Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

XIII.

LE NATURALISME EN FRANCE, AU XIVe SIÈCLE.

L'influence des écoles italiennes devait, au XVIe siècle, s'emparer de toute l'Europe, ou du moins de toute la chrétienté latine, à tel point qu'on y trouverait difficilement une branche de l'art qui, dans sa direction ultérieure, n'ait procédé de cette influence, seule réputée classique. Il n'en avait point été de même au moyen âge. Constantinople seule avait été longtemps un foyer artistique où les autres nations allaient puiser; l'Allemagne y recourait plus directement : dans son sein étaient nées, de ce contact, les écoles rhénanes, dont nous nous inspirions à notre tour, dans nos contrées plus occidentales, si quelque circonstance favorable ne nous mettait plus immédiatement en rapport avec la source byzantine. Mais il y avait chez nous trop de vigueur native, pour que bientôt nous ne pussions nous suffire, Les germes qui nous venaient d'Orient, fécondés par notre vitalité propre, prirent leur essor avec une puissance tout originale, et bientôt, loin de recevoir l'impulsion, c'est nous qui la donnâmes: nous la donnâmes du moins en architecture, le premier des arts. Notre système ogival, porté par nos croisés jusque dans l'extrême Orient, servit à la reconstruction de l'église du Saint-Sépulcre ; à Byzance même, tandis que nous y dominions par la supériorité peut-être abusive de nos armes, nous étions en voie de faire prévaloir Tes élancements de l'arc aigu sur les hardiesses plus graves de la coupole ; et l'Italie, qui autrefois nous appelait des barbares, quoique toujours en garde contre ce qui lui venait de notre côté des Alpes, avait fini, au XIIIe siècle, c'est-à-dire à l'époque où elle-même, Rome exceptée, elle a le plus magnifiquement construit, par céder partout au règne de l'ogive, bien qu'elle n'ait jamais adopté le système ogival dans sa perfection.

Puis la réaction fut prompte : tandis que chez nous le goût tendait à dégénérer, en substituant l'élégance des ornements à la mâle harmonie des proportions, et glissait sur la pente qui devait le mener aux fioritures flamboyantes et aux lignes trop souvent brisées du XVe siècle, au milieu du XIVe, Orcagna, à Florence, dans la loggia del Lanzi, revenait au plein cintre, par esprit de retour à des lignes réputées, plus harmonieuses et plus suivies. L'arc aigu et la pratique du système ogival n'excluent aucunement un style aussi pur, combiné avec les éléments d'élévation qui leur sont propres; mais les Italiens, il faut en convenir, étaient excusables d'interpréter ce système comme arrivaient à le comprendre ceux-là mêmes dont ils le tenaient; et compris de cette sorte, une tendance à le réformer par le sentiment des véritables beautés de l'art antique, c’est-à-dire d'un art demeuré toujours sage, n'était pas dénuée de sens.

De l'architecture et de sa direction dépendent celles que prennent la sculpture d'abord, et ensuite la peinture; et c'est là ce qui les élève le plus. L'architecture réclame-t-elle un peu moins leur concours, se prête-t-elle moins à les cendre monumentales : faute d’être soulevées à sa suite, dans leur isolement, elles sont obligées d'abaisser leur ton.

Les Italiens, lents à suivre notre impulsion en architecture, prompts à s'en affranchir, ne s'étaient pas laissé influencer par la sculpture et la peinture qui étaient plus ou moins la conséquence de notre architecture même. Mais cette situation fit que, chez nous et chez les nations du nord'/'de l'Europe, on fut moins porté à suivre alors une impulsion artistique quelconque, venue de l'Italie. Dans aucune de ces contrées la sculpture et surtout la peinture n'avaient revêtu une physionomie aussi originale que l'architecture ; mais, sous l'empire de celle-ci, combiné avec une observation spontanée de la nature, elles avaient pris un caractère réel d'autonomie : plus vrai qu'on ne l'était sur les rives du Bosphore, plus monumental qu'on ne l'était de l'autre côté des Alpes.

Les tendances du XIVe siècle firent que nos imagiers voulurent être plus vrais encore ; ils eurent plus d'animation ; la noblesse monumentale de leurs oeuvres en fut diminuée, et le plus souvent, même quant à la vérité naturelle, ils perdirent à cet effort plus qu'ils n'y gagnèrent.

Les deux compositions dès lors les plus familières aux fidèles, les plus demandées aux artistes, les plus caractéristiques par conséquent de la direction de l'art, étaient le crucifix et le groupe de la Vierge-Mère. Nous y trouverons, en y fixant notre attention, tout ce que nous tenons à faire observer. Or, dans le crucifix, les jambes, les bras fléchissent à l'excès, le corps se contourne, se tord, la tête souvent s'abat ; ce n'est pas la vérité : on en verrait-là plutôt une exagération partielle. Ce naturalisme, naturalisme, avec la maigreur de ses formes, se maintient encore dans des régions de l'ascétisme, relativement élevées, si on les compare à certains christs modernes, où, sous prétexte du vrai, il semble que l'on ait pris à tâche de copier servilement les muscles , de faire circuler le sang grossier d'un modèle d'atelier, en imposant au divin Sauveur les crispations d'un supplicié vulgaire.

Nos imagiers, bien éloignés de celte entente du dessin et de l'anatomie, de tous ces genres de savoir, de cette prestesse de main, de cette habileté technique, qui constituent, dans tout ce qui en dépend, l'incontestable supériorité des artistes modernes, auraient gagné, même au point de vue de l'imitation naturelle, à conserver des attitudes plus simples et plus nobles ; mais, d'un autre côté, leur inhabileté même leur fut utile. Elle leur imposa un certain dégagement des sens propre à élever l'âme, et plus en voie de remplir, au point de vue chrétien, l'objet principal de l'art.

L'infirmité humaine ne se sauve de bien des écarts que par l'impuissance de s'avancer dans des voies vraiment bonnes en elles-mêmes, mais telles que, pour ne pas y glisser, il faudrait être soutenu par des vues élevées, dont l'on manque trop souvent.

Crucifix d'après le gaufrier du musée de Cluny. (Fin du XIIIe siècle.)

Au XIVe siècle et dès la fin du XIIIe, le groupe de la Vierge-Mère se contourne aussi, on se rappelle ces attitudes, où le corps de Marie, se balançant sur ses hanches, revient à son centre de gravité par une autre courbure du cou et des épaules. Sous l'impression des sentiments doux qui dominent dans un pareil sujet, la prétention au mouvement n'entre pas aussi vite dans les voies de l'exagération, qu'elle le fait dans le crucifix sous l'impression des tortures ; mais il arrive facilement qu'en vue des gracieuses tendresses de la maternité, observées de trop près dans la nature vivante, on frise l'afféterie, si on n'y tombe pas, ne sachant associer qu'assez maladroitement ces sentiments accentués avec l'immobilité sculpturale. Prenez toutefois ces tendances à leurs débuts, lorsqu'un reste de la gravité propre à la période précédente, cessant de prévaloir comme note dominante, sert encore à les contenir : de ces combinaisons il est Sorti de véritables chefs d'œuvres où la grâce souriante, les douces inflexions de la mère aimable ne font pas trop oublier que Marie pendant longtemps fut surtout la mère admirable. Telle est la vierge en ivoire qui, de la collection Soitikoff, est passée au musée du Louvre[1].

En Italie la statuaire demeura plus sobre, dans son naturalisme, des inflexions prétentieuses qui furent plus généralement de mode chez nous au XIVe siècle. Elle n'en fut pourtant pas exempte dans quelques crucifix et dans beaucoup de madones; et en cela même on peut voir l'influence d'une impression naturaliste fort distincte de l'impulsion venue, par Nicolas de Pise, principalement de l'antique, bien que ces deux tendances agissent simultanément pour écarter l'art chrétien des errements, devenus archaïques, qui l'avaient caractérisé dans les âges précédents. Enfin, l'esprit d'innovation avait germé de toutes parts et sous toutes les formes : sous couleur de progrès, quant aux conditions de vie, de vérité, dans l'imitation de la nature ; mais, généralement, au xiv« siècle, on constaterait un déclin dans l'esthétique de l'art, quant à l'élévation des idées et même eu égard à l'abandon graduel des moyens les plus propres à les rendre avec force.

Vierge prise sur un triptyque d'ivoire (XIVe siècle).

Telle était cependant encore dans les âmes l'intensité de la pensée chrétienne, que l'écarter des voies où jusque-là elle s'était frayé un passage, c'était la convier à s'élancer avec non moins de vigueur en quelque direction nouvelle. L'art chrétien, en effet, était appelé à s'élever aussi haut dans la voie des sentiments affectueux qu'il avait montré d'élévation dans l'expression des idées.

 

[1] Labarte, Arts industriels, pl. XVII.

 

Articles récents

Hébergé par Overblog