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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ETUDES HISTORIQUES SUR LIEUX SAINTS

LE CULTE DE SAINT LAZARE A AUTUN.

PAR MGR JEAN SÉBASTIEN ADOLPHE DEVOUCOUX.

Construction de l'Église dédiée à saint Lazare.

L'architecte chargé de diriger cette importante construction avait sous les yeux des monuments élevés par les Romains au temps de leur plus grande puissance. Il connaissait sans aucun doute le temple auguste que l'on achevait alors à Cluny. Ces divers types influèrent sur sa pensée. Le plan basilical combiné avec la forme d'une croix latine était alors d'un usage presque général ; il l'adopta. Une grande nef, accompagnée de transepts et terminée par une abside, domina deux nefs collatérales moins élevées, mais terminées comme la nef principale. Deux lignes de sept piliers, partant du mur de la façade et aboutissant au transept, divisèrent cette première partie de l'église en sept travées. Deux lignes de trois piliers chacune ajoutèrent, au-delà du transept, deux travées aux précédentes, La grande travée de la maîtresse-nef et du transept fut surmontée, au point central, d'une coupole octogone soutenue par des pendentifs. Les arcs-doubleaux qui relièrent chacun des piliers, soit à un autre pilier isolé, soit à une portion de pilier engagé dans les murs, reçurent la forme du tierspoint.

Les piliers de la grande nef et les arcs qui les relièrent dans le sens de l'axe de cette nef portèrent une muraille divisée en deux rangs de baies superposées.

Le premier rang accusa la pensée d'un triforium. Le rang plus élevé présenta de véritables fenêtres. L'arc triomphal et la voûte de l'abside s'appuyèrent sur le triforium, au-dessous duquel régnèrent, dans cette partie de l'édifice moins élevée que la grande nef, deux rangs de baies destinées au passage de la lumière. La voûte de la maîtresse-nef suivit la forme des arcs-doubleaux qui la divisaient en travées, de telle sorte qu'elle offrit un vaste berceau d'une seule masse retombant tout entière sur les murs latéraux.

Quant aux travées des nefs latérales, chacune d'elles fut couronnée par une voûte d'arrêté dirigeant ses points d'appui vers les piliers eux-mêmes. Les divers caractères de construction que nous venons d'énumérer appartiennent au style de transition qui régna généralement en France pendant la première moitié du douzième siècle. Le caractère spécial de l'architecture bourguignonne qui consiste dans l'emploi fréquent du pilastre cannelé ne pouvait manquer d'apparaître dans l'église Saint-Lazare. Il y devint même tout-à-fait dominant. Car pendant que les autres églises de la contrée mélangèrent l'emploi de la colonne encastrée et du pilastre cannelé dans la décoration des piliers et des murailles, l'architecte de Saint-Lazare évita ce mélange. Les pilastres furent tous striés et dans toute leur longueur. Seulement des colonnettes furent employées, ou pour orner les pieds droits de quelques baies, ou pour interrompre la monotonie des piliers de la grande nef. Ces piliers, octogones à leur base, se découpent ensuite en forme de croix à branches égales : chacune des extrémités de cette croix fut ornée d'un pilastre cannelé avec rudentures, et trois de ces pilastres reçurent sur leur chapiteau ou la retombée de l'arc-doubleau de la basse nef voisine, ou l'archivolte de l'entre-colonnement.

Du côté de la grande nef, le pilastre, après avoir rencontré une frise composée de rosaces et de moulures saillantes qui formait comme une ceinture au-dessus de l'entre-colonnement, traversa le triforium, puis la région des baies servant de fenêtres, et arriva jusqu'à la naissance de la grande voûte où les moulures de son chapiteau se marièrent avec celles d'une corniche qui fait le tour de l'édifice. C'est à partir du triforium jusqu'à cette corniche que l'architecte accompagna chaque pilastre de deux colonnettes pourvues de bases et de chapiteaux. Le triforium se composa de trois arcades séparées par des pilastres striés et couronnées par un petit entablement. L'arcade du milieu fut seule ouverte dans toute l'épaisseur du mur. Les autres ne sont que des cintres aveugles. Le pignon du grand portail fut percé de trois baies. On décora celle du milieu, plus grande que ses compagnes, par des colonnettes et par une archivolte avec rinceau. Un nombre de baies, que nous ne pouvons plus indiquer aujourd'hui, et peut-être même une ouverture circulaire, avaient été pratiquées dans le mur qui s'élevait du sommet de l'arc triomphal au sommet de la grande voûte. Le pignon du portail latéral, pratiqué dans une des extrémités du transept, présente aussi trois baies, dont l'une plus grande est décorée de colonnettes ; mais ces baies ne sont point placées à la même hauteur comme dans le pignon de la façade. L'autre pignon du transept fut percé de cinq baies sur deux

Rangs superposés, l'un de trois, l'autre de deux. Cette partie de l'église fut disposée d'une manière spéciale qu'il convient de remarquer. La base des pilastres se prolonge jusqu'à la hauteur de celle des pilastres du choeur et des deux absides collatérales. Evidemment on se proposa d'y établir un autel élevé sur un plan auquel on arrivait par une suite de marches égale à celle du sanctuaire, de telle sorte que la grande nef et le transept étaient disposés à l'instar de deux églises qui se couperaient à angles droits[1].

Comme les reliques de saint Lazare reposaient à Saint-Nazaire, dans la chapelle de Sainte-Croix, on voulut que les deux autels principaux fussent consacrés l'un à Saint-Lazare, l'autre à la Sainte-Croix. L'iconographie du monument démontrera cette préoccupation du signe distinctif des croisés, uni au culte du patron des frères hospitaliers.

Dans le plan du premier architecte, le grand portail se composa d'un avant-corps percé d'une large baie divisée par un trumeau et servant de porte. L'archivolte couvrit un large tympan. Elle fut divisée en trois cintres reposant sur des colonnes. Au-dessus de cette archivolte, l'architecte disposa une grande baie absidaire décorée d'arcades portées par des pilastres cannelés. Cette baie fut accompagnée de deux ouvertures dont les pieds-droits se trouvèrent décorés de colonnettes. Dans deux arrière-corps disposés des deux côtés de l'avant-corps, on pratiqua des portes peu larges, correspondant aux basses-nefs ; des colonnes décorent les pieds-droits de ces portes et en supportent l'archivolte. Le portail latéral, divisé par un trumeau, offrit un tympan couronné par une archivolte divisée en deux cintres portés aussi par des colonnes. Une arcature avec pilastres cannelés décora la partie supérieure de cette portion de l'édifice. Du reste, tout le côté de la grande nef et du transept situé vis-à-vis de l'église Saint-Nazaire reproduisit exactement à l'extérieur les formes du triforium pratiqué dans l'intérieur de l'édifice.

En traçant le plan de l'église Saint-Lazare, en coordonnant ses lignes, en arrêtant les proportions des diverses parties, l'architecte n'obéissait pas seulement à l'influence des types qu'il voulait imiter, il cédait à une inspiration conçue dans les enseignements les plus intimes de l'art religieux. M. l'abbé Crosnier, dans son Iconographie Chrétienne qui est aujourd'hui l'un des traités élémentaires d'archéologie religieuse les plus accrédités, a cité quelques-unes des formules numériques adoptées par le constructeur de la Cathédrale d'Autun[2]. Mais les formules qui pouvaient plaire à l'imagination des moines artistes voués à la contemplation, ne disaient rien à la foule incapable d'en pénétrer le mystère ; c'est par l'iconographie qu'il fallait s'appliquer à lui parler.

« Les images que l'on voit dans les églises, dit Honorius d'Autun, ont une triple fin ; elles ont pour but d'enseigner la religion au peuple, de rappeler le souvenir des événements passés, et de servir d'ornement aux basiliques[3].» Fidèle à ce principe, l'architecte de Saint-Lazare combina l'ornementation de l'édifice de manière à offrir aux yeux, à travers des motifs variés empruntés à l'ordre végétal, des motifs historiques fournis par la Bible et par les légendes.

D'habiles archéologues ont voulu contester la pensée systématique qui a présidé au choix et à la distribution des motifs historiques à Saint-Lazare et qui en fait un véritable enseignement de la religion ; mais une précieuse découverte due à l'un d'entre eux rendra plus sensible l'idée d'unité qui a dirigé le décorateur de notre église.

Nous avons prouvé que la fondation de ce monument fut comme une solennelle expiation des dommages causés à l'église d'Autun par les ravisseurs de son trésor. La liaison de ce fait avec le système des images dont ce monument est orné nous oblige à entrer dans quelques détails préliminaires.

Rien n'était célèbre dans les traditions poétiques des peuples germains comme les diverses fortunes du trésor des Nibelungen, ces enfants des brouillards, ces nebulones, dont l'histoire se confond avec celle des fils du vent les Bor-Gundar [4] ou Burgundes. Une malédiction était attachée à cet or qui, d'après la prédiction du nain Anduari, « deviendrait une cause de mort pour deux frères, et un sujet d'inimitié entre huit princes [5]. » L'héroïne de ces poèmes est la Walkyrie Brynhilde, comme le principal héros est Sigurd ou Siegfried, nom identique à celui de Sigebert[6], époux de la reine Brunehauld. Ce qui a fait dire au savant auteur des Questions Bourguignonnes :

« Il est impossible de ne pas reconnaître dans les traditions épiques, soit de l'Edda, soit des Minessingers allemands, des souvenirs confus de notre histoire mérovingienne, du vaillant et malheureux Sigebert d'Austrasie, assassiné par la femme de son frère, et de cette fameuse Brunechilde ou Brunehault, venue des pays enflammés du Midi pour causer parmi nous la mort de tant de princes. » Si l'on ajoute à cette observation cette autre, à savoir : que tous les noms qui apparaissent dans l'un des poèmes cités sont précisément les noms généalogiques des princes qui se partagèrent, au temps de Charles-Martel, les biens immenses donnés à l'église d'Autun par Brunehauld et augmentés par saint Léger, on nous pardonnera la digression dans laquelle nous croyons devoir entrer.

En 531, Childebert fait une expédition en Septimanie contre les Wisigoths ariens, persécuteurs de sa soeur Chrotechilde. Il rapporte avec lui d'immenses trésors dont il se sert en partie pour doter beaucoup d'églises[7]. Un an ou deux après, il s'empare d'Augustodunum, met en fuite le roi bourguignon Godemar[8], et devient ainsi maître des Etats et des trésors des enfants des brouillards et du vent. Un peu plus tard les troupes des Burgundes, conduites par leurs nouveaux maîtres d'origine Franque, vont combattre en Italie, et Theudebert, neveu de Childebert, reçoit d'immenses richesses que ses ducs victorieux lui font parvenir. Les ancêtres de saint Léger, d'après D. Pitra, faisaient partie de cette expédition. En 543, Childebert assiège Sarragosse et rapporte à son retour la tunique de saint Vincent, diacre et martyr. Ce roi, en se rendant en Espagne, avait fait voeu de construire une église en faveur d'un pieux solitaire habitant, alors les environs de Bourges, mais qui avait pris l'habit monastique à Perrecy, ancien domaine des patrices romains ou burgundes, dans lequel un monastère avait été établi. A la suite de l'expédition, Childebert accomplit son voeu et fit élever la célèbre basilique de Paris dédiée à saint Vincent, qui fut confiée aux moines de Saint-Symphorien d'Autun. Vers le même temps une église dédiée à saint Vincent s'élève à la porte du monastère autunois, et les deux églises Cathédrales de Chalon et de Mâcon sont mises sous l'invocation du même saint par leurs augustes fondateurs. Childebert est enterré dans la basilique de Saint-Vincent de Paris. Ses trésors passent entre les mains de son frère Clotaire[9].

La reine Ultrogothe qui avait contribué aux grandes fondations religieuses de Childebert est envoyée en exil [10]. Clotaire meurt en 561 ; son trésor devient l'héritage de Chilpéric son fils[11], qui veut s'emparer de la capitale du royaume de Childebert ; mais il est obligé de partager bientôt avec Charibert qui obtint Paris, avec Gontran qui eut Orléans, et avec Sigebert auquel échut la ville de Reims. Ce dernier prince qui eut à combattre les Huns, dont le nom occupe une si grande place dans les poèmes des Niblungen, épousa bientôt la célèbre fille d'Athanagilde, qui lui fut donnée avec de grands trésors[12] .

On connaît sa gloire tristement mêlée à des luttes à main armée avec ses frères. Au moment où, installé dans Paris avec sa femme Brunehilde et ses enfants, il se préparait à poursuivre à outrance Chilpéric, l'Autunois Germain, le grand saint de l'époque, lui dit : « Si tu pars d'ici, situ renonces à tuer ton frère, tu retourneras chez toi vivant et glorieux ; si tu persistes dans de funestes pensées, tu mourras. Le Seigneur dit en effet par Salomon : Tu tomberas dans la fosse que tu as préparée pour ton frère. » Sigebert, aveuglé par ses péchés, négligea cet avis. Au moment où les Francs l'élevaient sur le bouclier, deux valets envoyés par Frédégonde l'assassinèrent à coups de couteaux. Son corps fut déposé dans cette célèbre abbaye de Saint-Médard de Soissons, dont les privilèges ne devaient avoir d'égaux que ceux des royales fondations d'Augustodunum, et qui devait abriter un jour sainte Sigrade, mère de saint Léger. Childebert II son fils lui succède. Il recouvre plus tard le trésor de Sigebert, que les ducs EIlnodius et Arnegisile avaient essayé de ravir à son légitime possesseur[13]. A la mort de son oncle Gontran, enterré dans la basilique de St Marcel de Chalon, Childebert unit la Bourgogne à son royaume d'Austrasie. Il meurt en 596. Son royaume est divisé entre ses deux fils, Theudebert et Theuderic. Le trésor d'Autun se révèle alors par une suite de monnaies sur lesquelles apparaissent la tête de Brunehilde unie à celle de ses petits-fils. Les basiliques d'Autun acquièrent des richesses presque fabuleuses. Elles excitent la cupidité du maire du palais Warnahaire, qui après avoir soumis la malheureuse Brunehilde au plus affreux supplice, vient mourir à la villa d'Auxy, près d'Augustodunum, frappé lui-même par la justice de Dieu, si on en croit les légendes.

Plus tard le riche évêché d'Autun, convoité par différents partis, donne lieu à des luttes sanglantes. Saint Léger, l'un des plus nobles enfants de l'Austrasie, est appelé à pacifier cette église et à l'enrichir encore.

Ebroin trouve dans le duc de Champagne Waimer le digne exécuteur de ses entreprises cupides. Le charitable évêque d'Autun Ansbert répare les maux causés par les intrigues des ducs, et meurt vers la fin du septième siècle en laissant son église dans un grand état de prospérité. Trente ans après, les Arabes, faisant irruption par les Pyrénées, arrivent jusqu'en Bourgogne. La destruction d'Autun et le pillage des immenses trésors qui s'y trouvaient renfermés est un des principaux faits de celte invasion que les chroniques du temps enregistrent avec une sorte de solennité.

Charles-Martel refoule les Arabes vers les Pyrénées, mais solde ses guerriers avec les biens des églises. Le comté d'Autun devient la part de son frère Childebrand, dont le fils se nomme Nibelung, dont les petits-fils se nomment Childebrand, Nibelung et Théodoric.

Dans cette famille qui se distingue par ses grandes richesses et par ses goûts littéraires, on ne peut s'empêcher de remarquer l'usage spécial de tous les noms qui apparaissent avant tous les autres dans les poèmes dits Nibelungen.

La généalogie des nobles Nibelungs, perpétués sur le sol éduen jusqu'au onzième siècle, nous est fournie, pour l'époque carlovingienne, par le Cartulaire[14] (1) de la villa du Patrice (Patriciac aujourd'hui Perrecy).

 

[1] Une intention semblable se trouve encore mieux accusée dans la Cathédrale de Soissons. En entrant dans l'église, soit par la porte du nord ouverte dans le transept, soit par le grand portail, le spectateur se trouve dans une nef terminée par une abside. [2] À l'époque qui vit élever l'église Saint-Lazare, l'école Cathédrale d'Autun était dirigée par l'un des écrivains du douzième siècle qui a poussé le plus loin le symbolisme liturgique. Ceux qui voudront parcourir le premier livre du traité d'Honorius d'Autun, qui a pour titre Gemma animæ. depuis le chapitre cinquantième jusqu'au cinquante-huitième et sa préface sur l'Hexaméron, comprendront l'importance qu'on attachait alors à certains nombres, et comment on pouvait exprimer par ces nombres des noms divins. [3] Ob tres causas fit pictura : primo, quia est laicorum literatura ; secundo, ut Somus tali decore ornetur : tertio, ut priorum vila in memoriam revocetur. — Gemm. anim., lib. I, cap..132. [4] Questions Bourguignonnes, par M. Roger de Belloguel, p.13. [5] Mélanges  d'Archéologie, T.III, p. 98, 99. [6] Id., p.114, note I. [7] Gregor. Tur. Hist. Franc., lib. III, C. X. [8] Chlothacharius vero et Childebertus in Burgundiam dirigunt, Augustodunumque obsidentes, cunctam fugato Godomaro Burgundiam occupaverunt.— Id., C. XI.[9] Cujus regnum et Thesauros Ghlothacharius rex accepit. — Greg. Tur., lib. IV, C. XX. [10] Wltrogotham vero et filias ejus duas in exiliulli millit.Ibid. [11] Chilpericus vero, post patris funera, Thesauros, qui in villa Brinnaco erant congregati, accepit.— Ibid, cap. XXII. [12]  Quam pater ejus non denegans, cuni magnis theauris antedicto régi transniisit. - Ibid, cap. XXVII. [13] Hist. Franc., lib. VIII, cap. XXVI. [14] Le comte Eccard, qui donna le prieuré de Perrecy à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, était fils de Childebrand, fils de Nibelung, fils de Childebrand. C'est à ces princes que l'on doit la troisième et la quatrième partie de la continuation de la Chronique de Frédegaire. Quant à Eccard, dont nous connaissons les riches trésors par son testament authentique, il légua à Anchesise, archevêque de Sens, les Gestes des Lombards et la Chronique de Grégoire de Tours ; à l'abbesse Bertradane, l'Evangile en langue tudesque ; à Thierry, fils de Nivelung, une épée indienne et des tables sarrasines.

Les actes de ce Cartulaire sont précisément ceux par lesquels les Nibelungs disputèrent cette riche villa aux successeurs du moine Eusice dont nous avons parlé en rappelant les expéditions guerrières et les fondations pieuses de Childebert. Au douzième siècle, les traditions poétiques qui se rattachent au nom des Nibelungs avaient perdu en partie leur caractère primitif appartenant à l'Odinisme. Dans les Nibelungen de la fin du douzième siècle, dit le P. Arthur Martin[1] , l'ancien Sigurd, le Siegfried des Allemands, n'est plus qu'un chevalier chrétien. » On ne sera donc pas surpris de retrouver avec ce savant archéologue la légende germanique de Sigurd mêlée à celle du chevalier romain saint Eustache, dans un monument conçu sous l'empire des idées chevaleresques excitées par les Croisades, et dédié à saint Lazare, modèle et protecteur des frères hospitaliers. On ne sera pas surpris non plus de voir la même légende germanique du VICTORIEUX possesseur des trésors des fils de la splendeur, le héros Sigurd de la race des Sicambres, unie à la légende du VICTORIEUX défenseur des trésors de l'Eglise, le diacre saint Vincent, dans un édifice religieux élevé en réparation des dommages causés par les leudes austrasiens aux fondations mérovingiennes, et particulièrement à celles de Brunehilde, l'épouse de Sigebert. Le chef de l'école Cathédrale d'Autun au douzième siècle, Honorius, ne pouvait ignorer notre histoire locale. Il est certain qu'il connaissait beaucoup l'Allemagne. Après une digression trop longue peut-être, mais en elle-même nécessaire, exposons le plan iconographique de Saint-Lazare.

Nous avons dit que le plan ichnographique donne l'idée de deux églises se coupant à angles droits, terminées, l'une par un autel dédié à saint Lazare, l'autre par un autel dédié à la Sainte-Croix. Ce fait qui est indiqué par quelques détails architechtoniques, a pour raison l'union du culte de la Sainte-Croix à celui de saint Lazare dans la basilique Saint-Nazaire, ainsi que les préoccupations auxquelles donnaient lieu les Croisades.

Les sculptures du portail latéral, représentant la résurrection de saint Lazare et l'importance donnée à la légende de saint Eustache et aux apparitions de croix, dans les figures du grand portail, démontrent l'intention formelle d'unir ces deux cultes, intention dont on trouve une autre preuve dans les méreaux de la même église qui représentent d'un côté une croix ancrée[2], de l'autre saint Lazare ressuscité.

L’union du culte de saint Lazare, auquel était dédiée la grande abside, au culte de ses deux soeurs, dont les autels étaient placés dans les absides latérales, se trouvait indiqué sur le trumeau du grand portail. On y voyait en effet, de face, l'image de saint Lazare en costume d'évêque, et par côté les images de sainte Marie -Madeleine et de sainte Marthe. On sait que saint Lazare et ses soeurs sont, dans l'enseignement traditionnel, le type des trois faces de la vie chrétienne, vie de pénitence, vie d'action, vie de contemplation[3].

L'idée de conversion, de passage de la mort du péché à la vie de la grâce, figurée, d'après les saints Pères, par la résurrection de saint Lazare, était exprimée u portail latéral par le parallélisme établi entre la représentation de ce fait évangélique et celle du fait biblique de la chute d'Adam. Les vases de parfums placés entre les mains des deux soeurs de Lazare indiquaient les oeuvres de miséricorde et les œuvres de piété[4].

La nécessité de réparer les torts faits à l'église par les déprédateurs de ses biens, d'expier les désordres auxquels entraînait la cupidité, se trouvait trop liée à la fondation de la basilique Saint-Lazare pour n'avoir pas été fortement exprimée par le sculpteur énergique au ciseau duquel nous devons la décoration principale. Aussi voit-on, dans la grande composition du tympan, d'affreuses griffes sortant de l'enfer pour saisir un malheureux damné, placé entre le symbole de l'avarice et celui de la luxure[5].

Pénétré de toutes ces idées et voulant les ramener à l'unité, le décorateur de Saint-Lazare combina une suite de sujets iconographiques dont on ne peut méconnaître la liaison et l'enchaînement.

Le portail latéral placé en face de la Cathédrale Saint-Nazaire, là-même ou fut jadis l'entrée de l'établissement de charité fondé par saint Léger, indiqua la dédicace principale du monument et comme l'histoire abrégée de sa fondation. On y remarquait, d'après un procès-verbal du quinzième siècle, de grandes images de pierre placées dans le tympan, qui représentaient la résurrection de saint Lazare et au-dessous desquelles on voyait les figures d'Adam et d'Eve. Ce grand motif n'existe plus. Le linteau sur lequel on reconnaissait l'histoire de la chute de l'homme a disparu également avec le trumeau chargé de figures ; mais nous voyons encore sur les chapiteaux des colonnes placées de chaque côté de ce portail Adam et Eve se couvrant de feuilles après leur péché ; les soeurs de saint Lazare aux pieds du Sauveur qui ressuscite son ami ; le mauvais riche repoussant le pauvre Lazare, et enfin le pauvre Lazare reçu dans le sein d'Abraham qui à son tour repousse le mauvais riche.

Le règne du Christ vainqueur est représenté au grand portail[6]. Le Fils de Dieu environné de la gloire que portent des anges est assis sur un trône. Près de lui se trouve Marie sa mère et deux personnages dont l'attribution est indécise. Il est là pour juger l'univers, comme l'indiquent deux vers [7] gravés sur le bord de l'ornement elliptique en forme de bouclier auquel les iconographes donnent le nom de gloire. A ses pieds les mortels sortent de leurs tombeaux avec des attributs qui révèlent leurs bonnes ou mauvaises œuvres.

Un ange placé au centre du linteau et armé d'un glaive sépare les méchants d'avec les bons. Ceux-ci tendent vers la Jérusalem céleste placée à droite de Jésus-Christ, les autres sont entraînés dans l'enfer placé à sa gauche. Là on voit l'archange saint Michel, pesant les âmes que le démon lui dispute avec audace.

La grande archivolte s'épanouit autour de cette vaste composition et se divise en trois cintres. Celui qui environne immédiatement le tympan était couvert par les figures des patriarches et des prophètes. Il reposait sur deux chapiteaux offrant l'un l'image de la présentation de Jésus au temple, l'autre les vieillards de l'Apocalypse chantant les louanges du Verbe triomphant. Le cintre qui suit est décoré par des branches de mûrier, symbole de la croix et de la translation de la grâce des juifs aux gentils[8]. Les chapiteaux sur lesquels il retombe représentent l'apparition de la croix à saint Eustache et les épreuves de ce généreux chevalier. Les signes du zodiaque auxquels se trouvent intercalées les figures des douze travaux de l'année ornent le troisième cintre qui est reçu par des chapiteaux sur lesquels on remarque d'un côté l'apologue du Loup et de la Cigogne, et de l'autre l'histoire du Lion de saint Jérôme, symboles d'ingratitude et de reconnaissance. Quand on étudie le symbolisme du douzième siècle, il est difficile de ne pas voir dans la disposition iconographique des trois cintres l'indication de la loi de nature, de la loi écrite, et de la loi de grâce[9]. Deux consoles sur lesquelles on voit l'image du destructeur de l'Apocalypse, monté sur un hippogriffe et armé d'une massue, ainsi que celle du faux prophète Balaam, supportent le linteau.

David allant attaquer Goliath avec cinq pierres, puis rapportant la tête coupée du géant, est figuré sur les chapiteaux des colonnes qui ornent la petite porte conduisant au collatéral de sainte Marie-Madeleine.

Ses combats victorieux contre les lions et les ours[10] sont représentés sur les chapiteaux de la petite porte conduisant au collatéral de sainte Marthe. Dans les idées d'Honorius d'Autun, ces images sont une exhortation à embrasser la croix avec confiance, afin de combattre victorieusement l'ennemi du bien. Le chapiteau du trumeau du grand portail offre du côté extérieur l'image de deux personnages entrelacés par des rinceaux et dont les bras supportent le linteau. On voit du côté intérieur Jacob partant pour la Mésopotamie, luttant avec l'ange et consacrant la pierre Bethel. Cette image a évidemment pour but de rappeler les passages du chapitre vingt-huitième de la Genèse relatifs au respect dû à la maison du Seigneur.

Le tombeau de saint Lazare, comme nous le verrons, occupait le fond de la grande abside. L'enseignement symbolique attaché à sa mort et à sa résurrection et qui n'est autre que la réparation du genre humain par la grâce, entrait si bien dans les intentions de l'artiste chargé de décorer l'église dédiée à ce saint, que sur les vingt-huit chapiteaux recevant la retombée des arcs-doubleaux de la maîtresse-voûte, soit dans la nef, soit dans le transept, trois seulement sont historiés. Ils représentent l'histoire de la chute de l'homme et de l'Incarnation. La place qu'occupent les différents motifs est tellement choisie que la pensée de l'artiste ne laisse aucun doute. Le fait de la tentation et de la chute du premier homme, ainsi que celui de l'Annonciation, sont placés précisément là où se trouverait la plaie faite au côté de Jésus-Christ, si l'on se représentait le Sauveur des hommes étendu sur la croix formée par le plan de la basilique. L'image des quatre fleuves du paradis terrestre que l'on voit à la naissance de l'arc triomphal sont un symbole très connu des grâces abondantes répandues sur l'humanité par l'Incarnation divine et par le sacrifice de l'Homme-Dieu [11].

Il convenait de spécifier le collatéral dédié à sainte Madeleine par l'indication des consolations ménagées par le Seigneur aux âmes qui se confient en lui au milieu des séductions de ce monde, et le collatéral de sainte Marthe par l'indication des épreuves de la vie active et de la force qu'elles exigent. Aussi voyons nous apparaître l'action des bons anges dans presque tous les sujets sculptés sur les chapiteaux du collatéral de sainte Madeleine, et celle des mauvais anges sur les chapiteaux du collatéral de sainte Marthe. Ne perdant pas de vue la pensée d'unité que nous avons indiquée, l'artiste a résumé les tentations auxquelles on résiste soit avec les consolations des bons anges, soit avec l'énergie contre le démon. D'un côté les suites de la luxure sont indiquées par le combat acharné de deux coqs, de l'autre côté l'image du veau d'or signale l'apostasie à laquelle conduit la cupidité. La série des images du collatéral de sainte Madeleine commence par la hideuse figure d'un monstre qui se repaît de ses excréments, symbole évident des désordres d'une âme qui, ne vit que pour les choses des sens. —

Vient ensuite la légende de la naissance de la Vierge immaculée, combinée avec celle de la naissance d'Isaac et du sacrifice d'Abraham. Il y a comme un résumé de l'Ancien Testament dans ce rapprochement du fait biblique et de la légende. On voit successivement les trois jeunes hébreux jetés dans la fournaise pour n'avoir pas voulu partager les usages impurs de Babylone, mais assistés par des anges qui empêchent l'action corrosive des flammes ; — les chaînes de saint Pierre brisées par un esprit céleste ; — des guérisons miraculeuses ; — le prophète Habacuc transporté par un ange et venant nourrir le prophète Daniel jeté dans la fosse aux lions ; — Jésus tenté dans le désert, transporté par Satan sur le pinacle du temple, mais assisté par les anges ;-- Marie Madeleine et les saintes femmes, allant au tombeau de Jésus-Christ et apprenant d'un ange l'heureuse nouvelle de sa résurrection ; — l'image de la concorde et la prospérité représentée par deux princes nourris par les fruits d'un même arbre; — la punition de la polygamie dans la légende de Lamech tuant Caïn ; — l'union de la force et de la grâce dans les deux colonnes Jachin et Booz ; — l'union d'un prince et d'un abbé pour offrir une église à Dieu; - la jalousie d'Hérode; -- l'adoration des Mages ; - leur retour dans leur pays sans passer par Jérusalem à cause d'un avertissement céleste ; — la fuite en Egypte ; - deux figures[12] empruntées peut-être aux traditions germaniques pour indiquer la fureur des passions déchaînées contre l'innocence, qu'indiquerait un enfant à genoux, et les mains croisées sur sa poitrine, attendant le coup de la mort ; — enfin Jésus-Christ apparaissant en frère hospitalier pour soulager toutes les misères.

La série des images du collatéral dédié à sainte Marthe et destinée à représenter la lutte que les saints ont à soutenir contre la cupidité et les désordres qu'elle entraîne, commence par trois sujets bien significatifs. Une femme nue cachant son désespoir et sa honte en couvrant son visage de ses mains, est entraînée au moyen d'un instrument à dents par un géant accompagné d'un monstre. — En face se trouve, suivant une savante

dissertation du P. Martin[13], la victoire du héros Sigurd sur le dragon Fafnir. Le sujet était tellement usité pour indiquer la vertu de force et de courage, qu'il était traité de préférence par les artistes anciens sur les boucliers et sur les tentures[14]. On leremarque aussi sur l'un des piliers de la Cathédrale de Frisingue[15]. A Autun le héros Sigurd se relevant de la fosse dans laquelle il s'est blotti, perce avec la merveilleuse épée Grani, fabriquée des débris du glaive de son père Sigmund, le dragon Fafnir, possesseur des trésors du nain Anduari, au moment où le monstre suit le sentier dans lequel Sigurd lui a dressé un piège. — Sur le même pilier, mais sur un autre chapiteau, on remarque deux oiseaux défendant le corps de saint Vincent contre les attaques de deux ours. Cette légende indique, dans les traditions iconographiques, le repos dû aux reliques des saints, comme le mythe germanique de Sigurd indique la noble mission des chevaliers, appelés à défendre la faiblesse opprimée et à combattre les ravisseurs des trésors sacrés. Cette observation nous porte à croire que la femme nue, entraînée par un géant qu'accompagne un monstre, pourrait bien être la Valkyrie du Valhalla, la vierge Criemhild, fille du roi bourguignon Gibich de Worms, enlevée par un infâme géant transformé en dragon, mais délivrée par le brave Siegfried ou Sigurd[16]; à moins cependant qu'il ne s'agisse ici de la Valkyrie Brynhilde, entraînée dans le Château des flammes d'où la fit sortir la valeur du même héros.

L'instrument à dents recourbées ressemble en effet aux instruments de fer qui servent à faire mouvoir les objets jetés dans les fournaises.

A la suite de ces trois sujets qui paraissent avoir eu pour but de rappeler avec quel zèle les chevaliers doivent employer leur bravoure pour défendre les opprimés et protéger les richesses consacrées au culte des saints, on voit un personnage placé sur un arbre, combattant, avec le bâton double des lépreux, un autre personnage placé au pied de l'arbre et armé d'une hache. — La simonie, désordre contre lequel on faisait alors tant de règlements, est indiquée ensuite par la légende de Simon le Magicien, cherchant à voler dans les airs pour nuire à la mission des apôtres, mais précipité honteusement sur la terre, par la vertu des pouvoirs de saint Pierre et des prières de saint Paul.

On remarque plus loin un personnage chargé de sonnettes qu'il fait mouvoir. D'habiles archéologues y voient une figure de la musique. Le rapprochement de ce sujet avec celui qui est placé en face, et qui représente Jésus-Christ lavant les pieds des apôtres et  donnant par là l'un des plus mémorables exemples d'humilité et de charité à tous ceux qui sont chargés d'exercer l'hospitalité, nous avait fait penser que  l'homme aux sonnettes indiquait la fausse charité appelée par saint Paul cymbalum tinniens.-Un lion terrassé par un personnage monté sur lui et qui de ses mains écarte ses mâchoires paraît être le symbole de la vertu de force. — Vis-à-vis on voit saint Etienne lapidé par les Juifs pendant que Saul, non converti, garde ses vêtements. — Samson ébranle les colonnes de la salle dont les ruines doivent écraser les Philistins.

— L'arche de Noé est arrêtée sur le mont Ararat. C'est un symbole bien connu de l'Eglise véritable. — Judas, appuyé sur le démon de l'avarice qui tient une bourse, livre le sang du juste au prince des prêtres qui a pour escabeau le démon de la haine et de la jalousie. Le sang du juste est représenté par une coupe. — En face le Seigneur vient reprocher à Caïn la mort de son frère Abel[17]. — A côté, Judas est pendu par les deux démons qui l'ont conduit à trahir son Maître. — En entrant dans la chapelle de sainte Marthe, on voit un sujet compliqué dans lequel nous croyons devoir reconnaître la lutte d'Enoch et d'Elie contre l'antechrist[18], si on le lie surtout à un chapitre voisin sur lequel on remarque un guerrier poursuivant un sphinx avec une fronde. — Il y a bien de l'apparence que les oiseaux à plusieurs têtes placés près de là, et sur l'un desquels on voit un homme armé, symbolisent aussi cette lutte suprême du bien contre le mal. — Le dernier sujet représente Jésus-Christ tenté par le démon qui lui présente une pierre en l'invitant à la changer en pain, ce qui amène cette réponse du Sauveur: l'homme ne vit pas seulement du pain matériel, mais de toute parole sortie de la bouche de Dieu; en face on voit un prince richement vêtu et montant un cheval caparaçonné dont le pied foule un petit homme nu. Ce sujet, dont l'analogue se retrouve en beaucoup de lieux de l'ancienne Aquitaine surtout, n'a pas une signification unanimement admise par les archéologues. — Plusieurs ont cru l'expliquer convenablement en disant qu'il représente la punition d'Holopherne, déprédateur du temple de Jérusalem. — Il nous a semblé, qu'à Autun, l'opposition de ce sujet à celui de Jésus-Christ, humilié par le démon qui lui présente le problème social le plus important pour les âmes vouées aux bonnes œuvres extérieures, semble indiquer la lutte de la puissance orgueilleuse contre la gloire de l'humble charité.[19]

Nous avons fait observer ailleurs que depuis la sculpture qui représente l'adoration des Mages jusqu'à celle-ci, il y a une suite de motifs dont Honorius d'Autun, dans son Commentaire sur le Cantique des cantiques[20], se sert pour symboliser les six épreuves, sous la loi de grâce.

La première épreuve, selon lui, est la lutte de l'Eglise contre la synagogue. Elle commence à Hérode et s'étend jusqu'à la vocation des gentils. — Nous avons vu les sujets relatifs à Hèrode et à ses persécutions.

— La deuxième épreuve est la lutte entre les chrétiens et les païens. Elle est symbolisée par Simon le Magicien s'opposant aux apôtres et par le martyre de saint Etienne. Ces deux sujets viennent, à Saint-Lazare, à la suite de la persécution d'Hérode. — La troisième épreuve est la lutte entre les catholiques et  les hérétiques dont le chef est Arius. — On se rappelle la sculpture représentant l'arche, symbole bien connu de la véritable Eglise. Brunon d'Asti, contemporain d'Honorius d'Autun[21], dit positivement que le corbeau sorti de l'arche est la figure d'Arius. —

La quatrième épreuve est la lutte des religieux rencontrant des faux frères, dont le type est Judas trahissant son divin Maître. — A la suite de l'arche nous voyons, à Saint-Lazare, la trahison de Judas et le meurtre d'Abel. — La cinquième épreuve est la lutte d'Enoch et d'Elie et des prédicateurs évangéliques contre l'antechrist. — Nous avons expliqué la sculpture qui se rapporte à ce sujet. — La sixième épreuve est le combat du Roi de Gloire contre le roi de la Superbe, c'est-à-dire de Jésus-Christ contre le démon. — Or le dernier sujet sculpté rappelle la parole par laquelle le Verbe divin confond la sagesse diabolique en montrant la supériorité de la vie spirituelle sur la vie matérielle, solution dernière de tous les problèmes posés par la cupidité orgueilleuse.

Le lecteur, en réfléchissant sur la suite et l'ensemble des diverses sculptures de Saint-Lazare et sur le rapport manifeste de plusieurs d'entre elles avec les idées d'Honorius d'Autun, pensera sans doute que les circonstances dans lesquelles cette église a été construite, et que l'enseignement du célèbre écolâtre d'Autun, ont laissé dans son plan et dans les images qui la décorent une empreinte profonde qui mérite d'être étudiée.

 

[1] On a vu par une note placée plus haut que les noms germaniques Sigurd, Siegfried, Sigebert sont synonymes ; ils signifient le victorieux comme le nom latin Vincentius. On sait toute l'importance que les anciens attachaient à la synonymie et à la valeur poétique des noms propres. « Quand nous autres fils de la victoire nous serons rassemblés, dit Sigurd dans l'Edda, on saura lequel naquit plus valeureux. » (Mélanges d'Archéol., vol. Ill, p. 102). « Vincentii victoriam maria celabunt, disent les officiers de Dacien en jetant le corps de saint Vincent à la mer. « Christi miles post mortem quoque ostenditur invictus, quem nec supplicia vincere nec maria quiverant » ajoute la légende de saint Vincent. (Bolland., XXII jan. p. 397.) [2] Les armes de l'église Saint-Lazare sont une croix de sable sur un champ de gueules. Il est bien probable que l'on avait voulu indiquer ce signe héraldique au tombeau renfermant les reliques de saint Lazare ; car l'entrée du caveau était fermée par une pierre carrée de porphyre rouge, fixée par deux bandes de fer croisées en fer de moulin. — Il ne faut pas oublier non plus que la croix était l'un des attributs spéciaux de sainte Marthe, soeur de saint Lazare, qui avait remporté une victoire signalée contre le monstre nommé Tarasque. — Monum sur l’apost. De sainte Madeleine. -T I, col 208 et suiv.  [3]Consideremus, fratres, quemadmodum tria haec distribuerit ordinatio caritatis, Marthae administrationem, Mariæ contemplationem, Lazaro poenitentiam. Habet haec simul quaecumque perfecla est anima : magis tamen yidentnr ad singulos singula pertinere. — S. Bern. Serm. 2, In. Assumpt. [4] Intret ergo domum Salvator, et frequenter visitet eam, quam poenitens Lazarus mundat, ornât Marlha, et Maria replet internae dedita contemplationi. — Ibid. [5] On doit faire observer que trois ou quatre conciles, tenus à Autun dans les dernières années du onzième siècle, avaient eu pour objet de réprimer l'envahissement des biens de l'Eglise et les mariages incestueux. [6] La grande scène du jugement dernier est un sujet trop souvent répété sur le portail des églises pour qu'il faille chercher une raison spéciale de son existence sous la grande archivolte de l'église Saint-Lazare. Toutefois on peut noter que les saints Pères aimaient à rapprocher cette grande scène de celle de la résurrection de son ami. — Quid enim sibi vult, quod Dominus ad monumentum accessit, magna voce clamavit : Lazare, exi foras : nisi ut futurae resurrectionis specimen praestaret, exempluin daret? — Ambros. De fide resurrecf. Voir aussi S. Augustin. Tract. 49, In. Evang. [7] Omnia dispono solus meritusque corono, Quos scelus exercet, me judice, poena coercet. « Seul, je dispose toutes choses et je couronne la vertu ; je suis constitué le juge des hommes criminels, et ma sentence est la règle de leur punition. »  [8] Dicetis huic arbor moro :  eradicare et transplantare in mare : et obediet vobis. — Luc XVII 6. — Huic arbori moro, hoc est ipsi Evangelio crucis Dominicoe, per poma sanguinea, tanquam vulnera in ligno pendentia, victum populis praebiturae. Dicant ergo illi ut eradicetur de perfidia Judoeorum et in mare gentium transferatur alque plantetur. - August., Quest. Evang., lib. II, quest. 39. [9] Honorius d'Autun revient à tout propos, dans ses Explications liturgiques, sur ces trois temps, dont le premier commence à Adam et s'étend jusqu'à Moïse ; tandis que le second s'écoule de Moïse à Jésus-Christ ; comme le troisième s'accomplit de la prédication évangélique à la gloire céleste. [10] Reg. I 17. — Honorius d'Autun comparant le saint sacrifice de la messe à un combat du Christ contre les démons, dit : Cum ecclesiam intramus, quasi ad stationem pervenimus. Cum campanae sonantur, quasi per classica milites ad praelium incitantur; quasi vero acies ad pugnam ordinantur, dum utriusque in choro locanlur. Cantor qui cantum inchoat, ut tubicina qui signum ad pugnam dal. Cum ergo a subdiacono et aliissacrificium inslituitur, quasi a David, a Saul, et populo armis induitur. Porro cum pontifex ad allare venit, quasi David adversus Philisteum procedit. Per calicem mulctrale accipitur, per corporale funda, per oblalam petra intelligitur. David contra Philisteum baculum portavit, et Christus contra diabolum crucem bajulavit. Per fundam Christi caro, per lapidem ejus anima. — (Gemm. Illlim., lib. i, cap. 73, 74, 79, 81.) [11] On conçoit qu'on ait réparti avec sobriété les chapiteaux historiés dans la partie la plus élevée de l'église, la distance du spectateur à l'objet figuré en rendant la vue plus difficile. Mais alors le choix des sujets n'en est que plus instructif ; puisque l'existence de ses sujets n'est motivée que par le besoin d'écrire en images la pensée qui a dirigé le plan de l'édifice. [12] L'une de ces figures représente un homme honteusement nu, ayant une tête de chacal, portant une hache de la main droite et saisissant de la main gauche les cheveux d'un enfant qu'il veut frapper. L'autre figure est celle d'une femme éhontée, dont les cheveux sont hérissés comme ceux d'une furie ; elle est armée d'un glaive et d'une pierre. L'homme-chacal indique la gloutonnerie, ainsi que la luxure et la cruauté qui en sont les résultats ordinaires. — Voir D. Pilra. Spicilegium Solesm. T.III, p. 64. Il est indubitable que l'artiste a voulu représenter les caractères indiqués dans ce passage. [13] Mélang. d'archéol., vol. III, p. 100. [14] ld., p. 113. [15] Id., p. 95. La ville de Frisingue appartient à la Bavière, et est située près des bords de l'Isar. On sait que la Bavière tire son nom d'une colonie de Boii, frères d'origine des Boii du sol éduen. Or c'est dans cette partie du pays éduen qu'avaient leurs principaux domaines les comtes dont la généalogie présente fréquemment le nom Nibelung. Cette église reconnaît pour ses principaux bienfaiteurs l'empereur Frédéric Barberousse et sa femme Béatrix de Bourgogne, très proche parente de la principale bienfaitrice de l'église Saint-Lazare, Ermentrude de Bar. Un prêtre nommé Sigefrid écrivit vers l'onzième siècle, pour l'évêque de Frisingue Valdo, un livre d'Evangiles écrit en langue theotisque, comme celui que le comte Eccard, bienfaiteur de Perrecy, donna, dans le siècle précédent, àl'abbesse Bertradane. A l'époque où le sculpteur Gislebert travaillait aux sculptures de la Cathédrale, le célèbre Othon, depuis évêque de Frisingue, habitait Citeaux. [16] Id.,p.114. [17] Nous ne pouvons nous empêcher ici de faire remarquer un parallélisme bien sensible. Dans le collatéral de Sainte-Madeleine deux princes vivent en paix des fruits d'un même arbre. Dans le collatéral de Sainte-Marthe, au lieu correspondant, on voit l'arche, symbole d'unité. Dans le premier collatéral, on remarque le meurtre de Caïn par Lamech; dans le second, le meurtre d'Abel par Caïn : deux symboles de discorde auxquels vient mettre le sceau la trahison de Judas.  [18] Saint Brunon d'Asti, moine de Cluny, applique à l'antechrist plusieurs passages de Job relatifs à Léviathan. (Biblioth. max. PP. T. 20, col. 1676.) Sur le chapiteau d'Autun on voit un monstre dont la queue se recourbe pour porter un guerrier armé d'un glaive; la gueule du même monstre est ouverte et se fait remarquer par ses dents aiguës contre lesquelles est dirigée la flèche que lance un sagittaire. Or, d'après Brunon d'Asti, le glaive et la queue de Léviathan figurent l'antechrist. Ses dents représentent les hérétiques. Le sagittaire indique la prédication d'Enoch et d'Elie, ainsi que le guerrier armé d'une fronde. Aussi, sur un chapiteau voisin de celui-ci, on voit un guerrier poursuivant un sphinx avec une fronde. [19] On doit se rappeler que sur le chapiteau correspondant Dans le collatéral de Sainte-Madeleine, Jésus-Christ est représenté en frère hospitalier, portant le bâton double et l'aumônière  [20] In capit. VIII. [21]Lib. 1, Sentent, cap. II.

DU CULTE DE SAINT LAZARE À AUTUN. MGR ADOLPHE DEVOUCOUX.
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