L'Iconographie ancienne du Sacré-Coeur
LE COEUR BLESSÉ de l'Église de Langeac (Haute-Loire)
1526
Langeac est un gros canton de la Haute-Loire, situé sur le cours de l'Allier. Son église est le chef-lieu de l'un des archiprêtrés de l'actuel diocèse du Puy, mais faisait jadis partie de celui de Saint-Flour d'Auvergne.
Cette église, élevée au XVe siècle, est un bel édifice de style ogival peuplé d'oeuvres d'art, dont une quinzaine ont été classées par les Beaux-Arts à titre de monuments historiques.
A citer parmi elles, au premier rang, un magnifique tryptique peint sur bois et argent, les groupes sculptés du Rosaire et la Mise au tombeau.
A l'époque où l'église de Langeac fut construite et enrichie de ses chefs-d'oeuvres précieux, la seigneurie civile de Langeac appartenait à la noble famille de ce nom, vieille race illustre, issue des rois de Sicile, et que représentaient alors Tristan de Langeac et Marie d'Alègre, sa femme. Parmi leurs enfants se distingua surtout Jean de Langeac, le fastueux évêque de Limoges à qui François Ier confia, dans la suite, d'importantes missions diplomatiques et qui fut l'un des prélats les plus titrés et les plus opulents du royaume.
Assurément l'église de Langeac, siège d'un collège de chanoines, le chapitre de St-Gal, se ressentit heureusement de la générosité des seigneurs du lieu, dont l'esprit familial de libéralité devint célèbre surtout avec l'évêque Jean de Langeac et son frère, François de Langeac, abbé commandataire de Chézy.
Cependant, ce n'est point à leur munificence que la collégiale doit de posséder les très belles stalles de son sanctuaire, l'œuvre d'art qui va nous occuper ici, car le seul chapitre des chanoines de St-Gal en fit la dépense, ainsi que l'atteste l'inscription suivante sculptée, en splendides caractères de gothique ornée, sur le bois des stalles et qui nous en dit à la fois l'origine et la date exacte.

Afin d'exalter journellement la gloire du Christ en accomplissant l'office divin, le vénérable chapitre de Langeac, mû par sa dévotion, a fait ériger ce chœur l'an du Seigneur 1526.
Or, sur le bois de ces stalles quatre sculptures évoquent, dans un langage linéaire de la plus belle allure héraldique et mystique, les souffrances dernières du Sauveur Jésus ; elles se présentent ainsi, dans l'ordre des récits évangéliques :
1°— Un ange agenouillé tient obliquement, sur ses deux bras inégalement tendus, la colonne de la flagellation.
2° — Un buste d'ange dont le visage, les ailes et les mains sont seuls visibles, tient droit, sur sa poitrine, un écu de forme ogivale chargé d'un fouet à trois cordons tressés. L'ange employé ainsi comme « tenant » héraldique de l'écusson fut un motif très en faveur dans le blason de France et d'Angleterre du XIVe siècle et au XVe ; et nous devons féliciter le sculpteur de Langeac d'avoir su ainsi garder en son travail les formes traditionnelles et nationales de l'art noble, à son époque où tant de blasons devenaient de complexes cartouches italiens qui, hors de chez eux surtout, sont pitoyables.
3° — Un ange semblable à celui qui porte l'écu au fouet tient à son tour, mais obliquement, un écusson où s'épanouit un faisceau de verges.
Avant d'aller plus loin qu'on me permette de signaler la très grande analogie qui existe entre le dessin du fouet et des verges sur les écus de Langeac et celui de ces mêmes instruments de flagellation sur la fresque de l'église S'-Jean-Baptiste de Chaumont (Haute-Marne),1471, publiée par Regnabit, il y a quelques mois[1].
4° — Si les trois premières sculptures des stalles de Langeac évoquent, par la colonne le fouet et les verges, les seules souffrances de la flagellation, la quatrième, par contre, résume à elle seule les autres supplices de la Passion : le couronnement d'épines, le crucifiement, l'ouverture du Coeur de Jésus par la lance ; c'est un des plus beaux exemples que je connaisse de ce que l'on appelait alors les « Armoiries de la Passion », ou le ? Blason de Jésus-Christ », et quelquefois « l’Écu des Cinq-Plaies ».

Je reproduis ici cette sculpture superbe, dans les dimensions réelles qu'elle possède à Langeac, d'après le dessin qui m'a été très aimablement communiqué, ainsi que ceux des deux autres écussons, par M. le Chanoine Ollier, archiprêtre de Langeac. Comme pour l'écusson au fouet, l'ange scutigère tient sur sa poitrine un grand blason droit. Tout le champ de cet écu est meublé d'une forte couronne d'épines de deux scions entrelacés, au milieu de laquelle le Coeur divin se montre percé des clous qui firent saigner les membres de Jésus crucifié et de la lance qui ouvrit son côté. Le coeur n'est-il pas le foyer humain où tout peines, toutes souffrances de nos âmes et de nos affections, de nos esprits et de leurs pensées, de nos corps et de leurs sensibilités viennent aboutir ? — C'est le résumé de tout l'Homme.
Et c'est pourquoi, Dieu s'étant fait homme pour sauver l'homme, un homme un jour osa résumer Dieu. Dieu mort pour nous, et l'infini de ses souffrances, dans le seul dessin de son Coeur vulnéré de toutes les blessures de son corps.
Le sculpteur de Langeac, eut-il ciselé son oeuvre à deux genoux, ne fut point cet homme-là ; s'il le surpassa en maîtrise de métier, il ne fut cependant que son tardif imitateur : Depuis des siècles, la main chrétienne gravait, ciselait, peignait le Coeur adoré de Jésus-Christ ; depuis bien longtemps des blasons sculptés aux murs des cloîtres et des églises, sur des tombeaux et sur des meubles, portaient les mains et les pieds percés du Sauveur autour de son Coeur blessé.
Quarante ans avant que le chapitre de St Gal de Langeac fit sculpter les stalles de sa collégiale, un imprimeur parisien, Pierre Levet (1487-1491), prenait comme marque et firme commerciale un grand écusson qui centralisait aussi dans le Cœur même de Jésus, les instruments de ses Cinq Plaies principale.

Et si l'art du blason peut accorder peut-être une supériorité à Pécusson de Langeac sur celui de Pierre Levet dont Regnabit donnera prochainement l'image, les deux sont à mettre en parallèle comme l'expression héraldique d'une même pensée de piété d'une même façon de représenter le Coeur du Sauveur en tant que source de notre rédemption et que récepteur sensible des infinies souffrances de Jésus mort pour nous.
Loudun (Vienne) L. CHARBONNEAU-LASSAY.

Marque de Pierre Levet, imprimeur à Paris (fin du XVe siècle). Gravée au canif par L. Charbonneau-Lassay, d'après la reproduction qu'en donne Claudin, Histoire de l'imprimerie en France (Bibliothèque de l'Arsenal Paris).
[1] Regnabit, mars 1922, p. 409.