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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #HISTORIQUE VILLE

DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

FONTAINE OU GROTTE DU LUXEMBOURG.

PLANCHE XII.

La fontaine du Luxembourg est un de ces monuments d'apparat uniquement destinés à l'embellissement des jardins. Elle fut élevée pour servir de point de vue à l'une des grandes allées, d'après les dessins de Jacques Desbrosses, à qui l'on doit aussi la construction du palais. On sait qu'en faisant bâtir cet édifice au commencement du dix-septième siècle, Marie de Médicis avait ordonné à l'architecte de se rapprocher, dans sa composition, de l'ensemble et des détails du palais Pitti, que l'on admire à Florence. Aussi, tous les bâtiments, et la fontaine elle-même, portent-ils le caractère de l'architecture toscane.

La fontaine ou grotte du Luxembourg, se compose de deux avant-corps formés par des colonnes d'ordre toscan, et d'une grande niche au milieu, qui est surmontée d'un attique et d'un fronton cintré. Dans l'entrecolonnement des avant-corps se présente, de chaque côté, une plus petite niche à laquelle un masque de satyre sert de clé. Les colonnes, le fonds des niches, l'attique, le fronton, toute la surface, en un mot, de cette fontaine, sont couverts de congélations, ornement bien précieux, puisque dans ce monument c'est la seule chose qui caractérise une fontaine. Au-dessus de chaque avant-corps est une statue colossale couchée, et représentant l'une un fleuve, par Duret, l'autre une naïade, par Ramey. Dans l'origine, ces figures avaient été exécutées par des contemporains de Desbrosses, et devaient être sans doute d'un meilleur style que celles qui, depuis peu d'années, les ont remplacées. Quoique la plus considérable, cette restauration n'est pas, au reste, la seule qu'on ait faite à la fontaine du Luxembourg, qui, depuis longtemps, était tombée dans le plus triste état de dégradation. On voyait autrefois, au bas et en avant de la niche du milieu, une vasque avec un jet-d'eau ; on y a substitué un maigre rocher des cavités duquel s'échappe un très-mince filet d'eau, et qui sert de piédestal à une fort mauvaise figure en marbre blanc représentant Vénus au bain. On a encore sculpté des congélations dans la table de l'attique, à la place des armes de France et des Médicis, qui avaient été effacées pendant la révolution.

Si au lieu de construire un rocher si mesquin, et qui ne pouvait jamais être en proportion avec l'architecture, on s'était occupé d'amener à cette fontaine un volume d'eau plus considérable, de l'y faire jaillir de différents côtés, chacun s'empresserait de louer M. Chalgrin, qui a dirigé ces réparations, ainsi que toutes celles du palais du Sénat. Mais ne troublons point la cendre de cet estimable architecte[1]  ; sachons lui gré, au contraire, d'avoir montré tant de respect pour la mémoire de Desbrosses ; car telle était la détérioration de ce monument, qu'il aurait pu, sans qu'on lui en fît de reproches, le démolir, comme l'on a détruit les balustres des terrasses que Blondel regardait comme des modèles en ce genre.

Derrière cette fontaine se trouve un reste de bâtiment qu'on a déjà cherché à masquer par des arbres, et qui, s'il était abattu, donnerait à la fontaine un aspect plus grand, et à cette partie du jardin, un point de vue plus pittoresque.

La fontaine du Luxembourg s'alimente des eaux que conduit à Paris l'aqueduc d'Arcueil.

FONTAINE DE LA COUR BATAVE,

SITUÉE RUE SAINT-DENIS.

PLANCHE XIII.

En 1791, lorsque l'on commençait à vendre les biens des communautés religieuses, une compagnie de négociants hollandais acheta les bâtiments de la confrérie du Saint-Sépulchre, église collégiale fondée, en 1326, par des pèlerins qui venaient d'accomplir le vœu de visiter le Saint Tombeau du Seigneur, à Jérusalem. Sur les décombres du cloître, et de toutes les dépendances d'un monastère, on vit bientôt s'élever une suite de maisons de commerce, formant un plan régulier ; et l'on donna à cette enceinte le nom de Cour Batave, pour rappeler sans doute la nation à laquelle appartenaient les propriétaires. Messieurs Sobre et Happe, architectes, en dirigèrent les travaux, qui furent exécutés pendant le cours du papier monnaie, et qu'on évalua à plus de dix-huit cents mille francs en numéraire, somme immense, sans doute, mais trop peu considérable encore, puisqu'une partie de cet édifice n'a pu être terminée.

Des marchands, des fabricants de toute espèce occupent les boutiques et les étages supérieurs de ces bâtiments. Pour une telle destination fallait-il une décoration extérieure et intérieure aussi fastueuse ? Pourquoi des colonnes, des bas-reliefs, des caissons, des ornements de toute espèce ? Une ordonnance simple, commode et peu coûteuse, voilà pour des constructions de ce genre les premières conditions à remplir.

Quoiqu'il en soit, cet ensemble de bâtiments forme à-peu-près un plan carré terminé par un rond-point, à l'extrémité duquel se trouve la fontaine dont nous offrons ici la gravure. Ce monument n'est point isolé, et fait, au contraire, partie de la décoration intérieure de la cour. Placée à la suite d'une arcade qui répète l'entrée principale, il sert là comme de point de vue. Au milieu d'un bassin, on voit sur un socle carré une figure de femme assise, ayant sur la tête une couronne murale, et appuyant chaque main sur la tête  d'un lion placé de chaque côté, près d'elle. Du mufle de ces animaux s'échappait autrefois un filet d'eau qui retombait dans le bassin. Ce morceau de sculpture, assez lourdement traité, est de M. Augé.

On ne sait trop par quel motif cette fontaine est, depuis peu d'années, entièrement privée d'eau. Elle est cependant heureusement située au centre d'un édifice extrêmement étendu, et servait à la consommation journalière du grand nombre de personnes qui l'habitent. En cas d'incendie, un monument de cette espèce serait aussi d'un grand secours. Il faut espérer que la quantité d'eau amenée dans le quartier Saint-Denis, par l'aqueduc souterrain du canal de l'Ourcq, permettra à messieurs les ingénieurs de rendre à cette fontaine son précieux aliment.

On assure que cette fontaine n'est point une propriété publique ; qu'elle appartient aux propriétaires de la Cour-Batave. Mais on ajoute que la ville se propose d'en faire l'acquisition.

FONTAINE DU PARVIS NOTRE-DAME.

PLANCHE XIV.

Dès 1639 il existait une fontaine sur le Parvis Notre-Dame, du côté opposé au bâtiment de l'Hôtel-Dieu. Elle était placée, dit-on, près d'une ancienne statue qui a été un grand sujet de discussion entre les divers historiens de Paris.

En effet, les uns ont prétendu reconnaître dans cette figure celle d'Esculape, d'autres ont cru y voir celle d'Archambaud, maire du palais sous Clovis II, tandis que l'abbé Leboeuf, après plusieurs examens, l'a jugée être une représentation de Jésus-Christ, tenant dans sa main le livre des évangiles. Entre tant d'avis différents, il serait embarrassant de choisir aujourd'hui surtout que cette statue est détruite, et qu'il n'en reste point de gravure exacte. Elle fut abattue en 1748, ainsi que la fontaine, monument fort simple dans son ensemble comme dans ses détails on a conservé seulement l'inscription qui était gravée sur celle-ci.

QUI SITIS HUC TENDAS ; DESUNT SI FORTE LIQUORES,

PROGREDERE, ETERNAS DIVA PARABIT AQUAS.

C'est-à-dire,

« Approchez ici vous qui êtes altéré, et si par hasard mes eaux ne vous suffisent point, avancez jusques dans le temple, la Vierge qu'on y invoque vous prépare des eaux éternelles. »

Ce fut pour donner plus d'étendue et une forme moins irrégulière au Parvis, qu'on supprima et la fontaine et la statue dont nous venons de parler. En même-temps on abattit la petite église de Saint-Jean-le-Rond, qui était attenante à la tour droite de la cathédrale et fermait le cloître Notre-Dame. On y substitua une façade percée de trois portes, qui avait été dessinée par Boffrand[2], et que depuis on démolit pendant la révolution.

A la même époque cet architecte était chargé de construire, au coin du Parvis et de la rue Notre-Dame, un bâtiment pour les Enfants-Trouvés, et qui maintenant est occupé par la pharmacie de l'Hôtel-Dieu. Il devait ensuite élever de l'autre côté un bâtiment parallèle pour servir de point de vue à la Cathédrale ; mais ce projet ne reçut point son exécution, et même le premier commencé vers 1748 n'est point encore entièrement terminé.

C'est sur la façade principale de ce bâtiment, d'architecture assez lourde et très peu d'accord avec le style gothique de l'église Notre-Dame, que l'on a placé, dans une niche pratiquée de chaque côté de la porte, la nouvelle fontaine dont l'érection a été ordonnée par le décret de 18o6.Cette fontaine est double, si l'on peut s'exprimer ainsi, et consiste de chaque côté, en un vase imité d'un des beaux vases grecs de la collection du chevalier Hamilton, et gravés par d'Hancarville. On en a seulement un peu allongé le galbe, qui, dans l'original, est plus pur et se rapproche davantage de la forme de l'œuf Sur la partie la plus renflée de chacun de ces vases, qui sont en pierre, on a sculpté un petit bas-relief représentant des femmes qui portent des secours à un moribond.

L'artiste a voulu par-là rappeler en même-temps la destination de l'édifice auquel ces fontaines sont attenantes, et de l'Hôtel-Dieu, près duquel elles sont situées. Un petit piédestal carré sert de socle à ces vases, et du milieu s'échappe, par un mascaron de bronze, un filet d'eau qui retombe dans une cuvette placée au-dessous.

La sculpture de cette double fontaine, qui s'alimente des eaux de la pompe

Notre-Dame, est de M. Fortin, la composition, de M. Brale.

FONTAINE DE SAINT-COME.

PLANCHE XV.

Cette fontaine, située à l'extrémité de l'École de Médecine, du côté de la rue de la Harpe, a été construite vers 1624, lorsqu'après l'achèvement de l'aqueduc d'Arcueil on commença à embellir de fontaines le quartier Saint-Jacques.

Dans l'origine, elle s'alimentait seulement d'une partie des eaux qu'amène à Paris cet aqueduc ; on y adjoignit par la suite une portion de celle de la pompe Notre-Dame, et aujourd'hui, depuis l'érection de la fontaine de l'École de Médecine, elle ne coule plus et ne sert que de réservoir.

Sous le rapport de l'art, cette fontaine n'a rien de remarquable, si ce n'est son extrême simplicité, qui s'accorde bien avec le peu d'eau qu'elle fournissait.

Comprise entre deux piliers extérieurs d'une église, elle ne consiste que dans une façade de très peu d'épaisseur, dont le milieu, marqué par des pieds-droits avec bossages, est surmonté d'un petit fronton triangulaire. Les ailes ornées de refends, sont percées chacune d'une porte.

Il paraît qu'autrefois on était encore moins qu'aujourd'hui, dans l'usage d'isoler les fontaines; les anciennes, pour la plupart, sont toujours adossées à quelque édifice. Celle qui fait le sujet de notre planche n° XV, est comme on peut le voir dans notre gravure, tout-à-fait attenante à l'église Saint Côme, monument gothique du XIIIe siècle.

La fondation de cette église remonte jusqu'à 12 12, époque où elle fut bâtie aux dépens de l'abbé et des religieux de Saint-Germain-des-Prés, qui en eurent le patronage jusqu'en 1345. Ils en furent alors privés par un arrêt du parlement, rendu en faveur de l'université, à l'occasion d'une querelle qui s'était élevée entre les écoliers de cet établissement et les domestiques de l'Abbaye.

L'université nomma à la cure de Saint-Côme jusqu'au moment où les églises furent supprimées, et depuis ce temps, celle-ci ne s'est plus ouverte.

Parmi les souvenirs que rappelle ce quartier, nous n'en rapporterons qu'un seul ; celui qui concerne la mort d'un des plus grands monstres du régime révolutionnaire. C'est, tout près de la fontaine dans la rue de l'École de Médecine, nommée alors rue des Cordeliers, que le 13 juillet 1793, une jeune fille, Charlotte Cordai, venue exprès de Caen à Paris, plongea un poignard dans le sein de Marat, qui, reposant dans sa baignoire, méditait sans doute quelque nouveau crime. On sait les honneurs qu'on lui rendit après sa mort et de quelle ignominie ils furent suivis. Enterré avec pompe dans le jardin des Cordeliers, son corps en fut bientôt exhumé pour être précipité dans l'égout Montmartre.

 

[1] Les arts ont perdu Jean-François-Thérèse Chalgrin, le 3o janvier 1811. Il était âgé de 71 ans. Reçu dès l'âge de 29 ans à l'Académie d'Architecture, il a consacré toute sa vie à l'étude et à la pratique de son art. Peu d'architectes ont été aussi occupés. Entre autres édifices, on doit à ses talents, l'une des tours, les chapelles, et l'orgue de Saint-Sulpice ; le collège de France, place Cambrai ; le séminaire du Saint-Esprit ; l'église de Saint-Philippe du Roule, etc. M. Chalgrin avait dirigé encore les travaux de toutes les fêtes publiques qui ont eu lieu depuis l'an 6. Il s'occupait, au moment où la mort est venu le surprendre, de l'érection de l'arc de triomphe de l'Étoile. [2] Boffrand, architecte, neveu de Quinault, naquit en 1667. Il apprit la sculpture chez Girardon, et l'architecture sous Jules Hardouin Mansard. Après avoir été employé à plusieurs grands travaux, il mourut en 1754. Il a laissé sur son art plusieurs ouvrages imprimés.

 

 

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DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

 

FONTAINE DE LA PLACE DU PALAIS-ROYAL,

CONNUE SOUS LE NOM DE CHATEAU-D'EAU.

PLANCHE IX.

LE CHATEAU-D’EAU n'est, à bien dire, qu'une dépendance du Palais-Royal. Il ne fut construit que pour lui servir de point de vue.

En 1629, le cardinal de Richelieu, qui venait d'acheter l'hôtel Mercoeur, celui de Rambouillet, et quelques maisons voisines, fit abattre tous ces bâtiments, et chargea Jacques Lemercier[1], premier architecte du Roi, de lui construire un hôtel sur cet emplacement.

Il n'y eut point d'abord de place devant le Palais-Royal. La largeur de la rue

Saint - Honoré, le séparait seule des maisons qui étaient en face; mais Anne d'Autriche, régente du royaume, étant venue habiter avec le jeune roi Louis

XIV, ce palais qu'on appelait alors le Palais Cardinal, parce qu'il avait appartenu au cardinal de Richelieu, fit former en avant une place carrée. On commença par abattre l'hôtel de Sillery, dont le cardinal avait hérité par testament[2] ; et c'est sur les ruines même de cet hôtel, que Philippe d'Orléans, qui avait reçu de Louis xiv le Palais-Royal, en augmentation d’apanage, fit élever le Château-d'eau, pour donner à la place un plus bel aspect. En 1719, Robert Decotte, premier architecte du Roi, fut chargé de la construction de ce monument, destiné à servir de réservoir aux eaux de la Seine et d'Arcueil, et à entretenir les bassins du Palais-Royal et des Tuileries. Peu de changements ont été faits à cet édifice, qui se composait alors, comme aujourd'hui, d'une façade ornée de bossages vermiculés, et terminée par deux pavillons quarrés décorés dans le même goût. Au milieu est un avant-corps formé de quatre colonnes d'ordre toscan, qui supportent un fronton, dans le tympan duquel étaient sculptées les armes de France. Deux statues de Coustou, le jeune, couronnent ce fronton. Elles représentent la figure de la Seine, et celle de la nymphe d'Arcueil. Au milieu de cet avant-corps, on a pratiqué une niche, au bas de laquelle s'échappait autrefois l'eau par un robinet, et où l'on a depuis substitué un mascaron, qui laisse tomber l'eau dans une cuvette placée en avant. Un trottoir, d'un mètre de haut environ, sert de soubassement, dans toute sa longueur, à la façade de ce monument. L'inscription qui y avait été gravée existe encore ; on l'a faussement attribuée à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, On ignore de qui elle est.

QUANTOS EFFUNDIT IN USUS.

« Pour combien d'usages elle épanche ses eaux ».

D’après la description qu'on vient de lire, on voit que la fontaine n'est dans ce monument qu'un très-petit accessoire. Aussi l'on s'est peu embarrassé d'en rendre les abords faciles et commodes. Cette fontaine ne sert guères, quoi qu'en dise l'inscription, qu'à abreuver les chevaux des fiacres qui sont continuellement sur la place. Les eaux d'Arcueil, de la Samaritaine et de la pompe de Chaillot s'y réunissent.

FONTAINE DE L'ÉCOLE DE MÉDECINE.

PLANCHE X.

Le bâtiment de l'École de Médecine, élevé, en 1744, sur l'emplacement de l'ancien hôtel de Bourgogne, passe généralement pour le chef-d'oeuvre du siècle dernier ; c'est au moins celui qui offre le moins de traces du style faux et maniéré dont tous les édifices de ce temps portent l'empreinte. Quoiqu'on puisse en trouver l'ordonnance trop théâtrale, on ne saurait disconvenir que les masses en sont bien balancées entre elles, que les lignes en sont grandes, et que les ordres employés à sa décoration ne sont point surchargés d'ornements étrangers et superflus. Dans l'histoire des arts, ce monument, ainsi que l'église de Sainte-Geneviève, serviront par la suite à marquer le passage du goût affecté de l'ancienne école, au goût sévère de la nouvelle, et M. Gondoin partagera avec Soufflot, la gloire d'avoir contribué à cette révolution en architecture.

Longtemps l'École de Médecine se trouva comme enterrée dans une rue étroite, d'où, faute de reculée, on ne pouvait apercevoir l'effet de son ensemble. La place qu'on voit aujourd'hui est prise sur le terrain qu'occupait l'église des Cordeliers, et quelques maisons voisines, que l'on a démolies tout récemment. Bientôt elle sera décorée de bâtiments symétriques qui se lieront à la fontaine déjà élevée dans l'axe de la porte principale de l'École de Médecine.

Cette fontaine, comme on peut le voir dans notre planche X, se compose de quatre colonnes d'ordre dorique cannelé, formant trois entrecolonnements, et couronné d'un entablement, derrière lequel est placé un réservoir, d'où l'eau tombe en nappe dans une large piscine semi-circulaire.

Si l'on considère cette fontaine comme un édifice d'utilité publique, rien ne saurait être plus mal imaginé. L'eau qui jaillit continuellement, et qui, par la hauteur de sa chute, tombe en pluie, en rend l'approche très-incommode.

Comment ensuite y recueillir l'eau, à moins d'y puiser dans le récipient même, ce qui n'est ni propre ni facile. Aussi, pour remédier à tous ces inconvénients, a-t-on été forcé, après coup, de placer en avant deux petites bornes avec des robinets pour l'usage domestique.

Telle n'a point été l'intention de l'architecte : dans cette fontaine il n'a voulu faire qu'une décoration qui correspondît avec le péristyle de l'amphithéâtre de l'École de Médecine, et qui lui servît de point de vue. Mais en lui prêtant cette idée, comment le justifierons-nous d'avoir violé les règles de son art, et d'avoir élevé un monument dont l'aspect n'a rien de pittoresque.

Quelques gens de goût ont déjà remarqué que les colonnes de ce monument sont trop allongées, et qu'elles sont d'un diamètre trop égal dans leur hauteur.

Pourquoi l'architecte, a-t-on ajouté, n'a-t-il point donné à son entablement le caractère ni les proportions de l'ordre dorique.

Quant à l'effet pittoresque, nous ne craindrons point d'avancer que l'architecte n'a nullement atteint le but qu'il s'était proposé. S'il a prétendu obtenir des jeux d'ombres et de lumières piquants et variés, en faisant tomber une nappe d'eau entre ses colonnes, il ne fallait pas mettre pour fond un long mur, que l'humidité a promptement coloré d'une teinte noire-verdâtre, et sur lequel l'eau se détache toujours d'une couleur sale. Pour donner de la diaphanéité et du brillant à une chute d'eau, il ne faut pas de fond ; l'air doit circuler derrière, et l'on doit apercevoir au travers, ou le ciel ou des arbres.

L'inscription un peu prétentieuse, placée dans la frise, fait connaître seulement que les eaux de la Seine alimentent cette fontaine ; mais on se propose  d'y faire arriver une partie des eaux de l'Ourcq, qui se réuniront à celles que fournissent déjà les pompes Notre-Dame et de Chaillot, ainsi que l'aqueduc d'Arcueil.

NAPOLEONIS. AUGUSTI. PROVIDENTIA

DIVERGIUM SEQUANE

CIVIUM COMMODO. ASCLEPIADEI ORNAMENTO.

C'est-à-dire :

« Par les soins prévoyants de l'Empereur Napoléon, des eaux de la Seine « ont été amenées ici pour la commodité des citoyens et l'ornement du sanctuaire d'Esculape ».

FONTAINES DE LA RUE GARANCIÈRE, DE RICHELIEU,

ET DE LA RUE MONTMARTRE.

PLANCHE X I.

FONTAINE DE LA RUE GARANCIÈRE.

La fontaine de la rue Garancière, par son emplacement, et par la simplicité de sa décoration, mérite à peine le nom de monument. Adossée contre un mur, placée sur le même alignement que les maisons, elle ne sert en aucune façon à l'embellissement de cette rue. Pour l'apercevoir, il faut s'en approcher de très-près. Elle se compose d'une niche encadrée dans un chambranle, et surmontée d'une espèce de cartouche, qu'entoure une moulure lourde et contournée. Au bas est un mascaron de bronze, qui laisse couler, de temps en temps, un maigre filet d'eau.

Cette fontaine fut construite, en 1715, aux frais et par ordre de la veuve d'un prince de Condé, ainsi que nous l'apprend l'inscription qu'on lisait autre fois sur un marbre noir placé dans le cartouche. Nous la rapporterons ici avec sa traduction :

AQUAM A PREFECTO ET EDILIBUS ACCEPTAM HIC, SUIS IMPENSIS, CIVIBUS FLUERE

VOLUIT SERENISSIMA PRINCEPS ANNA-PALATINA EX BAVARIIS, RELICTA SERENISSIMI

PRINCIPIS HENRICI-JULII BORBONII PRINCIPIS CONDAEI. ANNO DOMINI M.DCCXV.

« La princesse sérénissime Anne-Palatine de Bavière, veuve du prince sérénissime Henri-Jules de Bourbon, prince de Condé, a voulu qu'à ses frais l'eau donnée par le prévôt des marchands, et les échevins de la ville, coulât  ici pour la commodité des citoyens. L'an du seigneur 1715 ».

Le prince de Condé, dont il est ici question, était fils du grand Condé, et renommé lui-même, autant par un esprit cultivé, que par le courage dont il donna des preuves au passage du Rhin, et à la bataille de Senef.

Il paraît que la rue Garancière a pris son nom de l'hôtel Garancière qui y était bâti. Elle a, dit-on, porté successivement le nom de Garancée et de Garance ; mais cette différence dans les noms des rues a dû souvent provenir de l'ignorance de ceux qui les écrivaient.

Cette fontaine s'alimente du trop-plein des bassins du Luxembourg. Aussi ne coule-t-elle que très-rarement. Elle n'est même pas comprise dans la distribution des fontaines de Paris.

FONTAINE DE RICHELIEU.

Cette fontaine a pris son nom du nom même de la rue où elle est située, comme celle-ci avait pris le sien du nom du cardinal de Richelieu. On sait que ce prélat avait fait construire un palais dont une des façades donnait sur cette rue, et qui a d'abord été appelé Palais-Cardinal, et ensuite Palais-Royal.

Placée à la bifurcation de la rue de Richelieu et de la rue Traversière, cette fontaine se trouve adossée à l'angle que forment les maisons des deux rues. Elle offre dans son ensemble un massif carré, ayant, un peu en avant corps, un chambranle avec consoles qui soutiennent un fronton, comme sont les croisées des grands édifices; le tout est surmonté d'un petit attique qui répète les profils et les renfoncements du dessous. Le tympan du fronton est décoré d'une coquille, et dans le milieu du chambranle sont deux tables un peu en saillie. Au bas de la première est un mascaron de bronze, qui jette de l'eau, et dans la seconde on lisait cette inscription de Santeuil :

QUI QUONDAM MAGNUM TENUIT MODERAMEN AQUARUM ,

RICHELIUS, FONTI PLAUDERET IPSE NOVO.

C'est-à-dire :

« Richelieu, qui eut autrefois le gouvernement de la navigation, verrait lui

« même avec plaisir couler l'eau de cette nouvelle fontaine ».

Dans cette inscription, le chanoine de Saint-Victor, avait cherché à faire allusion à la surintendance de la navigation, charge que le cardinal joignit à tant d'autres. Déjà pour rappeler cette qualité, l'architecte du Palais-Royal, Lemercier, avait orné de proues de vaisseau la façade qui donne sur la seconde cour de ce palais.

La fontaine de Richelieu, comme la plupart des anciennes fontaines, est dépourvue d'une cuvette pour recevoir les eaux qui coulent du mascaron. Ces eaux, tombant sur une pierre, et rejaillissant de tous côtés, rendent l'entrée des deux rues toujours sale et incommode pour les piétons.

Cette fontaine est du nombre de celles qui avaient été ordonnées par arrêt du 22 avril 1671. Ce sont les eaux réunies de la pompe à feu de Chaillot et de la Samaritaine, qui servent à l'alimenter.

FONTAINE DE LA RUE MONTMARTRE.

Soit que jusqu'ici l'on n'ait point regardé les fontaines de cette capitale comme des monuments assez importants pour en faire une mention particulière, soit que la multiplicité des objets, dont les historiens de Paris avaient à rendre compte ne leur ait point permis d'entrer dans de longs détails à cet égard, toujours est-il que les nombreuses descriptions ou histoires de cette ville n'offrent que des renseignements très-vagues et très-incertains sur l'origine et la construction de chaque fontaine. Plus que toute autre, celle de la rue

Montmartre paraît avoir été oubliée. On ne trouve dans aucun ouvrage imprimé, la trace de sa fondation. Dans ses recherches historiques et critiques, Jaillot n'en parle point ; Piganiol et ses copistes ne font que la nommer en passant.

Thierri seulement, qui la désigne sous le nom de fontaine de Montmorency, dit que peu d'années auparavant elle avait été rétablie; et il écrivait en 1787.

Mais en fouillant dans les archives de la préfecture, nous avons trouvé différents titres et transactions qui font connaître que le terrain sur lequel l'on a bâti cette fontaine, a été cédé aux échevins de la ville par M. de Luxembourg Montmorency, moyennant une concession de trente lignes d'eau pour la consommation de son hôtel. On fut obligé aussi d'acheter, près du même emplacement, une échoppe appartenant à une dame veuve Lebrest La date de ces titres est de 1713 ; mais la fontaine ne fut réellemcnt construite qu'en 1717.

S'il est permis de placer ici quelque hypothèse, nous avancerons, sans toutefois rien affirmer, que la fontaine de la rue Montmartre a été faite à la place de la fontaine qu'on avait projetée au Petit-Carreau, et qui, très-probablement, ne fut jamais exécutée[3] . Nous avons déjà eu occasion de faire remarquer que toutes celles qui avaient été ordonnées par l'arrêt du 22 avril 1671, ne furent point construites sur-le-champ, ni dans les emplacements même qui d'abord avaient été choisis. Ce qui donnerait quelque vraisemblance à cette conjecture c'est que dans le plan perspectif de Paris, gravé par Lucas, en 1734, d'après les dessins de Bretez, et par ordre de M. Turgot, prévôt des marchands, se trouve l'élévation de la fontaine Montmartre, et que celle du Petit-Carreau ne s'y trouve pas.

Adossée à une des maisons de la rue Montmartre, cette fontaine n'a que très peu de saillie. Elle ne consiste que dans un assez petit avant-corps dont les pieds-droits sont ornés de congélations, et qui est surmonté d'un fronton triangulaire. Le milieu se divise en trois tables lisses d'inégales proportions, et au bas desquelles est le robinet d'où coule l'eau réunie de la pompe Notre

Dame et de celle de Chaillot.

 

[1] Jacques Lemercier est un des architectes qui ont exécuté à Paris le plus de travaux. Il éleva la Sorbonne, l'Oratoire, le Palais Cardinal, l'église Saint-Roch, etc... On lui doit aussi, et ce n'est pas là son chef-d'oeuvre, le couronnement du pavillon du milieu de l'ancien Louvre. C'est lui qui imagina ces grandes cariatides placées au troisième étage, et qui gâtent beaucoup la décoration de cette façade. Un reproche plus grave à faire à sa mémoire, c'est sa conduite envers le Poussin : avec Vouet et Fouquières, il contribua à empêcher ce grand artiste de peindre la galerie du Louvre. [2] On raconte une anecdote assez singulière, et propre à donner une idée du caractère et de la puissance du cardinal. Brulart de Sillery, fils du président de ce nom, quelque temps avant de léguer son hôtel au prélat, jouait avec lui, et perdait beaucoup. Un coup douteux survint, et on en appela à la galerie pour le décider. D'une voix unanime, Brulart fut condamné par les courtisans, et comme il eut peine à contenir son indignation, le cardinal qui s'en aperçut, alla le soir auprès de lui lorsqu'il sortait, et, le prenant familièrement par la tête, lui dit : « Voilà « une belle tête sur un beau corps; il serait dommage de l'en détacher ». [3] Il ne faut pas regarder comme une preuve du contraire, l'inscription que Santeuil a faite pour y être gravée. Nous rapporterons ici cette inscription, qui ne trouverait pas sa place autre part :

Auri sacra sitis non larga expletur opum VI :

Hinc disce aeterno fonte levare sitim.

« L'infâme soif de l'or ne peut se rassasier, même à force de richesses. Apprenez de-là à vous désaltérer aux sources éternelles. »   Cette inscription est à-la-fois critique et mystique. Elle faisait allusion à la cupidité des hommes de finance dont ce quartier était rempli ; et l'on y reconnaît l'influence de l'habit que portait l'auteur.

 

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DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

FONTAINE DE SAIX.

PLANCHE V et VI.

La place Dauphine, au centre de laquelle s'élève la fontaine de Desaix, formait encore, au temps de Charles IX, une partie des jardins du Palais. Là se terminait la pointe de l'île, qui plus tard a été prolongée jusqu'à l'extrémité du terre-plein du Pont-Neuf, par la réunion de deux autres petits îlots, que le temps avait séparés de la Cité, ou qui peut-être avaient été formés par les alluvions du fleuve. L'un de ces petits îlots, dont le nom n'est pas bien déterminé, mais que l'on connaît plus communément sous la dénomination de l'ile aux Tuiles, est célèbre pour avoir servi de théâtre au supplice de Jacques Molay, grand-maître de l'ordre des Templiers. Au même endroit où l’injustice avait consommé un crime, la reconnaissance éleva par la suite une statue au meilleur des rois ; et aujourd'hui la munificence d'un souverain auguste y fait ériger un obélisque magnifique à la gloire des armes françaises.

Le 31 mai 1578, Henri III posa la première pierre du Pont-Neuf, Androuet Ducerceau en était l'architecte. On commença par combler les petits bras de rivière qui séparaient d'avec la Cité les deux îlots dont nous venons de faire mention, afin de former un point de centre qui joignît le pont à ce quartier, et sur lequel reposassent les deux parties du pont. Des travaux si utiles furent suspendus par l'effet des guerres de la ligue, et on ne les termina qu'en 16o4, sous la direction de Guillaume Marchand, architecte. Pour subvenir aux frais d'achèvement de ce pont, Henri IV mit un impôt de dix sous d'entrée par muid de vin.

C'est encore à ce prince qu'on doit les premières places régulières qui aient été faites à Paris. De ce nombre est la place Dauphine, dont il adopta le plan en 16o8, et qu'il dénomma ainsi à cause de la naissance de Louis XIII, alors dauphin de France. On a pu remarquer que les maisons de cette place portent le même caractère d'architecture que celles de la place Royale, également bâties par ordre de Henri IV. Elles sont, l'une et l'autre, construites en briques, avec des chaînons de pierre de taille. La place Dauphine offre la forme d'un triangle aigu, et n'a que deux ouvertures, l'une au milieu de la base (celle-ci fait face à l'une des portes du palais), l'autre, vis-à-vis, coupe la pointe de l'angle, et vient aboutir sur le Pont-Neuf.

La fontaine qui décore le milieu de cette place est un monument triomphal érigé en 18o2, à la mémoire du général Desaix, par le patriotisme d'un certain nombre de souscripteurs qui se réunirent pour en faire les frais. Ils ouvrirent un concours où l'on appela tous les artistes. Aussi plus de cent dessins furent envoyés, et exposés pendant plusieurs jours sous les yeux du public. Une commission d'artistes fut juge du concours. Le dessin de la fontaine que nous voyons aujourd'hui sur la place, lui parut mériter le prix. Si quelque chose doit dégoûter des concours, c'est assurément le résultat qu'a eu celui-ci. On croyait avoir employé tous les moyens de se procurer le plan d'un monument parfait; comment se fait-il que le goût même le moins sévère ne puisse avouer la fontaine Desaix ?

A la vérité, c'était déjà manquer de goût que de proposer d'ériger une fontaine à la mémoire d'un guerrier mort dans les combats. Qu'on lui consacre une statue, un tombeau, rien de mieux ; mais une fontaine !

« Desaix, dit M. Denon, dans son voyage d'Égypte, n'était point l'enfant gâté

«de la fortune ; son étoile était nébuleuse». Eh quoi ! un sort fâcheux l'aurait-il donc poursuivi au-delà du tombeau ? Jusqu'ici le mauvais goût a présidé à tous les monuments érigés en son honneur. Nous signalons surtout cette fontaine comme un exemple dangereux à suivre, parce qu'elle est l'ouvrage d'un homme de talent, de M. Percier, chef de la plus nombreuse école d'architecture.

Ce monument s'élève au milieu d'un bassin circulaire où l'eau tombe par quatre mascarons de bronze. Au pied du soubassement sont gravés dans toute la circonférence, sur une plinthe de marbre, les noms des souscripteurs. Au-dessus est un piédestal rond comme le soubassement, mais un peu en retraite, et autour duquel se déroule un bas-relief, formé d'un trophée d'armes modernes, de la figure du Nil, de celle de l'Éridan, et de deux génies qui inscrivent dans des cartouches les noms des principales victoires remportées par ce général.

Sur la face principale on lit dans un autre cartouche : A Desaix, et plus bas les paroles mémorables qu'il prononça un moment avant d'expirer : Allez dire au premier Consul que je meurs avec le regret de n'avoir point assez fait pour la postérité.

Le piédestal supporte un groupe composé du génie militaire représenté sous la figure d'un jeune homme ayant la tête casquée, et posant une couronne de lauriers sur le buste de Desaix. Toute la sculpture de ce monument est de M. Fortin.

Les inscriptions suivantes sont gravées sur les deux côtés principaux du  premier soubassement. Telle est l'intempérie de notre climat, qu'elles sont déjà devenues presque illisibles.

L. CH. ANT. DESAIX,

NÉ A AYAT, DÉPARTEMENT DU PUY-DE-DÔME,

LE XVII AOUST M. DCCLXIII ;

MORT A MARENGO

LE XXV PRAIRIAL AN VIII DE LA RÉPUBLIQUE

M. DCCC.

CE MONUMENT LUI FUT ÉLEVÉ

PAR DES AMIS

DE SA GLOIRE ET DE SA VERTU,

SOUS LE CONSULAT DE BONAPARTE

L'AN DIX DE LA RÉPUBLIQUE

M. DCCCII.

LANDAU, KEHL, WEISSEMBOURG,

MALTE,

CHEBREIS, EMBABÉ,

LES PYRAMIDES,

SEDIMAN, SAMANHOUT, KENÉ,

THÈBES, MARENGO,

FURENT LES TÉMOINS DE SES TALENTS

ET DE SON COURAGE.

LES ENNEMIS

L'APPELAIENT LE JUSTE ;

SES SOLDATS, COMME CEUX DE BAYARD,

SANS PEUR ET SANS REPROCHE.

IL VÉCUT, IL MOURUT

POUR SA PATRIE.

La fontaine Desaix s'alimente en partie des eaux de la Samaritaine, en partie de celles que fournit l'aqueduc d'Arcueil, dont des tuyaux passent dans toute la longueur du Pont-Neuf, et vont servir, de l'autre côté de la rivière, quelques autres fontaines.

FONTAINE DE LA RUE DE SÈVRES.

PLANCHE VII

Cette fontaine, du nombre de celles dont l'Empereur a ordonné l'érection en 18o6, est située rue de Sèves ou de Sèvres, un peu plus haut que les Incurables, hospice fondé en 1734, par le cardinal de Larochefoucauld. Elle présente dans son ensemble une porte de temple égyptien, dont la baie sert de niche à une statue qui tient un vase de chaque main, et en verse de l'eau dans une cuvette demi-circulaire. Le trop-plein de ce réservoir se vide par un mascaron en bronze, représentant une tête de lion ou de sphinx égyptien.

Il n'y a pas vingt ans que cette fontaine aurait paru bizarre ; elle plaît aujourd'hui. On ne saurait la voir sans se rappeler une expédition mémorable.

Heureuse l'idée de rattacher ainsi aux monuments publics d'intéressants souvenirs, quand toutefois ils n’altèrent point le caractère de ces monuments ! Mais, en applaudissant à l'intention de M. Bralle, qui a cherché un des premiers, à reproduire ici un genre d'architecture tout nouveau pour les Français, des gens de goût auraient désiré dans sa composition plus de noblesse, d’élégance, et de développement. Dans plusieurs ouvrages, et notamment dans l'atlas de l'excellent voyage de M. Denon, il eût été facile de prendre de meilleurs modèles. Pourquoi, demandent-ils, une clé si massive et si lourde au-dessus de la niche ? Pourquoi dans les pieds-droits, une moitié en avant-corps, et l'autre en arrière ? La mesure était-elle rigoureusement donnée pour s'astreindre à une proportion si petite ? Ce qui frappe d'abord dans les monuments de la

Haute-Égypte, c'est la grandeur, l'étendue. Qui reconnaîtra jamais là une copie de la porte de ces temples si vastes ? L'entrée d'un temple monolithe,

c'est-à-dire d'une seule pierre, est beaucoup moins resserrée. Nous ajouterons qu'il est étonnant que l'artiste qui a imaginé d'ajuster, dans le goût du globe ailé, l'aigle impérial, n'ait point cherché à placer dans tout son monument quelques hiéroglyphes. Les pieds-droits lui fournissaient une page à remplir ; il aurait pu essayer de représenter, au moyen de la sculpture en creux, quelque sujet analogue à l'érection de la fontaine. Avec du goût, cet essai pouvait devenir heureux.

La statue qui décore la niche, et à laquelle on n'a fait qu'ajouter un vase à chaque main, est une copie en pierre faite par M. Beauvallet, d'après la figure en marbre pentélique qui est au musée Napoléon. On nous saura gré sans doute de placer ici, sur ce beau morceau d'antiquité, quelques détails extraits du livret du Musée, ouvrage auquel a travaillé M. Visconti.

Antinoüs, jeune favori d'Hadrien, s'était jeté dans le Nil, et avait volontairement sacrifié sa vie pour prolonger celle de son maître. Touché d'un dévouement si rare, l'Empereur voulut en éterniser la mémoire, en lui élevant des statues et des temples, et en bâtissant en l'honneur de son favori la ville d'Antinopolis. Cette statue, l'un des nombreux monuments de la reconnaissance de ce prince, représente Antinoüs en divinité égyptienne. Il est debout dans l'attitude ordinaire des dieux égyptiens, et nu à l'exception de la tête et de la ceinture, qui sont couvertes d'une espèce de draperies ornées de plis ou canelures parallèles, faites peut-être pour imiter les étoffes rayées de noir et de blanc dont les habits sacrés étaient formés.

Cette statue étant en marbre blanc contre l'usage des Égyptiens qui exécutaient toujours celles de leurs divinités en marbre de couleur, on pourrait conjecturer qu'on a voulu y représenter Antinoüs sous la forme d'Orus, le seul dont ils faisaient les images en marbre blanc, comme étant le dieu de la lumière. Au surplus, quoique dans la composition et l'attitude de cette figure on ait cherché à imiter la manière des anciens ouvrages de l'art égyptien, la beauté des formes, la belle exécution des détails indiqueraient assez qu'elle n'en est qu'une imitation de style grec, lors même que le portrait bien connu d'Antinoüs ne servirait pas à en constater l'époque précise.

Cette belle figure est tirée du musée du Capitole ; elle a été découverte en

1738, à Tivoli, dans la Villa Hadriana. On a donné une couche de bronze à la copie en pierre.

La fontaine de la rue de Sèvres s'alimente de l'eau qu'envoie dans une grande partie du faubourg Saint-Germain la pompe à feu de Chaillot.

FONTAINE DITE DU MARCHÉ-AUX-CHEVAUX.

PLANCHE VIII.

Dans le nombre des nouvelles fontaines érigées en 18o6 par ordre de l'Empereur, il faut remarquer celle du Marché-aux-Chevaux. Isolée de tout édifice, d'une ordonnance extrêmement simple, elle porte le seul caractère qui convienne à nos fontaines, auxquelles le manque d'eau donnera toujours un aspect d'autant plus ridicule, qu'il sera plus grand et plus théâtral. Le modeste ruisseau s'échappe sans bruit du pied de la montagne, pour aller arroser la prairie ; tandis que le torrent se précipite avec fracas du haut des rochers, et forme ces cataractes imposantes destinées à l'entretien des fleuves. Qu'on s'imagine au lieu du Niagara, la rivière des Gobelins, tombant de deux cents pieds de haut, le spectacle n'aura plus rien que de mesquin et de bizarre. Pourquoi donc ces masses énormes de pierre, ces vastes monuments où l'on ne peut ajuster qu'un très-mince robinet !

Parturiunt montes, nascetur ridiculus mus.

L'architecte, auquel on doit la composition de cette fontaine, a été heureusement inspiré. Empressons-nous de l'en féliciter. Rarement nous aurons les mêmes éloges à faire. L'auteur de presque toutes les nouvelles fontaines est loin d'avoir montré, dans la plupart, autant de discernement et de goût.

Si l'on en excepte la moulure servant d'encadrement, ici rien d'inutile, de superflu. Pour toute masse, une borne dans le goût antique; pour toute déco ration un aigle sculpté en relief dans une couronne de lauriers, ornement d'un bon effet, et qui sert à rappeler sous quel règne cette fontaine a été construite. Un simple mascaron de bronze, appliqué au bas de la borne et un peu au-dessus du soubassement, laisse échapper un filet d'eau qui tombe dans un bassin quarré placé en avant. Peut-être le voisinage du Marché-aux

Chevaux eût-il exigé un récipient plus spacieux; au-lieu de cette petite cuvette quarrée, un bassin circulaire, au centre duquel se serait élevée la borne, eût été plus commode, plus convenable. Par ce moyen, on aurait pu abreuver, à-la-fois à cette fontaine plusieurs chevaux, sans gêner la circulation continuelle des citoyens que les besoins domestiques appellent à puiser de l'eau.

Au reste, cette observation critique est peut-être la seule qu'on puisse se permettre sur ce monument, qui, si l'on plantait derrière quelques massifs d'arbres, deviendrait l'un des plus pittoresques, comme il est déjà l'un des mieux conçus.

Le Marché-aux-Chevaux, qui a donné son surnom à cette fontaine, se tenait encore en 1687 dans une partie de l'emplacement qu'occupent les rues Gaillon, d'Antin et des Petits-Champs. Plus tard il fut transporté sur le terrain où nous le voyons encore aujourd'hui ; mais pendant longtemps ce terrain resta vague et non circonscrit. On doit à M. de Sartines d'y avoir fait observer de bons règlements de police, et de l’avoir fait planter d'arbres. Ces travaux furent exécutés en 176o; avant ce temps, le Marché-aux-Chevaux était impraticable pendant la mauvaise saison.

On ne saurait trop rendre raison du motif qui a fait appeler cette fontaine, fontaine du Marché-aux-Chevaux, plutôt que fontaine du Jardin des Plantes.

Outre que ce dernier surnom eût été plus noble, il semble mieux convenir encore en ce que ce monument est situé à l'extrémité de la rue du Jardin des

Plantes, où elle sert de point de vue, tandis qu'il ne laisse point d'être assez éloigné du Marché-aux-Chevaux.

Cette fontaine est alimentée par les eaux réunies de la pompe Notre-Dame, et de celle du Gros-Caillou.

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Publié le par Rhonan de Bar
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DE QUELQUES FONTAINES DE PARIS. ANCIENNES ET NOUVELLES.

DESSINS AU TRAIT PAR M. MOISY. TEXTES ET DESCRIPTIONS HISTORIQUES PAR M. AMAURY DUVAL.

 

FONTAINE DE LA PLACE DE L'ÉCOLE.

PLANCHE I

Suivant l'opinion la plus généralement répandue, la dénomination donnée à la place où est située cette fontaine, provient de ce qu'autrefois les religieux de Saint-Germain-l'Auxerrois tenaient en ce lieu une école qu'on appelait Schola sancti Germani. Tous les ans, le maître, qui avait été nommé par le chapitre, venait y recevoir des verges et une férule : cérémonie tout-à-fait auguste et imposante !

Il paraît que très-anciennement on avait songé à faire venir, ou du moins à réunir des eaux sur cette place ou dans les environs. Dubreul rapporte, dans ses Antiquités de Paris (1612) que messieurs de Saint-Germain-l'Auxerrois passèrent, en 16o7, un contrat par lequel ils consentaient à céder la portion de terrain où était le bâtiment de l'École, afin qu'on y construisît une espèce de hangard, servant de réservoir aux eaux qui, élevées par la pompe du Pont Neuf, étaient destinées à alimenter les bassins des Tuileries. Mais Dubreul qui était contemporain, ne dit point où l'École était située, ni si ce projet de réservoir reçut ou non son exécution. On n'en voit point de trace.

Au reste, si l'on ne trouve plus aujourd'hui ce réservoir sur la place de l'École,

Il y existe depuis longtemps un égout, réceptacle des immondices de ce quartier sale et bourbeux La fontaine qu'on a élevée au-dessus de l'égout est beaucoup mieux placée qu'on ne pourrait le croire. N'eût-elle d'autre utilité que celle de laver continuellement les abords de l'égout, ce serait déjà un très grand moyen de propreté et d'assainissement. Ajoutons que l'eau qu'elle fournit est beaucoup plus salubre que celle qu'on peut puiser à la Seine, le long du quai, où les déversoirs de plusieurs cloaques, et les bateaux de blanchisseuses empestent ce côté de la rivière.

Nous voudrions bien pouvoir justifier le goût de la décoration aussi bien que le choix de l'emplacement de cette fontaine, l'une de celles qui ont été ordonnées en 18o6, et qui ont été le plus promptement achevées. Ce monument se compose d'un dé carré, élevé au milieu d'un bassin circulaire, et surmonté d'un vase ; sur chaque face du soubassement est un mascaron de bronze d'où l'eau jaillit. Sur le ventre du vase on voit, du côté du quai, un petit bas-relief représentant deux divinités marines, et à l'opposite, un triton.

Cette fontaine a été désapprouvée par les personnes mêmes les moins versées dans l'art du dessin. La forme du vase, de son couvercle, et surtout la grosseur des anses, dont l'extrémité se termine par une tête de chimère, ont paru d'un très-mauvais goût. Parmi tant de vases antiques, dont on trouve partout la gravure, ne pouvait-on choisir un modèle moins désagréable ?

A peine quatre ans se sont écoulés, et déjà la pierre dont est construite cette fontaine est devenue toute noire Cela tient peut-être moins encore au voisinage des maisons et à la quantité de cheminées, qu'au séjour que font les bateaux à charbon dans ce bassin de la rivière La façade du Louvre, nouvelle ment regrattée, reprendra bientôt sa couleur noirâtre et triste, si l'on n'éloigne pas la principale cause du mal.

La fontaine de la place de l'École s'alimente des eaux réunies d'Arcueil et de la pompe de la Samaritaine.

FONTAINE DE GRENELLE.

PLANCHE II.

Le faubourg Saint-Germain étant devenu très-populeux au  commencement du dix-huitième siècle, et se couvrant chaque jour de magnifiques hôtels qu'y faisaient bâtir la haute noblesse et les plus riches particuliers, on sentit la nécessité d'y établir une fontaine nouvelle, autant comme objet d'utilité, que comme objet d'embellissement. Après avoir balancé longtemps sur le choix de son emplacement, les échevins de la ville de Paris se décidèrent à acquérir une portion de terrain dépendante du couvent des Recollettes[1], rue de Grenelle, près de la rue du Bac, et chargèrent Bouchardon, l'un des plus célèbres statuaires de ce temps, d'y ériger un monument, qui, par sa richesse et son étendue, fût en harmonie avec la beauté de ce quartier opulent.

Pour répondre à la confiance et à l'attente des magistrats, l'artiste composa le projet de la fontaine qui existe aujourd'hui, et qui prit son nom du nom même de la rue[2] où elle est située M Turgot, alors prévôt des marchands, en posa la première pierre, l'an 1739, et avant la fin de 1745, tout l'édifice était entièrement achevé. La plus grande recherche avait présidé à sa construction.

On n'y avait employé que des pierres tirées des carrières de Conflans-Sainte Honorine, et appareillées avec le soin le plus minutieux. Aussi, lorsqu'on découvrit la fontaine de Grenelle, l'enthousiasme fut général, et on la regarda, pendant tout le reste du XVIIIe siècle, comme un chef-d'oeuvre de composition et d'exécution. Maintenant, dans l'esprit du public, cette opinion s'est bien modifiée, et peut-être les artistes de nos jours poussent-ils trop loin la sévérité.

Ils blâment dans ce monument, 1" son ordonnance théâtrale où rien, excepté le groupe du milieu, et en bas, deux maigres robinets, ne rappelle le caractère d'une fontaine; 2° le percement des portes et des croisées, ce qui donne à tout le bâtiment l'aspect d'une maison particulière; 3° la hauteur prodigieuse du soubassement, par rapport à l'ordre supérieur; 4° enfin le style rond et maniéré des figures qui servent à sa décoration. Cependant, malgré ces critiques, cette fontaine est encore du petit nombre de celles qu'on peut citer à Paris. Il serait même moins difficile qu'on ne pense, sinon d'en faire disparaître les défauts, du moins de les rendre moins choquants Qu'on établisse d'abord une place vis-à-vis, d'où ce monument puisse être aperçu; que l'eau coule en abondance des urnes sur lesquelles s'appuient les figures de la Seine et de la

Marne, qu'elle s'épanche dans une conque placée au-dessous, et en retombe en nappe dans une vaste cuvette, réservoir commun; que des mascarons, placés de distance en distance dans le soubassement des ailes, forment autant de robinets particuliers; en un mot, que l'on voie jaillir de l'eau de tous côtés. Voilà ce qui donne la vie à une fontaine, ce qui en fait le principal ornement.

Le plan de la fontaine de Grenelle offre, comme on peut le voir dans notre gravure, une portion de cercle au centre de laquelle est l'avant-corps principal et d'où partent deux ailes dont les extrémités aboutissent à l'alignement des maisons L'artiste a choisi cette forme de préférence pour donner plus de développement à sa composition, et pour qu'on pût l'embrasser d'un coup-d'oeil.

Tout le bâtiment règne sur un des côtés de la rue, et occupe un espace d'environ 3o mètres. Il est composé de deux parties bien distinctes ; d'abord d'un soubassement rustique orné de refends, ensuite d'un étage supérieur, qui offre, au milieu d'une espèce de péristyle, et dans les ailes, des niches et des croisées que séparent de petits avant-corps en forme de pilastres sans embases ni chapiteaux. Le tout est couronné par un attique qui continue dans toute la longueur du bâtiment. - -

Le groupe du milieu est en marbre blanc. Voici la description abrégée qu'en donne un auteur contemporain, M. Mariette, connu dans les arts par plusieurs écrits estimables. « La principale de ces statues, celle à laquelle les autres sont subordonnées, représente la ville de Paris élevée sur un piédestal particulier, et assise sur une proue de vaisseau, emblême qui la caractérise; elle semble regarder avec complaisance le fleuve de la Seine et la rivière de la Marne, qui, couchés à ses pieds, paraissent eux-mêmes se féliciter du bonheur qu'ils ont de procurer l'abondance, et de servir d'ornement à cette grande capitale qu'ils baignent de leurs eaux. Un frontispice, formé par quatre colonnes d'ordre ionique supportant un fronton, sert de fond à ce groupe de figures, et met la ville de Paris comme à l'entrée d'un temple qui lui est dédié.

- Ayant principalement pour objet de représenter dans sa composition l'abondance qui en tout temps règne dans Paris, l'artiste a imaginé de placer dans les niches latérales les quatre génies des saisons, exécutés en pierre de Tonnerre.

Chacune de ces figures, caractérisées par les attributs qui la distinguent, est expliquée par de petits bas-reliefs allégoriques, qu'on voit au-dessous se rattacher à l'idée principale. Telle était alors la manière dont on envisageait la sculpture, qu'on la croyait propre à offrir de vastes tableaux, à représenter des scènes entières.

Dans l'entre-colonnement du frontispice, sur une table de marbre noir, il existait en lettres de bronze l'inscription suivante, qui a été effacée pendant les troubles de la révolution : elle est d'autant plus curieuse qu'elle a été composée par le cardinal de Fleury, alors premier ministre. M. Boze, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions, à qui ce prélat l'avait soumise, ne voulut pas y changer un seul mot.

DUM LUDLUDOVICUS XV

POPULI AMOR ET PARENS OPTIMUS

PUBLICAE TRANQUILLITATIS ASSERTOR

GALLICI IMPERII FINIBUS

INNOCUE PROPAGATIS

PACE GERMANOS RUSSOSQUE

INTER ET OTTOMANOS

FELICITER CONCILIATA

GLORIOSE SIMUL ET PACIFICE

REGNABAT

FONTEM HUNC CIVIUM UTILITATI

URBIS QUE ORNAMENTO

CONSECRARUNT

PRAEFECTUS ET AEDILES

-

ANNO DOMINI

M.D.CCXXXIX. -

On pourrait traduire ainsi cette inscription :

« Sous le règne glorieux et pacifique de Louis XV, tandis que le prince, le père de ses peuples et l'objet de leur amour, assurait le repos de l'Europe ; que, sans effusion de sang, il étendait les limites de son empire, et que, par son heureuse médiation, il procurait la paix à l'Allemagne, à la Russie et à la Porte-Ottomane, le Prévôt des marchands et les Échevins consacrèrent cette fontaine à l'utilité des citoyens et à l'embellissement de la ville. L'an de grâce 1739 ».

Le soubassement de l'avant-corps portait aussi une inscription sur une table encadrée par des consoles et des guirlandes de marbre. La première partie contenait les noms et qualités de M. Turgot, et des Échevins de la ville. La seconde était ainsi conçue :

« Cette fontaine a été construite par Edme Bouchardon, sculpteur du Roi, né à Chaumont en Bassigny. Les statues, bas-reliefs et ornements ont été « exécutés par lui ».

Malgré l'extrême solidité de sa construction, la fontaine de Grenelle, faute d'entretien, et par suite des échafauds qu'on y avait dressés plusieurs fois pour effacer les inscriptions et les armoiries, avait souffert des dégradations considérables. Des réparations y ont été faites il y a quelques années. On a aussi enduit à cette époque les sculptures d'un encaustique, que l'on croyait propre à les préserver de l'action de l'air et de l'humidité ; mais ce procédé n'a pas eu le résultat qu'on en espérait. Les figures et les bas-reliefs ont déjà repris, en grande partie, la mousse noirâtre qui les couvrait. On ne connaît encore aucun préservatif bien certain, contre ce fléau des monuments exposés, en plein air, sous un ciel tel que celui de Paris.

Quoi qu'il en soit, la fontaine est maintenant en très-bon état, et elle coule continuellement. L'eau dont elle s'alimente provient de la Seine, et y est amenée par des canaux de fonte, au moyen de la pompe à feu du Gros-Caillou.

FONTAINE DE LA RUE CENSIER.

PLANCHE III.

De toutes les fontaines élevées depuis 18o6, pour l'embellissement de Paris, et la commodité de ses habitants, la plus remarquable, par la  singularité et la bizarrerie de sa décoration, est sans contredit la fontaine de la rue Censier.

- Qui a pu déterminer l'architecte à choisir de pareils ornements ?

Les anciens, il est vrai, mettaient souvent leurs fontaines sous la protection d'un dieu ou d'une déesse; mais s'ils y représentaient l'image de la divinité, ce n'était que comme protectrice. D'ailleurs, ils ne rendaient ordinairement cette espèce de culte, qu'aux nymphes des eaux, à des naïades; et nous n'avons vu nulle part qu'ils aient jamais consacré de fontaine à Bacchus. -

Comment se fait-il donc que l'architecte du monument représenté dans notre planche n° III, ait imaginé de mettre un Faune pour présider à sa fontaine, et, pour la décorer, d'y placer tous les attributs de la vendange ? Plus on cherche à pénétrer son intention, moins on la devine. Serait-ce une plaisanterie?... Nous n'oserions l'affirmer ; et, pourtant, on ne saurait supposer autre chose.

Si la décoration de la fontaine de la rue Censier ne satisfait point le bon sens, le goût y trouve tout autant à redire. Pourquoi, pourrait-on demander, avoir placé dans une niche ronde une figure qu'on voit jusqu'à la naissance des cuisses ? pourquoi lui avoir renversé la tête et les épaules, de telle façon, qu'il est impossible que les pieds retrouvent le centre de gravité? Que signifient encore ces ornements en feuillages et en raisins, qui montent de chaque côté, commencent sans base, et ne sont terminés par rien ?

Quant à l'ensemble de cette fontaine, il n'a rien de remarquable Il se compose d'un massif carré, surmonté d'un fronton triangulaire, et adossé à un mur. Au-devant du soubassement est une cuvette, aussi carrée, servant de bassin, et rejetant l'eau de chaque côté par une tête de lion.

Le quartier où est situé ce monument offre peu de souvenirs historiques.

Nous rapporterons seulement ici les étymologies qu'on donne des noms des deux rues au coin desquelles il se trouve placé. Suivant la plupart des historiens, le nom de Censier serait une corruption de sans chef, nom qu'on donnait jadis aux impasses ou culs-de-sac ; et celui de Mouffetard serait aussi, d'après l'abbé Leboeuf, une corruption de Mont-Cétard, vignoble, qui, dans l'origine de Paris, occupait l'emplacement de la rue Mouffetard.

· Au reste, nous sommes loin de garantir toutes ces étymologies. Nous prévenons, au contraire, que souvent il faut se garder d'y ajouter la moindre croyance. Outre le changement de prononciation, l'ignorance des peintres de lettres a dû souvent donner lieu dans la suite à de fausses  conjectures, et faire tomber dans d'étranges erreurs.

La fontaine de la rue Censier, dont la composition est de M. Bralle, ingénieur hydraulique de la ville de Paris, et la sculpture, de M. Levallois, élève de feu M. Chaudet 7 s'alimente des eaux que conduit à Paris l'aqueduc d'Arcueil.

FONTAINE DE LA PLACE SAINT-MICHEL.

PLANCHE IV.

 

Lorsque Paris n'occupait encore que l'île de la Cité, on cultivait des vignes dans tout le quartier au centre duquel se trouve située cette fontaine.

Comme la mieux exposée, la côte que forme la montagne Sainte-Geneviève, une partie de la rue Saint-Jacques, de la rue de la Harpe, et qui s'appelait le mont Leucotitius[3], devait être aussi la plus renommée pour ses vins. Un fameux vignoble, le Clos Gilbert, ou Gibart, donna longtemps son nom à la porte Saint-Michel. Quantum mutatus ab illo ! Combien le même sol est dégénéré! On rencontrerait à peine aujourd'hui, dans tous les jardins du quartier, quelques ceps de vigne dont on n'a nulle envie de faire du vin.

Ce côté de la campagne, le premier cultivé, fut aussi le premier où l'on construisit un palais, et peut-être où l'on éleva un temple. Du moins, tout porte à croire que, dès les premiers temps qui suivirent l'envahissement des Gaules par les Romains, il existait un temple, en l'honneur de Mercure, vers l'endroit où depuis l'on bâtit le couvent des Carmélites de la rue Saint-Jacques.

Quant au palais, il n'y a aucun doute sur sa situation. Le fragment qui en reste, rue de la Harpe, un peu plus bas que la fontaine de la place Saint Michel, suffit de reste pour déterminer sa position. Mais était-ce un palais ou  un de ces vastes édifices, connus sous le nom de Thermes, dont on retrouve des vestiges dans presque toutes les villes que les Romains ont habitées? C'est ce qui n'est pas encore bien décidé. Ce qui ferait croire que des thermes ont existé dans ce lieu, c'est que l'on ne peut méconnaître les restes des aqueducs antiques qui portaient sur la colline les eaux de plusieurs sources des environs.

Sous les rois des deux premières races, Paris ne reçut, comme on sait, aucun ou presque aucun accroissement. Il ne s'étendit guères sur les deux rives opposées de la Seine que pendant le règne de Philippe-Auguste, qui fit entourer la ville de murs et de fossés[4]. Cette première enceinte, qui laissait en-dehors le palais dit des Thermes, était reculée, au temps de Charles VI, jusqu'au haut de la rue de la Harpe, où se trouvait une porte flanquée de tourelles, à l'endroit même qu'occupe aujourd'hui la fontaine on prétend que ce fut ce prince qui changea le nom de cette porte, d'abord appelée porte d'Enfer, en celui de porte Saint-Michel; soit à cause de la naissance d'une princesse de sa famille, à laquelle on donna le nom de Michelle, soit à cause (et ceci paraît plus probable) de la grande dévotion qu'il avait en l'archange Saint Michel, que ses prédécesseurs regardaient comme le protecteur du royaume.

« Enfin, Louis XIV régna, dit Saint-Foix, et Paris n'eut plus d'enceinte ; « ses portes furent changées en arcs de triomphe, et ses fossés comblés et plantés d'arbres devinrent des promenades ». On abattit les murailles qui entouraient la capitale et une partie des fortifications qui servaient à leur défense. En 1684, la porte Saint-Michel fut démolie, et sur ses décombres s'éleva une fontaine. La ville avait acquis les eaux de Cachant, et les avait fait réunir par l'aqueduc d'Arcueil à celles de Rongis. Le roi ordonna alors, par un arrêt du 22 avril 1671, que quinze nouvelles fontaines seraient construites dans différents quartiers. Toutes ne furent point exécutées dans le même temps, ni aux endroits indiqués pour leur emplacement. De ce nombre fut la fontaine de la place Saint-Michel, que l'on ne construisit qu'en 1687, sur les dessins de Bullet, élève de Blondel, et architecte de la porte Saint-Martin.

Cette fontaine se compose d'une espèce de petit péristyle composé de quatre colonnes d'ordre dorique, et surmonté d'un fronton ; au-dessus, et un peu en avant, est une grande arcade supportée par des pieds-droits avec imposte, et au-dessous l'on a pratiqué une niche semi-circulaire, au bas de laquelle est un mince robinet qui laisse échapper l'eau. C'est dans la simplicité, dans la justesse des proportions, et dans la pureté des profils qu'il faut chercher le mérite de ce monument. Car, au défaut de ne point offrir au premier coup d'oeil l'aspect d'une fontaine, il joint celui de présenter une forme carrée et angulaire, interposée entre deux arcades.

Pour bien apprécier combien les inscriptions ajoutent de prix à un monument, il faudrait être témoin du sentiment qu'éprouve le voyageur errant sur les ruines d'Athènes ou de Rome, et trouvant sur le marbre, au milieu des décombres, l'empreinte de quelques lettres que le temps n'a pu effacer. Pour quoi donc n'a-t-on pas respecté les inscriptions de nos fontaines ? La plupart, faites par Santeuil, ont déjà pour nous un caractère d'antiquité qui nous charme. Souhaitons qu'on les rétablisse ou même qu'on les remplace par d'autres moins ingénieuses,-mais plus simples.

Voici celle qui ornait la fontaine de la place Saint-Michel. Elle est du chanoine de Saint-Victor.

HOC IN MONTE SUOS RESERAT SAPIENTIA FONTES ;

NE TAMEN HANC PURI RESPUE FONTIS AQUAM.

On pourrait la traduire ainsi :

« Sur cette montagne on peut puiser aux sources de la sagesse ; ne dédaignez pas cependant l'eau pure de cette fontaine ».

Dans cette inscription, Santeuil s'est proposé de faire allusion à l'Université, dont la plupart des collèges étaient situés dans ce quartier. Le jeu de mots qu'elle contient est bien puéril. Aussi ne la citons-nous pas comme un modèle : et toutes celles du chanoine de Saint-Victor ne sont pas de ce genre.

La fontaine de la place Saint-Michel s'alimente des eaux qu'amène à Paris l'aqueduc d'Arcueil. Versées d'abord dans le château-d'eau situé près de l'Observatoire, elles s'y divisent, et par des canaux souterrains se rendent dans un très-grand nombre de fontaines, en différents quartiers.

 

 

[1] Les Recollettes, ou filles de l'Immaculée Conception, étaient des religieuses de l'ordre fondé à Tolède, par Béatrix de Silva, en 1484. Elles suivirent depuis la règle de Sainte-Claire, et s'établirent rue du Bac, l'an 1637.   [2] Cette rue a porté successivement les noms de Guernelles, Garnelle, et Grenelle, parce qu'autrefois, dit-on, il y avait dans cet endroit une garenne dépendante de l'abbaye Sainte Geneviève. Le fait est qu'elle conduisait au château de Grenelle, situé dans la plaine du même nom. [3] Remarquons en passant, que cette dénomination doit venir à l'appui de l'opinion de plusieurs historiens, qui pensent que le nom de Lutèce vient de Leucotée, c'est-à-dire, blanche, à cause de la couleur du sol crayeux de Paris. C'était, sans doute, pour la même raison qu'on avait dénommé la montagne Sainte-Geneviève, le mont Leucotitius, qui signifie le Mont-Blanc. Cette étymologie paraît beaucoup plus vraisemblable que toutes celles qui sont tirées de la langue celtique. [4] Paris s'agrandit-il sous les rois des deux premières races ? Jusqu'où s'étendit-il sur les deux rives opposées de la Seine ? L'entoura-t-on plusieurs fois au-delà du fleuve, de murs d'enceinte ; et à quelles époques ces diverses enceintes furent-elles formées ? On ne pourra peut-être jamais répondre d'une manière satisfaisante à ces questions. Les anciens plans de Paris, que l'on trouve dans les ouvrages du commissaire la Marre, de Jaillot, et de tant d'autres qui se sont tous successivement répétés, ne sont tracés que d'après des conjectures que Saint-Foix a cherché à détruire par d'autres hypothèses. Cependant nous suivons ici l'opinion de ce dernier, parce qu'elle nous a paru un peu plus fondée. Ce n'est pas que nous prétendions qu'il n'y ait eu, sous les deux premières races, de nombreuses habitations, et plusieurs villages très-rapprochés les uns des autres, sur les deux rives de la Seine les plus voisines de l'île qu'occupait la cité; mais on n'a pu les regarder comme des parties intégrantes des quartiers de Paris, qu'après leur circonscription par des murs d'enceinte. Or, la première clôture de Paris, bien constatée, ne remonte pas au-delà du règne de Philippe-Auguste.

 

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VII.

DE LA BEAUTÉ DES IMAGES.

Toutes les images qui veulent être chrétiennes doivent être bonnes et édifiantes, et dans les églises, disons qu'en principe il ne doit pas en entrer d'autres; nous désirerions aussi que toute image chrétienne eût un certain degré de beauté; il est connu cependant que beaucoup des images les plus vénérées ne remplissent aucunement cette condition : le degré de vénération dont elles sont l'objet ne dépend pas non plus de leur ressemblance avec le prototype sacré qu'elles représentent. Comme fondement de cette vénération, il suffit qu'elles soient prises en fait comme destinées à le représenter ; l'édifice d'honneur et de grâces qui s'y attachent repose sur cette seule considération, en dehors de toute question d'art, d'imitation et de beauté.

L’Église elle-même ne prescrit rien directement quant à la beauté des images ; et si nous tirons de sa doctrine une conclusion en faveur de leur beauté, c'est par voie de déduction en étudiant son esprit et ses pratiques.

Dieu aime que l'on consacre à son service tout ce qu'on a de plus précieux. Ne l'a-t-il pas montré lorsque, dirigeant lui-même la construction du tabernacle, de l'arche d'alliance et de tous les objets sacrés destinés à son culte, il a voulu que Moïse y employât en abondance l'or le plus pur ? Et l'Église ne se plaît-elle pas à revêtir ses prêtres et ses autels des étoffes les plus riches ? Y a-t-il des pierreries d'un trop grand prix pour les châsses de ses saints? et ces images spécialement, qui auraient souvent si peu de valeur si on en considérait uniquement la matière et la forme, quand, à d'autres titres, elles ont acquis des droits à la vénération, n'encourage- t-elle pas à les relever par les plus brillantes parures?

Or ; parmi les choses qui peuvent flatter le regard et donner extérieurement de l'éclat, ce qu'il y a déplus précieux n'est pas le poli durable des métaux et la vivacité persistante des couleurs. La beauté des formés, l'harmonie des teintes et par-dessus tout l'expression des beautés invisibles qui appartiennent au domaine des âmes, en un mot, tout ce qui constitue l'art, le distingue du métier, et ce qui élève le plus son niveau est d'un prix bien éminemment supérieur.

Dieu, dans les circonstances même que nous venons de rappeler, ne nous a pas laissé ignorer l'estime qu'il fait.de l'art par-dessus la richesse de la matière : car, tandis qu'il a laissé aux fils de Caïn l'honneur d'être les premiers mentionnés pour des œuvres d'industrie, il nous a mis eh-droit de dire qu'il ouvre la première école où l'art fût enseigné, à Béséléel et à Ooliab, selon toute la grandeur de sa légitime mission.

L’Église, de son côté, a toujours apprécié le mérite de l'art, elle a été son refuge dans les moments de décadence, elle l'a conservé, réchauffé, ranimé et c'est dans son sein qu'il a reculé plus bel éclat dont il ait jamais brillé.

Évidemment, l'Église aime le beau, elle le désire, elle le recherche, elle le propage; et quand, par l'effet du trouble et de la confusion apportés dans les choses d'ici-bas, il lui arrive cependant dé trouver le bien dépouillé de ce vêtement qui lui appartient en propre, elle n'en recueille pas avec moins de sollicitude le pauvre délaissé ; et si elle ne peut pas toujours lui rendre sa légitime parure, parce qu'il faudrait pour cela lui créer une vie nouvelle, elle ne balance pas : elle l'élève, quoi qu'il en soit, au rang qui lui appartient, auquel il a droit pour lui-même, puis elle encourage à l'embellir par tous les moyens secondaires dont ses enfants peuvent disposer. L'image est grossière, mais elle a pour sanctuaire la cathédrale de Chartres !

Pour nous donc, spécialement, qui recherchons les vrais principes de l'art chrétien, le bien' d'abord, le beau ensuite, telle sera notre règle : ces deux choses sont faites pour demeurer inséparables ; mais, malheureusement, l'homme n'a que trop souvent réussi à les séparer : nous nous attacherons au bien pour le rendre beau autant que possible, nous poursuivrons le beau pour le ramener aux conditions du bien ou le rejeter impitoyablement comme hors de sa place et de son rôle.

Ainsi, comme les images ne sont pas seulement des livres d'une lecture facile pour les ignorants, mais encore des livres où les esprits cultivés trouvent des enseignements que les efforts de l'intelligence ne leur procureraient pat- sans le secours des yeux, il arrive que les images, quand elles viennent à satisfaire aux plus hautes notions de l'art, sont comparables aux chefs-d'oeuvre de l'éloquence et de la poésie qui élèvent les âmes et les captivent par les plus nobles des attraits.

Il semble cependant, que faisant dans ce monde son œuvre propre de rétablir le fondement du beau qui est le bien, l’Église réserve pour l'autre vie le dernier couronnement du bien qui est la perfection du beau. En attendant, résignée à n'obtenir du beau qu'une imparfaite ébauche, ou tout au plus quelques aspirations vers ses célestes splendeurs, elle encourage ses enfants à lui donner cette satisfaction, mais ne craint pas de l'emprunter souvent à des mains étrangères. Suffisantes pour consoler ceux qui ont une fois entrevu les harmonies et les splendeurs de la patrie absente, parce qu'elles en ont quelques reflets et les rappellent, les beautés ainsi obtenues ne sauraient cependant répondre à la perfection absolue que doivent prendre tous les types admis à figurer dans cette pairie céleste ; et comme ces beautés sont toujours relatives et transitoires, l’Église ne s'inquiète que secondairement du plus ou du moins : pleine de condescendance pour les fluctuations du goût, qui selon les temps voit le beau ici ou là, elle ne semble demander qu'une chose, c'est qu'à chaque époque on lui consacre ce qui est réputé le mieux. En retour, vous verrez, nous ne disons pas l’Église du haut de la chaire de vérité, mais ses ministres et ses chefs, agissant en leur nom personnel, sous l'impulsion de l'esprit qu'ils en ont reçu, patronner avec ardeur les beaux-arts. Ils les prennent tels que les fait la vogue du jour ; mais s'ils s'arrêtent à ce qui est compris des hommes, soyez sûr que leur attrait les porte vers le beau tel que le comprennent les anges.

C'est après avoir prié Dieu de nous communiquer cet attrait supérieur que nous essayons, dans l'Étude suivante, de dire tout ce que nous pouvons nous-même en comprendre, ayant, à la fin de celle-ci, seulement pris à tâche de montrer, non que l'Église en pose directement les règles, mais qu'elle les inspire...

Tour Saint Jacques. Église Saint Sulpice. Paris. Photos Rhonan de Bar.
Tour Saint Jacques. Église Saint Sulpice. Paris. Photos Rhonan de Bar.
Tour Saint Jacques. Église Saint Sulpice. Paris. Photos Rhonan de Bar.
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V.

CONCILE DE TRENTE.

L'ensemble des doctrines fondamentales, auxquelles les décisions du second concile de Nicée apportèrent le complément, se présentèrent alors comme un faisceau d'une telle puissance de cohésion, qu'aucun sectaire, pendant huit cents ans, n'osa plus entreprendre ouvertement de le rompre. Toujours frémissantes dans les bas-fonds de la nature humaine, les passions, sans doute, ne cessent d'enfanter l'erreur; mais l'erreur ne se produisait plus au grand jour que sous forme de nuageuses arguties; le mal s'appelle légion, mais il ne savait plus rallier ses adeptes qu'au moyen d'initiations ténébreuses. Au grand jour, soumise aux lois de l’Église, la société tout entière en faisait sa loi, et, pour sa parure, les beaux-arts, ne vivant que d'une sève toute chrétienne, prirent alors un magnifique épanouissement.

Vient Luther, imprudent propagateur de vieilles et obscures erreurs, qui minaient par la base la notion même du Christianisme et jusqu'aux principes de la moralité humaine ; il professa un respect hypocrite pour la première antiquité chrétienne, et de ce faisceau de vérités formulées en Orient par la série des premiers conciles œcuméniques, il ne se risqua à détacher qu'un seul dogme, celui-là qui, le dernier attaqué, avait été le dernier défendu ; par cette raison, on pouvait le croire le plus facile à détruire; et si Luther, se pipant lui-même, ne songea pas. personnellement à dépasser son programme avoué, l'ennemi de tout bien, qui s'était emparé de lui, assurément se proposa ainsi de reprendre en sens inverse l’œuvre tout entière des anciens hérésiarques. Ceux-ci, de degrés en degrés, étaient descendus à des erreurs de plus en plus mitigées, mais qui toutes, cependant, contenaient un principe dissolvant, contraire à la réalité de l'Incarnation, et c'est pourquoi l’Église les avait toutes rejetées de son sein avec une égale horreur.

Maintenant que l’Église semblait avoir perdu de son prestige d'autorité, il était habile de faire passer d'abord le poison le plus adouci; et à leur tour, sous prétexte d'atteindre la superstition, les nouveaux iconoclastes donnèrent à l'enfer la satisfaction insensée de voir injurier, et en quelque sorte de voir détruire, dans ses images, Celui dont la vie à la fois divine et humaine défie toutes les attaques.

A quoi aboutirent tous leurs efforts ? A envelopper dans un cercle de glace le semblant de culte que conservaient les adeptes des nouvelles doctrines.

Quant à l’Église, toujours la même, dans la plénitude de sa force intime et dans ses conditions d'épanouissement extérieur, elle répéta, avec de semblables anathèmes contre les briseurs d'images, l'antique profession de foi des Pères de Nicée. En matière de dogme, le concile de Trente n'eut, sur ce sujet, rien à y ajouter; mais Luther et ses émules avaient pris prétexte d'abus réels ou possibles, et le saint concile, seul véritable réformateur, fit en sorte de ne laisser subsister ni le prétexte, ni les abus. Nous répéterons dans leur entier les termes de ses admirables décrets, assuré que nul ne saurait errer quant à l'usage, à l'exécution et au choix des images, et en général quant à la direction de l'art chrétien, s'il les prend, à la lettre: pour règle de conduite.

« Enjoint le saint concile à tous les évêques et à tous autres qui sont « chargés du soin et de la fonction d'enseigner le peuple qu'ils instruisent, sur toutes choses, les fidèles avec soin touchant l'usage légitime des images : leur enseignant que les images de Jésus-Christ, de la sainte Vierge, Mère de Dieu, et des autres saints, doivent être conservées, principalement dans les églises, et qu'il leur faut rendre l'honneur et la vénération qui leur est due : non que l'on croit qu'il y ait en elles quelque divinité ou quelque vertu pour laquelle on leur doive rendre ce culte, ou qu'il faille leur demander quelque chose, ou mettre en elles sa confiance, comme faisaient autrefois les païens, qui plaçaient leur espérance dans les idoles ; mais parce que l'honneur qu'on leur rend est rapporté aux originaux qu'elles représentent, de manière que par le moyen des images que nous baisons, et devant lesquelles nous nous découvrons la tête et nous nous prosternons, nous adorons Jésus-Christ, et rendons nos respects aux saints dont elles portent la ressemblance. Les évêques feront aussi entendre avec soin que les histoires des mystères de notre rédemption, exprimées par peintures ou par autres représentations, sont pour instruire le peuple et l'affermir dans la et pratique, dans le souvenir et le culte assidu des articles de la foi ; de plus, que l'on tire encore cet avantage considérable de toutes les saintes images, non-seulement en ce qu'elles servent au peuple à lui rafraîchir la mémoire des faveurs et des biens qu'il a reçus de Jésus-Christ, mais parce que les miracles que Dieu a opérés par les saints et a les exemples salutaires qu'ils nous ont donnés sont, par ce moyen, continuellement exposés aux yeux des fidèles, pour qu'ils en rendent grâces à Dieu, et qu'ils soient encouragés à conformer leur vie et leur conduite à celles des saints, à adorer Dieu, à l'aimer, et à vivre dans la piété. Si quelqu'un enseigne et croit quelque chose de contraire à ces décrets : qu'il soit anathème.  Que s'il s'est glissé quelque abus parmi ces observances si saintes et si salutaires, le saint concile souhaite extrêmement qu'ils soient  entièrement abolis ; de manière qu'on n'expose aucune image qui puisse induire à quelque fausse doctrine, ou donner occasion aux « personnes grossières de tomber en quelques erreurs dangereuses. Et s'il arrive quelquefois qu'on fasse faire quelques figures ou quelques tableaux des histoires ou événements contenus dans les saintes Écritures, selon qu'on le trouvera expédient pour l'instruction du peuple, qui n'a pas connaissance des lettres, on aura soin de le bien instruire qu'on ne prétend pas par-là représenter la Divinité, comme si elle pouvait être aperçue par les yeux du corps, ou exprimée par des coupleurs et par des figures.

Dans le saint usage des images, on bannira aussi toute sorte de superstition, on éloignera toute recherche de profit : indigne et sordide ; et on évitera enfin tout ce qui ne sera pas conforme à l'honnêteté (omnis lascivia vitetur, ita ut procaci venustate imagines nec pingantur, nec ornentur), de manière que ni dans la peinture, ni dans l'ornement des images, on n'emploie point d'agréments, ni d'ajustements profanes et inconvenants....

Ordonne le saint concile qu'il ne soit permis à qui que ce soit de mettre ou faire mettre aucune image extraordinaire et d'un usage nouveau, dans aucun lieu, dans aucune église, quels que soient ses privilèges « d'exemption, sans l'approbation de l'évêque. (Session XXV) »

Le concile, on le voit, après avoir défini les images en tant qu'elles peuvent être l'objet d'un culte, en détermine la haute utilité en tant qu'elles sont un objet d'enseignement. Et, quant aux abus qu'il condamné, nous devons noter soigneusement ce qu'il dit des images susceptibles d'induire en erreur sur les vérités chrétiennes, et de celles qui ont besoin seulement d'explication. Nous nous en souviendrons lorsque nous traiterons en général de l'invention, de  la composition, et d'une manière spéciale en abordant les sujets qui tombent plus particulièrement sous les prescriptions du concile, comme les figures par lesquelles il est permis de représenter Dieu considéré dans sa nature divine. Également, en temps et lieu nous rejetterons, conformément à ces prescriptions, toutes les images qui ne remplissent pas suffisamment les conditions de décence et de moralité réclamées par leur destination, et nous nous tiendrons soigneusement en garde contre toute représentation extraordinaire ou seulement inusitée jusqu'à ce qu'elle ait été approuvée par l'autorité compétente.

Le concile de Trente ne signale comme exigeant une approbation que les images d'une forme inusitée ; mais, eu égard à de nombreux abus, Carli pense que même les images de formes usitées ne devraient pas être exposées elles-mêmes sans avoir été approuvées[1].

Les superstitions comme les profits illicites dont les images peuvent être l'occasion à l'égal de tout autre objet d'une vénération quelconque, sont au contraire étrangères à nôtre sujet, et le concile lui-même se contente de les repousser en peu de mots, les jugeant sans doute peu à craindre après les explications qu'il a données et avec la surveillance qu'il recommande.

Voyons au contraire, à la lumière des décisions et des pratiqués de l'Église, en combien de manières les images nous peuvent être profondément utiles et fortement recommandées, afin de comprendre de plus en plus ce qu'elles sont dans leur nature, ce qu'elles doivent être dans leur exécution.

VI.

DE L’UTILITÉ ET DE LA NATURE DES IMAGES.

Les saintes images sont des livres utiles à tous, même aux esprits les plus cultivés ; ils sont des hommes : et tous, qui que nous soyons, en bien comme en mal, nous nous laissons prendre par les sens. Nos pensées s'égareront certainement beaucoup moins, si nous ne pouvons lever les yeux sans voir la figure même des choses auxquelles nous devons penser ; nous serons bien plus assurés de nos cœurs si nous voyons exprimés les sentiments qui doivent les remplir. Jusqu'ici nous ne parlons que des Choses ; que sera-ce donc si nous arrivons aux personnes? Le portrait d'une personne qui nous est chère nous la rappelle, disons-nous; ce portrait nous la représente, disons-nous encore; il semble par notre expression même qu'alors, à notre appel, elle revient avec nous, qu'elle se rend présente, et de notre part tout ce que nous avions dans le cœur pour elle se réveille et se ranime.

Cependant, s'il s'agit du portrait d'un de nos semblables encore dans les conditions naturelles de la vie, et que nous parlions à ce portrait, celui qu'il représente ne nous entendra pas. Dieu, au contraire, nous entend partout et toujours ; partout et toujours il est, avec une parfaite réalité, présent devant nous, seulement nous ne le voyons pas; mais qu'une image nous le rappelle, la pensée 1 de sa divine présence nous deviendra plus facile, et si alors nous nous adressons à lui, l'image n'ôtera rien à la réalité de nos entretiens avec Dieu même.

Dieu, il est vrai, en tant que Dieu, ne saurait être représenté par aucune image comparable à un portrait; mais le Fils de Dieu s'est fait homme : dès lors, on a pu représenter ses traits sacrés comme ceux de chacun de nous. L'homme seul est représenté, le Dieu seul est présent, mais le Dieu et l'homme ne sont qu'une même personne ; c'est à Jésus-Christ, Dieu et homme tout ensemble, que nous nous adressons intérieurement quand extérieurement nous nous adressons à l'image qui le représente, et c'est ce divin Sauveur qui nous entend.

La très-sainte Vierge et les saints dans l'état de béatitude sont aussi présents en quelque manière, quand devant leur image nous leur adressons des prières, car Dieu fait qu'ils nous entendent et qu'ils puissent nous répondre par les grâces qu'ils nous obtiennent, et tout ce qui se passe entre leur image et nous, dans le domaine des sens, répond aux réalités d'un commerce invisible, entre leurs âmes bienheureuses et les nôtres.

Voilà ce qui a lieu quand nous prions les saints; il en est de même quand nous voulons les honorer. Puisque leurs images les représentent, il est naturel que nous rendions à celles-ci tous les honneurs que nous leur rendrions à eux-mêmes, et ce sont eux-mêmes qui, en définitive, les reçoivent.

Il arrive aussi, par le moyen des images, que nos honneurs prennent un caractère extérieur et public, plus facilement qu'elles ne le feraient par le seul usage des paroles. Qu'on se rappelle, par exemple, les cérémonies de la canonisation : pourrait-on leur donner la même solennité si l'exaltation de l'image ne venait d'une manière sensible inviter la foulé des assistants à se prosterner devant le nouveau saint, et dirait-on aussi bien que désormais il a acquis le droit de reposer sur les autels, si on n'y voyait effectivement exposer son image ? .

Il est admis, dans l'enseignement catholique[2] , que la nature du culte rendu à l'image ne diffère pas foncièrement de celui qui est rendu à la personne, on le comprend, dès lors que l'image n'est qu'un instrument et un moyen qui n'empêche pas l'honneur d'aller directement à son objet.

Cependant on doit dire que l'image considérée sous ce rapport même a droit à un certain respect, à certains honneurs qui ne s'adressent à la personne que d'une manière indirecte, et qui par là même sont aussi d'une autre nature et d'un moindre degré : les honneurs sont analogues à ceux que l'on rend en général aux choses saintes, comme les vases sacrés et autres objets au service de Dieu, et encore les livres qui renferment les Saintes Écritures.

Considérées par rapport à leur prototype sacré, les images ne se présentent pas toutes, de prime abord, avec des droits égaux à notre vénération : il en est d'exécutées dans un simple but de décoration, il en est d'autres où réellement on s'est proposé d'agir sur nos esprits et nos cœurs ; et, tandis que dans celles-ci les faits, sont offerts à nos méditations, comme si nous en lisions l'histoire, plutôt que les saints personnages eux-mêmes qui les ont accomplis ne le sont à nos hommages : en voici d'autres, d'un caractère tout personnel, qui nous les représentent comme s'ils nous apparaissaient et nous convient plus directement à nous adresser à eux. Tels sont les portraits et en général les figures isolées, ou accompagnées d'accessoires uniquement destinés à leur servir d'attributs.

A cette catégorie appartenaient dans le principe tous les tableaux d'autel. L'usage s'est ensuite introduit de représenter dans ces tableaux des traits Saillants de la vie des saints, où ils sont mis. en scène, au lieu de les montrer à nous comme s'ils étaient placés là dans la seule intention de nous attendre et d'accueillir nos prières. Néanmoins, ces tableaux, par leur destination, conservent le caractère personnel dont nous venons de parler, et la vénération spéciale qu'ils réclament de nous, en conséquence, s'accroîtra nécessairement, si nous considérons que cette destination, c'est l'Église qui la leur a donnée par son intervention officielle.  

Il est au moins probable (et nous craignons de rester beaucoup au-dessous de la vérité, en nous servant de cette expression) que les images enrichies des bénédictions de l'Église, et à plus forte raison celles qui sont expressément exposées et proposées à nos hommages par son ministère, prennent un rang élevé parmi les sacramentaux.

Ces diminutifs des sacrements communiquent comme les sacrements, quoique dans une mesure très-inférieure et moins directe[3]', des grâces particulières à nos âmes, et nous ne doutons pas que l'image bénite n'ait alors une plus grande efficacité pour nous mettre en rapport plus intime et plus immédiat avec l'original qu'elle représente.

Dans l'ordre de dignité spirituelle, il y a encore, au-dessus des images dont nous venons de parler, celles auxquelles Dieu s'est chargé lui-même de donner la sanction du miracle. En possession d'attirer la confiance des fidèles, souvent même le concours des pèlerins, quelquefois depuis des siècles, elles représentent non-seulement un intercesseur puissant et vénéré, mais une accumulation de grâces obtenues par son intercession, des prières sans nombre adressées au ciel par son entremise, des vertus pratiquées, des bonnes œuvres accomplies sous son aile, et là, près de cette image, on est comme dans une atmosphère embaumée, où les puissances ennemies semblent n'avoir plus d'accès.

Il arrive, dans ces circonstances exceptionnelles, que l’Église intervient de nouveau : ces images bénies et révérées, elle les couronne, et le diadème qu'elle dépose extérieurement sur leurs fronts n'est que l'expression du triple rayonnement de grâces, de bénédictions, de vertus obtenues et pratiquées, à leur occasion, dans un sanctuaire privilégié.

A quelque degré de faveur que puissent s'élever les autres images, le crucifix les surpasse toutes en importance, en dignité : tandis que leur culte est fortement recommandé sans être obligatoire, celui du crucifix l'est devenu comme règle liturgique ; il faut que cette image du Sauveur repose sur l'autel pendant la célébration de la messe, renouvellement du divin sacrifice[4]. Il est d'un usage général que dans toute église on place un crucifix de plus grande dimension ou à l'entrée du choeur ou en quelque autre lieu des plus apparents : saint Charles Borroméeen faisait une obligation au moins pour les églises paroissiales de son diocèse, et de même le cardinal Orsini, archevêque de Bénévent[5]. Saint Charles exigeait également, d'après un autre usage général, qu'une image du crucifix fût placée dans chaque confessionnal en regard du pénitent [6]. Le cardinal Orsini prescrivait de ne l'omettre ni dans le baptistère, ni dans la sacristie. Au vendredi saint, les honneurs exceptionnels que l'on rend à cette première des images chrétiennes tiennent une place considérable dans les offices publics de l'Église.

Quant à l'image de la sainte Vierge, le même cardinal Orsini ne voulait pas non plus qu'on manquât de l'exposer, portant son divin Fils, au-dessus de la porte de chaque église, entre le patron du lieu et un autre saint, si elle-même n'était la patronne; et en outre il faisait une règle de l'usage, plus généralement suivi, de représenter toujours le saint patron au-dessus de l'autel [7].

Le culte que nous rendons à ces diverses images, disons mieux, celui que nous rendons par leur moyen à Jésus-Christ, à la sainte Vierge et aux saints, a son fondement dans la nature même de l'image, qui est de les représenter. Toute image, par cela seul qu'elle est susceptible de nous les rappeler, peut déterminer, de notre part, un culte qui n'a d'autres limites que celui auquel peut avoir droit l'original lui-même. Ainsi, nous pouvons, par une facile opération de notre esprit, faire passer pour nous une image d'une catégorie à une autre, et là où d'autres n'apercevraient qu'un simple ornement, nous attacher au sujet ou même au personnage que nous y voyons figurer. Que notre exemple ait des imitateurs; que le concours des fidèles se porte vers une image, qui ne semblait pas originairement être faite pour attirer une telle attention ; que l’Église y mette la main, que cette image soit exposée à une place d'honneur, et qu'avec les faveurs du ciel vienne l'hommage des cierges allumés, des couronnes, des guirlandes, des ex-voto : cette image du dernier rang arrivera au premier.

Il en est des images comme des hommes, comme des chrétiens surtout. Tous ont la même nature, tous sont appelés à la même destinée : tous, par conséquent, ont droit à des égards, à des soins, à de certains respects même quel que soit l'abaissement où ils peuvent tomber. Mais oh comprend la différence que peut mettre entre un homme et un homme, un chrétien et un chrétien, le plus ou moins de culture intellectuelle ou morale.

A la bonne éducation, chez les hommes, répond la bonne exécution chez les images, et jusqu'à un certain point aussi la bonne éducation de ceux qui sont appelés ou à les exécuter ou à diriger leur exécution ; et de même que la bonne éducation demande non-seulement le soin du corps, mais encore plus le soin de l'âme, il faut considérer que toutes les œuvres d'arts figurés comprises sous le nom d'images, ont, à leur manière un corps et une âme, dont il faut, à la fois se préoccuper dans leur exécution ; c'est-à-dire que ces images étant chrétiennes par leur sujet ou leur destination, il faut faire en sorte qu'elles puissent toujours plaire et toujours édifier : plaire par la beauté de leurs formes, édifier en exprimant de bonnes et saintes pensées, en représentant saintement de saints personnages.

Quand surtout il s'agit de la maison de Dieu, il n'y a pas de décorations, si secondaires qu'elles soient, auxquelles cette double règle ne soit applicable. Si on exigeait toujours une beauté de prix, on demanderait au-delà du possible pour un grand nombre ; mais jusque dans les plus pauvres églises on ne saurait trop engager à choisir, selon les règles du bon goût, les plus modestes ornements. Il est bien autrement essentiel de ne jamais admettre, dans aucun monument religieux, ou par raison d'économie, ou sous prétexte d'art et de beauté matérielle, rien d'inconvenant ou même de simplement profane[8].

Une grande distinction est sans doute à faire entre la conservation des choses existantes et l'adoption des œuvres nouvelles : dans le premier cas, on peut tolérer tout ce qui ne heurte pas manifestement la foi, la morale, les convenances ; dans le second, pourquoi ne se proposerait-on pas le mieux ? et le mieux est assurément de ne mettre sous les yeux rien, jusqu'aux moindres détails, qui ne puisse élever l'âme en captivant les sens. Ce n'est ni plus coûteux, ni plus difficile; l'art sérieux y gagnera beaucoup, et il n'en sera pas moins agréable.

 

[1] 1. Carli, Biblioth. Liturg., p. 103 à 127. [2] Capisucchi. Controversia. [3] Ex opere operantis et non ex opere operato comme dans la Théologie.  [4] Carli, Biblioth. Liiurgica, in-8°. Brescia, 1833, T. Il, p. 113 à 121. [5] Acta Ecclesiae Mediolanae, in-fol., Mediol., 1582, p. 53,180. — ll rettore ecclesiastico, in-4°, Naples, 1683, T. IX, §1. [6] Acta Eccl. Med., fol. 187, V°. [7] 4. Retti eccl, Tit. I, § 6; Tit.VI, § 26; [8] 1. Acta Eccl. Med., fol. 4 V°, 31 V°, 140 V°, 156 V°. La sollicitude du saint évêque de Milan très-remarquable pour tout ce qui tient.au respect des saintes images. Il a des prescriptions pour leur conservation, pour éviter qu'elles ne soient exposées à la pluie; aux profanations, pour qu'elles ne soient pas roulées aux pieds. (Id., fol. 56, 84, etc., etc.)-


 

Grand Portail. Église Saint-Aignan. Poissons. Haute-Marne. ©Photos Rhonan de Bar.
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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

IV.

PERPÉTUITÉ DES IMAGES DANS L’ÉGLISE.

Désormais l'on peut affirmer que l'Église primitive n'a jamais imposé, même à titre provisoire, à la propagation des images, des entraves plus sérieuses qu'il n'en pouvait résulter de ce système de réserve et de discrétion connu sous le nom de discipline du secret. Il n'y a pas d'apparence que, du côté de ses enfants une fois régénérés, elle ait eu à se prémunir contre le retour à des pratiques idolâtriques. Il n'y a pas de point sur lequel les docteurs catholiques soient plus précis que sur la différence radicale qui exclut toute possibilité de confusion entre l'imagé chrétienne et l'idole. L'image représente un être réel et le donne pour ce qu'il est ; l'idole est la représentation de ce qui n'est pas[1], ou de ce qui n'est pas du moins ce pour quoi on la donne. Dans ces temps héroïques où les grâces du Saint-Esprit se répandaient avec tant de profusion sur les âmes choisies, admises à la participation des saints mystères, un chrétien, une fois instruit et baptisé, autant et plus qu'aux époques réputées depuis les plus éclairées, savait trop quels étaient le divin Sauveur, sa très-sainte Mère, les apôtres et les martyrs, pour voir dans leurs images autre chose qu'un souvenir de ces saints et augustes personnages.

Pour expliquer la rareté des images primitives, et l'incertitude qui plane sur leur authenticité, nous avons donné assez de raisons sans qu'il soit nécessaire de recourir à une prohibition de l'Eglise dont on n'apporte, aucun texte. Celui des Constitutions apostoliques, cité par M. Raoul Rôchette, ne s'applique qu'aux faiseurs d'idoles[2].

Les termes si controversés du 36e canon du concile d'Elvire, tenu vers l'an 300[3], peuvent s'entendre dans notre sens autant et mieux qu'en aucun autre. Eussent-ils plus de portée, ils n'auraient encore d'autre autorité que celle d'une mesure locale. Ils prouvent d'abord qu'antérieurement aux dispositions du concile les chrétiens d'Espagne avaient des images, et, selon la plupart des docteurs catholiques, ce concile ne voulut qu'en régler l'usage, soit qu'il prétendît, en défendant de les étaler sur les murs, les soustraire aux profanations [4], soit qu'il jugeât que cette place n'était pas assez respectueuse pour les images qui étaient plus ou moins directement l'objet d'un culte[5], soit qu'il entendît seulement parler des images de Dieu en tant que Dieu [6].

Clément d'Alexandrie[7], Tertullien[8], s'ils ont prétendu formuler, par rapport aux images, un blâme qui n’atteignit rien au-delà de quelques abus particuliers, ou dépassât les règles restrictives que nous connaissons, n'apporteraient contre elles que l'autorité de leur opinion personnelle.

Des auteurs que l'on ne peut accuser d'avoir écrit dans un esprit d'hostilité contre la foi catholique, ou qui même font profession de la respecter, comme Cigognara[9] 7, Emeric David [10]8 ou Raoul Rochette [11]9, s'ils ont admis que les chrétiens des deux ou trois premiers siècles n'ontpas eu d'images, ne l'ont fait qu'en suivant trop légèrement, quelquefois terme pour terme, les théories, protestantes de Beausobre[12], de Jablonski[13] ",- et d'autres écrivains de la même école.

Les théologiens catholiques, comme le P. Pétau, qui ont fait quelques concessions exagérées relativement à la prohibition momentanée dont les images auraient pu être l'objet, n'ont voulu évidemment que dégager la question dogmatique, dont la solution était de la dernière clarté, des obscurités qui pouvaient encore couvrir la question de fait. Que l'Église puisse autoriser et recommander l'usage et le culte des images, qu'elle les autorise et les recommande effectivement, rien de plus certain, c'est de foi. Que la discipline de l'Église, qui aurait pu être très-différente, eu égard aux circonstances, quant à cette autorisation et Cette recommandation, n'ait jamais varié, en effet, sinon sur des points secondaires, c'est ce dont nous avons des preuves, mais d'une valeur toute humaine, qu'on n'a pas toujours eues au même degré; c'est pourquoi la question demeurait libre.

Pour nous, nous croirions que l'usage des images dans l’Église remonte aux temps apostoliques, sur le seul fondement que les Pères du second concile de Nicée l'ont cru, ainsi que tous les défenseurs des saintes images alors, et la plupart de ceux qui les ont défendues dans la suite.

Presque tous se fondaient, pour le croire, entre autres motifs, sur les traditions relatives à l'image miraculeuse d'Édesse, au voile de sainte Véronique, aux portraits attribués à saint Luc, à la statue de Panéas. Ces traditions, fortement attaquées depuis, ne seraient pas justifiées, qu'elles donneraient encore le droit de penser que les premiers chrétiens n'étaient pas sans avoir quelques images très en vénération parmi eux.

Cette considération, cependant, n'est pas ce qui nous frappe le plus : nous sommes surtout saisi de la majesté de ce courant qui fait converger vers une même pensée tant de saints papes, de grands évêques, de Savants docteurs : il y a là, ce nous semble, la manifestation d'un instinct catholique qui difficilement pourrait tromper.

Léon l'Isaurien avait objecté au pape saint Grégoire II que, dans les six premiers conciles œcuméniques, il n'était pas dit un mot des images. « Belle raison ! » s'écriait le saint pontife. « Où avez-vous jamais lu qu'il faille manger et boire pour vivre? L'usage des images nous a été transmis comme une chose non moins naturelle[14]. »

La manifestation extérieure de la Divinité n'est-elle pas, dans un sens, tout le christianisme? Et les images, que font-elles, sinon continuer en quelque sorte cette œuvre de manifestation ? Elles lui tiennent non pas, il est vrai, comme un besoin qu'il y ait nécessité de satisfaire ; mais elles en découlent comme conséquence, aussi naturellement que l'eau de la source, si on ne lui ferme toute issue. L'examen des peintures des Catacombes avait conduit tous leurs interprètes : Bosio, Arringhi, Bottari, Boldetti, Marangoni [15], à faire remonter un bon nombre d'entre elles au moins au deuxième siècle. D'Agincourt était arrivé aux mêmes conclusions par des déductions mieux motivées[16] 2. Aujourd'hui, tout en redressant les jugements de ses devanciers relativement à quelques monuments moins anciens qu'ils ne le supposaient, les derniers travaux de M, de Rossi ont porté à la dernière évidence le fond de la thèse qu'ils soutenaient. Et si nous continuons de présenter le faisceau de témoignages sur lesquels on s'appuyait avant lui pour prouver la perpétuité de la pratique des chrétiens par rapport aux images, c'est uniquement pour mieux montrer dans quel esprit ces témoignages avaient été réunis.

On remarquait qu'à partir de Constantin des faits de toute nature venaient attester la, place considérable que les images tiennent dans toute l'économie du Christianisme : à peine converti, ce prince fit orner de peintures et de mosaïques les basiliques qu'il éleva en grand nombre dans presque toutes les parties de l'empire romain[17]. A Constantinople, au milieu de la place publique, il éleva comme en triomphe l'image du Bon Pasteur et celle de Daniel dans la fosse aux lions[18]. Il plaça un agneau d'or, une statue du Christ en argent, avec une statue de saint Jean-Baptiste de même métal, dans le baptistère de Saint-Jean-de-Latran[19]. Saint Sylvestre avait eu la part principale à ceux de ces monuments qui appartenaient à la capitale du monde : continués par ses successeurs immédiats, saints Marc et Jules[20] , ils servirent de type, nous en sommes convaincu, aux travaux du même genre qui furent commandés par saint Innocent I, saint Célestin I, saint Sixte III, saint Léon le Grand, saint Hilaire, saint Simplicien dans le Ve siècle et, dans les deux siècles suivants par saint Symmaque, par saint Félix III, saint Pelage II, Honorius I, Théodore I, travaux qui souvent ne furent que la réparation des monuments primitifs, et dont la date pour la plupart est constatée par les inscriptions mêmes qui les accompagnent[21].

Ravenne abonde en œuvres du même temps[22]. Saint Paulin en avait enrichi sa ville épiscopale [23] ; il ne manque sans doute, pour établir qu'il en fut de même de beaucoup d'autres villes, qu'un poète qui les ait chantées comme le saint évêque de Nole.

Si aucun autre des anciens Pères ne s'est attaché à décrire aussi directement les peintures et les autres œuvres d'art qui ornaient les églises, combien d'allusions n'y font-ils pas comme à une chose usuelle! En remontant jusqu'au IVe siècle, nous retrouvons les paroles de saint Basile, celles de saint Astérius d'Amasée, de Prudence, de saint Augustin ; ce dernier sait le sacrifice d'Abraham aussi Souvent représenté en peinture que célébré par la parole ; la représentation du Sauveur entre saint Pierre et saint Paul n'a pour lui rien que de très-habituel[24] ; puis voici saint Grégoire de Nysse, admirant la maison de Dieu, devenue sous la main des peintres comme une prairie entaillée de fleurs ; et ces brillantes figures, ajoute-t-il, ne sont muettes qu'en apparence, elles parlent un langage qui pénètre les cœurs[25]. Elles les pénètrent si bien qu'il ne peut voir représenté le, sacrifice d'Abraham sans en être ému jusqu'aux larmes[26].

Les portraits proprement dits n'étaient pas moins communs que les sujets historiques ou symboliques. Une femme de mauvaise vie, à la vue d'une image de Polémon, s'arrête dans la voie du crime [27] ; sainte Marie Égyptienne se convertit en voyant une image de la sainte Vierge [28] ; saint Ambroise voit en songe les apôtres saint Pierre et saint Paul et les reconnaît à leurs portraits [29]. Au second concile de Nicée, doux faits analogues furent racontés des portraits de saint Platon et de saint Nicolas[30] ; saint Jean Chrysostome, qui s'est plu à exprimer son affection pour certaine image de cire pleine de piété[31], rapporte que l'image de sainte Hélène à Antioche se voyait partout sculptée, modelée, sur les vases, sur les meubles[32]. Théodoret dit à son tour combien était répandue celle de saint Siméon Stylite[33].

Quand un usage a pris son extension, vient quelquefois l'abus : c'est contre l'abus que s'élève saint Nil dans sa lettre à Olympiodore ; il ne veut pas que dans les églises, sous prétexte de décoration, on introduise des figures toutes profanes, des satyres et des faunes, des chimères et des centaures ; il veut qu'on y représente les histoires de l'Ancien et du Nouveau Testament [34].

L'on cite encore, comme apportant des preuves de la diffusion des images, saint Jérôme, saint Cyrille de Jérusalem, et saint Cyrille d'Alexandrie[35].

Tous ces témoignages sont antérieurs à la première moitié du Ve siècle. Sur la fin du siècle suivant, nous trouvons le pape saint Grégoire le Grand en présence d'un abus tout différent. Il paraît que des chrétiens avaient rendu à des images certains honneurs qui pouvaient aller jusqu'à la superstition. Sérénus, évêque de Marseille, crut devoir détruire ces images. Le saint pape, sans contester le fait, qui l'avait motivé, blâma hautement cet excès de zèle : il fallait réprimer l'abus, disait-il, mais non pas détruire les images. « L'homme, en effet, a besoin d'être pris par les sens,et les images sont les livres de ceux qui n'en ont pas d'autres[36] . » Ainsi, de siècles en siècles, nous arrivons jusqu'au moment où l’Église étant toujours militante, l'intérêt capital qu'elle met à défendre les images fut le casus belli pour lequel elle livra les plus sérieux de ses combats pendant le cours de plusieurs générations.

V.

CONCILE DE TRENTE.

L'ensemble des doctrines fondamentales, auxquelles les décisions du second concile de Nicée apportèrent le complément, se présentèrent alors comme un faisceau d'une telle puissance de cohésion, qu'aucun sectaire, pendant huit cents ans, n'osa plus entreprendre ouvertement de le rompre. Toujours frémissantes dans les bas-fonds de la nature humaine, les passions, sans doute, ne cessent d'enfanter l'erreur; mais l'erreur ne se produisait plus au grand jour que sous forme de nuageuses arguties; le mal s'appelle légion, mais il ne savait plus rallier ses adeptes qu'au moyen d'initiations ténébreuses. Au grand jour, soumise aux lois de l’Église, la société tout entière en faisait sa loi, et, pour sa parure, les beaux-arts, ne vivant que d'une sève toute chrétienne, prirent alors un magnifique épanouissement.

Vient Luther, imprudent propagateur de vieilles et obscures erreurs, qui minaient par la base la notion même du Christianisme et jusqu'aux principes de la moralité humaine ; il professa un respect hypocrite pour la première antiquité chrétienne, et de ce faisceau de vérités formulées en Orient par la série des premiers conciles œcuméniques, il ne se risqua à détacher qu'un seul dogme, celui-là qui, le dernier attaqué, avait été le dernier défendu ; par cette raison, on pouvait le croire le plus facile à détruire; et si Luther, se pipant lui-même, ne songea pas. personnellement à dépasser son programme avoué, l'ennemi de tout bien, qui s'était emparé de lui, assurément se proposa ainsi de reprendre en sens inverse l’œuvre tout entière des anciens hérésiarques. Ceux-ci, de degrés en degrés, étaient descendus à des erreurs de plus en plus mitigées, mais qui toutes, cependant, contenaient un principe dissolvant, contraire à la réalité de l'Incarnation, et c'est pourquoi l’Église les avait toutes rejetées de son sein avec une égale horreur.

Maintenant que l’Église semblait avoir perdu de son prestige d'autorité, il était habile de faire passer d'abord le poison le plus adouci; et à leur tour, sous prétexte d'atteindre la superstition, les nouveaux iconoclastes donnèrent à l'enfer la satisfaction insensée de voir injurier, et en quelque sorte de voir détruire, dans ses images, Celui dont la vie à la fois divine et humaine défie toutes les attaques.

A quoi aboutirent tous leurs efforts ? A envelopper dans un cercle de glace le semblant de culte que conservaient les adeptes des nouvelles doctrines.

Quant à l’Église, toujours la même, dans la plénitude de sa force intime et dans ses conditions d'épanouissement extérieur, elle répéta, avec de semblables anathèmes contre les briseurs d'images, l'antique profession de foi des Pères de Nicée. En matière de dogme, le concile de Trente n'eut, sur ce sujet, rien à y ajouter; mais Luther et ses émules avaient pris prétexte d'abus réels ou possibles, et le saint concile, seul véritable réformateur, fit en sorte de ne laisser subsister ni le prétexte, ni les abus. Nous répéterons dans leur entier les termes de ses admirables décrets, assuré que nul ne saurait errer quant à l'usage, à l'exécution et au choix des images, et en général quant à la direction de l'art chrétien, s'il les prend, à la lettre: pour règle de conduite.

« Enjoint le saint concile à tous les évêques et à tous autres qui sont « chargés du soin et de la fonction d'enseigner le peuple qu'ils instruisent, sur toutes choses, les fidèles avec soin touchant l'usage légitime des images : leur enseignant que les images de Jésus-Christ, de la sainte Vierge, Mère de Dieu, et des autres saints, doivent être conservées, principalement dans les églises, et qu'il leur faut rendre l'honneur et la vénération qui leur est due : non que l'on croit qu'il y ait en elles quelque divinité ou quelque vertu pour laquelle on leur doive rendre ce culte, ou qu'il faille leur demander quelque chose, ou mettre en elles sa confiance, comme faisaient autrefois les païens, qui plaçaient leur espérance dans les idoles ; mais parce que l'honneur qu'on leur rend est rapporté aux originaux qu'elles représentent, de manière que par le moyen des images que nous baisons, et devant lesquelles nous nous découvrons la tête et nous nous prosternons, nous adorons Jésus-Christ, et rendons nos respects aux saints dont elles portent la ressemblance. Les évêques feront aussi entendre avec soin que les histoires des mystères de notre rédemption, exprimées par peintures ou par autres représentations, sont pour instruire le peuple et l'affermir dans la et pratique, dans le souvenir et le culte assidu des articles de la foi ; de plus, que l'on tire encore cet avantage considérable de toutes les saintes images, non-seulement en ce qu'elles servent au peuple à lui rafraîchir la mémoire des faveurs et des biens qu'il a reçus de Jésus-Christ, mais parce que les miracles que Dieu a opérés par les saints et a les exemples salutaires qu'ils nous ont donnés sont, par ce moyen, continuellement exposés aux yeux des fidèles, pour qu'ils en rendent grâces à Dieu, et qu'ils soient encouragés à conformer leur vie et leur conduite à celles des saints, à adorer Dieu, à l'aimer, et à vivre dans la piété. Si quelqu'un enseigne et croit quelque chose de contraire à ces décrets : qu'il soit anathème.  Que s'il s'est glissé quelque abus parmi ces observances si saintes et si salutaires, le saint concile souhaite extrêmement qu'ils soient  entièrement abolis ; de manière qu'on n'expose aucune image qui puisse induire à quelque fausse doctrine, ou donner occasion aux « personnes grossières de tomber en quelques erreurs dangereuses. Et s'il arrive quelquefois qu'on fasse faire quelques figures ou quelques tableaux des histoires ou événements contenus dans les saintes Écritures, selon qu'on le trouvera expédient pour l'instruction du peuple, qui n'a pas connaissance des lettres, on aura soin de le bien instruire qu'on ne prétend pas par-là représenter la Divinité, comme si elle pouvait être aperçue par les yeux du corps, ou exprimée par des coupleurs et par des figures.

Dans le saint usage des images, on bannira aussi toute sorte de superstition, on éloignera toute recherche de profit : indigne et sordide ; et on évitera enfin tout ce qui ne sera pas conforme à l'honnêteté (omnis lascivia vitetur, ita ut procaci venustate imagines nec pingantur, nec ornentur), de manière que ni dans la peinture, ni dans l'ornement des images, on n'emploie point d'agréments, ni d'ajustements profanes et inconvenants....

Ordonne le saint concile qu'il ne soit permis à qui que ce soit de mettre ou faire mettre aucune image extraordinaire et d'un usage nouveau, dans aucun lieu, dans aucune église, quels que soient ses privilèges « d'exemption, sans l'approbation de l'évêque. (Session xxv.) »

Le concile, on le voit, après avoir défini les images en tant qu'elles peuvent être l'objet d'un culte, en détermine la haute utilité en tant qu'elles sont un objet d'enseignement. Et, quant aux abus qu'il condamné, nous devons noter soigneusement ce qu'il dit des images susceptibles d'induire en erreur sur les vérités chrétiennes, et de celles qui ont besoin seulement d'explication. Nous nous en souviendrons lorsque nous traiterons en général de l'invention, de  la composition, et d'une manière spéciale en abordant les sujets qui tombent plus particulièrement sous les prescriptions du concile, comme les figures par lesquelles il est permis de représenter Dieu considéré dans sa nature divine. Également, en temps et lieu nous rejetterons, conformément à ces prescriptions, toutes les images qui ne remplissent pas suffisamment les conditions de décence et de moralité réclamées par leur destination, et nous nous tiendrons soigneusement en garde contre toute représentation extraordinaire ou seulement inusitée jusqu'à ce qu'elle ait été approuvée par l'autorité compétente.

Le concile de Trente ne signale comme exigeant une approbation que les images d'une forme inusitée ; mais, eu égard à de nombreux abus, Carli pense que même les images de formes usitées ne devraient pas être exposées elles-mêmes sans avoir été approuvées[37].

Les superstitions comme les profits illicites dont les images peuvent être l'occasion à l'égal de tout autre objet d'une vénération quelconque, sont au contraire étrangères à nôtre sujet, et le concile lui-même se contente de les repousser en peu de mots, les jugeant sans doute peu à craindre après les explications qu'il a données et avec la surveillance qu'il recommande.

Voyons au contraire, à la lumière des décisions et des pratiqués de l'Église, en combien de manières les images nous peuvent être profondément utiles et fortement recommandées, afin de comprendre de plus en plus ce qu'elles sont dans leur nature, ce qu'elles doivent être dans leur exécution.

 

[1] Marangpni, Cose Gentilesche, in-4°, Roma, 1744, cap. xi. Somme de saint Thomas, II,II, 2,-XCIV, a. 2, ad 3.  [2] Types imitatifs de l'art, in-8», 1834, p. 10. [3] Placuit picturas in Ecclesia esse non debere, ne quod colitur et adoratur in parietibus depingatur. (Can. XXXVI)

[4] 2. Carli, Bibliotheca liturgica. Brescia, 1833, ouvrage malheureusement inachevé, T. II, p. 113 et suiv. Bona, Rer. Liturgiq., T. 1, p. 328. [5] Capisucchi, Contr., XXVI, 15, où il cite Martin de Ayala, Vasquez et beaucoup d'autres à l'appui de celte interprétation. [6] Benoît XIV, De serv Dei beat., etc., Lib. IV, Pars II, cap. XXI. sect 3. [7] Clem. d'Alex., Pedag., Lib. 111 ; Marangoni, Cose Cent., p. 75. [8] Tertul., De Idolatr., cap. XI ; contra Hermog, cap. I. [9] 7. Cigognara, Storia della scultura, in-fol. Venise, 1813, T. 1, p. 108. [10] 8. Emeric David, Hist. de la Peinture, Paris, 1842, in-18 angl., p. 46. [11] 9. Raoul Rochelle, Types imitatifs de l'art, in-8°, 1834; Tableau des Catacombes, in-12, 1838. [12] 10. Pauli Ernesti Jablonski, Opuscula, T. III, p. 377 à 406, in-8°. Lugduni Batav. 1809. [13] 11. Bibliothèque Germanique, in-12, années 1727 et suiv. Amsterdam, T. XIII, XX, XXV, XXVII, XXVIII, XXXI. [14] Actes du deuxième Concile de Nicée, Actio II, id. VI ; S. Nicéphore, Spicileg. solemn. T. 1, p. 459; Capisucchi, Controversiae, in-fol., Roma, 1677, p. 608 ; Trombelli, De cultu sanct., in-4°, Bologna. 1743, T. II, p. 56; Paleotti, De Imag. sacr., in-4°, Ingolstadt, 1544, p.115.  [15] Bosio, Roma sotterranea ; Arringhi, Roma subterranea ; Bottari, Pitture e sculture sacre ; Boldetti, Osservazioni su i Cimeieri ; Marangoni, Storia della capella di sancta sanctorum. [16] 2. D'Agincourt, Histoire de l'art par les monuments, Peinture, p. 20 et suiv. [17] Ciampini, De sacris oedificiis a Constant. constructis, in-folio, Roma, 1603 ; Liber pontificalis, Vita sancti Sylvestri ; Collection des Conciles, Éd. du Louvre, T. XIX, p. 245; Lettre d'Adrien 1er à Charlemagne, même volume; dom Guéranger, Origines de l’Eglise Romaine, in-4°, Paris, 1836, p. 174; de Vogue, Les Eglises de la Terre-Sainte, in-4°, Paris, 1860; Eusèbe, Vita Constant., Lib. III et IV, etc. [18] Eusèbe, Vita.Constant., Lib. III, cap. XLVIII. [19] 5. Liber pontif.,Vita sancti Sylvestri. [20] Lettre d'Adrien Ier à Charlemagne.[21] 7. Ciampini, Vet. mon., T. 1, cap. XXI, XXII, XXIV, XXVI XXVII ; T. Il, cap. VII, XIII, XIV, XVI ; Anast. Vies des Papes saint Innocent Ier, saint Sixte III, saint Hilaire, saint Syminaque, Honorius ; Dom Guéranger, Origines de l'Eglise Romaine. [22] Ciampini, Vet. mon., T. I, cap. XX, XXIII, XXV ; T. II, cap. VIII, IX, X, XI, XII.[23] Paulin, Epist. XII ad Sev., Edit. Migne, XXXII; Poema XXVII, De Fel. nat. IX, V. 511 ; Poema XXVIII, De Fel. nat. x, v. 14. [24] Augnst. contra Faustum, Lib.XXII, cap. LXXIII. [25]  S. Grég. de Nysse, Sermon sur S. Théodore.  [26] Id., Sermon sur la vie de Jésus-Christ. [27] S. Grég. de Nazianze, In Carm., et 2° Conc. de Nicée, Actio IV; Paleotti, p. 109. [28] 2e Conc. de Nicée, Actio IV ; Paleotti, p. 109. [29] Ambr., Epist. De inv. corp. Gervas et Protas. ; Bellarmin, Controv., T. II, De imag., C.X ; Selvaggio, Antiquit. Christ. Instit., T. III, p. 65. [30] Collect. des Conc, T. XIX, p. 241.  [31] 10. Id., p. 302 ; Gretzer, Oper. T. XVII, p. 29.

[32] Chrysost., Orat. a Telesium ; Capisucchi, Controv., p. 608.[33] Theodor., Lib. Theoph., cap. XXVI ; Paleotti, p. 121. [34] Collect. des Conciles, 2°Conc de Nicée, T. XIX, p. 242, Actio IV. [35] Capisucchi, Controv., p. 608 ; Selvaggio, T. III, p. 63. [36] 5. Grog., Lib. VII, Epist. 109 ; Lib. IX, Epist. 9 ; Paleotti, p. 102.  [37] 1. Carli, Biblioth. Liturg., p. 103 à 127.

 

Paray-le-Monial. Basilique. Photos ©Rhonan de Bar. 8.9.2017
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III

RESTRICTIONS PRIMITIVES, EN QUOI ELLES CONSISTAIENT.

Les évêques d'Occident n'avaient point pris part au deuxième concile de Nicée. Trompés par une traduction défectueuse de ses actes, ils ne crurent pas d'abord devoir l'accepter ; mais ce n'était qu'un malentendu : la doctrine dont ils firent profession au concile de Francfort, en 794, ne différait sur aucun point essentiel de celle qui avait été définie à Nicée, puisqu'ils permettaient les images en dehors et au dedans des églises, en autorisaient le culte  sans le rendre obligatoire, et défendaient de les détruire.

Nous pourrions nous étonner, il est vrai, qu'ils ne les aient pas recommandées plus fortement ; mais il faut observer qu'ils étaient réellement préoccupés de l'abus que l'on pouvait en faire. Les saintes images n'ayant point été chez eux l'objet de ces violentes attaques qui avaient ensanglanté l'Orient, ils ne sentaient pas non plus autant le besoin de les défendre. En présence, au contraire, de peuples grossiers et tout nouvellement convertis à la foi, ils pouvaient craindre quelques superstitions.

L’Église n'enseigne point que l'usage des saintes images soit absolument nécessaire au salut. Elle lès compte parmi les moyens d'action laissés à sa disposition, qu'elle peut, selon les circonstances, permettre, ordonner ou restreindre [1]; ses prescriptions, à cet égard, rentrent dans l'ordre des choses dites de droit positif.

Il n'est aucun doute que l’Église ne puisse aller jusqu'à une interdiction momentanée des images; mais, hâtons-nous de le dire, nous sommes persuadé, en fait qu'elle n'a jamais pris cette mesure extrême, parce qu'elle ne s'est pas trouvée dans le cas de la prendre, et nous ferons en sorte d'en exposer les raisons.

Que les images, cependant, aient toujours été également répandues, également honorées, toujours l'objet des mêmes prescriptions liturgiques, que la liberté, pour les produire, ait toujours été la même : il ne vient dans l'esprit de personne de le prétendre. C'est à nous rendre compte de la nature et de l'étendue des restrictions que primitivement leur usage a pu subir, que vont être consacrées nos premières réflexions.

Les habitudes, les pratiques et, jusqu'à un certain, point, les croyances de la primitive Eglise nous apparaissent comme couvertes d'un voile, souvent transparent, au-delà duquel l'Eglise, quand elle prononce, jette toutes les clartés de ses décisions, voile, cependant, qui n'en projette pas moins, sur ses commencements, une ombre mystérieuse.

La situation précaire des premiers chrétiens, la destruction des monuments qui auraient pu nous éclairer à leur égard, la nuit des temps comme l'on dit, qui nous en séparent, ne suffisent pas pour l'expliquer.

Nous savons que l’Église s'était fait une règle formelle de prévenir les profanations, les interprétations extravagantes auxquelles les plus naturelles de nos pratiques, les plus saints de nos mystères eussent été exposés, s'ils avaient été manifestés sans préparation à des hommes formés à l'école du paganisme.

Le fidèle initié, après de longues et minutieuses épreuves, devait bien se garder de divulguer ce qu'il avait vu, de répéter ce qu'il avait appris.

Quant aux images, on comprend que cette discipline du secret ayant pour effet de nous les faire paraître moins nombreuses qu'elles ne l'étaient, de ne pas nous laisser voir comment on les honorait, ait amené deux autres conséquences directes : elle dut nuire à leur multiplicité, elle dut contribuer à leur donner leur forme symbolique. Il fallait que, comprises facilement quand on en avait la clef, elles restassent inintelligibles pour les profanes.

Avant de se propager parmi les Gentils, l’Évangile avait été prêché d'abord au peuple juif. Le Sauveur et les apôtres étaient sortis de son sein, les premiers des chrétiens lui appartenaient. Bien revenu du penchant qu'il avait eu autrefois pour l'idolâtrie, il n'avait plus pour elle que de l'horreur. Elles étaient donc pour lui sans danger.

D'ailleurs, les disciples de la nouvelle alliance, qui avaient vu de leurs yeux, touché de leurs mains, entendu de leurs oreilles le Dieu fait homme, se trouvaient dans une situation pour laquelle les principes de l'ancienne loi cessaient d'être applicables. Conservant dans leur souvenir l'empreinte de ses traits vénérés, ils devaient chercher à les transmettre par une image sensible, c'est la nature qui le demande ; et pour lui ôter la liberté de suivre un attrait en lui-même si légitime, il eût fallu une prescription toute spéciale. Les vraisemblances, d'accord avec les traditions, nous le démontrerons dans la suite, veulent que les premières images du Sauveur remontent aux temps apostoliques.

Faire une image de Jésus-Christ, c'était faire une image de Dieu, puisque Jésus-Christ est Dieu. La plupart des défenseurs des saintes images n'en concluaient pas, cependant, que la prohibition de la loi mosaïque fût si absolument levée, qu'il leur fût permis de représenter Dieu en tant que Dieu[2] ; généralement on indiquait sa divine présence au moyen d'une main. Pour représenter le Saint-Esprit, la figure de la colombe s'introduisit assez promptement, au Ve siècle au plus tard. Mais, d'après le langage des défenseurs des images au second concile de Nicée, et longtemps, après encore/nous croirions que l'on s'était, interdit jusque-là, sans réserve, de représenter Dieu le Père et le Saint-Esprit sous aucune figure humaine, si ce n'étaient les exceptions observées sur les sarcophages du IVe et du Ve siècle, qui seront l'objet de nos études ultérieures.

KRYSTOS

L'horreur des idoles conduisit plus loin : les idoles en général, et absolument peut-être, étaient des statues; dans le Décalogue et en d'autres passages des saintes Écritures, elles sont plus expressément réprouvées sous le nom d'œuvres de sculpture[3] : en conséquence les statues furent proscrites des églises, du moins en Orient, les actes du second concile de Nicée nous en fournissent la preuve[4], et, depuis, elles n'ont pas cessé d'y subir plus ou moins une certaine, défaveur[5]. Si on fut au moins sévère en Occident comme le prouvent plusieurs passages du Liber pontifïcalis[6], il paraît, néanmoins, que pendant longtemps on ne fut pas sans y apporter quelque timidité.

Nous pouvons encore compter parmi les restrictions le soin de ne jamais représenter la croix Comme un instrument de supplice, mais comme un signe de triomphe ; de ne pas y attacher le Sauveur mourant, mais de la lui mettre à la main comme un trophée; de ne pas représenter les tortures du martyre, mais de le rappeler par les figures des jeunes Hébreux dans la fournaise, de Daniel dans la fosse aux lions , afin qu'il n'apparût jamais sans l'idée de la protection divine et de la délivrance finale, tant, que l'on sentit le besoin de tremper les âmes plutôt que de les attendrir.

Les jours d'épreuves passés, les représentations des martyrs devinrent familières, de nombreux passages des Pères nous le prouveront bientôt; peu après, au VIe siècle, apparaîtra l'image du crucifix. Mais l'idée du triomphe, qui avait d'abord prévalu, ne s'effaça pas pour cela des esprits : elle fut préférée pendant longtemps encore, dans la représentation du Crucifix même. Au moyen âge, on ne craignait plus devoir couler le sang de Jésus-Christ sur la croix; mais ce sang même était recueilli par l'Église personnifiée, comme le premier des trophées, comme le signe le plus palpitant de sa puissance.

Que pouvons-nous conclure de là, sinon que même dans la restriction motivée, par les circonstances de son existence primitive, l'Église laisse apercevoir, par rapport aux images, comme à toutes ses autres institutions, l'esprit qui n'a pas cessé de l'animer. Ce qui a des yeux superficiels paraîtrait un changement, n'est que le plus naturel et le plus légitime des développements.

 

[1] Petav., Theol. dogm., De Incarnat., Lib. XV, cap. XIII ; Bossuet, Fragments, éd. Gauthier, p. 251 ; Perrone, Theol, éd. Migne, T. 1, col. 1217. [2] S. Jean Damascène, De Fide orthodoxa, T. I Operum. Paris, 1712, p. 280.  [3] Sculptile, Exode, xx; Levit., XXVI; Deut., IV ; Ps. XCVI. [4] Lettre de saint Germain à l'évêque de Claudiopolis, Actes du Concile de Nicée, Collect. des Conciles, T. XIX, p. 322. [5] Guill. Durand, Rational, Lib. I, cap. m. g 2. 

[6] 4. Vies des papes saint Sylvestre, saint Sixte, saint Syminaque. Dom Guéranger, Origine de l'Église Romaine, in-4°. Paris, 1831,-p. 275.

 

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ÉTUDE Ire

DOCTRINE DE L’ÉGLISE RELATIVEMENT AUX IMAGES.

II

DU DEUXIÈME CONCILE DE NICÉE.

Les trois cent cinquante évêques réunis à Nicée en 787, sous la présidence des légats du pape Adrien Ier et de saint Taraise, patriarche de Constantinople, pour définir la doctrine de l'Eglise touchant le culte des images, avaient, dans le cours de six sessions, recherché avec soin tout ce qui pouvait éclairer la question ; ils avaient invoqué le témoignage des anciens Pères, celui des faits, résolu les objections. Arrivés au terme delà septième session, ils allaient prononcer : un des évêques lut, au nom de tous, une exposition motivée de leur foi ; appuyés sur la tradition : ils déclarèrent que l'on avait fait et que l'on pouvait faire « des images, « qui, d'accord avec l'histoire de la prédication évangélique, viennent « attester que le Verbe a pris la nature, humaine, réellement, et non pas « d'une manière purement apparente ». Ils comparaient les images à l'écriture, et constataient l'utilité qui résultait pour les fidèles de ces deux modes d'enseignement ; et, comme conséquences, ils arrivaient à leur sentence doctrinale, ainsi conçue :

« Nous décidons que, de même qu'on expose la figure de la croix précieuse et vivifiante, ainsi les vénérables et saintes images, soit de couleurs, soit de pièces de rapport ou de quelque autre matière convenable, seront exposés dans les saintes églises de Dieu, sur les vases et vêtements sacrés, sur les murailles, sur des tables de bois, dans les a maisons et sur les chemins, aussi bien les images de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ ; que celles de notre Dame immaculée, la sainte Mère de Dieu, celles des vénérables Anges et en général de tous les hommes saints et justes. Plus, en effet, on les voit dans leurs images, plus ceux qui les contemplent sont excités au souvenir et à l'amour des « originaux.»

Les Pères du concile distinguent ensuite le culte que l'on rend aux images, du culte de latrie, qui est réservé à Dieu seul; ils confirment cependant la pieuse coutume de les entourer de cierges allumés, de brûler devant elle de l'encens comme devant la croix, le livre des Évangiles et autres choses semblables.

« Celui, en effet, qui honore l'image, ajoutent-ils, honore, en elle, « celui que l'image représente. »

Tous les Pères souscrivirent à cette décision solennelle, et portèrent ensuite des anathèmes contre les hérétiques qui soutiendraient les erreurs condamnées. Voici un de ces anathèmes :

« Si quelqu'un ne confesse pas que Jésus-Christ est un Dieu qui, selon « son humanité, a pris un corps réel et déterminé (circumscriptum secuno dum humanitatem), qu'il soit anathème ! Si quelqu'un n'admet pas « les récits évangéliques représentés en peinture, qu'il soit anathème! »

Les Pères du concile écrivirent ensuite une lettre à l'empereur et à l'impératrice, pour les instruire de ce qu'ils avaient fait. Nous en faisons l'extrait suivant :

« Par la grâce du Saint-Esprit, nous avons proclamé la vérité, « nous avons déclaré qu'il fallait à tous égards respecter les saintes « images de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui le représentent selon qu'il « s'est véritablement fait homme (perfectus est homo factus) ; les représentations figurées en tant qu'elles racontent à leur manière les faits « évangéliques, les images de Notre-Dame sans tache, la sainte Mère de « Dieu, des saints Anges (selon qu'ils sont apparus aux hommes) et de « tous les saints. »

Nous signalons la persistance avec laquelle le concile insiste sur \g. réalité de l'Incarnation et, nous dirions, sur le caractère scriptural des saintes images, par la raison qu'il n'est rien déplus fait pour nous éclairer sur la dignité et le caractère de l'art chrétien, dont l'unique objet est de les produire.

En parcourant tout l'ensemble des actes de ce concile, les lettres des papes saint Grégoire II et Adrien Ier, qui l'ont précédé ou suivi, les écrits des autres défenseurs des saintes images, saint Jean Damascène, les patriarches de Constantinople, saint Germain et saint Nicéphore, on est frappé de la place qu'y tiennent toujours ces mêmes pensées.

Entre la double réalité de la divinité et de l'humanité du Sauveur, d'une part, et de l'autre, l'usage et le culte des images, avec tous les arts qui en dépendent, il y a la plus intime connexion. Au début, en effet, des grandes hérésies qui eurent de commun, en s'entre-combattant, de saper par sa base le mystère de l'Incarnation, et de nier que Notre-Seigneur Jésus-Christ fût à la fois vrai Dieu et vrai homme, l'arianisme manifesta une sensible aversion pour les images du Dieu-Homme. Elle n'est que trop bien constatée dans les écrits d'Eusèbe de Césarée, comme la remarque en fut faite expressément au 2e concile de Nicée[1]. Philostorge, arien déclaré, se prononce également contre les images. Cette aversion fut portée plus loin encore par les Nestoriens, et, au terme de ces luttes Suprêmes, la rage sauvage des iconoclastes ne semblerait être que le dernier effort de l'enfer vaincu. Impuissant contre la personne sacrée du Christ, il s'en prend à ses images. L'honneur qu'on leur rend remonte à la personne. Il savait, que l'on ne renverse pas, que l'on né profane pas l'image, si déjà n'a germé dans le coeur Une haine au moins sourde et secrète contre la personne : en un mot, cette haine de Dieu, qui est un des mystères de l'enfer. D'un autre côté, le fidèle, en voyant outrager l'image de celui qu'il adore, se sent atteint dans sa foi. Lorsque l'émissaire, de Léon l'isaurien monta pour renverser celle qui à Constantinople semblait le mieux, par sa place et ses proportions, figurer la souveraineté de Notre Seigneur Jésus-Christ sur la ville et sur le monde, il fut renversé lui-même et mis en pièces par le peuple ameuté.

Les rapports de l'hérésie des iconoclastes avec le mahométisme qui venait de naître sont sensibles : l'une et l'autre avaient été préparés par Arius, Nestorius, Eutychès ; et dans les emprunts qu'il voulut faire à la vraie religion, il est remarquable que Mahomet ait eu pour maîtres un juif et un moine nestorien.

De quelque côté qu'on l'envisage, il y a une solidarité évidente entre le mystère d'un Dieu fait homme et ses images, leur usagé et le culte qu'on leur rend, et, par extension, avec les images des saints.

Dieu s'est fait homme, disaient les Pères de l'Église; il a vécu parmi les hommes, il a conversé avec eux, ils l'ont vu de leurs propres yeux, louché de leurs mains ; ce corps qu'il a pris pour notre salut dans le sein de Marie, qui, déposé dans le tombeau au jour de sa mort, est ressuscité glorieux, le troisième jour, toujours identiquement le même, il est aujourd'hui dans le ciel au milieu des splendeurs des saints; il est dans l'Eucharistie où il se cache : donc nous pouvons le représenter comme un corps toujours vivant et véritable ; et, l'image de Jésus-Christ, puisqu'il est Dieu, est pour nous l'image même de Dieu : nous l'honorons en conséquence. Dans une situation si nouvelle, les prescriptions de l'ancienne loi qui défendaient de figurer la divinité, ont dû, quelle-que fût leur portée, tomber comme une lettre morte[2].

Jésus-Christ vient au monde : aux sévères et solennelles majestés du culte divin, viennent aussitôt se joindre les assiduités tendres et multipliées de la piété chrétienne. Près de la crèche se pressent les bergers, les Mages y accourent, le saint vieillard Siméon le prend affectueusement entre ses bras, et chacun des baisers de sa très-sainte Mère est un acte d'adoration. Dieu est avec nous, il est le fils de Marie, il est notre frère, l'un d'entre nous. La Magdeleine arrose ses pieds de ses larmes, saint Jean se couche contre son sein ; et toutes les démonstrations par lesquelles, entre nous, nous nous témoignons du respect, de la confiance, de l'amour, applicables au vrai Dieu, peuvent devenir autant d'actes du culte souverain que nous lui rendons.

Il a quitté la terre ; mais son souvenir y resté vivant, plus vivant que celui d'aucun autre, qui, par ses grandes actions ou par ses bienfaits, ait jamais pu y marquer sa place.

L'art chrétien a pour principal objet de représenter Dieu, Dieu Incarné ; de rendre accessibles pour les sens les merveilles de sa grâce: donc, eh quelque manière, cet art est divin, il est saint au premier titre, et il demande d'être traité comme une chose éminemment sainte. L'art antique, lui aussi, à son origine, était quelque chose de sacré; C'est parce qu'il avait surtout à faire des dieux, qu'il s'est élevé par-delà les beautés de la nature jusqu'au beau idéal. Autant l'idée du vrai Dieu est au-dessus de ces dieux de commande, rêvés parfois avec quelque bonheur par l’imagination de la Grèce, autant en travaillant sur le type, seul réellement divin du Sauveur, l'artiste chrétien doit s'élever au-dessus du génie antique, et montrer, par la supériorité de ses vues, qu'il parle une langue nouvelle.

 

[1] Actio v Conciliorum T. XVIII. Paris, 1644, in-folio, p. 386. — Actio VI, id., id., p. 519.

[2] 1. Actio v Concil., T. XIX, p. 374, 315. — Actio vi, id., id., p. 451, .189, etc. Damasc, Opéra, 2 vol. in-fdl. Paris, 1712 T. I, p. 207, 310, 331, 345, etc

Concile de Nicée. © Domaine public.

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GUIDE  DE  L'ART CHRÉTIEN

ÉTUDES D'ESTHÉTIQUE ET D'ICONOGRAPHIE

PREMIÈRE PARTIE

RÈGLES GÉNÉRALES DE L'ART CHRÉTIEN

EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE,

L'art dans son acception la plus large s'entend de tout ensemble de connaissances, de règles, d'aptitudes considérées relativement à des conséquences pratiques, et c'est en quoi il diffère de la science qui de son' essence est purement spéculative. Nous disons également l'art de penser, l'art de guérir, les arts mécaniques, les arts industriels, les arts libéraux, et de chacune de ces choses en particulier l'on peut dire qu'elle est un art; mais, si nous disons l'art d'une manière absolue et par excellence, il est entendu que nous y attachons avant tout l'idée du beau : en d'autres termes, que nous parlons des beaux-arts, c'est-à-dire des arts qui ont le beau pour moyen obligatoire, sinon pour but exclusif. Saint Augustin dans un sens sublime applique ce terme d'art au Verbe éternel : c'est lui en effet qui est l'artiste suprême, par qui toutes choses ont été faites. Si nous disions seulement le suprême artisan, nous ne ferions pas assez sentir quelle est la beauté de ses oeuvres.

Leur bonté cependant passe avant leur beauté : vidit Deus quod esset bonum! et nous nous garderons de penser que le beau soit l'objet définitif  de l'art, indépendamment de celte utilité supérieure que constitue le bien. La plus grande supériorité de l'art sur le métier, c'est qu'il s'élève jusqu'aux aspirations de l'âme, tandis que le métier s'arrête aux besoins du corps. Si l'utile paraît quelque chose de relativement inférieur, c'est qu'on le prend trop bas : il y a de sublimes utilités. L'utile est la règle de l'architecture, le premier des beaux-arts. Un édifice doit avoir une destination à laquelle soient adaptées toutes ses parties: et chacune d'elles doit concourir à la solidité du tout. L'élévation morale de sa destination doit être l'âme de tout ce qu'on pourra lui donner d'élévation monumentale, élévation qui manquerait son but si elle était obtenue au détriment de ce qu'elle doit signifier : au détriment de sa noble destination; si c'est une église, au détriment des fidèles qui doivent s'y assembler et des rites sacrés, qui doivent s'y accomplir. En prenant une autre voie, les esprits les mieux doués au lieu de se laisser guider par le bon sens pour aller au génie iront facilement s'égarer dans le vague et se perdre dans le creux. Les monuments purement commémoratifs ne sont pas affranchis, de cette loi : il faut les mettre en rapport avec ce qu'ils doivent rappeler, et l'on aurait grand tort de croire que la musique elle-même, celui de tous les arts auquel il semble le plus permis d'errer dans l'indéfini, puisse y trouver de la puissance. Aimer à se sentir bercé vers des horizons ignorés et des impressions inconnues, c'est bon quand on ne sait ni voir, ni vouloir, ni fixer ses espérances; mais, pour nous, chrétiens, qui avons des aspirations bien définies, nous demandons à la musique elle-même de nous soulever où nous voulons monter, et nos accords auront des accents précis.

Nous ne prétendons pas embrasser dans nos études tous les beaux-arts, mais nous attacher aux arts d'imitation qui tous reviennent plus ou moins à la peinture et à la sculpture.

A voir la plupart des définitions qui en ont été données dans les siècles précédents, définitions qui peuvent se résumer en ces termes, pour la première: l'art d'imiter la nature en projetant sur une surface plane des lignes, des ombres et des couleurs[1]; pour la seconde : l'art d'imiter la nature en donnant à une matière solide la forme palpable des choses, il semblerait que l'imitation de la nature est leur unique but : cette imitation suffisant d'ailleurs pour remplir les conditions du beau Dufresnoy s'élève plus haut et se rapproche de la vérité quand il appelle la peinture, une poésie muette. A nos yeux, les arts d'imitation sont avant tout une langue et cette manière de les considérer devient obligatoire pour nous qui voulons nous en occuper au point de vue chrétien.

L'imitation la plus vraie de la nature, la plus fidèle traduction, le plus heureux choix de ses beautés ne sauraient nous suffire comme fin; nous les voulons comme moyen d'atteindre un but plus élevé.

« Le but suprême de l'art, c'est d'enseigner d'utiles vérités par le « moyen du charme qu'il exerce sur les sens », dit M. Selvatico, après avoir déclaré qu'il fait peu de Cas de l'art qui ne prétend à la beauté que par la forme et qui ne se propose d'autre but que de plaire[2] i.

M. Charles Blanc, avec les vues élevées qui le caractérisent dans ses études approfondies sur l'art, fait entrer dans ses définitions l'expression des idées, des sentiments, du caractère, pour la sculpture[3], et ce qui revient au même, toutes les conceptions de l'âme pour la peinture[4]. Nous différons de lui seulement quant à la précision du but, dans lequel nous faisons entrer la notion de l'utile, et cette différence ne tient qu'à la diversité de nos points de vue.

Il n'est pas une œuvre d'art chrétien qui ne manque son but si elle ne se résume dans une impression favorable au salut. L'imitation de la nature et la beauté plastique ne sont que des moyens d'attirer les sens, et de fixer l'esprit et le cœur sur de saints exemples, sur des mystères sacrés, des préceptes divins, de pieux sentiments, des aspirations généreuses; mais aussi à combien de beautés supérieures qui ne sortent pas du domaine du sens, l'accès ne lui est-il pas ouvert? Ces beautés rejaillissent des sommets élevés où l'art est allé les atteindre jusque sur les formes et les couleurs qui lui servent de corps, et ce qui aux yeux de l'homme plongé dans la matière, semblerait le mettre plus à l'étroit, devient le secret de sa plus grande puissance, et la source de ses plus heureux développements.

Comment choisir son sujet, comment déterminer et grouper les figurés qui doivent entrer dans sa composition, quelles expressions donner à ses personnages, quels linéaments aux corps imités de la nature, et, s'il s'agit de peinture, comment distribuer les ombres et les couleurs? Telles sont les questions auxquelles entreprend de répondre quiconque essaie de traiter des arts d'imitation. Telle sera aussi la première partie de notre tâche. Nous nous efforcerons de la remplir, sans jamais oublier que nous faisons une étude de l'art, mais surtout que notre objet est l'art chrétien. Nous dirons, dans autant d'études distinctes, quels doivent être l'invention, la composition, l’expression, le dessin, le clair-obscur, le coloris, pour satisfaire aux justes exigences de l'homme de goût. Nous essaierons de le faire en homme qui s'est pénétré des beautés répandues dans toutes les œuvres de la création et qui a su apprécier le choix que les anciens en ont fait. Nous ne dédaignerons aucun des procédés, aucune des observations, aucune des ressources que le temps et l'étude ont mis au service des artistes modernes; mais nous nous proposons par-dessus tout de subordonner toute sorte de goût, toute beauté, toute ressource artistique aux vérités chrétiennes, aux exemples de saints : persuadé que l'art n'a pas de meilleur moyen de les embellir que de les faire paraître tels qu'au sein de l'Église on apprend à les comprendre.

La Grèce antique eut son beau idéal. L'art Chrétien, selon l'expression de Joseph de Maistre [5], s'est élevé à l'idéal de l'idéal : il s'agit pour nous ou de l'y ramener ou de l'y maintenir. Nous le ferons par rapport à chacune des parties de l'art lorsque nous en traiterons en détail; nous croyons cependant utile de développer, à notre point vue, d'abord, les notions générales d'esthétique que nous venons d'émettre, dans une Étude spéciale.

De même, bien que nous ne devions traiter de rien sans recourir aux lumières que nous fournirons sur chaque sujet les maîtres de la science sacrée: comme la doctrine de l'Église au sujet des représentations figurées, du culte des images, de l'usage qu'elle en fait dans la liturgie, de la décoration des monuments religieux, domine toute la matière, nous commencerons par en faire un exposé général, qui facilitera l'intelligence des applications particulières que nous en ferons dans tout le cours de ces Études.

Nos notions dogmatiques une fois données, nos principes d'esthétique posés, non content d'analyser ce que les auteurs spéciaux par rapport à la technique de l'art ont dit de l'invention, de la composition et de ses autres parties, nous rattacherons à chacune d'elles des considérations plus étendues, relatives au point de vue sous lequel nous les envisageons. A l'invention nous rattacherons tout ce qui concerne le choix du sujet; ses sources, telles que l'histoire, la légende ; ses convenances par rapport au lieu, à l'usage, à l'effet que l'on doit produire, aux différentes branches de l'art ; à la composition nous rattacherons des idées générales de symbolique, d'iconographie ; au dessin, tout ce qui concerne les formes extérieures, le nu, les vêtements ; au coloris, un mot sur la signification des couleurs.

Arrivé, en suivant cette marche, au terme .de notre première partie, nous nous attacherons à l'étude de l'iconographie chrétienne. Faisant l'application des idées que nous aurons émises, nous examinerons comment l'on doit, comment l'on peut représenter Dieu, la sainte Vierge, les anges et les saints; rapporter les faits de l'histoire sacrée, personnifier les êtres matériels, comme le ciel et la terre, les êtres de raison, comme les vertus et les vices. Notre première partie étant comme la grammaire de la langue parlée par l'artiste chrétien, nous en ferons ensuite un dictionnaire raisonné que nous diviserons en trois autres parties consacrées à l'iconographie générale, à l'iconographie spéciale des mystères de la religion chrétienne, et à l'iconographie des saints.

Toute langue se forme par l'usage, et c'est surtout sur la signification des mots que l'usage exerce un empire presque souverain le langage de l'art, comme tous les autres langages, est soumis à cette loi : nous voulons d'autant mieux la respecter qu'en toutes choses nous n'aimons rien tant que l'esprit traditionnel : il rattache les pères et les enfants, et unit dans un même faisceau les forces des générations successives ; rien au contraire ne nous semble délétère et mortel comme l'esprit d'individualisme. L'archéologie nous fournira les données traditionnelles du langage artistique ; ces données toutefois nous ne les accepterons pas Sans contrôle. L'usage pour une langue ne saurait faire loi qu'à la condition de respecter les principes dont l'ensemble constitue son génie. Les données qui nous seront fournies par la science archéologique et la pratique des représentations chrétiennes continuée journellement sous ses yeux, nous ne les admettrons qu'après les avoir soumises à la lumière de la foi catholique ; après avoir acquis le droit de croire qu'elles seront comprises, qu'elles enseigneront la vérité, qu'elles édifieront. C'est à quoi nous servira l'exposé doctrinal par lequel nous allons commencer.

ÉTUDE Ire

DOCTRINE DE L’ÉGLISE RELATIVEMENT AUX IMAGES,

I.

UN MOT DE THÉOLOGIE.

Il nous sied bien à nous, simple brebis dans le troupeau du Seigneur, qui avons toujours à apprendre, sans aucun droit d'enseigner, de nous représenter la Théologie, cette reine des connaissances humaines comme l'a fait Raphaël dans les fresques de la Salle de la Signature, où elle est personnifiée sous la figure de cette âme béatifiée qui guida le poète chrétien au milieu des harmonies de la cité céleste. On se figure trop aisément que la théologie est une science sèche et aride, hérissée d'arguments et de cas de conscience : qu'est-elle cependant?

La Théologie de la Salle de la Signature. (Raphaël.)

« La connaissance des choses divines : « Scientia divinarum rerum c'est-à-dire qu'elle puise incessamment à la source de toute beauté et de tout bonheur. Voyez comme comme son oeil est pénétrant, comme son front est doux et serein, avec quel amour elle répand du ciel sur la terre les consolantes vérités qui coulent là-haut comme des flots sans rivages.

Au-dessous de cette figure, comme développement de la pensée qu'elle exprime, s'étale dans le tableau connu sous le nom de Dispute du Saint Sacrement, la plus magnifique image de l'Église enseignante. Les docteurs au pied de l'autel reçoivent du ciel la parole de Dieu, la méditent et la transmettent. Nous-, nous aimons à nous reconnaître parmi ces fidèles qui se pressent autour d'eux, pour l'entendre de leur bouche, et se la répéter les uns aux autres. Daigne la divine Béatrix toujours nous guider sur leurs pas dans la voie ardue où nous nous engageons !

En soi, il n'est rien de beau comme les vérités chrétiennes, il n'est pas d'aliment pour le cœur, il n'est pas de satisfaction pour l'intelligence qui puisse se comparer à la contemplation de leur harmonie ; il n'est pas pour les arts de sources d'inspiration et plus vives et plus fécondes.

Ce qui en rend l'étude âpre et difficile, ce sont les mille subterfuges de la fausse conscience, ce sont les arguties des sectaires, que le ministre de Dieu, incessamment, est appelé à déjouer. Sachons ne pas nous en plaindre, puisqu'il n'est pas de subtilités, pas d'erreurs, pas d'entraves, qui ne tournent au profit de la vérité, et qui n'aient pour dernier résultat de la mieux faire connaître, d'en mieux faire pénétrer les profondeurs, d'en mieux assurer la possession, d'en mieux préciser les termes. Et quand nous venons, heureux spectateurs de la lutte, cueillir les fleurs de l'arbre, nous trouvons que nos pasteurs et nos guides en ont ôté les épines.

Ce sont les fureurs des anciens comme des nouveaux iconoclastes qui ont élevé dans l'Église, à la dignité et a la certitude d'un dogme, la légitimité et l'utilité des représentations figurées, du culte qu'on leur rend, qui leur ont valu l'honneur d'être au nombre des vérités scellées par le sang des martyrs.

Auditeurs dans la Dispute du Saint Sacrement. (Raphaël.)

L'art chrétien se rattache, comme à ses racines, aux plus hauts, aux plus doux mystères de notre foi. C'est par l'histoire de ces sanglantes controverses qu'on le voit le mieux, et c'est dans la décision des conciles qu'elles provoquèrent, que nous trouverons le fondement de l'édifice que nous entreprenons d'élever, pour en faire comprendre l'importance et pour en déterminer la direction.

 

[1] Alberti. della Pittura, in-8. Milano, 1804, p. 82.

Lomazzo, Trattato délla Pittura, in-8°. Roma, 1844, T. I, p. 2.

Vasari, in-4°. Bologna, 1647, T. I, p. 30 et 42.

De Piles, Cours de Peinture, in-12. Paris, 1708, p. 3.

Mengs, Œuvres, in-4°. Roma, 1787, p. 210.

Watelet, Dict. de Peinture, in-8°. Paris, 1792, p. 50.

Millin, Dict. des Beaux-Arts, in-8°. Paris, 1806, T. III, p. 150.

[2]  Selvatico, Sull educazione del pittore storico, in-8°. Padova, -1842, p. 396.[3] Grammaire des arts du dessin, grand in-8°. Paris, 1870, p. 353. [4] Id., p. 315. [5] De Maistre, Philosoph. de Bacon, chap. VII.

 

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