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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #MARTYRS DE FRANCE

Le " champ des martyrs" de l'île Madame.

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Un siècle d'abandon.

 

C'est un troublant mystère, et qui irrite d'abord et puis confond, que le délaissement presque complet de ces pauvres morts pendant plus de cent ans.

Comment se fait-il que pendant plus d'un siècle l'Eglise de France a négligé les restes et la mémoire de tels héros, qui devaient être sa gloire, dont elle pouvait faire des saints et des martyrs ?

Comment le clergé de Saintonge et d'Aunis, dépositaire de telles reliques, les a-t-il méconnues, délaissées, tandis qu'il eût dû, dès la première heure, y porter ses prières, y mener ses processions du 2 novembre ?

Il y a là des abbés, des prieurs, des vicaires généraux, des chanoines, des curés, des religieux de tous les ordres. Comment leurs successeurs, leurs frères en Dieu, ne sont-ils pas venus, eûssent-ils dû user leurs pieds à faire le chemin, chercher leurs traces et baiser la terre où dorment ces reliques ?

Et six cents familles de France, de toutes conditions sociales, et des plus hautes, ont là quelqu'un des leurs. Je vois, parmi de vieux noms de bonne bourgeoisie et de bonne roture françaises, des d'Aligre, des d'Aurelle, des d'Aubigny, des la Borderie, des du Barry, des Blot de Chauvigny, des Foucart d'Hautefayc, des Poujol de l'Isle, des Luchct de la Motte, des Doudinot de la Boissière, des Cuny, des de la Haye, des de la Gravière, des Chazeray, des Vassirnont, été, etc... En quel pays sommes-nous donc où, alors qu'ils sont là, à portée des genoux, on laisse ses morts enfouis comme des chiens, sans la croix de bols de la fosse commune, sans les couronnes du mur des fédérés, sans |e bouquet de fleurs qu'on trouve jusque sur le tertre des condamnés à mort !... Et d'abord et surtout comment les survivants que devait ramener vers des lieux cor aérés par de tels souvenirs le plus banal sentiment de pitié pour eux-mêmes, de piété envers ces défunts dont ils avaient vu les fins émouvantes, dont ils avaient recueilli les derniers soupirs, qu'ils avaient soignés, soutenus, confessés, et enterrés de leurs mains, ne sont-ils jamais venus marquer les places, poser des tombes, planter au moins des croix ?...

J'ai demandé, je demande encore à tous les points de l'horizon un document, la confidence d'un écrit ou d'une lettre, qui donne le mot de cette irritante énigme, ou qui signale dans les lointains de la Restauration ou de la « lune de miel » du Concordat, qui furent le lendemain de cette tragique histoire, un essai de réparation, quelques visites de parents, quelques retours d'échappés du naufrage au pays où ils avaient cru mourir, quelques signes funéraires plantés ici ou là, que les marées auront fait disparaître... Mais quelle vague d'oubli fut donc assez grosse pour tout effacer dans la mémoire des hommes et leur faire perdre jusqu'au chemin de ce champ des martyrs ?...

Je suis tenté parfois de chercher quelque raison mystique cet abandon en quelque sorte universel.

Un document extraordinaire, d'une authenticité incontestable, et qui prouve la hauteur d'âme de ces proscrits, donnerait à penser, que ce fut leur sainte volonté, mourant pour Dieu seul, de ne recevoir du monde  aucun hommage de gloire.

Lorsque, en effet, à la fin de décembre 1794, la nouvelle vint aux survivants des pontons qu'ils allaient sans doute être mis à terre, réagissant pieusement contre leur joie, et s'unissant dans un merveilleux effort de vertu et de renoncement sacerdotal, ils rédigèrent et signèrent des résolutions pratiques en neuf articles, par lesquelles, s'engageant à ne faire, désormais, qu'un cœur et qu'une âme et à devenir tin modèle d'édification pour les peuples, ifs promettent de ne se livrer à aucune inquiétude sur leur délivrance, ni à aucune joie immodérée s'ils recouvraient la liberté, à ne montrer aucun regret de la perte de leurs biens, à ne point s'autoriser de leurs privations pour manquer à la sobriété ; à ne point répondre aux vaines questions que les curieux de la route leur feraient sur leur état passé. « à ne faire pari de leurs peines qu'à leurs parents et amis, et encore avec beaucoup de prudence et de modération, à n'en jamais parler en public, laissant entre voir qu'ils les ont supportées  avec patience et sans aucun ressentiment contre ceux qui en  ont été les auteurs ou les instruments ».

Admirable connaissance du coeur humain que cette défiant? .outre ses orgueilleuses faiblesses! Et comme il apparaît que la sainteté des morts s'était communiquée aux vivants et les faisait se dicter à eux-mêmes celte loi d'humilité, de silence et de pardon !...

Les survivants pourtant n'avaient pas douté qu'ils reviendraient bientôt eux-mêmes chercher, pour la revanche d'un hommage triomphal, les dépouilles sacrées dont ils savaient, eux, pour les avoir ensevelies, exactement la place.

Il faut entendre le cri du chanoine Labiche de Reignefort, ne se consolant que par cet espoir de la douleur de n'avoir pu, tandis qu'il luttait lui-même contre la mort à l'île Madame, connaître et assister l'agonie de son aîné, le missionnaire, qui mourait du scorbut à un quart de lieue de là, à Port-des-Barques; cet aîné si doux, si candide et si pieux, qui, douloureusement malade presque toute sa vie, aurait pu, de par la loi même, alléguer quand il avait été arrêté de légitimes moyens de dispense, mais qui, par une sainte émulation, s'était sans rien dire laissé embarquer avec ses confrères !

« O mon frère, mon tendre frère, puisque le ciel a voulu que je restasse après vous, qui me donnera du moins de voir le Seigneur rendre à ma chère patrie son antique religion avec la douce paix, afin que l'Eglise puisse un jour décerner aux restes de tant de généreux athlètes les honneurs c légitime; qu'on rend à la dépouille mortelle des saints, et que moi-même je puisse, parmi les cendres vénérables de tant de ministres de Jésus-Christ, démêler la cendre à jamais chère à mon coeur du meilleur et du plus c tendre des frères ?... »

Ainsi dut soupirer, au cours d'une vie très longue, ce Mathias de la Romagère, qui avait vu son aîné, Pierre-Joseph, mourir saintement dans ses bras, et qu'un joug mystérieux empêche pendant quarante-cinq ans d'aller rechercher ses restes !

Leur histoire est à la fois typique et bien suggestive.

Ils sont d'une grande famille d'Auvergne et Bourbonnais, alliée aux Damas, aux Duplessis de Richelieu, aux Noailles, et qui est toute faite de chevaliers de Malte, de chevaliers de Saint-Louis, de gouverneurs du Lyonnais ou du Forez, de gentilshommes de la Chambre, d'ambassadeurs du Roi. Comme en ce temps entrer dans le sacerdoce n'est point déroger, et que chaque famille de France, au contraire, a de quoi faire sur ses enfants « la part de Dieu », ils ont, l'un après l'autre, du collège des Oratoriens de Vendôme passé à Saint-Sulpice ; ils ont pris des grades, et sont devenus, Joseph, vicaire général et archidiacre de Bourges ; Mathias, vicaire général de Mgr de Clermont-Tonnerre, à Châlons-sur-Marne, et chanoine théologal de la cathédrale. L'un et l'autre ont refusé le serment ; et, traqués par les gendarmes, ils ont autour

de leur paroisse natale des Saint-Sauvier, dans l'Allier, par les bois et les landes de la Creuse, mené longtemps une vie misérable, gîtant parfois dans le creux des vieux chênes, mais disant çà et là la messe, et donnant les sacrements aux fidèles qui ne veulent pas des curés jureurs. Ils sont pris enfin en 93 : Joseph, sur le territoire de l'Allier ; Mathias, à l'abbaye des Pierres, dans un sauvage vallon du Cher ; enfermés donc, l'un aux Clarisses de Moulins, d'où, en novembre, il sera, de brigade en brigade, emmené à Rochefort avec soixante-quinze prêtres du département et embarqué sur un ponton ; l'autre, aux Clarisses de Bourges, d'où, jeté sur une mauvaise charrette avec huit autres, il vient, en mars 91, par le même chemin, retrouver son frère sur le même navire.

Tous deux endurent là les tortures communes. Mais Joseph, qui a dans le martyre quatre mois d'avance, et qui est rongé du scorbut, meurt, ferme, résigné, s'étant, par de profondes rêveries devant la mer, préparé à son suprême sacrifice. Mathias, qui est un courageux, un fort, un gai, réchappe lui seul, avec un autre des neuf de Bourges, des souffrances et de la maladie Mais toute sa vie il gardera au-dessus des chevilles le large sillon rouge des fers auxquels il a été rivé pour avoir signé une lettre aux autorités de Rochefort demandant en faveur des malades un peu d'humanité.

Or, libéré en février ou mars 1795, quand la persécution a un moment fait relâche, il est rentré en son pays, est devenu, à la réouverture des églises, chanoine de Clermont ; puis, en 1817, il est le seul, ou peu s'en faut, des déportés que la Restauration, oublieuse la première, ayant elle-même les mains entravées par le Concordat, a pu faire monter de la peine à l'honneur, et il est devenu évêque de Saint-Brieuc. Zèle, vertus admirables, apostolat de toutes sortes, et du dévouement tant qu'on en veut pendant le choléra de 1832... Quand il meurt en 1811, on lui élève un tombeau dans la cathédrale, et l'on va y brûler des cierges ; on l'honore comme un saint, comme un confesseur de la foi et qui a porté les stigmates de Dieu sur son corps, Vinctus in Domino stigmata Dei, in corpore suo portavit... C'est très bien. Cependant l'autre, celui qui est mort là-bas, sans honneurs et sans oraison funèbre, gît toujours dans la lande; et sur ce corps, qui doit un jour ressusciter glorieux, piétinent les troupeaux !...

Dumonet  en exaltant dans son poème latin ces martyrs nouveaux qu'on livrait non plus aux lions et aux flammes, mais à la mer, à la famine, à l'ordure et aux poux, n'avait pas manqué de leur promettre comme à ceux de jadis des palmes des chants de gloire, un peuple entier venant dans le péril invoquer leur secours.

Oui, il annonçait que celte petite île (Aix ou Madame? à chacune des deux soeurs jumelles la prophétie peut aussi bien s'appliquer), serait célèbre un jour, que toute la nation y viendrait honorer et prier ces saints et qu'une église s'y dresserait sur leurs corps sacrés :

 

Insula felix ;

 

Ingenti, sis parva licet, donabere fama.

Quorum nempe tenes sacra pignora quisque triumphos

Cantibus extollet. Gens ad te confluet omnis,

Tam certos rébus dubiis orare patronos.

Quin,ibi consurget templun (faxit Deus) in quo

Cultor non deerit verum qui nomen adoret.....

 

Devant cet oracle, que l'auteur a signé de son sang, le frisson du merveilleux déjà tourne autour de vous.

Mais en 1796, ni en 1801, les temps n'étaient pas encore accomplis, sans doute. Il fallait l'oubli des morts pour laisser aux survivants l'ombre à laquelle ils s'étaient voués... Et c'est pourquoi, dans le tohu-bohu du siècle nouveau et le fracas des ruines de l'ancien, ces discrètes voix d'outre-tombe semblent n'avoir produit aucune ondulation qui amenât les curiosités et les cœurs vers le champ des martyrs de l'ile Madame.

Et puis, qui sait, peut-être un dessein providentiel voulait que ces héros, qui étaient morts pour la liberté, pour l'intégrité de l'île de France, n'eussent leur jour que quand viendrait pour cette Eglise une crise nouvelle où il s'agirait encore de son indépendance et de son indestructible union avec Rome. Le Concordat n'était qu'une trêve entre la Révolution et le Saint-Siège, qu'un accord provisoire, plutôt subi qu'accepté et par lequel Rome avait fait en vue de l'apaisement les extrêmes concessions. De même que, pour obéir à ce mot d'ordre de paix, beaucoup d'évêques et de curés « réfractaires » durent résigner leurs charges, peut-être les morts aussi reçurent-ils de Dieu l'ordre d'ajouter à leur sacrifice celui-là encore de voir leurs restes continuant à pourrir dans la terre, et leurs noms oubliés de leurs frères... jusqu'à l'heure où pour la guerre d'indépendance recommençante leur aide deviendrait nécessaire.

Humainement parlant, il était naturel que l'Empire tint à ne pas laisser sortir de terre les souvenirs d'un des plus exécrables forfaits de la Révolution, d'une des plus fières victoires de l'Eglise invincible Et ce furent vingt ans, lourde pelletée de sable, qui ensevelirent un peu plus profond cette histoire.

Pas plus qu'aux vrais fidèles du trône, la Restauration ne se pressa de rendre justice aux fidèles vrais de l'autel...Or, qui sait si 1830 n'a pas été pour une part le châtiment de celte injustice ?...

Et sans doute ce n'est pas les gouvernements suivants tous pactisant plus ou moins avec la Révolution persécutrice de l'Eglise qui allaient vouloir déterrer ce passé formidable.

Mais qui sait encore si les malheurs de l'Eglise de France n'ont pas pour une de leurs causes qu'elle s'est laissée gagnera cet oubli systématique, et qu'en laissant s'effacer le souvenir de tels héros du sacerdoce, en ne leur accordant même pas le tribut d'hommages et de prières auquel tout chrétien a droit, elle a gravement péché contre les morts et contre elle-même ?...

Car je ne suis pas le premier à rappeler, je me couvre pour le faire de l'autorité d'un prêtre, la terrible sentence du pape saint Damase.

Haec ecclesia moritur quae martyrum suorum obliviscitur… « Une église est condamnée à mort qui oublie ses martyrs... » 

 

 

Gabriel AUBRAY.

 

A suivre…

 

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