LA SOCIÉTÉ DU RÈGNE SOCIAL DE JESUS-CHRIST.
II. - BUT ET MOYENS D'ACTION. DÉVELOPPEMENT DE LA SOCIÉTÉ.
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Bustes du R.P Victor Drevon et du baron Alexis de Sarachaga.
Le P. Drevon eut l'intuition immédiate, en voyant M. de Sarachaga, de ce qu'il pourrait obtenir de cette âme et de cette intelligence d'élite. Pendant trois ans, de 1873 à 1876, il forma ce novice aux choses saintes, aux mœurs eucharistiques, à la communion quotidienne, à ces adorations pendant lesquelles Sarachaga restait à genoux, immobile deux et trois heures de suite, sans épuiser jamais le sujet divin, sans se lasser; y trouvant, disait-il, autant de saveur et de grandeur, que le monde lui avait découvert de petitesse et d'objets de dégoût. D'ailleurs à partir de sa conversion, de ce monde il n'eut plus cure. Jamais un mot de ses anciennes relations, de ses plaisirs d'autrefois, de ses parents, de ses succès. En retournant le mot de saint François on pouvait pleinement le lui appliquer : « Trouvant la Vérité, il avait quitté toute vanité. » Le P. Drevon le voua d'abord à la « Communion Réparatrice » pour laquelle il avait obtenu de Pie IX le Bref contenant ce rare éloge : « Elle est une Œuvre propre à sauver la Société, » et à laquelle Léon XIII prodigua les bienfaits spirituels. Elle formait comme le premier échelon de cette création que le Père et le disciple, devenus deux amis inséparables, méditaient et ébauchaient ensemble : « La société du Règne social de Jésus-Christ » qu'on peut ainsi définir : Une société de piété, d'étude et d'action destinée à reconnaître et à promouvoir le Règne Social de Jésus-Christ[1].
Le Règne Social de Jésus-Christ ! Cette expression qui est maintenant sur toutes les lèvres, souleva, à cette époque, des objections infinies, et fit couler des flots d'encre. On la trouvait inutile et provocante. Mais le P. Drevon écoutait d'un côté l'Hôte divin du Tabernacle, réclamant à Marguerite-Marie le culte public de son amour infini ; de l'autre, il recueillait toutes les brises qui, de tous les coins du monde moral, lui apportaient comme un écho des tendances de ses contemporains[2]. Il en concluait : La gloire et la justice de Dieu ne peuvent être satisfaites que si les Nations qu'il lui a toutes données en héritage reconnaissent la Souveraineté de son Christ. Les hommes, eux-mêmes, ne peuvent vivre dans la-justice et la paix, que s'ils soumettent non seulement leurs destinées éternelles, mais leur existence temporelle, en tant que sociétés et peuples, à la Royauté puissante et bienfaisante du Christ Jésus.
Et, où se fera la rencontre du Dieu assoiffé de l'amour de ses créatures, et de ses créatures vouées, à toutes les chimères actuelles, mais qui, sans le savoir, sont aussi en recherche et assoiffées de leur Dieu ? Dans l'Eucharistie, où le Christ vivant s'est mis à la portée de l'humanité, et où, en 1689, Il est venu, par un suprême effort, les attirer sur son Coeur.
Le P. Drevon et Sarachaga maintinrent donc avec fermeté la devise si attaquée de leur société : Le Règne Social de Jésus-Christ ; l'estimant, au rebours de l'opinion du monde : nécessaire et pacificatrice.
En analysant la définition de leur œuvre, nous verrons -toutes les idées fondamentales .qui la motivèrent, et nous décrirons sommairement sa vie intime et extérieure.
A - PIÉTÉ
En effet, depuis le XVIe siècle, où la Réformé, rompant avec la tradition catholique, a tout à coup posé la raison humaine en juge de la parole divine, la discutant et l'interprétant à sa guise ; depuis que la Révolution Française a osé nier ouvertement les Droits souverains de Dieu, toutes les constitutions modernes les ont peu à peu niés pratiquement. Elles ont méconnu, oublié "le Christ vivant dans l'Eucharistie ; elles ne l'ont rappelé à leur souvenir, que pour l'enfermer étroitement dans les sacristies,
dans les consciences individuelles, pour réduire le nombre de ses ministres, pour Lui disputer même la possession de ses Temples, après avoir fait disparaître, en certaines contrées, son Nom des Tribunaux, des écoles, et de la presse officielle.
Or, si l'on outrage le drapeau d'une nation, si un ambassadeur, reçoit au loin, ne fût-ce qu'un coup d'éventail, on voit soudain la nation blessée se dresser frémissante, demandant à laver son injure dans le sang des coupables.
Et Dieu resterait insensible à l'honneur de son propre Fils auquel on refuse tous les hommages dus à son rang[3] !
La société pourrait traiter en paria le Créateur dans sa création, refusant, à Lui et à ses ambassadeurs la justice qu'elle se vante de rendre même au paria[4].
Mais il devenait de plus en plus impossible au coeur du petit-fils de Bayard, de laisser traiter ainsi Celui dont l'honneur lui était infiniment plus cher que l'honneur de François Ier ne l'avait été à son ancêtre. Pour tant d'injustice et de révoltante ingratitude, il fallait que, non seulement dans les monastères, mais au sein même de la société civile, il y ait des hommes faisant profession de réparer et de compenser, par une: piété profonde, les outrages commis envers leur « Dieu sacramenté ».
La piété des sociétaires ne devait rien avoir d'individuel dans le sens restrictif du mot. Leurs communions, toujours très fréquentes, et pour la plupart quotidiennes (devançant ainsi le décret Sacra Tridentina Synodus de Pie X), leur assistance à la Messe journalière, et en tous cas, paroissiale, leurs prières, devaient être : réparations, compensations, impétrations sociales.
L'oreille toujours tendue vers les attaques des sociétés aux Droits souverains du Christ, ils devaient les réparer en tirant de leur propre coeur un baume qui panserait les blessures divines, une huile qui oindrait à nouveau ce Christ, Roi absolu d'eux-mêmes, de leurs foyers, de la portion du territoire sur lequel ils avaient droit, de la partie de la famille humaine sur laquelle ils exerçaient leur influence.
Trente ans plus tard, une personne qui avait longtemps critiqué l'oeuvre du P. Drevon, disait : « J'ai reconnu son bon esprit à ce signe particulier : c'est que, quelque temps qu'il passe devant le Saint Sacrement, pas un sociétaire qui ne paraisse toujours attentif et occupé. — Je le crois bien, reprenait un des membres de la Société du Règne Social, on a toujours, hélas ! tellement à réparer et à compenser ! Entre le dû et le rendu des hommes la marge est si effrayante, que, sans l'Eucharistie, qui est à la fois Victime, Rançon et Actions de grâces, nous ne saurions jamais la combler. Avec une telle tâche, l'ennui ne peut venir, et le temps d'adoration est toujours trop bref pour nous ».
.N La piété de la Société du Règne Social doit encore prouver sa sincérité par un acte que les monastères, réparateurs et .compensateurs admirables, ne peuvent cependant effectuer. Elle doit les presser d'instaurer un ordre nouveau de la société et de ne point pactiser avec le désordre actuel.
De là vient qu'elle a inspiré à ses membres, comme nous le verrons plus tard, de faire la Consécration au Sacré-Coeur, de leur commune, de leur canton, de leur arrondissement, de toutes les forces vives de la Nation qu'ils possèdent, et qu'il devront tâcher de plus en plus d'obtenir.
Que de fois leur a-t-on dit : Quelle illusion est la vôtre ; vous voulez que la Société soit convertie par la reconnaissance du Règne de Jésus-Christ; ne voyez-vous pas que la Société ne reconnaîtra le Règne Social de Jésus-Christ que lorsqu'elle sera convertie ?
A quoi la Société du Règne Social répond : Pourquoi les premiers Apôtres n'ont-ils pas attendu que les moeurs cruelles et voluptueuses du paganisme aient disparu pour oser prêcher le Règne de la Croix ? Le Christ a-t-il dit seulement : « Je suis la Vérité et la Vie. » N'a-t-il pas affirmé aussi : « Je suis la Voie, » la seule par laquelle on puisse arriver à la vraie Vie. Étant le but suprême, n'est-il pas en même temps le Moyen ? Étant l'Oméga, a-t-il cessé d'être l'Alpha de toutes choses ?
— Mais, leur disait-on encore : serez-vous plus ambitieux pour Jésus-Christ que Lui-Même ne l'était lorsqu'il affirmait : « Mon royaume n'est pas de ce monde. »— Sans doute, repartait la Société du Règne Social, le royaume de Jésus-Christ ne tire pas son origine de ce monde ; mais pourquoi venait-Il sur la terre et mourait-Il en Croix; pourquoi fondait-Il son Église, si ce n'était pour établir son. Règne en ce bas monde ? Qu'avait-Il besoin de nous apprendre ce cri quotidien : Adveniat Regnum tuum ?
Apparemment, nous n'avions point à demander une chose déjà existante : sa Domination dans les Cieux...
Les sectaires, quand ils n'étaient qu'une poignée, se sont donnés pour les seuls interprètes de la Société et lui ont fait renier son Roi ; aujourd'hui, ils parlent imprudemment, au nom de l'humanité entière. Pourquoi nous, les catholiques, aurions-nous moins d'audace pour rétablir la vérité, qu'eux, pour installer l'erreur ? Pourquoi nos adorations, nos réparations sociales ne diraient-elles pas à Dieu, pourquoi nos pèlerinages, nos consécrations, nos hommages publics ne rediraient-ils pas aux peuples que les sectaires en ont menti, et que les sociétés de demain, comme celles d'hier, n'ont d'autre Roi que le Christ, leur Auteur vivant dans son Eucharistie, et leur montrant son Coeur par lequel II veut régner. « Fundamentum aliud nemo ponere potest proeter id quod positum est Christus Jésus [5]». Aucun fondement pour les Sociétés, sinon Celui qui a été posé : le Christ Jésus.
B - ÉTUDE
Ce sont les idées qui mènent le monde, ont affirmé Platon, Leibnitz et Bossuet. Comment donc, alors que pendant des siècles, les nations européennes formant la « chrétienté » s'inspiraient du Christ d'ans les grandes lignes de leurs Constitutions, de même qu'elles étaient nées des Pactes conclus avec Lui, (Tolbiac, Rutli, Covadonga, etc.) comment, après avoir grandi et prospéré sous son Règne, sont-elles parvenues à Le nier, à Le reléguer dans son Ciel, à vivre en dehors de Lui, c'est-à-dire, en perpétuelles convulsions sociales, résultantes des déliquescences morales ? — Par les idées fausses infiltrées dans les veines de la Société, et émanant des Luther, des Encyclopédistes, des Karl Max, de tous les fauteurs en mal de rationalisme, de libéralisme, de socialisme, dont la dernière conséquence est l'anarchie et le nihilisme.
Il faut noter ici, qu'aucune erreur n'a osé se présenter au début, sans se couvrir de quelques loques- de vérités empruntées au christianisme. Tous les meneurs intellectuels ont attaqué la puissance du Christ dans l'histoire, dans les arts, dans les sciences, par atténuation, oblitération, oublis, traits perfides et cauteleux.
La Société du Règne Social prit donc à sa charge le soin de rétablir la notion intégrale de la Royauté du Christ, non seulement par l'évangélisation de cette vérité[6] mais par l'histoire, les sciences et les arts.
• A- — Par l'Histoire. Jésus-Christ est le premier Personnage historique. Avant que de paraître sur terre, Il était annoncé, Il était préfiguré par les sacrifices constants de l'Humanité. Personne n'habite et n'agit ici-bas depuis aussi longtemps que Lui. Pourquoi donc n'aurait-Il pas l'histoire de son Règne, aussi bien et plus que tant d'autres dont, l'influence a été passagère et réduite, tandis que la sienne est immense et permanente ?
L'Histoire actuelle se tait sur son rôle ou l'oblitère. La Société du Règne Social la forcera à parler ; elle déterrera les monuments, elle fouillera dans tous les sens les archives humaines et leur fera dire tout ce qu'elles contiennent sur l'action sociale de son Christ. Or, le Christ vivant parmi nous, c'est l'Eucharistie. Elle est totus Çhristus comme dit saint Thomas. Elle est Ipse Rex Adest, ce Roi présent, ainsi que parle saint Jean Çhrysostome, C'est donc l'histoire de l'Eucharistie à travers les siècles et par conséquent, tout le système social de la chrétienté, que la Société du Règne Social poursuivra.
Or, dès la fin de 1875, la nouvelle Bibliothèque de Paray avait déjà posé ses premiers jalons.
La Société du Règne Social avait dû d'abord s'informer de tout ce qui avait jusqu'alors été créé à la gloire de l'Eucharistie, tamiser dans d'autres ouvrages ce qui Lui revenait, combler ensuite de nombreux déficits. Elle avait acquis les catalogues publiés de toutes les anciennes bibliothèques, des universités, célèbres d'Europe, de monastères et de collèges ; elle avait sollicité et obtenu à des prix divers, les catalogues manuscrits de quelques bibliothécaires actuels importants. Enfin, elle s'était procurée, à prix d'or, de remarquables ouvrages ; et, là où toute offre de tractation eût été peu respectueuse et repoussée d'avance, elle avait copié ou fait copier des extraits de livres d'une haute valeur. Dès 1885, un compte rendu présenté à Turin, à la première réunion solennelle de la filiale italienne de la Société, par le Père Sanna Solaro, put faire l'exposé suivant : « Paray possède aujourd'hui une Bibliothèque de cinq mille volumes contenant les oeuvres les plus appréciées jusqu'à présent, sur l'Eucharistie et le Sacré-Cœur.[7]»
Depuis, elle s'est augmentée de manuscrits, d'incunables précieux, et d'ouvrages dûs à la plume des membres de la Société.
B. — Par les arts. — L'art est une expression très juste d'un état d'âme social. C'est un effet plein de révélations sur les causes qui le produisent. Si donc, en fouillant les Beaux-Arts à travers les âges, toiles, sculptures, architecture, objets divers, on trouve les plus nombreux et les plus précieux convergeant autour de Jésus-Christ, rappelant, pour la plupart, sa fonction éminemment sociale de Jésus-Hostie, du sacrifié Divin se livrant par amour pour l'humanité, on prouvera, d'une façon évidente la grande place occupée par l'Eucharistie dans la pensée et la Vie des peuples.
Telle fut l'idée qui présida, en 1878, à la fondation du Musée du Règne Social de Jésus-Christ. Pendant trente années, M. de Sarachaga fit appel à toutes ses nombreuses relations possédant des peintures remarquables ; il Visita les Musées du Continent ; il obtint, au nom de l'a gloire du Christ Jésus, ou à prix parfois considérable, une collection unique en son genre, de près de cinq cents tableaux sur toile, sur bois ou sur cuivre, dont une cinquantaine sont des originaux de grands Maîtres, tels que Guido Reni, Sasso-Ferrato, les Carrache, le Titien, le Tintoret, Carlo Dolce, Camoncini, Van Eick, Véronèse, Lebrun, Mignard, etc.
En 1882, le futur archevêque de Besançon, l'abbé Gauthey, pouvait recommander, au Congrès Eucharistique international d'Avignon, la visite du Hiéron comme un complément indispensable de tout pèlerinage au Sacré-Coeur, en affirmant « que la Foi en serait fortifiée, le Coeur réjoui, et qu'on y concevrait une invincible espérance du Règne Magnifique et prochain de l'Eucharistie sur le Monde ».
C. — Par la science. — Là l'entreprise : « Prouver le Règne de Jésus-Christ par la science », était grosse de difficultés et d'obstacles. Aujourd'hui, en effet, la science s'est sécularisée, et, au fond de la plupart de ses informations, on entend affirmer cette première erreur : La science n'a aucun rapport avec la religion dont elle s'est heureusement émancipée[8].
La science marche en avant, elle évolue, elle se transforme, sous l'impulsion de nouvelles découvertes, tandis que la Religion fixée à ses Dogmes, et immobilisée parla routine, reste stationnaire.
Entre la Science et la religion, aucune entente n'est possible.
L'une, c'est l'avenir et ses espérances, l'autre, c'est le passé avec ses déceptions.
Or, pour la Société du Règne Social, comme pour Léon XIII, qui le déclare dans son Encyclique Aeterni Patris : « Le Christ est le Restaurateur de la science, puisqu'il est la Force et la Sagesse de Dieu, et qu'en Lui sont cachés tous les trésors de la Sagesse et de la Science ».
Il est, conjointement avec son Père, l'Artiste infini de toute la Création. Rien dans l'univers, depuis le minerai caché dans les entrailles de la terre, jusqu'à l'astre perdu dans les deux, qui ne révèle sa Sagesse et ne doive chanter sa gloire.
De plus, comme il est essentiellement Un et Vrai, rien dans les ouvrages de ses mains qui puisse démentir les paroles de sa révélation. La Société du Règne Social se mit donc à chercher les preuves abondantes par lesquelles la vraie science confirme de tous points le plan divin de la Création, tel que la Genèse nous l'a montré.
En outre, par des collections scientifiques réunies dans les salles du Hiéron, on s'est essayé à mettre en lumière que Jésus-Hostie est bien le Fondement de l'ordre cosmologique et biologique.
Une fois de plus, il faut que les esprits qui ne sont point de parti pris conviennent que « Tout a été fait pour le Verbe, et que rien n'a été fait sans Lui ».
(A suivre) G., DE NOAILLAT
Directeur du Hiéron et de la Société du R. S. de J.-C.
[1] Cette heureuse formule, répandue partout actuellement par l’Association Catholique de la Jeunesse Française, avait été trouvée, longtemps auparavant, par le Société du Règne Social. [2] Le Règne social de Jésus-Christ Hostie. Article de M. de Sarachaga, année 1886, page 19. [3] Causeries sur nos Œuvres. I.-V. Le Règne social de Jésus-Hostie, tome Ier. [4] Idem. [5] Act. Apost., IV, 12, 13. [6] Beaucoup d'entre eux étaient prêtres ou religieux. [7] Compte rendu du R. P. Sanna Solaro, traduit de l'italien par le baron de Maricourt, Lyon, Imprimerie Jévain, 42, rue Sala. [8] On connaît d'illustres exceptions, telles en France les Pasteur, Cauly, Lapparent, Branly ; Secchi en Italie, etc…