Voici un extrait de l'ouvrage : VIE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE par M. DE VOUZIERS qui paraîtra prochainement aux Editions Lacour. Si l'on dit que les Rois n'ont pas d'amis, d'une part les propos suivants prouveront le contaire et, d'autre part, le martyre subit par la Princesse de Lamballe est un pied de nez à cette assertion mensongère. Nous préfacerons cette réédition en mettant l'accent sur la cruauté de ceux qui se sont acharnés, plus que de raison, sur cette femme aussi généreuse que courageuse.
Princesse de Carignan dite Madame de Lamballe.
Une erreur, malheureusement trop accréditée, déclarait en principe, que les rois n'avaient point d'amis. Cette maxime aujourd'hui est démentie par les événemens qu'une horrible conspiration a fait naître.
Le tableau des actes de dévouement des véritables Français à leurs souverains en ces tems funestes, console les amis de l'humanité, et leur prouve que la vertu est encore en honneur parmi nous. La postérité ne lira pas sans attendrissement le récit des actions de fidélité, d'attachement inaltérable, dont des sujets fidèles ont donné tant de preuves au monarque et à sa famille, dans ces tems de troubles, pendant cette longue série de crimes qui auraient déshonoré le nom français, si l'on ne savait pas que ces crimes sont l'ouvrage, non d'une nation entière, mais d'un petit nombre de coupables, qui, incapables de croire à la vertu, la persécutaient sous toutes les formes.
Parmi les prodiges d'héroïsme, on doit distinguer celui de madame la Lamballe princesse de cette vertueuse amie de Marie-Antoinette, de celle qui a préféré partager le sort d'une Reine infortunée, à vivre tranquille dans une cour étrangère, et à l'abri des entreprises d'une secte régicide qui couvrit la France de deuil et d'échafauds.
Ce dévouement, qui méritait une autre récompense, a pour toujours illustré la mémoire de cette vertueuse princesse, et a couvert d'une juste ignominie le nom des brigands qui ont ose porter leurs mains coupables sur cette tête auguste. S'il est pénible à l'historien de retracer ces scènes sanglantes, il est utile que ces tableaux soient offerts aux yeux de la postérité, pour en éviter, s'il se peut, là récidive.
Mais il est rare que le peuple profite de l'expérience du passé, parce que sans instruction, souvent sans moralité, son ignorance le rend le dangereux-instrument dont se servent les intrigans dans les révolutions : c'était le peuple que les tribuns égaraient à Rome; c'était le peuple que complices mettaient en mouvement à Londres, et ce fut par le peuple que les Robespierre, les Marat, les Danton, les Sergent, firent commettre à Paris ces horribles cruautés qui assimilèrent l'homme au tigre.
Madame Marie-Thérèse-Louise de Carignan naquit à Turin, le 8 septembre 1749. Ses illustres parens, le prince de Carignan et la princesse de Hesse, étaient premiers princes du sang de cette maison, qu'Emmanuel le Grand avait illustrée par ses vertus et ses talens. Ses alliances avec la France, depuis François 1er, dont la mère était de cette famille, lui donnaient un éclat imposant.
On se rappelle, avec plaisir, que la première épouse du duc de Bourgogne, fils de Louis XV, et père des princes que nous avons le bonheur de posséder, sortait de cette tige auguste, ainsi que l'épouse de Louis XVIII et celle de monseigneur le comte d'Artois, aujourd'hui Monsieur. Ces diverses alliances avaient cimenté la bonne union qui régnait entre ces deux cours.
La jeune princesse de Carignan s'élevait sous les yeux de sa mère, qui partageait entre tous ses enfans la tendresse la plus active et qui mettait tous ses soins à les rendre dignes des plus grandes alliances.
A peine sortie de l'enfance, celle dont nous écrivons la vie faisait paraître une sensibilité exquise, un fonds inépuisable de bienfaisance et des grâces qui la rendaient l'ornement de la cour de Sardaigne. Ses parens, et le Roi lui-même, desiraient l'unir à un prince de la maison de France. Hélas, que nos désirs quelquefois nous trompent!
Cet excès de bonheur tant souhaité devait être la source des maux les plus cruels pour cette vertueuse princesse.
Un destin fatal ne servit que trop bien les espérances de cette cour abusée. M. de Penthièvre, dont les vertus éminentes étaient respectées de l'Europe entière, avait deux enfans; une fille, qui annonçait tout ce qu'elle a été par la suite, c'est-à-dire la digne héritière des hautes qualités de son père, et un fils charmant, qui aurait été le plus heureux des hommes, si des conseils perfides n'avaient point corrompu son âme active et enflammé ses sens, malheureusement trop irritables. Les désordres de ce fils, dont une grande partie était ignorée du duc de Penthièvre, alarmaient la tendresse paternelle. Mais le jeune prince de Lamballe n'avait pas encore vingt ans ; M. de Penthièvre espérait qu'une femme jeune, aimable, fixerait le coeur de son fils, et lui ferait renoncer pour toujours à cet esprit de frivolité qu'il ne croyait être que l'erreur d'une extrême jeunesse.
Hélas, combien ce bon père était abusé !
Il ne connaissait pas le motif secret des conseils qui entraînaient son fils dans les excès de la débauche ! Il est douloureux, sans doute, pour un historien, d'avoir à dévoiler les intrigues coupables du chef d'une famille respectable, et dont les descendans ont droit à notre estime, mais on ne peut tracer le tableau de notre révolution sans mettre en première ligne celui qui, trompé sans doute, puisqu'il a été victime de ses erreurs, a joué un si grand rôle dans cette horrible catastrophe. Nous le ferons avec tous les ménagemens que méritent une épouse vertueuse, et des enfans, bien éloignés d'avoir participé à ces scènes d'horreurs.
Nous porterons même le scrupule jusqu'à ne point articuler le nom-de ce grand coupable.
Comme nous l'avons dit, le jeune prince de Lamballe, entraîné par l'impétuosité des passions, et précipité dans l'abîme par des conseils pervers, détruisait sa santé et son repos. M. le duc de Penthièvre, qui était très-estimé de Louis XV, demanda conseil à ce prince sur Rétablissement de son fils, laissant au roi le soin de lui chercher une épouse. Louis XV, qui connaissait, par les éloges qu'on prodiguait à la jeune princesse de Carignan, sa beauté et ses vertus, proposa à M. de Penthièvre pour son fils sur la réponse de monsieur le Duc, le roi fit faire la proposition de ce mariage par son ambassadeur à la cour de Sardaigne.
Amédée III fut flatté d'une alliance qui allait resserrer encore les liens d'une ancienne amitié; il en parla au prince et à la princesse de Carignan, qui furent extrêmement flattés de cette proposition qui réalisait toutes leurs espérances.
La jeune princesse n'apprit pas sans émotion qu'elle allait quitter des parens qu'elle idolâtrait. Mais telle est la destinée des princes, qu'il faut qu'ils renoncent aux plus douces affections de leur âme, pour se soumettre aux lois, d'une politique qui souvent est la cause de leurs malheurs. Ce qui put apporter quelques consolations à la jeune princesse, ce fut l'idée qu'elle s'allierait à une famille vertueuse. Sans doute que si on eût connu les déréglemens de celui qui allait devenir son époux, le prince et la princesse de Carignan n'auraient jamais consenti à une union qui devait faire le malheur d'une fille chérie. Ce fut le 8 janvier 1767, que M. de Choiseul fit, au nom du Roi de France, la demande à Emmanuel III, et, dès le 14 du même mois, le mariage fut annoncé aux personnes de la cour, qui vinrent féliciter le prince et la princesse de Carignan. Le 17, le roi Emmanuel signa le contrat, et les cérémonies du mariage, par représentation, eurent lieu immédiatement après. Le prince Victor de Carignan représentait le prince de Lamballe. Entre antres instructions que la mère de la jeune princesse crut de son, devoir de lui donner, on remarque le passage suivant:
« Ne vous laissez pas corrompre par l'esprit d'irréligion qui, dit-on, fait de grands progrès en France. Mon enfant, je n'examine point si les philosophes ont tort ou raison ; mais je sais bien qu'ils ne me rendraient jamais ce qu'ils m'auraient ôté, s'ils pouvaient éteindre en moi cette douce piété qui nous met en quelque sorte en rapport avec dieu même.
D'ailleurs, il est difficile que celui qui ne croit rien puisse toujours se conduire avec sagesse, surtout pour les femmes, dont les fautes n'ont que dieu pour témoin et pour juge. Au surplus, n'oubliez pas qu'il n'est point de rang si élevé qui ne puisse éprouver des revers. »
Cette vertueuse princesse ne croyait guère alors que sa fille chérie était destinée à en éprouver de tels qu'il s ne pouvaient être prèssentis. Cette tendre mère ne put supporter la vue du départ de sa fille; après avoir inondé de larmes le visage de sa bien-aimée, et lui avoir dit un éternel adieu, elle se retira dans le fond de son appartement pour se livrer toute entière à sa douleur. Il semblait que son coeur, maternel l'avertissait ., que non seulement elle ne reverrait plus sa fille, mais encore que de grands malheurs devaient l'accabler. La jeune princesse fut conduite dans les carrosses du prince, son père, jusqu'au pont de Beauvoisin, où l'attendait la suite de M. de Penthièvre. Arrivée aux limites des états d'Emmanuel, elle sentit son coeur oppressé et des larmes coulèrent de ses yeux, en pensant qu'elle allait quitter pour toujours une famille qui l'aimait tendrement, et un pays, berceau de son enfance. Elle fut retirée de sa rêverie par l'arrivée du chevalier d'Astic, gentilhomme d'honneur du duc de Penthièvre. Ce gentilhomme lui présenta madame la comtesse de Guébriant, madame la marquise d'Aché, et les officiers destinés à sa maison. La jeune princesse se sépara de sa suite, non sans verser des larmes, et monta dans le carrosse du duc de Penthièvre, avec le chevalier d'Astic et mesdames de Guébriant et d'Aché.
Dans les premiers momens d'une séparation aussi cruelle, il n'était pas étonnant que madame de Lamballe en parût affectée.
Le chevalier d'Astic, et les dames, respectèrent une douleur si légitime, et cherchèrent à y faire diversion en entretenant la princesse des vertus de celui qu'elle allait appeler son père, et des qualités brillantes de son jeune époux. Madame de Lamballe se calma peu à peu, et entendit avec intérêt les détails sur la cour de France. Enfin, arrivée à Montereau, on lui servit un repas ordonné avec goût. Au commencement du souper, elle vit entrer un jeune page, à la livre du duc de Penthièvre, et qui lui offrit, avec toutes les grâces possibles, de la part de M de Lamballe, un très-beau bouquet.
En examinant ce page, elle lui trouva une ressemblance parfaite avec le portrait qu'elle avait reçu de son époux, et ne douta point intérieurement que ce ne fût lui ; cet empressement d'un jeune mari la flatta beaucoup, mais elle garda son secret, et répondit affectueusement au compliment du prétendu page, qui, se plaçant devant elle, cherchait à attirer ses regards. A la fin du repas. le page remonta à cheval à et retourna Nantis, dans la maison de M. le comte de Guiche, où la princesse devait arriver le lendemain.
Le 31 janvier, à quelque distance de Nangis, la princesse vit arriver au-devant d'elle M. le duc de Penthièvre, le prince Lamballe, le comte et la comtesse de la Marche. La Princesse et se hâta de présenter ses respects à son beau-père, qui la fit monter dans sa voiture, et l'amena, comme en triomphe, jusqu'à Nangis, où tout était préparé à la chapelle pour recevoir les augustes époux. La bénédiction nuptiale leur fut donnée par le cardinal de Luynes. M. de Penthièvre fit distribuer une grosse somme d'argent aux pauvres. On partit de Nangis le 1er février, et aussitôt son arrivée à Paris, madame de Lamballe écrivit à la princesse sa lettre mère, la suivante :
Paris, ce 1er février 1767.
MADAME,
« Vous avez eu la bonté de me demander d'être seule dépositaire de mes plus secrètes pensées ; il m'est doux de trouver dans la mère la plus tendre, l'amie la plus sûre. Puissé-je n'avoir à vous faire partager que mon bonheur! Il serait extrême, si je n'étais pas éloignée de vous et de mon père.
M. de Lamballe est infiniment aimable; je puis vous assurer qu'il est beaucoup mieux que son portrait il est, à ce qu'il me paraît d'un caractère affectueux et facile, et me témoigne beaucoup de tendresse. Il est bien doux de trouver dans ses devoirs les plus précieuses jouissances; il faut en convenir, les Français sont bien aimables. O ma mère ! votre fille sera heureuse. Mon beau-père me comble de caresses ; je n'ai pas encore vu ma belle-soeur, nous n'irons au couvent qu'au retour de Versailles. J'ai bien du désir de faire connaissance avec elle. Tout le monde s'accorde à dire qu'elle est charmante.
« Je vous écrirai plus en détail dans quelques jours ; mais nous sommes tout en ; l'air à cause des présentations. Permettez-moi moi d'assurer mon père de mon profond respect, et croyez à celui de, etc. »
Madame de Lamballe fut présentée le 5 février à la cour, par madame la comtesse de la Marche, et excita l'intérêt le plus vif.
Louis XV s'applaudissait d'avoir fait ce mariage, et conserva, jusqu'à la mort, une estime constante pour cette aimable personne.
Malheureusement, à cette époque, la cour était dans l'affliction ; oh venait de perdre M. le Dauphin, et madame la Dauphine était dans un état qui faisait désespérer pour sa vie. Madame de Lamballe fut admise à présenter ses respects à cette infortunée princesse; elle lui rendit de fréquentes visites, et charmait, par l'amabilité de sa conversation, les longues souffrances de madame la Dauphine, qui termina enfin sa carrière, le 13 mars 1767. Cet événement plongea de nouveau la famille royale dans le deuil, et fit disparaître pour un tems ces grâces aimables qui caractérisaient la cour de France.
Pendant quelques mois, madame de Lamballe a joui de la douce erreur de croire son mari entièrement attaché à elle, M. de Penthièvre était enchanté aussi, de voir que son fils avait renoncé aux désordres qui l'affligeaient, et dont encore il ne connaissait qu'une très-faible partie.
Lamballe. B
Ceux qui avaient entraîné le prince de Lamballe dans la carrière du vice, ne tardèrent pas à l'y ramener de nouveau. Sa jeune épouse ne s'aperçut que trop tôt du changement de son époux envers elle; mais sa belle âme renfermait en elle-même ses chagrins pour ne point affliger le meilleur des pères. Jeune, aimable, elle croyait toujours ramener un époux infidèle, qu'elle aimait avec passion, et sa victoire aurait été assurée, si on n'eût pas détourné d'elle celui qui faisait tout son bonheur.
Le prince de Lamballe, par les excès qu'on lui fit faire dans une extrême jeunesse, ruina son tempérament; de nouveaux excès achevèrent de détruire en lui le principe de vie. Respectant encore la couche conjugale, il voulut cacher aux yeux de son épouse le véritable sujet de sa froideur pour elle. Ce fut en ces circonstances que madame de Lamballe écrivit cette lettre à sa mère :
Madame de Lamballe à la princesse de Carignan.
Paris, ce 15 mai 1767.
MADAME,
« Qu'est-devenu le tems où je ne vous parlais que de mon bonheur? Est-il possible que quelques mois en ait borné le cours?
N'aurai-je plus que des souvenirs et des larmes !... Pourquoi faut-il que M.de Lamballe ait réuni tous les moyens de plaire; qu'il ait échauffé mon coeur de tous les feux de l'amour qu'il me témoignait, pour avoir changé tout-à-coup ? En vain je cherche dans ma conduite ce qui aurait pu causer ce refroidissement, je n'y trouve aucune cause. Non, je n ai point a ajouter a mes peines secrètes la douleur de pouvoir me les attribuer. J'ai tout employé pour qu'il me conservât les sentimens que j'avais été assez heureuse de lui inspirer. Serait-ce parce que je ne suis pas encore grosse? mais pourrait-il m'en faire un crime ! Il n'y a pas quatre mois que je suis mariée.
Je crois bien que je dois ce malheur à celui dont vous m'avez parlé. Madame, dans la dernière conversation que j'ai eu le bonheur d'avoir avec vous. Ils sont liés plus que jamais. Dans le commencement de mon mariage ils se voyaient moins; mais depuis quelques semaines, c'est une intimité vraiment alarmante. Ce n'est pas que ce personnage n'affecte, en ma présence et celle de mon beau-père, une extrême réserve ; il a même l'air de blâmer la grande dissipation de M. de Lamballe; il vante le bonheur d'être uni à une femme charmante et vertueuse: on voit qu'en égarant le fils il cherche à capter l'estime du père, pour obtenir son consentement à son mariage avec mademoiselle de Penthièvre. J'avoue que, quelque brillante que puisse être cette alliance, je ne crois pas que ma soeur soit heureuse avec lui.
« Pour moi, j'avais cru que je le serais avec M. de Lamballe; mais son indifférence me tue. Cependant, personne n'en est informé; il a toujours à l'extérieur les mêmes ; égards, et j'ai cru quelquefois surprendre dans ses veux le regret de ne pas me prouver sa tendresse.... Qui pourrait donc l'en empêcher? Mais une chose qui m'afflige plus sensiblement encore, c'est que je ne puis douter que la vie qu'il mène altère sa santé, il tousse fréquemment ; je crains que sa poitrine ne s'affecte. Mon dieu ! si jeune Mille pressentimens douloureux m'accablent; ô ma mère! daignez prendre part à mes chagrins, et je les sentirai moins vivement.
« Rien n'égale le respect avec lequel je suis, etc. »