DESCRIPTION DES DÉFENSES DE LA CITÉ. (Suite)
…A peine si l'on a pris soin de déblayer les ruines, car on remarque, enclavés dans les courtines reprises au XIIIe siècle, d'énormes pans de murs renversés et présentant verticalement les lits de leurs assises de moellon ou de brique. Grâce à la bonté des mortiers, ces masses renversées ne se sont point disjointes et sont là comme des rochers sur lesquels on serait venu construire de nouveaux murs.
De ce côté, les courtines et les tours sont très-hautes et dominent de beaucoup l'enceinte extérieure élevée sur la crête de l'escarpement.
Cet escarpement fait face à l'Aude et il s'étend jusqu'à la tour n° 41 qui termine le saillant occidental de la cité.
Deux portes sont percées dans l'enceinte des Visigoths: l'une, petite, datant de l'époque primitive, a été murée; elle est située à la droite de la tour n° 26; l'autre, percée au XIIe siècle et réparée au XIIIe siècle, se trouve entre les tours 24 et 25. C'est la porte désignée par le sénéchal Guillaume des Ormes sous le nom de porte de Rodez. Elle ne présente aucune défense particulière, mais devait être précédée d'un ouvrage avec poterne, protégé par la tour-barbacane n° 4; tour qui a malheureusement été modifiée dans sa forme par le génie militaire, de telle sorte qu'aujourd'hui la porte de Rodez donne sur les lices et n'a plus de communication avec le dehors.
Si nous passons de l'autre côté du château, vers le sud-ouest, nous rencontrons la porte de l'Aude (autrefois porte de Toulouse).
Cette porte a été percée dans la muraille des Visigoths au XIIe siècle. On voit encore, à l'extérieur, l'arc plein cintre qui paraît appartenir à cette époque par son appareil et la nature des matériaux employés. A la gauche de cette porte il existait, sur un pan de mur visigoth, un bâtiment contemporain du château, c'est-à-dire élevé du XIe au XIIe siècle. Le mur extérieur de ce bâtiment est encore percé de trois petites fenêtres jumelles divisées par des colonnettes de marbre avec chapiteaux sculptés.
Une longue rampe aboutissait à la grande barbacane n° 8 et était battue par cette barbacane; elle s'élève suivant une inclinaison assez roide, et, en faisant un lacet, conduit à une première porte, simple barrière, puis à une seconde porte défendue par un crénelage et commandée par un gros ouvrage en forme de traverse, terminé, à la hauteur des chemins de ronde de l'enceinte intérieure, par une plate-forme et des merlons. A sa base, cette traverse est percée d'une porte qui donne entrée dans les lices du sud-ouest.
Il faut gravir, en dedans de l'enceinte extérieure, une rampe assez roide battue par l'ouvrage qui masque la porte de l'Aude, percée dans le mur de l'enceinte intérieure. Cette rampe est dominée par la tour de la Justice, n° 37, et par une tour visigothe, n° 38. On arrive ainsi à un lacet qui oblige l'arrivant à se détourner brusquement pour atteindre la porte. Bien qu'il n'y ait, devant cette porte, ni fossé ni ponts à bascule, il n'était point facile d'y arriver malgré les gens du dedans de la ville, car l'espace compris entre les deux enceintes forme une véritable place d'armes, un grand châtelet, commandé de tous côtés par des ouvrages formidables. De plus, les lices, à droite et à gauche, étaient fermées par des portes. On observera que la porte supérieure est percée dans un angle rentrant, ce qui a permis de la flanquer très puissamment, et que son masque forme en avant un petit châtelet que l'on pouvait fermer complétement en temps de guerre, et qui, en temps de paix, était précédé d'un petit poste dont on aperçoit encore la trace le long de la courtine. De cet ouvrage, les rondes pouvaient descendre dans les lices du sud-ouest, en ouvrant une porte percée sur le flanc du parapet et en posant des planches mobiles sur des corbeaux engagés dans les gros contre-forts à la suite. Ce moyen de sortie ou d'entrée indique assez que l'ouvrage, en avant de la porte de l'Aude, était absolument fermé en temps de guerre.
En se dirigeant de la porte de l'Aude vers les lices du sud-ouest, on laisse bientôt les dernières traces des constructions visigothes et l'on atteint le saillant bâti par Philippe le Hardi, en dehors des terrains de l'évêché (fig. 16). Ayant passé la porte percée dans la traverse de commandement, et que nous croyons être la porte dite du Sénéchal, on voit une des tours des Visigoths, entière, puis la tour 39, dite de l'Inquisition, et dans laquelle nous avons trouvé un cachot avec pilier central, garni de chaînes, puis la tour carrée n° 11, dite de l'Évêque. Cette tour, à cheval sur les lices, commande les deux enceintes et pouvait, sur ce front, couper la communication entre la partie sud et la partie nord des lices. Toutefois, les deux arcs jetés sur le passage, entre les deux enceintes, n'étaient défendus que par deux machicoulis intérieurs et par un machicoulis percé au milieu de la voûte. On ne trouve pas trace de gonds indiquant la présence de vantaux de porte, mais seulement des entailles qui font supposer qu'en temps de guerre des barrières de bois fermaient ces ouvertures et interceptaient les communications. Cette tour, dont l'évêque avait la jouissance sauf le chemin de ronde supérieur, est fort belle, admirablement construite, fièrement plantée sur les deux enceintes dont elle rompt l'uniformité. De même qu'elle coupait la communication sur les lices, elle interrompait aussi le chemin de ronde supérieur des courtines, car, pour aller de la courtine nord à la courtine sud, il fallait traverser cette tour et forcer deux portes. Les escaliers intérieurs sont disposés de façon à ce que l'accès aux crénelages soit indépendant de l'accès aux deux salles voûtées, dont l'évêque avait la jouissance.
Les courtines qui font partie du saillant bâti par Philippe le Hardi, sont munies de belles meurtrières percées sous des arcades avec bancs; meurtrières qui battent les lices et les chemins de ronde de l'enceinte extérieure. On voit encore, en dehors de cette partie de l'enceinte extérieure, à côté de la tour n° 12, dite du Grand-Canisou, les orifices de l'égout que le roi avait fait construire à travers la muraille élevée par son ordre, pour rejeter au dehors les eaux de l'évêché, ainsi qu'il a été dit plus haut.
Quant aux bâtiments de l'évêché, ils sont complétement rasés; il n'en est pas de même du cloître de l'église Saint-Nazaire, dont les fondations ont été retrouvées. Ces fondations, et un mur de ce cloître, conservé avec les piles engagées et les formerets des voûtes, se rapportent aux tracés des vieux plans de la cité, dans lesquels ce cloître et ses dépendances sont indiqués. Cette construction date de l'époque de saint Louis. A la suite de la tour n° 11 est la tour n° 10, dite de Cahusac, qui présente une disposition curieuse. Le chemin de ronde tourne à l'entour, et est couvert par un portique; puis on arrive à la tour du coin n° 41, dite Mipadre ou de Prade. Elle contient deux étages voûtés et deux étages entre planchers, elle est munie d'une cheminée et d'un four. La seule porte donnant entrée dans cette tour, qui n'interrompt pas le chemin de ronde, est percée du côté de l'est et était fermée par des verrous et une barre rentrant dans la muraille. Comme aux autres tours de cette partie de l'enceinte, le dernier merlon des courtines s'élève au point de jonction avec la tour, là où sont percées les portes, et le dernier créneau était également muni de volets sur rouleaux, afin de protéger les entrants ou les sortants ou les factionnaires posés aux entrées des tours. Presque toujours il faut monter quelques marches pour passer des courtines dans les tours, et alors le crénelage suit la montée.
On remarquera encore que les chemins de ronde des courtines, et par conséquent les crénelages et les hourds ne sont pas toujours de niveau, mais suivent la pente du terrain extérieur, de manière à conserver sur tous les points de l'enceinte une hauteur d'escarpe uniforme, ainsi que cela se pratique encore de nos jours.
C'était une règle établie par l'expérience, et, passé une certaine hauteur, l'échelade devait être regardée comme impossible; aussi maintenait-on un minimum d'élévation partout. Toutefois les escarpes de l'enceinte intérieure sont beaucoup plus élevées que celles de l'enceinte extérieure. L'enceinte extérieure était établie de manière à battre l'assaillant à grande distance et à l'empêcher d'approcher ; tandis que pour l'enceinte intérieure, tout est combiné en vue de combattre un ennemi très-rapproché. Il n'est pas besoin d'insister sur une disposition indiquée par le simple bon sens.
Dans l'enceinte du cloître Saint-Nazaire, de larges escaliers donnent accès aux remparts. Mais il est bon d'observer que le cloître et l'évêché étaient déjà renfermés dans une enceinte, et que, par conséquent, les habitants de la ville ne pouvaient monter de la voie publique sur les courtines. Partout où il existe des escaliers montant aux chemins de ronde directement, ces escaliers sont toujours, ou enclavés dans d'anciens logis dépendant des murailles et fortifiés, ou compris dans des enceintes spéciales; tels sont les escaliers qui montaient à la courtine à côté de la tour n° 44, le long de la tour n° 47 et près de la chapelle Saint-Sernin (tour 53). Le plus souvent, ce sont les escaliers des tours qui, au moyen de petites portes extérieures bien ferrées, permettent l'accès sur les chemins de ronde. La garnison pouvait donc, si bon lui semblait, ainsi que nous l'avons dit plus haut, s'isoler et tenir les citoyens en respect pendant qu'elle repoussait les assiégeants. Elle seule circulait entre les deux enceintes, dans les lices, en fermant les portes de la ville sur les habitants; sur ce point, il n'y avait nul inconvénient à ce que les chemins de ronde fussent de plain-pied avec le terre-plein.
En suivant l'enceinte intérieure vers l'est, après avoir dépassé la tour n° 42 — dite tour du Moulin, parce qu'autrefois son étage supérieur, en retraite sur le crénelage, était affecté au mécanisme d'un moulin à vent —on arrive à la tour n° 43, dite tour et poterne Saint-Nazaire. Cet ouvrage, sur plan carré, est encore un des plus remarquables de la cité. A côté de la barbacane n° 15, dite de la Crémade et dépendant de l'enceinte extérieure, est une poterne basse et étroite, donnant dans le fossé peu profond sur ce point. Cette poterne, en cas de siége, pouvait être murée facilement puisqu'il n'y avait qu'à remplir l'escalier roide qui, du seuil de cette poterne, monte aux lices. Le large diamètre de la tour de la Crémade en fait une barbacane propre d'ailleurs à protéger des sorties ou des partis rentrants. Cette tour n'était point couverte, comme les autres, par un comble, et est en communication directe avec le chemin de ronde des courtines dont elle n'est, pourrait-on dire, qu'un appendice flanquant.
Quant à la tour Saint-Nazaire, il était impossible à des assiégeants postés en dehors de l'enceinte extérieure de supposer qu'elle fût munie d'une poterne. La porte, percée à la base de celte tour Saint-Nazaire, et donnant sur les lices, est ouverte de côté, masquée par la saillie de l'échauguette d'angle, et le seuil de celte ouverture est établi à plus de deux mètres au-dessus du sol des lices. Il fallait donc poser des échelles ou un plan incliné en bois pour entrer et sortir.
Dans la tour elle-même l'entrée est biaise, et, si de l'extérieur on n'entre par la poterne percée sur le flanc est de la tour qu'au moyen d'échelles ou d'un plancher mobile, on ne peut franchir la seconde entrée qu'en se détournant à angle droit. Cette poterne ne pouvait donc servir qu'aux gens de pied. Chacune des deux baies est munie d'une herse, de machicoulis et de vantaux. Un puits dessert les lices et le premier étage, qui contient en outre un four. La première herse était manœuvrée de la salle du premier étage, la deuxième du chemin de ronde, comme à la porte Narbonnaise. Le crénelage supérieur s'élève sur une plate-forme propre à recevoir un engin de défense (mangonneau) et possède une guette, car ce point est un des plus élevés de la cité. Le crénelage inférieur (car la défense de couronnement est double) est flanqué par des échauguettes qui montent de fond. Toujours en se dirigeant vers l'est, on arrive à peu de distance de la tour Saint-Nazaire à la tour n° 44, dite Saint-Martin, qui semble avoir été élevée à proximité de la tour n°43àdessein, pour masquer et battre la poterne à très-petite portée. Cette tour est renforcée, comme les tours 41 et 42 et comme celles de la porte Narbonnaise, par un bec saillant dont nous avons expliqué l'utilité. Elle contient deux étages voûtés, deux étages sous plancher, comme la tour n° 41, et se dégage au-dessus du chemin de ronde qui tourne autour d'elle du côté de la ville.
A partir de ce point de l'enceinte intérieure, nous voyons reparaître, dans les parties inférieures des courtines et tours, les restes des remparts visigoths jusqu'à la tour n° 53, dite de Saint-Sernin, à côté de la porte Narbonnaise.
Les tours n° 45, 46, 47, 49, 50, 52 et 53 sont bâties sur les fondations des tours primitives et sont d'un diamètre plus faible que les tours du XIIIe siècle. Seule, la tour n°48 a été reconstruite entièrement par Philippe le Hardi. Aussi présente-t-elle à l'extérieur un bec saillant, et l'épaisseur de sa construction est très-considérable. C'est qu'elle devait s'élever assez haut pour dominer la tour n° 18 de l'enceinte extérieure, tour dite de la Vade ou du Papegay, sorte de donjon avancé absolument indépendant et qui était destiné à battre le plateau qui s'étend de plain-pied, en face de ce front.
Les tours précédentes, n° 45, 46, 47, 49, 50 et 52, ne sont pas voûtées, et des planchers en bois séparaient leurs étages, au nombre de deux seulement et établis sur le 'massif plein de la maçonnerie des Visigoths. Leurs escaliers à vis font saillie à l'intérieur des salles et sont pris à leurs dépens. Toutes ces tours interrompent la circulation sur le chemin de ronde des courtines; il faut les traverser pour communiquer d'une courtine à l'autre. La tour n°49, dite de Daréja, est bâtie sur une substruction romaine, formée de gros blocs de pierre parfaitement jointifs, sans mortier. Le soubassement romain portait certainement une tour carrée, car les Visigoths se sont contentés d'abattre les arêtes saillantes à coups de masse, pour arrondir cette construction massive qui ne renferme qu'un blocage.
En examinant les constructions surélevées au XIIIe siècle, on voit que les ingénieurs ont donné à la partie cylindrique (côté extérieur) une forte épaisseur, tandis que du côté de la ville, là où la tour est fermée par un pignon, les murs n'ont qu'une faible épaisseur, afin d'obtenir l'espace vide le plus grand possible à l'intérieur pour loger les postes. La tour n° 47 présente aussi, sur les lices, dans sa partie inférieure, des restes de soubassements romains, sur lesquels est implantée une tour visigothe couronnée par la bâtisse du XIIIe siècle.
Ainsi, toute cette portion de l'enceinte, comprise entre la tour n°44 et la porte narbonnaise, a été réparée et reconstruite en partie par Philippe le Hardi sur l'enceinte des Visigoths, qui avait été élevée sur les remparts romains. Le périmètre de la ville antique est donc donné par celui de la ville des Visigoths, puisque, du côté du midi comme du côté du nord, nous retrouvons les traces des constructions romaines sous les ouvrages dus aux barbares.
Sur tout ce front sud-est, les hourds présentaient en temps de guerre une ligne non interrompue, car ceux des courtines se relient à ceux des tours au moyen de quelques marches. Cela était nécessaire pour faciliter la défense et ne pouvait avoir d'inconvénients, dans le cas où l'assiégeant se serait emparé d'une portion de ces hourds, car il était facile de les couper en un instant et d'empêcher l'ennemi de profiter de cette coursière extérieure continue pour s'emparer successivement des étages supérieurs des tours. L'assiégé, obligé d'abandonner une portion de ces hourds, pouvait lui-même y mettre le feu, sacrifier au besoin une tour ou deux, et se retirer dans les postes éloignés du point tombé au pouvoir de l'ennemi, en coupant les planchers de bois derrière lui.
Les tablettes de pierre des chemins de ronde des courtines élevées sous Philippe le Hardi sont supportées à l'intérieur pour augmenter la largeur de la coursière, du côté du sud et du sud-est, depuis la tour de l'évêque jusqu'à la porte Narbonnaise, par des corbeaux de pierre. Il existe, entre ces corbeaux, des trous carrés très-profonds ménagés dans la construction à intervalles égaux. Ces trous étaient destinés à loger des solives horizontales dont l'extrémité pouvait, au besoin, être soulagée par des poteaux. Sur ces solives on établissait un plancher continu qui élargissait d'autant le chemin de ronde à l'intérieur et formait une saillie fort utile pour l'approvisionnement des hourds, pour la mise enbatterie de pierrières et trébuchets, et pour disposer au pied des remparts, sur le terre-plein de la ville, des magasins, des abris pour un supplément de garnison.
Les combles qui couvraient les hourds venaient très probablement couvrir ce supplément de coursières. On conçoit combien ces larges espaces, ménagés à la partie supérieure des courtines, devaient faciliter la défense. Et il faut noter ici que cette disposition n'existe que dans la partie des défenses qui était le moins bien protégée par la nature du terrain et contre laquelle, par conséquent, l'assaillant devait réunir tous les efforts et pouvait organiser une attaque en règle...