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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'ICONOGRAPHIE ANCIENNE DU COEUR DE JÉSUS.

Les Marques commerciales des Premiers Imprimeurs Français.

Depuis les potiers gaulois des temps gallo-romains qui, les premiers en notre pays signèrent ou marquèrent leurs oeuvres, jusqu'aux prestigieux armuriers de la fin du Moyen-Age et de la Renaissance, de nombreux maîtres au sein des corporations d'artisans firent porter à leurs ouvrages des signes particuliers : d'origine. C'est ainsi que les « monétaires » mérovingiens, responsables du bon aloi des pièces d'or et d'argent qu'ils frappaient un peu partout,' et jusque dans les hameaux très isolés, les marquaient à leurs noms, à leurs sigles personnels, à leurs effigies même.

Dans les siècles qui suivirent, la marque particulière du producteur fut moins souvent appliquée sur ses oeuvres, mais dans la dernière partie du Moyen-Age, cette pratique reprit en diverses branches de l'industrie, surtout chez les premiers imprimeurs, après qu'à rencontre de difficultés diverses, la Sorbonne eut vu paraître, chez elle, en .1469, le premier livre imprimé en France. Très tôt après cette date, l'industrie du livre imprimé se développa rapidement et les imprimeurs formèrent bientôt, avec les graveurs sur bois, les relieurs, les derniers enlumineurs, les fondeurs de caractères, les libraires, des corporations influentes dans un grand nombre de villes du Royaume.

Presque dès l'origine de cette industrie, chaque imprimeur se fit graver sur bois une marque particulière à lui, chargée de son nom, de son monogramme, de sa devise, d'emblèmes qui reflétaient ses goûts, ses affections d'ordre supérieur, son esprit personnel, sa bonne foi professionnelle etc..

Ces gravures, les imprimeurs les placèrent d'ordinaire au milieu de la première page, sous le titre même des livres qui naquirent en leurs officines, d'autres, tels les frères Angeliers, de Paris, 1537, les mirent à la fin du volume, comme motif terminal. En l'une et l'autre place c'était un certificat d'origine autant qu'une « réclame » commerciale.

Quelques libraires qui n'imprimaient pas eux-mêmes se firent aussi graver des marques à leur nom qu'ils firent mettre aux mêmes places que celles des imprimeurs, sur les livres qui s'imprimaient à leurs frais.

Parce que, pour les uns et les autres, le parchemin ou le papier du livre et le cliché de bois gravé s'y prêtaient admirablement, bien mieux, par exemple, que l'argile du potier ou les métaux de l'armurier, leurs marques professionnelles et commerciales furent de vraies compositions, plus expressives et parlantes que toutes autres, et beaucoup d'entre elles furent le reflet des sentiments religieux de ceux qui les avaient choisies.

Examinons, parmi ces dernières, celles seulement sur lesquelles apparaît le Coeur de jésus. Et d sons de suite que, sacrifiant quelquefois beaucoup trop au goût du mystérieux, du compliqué, ils accompagnèrent parfois soit la représentation du Coeur du Sauveur, soit celle de leurs propres coeurs, de signes déjà  énigmatiques à leur époque, et dont plusieurs sont devenus aujourd'hui des problèmes sans solution certaine. Et cela rend leur pensée souvent si difficilement saisissable que des réserves s'imposent, à mon insuffisance tout au moins.

D'autre part, certains coeurs, dont nous ne nous occuperons pas ici sont impersonnels, je veux dire purement emblématiques, représentant soit la charité soit même la simple bonne foi du commerçant. De telles intentions si diverses et souvent nébuleuses imposent, elles aussi, à l'iconographe de la prudence en ses appréciations [1].

ANTOINE VÉRARD

Anthoine Vérard, imprimeur à Paris, de 1480 environ à 1530, fut dans les premiers temps de l'imprimerie en France un des plus célèbres parmi nos imprimeurs-libraires.

Habile lui-même, et de goût sûr dans tous les arts relatifs au Livre, à la fois imprimeur, enlumineur, calligraphe et libraire, il commença vers 1485 ses grandes éditions de luxe et donna à l'industrie naissante du Livre une impulsion merveilleuse.

Malgré des ressources modestes et un outillage encore bien primitif, Vérard fit sortir de ses presses personnelles plus de deux cents éditions d'ouvrages français. Il habita d'abord .sur le Pont Nostre-Dame qui s'écroula en 1499, et au Palais ; puis au carrefour Saint-Séverin, puis revint dans la Cité ; mais toujours, où qu'il fut, il pendit à sa porte l'enseigne à l'image du saint protecteur auquel il avait confié le succès de son effort, saint Jean l'Évangéliste. Et les livres issus de ses presses le disent expressément : « Cy finist le premier volume des Croniques de France, imprimé à Paris, le dixiesme iour de septembre, l'an mil IIII cens quatre vingt et treize, par Anthoine. Vérard, libraire, demourant à Paris sur le Pont Nostre-Dame [2], à l'enseigne Saint Jehan l'Évangéliste, ou au Palais, au premier pillier devant la chapelle ou l'en chante la messe de messeigneurs les présidens ».

Fut-ce par cette dévotion au Disciple Bien-Aimé de Jésus, qui à la Cène reposa sur le Coeur du Maître, que Vérard fut porté à mettre dans sa marque commerciale, au-dessus de toutes choses, l'image du Coeur du Sauveur ? On le pourrait croire si Vérard avait été seul en ce temps-là à la mettre en honneur, mais elle était alors déjà un peu partout, Vérard ne fit que suivre son époque où la piété au Coeur de Jésus étant vraiment populaire; il faudra bien qu'on en vienne à le reconnaître unanimement.

Nous connaissons deux clichés de cette marque de Vérard, semblables d'ordonnance et de motifs, différents de facture et Marques commerciales des premiers Imprimeurs français de dessin, c'est-à-dire le second copié sur le premier, mais par une moins différente.

Nous y voyons : Au-dessus d'un parterre de fleurs, le coeur de Vérard chargé de son monogramme et tenu héraldiquement par deux faucons.

Au-dessus de ce coeur le blason royal de France, timbré de la couronne et tenu par deux anges.

Au-dessus des deux motifs susdits, brochant sur le cadre, afin qu'il soit dans le plein de la prière qui se déroule sur la bordure, le Coeur de Jésus, chargé de son monogramme I.H.S., Jésus. A lui s'adresse la prière qui est ainsi formulée :

POR PROVOCQVER IHS TA. GRAT. MISERICORDE. DE .TOVS. PECHEVRS. FAIRE. GRACE. ET. PARDON. ANTHOINE. VERARD. HVMBLEMENT.TE. RECORDE. CE. QV'IL. A. IL. TIENT. DE TOI. PAR. DON.

Il ne peut donc y avoir de doute: deux coeurs sont en présence sur cette image : celui de Vérard marqué de son chiffre, l'autre, placé dans le texte d'une prière, faisait corps avec elle, enveloppant le nom de Jésus qui s'y trouve ; et il est, ce Coeur, le seul motif religieux de toute la composition. Ce ne peut donc être qu'à la grande miséricorde de ce Coeur que Vérard demande le pardon de tous pécheurs[3].

PIERRE LE CARON

En dehors de ce qu'il produisait dans son propre atelier Vérard, pour alimenter sa librairie renommée recourait aussi aux presses de quelques autres bons imprimeurs. C'est ainsi qu'il utilisa de bonne heure les ressources de Pierre Le Caron.

Les livres sortis des presses de Le Caron se distinguent «n ce que ce dernier adopta l'une des marques de Vérard, la première qu'il fit graver — et c'est peut-être ce qui a donné lieu à l'exécution de l'autre — seulement, pour la pouvoir utiliser à son nom, il fut pratiqué dans le bas du cliché de bois, une entaille en mortaise qui n'eut d'autre but que de pouvoir permettre l'insertion, à bon niveau, d'un petit bois gravé au nom de « Pierre le Caron ». Et sur le coeur de Vérard le monogramme de ce dernier fut effacé et sa place laissée en blanc.

J'ai sous les yeux le livre intitulé : les lunettes des princes côposées par noble Jeha meschinot escuier en son vivat gràt maistre Chostel de la Royne de france. Ce livre, imprimé en 1494 porte la marque ci-dessus avec le nom de Pierre Le Caron en minuscules gothiques dans l'entaille.

En adoptant ainsi la marque pieuse de Vérard, Le Caron faisait sienne, par le fait même, la prière au Coeur divin qui s'y trouve.

Et rien ne peut porter à penser qu'il y fut obligé par Vérard, car celui-ci recourut, dans les mêmes conditions qu'avec lui, aux presses de plusieurs autres imprimeurs parisiens, Pigouchet, Bocard, Pierre Le Rouge, par exemple, qui n'usèrent jamais que de marques d'ordre absolument profane.

PIERRE LEVET

Voici un autre imprimeur, Pierre Levet, qui lui aussi travailla pour suppléer à l'insuffisance des presses personnelles de Vérard.

C'était du reste un voisin de ce dernier puisqu'il habitait en 1491 dans le bas de la rue Sainct-Jacques, proche sainct Séverin, à l'enseigne des Balances d'argent.

Trois ans plus tard, il s'établit au faubourg Saint-Germain des Prés, à l'enseigne de la Croix d'or. C'est probablement alors qu'il prit comme marque commerciale un grand écusson chargé d'une croix ; sur laquelle se voit, aux lieu et place de l'image de Jésus-Christ crucifié, celle de son Coeur percé par la lance, blessé par des clous et entouré de la couronne d'épines.

A côté de l'écusson deux anges tiennent, l'un la colonne de la flagellation, l'autre l'éponge. J'ai déjà donné la marque de Levet, dans Regnabit, mais elle est, pour le sujet qui nous occupe un document trop expressif pour qu'il ne s'impose pas quand même en ces lignes.

La représentation du Coeur de Jésus qu'il porte, réunissant en Lui toutes les souffrances de la Passion, est tellement parlante qu'elle dispense de tout commentaires.

JEHAN HARDOUIN

Sur les « Heures de la Bienheureuse Vierge Marie» que fit paraître Jean Hardouin, la vignette qui tient lieu de marque professionnelle représente aussi les Cinq-Plaies du Seigneur, comme la marque de Pierre Levet. Les mains sont aux angles supérieurs, les pieds aux angles d'en bas, le Cœur vulnéré au milieu, et dans le double nimbe de la couronne d'épines et de celui d'un chapelet que six roses partagent en six groupes de cinq grains.

Jean Hardouin était-il imprimeur ou simplement libraire ? Avait-il communauté d'intérêt avec Germain et Gilles Hardouin, imprimeurs-libraires à Paris de 1491 à 1521? Et dont l'un, le second, ne fit, lui non plus figurer son nom sur aucune des quatre marques différentes que portent ses livres.

L'une de ces marques de Gilles Hardouin s'orne du blason royal de Portugal qui porte les cinq points emblématiques des Cinq Plaies du Christ répétées cinq fois[4].

NICOLE DE LA BARRE

Imprimeur et libraire à Paris (1497-1518), Nicole de la Barre a usé de deux marques très habilement gravées.

La première montre, sur un fond « criblé » un coeur entouré d'ossements que limitent une banderolle tenue par deux anges et qui porte la devise funèbre : Mors omnibus equa. Sur une autre banderolle, traversée d'une flèche qui ne blesse pas le coeur, le nom du maître imprimeur : De Barra ; et chacun des angelots qui tiennent la première banderolle porte son blason familial chargé d'une barre héraldique.

Au-dessus de la flèche, et nettement séparée d'elle, la Croix du Sauveur, dont la hampe s'orne du X initial du mot Xhrist, comme on écrivait alors parfois. Une gracieuse décoration florale entoure cette partie de la marque. Au-dessus d'elle, la fleur de lys de France surmontée de la couronne royale et de chaque côté et au-dessus de laquelle se voient, au centre de deux fleurs d'oeillets, les Coeurs de Jésus,

I.H.S. et de Marie, M.A.

Les ossements funèbres qui accompagnent le coeur de Nicole de la Barre sont une allusion à son propre nom : « de Barra », en français « de la Barre ». A son époque la plupart des confréries et des grandes corporations ouvrières d'Italie avaient chacune sa bannière propre, et aussi sa barra décorées des insignes du métier et des armoiries corporatives.

La barra était et reste encore une sorte de petit corbillard à porteurs, réservé aux membres de la corporation ou de la confrérie.

Voilà pourquoi jouant sur le sens méridional de son nom Nicole, et après lui, son fils Antoine, parsemèrent leurs marques de débris funèbres. L'autre marque de Nicole nous montre Adam et Eve dans l'enclos du Paradis terrestre, portant dans leurs mains un cœur chargé, sur lui-même, des initiales du maître imprimeur et de son sigle commercial.

Ce coeur est surmonté de la croix dont la hampe porte le X du Xhrist, et ici la Croix prend directement dans le Coeur.

Certes, la pensée est beaucoup moins clairement exprimée ici que sur la marque précédente.

Deux interprétations sont possibles : Ou bien le coeur représenté est celui de Nicole pénétré par la croix de Jésus-Christ et lui servant de piédestal. Mais comment expliquer avec cette hypothèse la présence d'Adam et d'Eve ?

Ou bien ce sont Adam et Eve annonçant à leur descendance la promesse du Rédempteur en leur montrant par avance sa Croix et son Coeur. On sait que l'annonce de cette promesse a été souvent évoquée par les anciens auteurs et qu'elle a été figurée par les peintres de vitraux, les miniaturistes et par les sculpteurs.

Dans cette hypothèse, Nicole aurait eu la hardiesse grande de se placer, sous l'emblème de ses initiales, dans le coeur même de Jésus. Et cela serait-il si étrangement incroyable pour un homme pieux dont l'autre marque portait ostensiblement les coeurs, désignés nomément, de Jésus et de Marie, et qui vivait aux jours où, dans les chaires de Paris, sa ville, Olivier Maillard prêchait et conseillait à tous cette prière : « Vous avez voulu — O Christ— que votre côté soit ouvert, je vous en prie, faites que je puisse habiter au milieu de votre Coeur ». Vos voluisti Mus vestrum aperire : precor in medio cordis vestri valearn habitare ».

ANTOINE DE LA BARRE

Antoine de la Barre fils de Nicole fut imprimeur et libraire comme son père. Sa marque porte uniquement un grand écusson, entouré d'une banderolle qui en suit latéralement les contours et que meublent les débris macabres des La Barre, (barra) ainsi que les mots suivants, qui se rapportent à l'écusson même :  ARMA NOSTRE SALUTIS, Armoiries de notre salut.

C'est ce que d'autres documents d'héraldique sacrée appellent K les Armoiries du Christ », Arma Christi. Sur l'écusson commercial d'Antoine de la Barre, les pièces d'armoiries, évocatrices de toutes les souffrances du supplice divin, sont : Autour de la Croix, la lance et l'éponge; la colonne, les fouets et les cordes avec le coq de saint Pierre ; l'échelle, les tenailles et le marteau ; la lanterne, le glaive de saint Pierre et les trente deniers ; l'aiguière de Pilate, les profils de Caïphe et d'Hérode. Sur la croix elle-même, la couronne d'épines, les clous et un coeur.

De qui est ce coeur ?

On y voit les initiales de l'imprimeur placées sur la banderolle paternelle traversée d'une flèche, puis les deux monogrammes sacrés, comme sur les Coeurs de Jésus et de Marie' de la marque de Nicole, son père : IHS, IHesuS et MA, MariA. Devant ces monogrammes la banderolle s'interrompt et s'efface, en sorte qu'ils reposent directement sur le coeur.

Ne dirait-on pas par avance la théorie eudiste qui sera publiquement prêchée peu après : la réunion, la fusion de deux Coeurs de Jésus et de Marie dans un seul coeur ?

Il y a autre chose aussi : On sait combien les symbolistes de ce temps-là aimaient parfois à donner deux sens aux mêmes emblèmes, l'un apparent et vulgaire, l'autre secret et profond ; on sait aussi combien l'occultisme était en faveur dans les meilleurs milieux intellectuels d'alors, au moins en ce que les sciences secrètes ont de compatible avec l'orthodoxie.

Or, sur la marque qui nous occupe, le monogramme M et A superposés, semble —beaucoup plus nettement qu'en maints - autres exemples— pouvoir former les trois lettres M. A. V. qui, dans une certaine combinaison, forme le sigle occulte et mystique équivalent à l'alpha et oméga de l'iconographie chrétienne ordinaire, et qui signifie : «principe et fin de toutes choses ». D'où deux sens possibles aux monogrammes rapprochés de la marque d'Antoine de La Barre : 1° Jésus, Marie ; 2° Jésus, principe et fin de tout.

Et j'ose conclure qu'en raison des monogrammes sacrés, qu'en raison de la position du coeur sur la croix, au milieu des Instruments de la Passion, et présenté ainsi qu'eux-mêmes, comme une des pièces du « blason de notre salut », il faut plutôt considérer ce coeur comme Celui de Jésus que comme le cœur du maître-imprimeur.

 

[1]Pour ne pas charger ces pages de multiples renvois, je signale-ensemble les ouvrages suivants où j'ai puisé avec très grand profit : Lacroix, Fournier et Sèré : Histoire de l'Imprimerie. Bouchot : Le. Livre ; Grimouard de Saint-Laurent : tes Images du Sacré-Coeur au point de vue de l'Histoire et de l'art ; Sylvestre : Marques typographiques ; Claudin : Histoire de V Imprimerie en France.[2] Le Pont Notre-Dame Était alors garni de petites boutiques sur ses deux, côtés. Vérard y pouvait avoir un magasin, ses presses devaient être ailleurs. [3] Quelle est l'exacte portée de cette prière publique de Vérard ? Il ne demande pas au Coeur du Rédempteur de faire grâce et pardon à tous pécheurs mais d'accorder grâce et pardon, de tous pêcheurs. Et qui donc peut Être ainsi pardonné de l'ensemble « de tous pécheurs », sinon le Genre humain ? La mystique de son époque permettait trop bien à la pensée de Vérard cette ampleur pour qu'on puisse refuser de la reconnaître à sa prière alors que le littéralisme de son texte y prétend. Léon XIII écrivant la Consécration du-Genre Humain au Coeur de Jésus, et Pierre Vérard rédigeant le texte de sa marque ont obéi à la même inspiration. [4] Nous reviendrons sur l'Origine historique et mystique des armoiries royales de Portugal.

JEHAN LONGIS

Jehan Longis, libraire à Paris, 1528-1560 eut deux marques : l'une ne nous intéresse pas ; elle représente deux bergères tenant un écusson chargé d'un coeur percé d'une flèche, sur un semis de larmes.

Sur l'autre, Longis, jouant sur la similitude de son nom avec celui de Longin, qui aurait été, d'après la tradition, ce soldat qui perça le Coeur du Sauveur crucifié, prit comme sujet de sa marque une main armée d'une lance et qui perce un coeur sur lequel tombent des rayons venant du ciel. Là, aucun doute n'est permis, il ne se peut agir que du Coeur de Jésus.

Et près de Lui se lit la devise : Nihil in charitate violentia.

PIERRE JACOBI

Cet imprimeur qui pratiqua à Saint-Nicolas-du-Port et à Toul, de 1503 à 1521, a usé, lui aussi, de deux marques, dans lesquelles sur ou sans écusson, paraît une croix où sont fixés les trois clous de la crucifixion et au bas de laquelle se trouve un coeur que ses proportions et sa position conjuguées ne paraissent pas indiquer impérativement comme celui du Sauveur.

Les paroles du « Pange lingua », sola fides sufficit, posées ici en rébus — avec les deux notes de plain chant sol, la et les mots fides (sus) ficit— malgré leur origine liturgique ne conduisent pas du tout à reconnaître sous elles le Coeur de Jésus.

C'était à cette époque un rébus commercial qui s'appliquait, avec ou sans accompagnement religieux, à la simple bonne foi professionnelle. C'est ainsi— pour ne pas sortir de la corporation du Livre — que Guyot Marchand, imprimeur libraire à Paris, 1483 à 1502, plaça dans ses trois marques le même rébus, (exactement représenté comme sur celles de Jacobi) au-dessus de ce qu'on appelait une « bonne foi », c'est-à-dire au-dessus de deux mains qui s'étreignent, comme on les cisela plus tard, avec un sens différent, sur les bagues de fiançailles.

Il est possible que dans l'esprit de Jacobi la pensée du Cœur de Jésus se soit attachée au coeur qui meuble le pied de la croix sur sa marque, mais les apparences sont, à mon humble avis, contraires à cette attribution.

JEAN CORBON

Avec la marque du libraire parisien Jean Corbon, nous retrouvons un terrain ferme où le doute ne saurait prendre pied. Corbon commerça à Paris de 1588 à 1597,-un siècle après les premiers grands maîtres imprimeurs ; aussi sa marque diffère-t-elle totalement du genre encore tout médiéval et si prestigieux des leurs. C'est un médaillon de forme ovale entouré de rameaux de chêne et de laurier ou d'olivier ; sur le pourtour du médaillon Corbon rappelle la signification de son nom patronymique par une inscription grecque qui se traduit en français par : « Les coeurs bons ».

Et pour interpréter le plus parfaitement possible cette bonté du coeur, Carbon plaça au milieu du médaillon l'image même du Sauveur auréolé et tenant dans sa main le meilleur de tous les coeurs, son propre Coeur, sanctuaire de la Bonté totale, source infinie de toute bonté.

Cette composition heureuse évoque le souvenir de la marque d'une autre famille d'imprimeurs, contemporains de Corbon, les La  Rivière, d'Arras, (1591-1659) qui prirent comme emblème le Bon- Pasteur debout, les épaules chargées  de la brebis fugitive et la poitrine découverte; de la plaie de son Coeur un jet de sang jaillit en courbe et tombe dans la coupe d'un calice posé à terre.

MATTHIEU VIVIAN

La marque de l'imprimeur Orléanais, Matthieu Vivian, 1490 ne me paraît pas non plus s'affirmer assez comme portant l'image  du Coeur de Jésus pour qu'on en puisse avoir l'assurance, malgré la croix qui le surmonte, malgré les deux monogrammes de Jésus et de Marie qui l'accompagnent.

Ce coeur est-il celui de Vivian ? Probablement. Est-il celui de Jésus dans lequel, selon la dévotion prêchée à son époque, Vivian, représenté par les initiales de son nom s'est réfugié ?... Peut-être.

Sa marque, comme celle de Jacobi, manquant de précision, prête à équivoque.

PIERRE COMPAGNON, ROBERT TAILLANDIER,

S. THURÉ& PIERRE RIGAUD

Voilà un sujet de marque d'imprimeur ou plutôt de vignette de titre qui fut commun à plusieurs d'entre eux. Image de dévotion autant qu'autre chose, ce motif eut faveur à la fin du XVIe siècle et durant le XVIIe. Il représente jésus enfant ou adolescent assis dans un coeur, et il faut en chercher l'idée première dans ces images populaires du XVe siècle représentant le Coeur sacré au milieu duquel on voit Jésus enfant entouré des Instruments de sa Passion.

Dans les images qui nous occupent, Jésus, souvent, paraît dormir ; c'est la traduction évidente de la parole de la Sainte Écriture, au livre du Cantique des Cantiques : Ego dormio et cor meum vigilat, «je dors et mon coeur veille ». C'est ainsi que nous l'avons montré sur un moule à hosties espagnol, du musée de Vich[1]  ; et c'est ainsi que le libraire parisien S. Huré le représenta aussi dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

D'autre fois Jésus est éveillé et il semble être l'image de sa propre présence dans le coeur du fidèle qui l'aime ; alors le coeur qui lui sert de trône n'est pas rayonnant mais entouré des flammes de l'amour. Mais souvent l'ignorance des graveurs de cette fin du XVIe siècle et du XVIIe en iconographie sacrée exacte, a fait qu'ils ont employé inconsidérément les particularités caractéristiques de l'ancienne symbolique; d'où dans leurs productions une confusion où il est parfois bien difficile de voir clair.

En somme, dans ce thème si souvent répété, la règle la pins sûre est de considérer comme étant celui de Jésus le coeur, blessé ou non, qui se voit entouré de rayons de gloire comme La personne de Jésus elle-même. C'est ainsi qu'il se présente sur la marque ci-dessous de Pierre Compagnon et Robert Taillandier, libraires associés demeurant à Lyon, Rue Mercière, à l'enseigne du «  Coeur bon » (1671). Par contre, on ne peut reconnaître que le coeur du fidèle dans celui qui se montre entouré seulement de flammes qui, d'ordinaire, montent de sa pointe et l'entourent.

Cette dernière composition ravissait l'âme du bon  saint François de Sales qui, le 19 février 1605, écrivait à sainte Jeanne de Chantai : « Je vis un jour une image dévote, c'était un cœur sur lequel le petit Jésus était assis. O Dieu, dis-je, aussi puissiez-vous asseoir dans le coeur de cette fille que vous m'avez donnée et à qui vous m'avez donné ! Il me plaisait eh cette image que Jésus était assis et s'y reposait, par cela même me représentait une stabilité, et il me plaisait qu'il était enfant, car c'est l'âge de la parfaite simplicité et douceur, et communiant au jour où je savais que vous faisiez de même, je logeais par ce désir ce béni hôte en cette place et chez vous et chez moi[2]... »

Aussi saint François de Sales voulut-il que son imprimeur, Pierre Rigaud, de Lyon, plaça sous le titre de son Traicté de l'Amour de Dieu (au moins pour les éditions de 1617 et de 1620 que j'ai sous les yeux) l'image qu'il avait décrite à sainte Chantal.

La présence du coeur rayonnant, portant Jésus rayonnant sur le moule de Vich, comme sur la marque de Compagnon et de Taillandier, d'une part ; et l'explication donnée par saint François de Sales du coeur entouré de flammes tel que le figure Rigaud, d'autre part, me paraissent absolument approuver la différenciation que j'exposais plus haut.

Ajoutons que ce que nous venons d'exposer concernant la présence du Coeur de Jésus sur les marques des imprimeurs et libraires français pourrait être fait, non sans intérêt, pour ceux de la même époque dans les autres pays d'Europe; dont quelques-uns ont eu des marques très expressives, tel, par exemple, Santi-Franchi, libraire à Florence, au XVIIe siècle, qui nous montre le Coeur de Jésus blessé et saignant, entouré de la couronne d'épines qui soutient, contre le Coeur, les trois clous du supplice rédempteur.

En résumé, nous voyons donc, depuis les débuts de l'imprimerie en France jusqu'au moment qui vit se lever la grande lumière de Paray, bon nombre d'imprimeurs et de libraires, parmi les plus importants, placer dans leur marque de commerce le Coeur du Sauveur.

Serviteurs d'élite de la pensée française d'alors, ils nous apparaissent d'autre part, presque tous comme des artisans d'ordre supérieur et des commerçants d'importance ; très considérés des princes, de la haute prélature et des doctes de tous ordres, artistes avertis et très- érudits souvent eux-mêmes, ils travaillaient cependant pour toutes les classes de la nation, comme pour l'aristocratie de l'intelligence du sang, ou de la fortune.

Avec leurs livres, précieux ou vulgaires, leurs marques commerciales allaient partout, et nous avons vu que dès le XVe siècle, plusieurs d'entre elles portaient l'image du Coeur de Jésus-Christ qui, avec elles et par elles, entrait de plein, pied dans la vie sociale et industrielle de la nation.

Une marque de commerçant était alors, comme aujourd'hui, une propriété personnelle que l'on ne pouvait usurper sans relever de la discipline corporative, et, probablement même dès cette époque, de la justice civile. Elle était aussi, comme aujourd'hui encore, une « réclame » et elle l'était d'une façon plus ou moins efficace selon qu'elle était plus ou moins frappante et parlante, selon qu'elle reflétait plus ou moins fidèlement les idées, les préférences et les sympathies de la masse de la nation. Or, quand on examine l'ensemble des nombreuses marques d'imprimeurs et libraires d'alors, quatre motifs surtout s'y font remarquer par leur fréquente présence : la Croix et le Cœur de Jésus, les fleurs de lys de France et les coeurs mêmes des imprimeurs ou libraires.

Nous n'avons touché en ces lignes qu'une seule des corporations de l'ancienne industrie française parce que les marqués des vieux imprimeurs nous ont conservé les irrécusables reflets de leur piété grande à l'endroit du Coeur du Sauveur; que serait-ce si les enseignes historiées qui pendaient par centaines et milliers dans tous nos bourgs et nos villes à la même époque, nous avaient été gardées ! Ne serait-ce point à l'une d'elles, par exemple, qu'une maison de Cognac, en Saintonge, devait de porter le nom de « Maison du Coeur du Christ » que lui donne un contrat de ce temps-là ?

Plus les documents matériels m'arrivent, et plus je suis bien obligé de me persuader— car leur nombre et leur variété commencent à parler bien haut — que l'élan vers le Coeur blessé du Sauveur a été superbe en France pendant, surtout, la seconde partie du XVe siècle et la première moitié du XVIe ; les arts religieux de tous genres, les objets de la vie familiale, et aujourd'hui des documents publics de la grande vie industrielle et commerciale l'affirment.

Le Protestantisme avec son rigorisme de surface et ses sophismes théologiques, le Jansénisme avec sa conception étroite et rigide de l'idée du Christ, jetèrent sur la France un nuage de froidure qui voîla et affaiblit, sans cependant l'éteindre la piété générale pour le Coeur de Jésus ; il fallut après eux pour aviver les braises et ranimer la flamme le grand souffle de Paray-le-Monial, mais deux cents ans ayant lui, la flamme avait brillé d'un éclat magnifique qu'elle n'a retrouvé grâces à lui, que de nos jours.

L. CHARBONNEAU-LASSAY. Loudun (Vienne)

 

[1] Voir Régnabit, juin 1923, p. 31.[2] Cf Grimouard de Saint-Laurent. Rev. de l'Art Chrétien, juil, sept. 1879

 

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