PREMIER EXTRAIT
1
ARMAND-GASTON
DE
ROHAN-SOUBISE
1704-1749
NOMINATION D'UN COADJUTEUR
A STRASBOURG
L’âge et les infirmités du cardinal Guillaume Egon de Fürstemberg le retenaient depuis quelque temps à Paris, éloigné de son église : il voulut travailler à se procurer un coadjuteur capable de soutenir la splendeur de son siège, par sa naissance comme par ses vertus et ses talents. Il jeta les yeux sur Armand-Gaston-Maximilien, prince de Rohan-Soubise, chanoine capitulaire de la Cathédrale de Strasbourg.
Comme le jeune prince-chanoine n'avait encore que 26 ans, le pape Clément XI lui accorda, en 1700, un bref d'éligibilité.
Le 21 Février 1701 fut désigné pour le jour de l'élection.
Après la messe du Saint-Esprit, les chanoines se réunirent à 8 heures dans la salle des archives de l'Evêché, et le prince de Rohan fut élu. Il fut aussitôt conduit au choeur, où il fut proclamé; on chanta le Te Deum) au son des cloches et au bruit du canon (1).
Cette élection fut agréée par le Roi et confirmée au mois d'Avril par le Pape. Le nouvel élu fut sacré à Paris, le 26 Juin 1701, dans l'église de Saint-Germain-des-Prés, sous le titre d'évêque de Tibériade ou Césarée en Palestine, par le cardinal de Fürstcmberg.
(1) Grandidier. Essais sur la Cathédrale de Strasbourg, p. 165.
L'ÉVÊQUE PRINCE DE ROHAN
A STRASBOURG ET A PARIS
Le cardinal de Fürstemberg étant mort en 1704, le nouvel évêque de Strasbourg, Armand-Gaston de Rohan, fit sa première entrée dans sa ville cathédrale le 5 Juin 1705.
Le 22 Novembre suivant, il sacra dans son église cathédrale, François Blouet de Camilly, vicaire-général et official de Strasbourg, que le Roi avait nommé à l'évêché de Toul. Ce sacre se fit avec beaucoup de solennité. Six abbés en habits pontificaux et en mître, le clergé séculier et régulier de la ville sacerdotalement habillés, assistèrent à cette cérémonie, ainsi que l'état-major et les corps du magistrat et de la noblesse. (1)
Le samedi 31 Août 1715, sur les II heures du soir, à Paris, le curé, le cardinal de Rohan et les ecclésiastiques du château vinrent dire les prières des agonisants. Cet appareil rappela le roi mourant à lui-même; il répondit d'une voix forte aux prières, et reconnaissant encore le cardinal de Rohan, il lui dit: «Ce sont les dernières grâces de l'Eglise» !
Il répéta plusieurs fois: cc Mon Dieu, venez à mon aide, cc hâtez-vous de me secourir » ! et tomba dans une agonie qui se termina par sa mort, le dimanche l or Septembre, à 8 heures un quart du matin.
« Le gouvernement des affaires ecclésiastiques était destiné au cardinal de Noailles. Ce triomphe de Mardochée éloignait les cardinaux de Rohan et de Bissy. Peut-être n'auraient-ils pas fait beaucoup de résistance. Rohan aurait préféré la vie voluptueuse d'un grand seigneur au commerce dégoûtant que la Commission le forçait d'avoir avec un tas de pédants, qui, sans cela, n'étaient pas faits pour passer au-delà de ses antichambres. (2)
1 Grandidier. Essais sur la Cathédrale de Strasbourg. p. 166.
2 Mémoires secrets des règnes de Louis XIV et de Louis XV, T. l,
p. I6I.
Dans une de ses lettres, datée de Paris le 26 Janvier 1719, la caustique Madame, duchesse d'Orléans, écrit à propos du cardinal: « ..... Je sais qui on a voulu dire, en vous parlant d'une princesse, que le prince de Birkenfeld devait épouser.
C'est la nièce du cardinal de Rohan, Mlle de Melun. Je ne le lui conseillerais pas; il aurait le cardinal tout autant pour beau-frère que pour oncle. La desserte d'un prêtre, c'est bien vilain! De plus, leur titre de prince est une pure chimère. Ils sont de bonne maison, mais nullement princes ni princesses .....) Quel coup de pied!
En 1721, lorsque le cardinal de Rohan vint à Strasbourg, la ville lui fit présent de 1000 ducats.
Le cardinal de Rohan, premier du nom, était admirateur de toutes les belles choses. Il acheta, moyennant 36,000 livres, la célèbre bibliothèque de de Thou, possédée alors par le président Ménars. Cette belle bibliothèque fut dispersée lors de la faillite du prince de Guéménée.
Un souvenir bibliographique se rattache encore à la mémoire du cardinal de Rohan. Ce fut lui, qui, en 1725, lors d'une visite à l'abbaye princière de Remiremont, comme délégué apostolique, ordonna l'établissement d'une bibliothèque dans l'illustre chapitre. Ce fut le noyau de la future bibliothèque municipale de Remiremont.
Nous arrivons à la fameuse Bulle Unigenitus.
Le cardinal de Rohan, quoi qu'en dise cette méchante duchesse d'Orléans, était un prélat d'une naissance illustre, formé par les grâces pour l'esprit et la figure, magnifique dans sa dépense, avec des moeurs voluptueuses et galantes, dont une représentation de grand seigneur couvrait le scandale. Cet éminent prélat se reposait de la doctrine sur des savants dont il était le bienfaiteur, et des fonctions épiscopales sur un domestique mîtré. Ces premiers princes de l'Eglise ne regardaient pas autrement les évêques in partibus, quoique souvent très -estimables, qui leur étaient attachés.
Le cardinal de Rohan, comblé de biens et d'honneurs, paraissait n'avoir rien à prétendre, lorsque la mort du cardinal de Janson fit vaquer la place de grand-aumônier.
Tellier (le père) profita de la conjoncture pour engager le cardinal. Il alla le trouver, et lui proposa brusquement d'entrer dans la ligue (contre le Jansénisme) et la Grande Aumônerie pour prix de l'engagement. Le caractère du cardinal l'éloignait des intrigues qui pouvaient troubler ses plaisirs. D'ailleurs, il était attaché d'inclination, de respect et de reconnaissance au cardinal de Noailles, qui l'avait élevé comme son fils, le chérissait, et qui, ne pouvant en faire un saint, le laissait un homme aimable dans la société, et un prélat tranquille dans l'église.
Rohan fut effrayé de la proposition, mais sa douceur naturelle l'empêcha de répondre avec la hauteur qui lui convenait, ou avec l'indignation que méritait l'insolent jésuite. Il chercha des excuses dans la reconnaissance qu'il devait au cardinal de Noailles, et que la princesse sa mère lui avait recommandée en mourant. Tellier traita ces sentiments d'enfances. Le cardinal, pressé de plus en plus, offrit la neutralité; le jésuite la rejeta, déclarant qu'il fallait opter, prendre parti pour ou contre la Société. Le cardinal demanda du temps pour y réfléchir. « Je vous donne trois jours, « reprit Tellier en le quittant, pour y penser; mais pensez « aussi que la Grande-Aumônerie ne peut pas être long « temps vacante. »
Le cardinal, interdit de l'audace du jésuite, en alla rendre compte au maréchal de Tallart, dont le fils avait épousé la nièce du cardinal. Le maréchal, qui prétendait se servir de Rohan pour entrer au Conseil, ne vit dans l'impudence du jésuite que la preuve d'un énorme crédit, et dit au cardinal qu'il devait être flatté du poids qu'on donnait à son nom; qu'il laisserait à des prélats subalternes les disputes et les platitudes scholastiques; qu'il ne serait qu'un grand seigneur de représentation; qu'il devait à son honneur et par conséquent à sa conscience, de ne pas laisser échapper la place de Grand-Aumônier; que, s'il cédait à de vains scrupules, il se verrait éclipser par Bissi, fait pour le suivre partout. Le maréchal, qui ne croyait pas aux consciences de cour, ni à la reconnaissance, traita de fausse délicatesse celle dont le cardinal se piquait dans une occasion unique. Ille séduisit par des louanges, l'effraya de la puissance des jésuites, ct le livra enfin au père Tellier.
Cc fut ainsi que le cardinal de Rohan devint malgré lui le chef d'une cabale. Une compassion assez voisine du mépris le sauva de la haine publique. Il ne prêta guère que son nom, son palais et sa table aux prélats du parti, ct sa voix au père Tellier dont il recevait bénignement les ordres ct l'avouait quelquefois avec humilité. (1)
1 Mémoires secrets sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV. T. I, p. 130 ct suiv.
Cependant le roi, voulant recevoir une bulle que son confesseur lui faisait croire qu'il avait demandée, ordonna une assemblée des évêques qui se trouvaient à Paris. Il y en avait quarante-huit, non compris le cardinal de Noailles, ct ils s'assemblèrent pendant quatre mois, sans pouvoir parvenir à l'unanimité des sentiments. Enfin quarante, à la tête desquels était Rohan, et derrière eux Tellier, acceptèrent la bulle, et huit unis à Noailles, demandèrent des explications.
En 1718, le 7 Juin, M. le cardinal de Rohan publia son mandement pour l'acceptation de la bulle Unigenitus) dont il adressa 11n exemplaire aux différents corps ecclésiastiques de son diocèse ct notamment à celui du grand choeur, dont la plupart des membres étaient nés dans des diocèses de France. Le grand-choeur s'assembla le 25 Septembre suivant. Il reçut le mandement avec respect et le fit déposer dans ses archives. Le prince-évêque renouvela à ce corps, à cette occasion, les sentiments d'estime, de considération et d'amitié, dont il avait toujours honoré ses membres. « Quoique je n'aie jamais douté, dit-il dans sa lettre, de la sincérité de votre attachement pour moi, et que vous m'en ayez donné des preuves distinguées dans tous les temps, ces dernières marques de votre zèle ont beaucoup augmenté l'idée que j'en avais. Vous ne pouviez rien faire, qui me touchât plus sensiblement et qui excitât davantage ma reconnaissance. Ces témoignages de votre amour pour la religion, de votre soumission et de votre respect pour l'Eglise méritent une distinction que vous avez déjà dans mon coeur. » (1)... A suivre
1 Archives du Grand-Choeur de la Cathédrale de Strasbourg.
Le Roy de Sainte Croix (Les Quatre Rohan).