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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #SACRE COEUR

LE PÈRE DE LA COLOMBIÈRE

II - RAISONS DE SON INFLUENCE»

Nous avons vu le zèle du Père de la Colombière à soutenir la confidente du Sacré-Coeur, à se donner lui-même au Sacre- Coeur, à Le faire connaître aux âmes qu'il pouvait atteindre.

Mesurons la portée de son influence. Trois aspects de sa vie nous la feront deviner.

A) L'ORATEUR.

Le Père de la Colombière tient une place très importante parmi les réformateurs de la Chaire au XVIIe siècle. A vrai dire, Bourdaloue est le grand réformateur de la chaire, dans la Compagnie de Jésus, et on doit souscrire absolument à ce jugement de l'abbé d'Olivet : «Ce grand orateur, le premier qui ait réduit parmi nous l'éloquence à n'être que ce qu'elle doit être, je veux dire à être l'organe de la raison et l'école de la vertu, n'avait pas seulement banni de la chaire les Concetti production d'un esprit faux, mais encore les matières vagues et de pure spéculation, amusements d'un esprit oisif. »

Pour comprendre la justesse de l'observation qui précède il faut lire les Sermonnaires de cette époque et voir quel besoin de réforme s'imposait à la chaire chrétienne, pour y rétablir les règles du bon goût, la saine doctrine, la grande et forte éloquence.

Cette question demanderait une longue étude qui n'a pas sa place ici.

Mais Bourdaloue n'apparut pas comme un météore. Il eut parmi les Pères Jésuites des précurseurs et des maîtres. Lui-même en a fait la touchante et magnifique profession dans le Panégyrique de Saint-Ignace. Terminant son admirable sermon, il s'écrie : «Pardonnez-moi, chrétiens, et permettez-moi de rendre aujourd'hui ce témoignage à une Compagnie dont je reconnais avoir tout reçu, et à qui je crois devoir tout. »

Bourdaloue en effet ne s'est pas formé seul ; il trouva dans on ordre des maîtres pleins de doctrine et de goût qui lui frayèrent la voie. Celui qui eut incontestablement cet honneur et qu'on doit regarder comme un des grands réformateurs de la chaire, parmi les Jésuites est le père Claude de Lingendes qui avait eu lui-même un précurseur dans le Père Caussin.

Certes la grande figure de Bourdaloue éclipse tous ses contemporains ; mais il n'en reste pas moins que le Père de la Colombière figure avec honneur parmi les restaurateurs de la chaire chrétienne. On ne trouve pas chez lui de ces coups de maître, de ces éclats puissants qui signalent un tempérament oratoire -: de la race des Bossuet et' des Bourdaloue, mais jamais on ne surprendra chez lui des négligences de style, d'incorrection de langage, encore moins de lieux communs. Le Père de la  Colombière est un orateur correct, plein de doctrine et d'une doctrine sûre, -large et élevée; Il excelle surtout dans le pathétique. Il possède au suprême degré cette qualité exquise qui vient du coeur et de la piété : l'onction, avec laquelle on accomplit plus de conversions et on pénètre plus d'âmes qu'avec la force et la puissance du génie proprement dit.

Ses sermons, qui, presque tous ont été prêches devant la Cour Catholique de la Duchesse d'York, nous donnent la plus haute idée de la doctrine et de l'éloquence de ce digne religieux.

Dans l'impossibilité de les analyser, une appréciation sommaire et quelques citations suffiront.

On a imprimé 78 sermons prêches devant la Duchesse d'York.

Ils embrassent toute la série des mystères et des enseignements, chrétiens, et les fêtes principales de l'année.

Les qualités maîtresses de l'oeuvre oratoire du Père de la Colombière sont d'abord : une grande clarté dans l'exposition du sujet, des divisions sages et naturelles, un choix heureux de preuves tirées de la raison, de l'Écriture Sainte et des Pères.

Rien de prétentieux, ni de trop scolastique. Il a une certaine, ampleur de discussion qui est un vrai progrès sur les méthodes, encore en faveur de son temps. Ce qui brille surtout parmi ses effets oratoires, c'est sa piété vraie, convaincue, communicative, qui se traduit en élans fréquents vers le Seigneur et en invocations touchantes. Il est sobre d'images bien qu'il en ait rencontré d'heureuses. Peut-être pourrait-on lui reprocher d'être un peu abondant dans ses développements et dans son style. Mais, à part quelques défauts qu'une critique sévère pourrait relever dans son oeuvre, le Père de la Colombière peut être cité encore aujourd'hui comme un modèle de la chaire, et ses oeuvres, pour être vieilles de plus de deux siècles, n'en sont pas moins à admirer et à étudier. Il suffit de se rappeler quels furent ses prédécesseurs, pour constater le progrès immense qu'a fait l'éloquence sacrée avec le Père de la Colombière. Avec lui nous sommes désormais, dans le règne du bon goût, de la saine doctrine, des vraies traditions de la chaire chrétienne.

Tous les Sermons de cet orateur offrent au même degré la convenance du style, la bonne disposition  des preuves, le choix des pensées et la plus pure science théologique.

On y trouve aussi de précieux témoignages sur les sentiments des prêtres les plus éminents de son temps, touchant les questions théologiques qui divisaient alors les esprits et qui ont reçu depuis une solution si désirable. Le Père de la Colombière s'exprime ainsi sur l'Immaculée Conception et sur l'infaillibilité du Siège apostolique : « Vous savez sans doute, dit-il, le bruit qu'ont fait dans l'Église les contestations arrivées au sujet de l'Immaculée Conception de la Sainte-Vierge. Quelques docteurs, éclairés d'ailleurs et très catholiques, ayant cru que Marie ne pouvait avoir été préservée des malédictions que tous les enfants d'Adam avaient encourues, la révolte des esprits devint très générale, contre cette opinion, que, durant plusieurs années, toutes les écoles, toutes les chaires retentirent des arguments qu'on répéta en faveur de la Vierge Immaculée. Toutes les Universités d'Italie, d'Espagne, de France, d'Allemagne, soutinrent hautement landoctrine favorable, à l'honneur de Marie ; on ferma les Académiesnà quiconque refuserait de s'engager par serment d'enseigner, qu'elle avait reçu le privilège unique d'être conçue sans péché ; Les princes mêmes de Sicile, s'intéressèrent dans la cause de la Reine du Ciel et employèrent leur autorité pour la défendre.

Jamais on n'a ouï plus de discours, jamais plus de conférences, jamais plus de disputes, jamais on n'a écrit plus de livres sur aucune matière. Enfin, le Vicaire de Jésus-Christ a parlé et a fermé la bouche à tous ceux dont les sentiments n'étaient pas assez favorables à.la Sainteté de notre Mère.

«Tout l'univers a regardé ce jugement comme une victoire importante, comme un triomphe. Ceux du parti contraire se sont joints à nous et aujourd'hui tout est calme, tout est réuni dans la même croyance. Avantage incomparable de reconnaître un Souverain Juge l Les questions sont décidées, le repos des peuples n'est point troublé par ces divers secrets de doctrine ; tous les esprits, tous les coeurs se réunissent, et nulle opinion contraire à l'honneur de Dieu ou de ses Saints ne prend de stabilité dans l'Église de Jésus-Christ. »

Parmi ses 78 Sermons livrés à l'impression, on aimerait à; s'arrêter à quelques discours plus  caractéristiques comme, par exemple, le sermon pour le second dimanche de l'Avent, prononcé à l'occasion de l'abjuration de l'hérésie par un Seigneur de la première qualité, comme on disait alors. L'orateur y développe magnifiquement et avec ces mêmes arguments qui lui seront tant de fois empruntés, le thème suivant : L'établissement de l'Église est le plus grand de tous les miracles ; il les renferme tous et il les surpasse tous. Ce projet ne pouvait s'exécuter naturellement, quelques moyens humains qu'on eût pu employer ; son exécution est donc un vrai miracle. On n'y a employé aucun moyen humain ; le miracle en est donc encore plus surprenant.

On y a employé des moyens qui, dans l'ordre matériel, y devaient apporter des obstacles invincibles ; c'est donc là, si l'on peut ainsi parler, le comble des miracles.

Ces divisions sont fortement enchaînées et sont ménagées dans une progression aussi habile que naturelle.

Pour remplir ce vaste cadre, l'orateur avait à éviter la prolixité et l'obscurité, à raison même de l'ampleur de son plan. -Il y a réussi pleinement.

Dans un premier point il représente brièvement mais vivement l'état du monde au point de vue religieux, lorsque le fils de Dieu se fit homme. Et il n'a pas de peine à montrer la monstrueuse confusion où l'idolâtrie avait jeté les hommes. Puis continuant : « Les égarements de l'esprit humain étaient montés à cet excès de bizarrerie, lorsqu'il se présente un homme qui a formé le dessein de rassembler tous les hommes dans une Église, et de ne souffrir dans le monde qu'une seule religion. Quel projet Messieurs ! Il serait sans doute plus facile de faire parler un même langage à toutes les nations, et de les réduire toutes sous une même Monarchie... Mais par quelle voie cet homme extraordinaire se propose-t-il d'exécuter son projet ? Peut-être qu'il composera sa nouvelle loi des débris de toutes les autres — Peut-être qu'il cherchera un moyen de les accorder toutes. Non, Messieurs, la religion que cet homme veut établir sape jusque dans leur fondement toutes les autres. Ce n'est point en accordant les opinions, c'est en les renversant toutes qu'il prétend réunir les esprits — Qui jamais entendit parler d'une entreprise plus chimérique en apparence? Du moins faut-il que cette doctrine qu'il veut faire passer dans tous les esprits soit extrêmement plausible. Nullement il n'est rien qui paraisse plus opposé à la raison, rien qui soit, en effet, plus contraire aux sens. C'est une théologie au-dessus de toute intelligence, une morale qui semble surpasser toutes les forces de la nature. »

Ici le Père de la Colombière montre par un exposé éloquent de la sublimité des dogmes chrétiens et de leur contradiction avec les erreurs dominantes alors, qu'ils étaient presque impossibles à faire croire aux païens. Puis il condense admirablement en quelques phrases toutes ces réflexions : «Nous qui avons été élevés dans cette religion, nous que tant de grands hommes ont précédés, et qui marchons sur leurs traces, nous qu'on a accoutumés dès l'enfance à soumettre notre esprit et notre raison, si, malgré tous ces avantages, nous avons tant de peine à croire, si notre raison se révolte, si notre esprit se trouble, s'il s'inquiète, s'il se défend si difficilement du doute et de l'incrédulité, quelle pensez-vous que dut être, sur des mystères si incroyables la répugnance de ces philosophes païens accoutumés à ne croire que ce qu'ils voyaient, accoutumés à examiner, à contredire, à pointiller sur tout, à se faire un honneur d'être inébranlables dans leurs sentiments, de ne se rendre qu'à des preuves évidentes et sensibles, de ne se rendre que quand ils ne pouvaient plus résister ? Quelle difficulté pour eux d'avouer que toute leur théologie n'était qu'une fable, que jusqu'alors leur philosophie n'avait été qu'un tissu d'erreurs, et de faire ces aveux sans y être forcés par aucun raisonnement naturel, sans rien voir qui les convainquît qu'ils s'étaient trompés ! Oui, sans doute, Messieurs, ils ont eu de la peine à croire. D'abord ce nouveau maître n'a paru être à leurs yeux qu'un visionnaire, ils ont reçu ses disciples avec des risées. Ils se sont récriés, ils ont disputé, ils ont écrit : on ne leur a rien répondu, on s'est contenté de leur dire qu'il fallait croire et ils ont cru. »

Ce passage est plein de force, de verve et vraiment oratoire.

L'orateur s'attachera ensuite à prouver — et il n'a aucune peine à le faire — que la morale chrétienne, avec sa pureté et son austérité, était bien plus difficile encore que les dogmes, à être acceptée de la Société païenne. Et quand il a accumulé les difficultés : « Quelle apparence, s'écrie-t-il, d'introduire une si grande réforme dans un monde si dépravé ? Plutôt que de porter les hommes à ce changement ne leur fera-t-on pas changer de nature ?

Cependant ce changement s'est fait et il s'est fait tout d'un coup.

Le Christianisme, avec toute la rigueur de ses lois, a été reçu par les peuples les plus voluptueux, les plus mous, les plus superbes, les plus indociles, les plus sauvages, les plus emportés, disons-le, les plus brutaux. Ces commandements que nos réformateurs, que nos lâches chrétiens trouvent impossibles, ces commandements ont été acceptés par les Romains, par les Grecs, les Scythes, les Perses, les Mèdes, les Indiens, les Égyptiens, les Africains, les Gaulois, les peuples du Mexique et du Canada. Ils n'ont point été rebutés par la sévérité de cette morale, elle ne les a point empêchés d'embrasser la loi du Sauveur au péril de leurs biens et de leur vie. »

Pour accomplir ce vaste dessein de la régénération du monde, de quels moyens s'est servi Jésus-Christ ? Tel est le second point de ce discours. C'est le thème admirable qu'à si bien développé Bossuet, et que le Père de la Colombière traite à peu près de la même manière que lui, moins toutefois le vol puissant et hardi de l'aigle.

Dans le troisième point, l'orateur montre que non seulement aucun moyen humain n'a été mis en oeuvre pour l'établissement du Christianisme mais encore qu'il s'est établi par tout ce qui semblait le plus propre à le détruire. Et à ce propos la véhémence de l'orateur égale la force du logicien. Ce point est très remarquablement traité. Notons quelques passages. Voici par exemple une comparaison des mieux développées :

« Quel miracle, s'écrie-t-il, chrétiens auditeurs ! Un seul grain, un grain presque imperceptible qu'on vient de semer n'a pas plutôt germé que ce germe est assailli par les vents, par la  grêle, par les gelées ; il croît néanmoins, il forme un tronc et des branches, il se couvre de feuilles, il se charge de fruits. A peine commence-t-il à s'étendre, ce nouvel arbre, qu'on met la cognée à la racine, qu'on le taille, qu'on le coupe de toutes parts ; on y applique le feu, on allume alentour un bûcher capable de consumer les plus vastes forêts ; il subsiste encore cet arbre ; que dis je ? il subsiste, il se fortifie sous les coups qu'on lui porte, il se nourrit des feux qu'on allume, il croît au milieu de cet incendie, et il y croît tellement que déjà il couvre la terre de son ombre, et qu'il offre une retraite à tous les oiseaux du Ciel. »

Enfin cette dernière citation qui donne toute la mesure de la vivacité des pensées, de la chaleur des mouvements et de l'excellent style oratoire de notre religieux. Il est peu de pages plus expressives et plus éloquentes dans nos meilleurs auteurs.

« Cette religion n'a pas plutôt paru dans le monde, que le monde entier s'est levé pour la détruire. On s'est récrié de toutes parts. On a craint un embrasement général. On a fait couler partout des fleuves de sang, pour éteindre le feu sorti des cendres de Jésus-Christ. Ce feu a néanmoins continué de s'allumer sur la surface, de la terre. Saint-Augustin compte jusqu'à quatorze grandes persécutions dans les deux premiers siècles de l'Église.

Elle en a souffert une de la part des Juifs, dix sous les Empereurs de Rome, une sous Julien l'apostat, une autre sous Valens, et la dernière, dans la Perse, sous Sapor, c'est-à-dire que, pendant plus de deux cents ans, quiconque voulait embrasser la Croix de Jésus-Christ, devait se résoudre à perdre les biens, les emplois, les honneurs, la liberté, la vie. Tous les apôtres, la plupart des disciples du Sauveur furent d'abord emportés par la tempête ; tous moururent dans diverses parties du monde. La Religion dont ils étaient comme les colonnes, devait, selon toutes les apparences, expirer avec eux. La tyrannie néanmoins n'est pas encore satisfaite. Après avoir immolé les pasteurs on se jette avec furie sur le troupeau ; on n'a égard ni à la qualité des personnes, ni à leur sexe, ni à leur âge ; les gouverneurs des Provinces, les juges particuliers de toutes les villes ont des ordres exprès, des ordres puissants, ils n'osent épargner ni leurs enfants, ni leurs épouses ; toutes les prisons sont pleines de nouveaux chrétiens, les places publiques d'échafauds ; des centaines, des milliers d'hommes tombent sous le couteau du persécuteur, la terre est comme noyée dans leur sang : on en voit expirer jusqu'à treize millions pour la même cause. Quel effet produit un si grand carnage ? Quo plus sanguinis effusum est, hoc magis ac magis effloruit multitudo fidelium. Plus la persécution est violente ; plus l'Église s'étend et se multiplié. Loin de fuir la mort, on y court, les enfants se dérobent au sein de leurs mères, les mères y portent elles-mêmes leurs enfants : on dirait que les supplices, inventés pour pervertir les fidèles, sont pour les idolâtres, un attrait au Christianisme ; on veut être chrétien pour être déchiré, pour être brûlé, pour mourir avec les chrétiens. Ce n'est ni par la vertu de la parole divine, ni par l'éclat des miracles que la religion se répand ; c'est par la mort de ceux qui l'embrassent. La seule vertu d'un martyr souffrant convertit plus de païens que ne le ferait la prédication d'un apôtre, confirmée par la résurrection d'un mort. »

On ne se trompe pas en disant que le Père de la Colombière peut être regardé encore aujourd'hui comme un maître de la chaire. Tous ses sermons offrent au même degré, les qualités maîtresses de l'orateur.

Dans un autre ordre d'Idées, le Père de la Colombière a, dans ses sermons, des maximes judicieuses qui décèlent un esprit pénétrant, et aussi des élans qui montrent toute la bonté de son coeur. Il a des pages exquises sur l'amitié, qu'il nous faut, faute de place, laisser de côté.

Notre religieux avait une piété ardente et il excellait à l'exprimer. C'est surtout dans les sujets pathétiques, dans les mouvements qui réclament l'onction, que l'apôtre du Sacré-Coeur s'est élevé au-dessus du vulgaire et c'est par là qu'il vivra.

Oui ses oeuvres vivront et seront toujours lues et goûtées par les âmes capables de tendresse et de reconnaissance. C'est à ces âmes que le saint religieux s'adresse surtout dans ses sermons intimes, notamment dans la retraite où il s'est plu à dévoiler une partie" des révélations de Paray.

Écoutons-le, par exemple, parler de l'amour de Dieu : « Nous donnons, dit-il, notre coeur, nous le prodiguons, nous l'abandonnons au premier qui se présente. Vous seul, ô mon Dieu, ne pouvez «n avoir de part, vous qui seul êtes grand, bon, sage, fidèle, constant, saint, libéral, impeccable, vous qui êtes sans défauts, qui possédez toutes les perfections, qui les possédez toutes et pour toujours.

« Nos coeurs ont tant de pente à aimer ; on consent plutôt de souffrir, de languir, de se fatiguer inutilement, d'être dans le trouble, dans l'inquiétude, de perdre la joie, le repos, les biens, la conscience et l'honneur que de n'aimer rien. Et nous refusons pour ainsi parler, d'entrer avec vous en commerce d'amour, ô mon divin. Maître ! de cet amour si doux, si pur, si satisfaisant, qui porte avec lui la gloire, la paix, qui rend heureux tous ceux qu'il enflamme.

« Vous seul, ô mon Dieu, vous seul pourrez être, à moi autant de temps que je le voudrais. Nul désastre, nul renversement d'affaires, nulle puissance, soit au Ciel, soit dans les enfers, ne peut vous enlever à mon âme. Je ne puis m'assurer un séjour de vingt-quatre heures dans aucun endroit de la terre, je ne puis me promettre un moment de vie, mais je sais que ni l'exil ni la mort ne sauraient me séparer de vous ; je sais que je vous trouverai partout, que partout je vous trouverai également bon, également aimable, que rien ne peut m'empêcher de vivre avec vous, de mourir entre vos bras, et d'entrer, après ma mort, dans une possession encore plus parfaite et plus douce de votre divine présence. O âmes mortes, âmes insensibles ! Sous quel climat, sous quel ciel de fer et de bronze habitent les hommes sans coeur, les hommes de marbre et de glace, qui ne vous rendent pas, ô Seigneur, amour pour amour. Hélas ! C’est nous-mêmes peut-être, mes frères, qui sommes si ingrats et si froids quand il s'agit d'aimer le seul être qui nous aime éternellement. »

Voilà véritablement des accents du coeur, l'onction chrétienne et l'éloquence qui touche et émeut. Ajoutons à ces paroles l'action qui les accompagne, une action que les contemporains nous représentent comme accomplie de tous points, et l'on conviendra que le Père de la Colombière a été mis justement au nombre des meilleurs orateurs, du second ordre, du XVIIe siècle.

Déjà l'autorité d'un pareil talent devait bien accréditer les efforts de l'Apôtre du Sacré-Coeur.

Mais les souffrances valent mieux encore que le talent.

B. — LE TÉMOIN ...

La plupart des sermons du Père de la Colombière, livrés à l'impression, ont été prêches à Londres. Le fait peut paraître étonnant, surtout si l'on se rappelle que, sous le règne du faible et frivole Charles II, la persécution contre les Catholiques fut marquée par une série d'atrocités, dignes des plus mauvais jours d'Elisabeth et de Henri VIII. Ce fait s'explique ainsi.

Le duc d'York, héritier présomptif de la couronne d'Angleterre, avait épousé la gracieuse et catholique princesse, Marie de Modène, d'une piété fervente et d'une irréprochable orthodoxie. Selon les clauses du contrat de mariage, la jeune duchesse d'York devait avoir la jouissance d'une chapelle publique et la liberté de remplir les devoirs de son culte. Après diverses péripéties dont nous n'avons pas à nous occuper, et qui montrent les odieux procédés de l'intolérance protestante d'alors, la duchesse, à force de bonté et de vertus, désarma à peu près l'esprit de parti, put vivre à la Cour de St-James et avoir son aumônier, et son prédicateur. Ce poste difficile fut dévolu au Père de la Colombière et l'honore singulièrement.

Etre prêtre catholique Romain était alors un crime en Angleterre ; être Jésuite avec cela, c'était se livrer par avance à la persécution.

C'est dans ces conjonctures que le Père de la Colombière arriva à Londres, le 13 octobre 1676. Il y resta dix-huit mois, prêcha deux carêmes entiers, et de plus tous les dimanches et jours de fête, devant la petite Cour Catholique.

Après quelques mois de séjour, il écrivait de cette ville à son père : « Au milieu de l'entière corruption que l'hérésie a produite en cette grande ville, je trouve bien de la ferveur et des vertus fort parfaites, une grande moisson toute prête à être cueillie, et qui tombe sans peine sous la main dont il plait à Dieu de se servir. Je sers une princesse, entièrement bonne en tous sens, d'une piété fort exemplaire, et d'une grande douceur. Au reste je ne suis pas plus troublé du tumulte de la Cour que si j'étais dans un désert, et il ne tient qu'à moi d'y être aussi réglé que dans nos maisons. »

En effet, notre religieux, et c'est le témoignage des contemporains eux-mêmes, vécut fort retiré du milieu de cette Cour bruyante et fastueuse. Il choisit un appartement à l'écart, rejeta loin de lui tout ce qui pouvait sentir le luxe et la mollesse, à ce point qu'il couchait sur un matelas étendu à terre, et eut de plus recours aux austérités corporelles les plus crucifiantes. Il enchaîna sa vie dans l'étroite observation des règles de la Compagnie et il disait à ce propos : «O saintes règles, bienheureuse est l'âme qui a su vous mettre dans son coeur, et connaître combien vous êtes avantageuses ! J'y trouve tant de biens enfermés, qu'il me semble que quand je serais tout seul dans une île, au bout du monde, je me passerais de toute autre chose, et que je ne désirerais autre secours, pourvu que Dieu me fit la grâce de les bien observer. »

Le Père de la Colombière devait, en effet, trouver à Londres des peines et des persécutions de tout genre. Le bien qu'il y faisait, les conversions qu'il suscitait, surtout dans la haute classe, l'avaient mis tout d'abord en état de suspicion. Les Lords ombrageux qui n'avaient supporté qu'avec peine son arrivée en Angleterre, ourdirent contre lui une machination bien conforme à leurs procédés habituels de mensonge et de persécution. Ils imaginèrent un complot Papiste, dont le Père de la Colombière était accusé d'être l'âme. Ce complot dont le Pape était présumé le chef, et le Jésuite le bras, ne tendait à rien moins qu'à attenter à la vie du Roi, à s'emparer de l'Angleterre et à y installer un gouvernement nommé et dirigé par Innocent XI. Tout cela était extravagant, mais Shaftesbury, l'ennemi personnel du duc d'York, disait avec raison : « Ne voyez-vous pas que plus notre complot sera extravagant, plus le peuple sera crédule. » Lord Macaulay a dit à propos de ce complot : « De semblables fictions trouvaient crédit dans le vulgaire et des magistrats éminents faisaient Semblant d'y croire. Les juges du Royaume étaient corrompus, cruels et timides, les chefs du parti du pays encourageaient l'erreur dominante... Des hommes de la trempe de Shaftesbury et de Buckingham voyaient bien sans doute que tout cela n'était que fausseté, mais cette fausseté servait leurs intérêts, et la mort d'un innocent ne pesait pas plus sur leur conscience flétrie que la mort du gibier qu'ils tuaient à la chasse. »

Ce complot célèbre dans les annales de l'Angleterre, eut pour résultat de faire périr cinq Jésuites par la main du bourreau ; trois autres dans, les prisons, et monter sur l'échafaud de nobles lords, la fleur de l'aristocratie anglaise. Le Père de la Colombière fut arrêté, à une heure avancée de la nuit, et conduit en prison. Deux jours après, il fut confronté devant les Commissions de la Chambre des Lords avec Lusancy, espèce de moine apostat, son accusateur. Son attitude pleine de calme et de dignité, disent les historiens, frappa d'admiration toute l'assistance. On le vit, sans se soucier des menaces de la foule, prendre son bréviaire et le réciter pendant les intervalles de l'audience. Il fut condamné d'abord à la prison et ne dut son salut qu'à l'intervention de l'ambassadeur français qui fit valoir qu'il était couvert par sa qualité de Français et de chapelain de la duchesse d'York, suivant les clauses du contrat. On se contenta, d'ailleurs, n'ayant pu trouver à sa charge aucun fait délictueux, de le bannir à perpétuité du Royaume.

Ce qu'on reprochait surtout au Père de la Colombière, c'était son zèle, c'était le succès de sa prédication, lés abjurations nombreuses qu'il avait reçues, la confiance et la sympathie dont il jouissait auprès des plus belles intelligences de Londres.

C. - LE FORMATEUR

Le Père de la Colombière savait que tout effort personnel est vite à son terme, et que le meilleur moyen d’assurer son influence c'est de préparer des continuateurs.

Il sut inspirer la chère dévotion à quelques âmes d'élite qui continuèrent son oeuvre et, entre autres, au Père de Galiffet qui devint, à son tour, l'apôtre du Sacré-Coeur. Voici cornment ce Père raconte lui-même l'événement qui donna naissance à son apostolat. « L'an 1680, dit-il, au sortir de mon noviciat, j'eus le bonheur de tomber sous la direction spirituelle du R. P. Claude de la Colombière, le Directeur que Dieu avait donné à la Mère Marguerite,  laquelle était alors encore vivante. C'est de ce Serviteur de Dieu que je reçus les premières instructions touchant le Sacré-Coeur de Jésus-Christ et je commençai, dès lors, à l'estimer et à m'y affectionner. Après la fin de mes études de théologie, je fus envoyé à la maison de Saint-Joseph, destinée à Lyon pour le troisième an de noviciat que nous faisons, suivant l'institut de notre Compagnie. Là, en servant les malades à l'hôpital j'y ai pris une fièvre maligne qui me réduisit en peu de jours à la dernière extrémité. Je fus abandonné des médecins puis tombai dans l'agonie et on attendait, de moment en moment, que je rendisse le dernier soupir. Ma vie ainsi désespérée, le Père de la Colombière promit à Jésus-Christ que s'il lui plaisait de me conserver la vie, je l'emploierais toute entière à la gloire de son Sacré-Coeur. Sa prière fut exaucée. Je guéris au grand étonnement des médecins. J'ignorais le voeu que l'on avait fait à mon insu ; mais, le danger passé, il me fut donné par écrit. Je le ratifiai de tout mon coeur, et je me regardai dès lors comme un homme dévoué au Coeur adorable du divin Maître.

Tout ce qui regardait sa gloire me devint précieux, et j'en fis l'objet de mon zèle. »

Le Père de la Colombière devait ainsi laisser après lui un digne continuateur de sa mission et de sa ferveur.

***

L'autorité de son talent, celle plus grande encore de ses souffrances, le soin qu'il prit de former des apôtres, tels furent, semble-t-il les moyens qui multiplièrent l'influence de son zèle.

Ce zèle, il le réchauffa toujours aux ardeurs de Paray-le-Monial. Il demeura en relations de lettres, très suivie, avec Sainte Marguerite-Marie. Il puisa dans les lumières et les conseils de la Sainte autant de force et de consolations qu'il s'efforçait de lui en inspirer par ses propres écrits.

Qu'elle est édifiante cette correspondance entre ces deux saintes âmes et qu'il serait bon de s'y arrêter. Citons seulement quelques fragments.

Le 20 novembre 1676, c’est-à-dire un mois environ après son arrivée, le Père de la Colombière écrivait à Paray : «Oh ne trouve point ici de filles de Sainte-Marie, et beaucoup moins encore de soeur Marguerite ; mais on trouve Dieu partout quand on le cherche, et on ne le trouve pas moins aimable à Londres qu'à Paray. Je le-remercie de tout mon cœur de la grâce qu'il me fait d'être dans le souvenir de cette sainte religieuse. Je ne doute pas que ses prières ne m'attirent de grandes grâces. Je tâcherai de faire un bon usage des avis que vous me donnez Par l'écrit, et surtout de celui que vous me marquez avoir été confirmé dans la dernière solitude.»

L'année suivante, 25 novembre 1677 : «Je ne puis vous dire, écrit-il, combien votre lettre m'a donné de consolation. Le billet de la soeur Alacoque me fortifie beaucoup et me rassure sur mille doutes qui me viennent tous les jours... » puis, plus tard, le 3 mai 1678 : « Je ne crois pas que sans le billet où étaient les avis de la soeur Alacoque, j'eusse jamais pu soutenir les peines que j'ai souffertes, et qui ne m'ont jamais attaqué avec plus de violence que lorsque j'étais pressé, et comme accablé de travail. »

Puis, quelques jours après, 9 mai 1678 : « Il faut nécessairement se remettre du succès à Celui qui en peut donner un bon à nos peines, selon le salutaire avis que m'a envoyé une fois la soeur Alacoque. J'en ai reçu d'elle trois ou quatre qui me servent de règle pour ma conduite, et qui font tout le bonheur de ma vie.

Dieu soit béni éternellement qui daigne nous éclairer, nous autres pauvres aveugles, par les lumières des personnes qui communiquent plus intimement avec Lui. »

Enfin, pour achever de montrer quelle influence avaient les avis de l'humble fille de Paray sur l'éminent religieux, citons encore ces-quelques lignes du 27 juin 1678 : « La lettre de notre soeur Alacoque m'a causé beaucoup de confusion. Mais je ne saurais assez vous faire comprendre combien ses avis me sont venus à propos. Quand elle aurait lu dans le fond de mon âme elle n'aurait rien pu dire de plus précis... Je reçus le papier, écrit de sa main, justement le jour que j'avais parlé au, médecin, et dans un temps où je me trouvais si abattu et affaibli, que je ne me sentais plus capable pour les travaux que je prévois l'année prochaine, et je regardais mon mal comme un effet de la ; Providence qui-, connaissant l'impuissance où j'étais de soutenir le fardeau, voulait me tirer de ce pays. J'y étais résolu, mais après avoir lu le billet qui m'ordonnait de ne pas perdre courage pour les difficultés, et qui me faisait ressouvenir qu'on est tout puissant quand on se confie en Dieu, je commençai à changer de sentiment et à croire que je demeurerais encore ici. »

Les douleurs de son coeur d'apôtre à la vue de tous les maux que l'hérésie avait: accumulés en Angleterre, sa prison, ses austérités et ses fatigues avaient altéré profondément sa santé. Sa poitrine fut atteinte, les crachements de sang se multiplièrent, bref il tomba dans un état de langueur qui ne pouvait avoir d'autre issue que la mort.

Le Père de la Colombière voulut revoir Paray-le-Monial, son petit monastère et cette religieuse si suave et si sainte qui avait nom Marguerite-Marie. Dieu permit à ses deux serviteurs cette dernière joie. Le Père fortifia Marguerite contre les épreuves et les contradictions et l'encouragea à remplir jusqu'au bout la mission que Notre-Seigneur lui avait confiée, d'être l'apôtre de son Divin Coeur. Marguerite avertit de son côté le Père que Notre Seigneur voulait le sacrifice de sa vie à Paray-le-Monial. Le digne religieux le fit de grand coeur, et quelques jours après, il mourut saintement, le 15 février 1682, en murmurant un dernier acte d'amour au Coeur de Jésus. Il avait quarante et un ans.

Marguerite-Marie en apprenant sa mort écrivit à Melle de Bischaud le billet suivant : « Cessez de vous affliger, invoquez-le, ne craignez rien, il est plus puissant pour vous secourir que jamais.. « Ce fut pour elle, dit la mère Greyfié, une perte bien sensible.

Cette chère soeur perdait en lui le meilleur ami qu'elle eut au monde, Cependant elle ne.se troubla ni ne s'inquiéta nullement, parce qu'elle aimait ses amis pour la gloire de Dieu et pour leur avancement propre en son divin amour et non pour son intérêt.

Je ne lui ai jamais vu regretter, mais ouï bien souvent se réjouir de son bonheur éternel auquel elle prenait part en rendant grâces au Sacré-Coeur de Jésus-Christ de toutes celles qu'il avait faites à ce digne religieux en sa vie.et en sa mort. ».

Ce « bonheur éternel » de l'ardent et très influent Apôtre du Sacré-Coeur, souhaitons que bientôt l'Église nous l'atteste officiellement, en lui décernant les honneurs du culte public.

Ce projet, c'est la Révolution qui l'a brusquement interrompu. Tous les chrétiens prieront le Sacré-Coeur de le faire aboutir.

G. LOTH.

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