands... Un moment encore, et Clovis va perdre le fruit de tant de conquêtes... Un moment encore, et l'avenir si brillant, ouvert devant sa race, va se fermer pour jamais... Clovis hésite; mais Clotilde et Geneviève prient pour lui; il lève les mains au ciel :
«Dieu de Clotilde, s'écrie-t-il, donne-moi la victoire, et je me ferai chrétien ! »
Le Dieu de Clotilde l'a entendu; Clovis fut victorieux, et le royaume de France fut fondé.
Geneviève allait recueillir le fruit de ses travaux, car tous les historiens l'ont pensé: les larmes et les prières de la pieuse vierge n'avaient pas moins contribué à la conversion du roi que les exhortations de Clotilde. On apprit par toutes les Gaules que Clovis se faisait instruire des vérités du christianisme par l'évoque de Reims, saint Remy. Le moment du baptême arriva, et la nuit de Noël de l'an 496 vit cette auguste cérémonie. Remy tenait par la main, comme un fils bienaimé, le jeune roi barbare, nouvelle conquête du Christ; il le conduisit vers l'église dédiée à Saint-Martin , et qui, entre tous les sanctuaires de la ville de Reims, avait été choisie à cause de la dévotion des Gaules au saint évêque de Tours Cette église était ornée avec une étonnante splendeur; une profusion de lampes et de candélabres ressuscitaient la lumière du jour; des guirlandes couraient en festons sur les murs et formaient, sous les voûtes de pierre, des voûtes fleuries et embaumées; des miroirs d'argent éclataient au milieu des tentures de pourpre, et Clovis fut si frappé à la vue de ces magnificences, qu'il demanda au saint évêque: « Père, est-ce là le royaume du ciel que tu m'as promis?
« — Non, mon fils, répondit Remy ; c'est seulement le chemin qui y conduit. »
L'eau sainte coula sur le front du Sicambre, qui se releva chrétien et roi de France. Clotilde assistait à cette fête du ciel; elle vit son époux régénéré dans l'eau du salut, et avec lui, trois mille guerriers, l'élite des tribus franques ; elle vit, dans les jours qui succédèrent à ce beau jour, les nobles actions qu'inspirait à Clovis sa foi nouvelle: ses largesses aux pauvres, sa clémence envers les captifs, son dévouement à l'Eglise, et surtout son zèle pour la doctrine de Jésus-Christ. Elle l'entendit, au récit de la Passion du Sauveur, prononcer cette parole, où semblent se confondre l'ignorant barbare et l'ardent chrétien:
« Que n'étais-je là avec mes Franks ! »
Elle eut encore un autre sujet de joie: la ville de Paris, qui, soutenue par les exhortations de Geneviève, préférait s'ensevelir sous ses propres ruines que de se rendre à un prince païen, ouvrit ses portes à Clovis, et reconnut pour maître celui qui venait de confesser Jésus-Christ. Clovis et Clotilde entrèrent solennellement dans Paris et prirent possession de la ville où, durant quatorze siècles, leur postérité devait régner.