LA CITÉ DE CARCASSONNE. EUGÈNE-EMMANUEL VIOLLET LE DUC.
HISTORIQUE
DESCRIPTION DES DÉFENSES DE LA CITÉ...(Fin)
...Nous ne devons pas passer sous silence un fait très curieux touchant l'histoire de la construction. La plupart des portes et fenêtres des tours du château, du côté de la cour, sont couronnées par des linteaux en béton. Ces pierres factices ont beaucoup mieux résisté aux agents atmosphériques que les pierres de grès; elles sont composées d'un mortier parfaitement dur, mêlé de cailloux concassés de la grosseur d'un œuf, et ont dû être façonnées dans des caisses de bois. Après avoir observé en place quelques-uns de ces linteaux, mon attention ayant été éveillée, j'ai retrouvé une assez grande quantité de ces blocs de béton dans les restaurations extérieures des murailles des Visigoths entreprises au XIIe siècle. Il semblerait que les constructeurs de cette dernière époque, lorsqu'ils avaient besoin de matériaux résistants d'une grande dimension relative, aient employé ce procédé qui leur a parfaitement réussi; car aucun de ces linteaux ne s'est brisé, comme il arriva fréquemment aux linteaux de pierre.
Après avoir franchi la porte du château, on entre dans une cour spacieuse, entourée aujourd'hui de constructions modernes qui ont été accolées aux courtines et tours. Ces constructions ont été élevées sur l'emplacement de portiques datant du XIIIe siècle et dont on retrouve toutes les amorces. Des traces d'incendie sont apparentes sur les parements des constructions du XIIe siècle, et font supposer que ces portiques ont remplacé des constructions de bois garnissant l'intérieur de la cour avant les restaurations entreprises par Louis IX et Philippe le Hardi. Du côté de l'est et du nord les murailles n'étaient doublées que par un simple portique. Du côté sud, s'élève un bâtiment dont toute la partie inférieure date du XIIe siècle et la partie supérieure de la fin du XIIIe avec remaniement au XVième. Ce bâtiment contenait, à rez-de-chaussée, des cuisines voûtées en berceau tiers-point, avec une belle porte plein cintre ouverte dans le pignon. Il sépare la grande cour d'une seconde cour donnant du côté du sud et fermée par une forte courtine du XIIe siècle, complétement restaurée au XIIIième. A cette courtine était accolée une construction présentant un très-large portique à rez-de-chaussée, avec salle au premier étage. On voit encore en place, le long de la courtine, tous les corbeaux de pierre qui supportaient le plancher de cette salle, une belle cheminée dont les profils et les sculptures appartiennent à l'époque de saint Louis; et, à l'angle de la tour carrée n° 31, dite tour Peinte, l'amorce des piles du portique inférieur. Une grande fenêtre carrée à meneaux éclairait du côté sud, vers Saint-Nazaire, la grande salle du premier étage. Cette fenêtre est élevée au-dessus du plancher intérieur, et la disposition du plafond qui fermait l'ébrasement est telle, que les projectiles lancés du dehors ne pouvaient pénétrer dans la salle. A l'angle sud-ouest du château s'élèvent d'énormes constructions, sortes de donjons ou réduits, indépendants les uns des autres, qui commandaient les cours et les dehors. La plus élevée, mais la plus étendue de ces bâtisses, est la tour dite Peinte, n° 31, qui domine toute la cité dont elle était la guette principale. Cette tour, sur plan barlong, ne pouvait contenir et ne contenait en effet qu'un escalier de bois, car elle n'est divisée, dans toute sa hauteur, par aucune voûte ni aucun plancher. Une seule petite fenêtre romane, percée vers la moitié de sa hauteur, s'ouvre sur la campagne, du côté de l'Aude. Cette tour est intacte; on voit encore son crénelage supérieur avec les trous des hourds très-rapprochés, comme pour établir une galerie extérieure saillante, en état de résister aux vents terribles de la contrée.
Le plan de la tour n° 35 du château, dite du Major (l'une de celles d'angle, l'autre tour n° 32 étant semblable), est fort intéressant à étudier. Ces deux tours d'angle sont les seules qui contiennent des escaliers à vis, en pierre. Les tours n° 32, 33, 35 et 36 sont défendues comme les deux tours de la porte : mêmes petites salles voûtées en calottes hémisphériques, mêmes dispositions des crénelages, des meurtrières et hourds, même combinaison de combles pyramidaux.
Mais c'est sur le front ouest que l'étude du château de la cité est particulièrement intéressante. Le côté occidental est celui qui regarde la campagne et qui fait face à la grosse barbacane bâtie en bas de l'escarpement.
Pour bien faire comprendre les dispositions très-compliquées de cette partie du château, il faut que nous descendions à la barbacane, et que, successivement, nous passions par tous les détours si ingénieusement combinés pour rendre impossible l'accès du château à une troupe armée.
Malheureusement, la barbacane fut démolie il y a cinquante ans environ pour bâtir une usine le long de l'Aude. Cette destruction est à jamais regrettable, car, au dire de ceux qui ont vu ce bel ouvrage, il produisait un grand effet et était élevé en beaux matériaux. Je n'ai pu retrouver, en fouillant assez profondément, que ses fondations et ses premières assises, ce qui permettait seulement de reconnaître exactement et sa place et son diamètre.
La barbacane avait été élevée très-probablement sous saint Louis, comme la plupart des adjonctions et restaurations faites au château. Elle était percée de deux rangs de meurtrières et était couronnée par un chemin de ronde crénelé avec hourds. Elle n'était point couverte, sa grande étendue ne le permettant guère, mais devait posséder à l'intérieur des galeries de bois facilitant l'accès aux meurtrières, et formant un abri pour les défenseurs.
La porte était percée dans l’angle rentrant, côté nord, sur le flanc de la grande caponnière qui monte à la cité (fig 14) en B. Cette caponnière ou montée, fortifiée des deux côtés, est assez étroite à sa base près de la barbacane. Elle s’élargie en E jusqu’au point où, formant un coude, elle se dirige perpendiculairement au front du château, afin d’être enfilée par les assiégés postés sur les chemins de ronde de la double enceinte ou dans le château même ; puis, ayant atteint le pied de l’enceinte, la caponnière se détourne en E’ à droite, longe cette enceinte du nord au sud, pour atteindre une première porte dont il ne reste que les pieds-droits. Ces rampes E sont crénelées à droite et à gauche. Leur montée est coupée par des parapets chevauchés. En F était un mur de garde en avant de la première porte ; ayant franchi cette première porte, on devait longer un deuxième mur de garde, passer par une barrière, se détourner brusquement à gauche, et se présenter devant une deuxième porte G, en étant battu de flanc par les gens de la deuxième enceinte.
Alors on se trouvait devant un ouvrage considérable et bien défendu ; c’est un couloir long, surmonté de deux étages, sous lesquels il fallait passer. Le premier de ces étages battait la porte G et était percé de machicoulis s’ouvrant sur le passage ; le deuxième étage était en communication avec les crénelages supérieurs, battant soit la rampe, soit l’espace G. Le plancher du premier étage ne communiquait avec les lices que par une porte étroite. Si l’ennemi parvenait à occuper cet étage, il était pris comme dans une souricière, car, la petite porte fermée sur lui, il se trouvait exposé aux projectiles tombant des machicoulis du deuxième étage ; et l’extrémité du plancher de ce premier étage était interrompue en H, du côté opposé à l’entrée, il était impossible à cet assaillant d’avancer. S’il parvenait à franchir sans encombre le couloir à rez-de-chaussée, il était arrêté à la porte H percée dans une traverse couronnée par les machicoulis du troisième étage, communiquant avec les chemins de ronde du château. Si, par impossible, les assiégeants s’emparaient du deuxième étage, ils ne trouvaient d’autre issue qu’une petite porte latérale donnant dans une salle établie sur des arcs, en dehors du château, et ne communiquant avec l’extérieur que par des détours qu’il était facile de barricader en un instant et qui d’ailleurs était fermée par des ventaux. Si, malgré tous ces obstacles accumulés, les assiégeants forçaient la troisième porte H, il leur fallait alors attaquer la poterne I du château, protégée par un système de défense formidable : des meurtrières, deux machicoulis placés l’un au-dessus de l’autre, un pont avec un plancher mobile, une herse er des ventaux. Se fût on emparé de cette porte, qu'on se trouvait à 7 mètres en contre-bas de la cour intérieure L, à laquelle on n'arrivait que par des degrés étroits, défendus, et en passant à travers plusieurs portes en K.
En supposant que l'attaque fût poussée par les lices du côté de la porte de l'Aude, on était arrêté par un poste T et par une porte avec ouvrages de bois et un double mâchicoulis percé dans le plancher d'un étage supérieur communiquant avec la grande salle sur N du château, au moyen d'un passage de charpente qui pouvait être détruit en un instant; de sorte qu'en s'emparant de cet étage supérieur on n'avait rien fait.
Si après avoir franchi l'ouvrage T, on poussait plus loin sur le chemin de ronde, le long de la tour carrée S, on rencontrait bientôt une garde avec porte bien munie de mâchicoulis et bâtie perpendiculairement au couloir G H. Après cette porte, c'était une troisième porte étroite et basse percée dans la grosse traverse Z qu'il fallait franchir; puis, on arrivait à la poterne I du château.
Si, au contraire, l'assaillant se présentait du côté opposé, par les lices du nord, il était arrêté par une défense V, mais de ce côté l'attaque ne pouvait être tentée, car c'est le point de la cité qui est le mieux défendu par la nature. La grosse traverse Z qui, partant de la courtine du château, s'avance à angle droit jusque sur la montée de la barbacane, était couronnée par des mâchicoulis transversaux qui commandaient la porte H et par une échauguette crénelée qui permettait de voir ce qui se passait dans la caponnière, afin de prendre les dispositions intérieures nécessaires, ou de reconnaître les corps ami[1].
Cette partie des fortifications de la cité carcassonnaise est certainement la plus intéressante; malheureusement, elle ne présente plus que l'aspect d'une ruine. C'est en examinant scrupuleusement les moindres traces des constructions encore existantes, que l'on peut reconstituer ce bel ouvrage. Je dois dire, toutefois, que peu de points restent vagues et que le système de la défense ne présente pas de doutes. Il s'accorde parfaitement avec les dispositions naturelles du terrain, et ces ruines sont encore pleines de fragments qui donnent non-seulement la disposition des constructions de pierre, mais encore les attaches, prises et scellements des constructions de bois, des planchers et gardes.
Une vue cavalière du château et de la barbacane restaurés, que nous donnons ci-après, figure 15, présente l'ensemble de ces ouvrages.
Un plan de la cité et de la ville de Carcassonne, relevé en 1774, antérieurement par conséquent à la destruction de la barbacane, mentionne, dans la légende, un grand souterrain existant sous le boulevard de la Barbacane, mais depuis longtemps comblé. Je n'ai pu retrouver la trace de cette construction, à l'existence de laquelle je ne crois guère. Si ce souterrain a jamais existé, il devait établir une communication entre la barbacane et le moulin fortifié dit du Roi, afin de permettre à la garnison du château d'arriver à couvert jusqu'à la rivière.
Nous avons fait le calcul du nombre d'hommes strictement nécessaire pour défendre la cité de Carcassonne.
L'enceinte extérieure de la cité de Carcassonne possède 14 tours; en les supposant gardées chacune par 20 hommes, cela fait : 280 hommes
Vingt hommes dans chacune des trois barbacanes 60 ; Pour servir les courtines sur les points attaqués 100 ; L'enceinte intérieure comprend 24 tours à 20 hommes par poste ; en moyenne. 480 ; Pour la porte Narbonnaise. 50 ; Pour garder les courtines 100 ; Pour la garnison du château 200 soit 1270. Ajoutons à ce nombre d'hommes les capitaines, un par poste ou par tour, suivant l'usage 53 soit : 1323.
Il s'agit ici des combattants seulement; mais il faut ajouter à ce chiffre les servants, les ouvriers qu'il fallait avoir en grand nombre pour soutenir un siége : soit au moins le double des combattants. Ce nombre, à la rigueur, était suffisant pour opposer une résistance énergique à l'ennemi, dans une place aussi bien fortifiée.
Les deux enceintes n'avaient pas à se défendre simultanément, et les hommes de garde, dans l'enceinte intérieure, pouvaient envoyer des détachements pour défendre l'enceinte extérieure. Si celle-ci tombait au pouvoir de l'ennemi, ses défenseurs se réfugiaient derrière l'enceinte intérieure. D'ailleurs, l'assiégeant n'attaquait pas tous les points à la fois. Le périmètre de l'enceinte extérieure est de 1,400 mètres sur les courtines; donc c'est environ un combattant par mètre courant qu'il fallait compter pour composer la garnison d'une ville fortifiée comme la cité de Carcassonne.
Voici le nom des tours des deux enceintes en se rapportant aux numéros inscrits sur le plan général:
ENCEINTE EXTÉRIEURE.
1. Barbacane dela porte Narbonnaise. 2 Tour de Bérard, dite aussi de Saint-Bernard. 3 Tour de Bénazet. 4. Tour de Notre-Dame, dite aussi de Rigal. 5. Tour de Mouretis. 6. Tour de la Glacière. 7. Tour de la Porte-Rouge. 8. Grande barbacane extérieure du château. 9 Avant-porte de l'Aude. 10. Tour du petit Canizou. 11. Tour de l'Évêque, appartenant aux deux enceintes. 12. Tour du grand Canizou. 13. Tour du grand Brûlas. 14. Tour d'Ourliac.
15. Tour Crémade, barbacane de là poterne Saint-Nazaire. 16. Tour Cautières. 17. Tour Pouleto. 18. Tour de la Vade, dite aussi du Papegay. 19. Tour de la Peyre.
ENCEINTE INTÉRIEURE.
20. Tours et porte Narbonnaise. 21. Tour du Trésau, dite aussi du Trésor. 22. Tour du moulin du Connétable. 23. Tour du Vieulas. 24. Tour de la Marquière. 25. Tour de Sanson. 26. Tour du moulin d'Avar. 27, Tour de la Charpentière. 37. Tour de la Justice. 38. Tour Visigothe. 39. Tour de l'Inquisition. 40 Tour de Cabuzac. 41. TourMipadre, dite aussi tour du Coin ou de Prade. 42. Tour du Moulin. 43. Tour et poterne de Saint-Nazaire. 44. Tour Saint-Martin. 45. Tour des Prisons. 46. Tour de Castera. 47. Tour du Plô. 48. Tour de Balthazar. 49. Tour de Darejean ou de Dareja. 50. Tour Saint-Laurent. 51. Escalier descendant à la poterne de la tour de la Peyre. 52. Tour du Trauquet. 53. Tour de Saint-Sernin.
CHATEAU.
28. Tour de la Chapelle. 29. Tour de la Poudre. 30. Avant-porte du château. 31. Tour Peinte, Guette. 32. Tour Saint-Paul. 33. Porte du château. 34. Tour des Casernes. 35. Tour du Major. 36. Tour du Degré. 54. Barbacane intérieure du château.
ÉGLISE DE SAINT-NAZAIRE
ANCIENNE CATHÉDRALE.
Cette église se compose d'une nef dont la construction remonte à la fin du XIIe siècle ou au commencement du XIIe siècle et d'un transept avec abside et chapelles, datant du commencement du XIVe siècle.
Nous n'entreprendrons pas une discussion sur les édifices qui ont pu précéder l'église que nous voyons aujourd'hui, et dont les parties les plus anciennes ne remontent pas au-delà de l'année 1090. Nous n'essayerons pas davantage de pénétrer les motifs qui firent reconstruire le sanctuaire, le transept et les chapelles au commencement du XIVe siècle, les documents historiques faisant absolument défaut. Mais, ce qui est certain, c'est que ces constructions du s XIVe siècle ont été relevées sur les fondations romanes retrouvées partout, et notamment dans la crypte du XIe siècle que nous avons découverte sous le sanctuaire, en 1857, et qui fut alors déblayée. Seules, les voûtes de cette crypte avaient été détruites pour abaisser le sol de ce sanctuaire au XIVe siècle. Elles ont été remplacées par un plafond de pierre qui laisse apercevoir les anciennes piles et les murs percés de petites baies.
La nef romane présente une disposition qui a été adoptée assez fréquemment dans les églises provençales et du bas Languedoc. La voûte centrale, en berceau avec arcs-doubleaux, est contre-butée par les voûtes également en berceau, couvrant les collatéraux très-étroits. Cette nef n'est donc éclairée que par les fenêtres des murs latéraux. Une porte plein cintre, datant du commencement du XIIe siècle, s'ouvre dans le bas-côté nord ; car autrefois la façade occidentale de la nef, ainsi que nous l'avons dit précédemment, était voisine des remparts et contribuait à leur défense. Sa base était seulement percée d'une très-petite porte qui s'ouvrait dans un couloir dont on aperçoit les amorces.
Vers 1260 fut accolée au flanc sud du transept roman, une chapelle dont le sol est au niveau du pavé de l'ancien cloître, c'est-à-dire à 2 mètres environ au-dessous du sol de l'église. Cette chapelle renferme le tombeau de l'évêque Radulphe, dont l'inscription donne la date de 1266, comme étant celle de la mort du prélat. C'est sur les instances de cet évêque que les habitants des faubourgs de la cité, proscrits à la suite du siége entrepris par le vicomte Raymond de Trincavel, furent autorisés à rebâtir leur ville de l'autre côté de l'Aude. Ce tombeau est un monument fort intéressant, bien que la figure du personnage, traitée en bas-relief, soit médiocre; le simulacre du sarcophage qui la porte donne une série de figurines d'une conservation parfaite, représentant les chanoines de la cathédrale dans leur costume de chœur. Ce soubassement est intact, car le sol de la chapelle ayant été relevé au niveau de celui du transept, les parties inférieures du monument sont restées enterrées pendant des siècles et ont été ainsi préservées des mutilations. Le chœur, le transept et les chapelles ont été élevés sous l'épiscopat de Pierre de Roquefort, de 1300 à 1320. Le plan roman a été suivi dans la construction de cette partie de l'église, et c'est pourquoi les deux bras de ce transept présentent une disposition originale qui appartient seulement à quelques édifices de l'école romane du Midi, antérieure au XIIIe siècle.
En effet, sur chacun de ces bras de la croix s'ouvrent trois chapelles orientées, séparées seulement par des claires-voies au-dessus d'une arcature de soubassement aveugle. Quatre des piliers qui forment la séparation de ces chapelles sont cylindriques comme pour rappeler ceux de la nef du XIIe siècle.
L'évêque Pierre de Roquefort sembla vouloir faire de sa cathédrale de Saint-Nazaire, si modeste comme étendue, un chef-d'œuvre d'élégance et de richesse. Contrairement à ce que nous voyons à Narbonne, où la sculpture fait complétement défaut, l'ornementation est prodiguée dans l'église de Saint-Nazaire. Les verrières, immenses et nombreuses (car ce chevet et ce transept semblent une véritable lanterne), sont de la plus grande magnificence comme composition et couleur. Le sanctuaire, dont les piliers sont décorés des statues des Apôtres, était entièrement peint. Les deux chapelles latérales de l'extrémité de la nef, au nord et au sud, ne furent probablement élevées qu'après la mort de Pierre de Roquefort, car elles ne se relient point au transept comme construction, et, dans l'une d'elles, celle du nord, est placé, non pas après coup, le tombeau de cet évêque, l'un des plus gracieux monuments du XIVe siècle que nous connaissions.
Les grands vents du sud-est et de l'ouest qui régnent à Carcassonne avaient fait ouvrir la porte principale sur le flanc nord de la nef romane; une autre porte est percée dans le pignon du bras de croix nord; et dans l'angle de ce bras de croix est un joli escalier en forme de tourelle saillante. Des deux côtés du sanctuaire, entre les contre-forts, sont disposés deux petits sacraires qui ne s'élèvent que jusqu'au-dessous de l'appui des fenêtres. Ces sacraires sont munis d'armoires doubles, fortement ferrées et prises aux dépens de l'épaisseur des murs. Ils servaient de trésors, car il était l'usage de placer, des deux côtés du maître autel des églises abbatiales ou cathédrales, des armoires destinées à renfermer les vases sacrés, les reliquaires et tous les objets précieux.
Outre les tombeaux des évêques Radulphe et Pierre de Roquefort on voit, sur les parois du sanctuaire, côté de l'évangile, un beau tombeau en albâtre d'un évêque dont la statue est couchée sur un sarcophage et que l'on dit être Simon Vigor, archevêque de Narbonne, mort à Carcassonne en 1575. Ce tombeau et la statue datant du xive siècle ne peuvent, par conséquent, être attribués à ce prélat. Nous signalerons une autre erreur. On a placé dans l'église de Saint-Nazaire une dalle funéraire que l'on donne comme ayant appartenu au tombeau du fameux Simon de Montfort. D'abord le tombeau de Simon de Montfort fut élevé près de Montfort l'Amaury, dans l'église de l'abbaye des Hautes-Bruyères, et, s'il y eut jamais à Carcassonne un monument dressé à sa mémoire, après la levée du siége de Toulouse, ce ne pourrait être une dalle funéraire. Puis la gravure de cette dalle, l'inscription, sont tracées par un faussaire ignorant et inhabile. Toutefois, cette dalle ayant été retrouvée, dit-on, sans qu'on ait su exactement où et comment, et donnée à l'église de Saint-Nazaire, nous n'avons pas cru devoir la rejeter.
On voit, incrusté dans la muraille de la chapelle de droite, un fragment d'un bas-relief d'un intérêt plus sérieux en ce qu'il présente l'attaque d'une place forte. Ce fragment, quoique d'un travail très-grossier, date de la première moitié du XIIIe siècle. L'assaillant essaye de forcer les lices d'une ville entourée de murailles, et les assiégés font jouer un mangonneau. On a cru voir dans ce bas-relief une représentation de la mort de Simon de Montfort, tué devant les murs de Toulouse par la pierre d'un engin servi par des femmes, sur la place de Saint-Sernin. L'hypothèse n'a rien d'invraisemblable, ce bas-relief datant de l'époque de ce siége, et des anges enlevant dans les airs l'âme d'un personnage, sous la forme humaine, qui peut bien être celle de Simon de Montfort.
Parmi les plus belles verrières qui décorent les fenêtres de la cathédrale de Saint-Nazaire, il faut citer celle de la première chapelle près du sanctuaire, côté de l'épître, et qui représente le Christ en croix, avec la tentation d'Adam, des prophètes tenant des phylactères sur lesquels sont écrites les prophéties relatives à la venue et à la mort du Messie. Ce vitrail, comme entente de l'harmonie des tons, est un des plus remarquables du XIVe siècle. Toutes les autres verrières a sujets légendaires datent de cette époque. Mais dans le sanctuaire, il existe deux fenêtres garnies, au XVIe siècle, de vitraux d'une grande valeur qui appartiennent à la belle école toulousaine de la Renaissance. Les grisailles sont modernes et ont été fabriquées à l'aide des fragments anciens qui existaient encore. Les vitraux des deux roses et des deux chapelles de la nef sont anciens et ont été simplement restaurés avec le plus grand soin.
La sacristie, jointe à la chapelle de l'évêque Radulphe, a été construite en même temps que cette chapelle, puis réparée au XVe siècle.
[1] Notre figure 12 fait voir en C la barbacane du côté de la ville avec sa porte en A'; en 0, la porte du château; en L, la grande cour; en P, le logis contenant les cuisines, en M, la deuxième cour avec le portique N sur lequel est établie la grande salle; en Q et R, les logis, donjons, en D, la grande barbacane, et en X et V les tours du XIIe siècle.