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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L’Iconographie ancienne du Cœur de Jésus.

LE MARBRE ASTRONOMIQUE DE LA CHARTREUSE

DE SAINT-DENIS D’ORQUES :

En écho, assurément trop flatteur, à mon article de novembre dernier concernant la Blessure du Côté de Jésus-Christ, j'ai reçu de Mme Cl. Charrier, à qui je tiens à exprimer ici toute ma reconnaissance, un petit bas-relief de marbre noir, de la seconde moitié du seizième siècle qui constitue, ce me semble, l'hymne le plus magnifique que l'on puisse faire chanter à la matière en l'honneur du Coeur glorieux de Jésus-Christ.

Le revers de cette plaque de marbre porte une étiquette sur laquelle il est écrit : « Cette pierre a été recueillie, ayant 1875, à l'abbaye de Saint-Denis d'Orques, département de la Sarthe »

Je me permets de rectifier de suite en ce texte une légère erreur : Il n'y eut jamais d'abbaye à Saint-Denis d'Orques ; je veux dire de maison religieuse ayant eu pour supérieur un moine prélat ayant titre d'Abbé ; mais il s'y trouve encore les restes d'un monastère qui fut jadis aux Chartreux. Il avait été fondé, vers 1234, par le bienheureux Geoffroy de Loudun, évêque de Mans, et subsista en pleine prospérité jusqu'à la Révolution qui le détruisit presque entièrement, n'en laissant subsister que les bâtiments agricoles et une petite chapelle jadis réservée aux femmes[1].

Les lecteurs de Regnabit savent combien fut vive à la fin du Moyen-âge, dans l'ordre de saint Bruno, la piété envers le Coeur de Jésus, et avec quelle ferveur cet Ordre en propagea le culte, par les écrits surtout de Rudolphe de Saxe; dès le milieu du XIVe siècle, puis par ceux de Dominique de Trêves, de Denys le Chartreux, de Lansperge et autres.

La sculpture de Saint-Denis d'Orques est encore plus suggestive que la très belle clef de voûte que les moines de saint Bruno firent placer en 1474 dans leur cloître de la Grande Chartreuse, et qui représente le Coeur de Jésus sur la Croix, percé de la lance et entouré des objets divers cités dans les récits évangéliques de la Passion du Seigneur.

Les parties creusées du marbre qui va nous occuper sont tapissées d'une sorte de patine d'un blanc mat qui en souligne très énergiquement tout l'ensemble ornemental, ce qui m'a déterminé, en taillant dans le bois la gravure incluse en ce texte, à représenter, contrairement à l'usage, les reliefs en noir et les creux en blanc.

Le Coeur de Jésus triomphe au centre de la composition, navré d'une longue blessure, en double courbe qui l'ouvre obliquement. Il s'élève, en fort relief, du fond d'une sorte de cuvette tapissée de rayons qui montent du bas du pourtour du Coeur vers le niveau plat du marbre. Ces rayons, au nombre de vingt-huit, sont la caractéristique iconographique de « l'état glorieux ».

Le Coeur et son irradiation sont circonscrits, d'abord par le Cercle planétaire, puis par celui du Zodiaque ; aux quatre angles du marbre, les écoinçons sont décorés de palmettes ornementales.

Il est bien évident que, provenant d'où il vient, cet objet ne peut avoir eu pour inspirateur qu'un moine chartreux ; très probablement même est-il l'oeuvre de ses propres mains : on sait que les Chartreux ont l'obligation de partager leur temps, chaque jour, dans l'isolement érémitique de leur cellule, entre l'étude et des travaux manuels qui varient selon les goûts et les aptitudes de chacun ; il y a donc toute vraisemblance à supposer que ce marbre est l'ouvrage de l'un d'eux.

Étudions en successivement la date, les deux bandes chargées de signés astronomiques qui transportent la pensée jusqu'aux plus lointains infinis, puis cherchons l'utilisation problématique de l'objet lui-même.

LA DATE

L'ordonnance générale de la composition pourrait laisser indécis entre la deuxième moitié du XVIe siècle et le seuil du XVIIe. Cependant l'examen de toute une série de cadrans solaires datés de 1600 à 1638, et les raisons que je vais exposer ci-après, obligent à mon humble avis à fixer entre 1550 et 1575 environ la date de la sculpture de Saint-Denis d'Orques :

Les Palmettes— Chaque écoinçon du marbre est décoré d'un feuillage en double palmette composé d'un point central et de deux longues feuilles. Cette ornementation—dont les lignes rappellent celles du symbole du Soleil-ailé, ou du dieu de l'air sur les monuments égyptiens[2]  —fut surtout en faveur chez nous à la fin du XVe siècle ; on en trouve à cette époque des exemples très nombreux dans les oeuvres des graveurs sur bois qui servirent les premiers imprimeurs, dans celles des menuisiers, des sculpteurs, des ciseleurs sur métaux, etc.

Pour la corporation du Livre par exemple, des palmettes en tout semblables à celles de notre marbre figurent aux angles des gravures de la Danse macabre, imprimée par Guyot Marchand, en 1486 (N°II de la gravure terminale, p. 224) p.et sur les planches du TWs/an publiée à la même époque par Antoine Wérard (N°I de la susdite gravure). Des motifs semblables ornent aussi les angels supérieurs de la marque commerciale de Philippe Pigouchet qui imprima pour le même Vérard ; et les mêmes ! palmettes se voient encore, à la fin du XVe siècle sur l’Encomium trium Mariarunû; sur, aussi, le Calendrier des Bergers, de même date, et qui fut en faveur jusqu'à la fin du XVIe siècle, etc..

Ainsi donc, à ne considérer que la partie décorative de l'oeuvre que nous étudions il la faudrait dater : fin XVe siècle, ou peu après.

Le Marbre astronomique de la Chartreuse de St-Denis d'Orques (Sarthe)

L'irradiation du Coeur. — A noter seulement à ce sujet que l'alternance des rayons droits et des rayons ondulés, dits flamboyants, n'impose nullement, ainsi que le croit un de mes amis, une date tardive : sur la belle fresque de la « fontaine de Vie », à Saint-Mesme de Chinon, XVe siècle, tous les rayons du soleil sont flamboyants, et sur une gravure de la même époque Au Cantique des Cantiques— un des plus beaux livres xylographiques du XVe siècle [3] — la Vierge est enveloppée d'une auréole faite de rayons alternativement droits et ondulés. On pourrait citer cinquante exemples...

Les signes astronomiques. —Tout le monde connaît plus ou moins ces signes conventionnels, que les sciences d'autrefois, astronomie, astrologie, alchimie, kabbale etc.. avaient adoptés pour symboliser les divers astres de notre firmament ; on les dit : kabbalistiques, hermétiques, ésotériques, c'est-à-dire «secrets» parce qu'ils étaient propres aux sciences susdites, réservées alors à d'assez rares initiés. Leur emploi sur le Cercle planétaire et sur le Zodiaque de notre marbre « ne peut, à deux siècles près », veut bien m'écrire le savant abbé Moreux, nous fixer sur la date de la sculpture qui les porte. Cependant, en comparant les formes de ces signes sur le marbre, et celles de ces mêmes signes sur les ouvrages du XVIIe siècle que j'ai ici, notamment les OEuvres de M. I. Belot, curé de Mil-Mont, professeur aux sciences divines et célestes[4]. je remarque que celles exécutées sur le marbre sont plus archaïques que celles du livre de Belot, notamment les signes planétaires de Mercure, de Jupiter et du Soleil ; ce dernier est caractéristique avec sa face humaine et ses rayons courbes inclinés dans le même sens que ceux qu'il porte sur les Heures à l'usage de Rome, de Tielman Kerver, 1505 ; et, sur le sceau XIIIe siècle, du Chapitre Cathédral de Waterford, en Angleterre, le soleil et la lune portent de semblables rayons courbes, symbole de la course Astrale dans l'espace[5].

Sur notre Zodiaque, le signe de la Vierge est fait des lettres minuscules gothiques conjuguées, m et r (maria), très XVe siècle. On pourrait ajouter que le système de cosmogonie qui préside sur ce marbre est encore celui que connut tout le Moyen-âge, système dans lequel la Terre est le centre de l'Univers.

Sur le cercle planétaire on ne lit que les signes des sept planètes satellites qui, à la suite du soleil, croyait-on alors, tournaient autour d'elle. Dès 1507, il est vrai, Copernic se rendit compte du véritable régime de notre constellation solaire : le soleil au centre, la Terre, simple planète comme les autres, décrivant avec elles et autour de lui, la même marche de vassalité. Mais, Copernic ne publia sa découverte qu'en 1543, et même dans le siècle suivant, au temps de Galilée, son système était encore combattu par les scholastiques. L'inspirateur de la sculpture de la Chartreuse de Saint-Denis pouvait donc très bien encore, au milieu du XVIe siècle, croire avec sérénité au vieux système des anciens astronomes.

En raison de ce que nous venons d'examiner je ne crois donc pas être imprudent en assignant les environs du troisième quart du XVIe siècle, comme date au marbre qui glorifie magnifiquement le Coeur du Sauveur de la façon qui nous reste à dire.

LE CERCLE PLANÉTAIRE

Sur le marbre de Saint-Denis d'Orques, le Coeur de Jésus tient donc, au milieu du Cercle planétaire, la place médiane que l'on octroyait à la Terre dans la cosmogonie des Anciens. Il est ici présenté comme le centre et le pivot des Mondes qui constituent notre constellation solaire d'abord, puis, avec le second cercle, comme le centre des constellations du Zodiaque, et, par extension des nébuleuses de l'immensité extra-zodiacale; enfin, comme l'âme et le centre aussi ; des innombrables astres invisibles « soleils déjà vieillis, soleils agonisants, astres morts qui peuplent depuis des millions d'années les vastes cimetières du ciel[6] ».

En un mot, aux yeux du Chartreux manceau, contemporain d'Erasme et de Rabelais, le Coeur Sacré du Christ s'avère comme étant vraiment dans le Plan divin le point vital de l'infini absolu des espaces, le coeur de cette immensité dont le déploiement sans limites est pour nos esprits un si formidable mystère. Il en est également, dans la pensée du moine, le Foyer ; car, au rebours de la Terre dont il a conquis l'ancienne place, ce n'est pas Lui qui reçoit, c'est tout au contraire Lui qui donne, avec une libéralité souveraine.

Je m'explique :

Un des auteurs les plus féconds du Moyen-Age qui s'est occupé non seulement d'Astronomie, mais encore — pour en contredire les éléments fallacieux— de l'Astrologie et de l'Alchimie, le Bienheureux Raymond Lulle, étudie tout au long dans le IXe Livre de son Arbre de la Science, comment on comprenait alors (1247) « l'impression que les corps célestes impriment aux corps terrestres et la nature que ceux-ci en reçoivent[7] ».

Quatre cents ans plus tard, Mre I. Belot, curé de Milmont, dans les chapitres de son ouvrage cité plus haut qui traitent de la « Chiromencie» et; de la « Physionomie », et après lui nos modernes astrologues répètent les mêmes théories. Or, sur notre marbre ce n'est pas le Coeur-centre qui reçoit et absorbe, pour son profit, les émanations des Astres ; c'est Lui, tout au contraire qui projette vers eux, les irradie, les vivifie, règne sur eux.

Il est le munificent qui donne, divinement. Pour plus de clarté dans le reste de notre examen, je répète ici la bande planétaire :

D'abord la Croix qui ne représenta jamais aucun astre dans notre hermétisme d'Occident, et qui est là comme une sorte de Sphinx sacré dont nous essaierons plus loin de percer l'énigme.

Ils sont là, les sept astres radieux, au premier rang de la grande et lumineuse armée de l'Infini, comme les premiers grands vassaux célestes du Coeur du Verbe, Créateur et Souverain. Maintenant que veut dire la présence de la Croix au point de départ, au sommet du Cercle des planètes ?...

Dès les premiers siècles du Christianisme, une question se posa dans les études religieuses : Si des êtres vivants, conscients et responsables, composés de corps et d'âmes de même nature que les nôtres, existent sur la surface des mondes planétaires qui nous entourent, et si ces être? ont eu besoin de rédemption, celle que le Christ Jésus mérita aux Terriens par sa mort sur la Croix, a-t-elle eu une portée efficace jusqu'à eux ?

Et l'on conclut à l'affirmative.

L'écho de cette réponse ne se retrouve-t-il pas dans ce passage de l'hymne Crux fidelis, composée au VIe siècle par l'évêque poète de Poitiers, saint Fortunat [8], et que l'Église chante aux Laudes du Précieux sang et le Vendredi-Saint, durant l'Adoration de la Croix : '' Spina, clavi, lancea Les épines, les clous, la lance Mite corpus perforarunt ; Ont transpercé son doux corps ; Unda manat et cruor : L'eau s'en épanche avec le sang : Terra, pontus, astra, mundus La terre, la mer, les astres, le monde Quo lavantur flumine Sont lavés dans ce fleuve sacré.

Et ce qui me fait croire davantage encore que cette pensée de l'efficacité rédemptrice, portée jusqu'aux astres, a vraisemblablement occupé l'esprit de l'inspirateur du marbre carthusien, c'est la particularité, que voici : Sur toutes les représentations du Cercle planétaire, sur les ouvrages d'alchimie, d'astronomie, d'astrologie, et d'occultisme antérieurs à la Renaissance, l'ordre des planètes est celui-ci :  1° le Soleil, 2° la Lune, 3° Vénus, 4° Jupiter, 5° Mars, 6° Mercure et 7° Saturne. Or, sur notre marbre, au contraire, après la Croix la série planétaire commence par la Lune, qui prend ainsi N° 1 au lieu de N° 2, et finit par le Soleil qui passe de la première place à la dernière.

Évidemment une telle anomalie est voulue, et ne peut avoir comme raison déterminante que la présence insolite de la Croix sur le Cercle. Cette disposition me paraît résulter uniquement de la volonté que l'auteur a eu de placer la Croix rédemptrice entre l'ancien sigle sacré de « Sol et Luna », ainsi qu'Elle l'est dans presque toutes les Crucifixions des artistes jusqu'au XIIIe siècle, où l'on voit, de chaque côté de Jésus crucifié, les disques à faces humaines du Soleil, à sa droite, et de la Lune à sa gauche.

A noter qu'en les plaçant ainsi, l'auteur n'obéissait pas aveuglément à un usage de son époque : la coutume de placer, comme aux siècles susdits les deux astres de chaque côté de la Croix, en symbole d'éternité et de glorification, déjà plus rare aux XIVe et XVe siècles, était abandonné au milieu du XVIe[9], mais nous sommes ici, indiscutablement, en présence de l'œuvre d'un artiste, qui savait beaucoup, et qui voulait placer le Cœur de Jésus-Christ dans la plus étendue et la plus impressionnante des glorifications.

 

[1] Renseignements aimablement communiqués par M. le Curé de Saint-Denis.2] Cf. Histoire du Ciel (par Pluche). T. I, p. 42. PI. fig. 3. Paris, Estienne, 1739.[3] Cf. E. Mâle, L'Art religieux à la fin du Moyen-Age, p. 213.[4] Lyon. Claude La Rivière, 1654.[5] Cf. Richard Caulfield : The episcopal and capitular seals of the irish cathedral churches illustrated. Part. II, p. 18 et p. 111, N° 3.[6] Abbé Moreux. La Science mystérieuse des Pharaons, p. 213, G. Doin, Paris, 1923.[7] Cf. Marius André : Le Bx Raymond Lulle, p. 64 In collect. Les Saints, Paris, Lecoffre 1900.[8] Auteur aussi du Vexilla Régis.[9] Je ne pense pas qu'on puisse voir dans la présence de la Croix sur le Cercle planétaire une allusion a la devise des Chartreux : Stat Crux dum volvitur arbis, « La Croix reste immuable pendant que le monde évolue », car, rien ici ne distingue la stabilité de la Croix de la mobilité des planètes.

A nous en tenir seulement à ce que nous venons d'examiner, elle est déjà immense, mais il y a plus encore : après l'hommage de l'infini des espaces voici l'hommage de l'infini des temps :

LE ZODIAQUE

Au-dessus de la Croix du Cercle planétaire commence la série des constellations du. Zodiaque qui partagent nos années en quatre saisons et en douze mois.

Les voici, figurées par leurs signes kabbalistiques et en concordance avec la période mensuelle propre à chacune d'elles[1].

Dès les origines du culte catholique l'Église ne craignit pas d'emprunter aux usages des cultes païens les images consacrées du Zodiaque et de les faire figurer dans l'ornementation des premières basiliques. L'époque romane et l'époque ogivale les placèrent souvent sur la porte principale des églises en leur attachant des sens symboliques qu'il serait trop long d'exposer ici, notons seulement que l'idée de faire commencer — comme sur notre sculpture— l'année à mars, c'est-à-dire au Printemps, au lieu de janvier ne se rencontre pas sur les églises des XIIIe, XIVe et XVe siècles et que seuls les arts de l'époque romane en offrent l'exemple[2]. Et soulignons aussi cette singularité surprenante d'un sculpteur du XVIe siècle qui, dans sa série des mois comme dans l'emploi de « Sol et Luna » retourne aux traditions de sources nationales abandonnées depuis trois siècles, alors qu'au même moment ses contemporains prostituaient l'art religieux français à l'engouement pour un néo-paganisme bâtard et ridicule.

Une autre idée, qui n'a pu lui échapper, trouve ici sa place: Les groupements en douze constellations des astres du Zodiaque dont les mouvements délimitent nos mois et nos années datent de quelque cinq mille ans [3], et tirent leur origine des surprenants et si parfaits travaux astronomiques des Chaldéens, mais le nom de cet arrangement est grec. Au XVIe siècle comme encore au XVIIe on l'expliquait ainsi : «Les Grecs disent Zodiacos, qui est à dire Porte-Vie pour ce que la vie de tous les animaux dépend de ce cercle, car le soleil montant vers nous le long d'iceluy, nous porte la génération des choses, et, en dévalant, la corruption[4] ».

Si donc, dans la pensée d'alors, le Zodiaque portait la Vie à tous êtres vivants, nous voyons à quel centre, à quel foyer divin, radieux et généreux, l'auteur du marbre de Saint-Denis d'Orques la lui fait puiser pour lui-même, car, à moins d'être Dieu, pour pouvoir donner il faut d'abord recevoir ; or, les astres ne sont pas dieux, c'est pourquoi l'auteur leur fait emprunter au Coeur même de Dieu les dons de vie qu'ils distribueront ensuite, selon son plan providentiel, aux êtres animés.

Et ce Coeur nous apparaît maintenant, non seulement comme le Dominateur rayonnant et le Tout des Mondes dans l'Immensité sans limites, mais encore comme le centre de l'Infini de la Durée, de ces deux Éternités qui n'en font qu'une : le Passé et l'Avenir ; en même temps qu'il s'affirme comme le foyer créateur et rédempteur de toute vie sur la Terre et dans l'universalité des astres : Cor universi ! Voilà ce que proclament le Cercle planétaire et le Zodiaque du moine !

Je ne crois pas qu'il soit possible à la pensée humaine d'imaginer pour le Coeur de Jésus-Christ une apothéose plus totale, comme aussi d'enfanter une conception dont la portée puisse monter plus haut et la trajectoire aboutir plus loin, puisqu'en quelque sens que nous la puissions envisager, nous la voyons atteindre l'infini et partir avec lui vers les domaines réservés de Dieu et de ses secrets. Et l'intelligence de l'homme s'arrête et chancelle à leur seuil, et sa langue n'a plus de mots pour solliciter de ces « mystères non révélés », dont parla souvent le P. Faber, l'apaisement de sa soif de savoir et de son besoin d'aimer ; il ne lui reste plus qu'à se replier vers le Centre de toutes choses où la lance du soldat ouvrit à ses angoisses, un refuge, une source, un foyer.

Qu'on ne me dise pas qu'aucun auteur antérieur au XVIIe siècle ne parle du Coeur de Jésus en tant que centre de l'Univers ; je répondrais pour le marbre du Chartreux inconnu, comme pour le Coeur rayonnant du donjon de Chinon, qu'un homme a toujours le droit d'être en avant sur les autres et que si le marbre que j'ai reçu devance les textes —en supposant que nous les connaissions tous (?), cela prouve une fois de plus qu'en iconographie religieuse les images anciennes sont souvent antérieures  aux textes qui parlent d'elles ou des pensées qu'elles traduisent, parce que la dissertation écrite ne s'est occupée des unes et des autres que lorsqu'elles étaient déjà connues.

Le XVIIe siècle et ceux qui l'ont suivi ont en effet parlé du Coeur Universel, ils ont même traduit cette idée grandiose par la gravure, et, Regnabit en a déjà donné plusieurs exemples, mais d'envergure combien moins grande, à la vérité, que celle de la composition du Chartreux manceau.

Sur l'une de ces gravures, datée 1708 et conservée à la Bibliothèque du Hiéron de Paray, l'inscription : Cor Jesu, Cor universi se déroule au-dessus du Coeur blessé et enflammé sur la surface duquel s'inscrit la carte des cinq parties de la Terre.

Gravure de 1708, (Bibliothèque du Hiéron de Paray.)

Cela, c'est notre planète ; ce n'est pas à proprement parler l'Univers.

Une autre gravure de même époque, par Klauber[5], porte en son milieu le Coeur de Jésus blessé et place sur le triangle trinitaire avec l'inscription : Centrum universi. H est entouré de gloire et d'une couronne faite de coeurs enflammés comme lui-même, de Lui à eux, et d'eux à Lui des flèches enflammées vont et viennent. Ces coeurs représentent évidemment ceux de tous les hommes disparus, vivants et futurs. C'est l'universalité des coeurs humains.

                                               Gravure de KIauber, XVIIIe siècle.

Dans l'une et l'autre de ces gravures l'idée ne manque ni de grandeur ni de beauté ; qu'elle reste loin cependant de l'ampleur totale donnée par le moine à sa composition !

— Certes la pensée d'assimiler en certaine façon aux Astres, et surtout au Soleil à cause de son éclat, de sa chaleur, de ses bienfaits, la personne entière du Christ n'était pas neuve au Moyen-âge, et l'Église qui nous le fait glorifier chaque matin sous les vocables de Pureté de l'éternelle clarté, Soleil de Justice et Vraie Lumière[6], fait simplement écho à son passé: Le Credo de Nicée, qui date de 325, ne l'appelle-t-il pas « l'essence même de toute lumière « Lumen de lumine » ; et, peu après Constantin, «les chrétiens, grâce aux interprétations qu'ils donnent des vieux emblèmes, imposent un sens nouveau et baptisent les plus vénérables types païens ; par exemple le dieu Sol devient le Christ qui s'élève sur la terre avec l'éclat du soleil [7]». De là toute une floraison magnifique dans les Rites, les Lettres sacrées et les Arts chrétiens.

J'ai eu l'occasion en ces vingt dernières années d'étudier d'un bout à l'autre du Poitou une vingtaine de cimetières des dix premiers siècles chrétiens, et me penchant sur ces vieux Morts qui ont eu ma foi et mon espérance, pour y recueillir les témoignages de ce que, vivants, ils ont cru et espéré, j'ai relevé assez souvent, de dessus leur poitrine ou d'auprès de leur main, de petits disques de pierre ou de terre cuite qui ne paraissent être autre chose que des emblèmes religieux d'idée solaire.

Je figure, ici l'un d'eux, recueilli en 1912, dans mes fouilles de Mouterre-Silly, près Loudun (Vienne), sur la poitrine d'un squelette. II porte un trou central de suspension d'où partent vingt-six rayons. Or, les ensevelis de Mouterre étaient là depuis le VIe siècle, autour du premier lieu de déposition du corps vénéré de Saint Maximin, évêque de Trêves, né à Mouterre. C'étaient donc bien des chrétiens pieux, et le disque radié emporté par l'un d'eux dans la tombe, suspendu à son cou, n'est à mes yeux que l'image du Christ-Jésus, foyer de cette lumière divine dont l'Église appelle sur ses enfants morts les rayons revivifiants... Et lux perpetua luceat eis !

Qu'on ne crie pas à l'invraisemblable contre cette interprétation : A Saint-Just-sur-Divé[8], une autre sépulture, contenait une de ces patènes en terre noire-grisâtre et lustrée

Disque en calcaire Cimetière de Monterre-Sully, VIe siècle. (Musée des Antiq. de l'Ouest.)  Le Christ-Soleil Saint-Just-sur-Dive. (Double grandeur)]

sur lesquelles les fidèles s'envoyaient parfois des « eulogies », c'est-à-dire des aliments bénits, et qui entrent dans la catégorie de ces plats que saint Fortunat de Poitiers, écrivant à sainte Radegonde, désignait sous le nom de plateaux marmoréens, « marmoreus discus ». Dans les Églises de l'Ouest : Poitiers, Angers, Nantes, Saintes, Bordeaux, ces patènes étaient souvent décorées de la Poursuite mystique du Cerf. Image de l'Ame chrétienne pourchassée durant la vie terrestre par les passions que symbolisent des chiens, le Cerf, pour leur échapper fuit vers une Croix derrière laquelle se trouve la palme du triomphe final.

Or, sur le plateau de Saint-Just, au-dessus du Cerf et des chiens, au-dessus des obstacles qu'il franchit, au-dessus de la Croix et de la palme vers lesquelles il s'élance, plane un soleil, dont le centre, dont le cœur est fait du monogramme constantinien du Christ, les deux lettres grecques X et P superposées (XPistus).

N'est-ce donc point-là ce Christ-soleil dont la Liturgie latine nous parle dans l'office du Samedi-Saint, à la bénédiction du Cierge-pascal : « Que le véritable Astre du matin voit briller ses feux, cet Astre qui ne connaît pas de coucher, et qui, après sa résurrection, a versé sur le genre humain la lumière et la sérénité » ? Et la Liturgie n'est ici que l'écho, de l'Apocalypse de saint Jean : « Moi, Jésus... je suis le rejeton et le fils de David, l'Étoile splendide du matin». (XXII - 16.)

Mais que nous voilà loin, dira-t-on, du marbre de Saint-Denis d'Orques !... Que non pas ! Du Christ-Coeur du Soleil, sur le plateau de Saint-Just, resté sous la main d'un mort pendant mille et quatre cents ans, au Coeur rayonnant et blessé, centre de tous les soleils sur le marbre du Chartreux, il n'y a vraiment, à la mesure de l'éternité, que la distance d'un instant fugitif, et, au regard de la Foi, qu'une différence dans l'expression de deux pareils et magnifiques hommages, de deux semblables actes d'adoration. La pensée du Chartreux n'est que la sœur devenue plus grande, de celles de nos Mérovingiens de l'Ouest, et des Chrétiens de Rome au temps de Constantin. Dans la piété catholique tout se tient, tout s'enchaîne.

L'UTILISATION DU MARBRE SCULPTÉ

Au-dessus du Coeur rayonnant, un trou a été pratiqué postérieurement à l'achèvement de la sculpture, et un objet métallique, dont la partie supérieure était plus grosse que le diamètre du trou y a laissé sa trace.

Était-ce une tige ou simplement un clou.

J'ai interrogé des astronomes, des spécialistes de la gnomonique, des archéologues, personne n'a pu trouver une utilité pratique à ce marbre qui ne saurait être ni un cadran solaire, ni rien d'analogue.

J'en reste à supposer qu'il a été exécuté pour être simplement le pendant ornemental et symétrique d'un cadran solaire, horizontal ou vertical, placés l'un et l'autre de chaque côté d'une entrée, par exemple, et que son ornementation a été dictée par la seule idée d'une glorification aussi expressive que possible du Coeur de Jésus.

Comprise surtout comme il l'a su concevoir, elle est assez belle, par elle-même, pour que le Moine se soit imposé le long travail de sa transcription sur le dur et beau marbre dont il disposait.

Lui seul, qui l'avait senti naître et se préciser dans l'envol de sa prière, en aurait pu dignement parler, et peut-être faire s'ouvrir comme d'eux-mêmes, ainsi que des fruits trop mûrs, tous ces soleils, et leur faire chanter devant nous, en l'honneur du Coeur de Dieu, les hymnes inouïs des Mondes en marche sur les chemins du Ciel ! Mais, seuls et leurs extases, les saints et les prédestinés peuvent en avoir ici-bas comme le semblant d'une infime perception.

Pour nous, nous repliant sur nous-mêmes avec humilité, nous n'avons que le droit d'implorer : O Coeur ! qui êtes le centre de l'Univers, le foyer de l'Infini, et notre Rédempteur, ayez pitié de la poussière d'atomes que nous sommes, soyez notre Lumière et notre Vie maintenant et à l'heure où nous entrerons dans la vraie -Vie par la porte enténébrée de la Mort.

N° 1. — Palmettes figurant sur les planches de Tristan. (Publié par Antoine Vérard.)

N° 2. — Palmettes figurant aux angles des gravures de la Danse macabre, imprimée par Guyot Marchand.

L. CHARBONNEAU-LASSAY. Loudun (Vienne)

 

[1] Les signes astronomiques sont figurés ici tels qu'ils sont sur le marbre sculpté. [2] Cf. E. Mâle. L'Art religieux au XIII0 siècle en France, p. 87, (note) Paris, Colin.[3] Cf. Abbé Moreux La science mystérieuse des Pharaons, p. 108.[4] J. Belot : OEuvres, p. 2, 1654.[5] Cf. Revue de l'Art chrétien, juill. 1870, p. 101.[6] Litanies du saint Nom de Jésus : Jesu candir lucis eternae... Sol justitiae...Lux vera...[7] Dom H. Leclercq, Bénédictin de Fornborough : Manuel d'archéologie chrétienne, T. II, Ch. XIII, p. 579.[8] Dans, l'ancien Pays loudunais, aujourd'hui en Maine-et-Loire.

 

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