CARDINAUX-ÉVÊQUES DE STRASBOURG
LE ROI DE POLOGNE STANISLAS LECZINSKI
ET SA FILLE MARIE
CHEZ LE CARDINAL DE ROHAN
C'est au couvent de Groefenthal, près de Sarrebruck, que le roi de Pologne détrôné fit la connaissance du cardinal de Rohan. Un nouveau malheur frappait le pauvre monarque: son protecteur, Charles XII, venait de mourir, et la réduction considérable que cet événement faisait subir à ses revenus, jointe au maintien du séquestre de ses biens patrimoniaux, allait lui imposer de grandes privations, quand le cardinal de Rohan lui fit obtenir une pension du gouvernement français. Cette libéralité décida le prince découronné à se fixer en France. Il choisit le château de Wissembourg que la famille de Weber mit à sa disposition.
Des relations intimes s'établirent donc entre Stanislas Leczinski et le cardinal-évèque de Strasbourg et le roi polonais allait souvent au château épiscopal de Saverne.
Mlle DE CLERMONT EN ALSACE
CHEZ LE CARDINAL DE ROHAN
Il existe un «Journal historique du voyage de S. A. S. Mlle de Clermont (princesse du sang) depuis Paris jusqu'à Strasbourg) du mariage du roi) et du voyage de la reine depuis Strasbourg jusqu' a Fontainebleau) par le chevalier Daudet, de Nismes, ingénieur-géographe de Leurs Majestés. 1725.
A la date du 11 Août I725, on y lit ce qui suit :
« S. A. S. arriva enfin à Saverne sur les 8 heures, où elle fut saluée, en entrant dans la ville, par toute l'artillerie du château et par la mousqueterie de la bourgeoisie qui en bordoit les rues. « S. E. M. le cardinal de Rohan reçut la princesse dans son palais, au bas du vestibule, accompagné de M. le duc d'Olonne, de M. du Harlay, intendant d'Alsace, de M. le comte de la Feuillade, et de grand nombre d'autres seigneurs, tant François qu'Allemands. Dans le temps que S. A. S. recevoit les compliments de S. E., la princesse de Montauban, Mesdames de Tallard, de Montbazon et de Prie, vinrent témoigner leur joie à la princesse sur son heureuse arrivée et la conduisirent dans son appartement, où elle passa quelque temps à en admirer la beauté et à s'entretenir avec S. E. et les dames que nous venons de citer. M. le duc d'Antin arriva peu de temps après, de Strasbourg, qui vint saluer la princesse.
«Le souper fut servi a 9 heures, avec toute la magnificence possible, dans la grande salle du château qui a 30 pas communs de long sur 22 de large, où règne tout autour, en forme de corniche, une balustrade ou galerie, où purent se mettre plus de 1 200 personnes pour voir souper la princesse ; cette salle, de même que l'appartement destiné pour la reine, est un des plus beaux, des plus riches et des plus magnifiques de l'Europe. Les seigneurs et dames qui eurent l'honneur de souper avec la princesse furent S. E. M. le cardinal, M. le duc d'Antin, M. le duc d'Olonne, M. du Harlay, intendant d'Alsace, Mme la princesse de Montauban, les duchesses d'Epernon, de Tallard et de Montbazon', Mmes de Nesle " de Prie de Ribérac et Mlle de Villeneuve.
« A côté de la salle, où soupoit la princesse, on servoit aussi une autre table, où étoient grand nombre de seigneurs tant François qu'Allemands. Après le souper, on passa quelque temps au jeu jusqu'au coucher de la princesse.
« Un détachement du régiment de Tournoisis gardoit l'intérieur du palais, et la bourgeoisie faisoit garde toute la nuit auprès des équipages.
« Du 12 Aoust 1725. Séjour a Saverne. - Pendant le lever de la princesse, qui fut a II heures, plusieurs dames et seigneurs de la cour se rendirent au Palais pour la saluer. Le roi Stanislas, qui étoit arrivé de Strasbourg incognito, sur les 10 heures, ayant témoigné a Mme la marquise de Prie, dame du palais de la reine, l'empressement qu'il avoit de voir S. A. S., cette dame en avertit la princesse, qui reçut S. M. à la porte de sa chambre. On ne peut exprimer ici la joie qu'ils ressentirent de cette première entrevue, et les tendres compliments qu'ils se firent mutuellement: leur conversation dura un quart d'heure, après laquelle S. M. se retira pour laisser habiller S. A. S., qui conduisit S. M. jusqu'au bout de son appartement. Peu de temps après, S. E. M. le cardinal de Rohan et M. le duc de Noailles, qui étoit arrivé de Strasbourg, vinrent saluer S. A. S. Après le lever de la princesse, on avertit S. A. S. que le régiment des Carabiniers et celui des Houssarts étaient dans le jardin du palais, prêts à passer en revue devant S. M. et S. A. S. Le roi vint au-devant de la princesse, et ils furent se placer sur les balcons de l'appartement de la reine, accompagnés de S. E., de M. le duc de Noailles et de tous les autres seigneurs et dames de la cour. Le régiment des Carabiniers étoit rangé en bataille devant le même appartement: ils défilèrent quatre à quatre, et saluèrent en passant S. M. et S. A. S. On fit ensuite avancer le régiment des Houssarts, ayant à sa tête M. de Bérischy, qui en est colonel, qui s'étant mis un moment en bataille, le sabre à la main, avec timbales et trompettes, ils défilèrent quatre à quatre, et saluèrent en passant le roi et S. A. S., qui trouvèrent ces troupes fort belles et en très-bon état.
Cette revue fit plaisir à la princesse, de même que la vue du jardin qu'elle découvroit par là dans toute son étendue et dont le canal, qui a près d'une demi-lieue de longueur, en fait un des plus beaux ornements.
« La revue étant faite, S. A. S. admira pendant quelque temps la beauté et la magnificence de l'appartement de la reine, et entendit ensuite la messe dans la chapelle du palais, après laquelle le roi et S. A. S. se mirent à table.
Les seigneurs et dames qui eurent l'honneur de manger à leur table, furent S. E. le cardinal de Rohan, M. le duc de Noailles, M. l'Intendant, MM. les comtes de Lautrec, de la Feuillade et de Bérischy, la princesse de Montauban, les duchesses de Tallard et de Montbazon, Mmes de Nesle, de Rupermonde, de Ribérac, de Bergeret et Mlle de Villeneuve.
« A côté de la table du roi et de S. A. S. l'on en servoit une autre, où étoient M. le duc d'Olonne, Mme la duchesse d'Epernon, Mme de Prie, et plusieurs autres seigneurs tant François qu'Allemands; et dans une antichambre à côté l'on servit aussi la table des principaux officiers du roi et de S. A. R.
«Peu de temps après le dîner, S. M. prit congé de S. A. R. et partit pour Strasbourg, escortée par un détachement de trente maîtres de Carabiniers. M. le duc de Noailles et M. l'Intendant partirent aussi pour Strasbourg.
« Sur les 4 heures, Mme la maréchale de Boufflers arriva de Sarrebourg, avec les équipages du roi, accompagnée des duchesses de Boufflers, de Béthune et de Mme d'Egmont. M. le cardinal s'étant aperçu de l'arrivée de Mme la maréchale, vint la recevoir dans son vestibule et la conduisit dans son appartement. Les dames étant arrivées, furent saluer la princesse, et l'on joua alors jusqu'à, l'heure de la promenade.
« A 6 heures, S. E. vint inviter S. A. S. à la promenade avec les dames de la cour; l'on fit tout le tour du canal, qu'on trouva très-beau, de même que tout le jardin.
« L'on conduisit la princesse au bois de la Mousson, où est la Faisanderie, et l'on donna à la princesse le divertissement de la chasse au cerf et au lièvre, dont elle fut très-contente; au retour de la promenade on joua jusqu'au souper, et pendant le souper arriva M. le marquis de Nangis, dont la présence fit plaisir à S. E. et à toute la compagnie; le souper fut servi à 9 heures.
« Deux autres tables furent aussi servies en même temps pour tous les autres seigneurs françois et allemands et pour les principaux officiers de S. A. S. Après le souper, on joua jusqu'au coucher de la princesse. Le détachement du régiment de Tournoisis fit garde toute la nuit dans le palais et la bourgeoisie auprès des équipages, comme
ci-devant.
« Du 13 Aoust I725. Second séjour à Saverne. – La princesse se leva à 7 heures et partit à 8 heures pour aller à Strasbourg incognito, dans les carrosses de S. E.
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«La table de la princesse à Saverne fut servie comme à l'ordinaire; S. E. M. le cardinal et Mme la maréchale de Boufflers en firent les honneurs.
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« S. A. S. arriva à Strasbourg sur les 5 heures et demie dans les carrosses de S. E., conduite par le sieur Duval, son écuyer. Et après son arrivée vint une troupe de danseurs et de danseuses allemands avec leurs hautbois et violons, qui, après avoir présenté à S. A. S. différents gâteaux faits à la mode du pays, dont elle goûta, de même que toute sa cour, la divertirent ensuite par leurs différentes danses qu'ils répétèrent plusieurs fois dans la grande salle du palais. Quelques seigneurs ou particuliers, voulant profiter de cette fête, dansèrent aussi les mêmes danses, en présence de S. A. S., qui fit récompenser largement les danseurs allemands. L'on s'occupa ensuite du jeu jusqu'au souper, où S. A. S. n'assista pas. Mme la maréchale de Boufflers fit les honneurs de la table. S. E. fut servie en particulier avec M. le comte de Lautrec, Mesdames de Béthune et de Rupermonde. La table des autres seigneurs et des officiers de S. A. S. fut servie de même que les autres jours.
« Du 14 Aoust 1825. Départ de Saverne. - S. A. S., après son lever qui fut à II heures, entendit la messe dans la chapelle du château, après laquelle on servit le dîner.
A 1 heure, S. A. S. partit pour Strasbourg et fut saluée, en sortant, par toute l'artillerie du palais. A la sortie du jardin, qu'elle traversa, une brigade de la maréchaussée d'Alsace, destinée pour la garde de sa personne, l'escorta jusqu'à Strasbourg.
« Du 17 Aoust 1725. Départ de Strasbourg.
« ……. Le roi Stanislas, M. le duc d'Orléans, le duc d'Antin et M. de Beauvau, partirent avant la reine (de Wiltzheim, à 4 lieues de Strasbourg, lieu indiqué pour la dînée) pour la recevoir à Saverne. Elle partit sur les 4 heures de Wiltzheim et arriva à 7 heures à Saverne, ville non fortifiée, sur la Soor, rivière, diocèse de Strasbourg, et éloignée de cette ville de 7 lieues, et fit son entrée par les allées du jardin du palais, qui étoient bordées par un détachement de 150 hommes du régiment de Pons et autant de celui de Batan-Suisse. Le prince de Pons salua la reine avec l'esponton, et S. M. fut reçue à la porte du palais par M. le duc d'Orléans, M. le cardinal de Rohan, le prince et la princesse de Montauban, la duchesse de Montbazon, le duc d'Olonne, le Grand-Prieur, le marquis de Beauvau, MM. du Harlay, intendant d'Alsace, et de Creil, intendant des Trois-Evêchés.
« M. le cardinal de Rohan et M. de Dreux présentèrent à S. M. les officiers de la ville, avec les clefs des portes dans un bassin d'argent. S. M. les ayant reçues dans ses mains, les remit en même temps au duc de Noailles, qui les rendit à ces mêmes officiers.
« Pendant cette réception, tous les canons de la ville ou du palais firent plusieurs décharges. S. E. conduisit la reine dans son appartement, où S. M. trouva le roi Stanislas, le maréchal du Bourg et le duc d'Antin. S. M. y passa le temps à la conversation et, à ses exercices de piété jusqu'à son souper, qui fut servi à 8 heures et demie à son petit couvert. S. E. y fit la fonction de grand-aumônier,
et Mme de Mailly servit la reine à table. Le roi Stanislas ne soupa point. ..... La table de S. A. S. Mlle de Clermont fut servie avec autant de profusion que de magnificence, aux dépens de S. E. Les dames du palais et M. le duc de Noailles eurent l'honneur de souper avec S. A. S.
Outre le repas de S. A. S., S. E. donna encore un grand souper à M. le duc d'Orléans dans son petit château, où assistèrent tous les seigneurs et quelques dames de la cour; ce souper peut s'appeler, sans exagération, un festin royal par son abondance, sa bonté et sa magnificence. M. le duc d'Orléans parut en être très-content et loua beaucoup le zèle, la générosité et la bonne grâce, avec lesquels S. E.
faisait les honneurs de sa maison. Il y eut des illuminations dans toutes les rues de Saverne, et des feux de joie qui durèrent toute la nuit. Le détachement du régiment de Pons fit garde aux environs du palais et la bourgeoisie auprès des équipages.
« Du 18 Aoust 1725. - Départ de Saverne. - Le roi Stanislas, après son lever, alla rendre visite à la reine, sa fille; personne, ce jour-là, n'entra au lever de S. M. que les personnes qu'elle fit appeler. MM. le maréchal du Bourg, le duc d'Antin, le marquis de Beauvau et le marquis de Nangis se trouvèrent à la toilette de Mlle de Clermont. Le roi Stanislas l'honora aussi de sa présence pendant quelque temps, après quoi le roi retourna chez la reine avec M. le duc d'Orléans, où ils restèrent jusqu'à ce que la reine voulût entendre la messe dans la chapelle du palais, après laquelle S. M. dîna avec le roi son père. Mme la marquise de Nesle, avec son air gracieux et son agréable conversation, fut présente à ce repas et fit tout ce qu'elle put pour détourner les larmes et les soupirs de S. M. qui ne pouvoit jeter les yeux sur le roi son père, qu'elle ne renouvelât les douleurs de la séparation. L'auteur ne put être longtems témoin de la tristesse de la reine et fut voir ce qui se pas soit dans le reste du palais. Il trouva dans le grand salon S. A. S. Mlle de Clermont qui dînait avec les dames du palais, aussi magnifiquement servie que le jour précédent; il monta ensuite dans le petit château, où il fut témoin du second festin que S. E. donnoit à M. le duc d'Orléans et à tous les seigneurs de la cour ...... S. A. S. M. le duc d'Orléans et S. E. M. le cardinal ayant appris par un faux bruit que S. M. se préparoit à partir, quittèrent promptement leur festin, et étant desccndus dans le grand salon, trouvèrent encore S. A. S. Mlle de Clermont qui étoit au fruit. M. le duc d'Orléans et S. E., charmés de cette agréable rencontre, se dédommagèrent de la peine qu'ils avoient eue de quitter leur table et firent collation, en passant, à la table de la princesse, qui en marqua sa joie. Après le dîner de la reine, le roi Stanislas, après un moment de conversation avec la reine, sa fille, parut sur la fin du repas de S. A. R. Mlle de Clermont qui, apercevant S. M., se leva de table. Le roi Stanislas l'embrassa, de même que toutes les dames du palais, et partit ensuite, feignant d'aller à Sarrebourg.
« Mgr. le duc d'Orléans le suivit, de même que M. le duc d'Antin et plusieurs autres seigneurs, et la reine partit enfin de Saverne pour aller coucher à Sarrebourg. Le prince de Pons salua la reine ft son départ, à la tête de son détachement; les Carabiniers qui étoient dans la place du palais, précédèrent la marche et la bourgeoisie se trouva ce jour-là sous les armes dans les rues. Toute l'artillerie fit feu a la sortie de la ville, ct la maréchaussée d'Alsace qui étoit en dehors, précéda les Carabiniers. Sur la hauteur de la montagne de Saverne, l'on trouva le roi Stanislas à cheval, accompagné de Mgr. le duc d'Orléans, de M. de Clermont et des deux intendants d'Alsace et de Metz; les marquis de Nangis, de Dreux, et le comte de Tesse, étant descendus de carrosse, prirent congé du roi, et la reine apercevant le roi, son père, lui tendit plusieurs fois la main à la portière de son carrosse, où il se tint pendant quelque temps. »
Le Roy de Sainte Croix (Les Quatre Rohan).