LE CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN.
PAR MGR JEAN SÉBASTIEN ADOLPHE DEVOUCOUX.
Consécration de l'église dédiée à saint Lazare.
Cette grande construction, d'une ornementation si riche et si expressive, fut commencée vers 1120, comme nous l'avons dit. On travaillait encore à l'achèvement de sa décoration dix-huit ans plus tard.
Reprenons la suite de son histoire. Vers le commencement de 1132, le pape Innocent II, se rendant d'Auxerre à Cluny, s'arrêtait à Autun et consacrait de sa main cet édifice qu'il dédiait à saint Lazare, frère de Marthe et de Marie, ressuscité par Jésus-Christ, et depuis évêque de Marseille. Au mois de février, pendant qu'il résidait à Lyon, le même pape accordait une bulle afin d'assurer aux chanoines de la Cathédrale d'Autun la possession de la nouvelle basilique et des terrains adjacents. Voici la teneur de ce précieux monument que nous traduisons sur la pièce originale conservée aux archives de l’Évêché.
« Innocent, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à nos très chers fils les chanoines de l'église d'Autun, tant présents que futurs à perpétuité. L'autorité de notre charge nous engage à veiller au bon état des églises et à pourvoir utilement, avec l'aide de Dieu, à leur repos et à leur tranquillité. Or, nos très chers fils, comme vous nous avez demandé humblement de confirmer, en vertu de notre autorité apostolique, les propriétés et les biens qui appartiennent de droit aux églises de Saint-Nazaire et de Saint-Lazare ; cédant aux instances de notre vénérable frère, Étienne, évêque d'Autun, prélat recommandable et tout dévoué à l’Église romaine, nous avons résolu de satisfaire votre vœu. Nous avons en effet décrété que toutes les possessions et tous les biens dont vous jouissez légitimement, selon les canons, ou que vous posséderez, grâce à Dieu, dans la suite par la concession des pontifes, la libéralité des rois, et les donations des princes, vous soient définitivement assurés et demeurent à perpétuité dans votre domaine. Parmi ces biens nous avons jugé convenable de spécifier ceux qui suivent : c'est d'abord la terre au milieu de laquelle s'élève l'église de Saint-Lazare selon ses limites certaines indiquées, d'un côté par la voie publique qui se dirige de la porte du Château au cloître des chanoines, d'où part une autre rue conduisant à Riveau et limitant de ce côté ladite terre au carrefour de Saint-Quentin. De la porte du Château une seconde voie tirant immédiatement sur la droite, mais fléchissant bientôt vers la gauche, continue de limiter ladite terre jusqu'au carrefour de Saint-Quentin déjà cité. Par la teneur du présent écrit nous confirmons l'acte solennel par lequel l'illustre seigneur Hugues, duc de Bourgogne, vous a cédé cette terre libre de toutes exactions et de toutes servitudes.
Ce sont ensuite les églises de Tillenay, de chandostre et d'Ouge, avec toutes leurs dépendances, que Gauthier, évêque de Chalon, de bonne mémoire, à restituées ou accordées à votre manse capitulaire, en se réservant le droit synodal d'hiver. Ce sont encore l'église de Sainte-Marie de Reclenne et la terre adjacente, pour laquelle le grand-chantre Guillaume vous payait un cens annuel, l'église de Laizy et le domaine de même nom, avec les hommes, les moulins, les pêcheries, les usages, que Gauthier de Glaine vous donna pour le bien de son âme, avec l'assentiment de l'illustre seigneur Aldon. C'est enfin la rente annuelle de quinze sols et une obole que vous doivent les moines du château de Saint-Brice, au territoire de Bourges.
Nous ordonnons en conséquence qu'il ne soit permis à personne de troubler témérairement ou de vous enlever la possession de ces biens, de les retenir après les avoir enlevés, de vous fatiguer de quelque manière que ce soit, de telle sorte que vous puissiez en jouir intégralement et pour tous vos légitimes intérêts, sauf néanmoins les droits de l'évêque d'Autun et les égards qui lui sont dus. Donc, si dans la suite des clercs ou des séculiers, connaissant la teneur de notre présente Constitution, étaient assez téméraires pour la violer, et pour ne pas donner une satisfaction convenable après deux ou trois punitions, qu'ils soient privés de la dignité de leur puissance et de leur honneur ; qu'ils sachent la rigueur de la sentence divine qui sera portée contre leur crime ; qu'ils soient privés du corps et du sang de notre Dieu, de notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ; qu'ils soient soumis à la céleste vengeance du jugement dernier. Que ceux au contraire qui respecteront nos décrets, obtiennent, par les mérites des bienheureux apôtres Pierre et Paul, la grâce de Dieu tout-puissant et la récompense de la félicité éternelle. Ainsi soit-il.
Donné à Lyon, par la main d'Aimeric, cardinal diacre de la sainte Église romaine, et chancelier, le quatrième jour avant les calendes de mars, indiction dixième, l'an de l'Incarnation mil cent trente-deux, la troisième année du pape Innocent. » Parmi les cardinaux qui signent cet acte on remarque le nom du célèbre Mathieu, évêque d'Albano.
En 1147, le sculpteur Gislebert. Dont le nom se trouve inscrit sur le portail de l'édifice, n'avait pas encore mis la dernière main aux riches décorations confiées à son talent. Cependant les croisés bourguignons qui allaient se rendre à la Terre-Sainte demandèrent comme une grâce qu'on leur ménageât la satisfaction d'assister, avant leur départ, à la translation du corps de saint Lazare qui devait être porté de la Cathédrale, où il reposait depuis plus d'un siècle, dans le temple majestueux que l'on venait d'élever à son honneur.
Leur empressement était d'autant plus grand qu'à ce moment le sol de l'Europe et de la France en particulier se couvrait de maisons de charité dédiées à saint Lazare, et que le nom de l'hôte de Jésus-Christ était porté par un ordre religieux rendant de grands services aux pèlerins. Nous allons traduire le récit un peu oratoire et emphatique d'un témoin oculaire qui a raconté néanmoins les faits dans le plus grand détail.
« Nous avons attaché, dit-il, un grand prix, frères bien-aimés, à discourir brièvement, avec l'assistance du Saint-Esprit, sur la révélation du bienheureux Lazare, mort pendant quatre jours, et ressuscité par
Notre Seigneur Jésus-Christ. Nous confions à votre mémoire cet important souvenir que nous relatons dans un écrit authentique. Avec quelle piété ne devons-nous pas célébrer annuellement le souvenir du jour où se sont passées les choses que nous allons raconter qu'un juste et solennel tribut de louanges, de gloire et d'actions de grâces soit rendu à notre Créateur et à notre bienfaiteur qui, par sa seule bonté et non par nos mérites, se montre de jour en jour admirable dans ses saints ! que la dévotion des peuples de cette contrée s'affermisse et se perpétue au nom du Seigneur ! Nous avons entrepris d'écrire ce que nous avons vu et ce que nous avons entendu, afin de satisfaire le désir religieux qui est en nous de transmettre à la postérité, appelée à s'en réjouir par une fête anniversaire, le sujet d'allégresse tant désiré par nos prédécesseurs, qu'il nous a été donné à nous plus heureux de contempler de nos yeux. La joie de nos successeurs et la ferveur de leurs âmes dans cette solennité seront d'autant plus grandes, que leur intelligence plus éclairée par notre écrit saisira plus promptement la réalité des faits dont ils n'ont point été les témoins oculaires. Les choses que notre présomptueuse faiblesse, enhardie par un pieux sentiment, va confier à votre sage autorité, sont certainement grandes ; elles ont pour vous un intérêt spécial ; elles importent au bien de la contrée tout entière. Si vos nobles intelligences découvrent des imperfections dans notre travail,
la charité qui, mettant de côté la crainte et l'amour du repos, nous a pressé d'exprimer nos pensées, nous servira d'excuse. La charité n'est-elle pas la source vraie qui jaillit jusqu'à la vie éternelle ? N'est-elle pas la fin de la loi et des prophéties ? N'est-elle point la gardienne de toutes les vertus ? Si l'on ne veut rien pardonner à notre infirmité, qu'on accuse celui dont nous sommes comme l'instrument. Si quelqu'un censure notre opuscule, guidé par un zèle qui n'est point celui du Seigneur, nous aimons mieux l'exposer à refuser de lire des choses simples et humbles mais utiles, que de négliger ce qui importe à l'édification commune. Vous devez nous supporter volontiers, vous qui êtes nos frères et nos maîtres. Nous ne dirons rien en effet que nous n'ayons reçu par tradition des sages et qui ne soit conforme aux règles de l’Église, ajoutant cependant plusieurs choses selon notre capacité. C'est du reste un devoir pour nous de rapporter tout à Dieu. Revenons, avec son secours, à notre récit. »
« Dans le temps où Louis, roi des Français et duc d'Aquitaine, fils du roi Louis, se disposait, par l'inspiration de l'esprit de Dieu, à combattre les nations ennemies du nom chrétien et à les conquérir au Christ, son Créateur et son Rédempteur ; alors que ce prince généreux prenait la croix au mont de Vézelay, dans la grande fête de Pâques où l’Église célèbre la résurrection du Seigneur ; alors que les grands du royaume et une foule de barons venus de tous les pays se croisaient avec lui et que des larmes de joie coulaient de leurs yeux attendris, le seigneur Humbert, évêque d'Autun par la grâce de Dieu, prélat issu du sang royal, plus noble encore par la gravité de ses mœurs, se sentit pressé par un mouvement surnaturel de fixer le jour de l'ouverture solennelle du tombeau de saint Lazare, après avoir pris l'avis de son chapitre et d'un grand nombre de religieux. »
« Dans le conseil secret qui eut lieu pour examiner la question proposée, il y eut un grand conflit d'opinions, et ceux qui défendaient chacune de ces opinions présentaient leurs arguments avec chaleur. Les uns disaient que le temps n'était pas venu de faire apparaître un trésor aussi précieux ; que l'église dédiée et consacrée par la main même du seigneur Innocent, ministre du siège apostolique, n'était pas suffisamment prête ; que le vestibule projeté pour orner la basilique et la rendre plus splendide n'était pas achevé ; que les compartiments du pavé n'étaient pas encore taillés et appareillés selon que le proposait un ingénieux artiste, et comme il convenait de le faire dans un édifice de cette importance; que beaucoup de travaux enfin restaient à faire pour que l'entrée de la maison du Seigneur fût digne de sa destination. »
« D'autres au contraire, alléguant des raisons nombreuses, faisaient observer que jamais moment plus favorable ne se présenterait, pour ouvrir et exposer à tous les yeux celui des trésors des églises auquel on attache plus de prix et qui excite de plus ardents désirs.
Ne devait-on pas en effet le montrer à ces hommes généreux qui, renonçant à leurs possessions, suivant le conseil de l’Évangile, ont préféré l'amour de Dieu à celui de leurs pères, de leurs mères, de leurs épouses, de leurs enfants, et qui, crucifiant leur chair pour le Christ leur maître dont ils sont devenus les fidèles disciples, ont reçu la croix et ont compris cette parole du Seigneur : Celui qui n'accepte point sa croix pour me suivre n'est point digne de moi ! »
« Il est hors de doute que les hommes les plus élevés en dignité de presque toutes les provinces s'empressent de grossir les rangs de l'armée chrétienne, comme s'ils y avaient été appelés par un honorable suffrage. Ils sont en effet des élus ceux dont le cœur est embrasé par les ardeurs de l'Esprit saint ; ils sont prédestinés de toute éternité à la vie, ceux qui, attirés par l'odeur des parfums du vase brisé de l'amante de Jésus-Christ, et peu soucieux de la gloire mondaine marchent avec joie à la conquête des trophées que Dieu leur promet. A eux il convient d'ouvrir et de communiquer de suite, avec l'aide du Seigneur, un trésor caché que l'on est résolu de manifester tôt ou tard. Ils porteront parmi les nations diverses qu'ils vont bientôt traverser la nouvelle de notre bonheur, recueilleront les félicitations de ceux auxquels ils en feront part, plus assurés de la victoire lorsqu'ils s'élanceront dans les hasards des combats, et pénétrés d'une sainte joie qui remplira leurs âmes généreuses. »
(Nous publions ici le sceau dont on se servit pour sceller les lettres dont nous allons parler. Ce précieux monument en bronze, trouvé dans la Saône, est conservé au musée de Lyon.)
« Ce parti finit par triompher et les débats cessèrent, car il fut comme le port où l'on jeta l'ancre au milieu de la tempête que la discussion avait soulevée. On l'adopta unanimement, et l'on arrêta avec joie le jour de la Révélace. Des lettres d'invitation furent expédiées aussitôt. L'archevêque de Lyon, à qui l'église d'Autun doit annoncer avant tout autre les cérémonies qu'elle se propose de faire, fut prévenu le premier. On informa ensuite les évêques, les abbés et les autres personnages de distinction. Beaucoup d'entre eux se rendirent à l'appel qui leur était fait. Un grand nombre aussi restèrent chez eux en s'excusant toutefois. »
« Voici un fait que nous devons inscrire ici et que nous ne pourrions passer sous silence. Deux évêques de Normandie qui allaient à Rome, ayant connu l'annonce de la solennité qui se préparait, ayant vu l'affluence du peuple qui s'y rendait, interrompirent leur route. Ils arrivèrent à la cité d'Autun la veille même de la Révélace. Ils n'avaient pas reçu d'invitation ; mais l'ange du Seigneur qui dirigeait leur marche leur avait inspiré cette bonne pensée. Ils vinrent comme envoyés d'en haut. Le Créateur du ciel et de la terre, le Seigneur des seigneurs, qui dispose avec bienveillance et à son gré toutes choses, avait dit à son ange saint de parcourir aussitôt les voies et les places publiques, de convier à cette cène solennelle, d'admettre à la contemplation d'une telle splendeur ces pieux prélats destinés à remplacer ceux qui n'avaient pas répondu à l'appel officiel. En apprenant cet heureux événement, le seigneur Humbert, évêque d'Autun, reconnut l'action de la divine Providence et, pénétré de la plus vive allégresse, il se rendit, accompagné de tout le clergé et pour ainsi dire de tout le peuple, hors des murs de la cité, afin de recevoir les deux étrangers qui apparaissaient comme des envoyés célestes et de les conduire dans son palais où il leur donna la plus honorable hospitalité. Rassasiés par le pain du ciel, fiers d'avoir été les témoins de la découverte et de la manifestation de la perte précieuse, ils purent continuer leur voyage. Nous lisons quelque chose d'analogue de Loth, serviteur de Dieu, accueillant avec honneur deux anges qui par une disposition bienveillante du Très-Haut étaient descendus chez lui, et qui, le lendemain, reprirent leur route. »
« Nous devons rappeler une autre circonstance qui tient du prodige. Pendant quatre semaines des nuages amoncelés avaient, par une pluie forte et continue, comme inondé la terre, de telle sorte que presque personne n'osait quitter sa demeure pour aller à ses affaires, et l'on commençait à craindre qu'une fête aussi grande que celle de la Révélace ne manquât de spectateurs. Mais, par l'effet de la divine sollicitude, deux jours avant la solennité et un jour après, on vit cesser la tempête et la pluie s'arrêter. Les étrangers qui désiraient vénérer les reliques du saint martyr, trouvant les routes aussi sèches qu'elles le sont dans les jours de l'été et n'ayant point à redouter les inconvénients d'une atmosphère humide, arrivèrent en foule. Aussi, par la seule faveur divine, ceux qui naguères s'étaient retirés tristes et timides au fond de leurs réduits, en sortirent joyeux et pleins de sécurité, et se contentèrent de vêtements légers pour voyager plus facilement. Dès qu'ils furent rentrés, la pluie se mit à tomber de nouveau, comme par un ordre du ciel. Rarement on la vit aussi abondante. Il sembla que les sources de l'abime s'étaient frayé un passage et que, dans un violent déluge, les eaux s'étaient multipliées.»
« Tout étant préparé, ainsi que nous l'avons dit, on vit approcher du tombeau du saint martyr les évêques Humbert d'Autun, Gauthier de Chalon, Ponce de Maçon, Geoffroi de Nevers, et ceux d'Evreux et d'Avranches, dont nous avons oublié les noms. Ils furent suivis par les abbés Rainard de Cîteaux, Ponce de Vézelay, Gâlon de Corbigny, Pierre de Tournus, et plusieurs autres parmi lesquels Pierre de Saint-Pierre de Chalon, Barthélemy de La Ferté, Guillaume de Fontenay, Pierre de La Bussière, l'abbé de Sept-Fonts [1] et celui du lieu nommé Stotheria. Une foule innombrable de nobles seigneurs et d'hommes de grande réputation les accompagnait. C'était pendant la nuit qui précéda la fête ; on avait fait sortir de l'église tous les laïques et les portes avaient été fermées avec soin. Le peuple veillait en dehors, s'associant, par la ferveur de ses prières, à la célébration des matines que l'on chantait avec harmonie dans l'intérieur de la basilique. L'office que l'on célébrait avec une pieuse joie étant achevé, le seigneur Humbert, évêque d'Autun, couvert d'un ornement de pourpre, comme il convenait, entra dans le sanctuaire avec les chanoines de son église, les évêques, les abbés et quelques religieux. Les autres ne quittèrent pas le choeur. Le pontife commença aussitôt la messe du Saint-Esprit qui fut chantée avec tant d'harmonie et de ferveur par les clercs réunis dans l'église, que tous les assistants croyaient entendre non des voix d'hommes, mais des voix d'anges. »
« Après l'évangile, les évêques, revêtus de leurs ornements pontificaux, afin de se présenter avec l'habit nuptial à la table de l'ami spécial de Jésus-Christ, restèrent dans le sanctuaire, les abbés et les chanoines étant retournés au choeur. Deux tailleurs de pierre dont le secours était indispensable pour détacher et soulever le couvercle du sépulcre avaient été seuls introduits. »
« Les oraisons étant achevées, les prélats récitèrent encore quelques psaumes. Alors ils s'approchèrent du tombeau avec une frayeur religieuse et en versant d'abondantes larmes. Au moment où, à la fin d'un répons, les mots tollite lapidem furent prononcés par eux, comme ils l'avaient été par le Sauveur lui-même au jour de la résurrection du bienheureux martyr, les deux ouvriers enlevèrent par leur ordre la tombe qu'ils avaient trouvée artistement scellée. »
« Les pieux pontifes, en se baissant, reconnurent le corps de saint Lazare avec la tête et les autres membres. Puis par la même affection de l'âme, par le même instinct de dévotion, rendant grâces à Dieu notre bienfaiteur pour une découverte si glorieuse, ils entonnèrent le Te Deum. Le vif sentiment d'allégresse qui les dominait ne leur permit pas d'achever cette hymne ; mais l'assistance en continua le chant.
«Le doute exprimé par quelques-uns sur l'existence de la tête du saint, excita les félicitations les plus vives lorsqu'on aperçut cette précieuse relique. »
« Au même instant une agréable odeur s'échappa du sépulcre ouvert. Elle surpassait tout ce que pourraient offrir de plus suave des aromates composés de nard, de roses, de lis, et des autres plantes et des autres fleurs les plus odoriférantes. C'est le témoignage qu'en rendirent ceux qui ayant pu s'avancer plus près, baisèrent avec respect un des bras du saint. »
« Le vénérable Humbert, par la grâce de Dieu évêque de la noble cité d'Autun, environné des spectateurs de sa joie si spéciale, enveloppa tous les ossements ainsi que le suaire et une peau de cerf intacte, dans une pièce d'étoffe de soie très riche, et lia le tout avec des courroies sur un brancard de bois. »
« On acheva ensuite le saint sacrifice. Cependant le jour tant désiré commençait à luire. Bientôt les portes de la Cathédrale furent ouvertes ou plutôt brisées. L'empressement du peuple qui s'y précipita fut telle que les barrières de fer placées à l'entrée du chœur eussent été renversées sans les efforts que firent les clercs pour les soutenir. »
« Témoins de ce désordre, Eudes, duc de Bourgogne, Guillaume, comte de Chalon, et les autres très vaillants barons déposèrent leurs clamydes, et s'armant de leurs bâtons, voire même de leurs épées, ouvrirent un passage au clergé qui transportait en pompe les saintes reliques. Ce ne fut pas sans de grandes difficultés que le cortège parvint à l'église de Saint-Lazare. La foule était si pressée à l'intérieur de ce temple, qu'il fut impossible d'arriver en procession jusqu'à l'autel. Ceux qui portaient le dépôt sacré, haletants de fatigue et d'inquiétude, le placèrent sur deux ais élevés, que nous voyons encore dans la nef. Pendant l'octave entière la foule religieuse se pressa en ce lieu pour vénérer les saintes reliques ; ce qui glorifia Dieu et fut grandement utile aux malades.
Le nombre des cures merveilleuses par lesquelles le Sauveur tout-puissant fit resplendir les hommages rendus à son ami le bienheureux Lazare, au jour de la translation de ses ossements sacrés, ne saurait être exprimé par aucun mortel. La vue fut rendue aux aveugles, l'ouïe aux sourds, les infirmes recouvrèrent le libre usage de leurs membres, les possédés retrouvèrent le calme et la lucidité des pensées ; des malades en danger revinrent à la santé. Nous qui écrivons nous avons vu ces choses. La guérison des diverses infirmités était si fréquente, et l'on voyait succéder si vite un homme en santé à un malade, que les clercs et les moines, occupés à rendre grâce à Dieu pour un prodige obtenu, n'avaient pas le temps d'achever le Te Deum avant qu'un autre malade ne s'écriât que, par la miséricorde du Seigneur et l'invocation de son serviteur Lazare, il était délivré de son mal. Les spectateurs d'une si prodigieuse quantité de miracles furent tellement stupéfaits que, ne pouvant plus suffire à louer le Seigneur par des paroles, ils satisfirent l'élan de leur piété en modulant des neumes.
Qui pourra dire ce que furent les expressions de la gratitude ? Qui pourra décrire l'abondance des larmes versées dans l'émotion de la reconnaissance ?»
« Pendant que le peuple étonné admirait toutes ces choses et que le bienheureux Lazare, venant de prendre possession de sa propre demeure, conviait ses amis au festin qui leur avait été préparé, le diable qui persécute la vérité, qui aime le mensonge et la malice, voyant la gloire dont jouissait l’Église, l'édification publique qui dilatait son règne, et l'augmentation de l'honneur dû au nom du Christ son époux, nom qui est au-dessus de tous les noms, il en éprouva du dépit. Entrant en fureur, il se mit à chercher une proie qu'il pût dévorer. Il voulut, ce que Dieu empêche, déraciner le culte de l'ami du Seigneur, et vérifia cette parole du Saint-Esprit : l'ennemi a exercé sa méchanceté contre le saint. On vit en effet cet inique Satan profiter d'une occasion légère en elle-même pour exciter entre les barons réunis une discussion telle que plusieurs désespérèrent de se retirer la vie sauve. Levant en effet-leurs bâtons, puis bientôt courant aux armes, ils laissèrent beaucoup d'hommes à demi-morts dans les rues et sur les places. Mais Dieu qui ne se lasse point de prendre pitié de nous, qui a peine à retenir l'essor de sa miséricorde, profita de la circonstance pour faire éclater davantage encore sa puissance. Son action fut si visible, que, malgré le grand nombre de blessés, personne ne mourut et n'éprouva même de longue maladie. »
« Le lundi après l'octave, pendant la nuit, le seigneur Humbert, évêque, accompagné de ses chanoines, entra dans l'église où le bienheureux martyr non enseveli reposait sur les deux ais. Le chœur se mit à psalmodier avec larmes, et des prêtres portant, comme il convenait, de riches ornements, entourèrent le prélat. Celui-ci, couvert de ses vêtements pontificaux, plaça l'un après l'autre dans un sarcophage neuf les ossements du bienheureux Lazare, ne réservant qu'un bras et la tête pour l'Église-mère qui était désolée de la perte du corps entier. Elle recueillit avidement de précieux dépôt qu'elle conservera jusqu'à la fin des siècles. Le seigneur Humbert trouva encore parmi les ossements les gants du saint martyr, signes de l'épiscopat, et la bourse, indice de l'apostolat et de la prédication. Toutes ces choses furent renfermées avec le saint corps, au milieu des témoignages d'une vénération qui s'exprima même par les larmes. »
« Pour nous, auguste martyr, bienheureux Lazare, l'honneur des évêques, qui reposez, par la grâce de Dieu et pour le salut de nos âmes, dans l'église d'Autun, nous vous supplions doucement de reconnaître les hommages que nous vous rendons, en nous protégeant contre tous les assauts de l'ennemi, d'écarter de nos esprits les mauvaises inspirations qui ne laissent que la honte, d'ouvrir la source des vertus, de donner la main à ceux qui vous servent, de leur octroyer l'indulgence, de les délivrer du mal, de secourir les opprimés, de guérir les infirmes, de nous présenter, le dernier jour au véritable Juge dans le palais duquel vous habitez plein de gloire, afin que nous attendions avec confiance une sentence de miséricorde, nous qui n'avons pas cessé de nous déclarer vos fidèles serviteurs. Que le Dieu de tout bon conseil, notre vraie consolation dans l'adversité, qui nous a rempli de joie par la vertu de son Esprit saint, nous fasse abonder dans l'espérance de la vocation céleste. Que le denier, accordé par le divin Père de famille à son ami Lazare, en récompense de ses travaux, nous soit donné par une bienveillante miséricorde, quand nous occuperons les demeures moins brillantes, il est vrai, qui nous sont réservées. Les choses que nous venons de rappeler telles que nous les avons vues ou ouï raconter ont eu lieu en l'année onze cent quarante-sept depuis l'Incarnation du Seigneur, au mois d'octobre, le dimanche après la fête de l'évangéliste saint Luc, sous le pontificat d'Eugène III qui siège sur la chaire de Pierre, du temps de l'archevêque de Lyon Amédée et de l'évêque d'Autun Humbert, sous le règne de Louis, roi des Francs, Eudes étant duc de Bourgogne, à la gloire de Dieu qui vit et règne dans tous les siècles des siècles. »