NOTRE-DAME DE ROMAY
ET LES SOUVENIRS QUI S'Y RATTACHENT
PAR L'ABBÉ BARN
CHANOINE HONORAIRE D’AUTUN ET DE ROUEN
CURÉ-ARCHIPRÊTRE DE LA BASILIQUE
DU SACRE-COEUR DE PARAY- LE- MONIAL
NOTRE-DAME DE ROMAY
CHAPITRE III
LES STATUES DE LA SAINTE VIERGE A PARAY
Paroisse de Paray. Paroisse de Marie.
Le culte de Marie, en grand honneur chez nos ancêtres, les chrétiens des premiers temps, a laissé parmi nous des traces profondes. C'est à chaque pas qu'on les retrouve en fouillant le passé de la paroisse de Paray. Nous avons déjà nommé la rue Notre-Dame-du-Cimetière. — Voici au centre de la cité la rue Dame-Dieu, c'est-à-dire Notre-Dame, Mère de Dieu[1], aboutissant au célèbre monastère de la Visitation.
Mais il ne reste pas seulement des noms, des souvenirs et, des églises. Il y a encore d'autres monuments de pierre que celui de la Madone de Romay. Ces statues ont leur histoire. En décrire les plus remarquables s'impose à un historien, désireux de faire la pleine lumière sur la loi du vieux Paray.
I
La première de ces vieilles Madones de Paray à signaler se rattache à l'histoire de Romay. C'est la représentation de la Vierge-Mère. Elle n'a pas assurément la valeur artistique et mystique de la vraie Madone; mais la considérer comme sa soeur n'a rien d'invraisemblable. Cette statue, en pierre de Romay, ayant la grandeur de la première, fut tirée de l'oubli, il y a plus d'un siècle, dans des circonstances singulières. Un charpentier, nommé Joly, travaillait avec plusieurs autres ouvriers au village de Romay, près du moulin. Après le repas du milieu du jour, ils se reposaient sur le bord de la Bourbince. Tout à coup. Joly aperçut à travers l'onde tranquille une masse informe ayant l'apparence d'un corps humain, et aussitôt il appelle sur cet objet l'attention de, ses compagnons de travail. « Je veux savoir ce qu'il en est », dit-il, et il se précipite dans l'eau, peu profonde à cet endroit. Son pied heurte une pierre taillée. Il la soulève et s'écrie : « C'est une Sainte Vierge, je l'emporterai à ma femme, ce soir. Ah ! quelle va être contente ! » De fait, Jeanne-Marie Colin, femme Joly, était une fort bonne chrétienne. Elle fut très enchantée de cette découverte et donna, avec le plus grand bonheur, asile dans sa maison à la statue. Comme la Madone de Romay était habillée en tout temps, elle façonna avec goût des vêtements à sa bonne Vierge. Le socle de la statue se trouvant rongé, par un long séjour dans l'eau, sans doute, Joly en prépara un en bois dans lequel il l'incrusta solidement pour permettre au bloc de garder la position verticale.
Avant de poursuivre ce récit, exprimons notre opinion sur cette statue.
Elle a dû remplacer la Madone des moines, enfouie en terre à l'époque, de l'invasion des Calvinistes, appelés les Huguenots, par mépris, dans plusieurs régions. Elle est demeurée dans la chapelle après la découverte providentielle de l'ancienne et y resta vraisemblablement jusqu'à la Révolution. Les nouveaux iconoclastes de 1793 n'en firent aucun cas. Ils se contentèrent d'emmener la plus vénérée à Paray, tandis qu'un voisin quelconque de la chapelle, pour la soustraire à la profanation, la cachait dans la rivière.
Jeanne-Marie Joly avait la plus grande vénération pour sa Sainte Vierge et elle s'efforçait de la communiquer à ses voisines[2].
La femme Joly perdit successivement son mari et sa tille unique, Jeanne Joly, épouse de Jean Larue. La fille de ce dernier se maria à Digoin et elle emmena sa grand'mère avec elle et la soigna très bien jusqu'à sa mort, lin quittant Paray pour habiter Digoin, Jeanne-Marie emportait avec elle son trésor, c'est-à-dire sa vénérée statue. Placée sur une commode, la Vierge, apparaissait vêtue d'une robe blanche et d'un voile de tulle blanc, garni d'une, riche dentelle. Les petites filles du quartier de la Grève de la Loire, se faisaient une joie enfantine d'offrir les plus belles fleurs à la Sainte Vierge de la tante Joly, et venaient souvent, sur le soir s'agenouiller auprès de la Sainte Vierge, pour réciter une prière. A la mort de cette pieuse chrétienne, arrivée le 13 mars 1853, à l'âge de 83 ans, la statue resta quelque temps à sa place. Un jour elle, tomba à terre et se brisa. Les fragments épars prirent le chemin du grenier et y demeurèrent plusieurs années sans honneur et sans prière[3]. Une soeur de Jean Larue. Mlle Louise Larue, après avoir séjourné longtemps à Paris, revint en Charolais et fut reçue chez sa nièce, à Digoin. Cette personne, ne voyant plus la Vierge, de famille, s'enquit de ce qu'elle était devenue. On lui apprit l'accident. Aussitôt elle s'empressa de la remettre en bon état et de la placer dans, sa chambre. Mlle Larue est revenue à Paray pour y finir ses jours. Elle, a rapporté sa chère statue avec elle et met tout son bonheur à redire à qui veut l'entendre, l'histoire intéressante de la Madone. Nous lui avons demandé de nous permettre de la faire photographier sur place. Elle a bien voulu autoriser la reproduction. Cette Vierge-Mère porte le diadème à pointes. L'Enfant-Jésus est sur le bras droit et la Vierge tient, de la main gauche, l'extrémité du pied droit. Le pied gauche est pendant et l'attitude est celle d'un enfant effrayé, qui se cramponne au vêtement maternel. Le galbe de ce groupe manque absolument de grâce. Cela tient à ce que les pieds sont perdus dans le piédestal rapporté et aussi à l'inhabileté de l'ouvrier. On nous fait espérer qu'un jour elle reprendra son rang au sanctuaire de Romay. Nous lui donnerions, volontiers, telle qu'elle est, une place d'honneur dans la chapelle.
II
STATUE DE LA FAMILLE DAMAS-DIGOINE
Le pieux usage de revêtir d'un insigne religieux les façades de maisons, les frontons des portes d'entrée, les angles de rues ainsi que les places publiques a été établi à Paray par les Bénédictins [4]. On s’est servi de sept bornes, transformées en croix dans la suite, pour marquer les limites d'affranchissement de la ville de Paray.
Il y avait autrefois une grande croix à l'extrémité du pont du moulin des Moines, du côté de l'Hôtel de la Poste. Les anciens actes citent plusieurs autres croix ; la croix de Notre-Dame, près le cimetière, la croix placée sur le chemin de la Villeneuve, la croix de Bouléry et la croix de pierre qui donna son nom au quartier situé en dehors des fossés[5].
Souvent l'insigne religieux est une statue de la Sainte Vierge. Le protestantisme, dans son horreur pour les images, non seulement n'a pas découragé les catholiques, mais il a provoqué ces démonstrations chrétiennes. Lorsque l'habitation d'un catholique, était juxtaposée à celle d'un calviniste, il n'était pas rare de voir le catholique arborer un signe, chrétien quelconque[6]. Le monument le plus caractéristique on ce sens est la Vierge que l'on voit à l'angle de la maison des Damas-Digoine, donnant sur la rue Billet[7] et sur la rue Brice-Baudron maison veuve Muet-Morin. La Madone s encadre dans une niche gothique à pinacle. L’écusson est effacé ; mais il n'y a pas de doute sur son origine, puisqu'on retrouve les armes des Damas sur la plaque de la cheminée de la cuisine. Cet élégant monument rappelle le style de la chapelle sépulcrale de la famille de Damas, transformée en chapelle de la Sainte Vierge. La construction de l'une et de l'autre est du XVe siècle. La Vierge de Mme Muet est de cette époque. Le dessin, la coiffure, la couronne et surtout la nudité de l'Enfant-Jésus n'appartiennent pas au Moyen Age. Ce sont des caractéristiques qui marquent la fin du XVe et le commencement du XVIe siècle.
Dès le XIIe siècle, affirme M. Georges Roliault de Fleury, la Vierge, comme à Bernet, est souvent représentée avec une pomme en main. Nouvelle Eve, elle l'offre à Jésus, en souvenir du Paradis terrestre, rappelé dans le mystère de la Rédemption.
Au moment de la Révolution française, la maison de Damas-Digoine était occupée par M. Naulin, père, de M. Naulin, chanoine honoraire d'Autun, ancien curé-provicaire et archiprêtre de Saint-Pierre de Mâcon, de vénérée mémoire. Pour éviter que la statue, ne fût profanée à la place qu’elle occupait, M. Naulin la fît descendre dans son magasin. Un jour, un habitant de Saint-Yan se présente pour faire un achat. Il aperçoit la Madone et entrant en fureur à la vue de celle Sainte Vierge, il tire de sa poche son couteau et en donne un coup si violent sur la figure qu'il enlève une partie du nez de la statue. On voit encore la marque du coup de couteau.
En s'en retournant chez lui, il rencontra un chien qui le mordit au nez et le blessa gravement là où il avait frappé lui-même la Vierge. Le récit ajoute qu'il mourut peu de jours après des suites de cette morsure, en punition de cet acte d'impiété envers la Vierge Marie [8].
La Vierge a repris sa place et quelques coups de pinceau dissimulent un peu le coup reçu au nez. L'écusson se voit encore, mais on a fait disparaître les armes qu'il portait. Ce petit monument que Mme veuve Muet-Morin, propriétaire, garde religieusement, a le don d'attirer l'attention des pèlerins. Quelquefois ils s'agenouillent, sans respect humain, à ses pieds pour lui adresser une prière, comme cela se pratique encore à Rome, et dans les pays foncièrement catholiques. Chaque fois qu'une procession passe dans cette rue, on entoure la niche de guirlandes et on dépose des fleurs aux pieds de la Vierge. Ces actes publies de dévotion envers la Sainte Vierge sont bien acceptés et, édifient notre population si dévote à Marie dans sa très grande majorité.
Dans la famille Sauteret et Gourgaud, habitant rue du Perrier, on conserve religieusement une vieille, statue de la Sainte Vierge, en faïence de Nevers. Elle, vient de l'église Saint-Nicolas. Les amateurs l'apprécient et estiment qu'elle remonte à deux siècles. La famille ne manque pas non plus de l'exposer à une, fenêtre de la maison, chaque fois qu'à l'occasion d'une grande solennité ou d'une procession extraordinaire, la ville se met en fête en décorant les maisons.
Notre antique basilique n'a pas conservé la Vierge de l'église bénédictine. La statue qui se voit dans la niche centrale du beau retable de pierre est en plâtre durci. Elle manque de caractère religieux. Cependant, les plis des vêtements sont très soignés. Ce qui la distingue de toutes les autres statues de la ville de Paray, c'est une représentation de notre mère Eve, apparaissant au bas du vêtement de Marie et mordant sur la pomme pour rappeler le péché originel. Près du vieux Saint-Nicolas, un bel édifice du style de la Renaissance, la maison Jayet, qui sert de mairie, attire l'attention des visiteurs. Autrefois, parmi les riches sculptures, on voyait une statue de la Sainte Vierge entre deux anges, que le marteau révolutionnaire a fait disparaître. Il y a là une preuve de plus à ajouter à celles que M. Georges Bonnet a apportées dans un des chapitres de sa brochure publiée en 1893, sous ce titre : « Notes pour servir à l'Histoire du Charolais », pour démontrer que la maison Jayet n'est pas l'oeuvre d'un protestant. Dans l'intérieur de la ville, çà et là plusieurs maisons particulières sont encore ornées d'une statuette de la Mère du Ciel[9]. En un temps où l'impiété porte le front si haut, il serait à désirer que celle pratique devînt, plus générale dans la cité de Marie et du Sacré-Coeur. Quelle édification ce serait pour les pèlerins de l'avenir, de rencontrer ici une statue de Marie, là, une statue du Sacré-Coeur, au coin des rues et, aux façades des maisons de nos fervents catholiques de toutes les classes, depuis la modeste habitation de l'ouvrier, resté chrétien, jusqu'à ces belles habitations modernes que l'on voit sortir de terre, comme par enchantement depuis que d'immenses foules de pèlerins accourent ici.
On ne craint pas, à Paray, d'emprunter à la religion des noms et des emblèmes sacrés, comme enseignes de négoce. Pourquoi ne nous distinguerions-nous pas des adeptes des sociétés secrètes, par des statues de pierre, de bois ou de marbre, en l'honneur de Notre-Seigneur, ou bien de sa Sainte Mère ? Arrière donc le respect humain !
[1] Les laïcisateurs de la Révolution, acharnés à effacer tous les souvenirs de notre sainte religion, lui donnèrent le nom de rue des Droits-de-l'homme. Le peuple de Paray ne prit pas au sérieux ce changement de nom. Il continua et continue à dire la rue Dame-Dieu. On a pensé que ce nom avait été donné à cette rue en souvenir de la Madone de Romay, cachée chez Catherine Roulier, qui habitait cette rue. Nous croyons que ce nom est plus ancien. [2] Elle habitait la maison basse, située à l'extrémité de la rue de la Visitation et faisant partie de la maison de M. Villedey de Croze. [3] Nous tenons ces détails de deux personnes de Paray, dont les souvenirs d'enfance ont gardé, dans un âge avancé, toute leur fraîcheur, Mme veuve Du Vernay, d'une part, et Mme veuve Bonnevay, décédée depuis quelques années. [4] La maison de M. Léon Lempereur, sur la place Guignault, ancienne maison des moines de Paray, présente plusieurs inscriptions de sentences de l'Évangile. [5] La croix de pierre fut ainsi appelée parce qu'elle remplaça une croix de bois très ancienne. Au moment du changement du nom des rues, pendant la Révolution, ce quartier s'appela le Faubourg du Sommeil. [6] En voici un exemple récent. L'an dernier, en démolissant la maison Douhéret, voisine de l'ancienne maison des protestants Gravier, on découvrit des pierres portant une inscription que nous avons lue facilement. Sur le sommet d'un fronton de porte d'entrée est gravé le monogramme du Christ, surmonté de la croix. Au-dessous, on lit ces mots : In te, Domine, speravi, non confundar in oeternum, 1666 : et un peu plus bas : A. Poncet. C. Hérisson. Ces noms appartenaient à deux familles catholiques de Paray. [7] Ce nom rappelle le souvenir du docteur Billet, qui soigna la bienheureuse Marguerite-Marie dans sa dernière maladie.[8] Plusieurs personnes dignes de foi relatent le fait. Nous nommerons Mlle Henriette Fauconnet, qui le tient de Mme Thomas, nièce de M. Naulin, propriétaire de la statue, et Mme veuve Muet-Morin, propriétaire actuelle de la maison ayant appartenu à la famille de Damas-Digoine.[9] Rue du Perrier, maison Fauconnet, dans une niche ouverte sur la façade, on voit une statue en bois de saint Nicolas, patron de l'église paroissiale.