LA
SOLUTION
PAR
LA MONARCHIE
LA SOLUTION
Après la catastrophe épouvantable que vient de subir la France, chacun est à se faire les demandes suivantes :
«que va-t'il sortir de ces désastres et quelle sera la forme gouvernementale assez puissante pour nous assurer l'ordre, la reprise du travail et la cicatrisation de nos plaies encore toutes saignantes ? »
Nous croyons que pour élucider ces questions ardues, il est indispensable de passer en revue tous les gouvernements qui se sont succédé, depuis la grande révolution française jusqu'à nos jours, et de tâcher de baser l'avenir sur les enseignements du passé.
Après la journée du 10 août 1792, le principe d'autorité était mort en France. Les excès révolutionnaires inaugurés par les massacres de septembre et suivis de la terreur de 93, en sont une preuve irrécusable.
La convention était, certes, composée, en majorité, d'hommes honnêtes et ennemis de la violence ; ils furent impuissants à arrêter les débordements du flot populaire et les membres les plus marquants de cette assemblée périrent, victimes de leur dévouaient à la patrie.
S'il était possible d'accorder la plus légère atténuation aux excès, sans nom, de la commune et de la Montagne de la Convention, ce serait en premier lieu, pour leur ardent amour pour la France et leur haine implacable pour leurs ennemis, ensuite, à cause de l'énergie avec laquelle elles soutinrent le principe de la République une et indivisible. (Contraste frappant avec les révolutionnaires de 1871.)
Le régime de la Terreur devait fatalement aboutir à une réaction violente. Elle fit explosion le 9 thermidor de L'AN II. La convention décréta d'accusation Robespierre et tous ses sanglants acolytes, qui expièrent, comme lui, les crimes sans nombre, qui avaient été commis, au nom de la raison d'Etat.
Sous le Directoire, la France était désorganisée administrativement, ses finances étaient épuisées et le gouvernement était impuissant à utiliser les ressources qui existaient dans le pays. La banqueroute était imminente.
Bonaparte, par son coup d'Etat du 18 brumaire, s'empara du pouvoir et se débarrassa, violemment, de tout ce qui pouvait faire échec à son autorité. La nation se trouvant dans la situation d'un navire, sans pilote, qui s'en va au caprice des vents, s'empressa d'accorder toute sa confiance à celui, en qui elle espérait trouver un sauveur.
Le 1er consul s'entoura de toutes les lumières du pays et présida à la réorganisation financière et administrative de la France. Il s'empressa, aussi, de rendre les églises et les temples à leurs cultes respectifs.
Napoléon 1er, sous son règne, porta la nation française à l'apogée de la gloire militaire. La vieille Europe trembla épouvantée mais, l'incomparable guerrier avait compté sans l'instabilité des choses humaines. La fortune qui l'avait comblé de toutes ses faveurs, l'abandonna un jour et l'épilogue du régime Impérial fut : l'invasion étrangère et l'exil, sur un rocher, du Grand Homme prisonnier des monarques européens.
Sous la restauration, la France épuisée d'hommes et d'argent, parvint cependant à cicatriser à peu près ses blessures profondes et à reprendre son rang dans le concert européen. Jusqu'en 1830, l'ordre matériel ne fut pas troublé, malgré l'existence de nombreuses conspirations dont la vigilance gouvernementale sut toujours saisir les fils.
La Révolution de 1830 est très explicable : Le Roi Charles X et ses Ministres, au lieu de marcher dans la voie du progrès et de la liberté, avaient à coeur de rétrograder et semblaient vouloir revenir aux institutions d'avant 1789; aussi, les journées de Juillet, au lieu de jeter la consternation dans le pays, furent elles accueillies comme un acte libérateur!
La chambre des députés, à ce moment là, eut la sagesse de comprendre qu'il y avait danger de tâtonner avec un gouvernement provisoire, c'est pourquoi elle s'empressa de décerner la couronne au Duc d'Orléans. La critique, toujours amère, qualifia cet acte de bonne et sage politique : d'escamotage des deux cent vingt deux.
Le règne de Louis-Philippe, fut pour la France, une époque de paix et de prospérité : Le commerce, l'industrie, les sciences, les lettres et les arts brillaient du plus vif éclat; on jouissait d'une bonne liberté, et l'avenir s'annonçait sous d'excellents auspices.
Le roi était entouré d'une belle et nombreuse famille dont la simplicité et la rigidité des moeurs, donnaient à la nation le plus salutaire exemple.
Paris, toujours capricieux et impatient, sous le prétexte de réforme électorale, et obéissant, comme d'ordinaire, à la voix d'un certain nombre d'intrigants, éprouva le besoin de s'offrir le luxe d'une nouvelle révolution.
Le trône de Louis-Philippe fut renversé et la République proclamée.
La France, moutonnière, n'ayant pas l'énergie de résister aux entraînements de sa capitale, subit le nouveau gouvernement qui venait de lui être imposé.
Une fois revenu de la première impression causée par ces événements subits, chacun acceptant le fait accompli, était décidé à faire abnégation de ses souvenirs et de ses préférences, pour se rallier sincèrement au gouvernement républicain.
Le ciel pur qui s'élevait au-dessus de la France, commença à s'assombrir le 15 mai ; la journée s'écoula, cependant, sans laisser une impression trop profonde à la population. Mais, l'orage s'amoncelait à l'horizon et devenait menaçant : en Juin, il éclata terrible, il fallut quatre jours de luttes sanglantes pour s'en rendre maître.
Le Gouvernement provisoire et l'Assemblée nationale avaient été impuissants à conjurer cette affreuse tourmente.
Le Général Cavaignac qui avait terrassé l'émeute, était appelé le sauveur de la France, comme récompense, on lui décerna la dictature.
Quelques mois plus tard, c'est à dire en décembre, les élections pour la nomination du Président; de la république, avait eu lieu, pour donner au monde qui nous suivait du regard, un exemple frappant de notre ingratitude et de la versatilité de notre caractère, nous nous gardâmes bien de jeter les yeux sur l'homme dont la grandeur d'âme, le courage et la loyauté étaient indiscutables.
Une imposante majorité de citoyens français déclara par son vote; que le fauteuil présidentiel serait bien mieux occupé par le héros de Strasbourg et de Boulogne que par l'illustre général qui avait sauvé la France de l'anarchie.
Après les journées de Juin, on croyait en avoir fini, pour longtemps au moins, avec l'émeute. On eut bientôt la preuve du contraire.
Une année ne s'était pas écoulée, qu'une nouvelle journée se produisait (1). Le mouvement fut arrêté ; mais, les socialistes qui avaient juré une haine implacable à la société, donnaient, comme date de la nouvelle levée de boucliers, l'expiration du mandat de Louis Napoléon Bonaparte dont la réélection était impossible, en vertu de la Constitution.
Le parti conservateur voyait arriver avec effroi cette date fatale s'avançant à grands pas, aussi, adressait-il pétitions sur pétitions à l'Assemblée législative, pour obtenir la révision de la Constitution.
La bonne harmonie était loin de régner entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, un conflit était imminent.
Le prince président encouragé par les craintes fondées des conservateurs et par les indécisions de l'Assemblée, déchira, une belle nuit, avec l'aide de l'armée dont il avait su s'attirer toutes les sympathies, celte Constitution dont le pays ne demandait que la révision.
Il éloigna tout ce qui pouvait être un obstacle à la réalisation des projets qu'il avait conçus, il terrorisa le parti d'action qui, cette fois, rentra complètement dans l'ombre, pour ne faire sa réapparition que de longues années après.
Le parti conservateur respirait à l'aise, il était débarrassé de l'échéance 1852 qui lui pesait si lourdement.
Lorsque le nouveau dictateur soumit au pays la ratification de l'acte qu'il venait d'accomplir, les 7,500,000 voix qui sortirent de l'urne électorale furent la meilleure expression des sentiments de la population à son égard.
Chaque conservateur pouvait être comparé à un commerçant chancelant dans ses affaires, couvant une faillite inévitable, et que tout à coup une main inespérée vient sauver du naufrage.
Tout ce monde affolé ne calculant pas les conséquences de l'acte qu'il accomplissait, allait déposer dans l'urne son vote approbateur qui donnait au nouveau souverain les pouvoirs les plus illimités.
Nous savons malheureusement, aujourd'hui, à quel prix, l'ordre a été obtenu pendant vingt ans !
Si l'honnêteté la plus rigoureuse avait présidé à tous les actes du gouvernement Impérial, l'empereur aurait pu faire atteindre au pays, le point culminant de la prospérité mais d'une prospérité vraie et non factice, comme celle qui existait et qui a amené des catastrophes aux premiers revers de fortune que nous avons eus à subir.
Pour obtenir ce résultat, il fallait s'entourer d'hommes intelligents, honorables, capables d'un dévouement désintéressé, n'ayant en vue que le bonheur de la nation et non leur intérêt personnel ; d'hommes qui au lieu de patronner les spéculations les plus hideuses qui ont amené la ruine et l'abaissement moral de la France, se fussent fait un devoir de dénoncer à l'indignation publique les spéculateurs éhontés s'appropriant scandaleusement l'épargne du travail, en faisant miroiter à ses yeux un lucre inaccoutumé.
Au lieu de chercher, par tous les moyens possibles, l'amélioration des classes laborieuses, surtout, en donnant soi-même l'exemple de la plus haute moralité.
Qu'ont fait les hommes de l'Empire ? Ils ont encouragé le luxe le plus effréné, ils ont développé, outre mesure, tous les appétits matériels au détriment des besoins intellectuels, et ils ont poussé la population vers une seule idée ; faire de rapides fortunes par tous les moyens échappant à la loi.
Tous les vices inhérents à la nature humaine, à tous les degrés de l'échelle sociale, s'étalaient sans vergogne, aux yeux de tous.
Cette dégénérescence du pays, devait fatalement nous conduire au désastre de Sedan et aux excès les plus criminels de la démagogie !
Nous ne chercherons pas à approfondir les causes qui ont pu amener le gouvernement impérial à déclarer la guerre à la Prusse. Surtout, après le plébiscite de mai dont la signification était : Progrès libéral, mais, avec l'ordre et la paix.
La guerre était difficile à éviter, nous étions un obstacle à l'unification allemande et tôt ou tard, devaient surgir des difficultés qui ne pourraient se régler que par la voie du canon. Ces cruelles nécessités étant données, il fallait se tenir prêt, attendre le moment favorable pour entrer en lice et ne pas, comme un Don Quichotte relever le gant que M. de Bismark a eu l'habileté de nous faire jeter nous mêmes.
Ce départ pour le Rhin est un acte de folie tellement indigne, qu'il est inexplicable.
Notre brave et vaillante armée a été engagée si niaisement que nous avons marché d'échecs en échecs jusqu'au désastre de Sedan.
Le 3 septembre, en effet, le bruit de notre défaite et de la capitulation acceptée par l'empereur, se répandaient dans Paris. L'émotion, l'indignation même, étaient à leur comble. Le chef de l'Etat prisonnier, il fallait prendre une résolution énergique. Le Corps législatif fut convoqué, en séance extraordinaire à minuit. Le Ministère et la majorité de l'Assemblée commirent la faute irréparable de se séparer sans avoir pris une détermination virile, et d'ajourner leur décision au lendemain.
L'opposition qui attendait, depuis longtemps, un événement qui lui permit de jeter à bas son ennemi, ne perdit pas une minute et profita du répit qui lui était donné jusqu'au lendemain midi, pour discipliner ses électeurs de la Villette et de Belleville.
Les bandes de l'émeute étaient à leurs postes à l'heure indiquée, n'attendant que le signal convenu, pour se ruer sur le palais Bourbon.
La cavalerie qui gardait l'entrée du pont de la Concorde, n'ayant pas d'ordres formels et énergiques, laissa à un moment donné, forcer ses lignes par la tourbe populaire qui. n'avait plus qu'une étape à accomplir pour atteindre son but.
Les députés s'étaient réunis dans leurs bureaux pour discuter les mesures qu'il y avait à prendre, en présence de la gravité excessive de la situation.
Sur ces entrefaites, plusieurs personnes se rendent sur le perron du Palais et font signe à la populace de les suivre. En un clin d'oeil, la salle des séances se trouva occupée par les Bellevillois.
M. Gambetta monta à la tribune et prononça la déchéance de l'Empire; il engagea, ensuite, ses coreligionnaires politiques à le suivre à l'Hôtel-de-Ville, ce que ceux-ci s'empressèrent de faire, sans se préoccuper nullement de leurs collègues, issus comme eux, cependant, du suffrage universel.
Arrivés au palais municipal, les citoyens députés de la Seine consommèrent leur coup d'Etat. Ils proclamèrent la République et décrétèrent la dissolution du Sénat et du Corps législatif.
Messieurs les chasseurs se sont rendu maîtres de la proie qu'ils convoitaient depuis longtemps, mais, la meute est frémissante; il faut sonner l'hallali et livrer la France à la curée.
On pourrait croire que les hommes qui en usurpant le pouvoir, se parent du titre pompeux de : «Membres du Gouvernement de la défense nationale,» se sont empressés, sitôt leur installation à l'Hôtel-de-Ville, de prendre des mesures énergiques pour la défense de Paris, objectif des armées allemandes.
On pourrait penser qu'ils se sont préoccupés de la formation de nombreux corps d'armée dans les provinces non encore envahies! Hé bien non! le 4 septembre au soir et les jours suivants le nouveau gouvernement ne s'occupa pas plus de la défense nationale que des agissements du céleste empire.
Quelle devait être l'attitude du Gouvernement de la défense, après avoir assumé, sur sa tête, la responsabilité au salut de la patrie?
Il devait surtout, en s'inspirant de son titre, bien se pénétrer de la mission qu'il s'était donnée. Pour avoir toute la force morale nécessaire à l'accomplissement de son mandat, il devait grouper, autour de lui, tous les dévouements et accepter tous les concours de quelque part qu'ils vinssent.
Il est de toute évidence que le parti le plus sage qu'il y avait à prendre : c'était la convocation immédiate des électeurs pour nommer une Assemblée nationale qui aurait été l'expression de la France entière et qui constituée, en pouvoir régulier aurait été à même de mettre en mouvement tous les ressorts nécessaires à la défense.
Nous acceptons les faits accomplis : Le Gouvernement ne fera pas appel au Suffrage universel pour constituer un pouvoir régulier, ses membres préférant se réserver le pouvoir qu'ils ont violemment usurpé.
Le Corps législatif et le Sénat sont dissous. Mais, dans ces deux grands corps de l'Etat, il y a des hommes honnêtes qui jouissent, dans divers centres, d'une grande influence. Est-ce que le devoir du Gouvernement de la défense, n'était pas de faire appel au patriotisme de tous ces hommes en leur confiant la mission de faire vibrer la fibre nationale dans leurs départements? Qui sait, si à l'appel de ceux en qui elle avait confiance la province ne se serait pas levée spontanément!
Au lieu de suivre cette ligne de conduite pleine de logique et de sagesse, qu'ont fait les hommes du 4 septembre ? Ils se sont empressés de révoquer, indistinctement, tous les préfets et sous-préfets pour les remplacer par leurs créatures, pour la plupart notoirement incapables et qui de plus étant complètement inconnues aux populations qu'elles étaient chargées d'administrer ne pouvaient exercer sur elles aucune influence salutaire.
Et certes, à ce moment là plus que jamais, il fallait inspirer aux habitants de la province, la plus grande confiance possible, puisqu'on allait leur demander leurs enfants et leur argent.
Les Membres du Gouvernement de la défense ont eu la bonhomie de croire que les départements allaient se lever, avec un enthousiasme indescriptible, à la seule vue de l'étendard républicain. Il fallait, réellement, n'avoir aucune connaissance de ces populations, pour avoir compté, un instant, sur ce résultat.
Pour la province, quelques grands centres exceptés, le mot République était synonyme : d'arbitraire, de désordre et de cahos. Les événements qui se sont accomplis ont, du reste, prouvé qu'elle ne s'était pas trompée dans son appréciation.
Ce qu'il nous faut déplorer amèrement, c'est que Messieurs les Membres du Gouvernement de la défense nationale, aient voulu sauver, à eux seuls, le pays et surtout la République ; car nous n'hésitons pas à dire qu'ils ont mis leur République au-dessus de la France.
A côté des hommes honnêtes et considérables, dont on a eu soin de dédaigner les services, il y avait un parti dangereux par ses exagérations, sa violence, ses menaces réitérées et dont les agissements avaient mis, depuis longues années, la province en suspicion contre Paris.
Le Gouvernement de la défense redoutait un conflit avec les meneurs de ce parti ; aussi, il n'y avait pas de complaisances que l'on eut pour eux. Les quartiers habités par les nombreux soldats du désordre, furent les premiers armés, on leur distribua les meilleures armas et on donna des situations à tous leurs chefs. Avec cette manière d'agir, le jour où il faudrait mettre un terme à leurs exigences toujours croissantes; on devait s'attendre à la revendication, par la force, de ce que jusqu'alors ils avaient obtenu de bonne grâce…
(1) Journée des Arts-et-Métiers 13 juin 1849.
ANONYNE.
A SUIVRE…