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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #SYMBOLISME CHRETIEN

L'ICONOGRAPHIE EMBLEMATIQUE DE JESUS-CHRIST.

LA MAIN

Nous avons vu précédemment[1] comment l'emblématique médiévale de l'Occident, après celle des Grecs de Byzance, adopta, pour représenter le Seigneur Jésus-Christ sous l'aspect du corps humain, le thème du Tétramorphe des visions d'Ezechiel, avec, parfois, des détails tirés des tableaux merveilleux de l’Apocalypse de saint Jean.

Cet art qui reflète la mystique des temps anciens, prit aussi, pour symboliser le Rédempteur, plusieurs des parties de ce même corps humain, figurées séparément des autres.

En premier lieu, ce fut la main qui fut ainsi représentée.

Cette élection n'était point une étrange innovation, car la main ouverte a été, quasi sur tous les points de la terre, l'un des plus anciens emblèmes religieux.

LA MAIN EMBLÉMATIQUE DANS LES ANCIENS PAGANISMES.

Assez inconsidérément, me dit-on, d'aucuns ont demandé pourquoi, quand il s'agit seulement ici d'étudier les emblèmes qui ont figuré la personne de Jésus dans les arts chrétiens, je m'attarde d'abord à rechercher les sens dont les anciens paganismes ont doté, au cours des âges antérieurs, les diverses représentations de ces mêmes emblèmes ?

C'est que j'estime, et d'autres avec moi, que les emblèmes religieux ont été des facteurs choisis de Dieu pour maintenir et idéographier, au milieu des peuples égarés, des vérités nécessaires et des pensées substantielles ; que les emblèmes ont eu leur place et leur rôle, chez ces nations, dans la préparation providentielle du monde entier à la venue du Messie ; et qu'il est hautement instructif de voir comment ils ont été chargés, par l'âme antique en quête de vérité, de tout ce qu'elle concevait de bon, de juste, de grand et de confiant à l'égard d'une Divinité qu'elle ne devinait qu'à travers des ombres épaisses ; de voir enfin comment, au moment de l'établissement du Christianisme, ces emblèmes, venaient des cultes les plus divers, et chargés souvent d'un sens unique ou de significations analogues, étaient arrivés, pour ainsi dire, à leur maturité, remplis, ainsi que de bons fruits le sont de sucs nutritifs, de tout ce que l'être humain avait pensé de meilleur, en sorte que, pour nombre d'entre eux, l'Église n'eût qu'à les prendre pour les appliquer, en manière d'hommage ou de prière, au Christ Jésus.

L'emblème de la Main est un de ceux qui, depuis les origines, ont traversé les millénaires en gardant partout son ensemble de significations et sa vogue. Partout, quand la main fut l'emblème de la Divinité, elle signifia souveraineté suprême et vertu créatrice, force divine et irrésistible, pouvoir de commandement, de justice et de direction puissance de protection, d'assistance et d'inépuisable munificence. Partout, quand elle interpréta l'âme de l'homme, en l'accomplissement de ses obligations religieuses, elle fit les gestes pieux d'adoration, de vénération, d acclamation, d'invocation, c'est-à-dire satisfit aux devoirs de l'hommage et de la prière.

Jetons les yeux sur les plus lointains débuts de l'humanité dans nos pays d'Occident : Dès la base des temps quaternaires, alors que l'homme vivait en compagnie de la fausse effrayante des espèces d'animaux disparues de notre sol et, comme ces bêtes, habitait des cavernes ou d'obscurs repaires, déjà, sur les parois rocheuses de ces retraites souterraines, dans les grottes de la Font-de-Gaume et de Cabreret, par exemple, la Main étendue s'érige, montrant sa paume, telle que nous la voyons porter encore en amulette aujourd'hui.

Or, ces grottes où, d'ordinaire, on ne pénètre que par d'étroits et longs couloirs qu'il faut suivre en rampant, ces grottes étaient le plus souvent des temples ! C'est ainsi qu'en 1912, au Tuc d'Andoubert, dans l'Ariège, M. le comte Bégouen découvrit, au bout d'une galerie d'un accès quasi impossible, et à 700 mètres de l'entrée, la salle sacrée où les sauvages préhistoriques de l'époque Aurignacienne venaient adorer, les deux bisons d'argile qu'ils avaient modelés et dressés pour servir leur obscure conception de la Divinité, en demandant à celle-ci de leur être favorable[2].

Main emblématique de la grotte de Font de Gaume Cf. Th. Ménage. Les Religions de la Préhistoire, p. 179.

Laissons couler les millénaires... Voici que le sauvage d'Occident a perfectionné, si l'on peut dire, son outillage et amélioré ses conditions d'existence. Il ignore encore l'usage des métaux et bien rares sont les témoignages venus jusqu'à nous de ce que son âme pensait. Pourtant, deux petites briques ont été mises à jour le 1er mars de cette année 1926, par M. Fladin, près Ferrières-sur-Sichon (Allier), dans un terrain où le docteur Morlet, de Vichy, releva les preuves d'une importante station néolithique; or, sur chacune de ces briques se voit une main, semblable à celles des grottes préhistoriques du Périgord et de l'Espagne[3].

Regardons maintenant vers l'Orient. Dans cette ancienne Égypte que la soif de la vérité mal connue d'elle, semble avoir fait penser plus que tous les autres peuples païens, nous voyons aussi la Main vénérée et utilisée religieusement. Image d'Ammon en tant que Dieu bon, la main distributrice de ses faveurs terminait chacun des rayons qui tombaient du disque solaire[4] ; et nous la voyons ainsi sur les murs des temples et des hypogées où l'art est si pur.

Mains de ta grotte des Cabrerets {Lot)— peintures préhistoriques sur roche.

Main sur brique néolithique de Glozel près de Ferrières-sur-Sichon, d'après un croquis de M. le Comte Fr. de Rilly. 

Par ailleurs, les scènes religieuses figurées sur les monuments égyptiens des plus belles époques, par exemple celles pratiquées pour la naissance des Pharaons, au cours desquelles de très nombreux opérants accomplissaient ensemble des passes magnétiques, nous persuadent au mieux de l'importance des gestes rituels de la main, importance si grande aussi dans les cérémonies des liturgies chrétiennes[5].

Monument d'Ejlatoun, région d'Iconim.

Dans la vie ordinaire du peuple, on la portait sur soi, cette Main divine, gravée sur une pierre fine que traversait une cordelette à laquelle on faisait un noeud soir et matin jusqu'à ce qu'elle eut sept noeuds ; et sur elle on récitait des prières dont la vertu obtenait, disait-on, douze heures durant, la protection divine pour celui qui la portait : D'autre fois cette Main était taillée en ronde bosse dans une cornaline[6].

Chez certains peuples orientaux, comme chez les Égyptiens, la pose d'adoration que les arts d'alors nous font connaître comportait l'agenouillement et l'élévation au niveau de la tête des deux mains ouvertes[7]. C'est la position donnée à l'être humain suppliant dans les petites statuettes votives d'Asie- Mineure, ainsi que dans les figurations des personnages, debout devant le disque solaire, sur la grande roche sculptée d'Eflatoun, en Lycaonie.

Ce sera plus tard celle des errants chrétiens dans les temps primitifs de notre culte, et c'est encore celle du célébrant pendant une grande partie du sacrifice de la Messe.

En pleine Asie, dès l'origine du culte boudhique la main fut l'image symbolique du dieu Siva, soit que, main droite, elle tienne la hache ou le tambourin, ou que, Main gauche, elle supporte l'antilope emblématique ou la corde repliée[8].

En Grèce antique, l'assistance divine, dans les cultes de toutes les divinités à qui l'on demandait le don de la santé, comme Asclépios et Hygie, fut figurée par la Main divine ; et il en fut de même relativement aux divinités qui présidaient aux oeuvres de la gestation et de la naissance de l'homme, comme Arthémis Eilithye et Héra. L'étude du culte de Sabazios, en Phrygie, révèle qu'on lui offrait de nombreuses mains votives justement regardées comme l'image emblématique de celle de ce Dieu.

Avec une signification analogue, la main apparaît à Cartilage sur les stèles que caractérise le triangle mystérieux de la déesse Tanit[9].

Chez les Gaulois, elle marquait les monnaies de plusieurs tribus, par exemple les statères d'or des Santons et des Pictons.

Stèle punique (Carthage) à la Bibliothèque Nationale de Paris. 

Et M. Gaidoz rapproche la Main divine chrétienne des mains qui se voient, dit-il, sur certaines rouelles gauloises[10]. A Rome même elle était frappée sur les monnaies dites « quadrans », et paraissait, en des conditions particulières, crut-on tardivement[11], sur quelques insignes militaires.

Il serait facile d'amplifier de beaucoup cette documentation pré-chrétienne, mais ce rapide coup d'oeil sur l'ancien monde suffit, me semble-t-il, pour montrer comment l'un des tout premiers emblèmes religieux du monde a traversé, en nombre de nous inconnu, les millénaires après les millénaires sans changer beaucoup d'aspect ni de signification[12], pour arriver, à l'heure prévue d'En-Haut, à servir directement le Dieu véritable et son Christ.

Statère d'or des Gaulois du Poitou, IIe -I S. av. J.-C. Collection Charbonneau-Lassay.

 

[1] Regnabit, juillet-août 1926, p. 114-125. [2] Cf. Comte Bégouen. Les statues d'argile de la caverne du Tuc d'Andoubert (Ariège)- In l'Anthropologie. T. XXIII, an. 1912. [3] Cf. AEsculape juillet, 1926. [4] Tombeau d'El-Armana. Cf. E. Amélineau. Hist. de la sépulture et des funérailles dans l'Ancienne Egypte. In Annales du Mus. Guimet. An. 1896, T. II, p. 650 et pl. C.II. [5] Cf. Alex. Moret , Rois et dieux d'Egypte, p. 23. fig. 3. [6] Cf. Ph. Virey, La religion de l'Ancienne Egypte p. 223-229. [7] Papyrus du Caire. Cf. Alex. Moret, Mystères Egyptiens, IV. p. 200. Pl, VII, 2. [8] Cf. Q. Jouveau-Dubreuil Archéologie du Sud de l'Inde, T. II, (iconogr.) p. 20, fig. 3. [9] Cf. Perrot et Chipiez, Hist. de l’Art dans l'Antiquité, p. 325, fig. 168. [10] Cf. Gaidoz. Le Dieu Gaulois du Soleil et le symbolisme de la Roue. [11] Cf. entre autres, Ovide, Fastes, III, 115-118. [12] Un auteur, M. J. Baissac, (Les origines de la Religion 1899) a cru pourtant qu'aux sens indiqués au début de ces lignes s'en était ajouté un autre : dans son ouvrage, qui n'aboutit du-reste à aucune conclusion nette, il prétend que le signe de la main ouverte ou légèrement repliée des temps anciens se rapportait au symbolisme de la fécondité humaine, ce qui paraît fort contestable. Au demeurant cette signification n'aurait point détourné de lui nos premiers symbolistes chrétiens, mais j'avoue que l'interprétation de M. Baissac ne me parait pas fondée. Il ne faut pas — non plus qu'aucun rapprochement soit fait entre la Main religieuse et sacrée qui nous occupe et les petites mains obscènes, de métal ou de pierre fine, que les débauchés des derniers temps des paganismes grec et romain ont mis en vogue. Ces dernières ne relèvent que de l'iconographie pornographique.

LA MAIN DANS L'EMBLÉMATIQUE CHRÉTIENNE.

Ainsi donc, au moment de sa naissance, l'emblématique chrétienne trouva partout le signe de la Main révéré des peuples pour des raisons que l'enseignement doctrinal pouvait très opportunément accueillir. La Main devint donc, très vite, l'un des emblèmes affectés particulièrement au Père tout-puissant et tout bon, et au Christ, sauveur des hommes et chef de l'Église.

Insigne de puissance créatrice, la Main fut donc consacrée à symboliser Celui dont saint Jean nous dit « que tout a été fait par Lui, que rien n'a été fait sans Lui », et que « le monde est son ouvrage[1] » ; insigne d'éternelle royauté, de force, de commandement, de domination, la main ouverte convenait au « Saint d'Israël » à qui Moïse fait dire par avance : « Je lève ma main vers mon ciel et je jure par mon éternité[2] »,  à Celui qu'en son Office du ive dimanche de l’Avent, l'Église, après Isaïe, acclame comme le Dieu fort, le Dominateur, le Prince pacifique ; insigne de bénédiction, de secourable assistance, de munificence et de tous dons parfaits, la Main bénissante convenait pour évoquer, Celui à qui l’Église adresse la parole de David : « Tu ouvres ta main, Seigneur, et tu rassasies de tes biens tout ce qui respire[3] » ; insigne de justice, la Main étendue convenait à Celui qui doit un jour juger la terre.

D'après saint Augustin et les Pères de l'Église ce fut la main gauche que l'emblématique des premiers siècles consacra surtout comme qu'emblème de la justice du Christ-Roi, lors que la droite fut l'image de sa miséricorde, de sa bonté, de sa générosité.[4]

En règle générale, quand elle symbolise Jésus-Christ et non le Père, la Main est posée sur une croix, placée entre l'Alpha et l'Oméga, ou porte un nimbe cruciforme, ou bien domine des scènes ou figure en des places qui ne prêtent pas à équivoque.

A cette règle qui n'aurait jamais dû être enfreinte, il n'y eut du reste, qu'assez peu d'exceptions. Ce fut à cette Main divinement secourable que Constantin fit appel quand, après sa conversion, il ordonna la frappe de nouvelles monnaies. Comme sur celles qu'il avait précédemment émises il y fut représenté sur un char que quatre chevaux emportent vers le ciel, seulement, sur les plus récentes, il lève la main vers une autre Main tendue qui, du haut des cieux, s'abaisse vers lui, et qui ne peut être que celle du

Christ dont il venait de reconnaître la Divinité.[5]

Vers la même époque, ou peu après, la Main fut sculptée sur la couronne triomphale de lauriers qui encadre le monogramme du Seigneur dans la riche décorationd'un  sarcophage de Bordeaux[6]. (1) Au Ve siècle, les artistes de Ravenne la posèrent sur la croix elle-même, à la place du Crucifié, entre les sigles glorificateurs Sol et Luna.

 

La Main sur la Croix au Ve s. Ravenne, (Musée National) Cf. L. Bréhier — L'Art Chrétien, p. 82, fig. 23.

Sur notre sol, aussi, la Main du Christ fut représentée comme un emblème de sa protection désirée, demandée et obtenue pour les fidèles et pour le royaume des Francs : le prologue tout entier de la Loi salique est un reflet de cette croyance en la protection du Sauveur sur le royaume de Clovis : « Vive le Christ, qui aime les Francs », disent les premiers mots.

Les plus beaux exemples figurés de ce recours et de cette confiance nous sont donnés par l'art des enlumineurs carolingiens.

Dans tous les livres du roi Charles le Chauve que possède notre Bibliothèque Nationale, comme sur l'un au moins de ceux que nous avons de Charlemagne, son grand-père[7], nous voyons la main protectrice sortir d'un nuage au-dessus de la tête du Roi, et d'elle s'échappe des rayons de grâces qui sur son front descendent[8].

Les enluminures du célèbre « Sacramentaire » de Drogon, fils de Charlemagne, abbé de Luxeuil, puis évêque de Metz (826-855), nous montre la Main symbolique au-dessus du pontife qui célèbre la Messe ; au-dessus, aussi, du martyre de saint Étienne[9].

Cette dernière scène suffirait à nous convaincre que c'est bien la main du Fils, à qui le martyr vient de rendre témoignage, et non celle du Père omnipotent ; car, en d'autres images, c'est le Christ Lui-même qui apparaît au diacre qui meurt pour Lui en disant à ses bourreaux : «Je vois le ciel ouvert, et Jésus, le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu.[10] »

Avant de franchir le seuil du second millénaire, jetons un coup d'oeil sur un livre précieux de l'ancienne abbaye de saint Gall.

Le reclus Hartker, en costume monastique du Xe siècle, s'y trouve à genoux, offrant son livre au saint Patron de l'abbaye ; au-dessus d'eux une main droite, apposée sur une croix, fait le geste de bénédiction.

La Main bénissante du Christ sur l'Antiphonaire de St Gall, Xe siècle.

Et pour clore cette revue de nos dix premiers siècles chrétiens, voici la main du Seigneur faisant l'un des gestes les plus émouvants de l'ancienne iconographie chrétienne, le geste sensible de la bonté, le geste du Coeur.

C'est un sarcophage du IVe siècle ou du Ve qui nous la montre ainsi[11] (1) : main du Christ, du Bon-Pasteur, elle s'abaisse du ciel et caresse affectueusement la tête de la brebis, dont le regard et l'attitude disent tout l'élan reconnaissant de la brebis fidèle, ou, qui sait ? plutôt, peut-être, de la brebis égarée, revenue des ronces du sentier périlleux ; de la pauvre brebis coupable dont le retour occasionne, dans le paradis du pasteur compatissant, plus de joie que la fidélité des autres[12].

La main caressante sur un sarcophage du IVe ou du Ve s.

Pendant toute cette seconde partie du Moyen-Age qui commence à l'avènement des Capétiens pour se terminer avec les Valois directs, à la fin du XVe siècle, la Main garde,  dans la symbolique figurative du Seigneur Jésus-Christ, la même faveur qu'elle avait auparavant.

Elle fut très fréquemment représentée sur les constructions monastiques de l'époque romane, soit à l'extérieur, comme on le voit à l'abbaye de Sainte-Marie-aux-Dames, à Saintes, où elle apparaît sur l'archivolte du grand portail de l'église, dans un nimbe en ovale tenu par deux anges que domine l'Agneau mystique, soit encore aux clefs de voûte des sanctuaires ou des salles conventuelles, comme à l'abbaye poitevine de La Reau, où elle triomphe dans un nimbe cruciforme au milieu d'une ornementation magnifique.

Aux siècles suivants, nous la trouvons partout.

Quand elle n'est pas placée sur la croix ou sur le nimbe cruciforme elle montre la blessure du clou qui, sur la croix, la transperça, et des rayons ou des flots s'échappent souvent de chacun de ses doigts ; ainsi nous la voyons sur un célèbre tryptique de Notre-Dame de Chartres [13] : c'est la main au service du coeur, et qui sert de canal à ses bontés.

La Main bénissante sur clef de voûte de l’Abbaye de La Reau, en Poitou.

La Main du Christ sur tryptique de Notre-Dame de Chartres, XIIIe siècle. 

Il serait bien facile de citer ici un nombre très considérable de documents sur l'emploi de la Main du Sauveur durant le Moyen-Age on l'y voit partout, sur les enluminures, les émaux, les ivoires, les broderies d'église, les pièces d'orfèvrerie religieuse et notamment sur les patènes des calices, sur la sculpture monumentale, etc. etc. Je reproduis seulement, comme document de la fin du Moyen-Age, la Main du Sauveur sculptée au XVe siècle, dans le cadre de la couronne d'épines, au-dessus de l'autel de Notre-Dame, en l'ancienne chapelle conventuelle du prieuré des Carmes du Martray à Loudun ; n'est-elle pas là l'emblème de la ratification par Jésus-Christ lui-même des gestes par lesquels, en son nom, le prêtre bénit et absout?

La Main du Christ – Chapelle de l’Église du Martray, à Loudun (Vienne)— XVe siècle.

LA MAIN DU CHRIST SUR LES GANTS PONTIFICAUX ET SUR LES « MAINS DE JUSTICE » DES SOUVERAINS.

Au Moyen-Age, les gants des prélats, ceux qui leur servaient au cours des cérémonies pontificales, portaient, sur le dessus de la main, une broderie, ou plus généralement une plaque orbiculaire d'or, de vermeil ou d'argent, ornée d'un sujet emblématique qui, souvent, fut l'image de la Main du Christ, faisant le geste de bénédiction.

J'en donne ici comme exemple la plaque d'un gant liturgique de la cathédrale de Cahors ; c'est un objet XIIe ou XIIIe siècle[14],

Plaque de gants pontificaux Cathédr. — de Cahors—XIIIe siècle.

Il est bien évident que le symbolisme de cette plaque veut mettre en immédiate relation d'idée, j'allais dire en contact, la Main bénissante du Christ, auteur de tous les dons qui nous viennent du ciel, et celle du pontife, et que ce symbolisme veut affirmer que la main du p é at n'est que l'agent terrestre de transmission des bénédictions et des sentences du Sauveur.

Emblème de puissance, d'autorité et de justice souveraines durant les temps anciens, la Main étendue convenait au mieux en tant qu'insigne cérémonial de la majesté royale ; aussi, dès le XIIIe siècle, était-elle acceptée à ce titre par les souverains avec la couronne, le glaive et le sceptre.

Mais quel sens précis et spécifiquement chrétien s'attachait à cette Main emblématique ? Était-elle l'image hiératique ou héraldique de celle de Dieu le Père, de celle du Christ, de celle du Roi en tant qu'élu de Dieu ? Ou bien était-elle un simple idéogramme, l'emblème impersonnel de la mission royale providentiellement autorisée ?

Le plus ancien exemple que je connaisse de cette main souveraine figure sur une fibule bizantine en bronze représentant Rome sous l'image d'un empereur romain du Bas-Empire, asis sur un trône ; dans la main droite de ce personnage, une Victoire; dans sa main gauche un2 haute verge qui se termine par la Main souveraine ; or, celte Main, comme celle que j'ai citées plus haut, et d'où descendent des rayons ou des flots, de grâces, cette Main porte le trou du clou de la crucifixion[15].

Il semble donc bien que ce soit avec cette acception que nos rois Capétiens l'ont portée quand ils siégeaient « en majesté ». Léon de Laborde nous dit qu'elles étaient considérées au Moyen-Age comme représentant « l'intervention de la Divinité dans les actions du Fils de Dieu, et dans celles de ses créatures d'élite[16]». Ce qui revient à dire, si je comprends bien, que la main du Roi recevait de celle du Fils de Dieu bénédiction, pour voir et délégation pour accomplir sur terre, en son lieu et place, les actes providentiels de la Divinité. Et cela s'accorde avec l'esprit premier de notre monarchie française qui se reconnaissait mission de faire, dans le royaume et au-delà, « les gestes de Dieu» ; gesta Dei per Francos disaient les peuples chrétiens de ce temps-là.

Cette interprétation, qui me semble juste, n'explique cependant pas le nom que l'on donna pendant longtemps durant le XIVe siècle, par exemple, a cette sorte de second sceptre royal : on l'appelait baston à seigner, ce qui signifiait alors « bâton à bénir », à faire le signe de bénédiction.

La relation des funérailles du roi Charles VI, (1422), en parle ainsi : « En l'une de ses mains (le Roi tenoit un ceptre, et en l'autre main une verge, comme celle qui fut envoyée du ciel, car au bout avoit en semblance une main qui seigne ou bénit...le tout en façon d'argent doré ». — Cette désignation de « bâton à seigner » se retrouve sur de nombreux documents pour désigner  ce qu'on appela plus tard la « Verge de Justice » ou la « Main de Justice. » . M. Enlart en parle ainsi : « Lorsque le roi rend la justice, il tient un bâton terminé par une petite main bénissante, c'est la main de justice. Elle représente la main divine qui investit le monarque de son autorité. Ces mains étaient d'ivoire ou d'orfèvrerie et s'appelaient baston à seigner[17] ».

Bâtons à bénir... d'aucuns ont pensé que les Rois faisaient, avec cette verge d'or et d'ivoire, le geste de bénédiction de par la vertu de leur sacre ; mais cette consécration qui les revêtait, au nom de Dieu, d'une délégation, reconnue canoniquement par l'Église, au commandement et aux prérogatives souveraines, en même temps qu'elle leur en imposait les devoirs, ne leur donnait cependant pas qualité pour tracer sur les peuples le signe symbolique et liturgique de la bénédiction divine, car c'est un privilège réservé au sacerdoce ecclésiastique et que ne partage point le sacerdoce royal. Le plus vraisemblable est donc de regarder l'emblème de la « Main de Justice », comme celle du Christ qui, par sa main, bénissait le Roi et lui donnait mandat de régir et de juger, en son nom et selon sa loi, le peuple à lui confié ; et c'est en cet esprit que saint Louis parlait quand il disait n'être que le « Sergent du Christ ».

Main de Justice des Rois de France. — Musée du Louvre, XIIe s.

Que conclure de toute cette archéologie sinon qu'elle révèle, depuis l'enfance de notre race, une foi très vive de la réalité du gouvernement de la Divinité sur le monde, de son action sur chaque être venant en ce monde, et une confiance vraie en sa paternelle bonté. Et puis, quand, après l'avènement du Sauveur et l'établissement de son Église, elle nous montre l'art chrétien transposant au Christ, avec tous ses sens, le vieil emblème que les peuples de l'Ancien-Monde avaient vénéré, elle nous le présente surtout comme versant, à flots parfois, sur les martyrs qui souffrent, sur les saints qui prient, sur les rois qui siègent, sur les fidèles qui s'agenouillent dans les sanctuaires, ses grâces de bénédiction, d'assistance, de soutien, de réconfort, de consolation, tous les meilleurs dons de sa bonté, de son amour, c'est-à-dire de son Coeur.

L. CHARBONNEAU-LASSAY.

Loudun (Vienne).

 

[1] St Jean. Evangile I, 3 et 10. [2] Livre des Nombres XXXII, 40. [3] Livre des Psaumes, CXLV, 16.[4] Cf. D. de L, in Bull de saint François Xavier, de Paris, mars-avril. 1916, p. 13. [5] Cf. Cohen, Médailles impériales VII, p. 318, n°760— Eusèbe, Vie de Constantin IV, 73.—Maurice, Mem Soc Antiqu. de France. 1904, p._29 [6] Dom H. Leclercq, Manuel d'Archéologie Chrétienne, T. II, p. 307.[7] Cf. L. de Laborde Glossaire français du Moyen-Age, p. 160.[8] Bibliothèque nationale. Mss. lat I fol. 425. id. 1152. fol. 3. —Cf. C. Cahier. Nouveaux mélanges archéologiques, 1874, T. I, pl. VI.[9] Bibl. Nationale. Mss. lat. N°9, 428. [10] Actes des Apôtres, VII, 55-56[11] Grimouard de Saint-Laurent : Guide de l'Art chrétien T. I. p. 333, fig. 19 : et Manuel de l'Art Chrétien, p. 81. fig. 15.[12] Cf. St  Matthieu. Evang. XVII, 12-14.[13] Cf. Mgr Barbier de Montault, Le Trésor de Chervis-en-Angoumois, p. 116, et Traité d’iconogra. Chrétienne. T. II, p. 184, pl. XXIX. [14] D'après Cloquet, Eléments d'Iconographie chrétienne, p. 25.[15] Cf. Dom H. Leclercq. Dictionnaire de l’Archéologie Chrétienne et de liturgie. T. V, col. 1579. [16] L. de Laborde, Glosaire français du Moyen-Age. p. 160. [17] Eulart, Manuel d'Archéologie française, T. III, p. 393. — Cf. La Vie et  Arts liturgiques 1918 p. 434.

 

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