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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #MAISONS NOBLES DE LORRAINE

QUATRIEME EXTRAIT.

 

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L'EXCOMMUNICATION DE L'ÉVÊQUE BRENDEL

PAR LE CARDINAL DE ROHAN (1)

 

L'exécution du décret sur le clergé fut assurément une des causes les plus directes de l'agitation qui régna en Alsace et particulièrement à Strasbourg vers les journées de Septembre 1792 et pendant l'époque sanglante de la Terreur. Dans l'introduction d'un clergé constitutionnel, les fidèles catholiques durent voir une atteinte flagrante portée à la liberté de conscience et à des droits séculairement consacrés. «De ce moment, la position d'un maire de Strasbourg; chargé de faire exécuter les décrets contre les prêtres réfractaires, aimés de leurs ouailles, approuvés en Cour de Rome, devenait difficile; elle l'était d'autant plus que ce magistrat appartenait à un culte dissident.

« Les instructions et les mandements (23 et 28 Novembre) de l'évêque de Strasbourg appelaient ouvertement le clergé et les fidèles à résister au décret du 12 Juillet 1790; il n'y avait plus à hésiter; la municipalité, à moins de quitter la place, se vit obligée de défendre la lecture de la circulaire épiscopale dans les églises; le directoire du département, qui renfermait plus d'éléments aristocratiques, hésita un instant, puis il suivit cet exemple.

 

(1) L SPACH. Frédéric de Dietrich - Revue d'Alsace, 1856.

Une surveillance active fut exercée sur les bords du Rhin pour empêcher l'introduction des brochures qui venaient d'Ettenheim ; mais ces mesures ne prévinrent pas toute espèce de démonstration; lorsque dans les premiers jours de Janvier 179I on se préoccupait de transporter aux archives départementales les documents provenant du chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux, une résistance assez vive fut opposée à cet acte dans l'église même; la garde nationale dut intervenir pour opérer ce transfèrement (sic). Quelques jours plus tard (le 10 Janvier) il y eut un mouvement dans la cathédrale à l'occasion de la clôture du choeur; un club catholique se réunit sous le patronage du professeur Dietrich dans le séminaire et protesta contre l'exécution des décrets. Il fallut en venir à la clôture de cette réunion.

Les paysans des villages catholiques aux environs de Strasbourg étaient vivement agités, tandis que les villages protestants des anciens bailliages de la ville offraient d'accourir au secours de la municipalité. Le 23 Janvier était fixé pour la prestation du serment du clergé; une petite minorité fit cet acte de soumission. La situation parut assez grave à l'Assemblée constituante de Paris, pour envoyer des commissaires royaux (Mathieu Dumas, Hérault de Seichelles et Foissey) qui approuvèrent, au surplus, la mesure adoptée par le maire et prononcèrent la révocation du directoire du département, dont le dévouement à la cause constitutionnelle n'était pas suffisamment avéré. M. de Dietrich fit des tentatives de conciliation auprès du cardinal de Rohan lui-même, mais cet échange de lettres devait ne pas aboutir à un résultat satisfaisant; le cardinal-évêque persévérait dans sa manière de voir et se félicita de ce que la majeure partie du clergé était restée fidèle à son devoir.

« Le 6 Mars était le grand jour fixé pour l'élection de l'évêque constitutionnel; M. de Schwendt avait discuté, dans une correspondance confidentielle avec M. de Dietrich, le choix d'un candidat et conseillé de jeter les yeux sur l'abbé de Marmoutier ou Ebermunster. On ne tint point compte de cet avis. Quatre cents électeurs procédèrent à l'acte inusité qui devait produire au sein du corps clérical et des croyants une exaspération indicible.

« L'abbé Brendel, qui avait prêté le serment voulu par la loi, fut nommé évêque de Strasbourg. On assure, quelque incroyable que paraisse le fait, que des électeurs protestants furent trouvés au nombre des votants! C'était plus qu'il n'en fallait pour imprimer au nouveau prélat un stigmate indélébile; il était décrié, avant son entrée en fonctions, comme évêque luthérien et matériellement menacé.

Les commissaires du roi se virent obligés de le couvrir de leur protection et de l'abriter dans leur hôtel. Dans la cathédrale même, il fut gravement insulté par l'ancien curé de Saint-Laurent, lorsqu'il se préparait à officier pour la première fois. A Strasbourg, la vigilance du maire prévint de plus grands troubles; mais à la campagne, où l'action de l'autorité ne pouvait se multiplier, l'installation des curés constitutionnels donna lieu à des désordres qui dégénérèrent quelques mois plus tard à Obernai en véritable émeute, que la garde nationale de Strasbourg comprima violemment et non sans commettre des excès répréhensibles.

« Les esprits honnêtes et modérés gémirent de ces tristes incidents; ils devaient peut-être, dès ce moment, perdre confiance dans le succès absolu de l'Assemblée nationale, puisqu'elle ne reculait pas devant les moyens de rigueur sur le domaine inviolable de la conscience. Le maire de Strasbourg, qui avait inscrit sur sa bannière officielle et au fond de son coeur les principes de la tolérance, fut, sans aucun doute, profondément ému et affligé: mais il subissait ici la loi de sa position.

« Cependant, il ménage autant que possible de justes susceptibilités; il se retranche derrière les commissaires du roi qui, dans une proclamation adressée, le 18 Mars 179l, aux Français habitant le département du Bas-Rhin, font un peu de théologie déclamatoire pour défendre l'élection de l'évêque Brendel, « de ce pasteur digne des premiers siècles du christianisme par ses vertus et des beaux jours de l'Eglise par ses lumières; nouvel Ambroise qui, de mandé à la fois par deux religions, comme le citoyen le plus désirable pour la tranquillité commune, a paru confondre un instant tous les cultes dans des acclamations universelles ..... .

« Nourri par une longue étude de la saine et antique doctrine, il vous dira que, si l'on conteste au peuple le fait d'avoir jamais nommé les évêques, c'est une erreur contre laquelle déposent tous les monuments de l'histoire ...., il vous dira que l'excommunication ne peut être « lancée par un évêque· déchu de sa juridiction; il vous  dira enfin, que les censures civiques ne lient point devant Dieu et que, suivant la pensée des Pères de l'Eglise, celui-là se retranche lui-même de la communion qui en retranche injustement ses frères. (1)

Frédéric Dietrich dut se voiler la tête en face de maux auxquels il n'y avait pas de remède. (2)

 

LES CHANSONS ET LES CARICATURES

CONTRE LE CARDINAL ET CONSORTS

 

Au mois de Mars 179l, le poste de la garde nationale de Strasbourg détaché au pont du Rhin, fit une capture importante. La femme d'un des sacristains de la cathédrale, signalée pour faire les commissions du cardinal de Rohan, réfugié alors à Ettenheim, fut fouillée par le factionnaire, et on trouva sur elle un grand nombre d'exemplaires du Monitoire que le prélat lançait contre le soi-disant évêque élu du département du Bas-Rhin, le citoyen Brendel.

 

(1) Lettre 75 de saint Firmilien à saint Cyprien.

(2) L. SPACH. Frédéric de Dietrich, etc. - Revue d'Alsace, 1856, p. 541 et suiv.

 

La saisie du mandement épiscopal et la capture de la pauvre Strasbourgeoise causèrent en ville une joie profonde, et un rimailleur inconnu crut devoir chanter l'événement.

En 1791, le Conseil général de Strasbourg prit un arrêté déclarant rebelle à la loi 1 e sieur Jaeglé, curé ; et criminel de lèse-nation le cardinal de Rohan, au sujet de la publication clandestine d'un imprimé «séditieux » (Monition canonique et ordonnance) et d'un « attroupement scandaleux à l'encontre de M. l'évêque (Brendel) », etc.

A l'occasion de l'événement ci-dessus relaté, un libelle contre le prélat fut imprimé et distribué: «cette pièce libre et satyrique renferme des allusions historiques curieuses » et se compose de huit pages in-4°. Elle porte pour titre :

Lettre à Louis-René-Edouard de Rohan, etc., qui a été évêque de Strasbourg, qui enrage de ne l'être plus et qui ne le redeviendra jamais, quoi qu'il fasse, proviseur de Sorbonne, puisque la Sorbonne avilie y consent, etc. Avril I79I.

La Monition canonique du cardinal de Rohan provoqua différents libelles et satyres mordants et obscènes. L'une de ces pièces plutôt comiques que violentes, aujourd'hui très rares, porte pour titre: L'Excommunication trouvée sous la jupe d'une femme, anecdote strasbourgeoise. Poésie.

Un certain Engelbert Bosselmann fit paraître en 1792, a Paris, un volume in- 1-2 avec le titre de: La nouvelle Satyre Menippée sur la Révolution de France, où se trouve le fin morceau de l'EXCOMMUNICATION DÉCOUVERTE.

L'EXCOMMUNICATION TROUVEE

SOUS LES JUPES D'UNE FEMME

 

(Anecdote strasbourgeoise)

 

AIR : Du Mirliton, Mirliton, etc.

Dans ses goûts pleins de constance,

Notre galant cardinal

A, des foudres qu'il nous lance,

Placé le saint arsenal

Dans un mirliton, etc.

 

Admirons de sa sagesse

Cette heureuse invention l

On connait dès sa jeunesse

Sa tendre dévotion

Pour le mirliton, etc.

 

Mais dans sa douce espérance,

Il s'est encore vu trompé,

Hélas, son destin en France

Est d'être toujours dupé

Par un mirliton, etc.

 

Une dévote matrone,

Digne apôtre de Satan,

Portait, en fière amazone,

Les foudres du Vatican

Sur son mirliton, etc.

 

Notre garde vigilante

Fouilla ce réduit banal;

Car cette troupe vaillante,

Aussi bien qu’un cardinal,

Trousse un mirliton, etc.

 

Nous ajouterons ici quelques-unes des autres pièces dont nous avons parlé plus haut:

 

MARCHE DES TROUPES ARISTOCRATES

AIR : Des petits Savoyards - Une petite fillette, etc.

 

On dit que d'Artois arrive

Accompagné des prélats,

Cette troupe fugitive

Vers nous avance il grands pas

Bombes, canons et bataillons, boulets, canons

Rien ne les arrête.

Ces braves Césars calotins

Ont tous des crucifix en mains.

Ils ont juré par leurs rabats

De renverser le Tiers-Etat,

De reprendre l'Episcopat.

Sur le front de la colonne

Marche notre CARDINAL;

On dirait Mars en personne,

C'est un nouveau LOEWENDAL,

Frappant, taillant, battant, criant, jurant,

V'là comme il arrive

Oui, j'aurai mon Episcopat,

Car je suis sûr de mes soldats.

Allons; marchons, doublons le pas,

Frappant, coupons, taillons des bras

Oui, j'aurai mon Episcopat (bis).

 

CONDÉ semant l'épouvante

Marche à la tête des siens,

Qui sont, dit-on, cent quarante,

Mais lurons à toutes mains.

Héros Troyens, Grecs et Romains, François, Prussiens.

Rien ne les égale

Ils vont battre la Nation,

Et plus de Constitution,

Point de quartier, chers compagnons,

Allons, courage et massacrons,

Faisons trembler la Nation (bis).

 

Déjà de la Germanie

Ils atteignent les confins,

Toute la troupe ennemie

Campe sur les bords du Rhin.

Condé, d'Artois, abbés, prélats, chefs et soldats,

Tous perdent courage;

Aucun d'eux ne sait nager,

Et pas un ne veut s'exposer,

Jurant contre le Tiers-Etat.

Ils s'en retournent sur leurs pas,

En pleurant leur Episcopat (bis).

 

LA PRISE DE STRASBOURG PAR

L'EX-CHEVALIER DE BONNARD 

(Juin 1792)

 

Ecoutez, petits et grands!

Nous avons la guerre,

Près de trois mille Allemands

Viennent nous la faire.

Notre pieux cardinal

Est devenu général.

La bonne aventure, oh 'gué !

La bonne aventure.

 

Voyez-vous le beau prélat

Vêtu d'écarlate,

Près de lui le potentat

Mirabeau cravate

Et le pauvre d'Eymar

Portant le saint étendard.

La bonne aventure, etc

 

Vittersbach, Laserre et Mensk

Dirigent la troupe,

Monsieur Roth, plus fier que Trenk

A La Motte en croupe,

Et maître Zaiquelius

Dit le Fratres oremus.

La bonne aventure, etc.

 

En passant par Offenbourg

Ils vont à l'office;

Les grands comtes de Strasbourg

En font le service.

Au lutrin sont quatre enfants,

Trois gueulards et deux serpents.

La bonne aventure, etc.

 

Mais déjà vient s'avançant,

La fière cohorte.

A l'évêque conquérant,

Kehl ouvre la porte,

Et surtout monsieur Lautrec

Lui présente son respect.

La bonne aventure, etc.

 

Ils rencontrent sur le pont

Nos aristocrates,

Et déjà nos héros font

Peur aux démocrates.

Tout se soumet au prélat;

Rohan a sauvé l'Etat.

La bonne aventure, oh gué!

La bonne aventure! (1)

 

De Saverne, le 1er Octobre 1792, on écrit au Courrier de Strasbourg: « C'est un plaisir bien doux de voir, depuis la révolution du 10 Août, comment le patriotisme s'est propagé, dans les villes mêmes les plus aristocrates, ou plutôt comment le patriotisme, consterné jusqu'à cette époque sous le joug insolent du stupide feuillant, maintenant lève la tête avec la dignité qui lui convient.

Saverne, autrefois le repaire du druide Rohan et de ses vils complices en soutane, Saverne étoit aristocratique, parce que plusieurs familles de cette ville vivoient des débauches de cette horde de prêtres. A peine osoit-on y passer avec une cocarde patriotique; et deux ou trois excellens citoyens qui y avoient fondé une espèce de Société patriotique, n'osoient se trouver dans les rues après le coucher du soleil, sans risquer d'être assassinés. Aujourd'hui, cette société a pris de la consistance et de l'énergie, et quoique la moitié de la ville regrette encore le noble plaisir d'être gouvernée par les caprices d'un ivrogne, sous l'influence d'un prêtre escroc, les bons patriotes n'en vont pas moins leur train, et saisissent toutes les occasions de faire éclater leur zèle.

 

1 L'Express, de Mulhouse, 16 Avril 1880.

Le dimanche 28 Septembre, la fête civique pour le succès des armes francoises en Savoie a été célébrée avec pompe.

Les amis de la liberté et de l'égalité se sont réunis au commissaire, faisant les fonctions de maire, et au Conseil général de la commune, pour donner à cette fête tout l'intérêt d'une fête vraiment patriotique et républicaine.

Un grand nombre de citoyens ont assisté à une séance, tenue à cet effet, et ont demandé non seulement à prêter avec les membres le serment de défendre la République, mais même de signer le procès-verbal. Une citoyenne, Christine Thiebault, s'est écriée en signant: Non seulement je signe ce serment, mais je voudrais pouvoir le sceller de mon sang. Quelques aristocrates que la curiosité avoit attirés dans la salle, ont pâli de rage et de fureur; mais il a fallu se contenir, parce qu'on n'avoit plus là Monseigneur le cardinal, ni l'ancien Directoire du département du Bas-Rhin, qui ne valoit guère mieux. A l'issue de la séance, le commissaire et le Conseil général de la commune, accompagnés par la garnison et des gardes nationales et suivis des citoyennes, se sont rendus sur la place de la Révolution, où l'on a chanté l'hymne des Marseillois. Après la cérémonie, les Jacobins ont placé sur le fauteuil du cardinal l'effigie de Louis XVI, et l'ont promenée dans toutes les rues de la ville, au grand déplaisir des aristocrates, qui avoient soigneusement fermé leurs fenêtres et qui sans doute faisoient de ferventes prières pour la délivrance des prisonniers du Temple. Le soir, la ville a été illuminée, et il y a eu des danses et des festins. »

Il existe un gros petit livre en deux tomes avec ce titre singulier : « Contes et Poésies du C. Collier) commandant général des Croisades du Bas-Rhin. A Saverne, 1792. » Avec deux ravissantes vignettes. Ces Contes et Poésies du C. Collier ne sont pas, on le conçoit, de la première décence; on en peut juger par quelques intitulés: Le Mari désossé. - Le Lendemain, action de grâces à Vénus. - L'Amour, la liqueur vermeille. - La Culotte de Saint Raimond de Penna fort. - Le Mari pacifique. -

La Confession révélée. - L'Ane franciscain. J'en passe, et des meilleurs.

Le premier volume s'ouvre par un Avis de l'éditeur) qui promet énormément; le voici dans toute son intégrité:

« Nous offrons au public la collection de Contes du C. Collier, dont les expéditions variées de sa vie romanesque préparent les matériaux nécessaires pour l'histoire de ce prélat célèbre. Tout le monde connoît le talent politique de ce C., trop fameux pour manier les affaires les plus cachées en France et en Allemagne. Sa vie apostolique l'avoit élevé au siège, que la vertu et l'exemple de ses actions n'ont jamais occupé; la grâce de Louis XV (qui n'étoit pas divine) transforma le mousqueton en crosse, pour faire voir aux races futures que l'on sait faire des miracles à la Cour de France, quand le destiné à porter des pareils fardeaux est un nobilissime bandit. Le génie guerrier et militaire de notre C. le fit occuper un jour (moi présent) le siège éminemment élevé de sa voiture et courir en postillon plus ferme et adroit que ceux qui composoient la meute des grandes et petites écuries, amenant les Belles qu'il avoit amusé par ses contes; et entrant sans rougir dans son palais, m'ordonna de répéter la lecture de ses poésies, qui sont les suivantes.

« Je suis, Messieurs,

« Votre très dévoué serviteur.

« B. »

 

Ce n'est pas fort comme idées et comme littérature, j'en conviens: mais il faut juger l'intention qui est plus mauvaise encore que l'esprit et la prose, et c'est à ce titre que nous ne devions pas oublier de mentionner ce livre rarissime qui a été composé en l'honneur du fameux prélat.

Parmi les cent pièces qui composent ce recueil, la seule que nous puissions rapporter ici est la suivante :

 

SUR LE PLAISIR

 

Vous demandez qu'est-ce que le plaisir?

Vous qui le faites toujours naître!

Il est pénible à définir

Et doux à faire connaître :

Toujours sur les pas du désir

Il suit le tendre amour, son maître;

L'enjouement, la variété,

Captivent son humeur volage,

Il fuit la triste austérité

Et le tumulte et le tapage;

Il sourit à la liberté

Et se plaît au simple langage

De la naïve vérité.

On dit qu'il ne vit qu'au village;

C'est une insigne fausseté :

L'aimable et riant assemblage

Des grâces, de l'aménité

Auront en tout temps l'avantage

De fixer la légèreté,

Et toujours sur son passage

Volant avec rapidité,

Vif et décent, badin et sage,

Il fera briller la gaîté.

 

GRAVURES RÉVOLUTIONNAIRES

Défaite des Contre-Révolutionnaires comande par le petit Condé

 

(Pendant)

 

l. Le grand sabreur colonel de royal antropophage.

2. L'abbé d'Eymar traînant les débris de l'oriflamme épiscopale.

3. Le chevall de bois, ex-commandant du siège du pont neuf, aide major de l'armée.

4. Le nain des princes, porte étendart du général.

5. Deux capucins sauvage, sapeur de l'avant garde.

6. Le général d'Autichamp présentant au petit (Condé la cruche) à l'eau.

7. Necker, baron de la resource et autres lieux, entrepreneur des vivres.

8. Antoine Seguier, bruIe bon sens regréttan son requisitoire.

9. Le petit Condé acceptant de M. d'Antichamp la cruche.

10. Dernière chute de Mme de la Motte.

l l. L'ancien archevêque de Paris, aumônier de l'armée.

l2. Son impuissance l'évêque de Spire s'efforçant de relever Mme de la Motte.

 

La Contre-Révolution

(Pendant colorié)

 

1. Son Altesse contre Revolutionnaire. Le petit Condé venant de reconnoître le fort de la Constitution, commande halte.

2. Le général d'Antichamp proposant la retraite.

3. Antoine Scguier portant le requisitoire contre la nation.

4. Calonne portant le coffret du trésor de l'armée.

S. Le cardinal Collier, tambour major précédé de sa petite famille, la musique du grand chapitre.

6. L'abbé d'Eymar portant l'oriflamme épiscopale.

7. Mme de la Motte, aide de lit de camp du cardinal.

8. Mirabeau Tonneau armé en guerre. Lieutenant général, commandant l'avant garde.

9. Deux capucins sauvages Jappeurs de l'avant garde.

10. Grouppe de fuyards formant l'avant garde.

11. Son impuissance Mgr. l'évêque de Spire commandant général auxiliaire, coiffé du traité de Westphalie.

12. La pucelle de la contre Révolution.

13. Corps de bataille.

14. Le chevalier Va ten voir s'ils viennent, premier aide de camp du général.

 

L'Attaque de la Constitution

(Pendant)

 

1. Le cardinal pièce en campagne lâchant les aristocrates contre la Constitution.

2. La furie de l'orgueil et de l'avarice sourit de ses succès.

3. Résultat des chefs fanatiques contre la Constitution.

4. Le prince Condé se plaignant du mauvais succès de l'attaque à Mme de la Motte.

5. L'abbé d'Eymar suivant ses projets d'attaque pour la pucelle.

6. Mirabeau tonneau commandant l'asseault.

7. L'évêque de Spire avançant avec l'arrière garde.

8. Corps d'armée.

9. Drapeau de ralliement.

10. Un des plus enragés portant les boulet.

II. Musique de l'armée.

12. Un capucin sauvage qui fait rougir leurs boulet.

13. Corps de réserve.

14. Sac de munition.

 

 

A suivre...

Le Roy de Sainte-Croix. (Les Quatre Rohan).

 

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #MAISONS NOBLES DE LORRAINE

TROISIEME EXTRAIT.

545px-Blason fam fr Rohan-Soubise.guemene RELATION EXACTE

 

De la Réjouissance publique que la pille de Mutzig a faite au retour de Son Altesse Sérénissime et Eminentissime Monseigneur le cardinal de Rohan

 

Après l'acquittement du cardinal, la ville de Mutzig, ce désirant, à l'envi de celle de Saverne, de donner à son prince des preuves de respect, de fidélité et de tendresse, témoigna ces sentiments, dont elle fut sincèrement pénétrée, par l'allégresse et la réjouissance, qu'elle fit éclater le II Février, où elle eut le bonheur de revoir Son Altesse Sérénissime et Eminentissime.

« Le même jour, à 3 heures après midi, le greffier de la ville, à la tête d'un détachement de dragons, en bel uniforme, superbement équipé, composé de l'élite des bourgeois, porta sa troupe sur la route de Dorlisheim, en double haie et le sabre à la main. Deux dragons furent mis en vedette sur la hauteur de la route d'Obernée, avec la consigne de rejoindre ventre à terre leur corps dès qu'ils appercevroient de loin la voiture du prince. A 4 heures arriva Son Altesse. Aussitôt, le chef du détachement s'avança au-devant d'Elle; le prince fit arrêter, daigna entendre avec bonté le compliment qu'il eut l'honneur de lui faire au nom de la ville. Dès qu'il eut achevé, Son Altesse lui ordonna de prendre l'avance avec son détachement et d'aller au pas.

« Escortée ainsi, Elle passa par Dorlisheim, au milieu des cris de joie, poussés par une foule innombrable de peuple, accourue de plusieurs lieues d'alentour. Près du grand pont, environ à deux cents pas de la ville, les juifs, en habits noirs, se rangèrent en haie, ayant leur rabbin à leur tête. Le bon prince ne put pas s'empêcher de leur témoigner la satisfaction qu'ils lui donnoient par les démonstrations de la joie la plus vive et la plus sincère. Aux portes de la ville, il fut reçu avec croix et bannières, par un nombreux clergé composé des curés, définiteurs, l'archiprêtre du chapitre rural de Biblenheim, des curés de la vallée de Schirmeck et des environs, des RR. PP. récolets de Hermolsheim.

Après avoir été harangué par l'archiprêtre, il traversa la ville fort lentement, au milieu de mille souhaits d'un peuple pénétré de joie et versant des larmes de tendresse.

Tous les bourgeois de la ville, et un grand nombre du bailliage de Schirmeck furent sous les armes et portés en double haie depuis l'entrée de la ville jusqu'au château, dont le pont étoit bordé d'un détachement d'infanterie composé de jeunes gens de Moutzig, qui reçurent le prince au son du tambour et en présentant les armes.

« Arrivé au château au son des timbales et trompettes et au bruit redoublé des boîtes et de la mousqueterie, il fut complimenté par le chef du Magistrat et du bailliage de Schirmeck.

« Le mauvais temps, seul contraire à la joie universelle qui régnoit en cette ville, désola les habitans. L'illumination, par laquelle non-seulement les officiers du prince et les meilleurs bourgeois, mais les pauvres même cherchèrent à se distinguer, ne fut pas aussi brillante qu'elle avoit été projetée. Elle fut accompagnée d'un grand nombre d'emblèmes très bien imaginés.

« Malgré le temps orageux, le prince, pour faire plaisir à ses sujets, prit la peine de faire à pied le tour de la ville, .toujours escorté par le détachement de dragons, précédé du chef et de son lieutenant. Il s'arrêta souvent, observant tout d'un coup d'oeil; il dit enfin: « Je vois ce que cela signifie. » N'étoit-ce point dire votre volonté me suffit?

Avant de finir sa tournée, il ne dédaigna pas d'entrer dans la synagogue, magnifiquement illuminée. Cette illumination, n'étant pas contrariée par le mauvais temps, attira toute l'attention du prince: pendant la demi-heure qu'il y resta, on chantoit en action de grâce un cantique hébraïque composé pour Son Altesse, qui lui fut si agréable, qu'Elle témoigna une seconde fois toute sa satisfaction aux habitans israélites de Moutzig. De là, le prince, retournant au château, passa sous un arc de triomphe, orné d'emblèmes et illuminé, de même que toute la façade du château.

« Le lendemain, à 10 heures du matin, le recteur de la paroisse, précédé du chapitre de Biblenheim, des prêtres et curés des environs et des RR. PP. récollets de Hermolsheim, sortirent de l'église paroissiale avec dais, croix et bannières, pour se rendre au château. Son Altesse prêta une grande attention à la harangue que lui fit le recteur de la paroisse. Ensuite, précédée du clergé, escortée du détachement de dragons à pied, marchant à pas lens sous le dais, Elle se rendit à l'église de la paroisse pour assister à la messe, dite par le recteur de la ville. Arrivée à l'église, le prince se prosterna devant l'autel. Sa dévotion, son recueillement, arrachèrent des larmes au peuple qui remplissoit l'église. Après la communion du prêtre, le prince entonna lui-même le Te Deum, chanta l'oraison en action de grâce; et après avoir donné sa bénédiction, s'en retourna au château, où tout le clergé, qui y soupa la veille, fut encore invité au dîné.

« Son Altesse ayant fixé le même jour son départ pour Saverne au lendemain à IO heures, le détachement de dragons se porta à l'heure marquée en double haie à l'entrée du château, d'où il escorta le prince jusqu'à Sultz.

« Le dimanche suivant, l'on distribua, par ordre du prince, dans la maison du receveur du bailliage, du pain, du vin et de la viande, non seulement aux pauvres de la ville et des environs, mais à qui en vouloit.

« Le même jour, pour compléter cette fête, les meilleurs bourgeois et habitans de la ville, au nombre de soixante-douze, le corps de dragons en uniforme, soupèrent ensemble à l'hôtel de ville; il y eut un bal qui dura jusqu'au lendemain.

Toute la bourgeoisie se livra à la joie; les juifs, au nombre de quarante, s'assemblèrent dans la maison de Daniel Lévy, et se divertirent aussi toute la nuit. En un mot, tout le monde, riches, pauvres, jeunes gens, vieillards, donnèrent l'essor aux sentimens de respect, de tendresse et de réjouissance. Tous, en général, chacun en son particulier, bénirent le retour heureux, et si longtemps désiré, de leur auguste prince-évêque. »

 

 

LE CARDINAL ET LA CONSTITUTION

 

Le cardinal de Rohan se distingua par son zèle à protester contre les décrets de l'Assemblée nationale relatifs au clergé. Nous n'avons ici qu'à constater les faits, bien entendu.

Dans le n° 12, année de la Feuille villageoise, I2e semaine, jeudi 16 Décembre 1790, on lit:

 

« STRASBOURG. - Nous ne blâmons le clergé que lorsqu'il nous force à le blâmer. Pour peu qu'il nous donne sujet de l'approuver, nous le comblons d'éloges; et lorsque dans ses erreurs il paroît excusable, nous jetons sur lui le manteau de la charité et de l'indulgence. C'est ainsi que nous nous étions pressé de célébrer la conversion apparente du cardinal de Rohan. Mais il s'est bientôt replongé dans ses illusions. Son retour dans son diocèse a été un scandale. Il a, dit-on, arraché les scellés posés par les officiers municipaux. Nous avons de la peine il croire un pareil excès. Mais ce qui est certain, c'est qu'il a protesté contre tous les décrets de l'Assemblée nationale, relatifs aux biens ecclésiastiques. M. le cardinal de Rohan avoit 700,000 livres de rente. Voilà 700,000 raisons pour protester. Mais nous doutons que les saints canons qu'il cite lui soient favorables.

Car l'évangile veut des pasteurs missionnaires et non des prélats millionnaires. »

 

Dans le n° 30, année de la Feuille villageoise, 30" semaine, jeudi 21 Avril 1791, on lit :

 

« STRASBOURG. - Le cardinal de Rohan est bien loin d'être paxicrate. Après avoir fait tant de folies et de dettes, après avoir donné tant de scènes et de scandales, il vient de lever une petite armée - cardinale. Elle ne sera pas vêtue de pourpre. Elle sera vêtue en noir avec une tête de mort pour drapeau. Cette armée funèbre est menacée de mourir de faim ou de rage. Le général a voulu en même temps jouer le rôle d'évêque. Il a jeté l'interdit sur la cathédrale de Strasbourg et défendu, sous peine de l'enfer, de communiquer avec le nouvel évêque. Mais les portes de l'enfer ne s'ouvrent pas ainsi à la voix d'un prêtre séditieux et insensé. L'Assemblée nationale a prié le roi de donner des ordres pour le faire arrêter, conduire aux prisons d'Orléans et juger comme rebelle et perturbateur. » 

 

 

A suivre...

Le Roy de Sainte-Croix (Les Quatre Rohan).

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #MAISONS NOBLES DE LORRAINE

 

DEUXIEME EXTRAIT.

545px-Blason fam fr Rohan-Soubise.guemene LE CARDINAL A LA BASTILLE

 

Les détails qui vont suivre ont été tirés d'un livre qui a paru en I789, par livraisons, à Paris, chez Desenne, au Palais-Royal, et qui porte pour titre: La Bastille dévoilée ou Recueil de pièces authentiques pour servir à son histoire.

Il y est dit à propos de Louis-René-Edouard de Rohan, cardinal-évêque de Strasbourg, etc., « qu'il n'est personne qui puisse se flatter de connaître l'affaire qui a été cause de sa détention, et qui a pendant longtems excité la curiosité de l'Europe entière: l'on n'a encore que des renseignemens vagues, que des romans, malgré tout ce qu'on a imprimé dans le tems. La postérité ne nous en apprendra pas davantage; il ya eu par cet événement trop de personnes compromises, trop d'intérêts divisés, pour qu'on puisse se flatter d'avoir jamais la clef de cette intrigue.

« Le prince Louis est accusé, il demande des juges, on lui en accorde; son procès est instruit, il est jugé, il est renvoyé absous, et après un pareil jugement, le despotisme le poursuit encore. Après un séjour de dix mois à la Bastille, où sa santé s'étoit altérée, où il avoit éprouvé des privations dans tous les genres, il est obligé de se rendre de l'ordre du roi dans les montagnes les plus affreuses de l’Auvergne, à la Chaise-Dieu; ce n'est qu'après bien des sollicitations qu'on lui a enfin accordé la permission de changer ce lieu d'exil dans celui de l'abbaye de Marmoutiers, près de Tours, d'où il ne pouvoit jamais découcher.

De Marmoutiers, il a la permission de se rendre dans son diocèse; les états-généraux sont convoqués, le clergé de son bailliage le nomme son député, l'Assemblée nationale le désire, mais la Révolution commencée n'étoit pas encore arrivée à ce point de maturité où il falloit qu'elle arrivât pour abattre le bras invisible qui le repoussoit et qui lui interdisoit l'exercice public de tous ses droits. Les obstacles sont enfin levés, et c'est alors qu'il a partagé avec toute la France l'exercice d'une liberté dont il n'auroit jamais dù être privé; il vient de paroître au milieu et aux acclamations de l'Assemblée nationale, à deux pas de ce château de Versailles, de cette Cour, séjour heureux de ses implacables ennemis; mais qui, déchus à leur tour, fuyent d'un lieu dans un autre, sans en avoir encore pu trouver un où leurs vexations soient ignorées et ils ne lisent pas sur tous les visages, dans tous les yeux, l'horreur et l'indignation qu'ils doivent nécessairement inspirer à ceux qui sentent l'étendue des priviléges des citoyens et des droits de l'humanité.

« Au moment où nous étions occupés de faire des recherches pour nous procurer le plus de pièces relatives à cette affaire, nous avons appris et nous avons même vu l'ordre (1) que M. de Breteuil avoit fait redemander toutes les diverses pièces de cette procédure; il n'en a fait laisser qu'un très petit nombre qui nous ont été communiquées.

Ce sont des lettres de ce même ministre et de M. Le Noir pour presser les interrogatoires, pour en demander copie sur-le-champ. Les plans de ces interrogatoires étoient fournis par eux. Il a été également laissé les interrogatoires du sieur Toussaint de Beausire, de la demoiselle d'Oliva, des lettres de Mme de la Motte, du comte de Cagliostro, que nous citerons au besoin.

 

(1) Cet ordre du roi est contresigné Breteuil et daté de Saint-Cloud le 5 Septembre 1785.

 

« Le traitement de M. le cardinal à la Bastille varioit et suivoit l'opinion que le public avoit de son affaire. Prenoit-elle une couleur favorable? Le gouverneur bas et rampant étoit aux petits soins; paraissoit-elle devenir plus mauvaise? Le sieur de Launey prenoit alors le ton insolent, et sa conduite étoit à ce sujet le meilleur des thennomètres.

Une sentinelle fut placée à la porte de son appartement; le ministre recommanda qu'on le surveillât avec attention; de Launey qui n'osoit pas agir ouvertement, dit qu'il feroit tout pour lé mieux. En conséquence, pour concilier ce qu'il devoit aux ordres suprêmes et à M. le cardinal, qu'il cherchoit cependant à ménager, il fait faire une porte très épaisse, recouverte de fer avec des serrures à l'avenant, il fait recouvrir de toile, matelasser cette porte comme une porte battante, et on l'en remercia lorsqu'il la fit placer, parce que l'on crut alors que c'étoit une attention de sa part pour garantir M. le cardinal des rigueurs de la saison. Ce ne fut que quelque tems après que ses valets de chambre, et c'est d'eux que nous le tenons, s'aperçurent de ce stratagème.

« Nous avons dit dans notre précédent numéro que le gouverneur, à la sollicitation de M. le cardinal, avoit suspendu l'exercice d'une cloche qui l'incommodoit; mais il nous est parvenu depuis que M. de Breteuil lui en avoit fait des reproches et avoit ordonné qu'on le continuât, en ajoutant qu'à la Bastille tous les prisonniers devoient être égaux, et qu'il ne falloit pas avoir, même pour un cardinal, des déférences contraires aux réglemens. Ce ministre a eu à la Bastille deux entretiens avec sa victime, qui, malgré ses infortunes, le traita avec cette noble fierté qui n'abandonne jamais une âme élevée, et avec un dédain fait pour tous les êtres vils et méprisables de l'espèce du baron de Breteuil.

«M. le cardinal a été longtems à la Bastille sans pouvoir sortir de son appartement avant 7 heures du soir, parce que les ouvriers qui construisoient alors la chapelle neuve ne sortoient qu'à cette heure et parce que, quoique tout Paris sùt qu'il y étoit, il étoit du réglement qu'il ne devoit pas y être vu.

Lorsque quelqu'un passoit dans la cour, il étoit sujet comme un autre à se réfugier dans le cabinet; cependant, quand il se promenoit, l'on avoit l'attention de ne laisser entrer que les personnes qu'on ne pouvoit pas indispensablement refuser ; il a eu dans la suite la promenade des tours et celle du bastion.

«Les entrevues avec le joaillier Boehmer se sont passées dans la maison du gouverneur même. L'on a remarqué que M. le cardinal s'y rendoit coiffé, habillé et décoré comme quand il alloit chez le roi.

«M. de Rohan est fait à tous égards pour présider l'Assemblée nationale, et nous osons assurer qu'il sera unanimement appelé à cette fonction honorable. Quand nous réfléchissons que dans le cours de sa présidence il sera peut-être chargé de présenter au roi, dans ces mêmes appartemens où, au scandale de tout le monde, revêtu de ses ornemens pontificaux, il a été arrêté et livré a la cabale

de ses ennemis, les adresses des représentans de la nation; quand nous pensons que M. le cardinal de Rohan, victime en 1785 d'une cabale ministérielle, peut en 1789 être chargé de présenter au roi, pour qu'il la fasse publier, une dénonciation, une flétrissure, un décret de l'Assemblée nationale qui livre à l'exécration présente, a l'exécration future, à l'exécration de tous les siècles, les attentats commis sur sa personne par des monstres que l'enfer vomit de tems a autre dans sa colère pour le tourment du genre humain: quelle vicissitude! ... »

Revenons à la fameuse cloche.

Les sentinelles de la cour, selon un imprimé trouvé à la Bastille et intitulé Consigne) sonnaient l'heure à chaque quart d'heure de la nuit, sur une cloche destinée a cet usage, et trois coups seulement a chaque heure du jour.

Ainsi, jusqu'à ce qu'un prisonnier fût habitué à ce bruit sinistre, il était éveillé trente fois dans la nuit par les tristes sons que l'on prenait pour l'empêcher de reprendre sa liberté; Mme de Staël s'en plaint dans ses Mémoires. Pendant le séjour de M. le cardinal de Rohan à la BastiIle, on eut la déférence d'interrompre l'exercice de cette cloche qui l'incommodait.

« La célébrité du jugement, dit l'abbé Georgel, où l'honneur de la reine était intéressé, où le roi, accusateur, avait traduit son grand-aumônier, prince, évêque, souverain et cardinal, comme prévenu du crime de lèse-majesté, avoit considérablement multiplié le nombre des juges.

Tous les conseillers honoraires et les maîtres des requêtes qui se trouvoient en droit de siéger à la Grande Chambre, s'y rendirent. Les séances furent longues et multipliées.

Il fallut y lire toute la procédure; puis le rapport étant fini, il fallut, selon l'usage, entendre à la barre les prisonniers décrétés de prise de corps. On fit paroître successivement la demoiselle d'Oliva, le comte de Cagliostro, Vilette et la dame de la Motte; le cardinal fut réservé pour le dernier. Mlle d'Oliva avoua avec ingénuité la faiblesse qu'elle avoit eue de céder aux instances de Mme de la Motte pour la scène du bosquet, croyant comme on le lui disoit, que c'étoit pour amuser la reine. Cagliostro soutint qu'il étoit étranger à tout. Vilette reconnut que la signature Marie-Antoinette de France étoit de sa main.

« Mme de la Motte parut devant ses juges avec une hardiesse et une effronterie qui les révoltèrent. Elle ne fit aucun aveu et nia les faits les plus avérés. Le cardinal, réunissant toutes les forces de son esprit à l'énergie de son âme pour une séance si décisive, se présenta dans l'attitude d'un homme profondément affecté, mais calme au milieu de ses peines: sa contenance faisoit voir un mélange intéressant de respect, de modestie et de dignité. Il se tenoit debout à la barre; la pâleur de son visage annonçoit les suites de la maladie qui avoit inquiété pour ses jours. Le premier président l'invita à s'asseoir; il n'obéit qu'à la troisième invitation.

« -J'ai été complétement aveuglé, s'écria-t-il, par le désir immense que j'avois de regagner les bonnes grâces de la reine. »

« Malgré cette scène touchante, le procureur général conclut contre le cardinal à la flétrissure. Les deux rapporteurs qui opinèrent les premiers, adoptèrent ses conclusions en entier. Quatorze conseillers suivirent. Le président d'Ormesson proposa de ne point dépouiller le cardinal de ses dignités, mais de l'obliger à demander pardon à la

reine; huit conseillers se rangèrent de cet avis. Le conseiller Fréteau, et après lui Robert de Saint-Vincent, opinèrent avec énergie pour l'absolution du cardinal; ils entraînèrent la majorité du Parlement.

« Enfin le 3I Mai I786, à 9 heures du soir, après une dernière séance de dix-huit heures, intervint l'arrêt solennel qui déchargeoit le cardinal de l'accusation intentée contre lui; condamnoit la dame de la Motte à avoir les deux épaules marquées par un fer rouge de la lettre V (voleuse), à être rasée par la main du bourreau et à rester ensuite renfermée pour le reste de ses jours à la Salpêtrière. Vilette fut banni à perpétuité, Cagliostro renvoyé du royaume, Mlle Oliva mise hors de cour.

« Quand on lut à la dame de la Motte son arrêt, elle entra dans un accès de rage qui, sans doute, la fit extravaguer. Elle se déchaîna contre la reine et le baron de Breteuil; elle prononça leurs noms avec des imputations atroces et des imprécations qui obligèrent le juge qui présidoit à l'exécution, de lui faire mettre un bâillon dans la bouche. L'exécution finie, elle fut conduite à la Salpêtrière, où, rasée et en habit de pénitente, elle fut enfermée dans une casemate isolée, sans communication qu'avec les personnes chargées de la nourrir et de réprimer, par des châtimens souvent répétés, le flux désordonné de sa langue envenimée. » (1)

«Aussitôt que j'eus connaissance du jugement du cardinal, dit Mme Campan, je me transportai chez la reine. Elle entendit ma voix dans la pièce qui précédait son cabinet. Elle m'appela; je la trouvai fort émue. Elle me dit avec une voix entrecoupée:

« -Faites-moi votre compliment de condoléance; l'intrigant qui a voulu me  perdre ou se procurer de l'argent en abusant de mon  nom et de ma signature, vient d'être complétement cc acquitté. Mais, ajouta-t-elle avec force, comme Française, recevez aussi mon compliment de condoléance.

«Un peuple est bien malheureux d'avoir pour tribunal suprême un ramas de gens qui ne consultent que leurs passions. » A ce moment, le roi entra, je voulus me retirer: « - Restez, me dit-il, vous êtes du nombre de celles qui partagent sincèrement la douleur de votre maîtresse. » Il s'approcha de la reine et la prit par la main :

 

(1) L'abbé G. Georgel- général du cardinal de Rohan. Mémoires.

 

 

 « - Cette affaire vient d'être outrageusement jugée, ajouta-t-il; elle s'explique cependant aisément. Le Parlement n'a vu dans le cardinal qu'un prince de l'Eglise, un prince de Rohan, le proche parent d'un prince du sang, et il eut dû voir en lui un homme indigne de son caractère ecclésiastique, un dissipateur, un grand seigneur dégradé par ses indignes liaisons, un enfant de famille aux ressources et faisant de la terre le fossé. »

«  M. Pierre de Laurencel, substitut du procureur général, fit parvenir à la reine une liste des noms des membres de la Grande Chambre, avec les moyens dont s'étaient servis les amis du cardinal pour gagner leurs voix pendant la durée du procès. Je me rappelle (c'est Mme Campau qui écrit) que les femmes y jouaient un rôle affligeant pour leurs moeurs. C'était par elles, et à raison de sommes considérables qu'elles avaient reçues, que les plus vieilles et les plus respectables têtes avaient été séduites. Je ne vis pas un seul nom du Parlement directement gagné. » (1)

Nous donnerons ici la liste des personnes qui, en même temps et pour le même fait que le cardinal, se trouvaient à la Bastille.

D'abord, ses trois domestiques. BRANDNER, SCHREIBER et LIÉGEOIS, valets de chambre de Son Excellence. - C'est toujours La Bastille dévoilée qui nous servira de guide.

 

(1) Mme CAMPAN. Mémoires.

 

Le premier des trois fut ensuite au service du prince de Luxembourg; le second à celui du prince de Montbazon, et Liégeois est toujours resté à celui du prince Louis de Rohan. Les deux premiers sont entrés avec lui à la Bastille; ils logeaient auprès de lui et étaient renfermés par la même porte, les mêmes verrous et les mêmes serrures. Liégeois logeait au-dessus, il n'est entré que quelques jours après; il en avait demandé la permission au baron de Breteuil, lorsqu'on vint apposer les scellés chez son maître.

Ces trois domestiques ont été fouillés, visités de la tête aux pieds lors de leur entrée. On les a prévenus que, suivant un article du réglement de la Bastille, ils ne pourraient sortir qu'avec leur maître. On les gardait a vue comme des prisonniers, ils n'avaient comme eux qu'une certaine heure pour se promener; ce ne fut qu'après un laps de temps assez considérable qu'il leur fut permis de recevoir des visites du dehors.

CLAUDE CERVAL, dit l'Italien, né a Parvis près Clermont-en- Argonne, diocèse de Verdun, domestique sans condition, logé rue des Poulies, hôtel de Beaujolais; arrêté comme suspect de négocier des bons de finances et même des bons de colonel en second, qu'il disait tenir de M. le cardinal. Compromis en même temps dans l'affaire du collier.

JEANNE DE SAINT-REMY DE VALOIS, épouse de MarieAntoine-Nicolas, comte de la Motte, née a Fontette, le 22 Juillet I756, demeurant a Paris, rue Neuve-Saint-Gilles.

Tout le monde connaît les aventures de cette femme trop célèbre, tout le monde a lu ses mémoires et les pamphlets calomnieux qui, clandestinement répandus par elle, avaient alors le mérite d'exciter la curiosité, mais qui sont tombés dans l'oubli depuis qu'ils sont devenus publics. Elle fut arrêtée le I8 Août a Bar-sur-Aube. Son mari, chargé dans les divers interrogatoires, a été condamné par contumace.

L'on nous a assuré qu'il était actuellement à Paris et qu'il y était revenu avec le projet de faire réviser son procès.

Nous n'avons, pour juger Mme de la Motte, d'autres pièces que celles que tout le monde connaît, grâce à l'heureuse prévoyance de M. de Breteuil, qui a fait enlever toutes les lumières qu'aurait certainement procurées la prise de la Bastille.

Cependant, pour mettre nos lecteurs à portée de juger des talents de cette dame, nous allons leur donner une copie exacte et même figurée d'une de ses lettres à M. de Crosne, dont l'original, qui est entre nos mains, se trouve dans le nombre des pièces que M. de Breteuil n'a pas jugé à propos de faire enlever :

« Je suis desesperai Monsieur de vous tourmenter aussi souvent pour moi mais je me trouve forcée manqu'ent absolument du nécessaire comme j'ai dé’jà eut l'honneur de vous demander par deut foit differente que je soufres beaucout de froit etent toute nüé, je vous prie Monsieur davoir la bonté de vouloir donner des nouveaust ordres pour que jay tout ce dont jai de besoint, je vous en saurai le plus grand grée

« Et suis avec une parfaite estime, Monsieur,

 

«  Votre très-humble servante (signé) :

 

«  C. S. S. de Valois de la Motte de la Penicière.

 

« A Paris, ce 13 Octobre 1785. »

 

Le baron DE PLANTA, ancien capitaine au régiment de Diesback, actuellement en Suisse, son pays. Il avait connu le prince Louis à Vienne, où il vint après avoir été attaché quelque temps au service de la Prusse. Depuis cette époque il avait fort peu quitté M. le cardinal; aussi avait-il été chargé de plusieurs dépêches pour Mme de la Motte; aussi s'est-il trouvé à Versailles à la scène des jardins; aussi a-t-il été compromis dans l'affaire du collier et mis à la Bastille.

 

JEAN-BAPTISTE DE LA PORTE, rue de Verneuil, faubourg Saint-Germain, avocat, gendre du sieur Achet. Ce furent eux qui, les premiers, firent faire aux joailliers Boehmer et Bassange la connaissance fatale des sieur et dame de la Motte. De la Porte avait travaillé pour elle; c'est lui qui a fait les recherches sur la maison de Valois, que la dame de la Motte a fait insérer à la fin du sommaire publié pour sa défense.

 

NICOLAS - FRANÇOIS - PIERRE GRENIER, né en Picardie, demeurant rue Grenétat. C'est un simple bijoutier, qu'on a fait arrêter pour avoir des éclaircissements. On croyait que la dame de la Motte lui avait vendu des diamants ou du moins qu'il avait été employé à les dénaturer.

 

LOUIS-JOSEPH-ARNAUD DU CLUSEL, né à Bordeaux, secrétaire du cabinet de Madame et premier commis de la marine, demeurant Chaussée d'Antin, n° 90. Arrêté comme suspect de négocier des bons de finances dont il est question dans les mémoires relatifs à l'affaire du collier.

 

ALEXANDRE DE CAGLIOSTRO, demeurant à Paris, rue Saint-Claude. Nous ne parlerons ici ni de l'âge, ni du lieu de naissance de ce célèbre aventurier. Qu'est-ce qui n'a pas lu ses Mémoires romanesques? Il était chargé dans l'affaire du collier. L'arrêt du Parlement du 31 Mai 1786 l'a renvoyé absous.

Ci-joint quelques extraits d'une lettre de cet illuminé, qu'il écrivait de Londres, au mois de Juin 1786. On y verra qu'il avait quelquefois le talent de deviner. Nous ignorons comment cette lettre du comte de Cagliostro, écrite de Londres à un de ses amis, se trouve jointe au dossier de l'affaire du collier.

« ....... Les rois sont bien à plaindre d'avoir de tels ministres, j'entends parler du baron de Breteuil, mon persécuteur..... Mon courage ra, dit-on, irrité; il ne peut digérer qu'un homme dans les fers, qu'un étranger sous les verroux de la Bastille, sous sa puissance à lui, digne ministre de cette horrible prison, ait élevé la voix, comme je l'ai fait, pour le faire connoitre, lui, ses principes, ses agens, ses créatures, aux tribunaux français, à la nation, au roi, et à toute l'Europe. J'avoue que ma conduite a pu l'étonner, mais enfin j'ai pris le ton qui m'appartenait. Je suis persuadé que cet homme à la Bastille ne prendroit pas le même; au reste, mon ami, tirez-moi d'un doute.

Le roi m'a chassé de son royaume; mais il ne m'a pas entendu; est-ce ainsi que s'expédient en France toutes les lettres de cachet? Si cela est, je plains vos concitoyens, surtout aussi longtems que le baron de Breteuil aura ce département. Quoi! mon ami, vos personnes, vos biens sont à la merci de cet homme tout seul? Il peut impunément tromper le roi! il peut, sur ses exposés calomnieux et jamais contredits, surprendre, expédier et faire exécuter, par des hommes qui lui ressemblent, ou se donner l'affreux plaisir d'exécuter lui-même des ordres rigoureux, qui plongent l'innocent dans un cachot et livrent sa maison au pillage. J'ose dire que cet abus déplorable mérite toute l'attention du roi. - Me tromperois-je, et le sens commun des François, que j'aime tant, est-il autre que celui des autres hommes? Oublions ma propre cause, parlons-en général. Quand le roi signe une lettre d'exil et d'emprisonnement, il a jugé le malheureux sur qui va tomber sa rigueur toute puissante; mais sur quoi a-t-il jugé? sur le rapport de son ministre; sur quoi s'est-il fondé? sur des plaintes inconnues, sur des informations ténébreuses, qui ne sont jamais communiquées, quelquefois même sur de simples rumeurs, sur des bruits calomnieux, semés par la haine et recueillis par l'envie. La victime est frappée sans savoir d'où le coup part, heureux si le ministre qui l’immole n'est pas son ennemi! J'ose le demander, sont-ce là les caractères d'un jugement? Et si vos lettres de cachet ne sont pas au moins des jugements privés, que sont-elles donc? Je crois que ces réflexions préseptées au roi le toucheroient.

Que seroit-ce s'il entroit dans le détail des maux que sa rigueur occasionne? Toutes les prisons d'Etat ressemblent-elles à la Bastille? Vous n'avez pas d'idée des horreurs de celle-ci. La cynique impudence, l'odieux mensonge, la fausse pitié, l'ironie amère, la cruauté sans frein, l'injustice et la mort y tiennent leur empire, un silence barbare est le moindre des crimes qui s'y commettent. J'étois

pendant six mois à quinze pieds de ma femme, et je l'ignorois. D'autres y sont ensevelis depuis trente ans, réputés morts, malheureux de ne l'être pas, n'ayant, comme les damnés de Milton, du jour dans leur abyme que ce qu'il leur en faut, pour apercevoir l'impénétrable épaisseur des ténèbres qui les environnent et les enveloppent; ils seroient seuls dans l'Univers, si l'Éternel n'existoit pas, ce Dieu bon et vraiment puissant qui leur fera justice un jour, au défaut des hommes. Oui, mon ami, je l'ai dit captif, et, libre, je le répète, il n'est point de crime qui ne soit expié par six mois de Bastille. On prétend qu'il n'y manque ni de questionnaires ni de bourreaux. Je n'ai pas de peine à le croire.

Quelqu'un me demandoit si je retournerois en France dans le cas où les défenses qui m'en étoient faites seroient levées; assurément, ai-je répondu, pourvu que la Bastille soit devenue une promenade publique. Dieu le veuille! Vous avez tout ce qu'il faut pour être heureux, vous autres François, sol fécond, doux climat, bon coeur, gaieté charmante, du génie et des grâces propres à tout, sans égaux dans l'art de plaire, sans maîtres dans les autres, il ne vous manque, mes bons amis, qu'un petit point, c'est d'être sûrs de coucher dans vos lits quand vous êtes irréprochables : mais l'honneur! mais les familles! les lettres de cachet sont un mal nécessaire ..... Que vous êtes simples! on vous berce avec ces cartes; des gens instruits m'ont assuré que la réclamation d'une famille étoit souvent moins efficace pour obtenir un ordre, que la haine d'un commis ou le crédit d'une femme infidèle. L'honneur! les familles! quoi, vous pensez qu'une famille est déshonorée par le supplice d'Lm de ses membres? Quelle pitié! Mes nouveaux hôtes pensent un peu différemment; changez d'opinion enfin et méritez la liberté par la raison.

« Il est digne de vos parlemens de travailler a cette heureuse révolution; elle n'est difficile que pour les âmes faibles; qu'elle soit bien préparée, voila tout le secret : qu'ils ne brusquent rien. Ils ont pour eux l'intérêt bien entendu des peuples, du roi, de sa maison, qu'ils ayent aussi le tems, premier ministre de la vérité, le tems par qui s'étendent et s'affermissent les racines du bien comme du mal; du courage, de la patience, la force du lion, la prudence de l'éléphant, la simplicité de la colombe, et cette révolution si nécessaire sera pacifique, condition sans laquelle il ne faut pas y penser; vous devrez a vos magistrats un bonheur dont n'a joui aucun peuple; comme celui de recouvrer votre liberté sans coup férir, en la tenant de la main de vos rois. »

« Oui, mon ami, Je vous l'annonce; il régnera sur vous un prince qui mettra sa gloire a l'abolition des lettres de cachet, a la convocation des Etats-généraux et surtout au rétablissement de la vraie religion. Il sentira, ce prince aimé du ciel, que l'abus du pouvoir est destructif a la longue du pouvoir même; il ne se contentera pas d'être le premier de ses ministres, il voudra devenir le premier des François. Heureux le roi qui portera cet édit mémorable! heureux le chancelier qui le signera! heureux le parlement qui le vérifiera! Que dis-je, mon ami, les tems sont peut-être arrivés, il est certain du moins que votre souverain est propre à cette grande oeuvre. Je sais qu'il y travailleroit s'il n'écoutoit que son coeur: sa rigueur à mon égard ne m'aveugle pas sur ses vertus.

« Adieu, mon ami ....., demandez à Déprémesnil, s'il m'avoit donc oublié, je n'ai point de ses nouvelles .....

«De Londres, le 20 Juin 1786. »

 

SERAPHINA FELICHIANI, née à Rome, épouse du sieur comte de Cagliostro, arrêtée pour ses relations avec M. le cardinal et comme pouvant être instruite des faits qu'on cherchait à découvrir.

« Nous remarquons dans divers interrogatoires que nous avons sous les yeux; que les ministres qui en fournissaient le canevas, désiraient beaucoup savoir si elle avait des enfants, surtout si elle avait une fille. »

 

La dame DE LANCOTTE DE LA TOUR, soeur du sieur de la Motte, arrêtée comme la précédente sur de simples soupçons.

C'est la fille de cette dame qui était la jeune personne innocente dont Cagliostro se servait pour ses scènes mystérieuses.

Cette jeune personne était âgée de 12 ou 13 ans.

Elle avait d'abord été en pension à l'abbaye d'Y ères, près de Gros-Bois, et ensuite au couvent de Saint-Joseph, à Paris.

La demoiselle LAINÉ BRIFFAULT, dite Rosalie femme de chambre de la dame de la Motte, arrêtée comme suspecte d'intelligence avec sa maîtresse.

 

MARIE-NICOLE LE GUAY, dite d'Oliva ou Dessign, née à Paris, paroisse Saint-Laurent, le 1er Septembre 1761, mise hors de cour, attendu que, quoique innocente au fond, il a été regardé comme juste qu'il lui fût imprimé cette tache pour le crime purement matériel qu'elle avait commis. Elle fut arrêtée à Bruxelles.

C'est cette malheureuse fille qui, entraînée dans le crime par le besoin et les mauvais exemples, fut choisie par le sieur de la Motte pour jouer le rôle principal dans la scène des jardins de Versailles.

Elle est entrée grosse à la Bastille; elle y est accouchée d'un garçon, par les soins du chirurgien du château, de la dame Chopin, sage-femme, et du nommé Guyon, porte-clefs. L'enfant fut baptisé à Saint-Paul, sous le nom de Toussaint de Beausire, mais non pas sans difficulté, parce qu'on voulait avoir du sieur Toussaint de Beausire une déclaration signée de lui, par laquelle il se reconnaissait le père de l'enfant.

La mère le nourrit elle-même à la Bastille; il fut transféré avec elle à la Conciergerie. En 1789, l'enfant vivait, mais la mère mourut à Fontenay, près Paris, dans une extrême misère. Elle avait épousé son amant et s'en était séparée. Réfugiée dans un couvent, on lui conseilla de prendre l'air de la campagne; elle fut à Fontenay et y est morte.

On n'a jamais vu tant d'honnêteté et de dissolution réunies dans la même personne. Jamais on n’a vu plus de franchise, plus de candeur que Mlle d’ Oliva en a fait paraître dans son interrogatoire. C'est une justice que lui rendirent, ses juges, ses avocats et tous ceux qui ont eu avec elle des relations. Elle a plus contribué à la justification de M. le cardinal que son innocence même. D'elle a dépendu le sort du grand-aumônier .... et ce qui est triste à dire, c'est que la famille de Rohan ne lui en a jamais témoigné la moindre reconnaissance.

 

JEAN-BAPTISTE TOUSSAINT DE BEAUSIRE, âgé de 24 ans,

né à Paris, paroisse Saint-Cosme, amant et puis époux de la demoiselle d'Oliva, fut arrêté, comme elle, à Bruxelles, à cause de ses relations avec ladite d'Oliva.

 

MARC-ANTOINE RETAUX DE VILETTE, ancien gendarme, né à Lyon, au mois de Février I754. Son père était directeur-général des octrois de cette ville. Il fut arrêté à Genève par Quidor, inspecteur de police, qui le conduisit à la Bastille. C'est ce sieur Retaux de Vilette qui, séduit par les promesses perfides de la dame de la Motte, écrivit le serment approuvé et la fausse signature de la reine. C'est également lui qui avait écrit de sa main, sous la dictée de Mme de la Motte, toutes les lettres dont elle s'était servie pour subjuguer l'esprit de M. le cardinal.

Le sieur de Vilette a été condamné à un bannissement perpétuel, sans fouet ni marque, attendu qu'il a été regardé comme l'instrument passif et aveugle des sieur et dame de la Motte.

Il existe, à la date de I786, un Recueil curieux de pièces relatives à l'affaire du collier:

 

Sommaire pour la comtesse de Valois-Lamotte, accusée; contre .M le Procureur général, accusateur; en présence de M. le cardinal de Rohan et autres co-accusés. 64 pages

 

Mémoire pour le comte de Cagliostro, accusé contre M. le Procureur général, accusateur; en présence de M. le cardinal de Rohan, de la Comtesse de la Motte et autres co-accusés. 63 pages.

 

Avec une Requête à joindre au Mémoire du comte de Cagliostro à Nosseigneurs du Parlement, la Grande-Chambre assemblée. I3 pages.

 

Mémoire pour le sieur de Bette d'Etienville, servant de réponse à celui de M. de Fages. 38 pages.

 

Recueil de pièces authentiques et intéressantes pour servir d'éclaircissement à l'affaire concernant le cardinal prince de Rohan. 70 pages.

 

Dans ce dernier Memoire se trouve une Lettre contenant la déposition de la demoiselle d' Oliva, où nous lisons:

On a trouve dans le Recueil de la Calotte, ouvrage en trois volumes de Gallet, fameux chansonnier, l'amphigouri suivant fait du temps du cardinal Dubois, et l'on n'a pas manqué de le ressusciter:

 

Dans le jardin du Sérail

Un cardinal en camail

Feignait de jouer au mail:

Mais en détail

Tout son travail

Etait de voir le bétail

Qu'on enferme en ce bercail.

Un eunuque noir,

Près d'un réservoir,

Lui fit voir,

Vers le soir,

Dans un miroir

La tête d'un âne

Qu'il prit pour la sultane.

 

Pendant que le cardinal de Rohan était à la Bastille, attendant son jugement, il fut indisposé: il demanda un médecin; on lui dépêcha Portal, qui le guérit.

A ce propos, on fit cet Alleluia .'

 

L'intrigant médecin Portal

Nous a rendu le cardinal;

Il l'a bourré de quinquina

Alleluia!

 

Oliva dit qu'il est dindon,

La Motte dit qu'il est fripon,

Lui se confesse, un vrai bêta

Alleluia!

 

Notre Saint-Père l'a rougi,

Le roi, la reine l'ont noirci;

Le Parlement le blanchira

Alleluia!

 

A la Cour il est impuissant,

A la ville il est indécent

A Saverne il végétera

Alleluia!

 

Il est dit, à propos de la maladie du cardinal, dans la Lettre contenant la déposition de la demoiselle d'Oliva) datée de Paris, le 29 Décembre 1785 : « Des accès violents de la colique néphrétique, à laquelle il est sujet, et une tumeur qui s'est déclarée à leur suite, prouvent combien il a été sensible à la tournure que prend son affaire ; mais il montre d'ailleurs un abattement et un découragement qui affligent ses partisans. »

Voici d'autres couplets un peu postérieurs aux précédents: car on en ajoutait toujours de nouveaux. La verve des critiques versificateurs ou rimailleurs ne tarissait pas à l'endroit du cardinal :

 

Nous voici dans le temps pascal,

Que dites-vous du cardinal?

Apprenez-nous s'il chantera

Alleluia ! ....

 

Que Cagliostro ne soit rien,

Qu'il soit Maltois, juif ou chrétien,

A l'affaire que fait cela?

Alleluia !...

 

A Versailles comme à Paris,

Tous les grands et tous les petits

Voudraient élargir Oliva,

Alleluia !...

 

De Valois (Mme de la Motte) l'histoire insensée

Par un roman fut commencée,

Un collier le terminera

Alleluia ! ....

 

Voici l'histoire du procès

Qui met tout Paris en accès;

Nous dirons quand il finira

Alleluia !...

 

 

A suivre...

Le Roy de Sainte-Croix. (Les Quatre Rohan).

 

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Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #MAISONS NOBLES DE LORRAINE

PREMIER EXTRAIT

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LE REVERS DE LA MÉDAILLE

DU CARDINAL DE ROHAN

Affaire du Collier

 

Tout le monde sait à quoi ce titre fait allusion; tout le monde connaît plus ou moins l'affaire fameuse du collier : ce n'est donc pas cette histoire, toujours restée embrouillée que nous voulons remettre au jour. Ce qui nous intéresse en ce moment, ce sont les suites de l'affaire du collier par rapport au cardinal de Rohan, qui sont beaucoup moins connues et qui ne manquent certes pas d'intérêt au point de vue satyrique et comico-tragique.

Reprenons le drame où le cardinal fut le malheureux héros. Le 15 Août 1785, le cardinal, étant déjà revêtu de ses habits pontificaux, fut appelé à midi dans le cabinet du roi, où se trouvait la reine. Le roi lui dit: « - Vous avez acheté des diamants à Boehmer? - Oui, sire. - Qu'en avez-vous fait? - Je croyais qu'ils avaient été remis à la

reine. - Qui vous avait chargé de cette commission? -

Une dame appelée Mille la comtesse de la Motte Valois, qui m'avait présenté une lettre de la reine, et j'ai cru faire ma cour à Sa Majesté en me chargeant de cette commission.

« Alors la reine l'interrompit et lui dit: « - Comment, Monsieur, avez-vous pu croire, vous à qui je n'ai pas adressé la parole depuis huit ans, que je vous choisissais pour conduire cette négociation et par l'entremise d'une pareille femme? - Je vois bien, reprit le cardinal, que j'ai été cruellement trompé; je payerai le collier; l'envie que j'avais de plaire à Votre Majesté m'a fasciné les yeux; je n'ai vu nulle supercherie, et j'en suis fâché. » Alors il sortit de sa poche un portefeuille dans lequel était la lettre de la reine à Mme de la Motte pour lui donner cette commission.

Le roi la prit, et la montrant au cardinal, lui dit:

 « - Ce n'est ni l'écriture de la reine ni sa signature: comment un prince de la maison de Rohan et un grand aumônier a-t-il pu croire que la reine signait Marie-A1ltoinette de France? Personne n'ignore que les reines ne signent leur nom de baptême. Mais, Monsieur, continua le roi, en lui présentant une copie de sa lettre à Boehmer, avez-vous écrit une lettre pareille à celle-ci? » Le cardinal, après l'avoir parcourue des yeux: « - Je ne me souviens pas, dit-il, de l'avoir écrite. - Et si l'on vous montrait l'original signé de vous? - Si la lettre est signée de moi, elle est vraie. - Expliquez-moi donc, continua le roi, toute cette énigme; je ne veux pas vous trouver coupable; je désire votre justification. Expliquez-moi ce que signifient toutes ces démarches auprès de Boehmer, ces assurances et ces billets? » Le cardinal pâlissait alors à vue d'oeil, et s'appuyant contre la table: « - Sire, je suis trop troublé pour répondre à votre Majesté d'une manière ....

« - Remettez-vous, Monsieur le cardinal, et passez dans mon cabinet; vous y trouverez du papier, des plumes et de l'encre; écrivez ce que vous avez à me dire.

« Le cardinal passa dans le cabinet du roi et revint un quart d’heure après, avec un écrit aussi peu clair que l'avaient été ses réponses verbales. Le roi prend le papier en disant au cardinal:

« - Je vous préviens que vous allez être arrêté.

« - Ah! sire, j'obéirai toujours aux ordres de Votre Majesté, mais qu'elle daigne m'épargner la douleur d'être arrêté dans mes habits pontificaux, aux yeux de toute la Cour! -

« - Il faut que cela soit »; et sur ce mot, le roi quitte brusquement le cardinal sans l'écouter davantage.

Au sortir de chez le roi, le cardinal de Rohan était arrêté et conduit à la Bastille. Deux jours· après, il en sortait pour assister, en présence du baron de Breteuil, à l'inventaire de ses papiers. Le 5 Septembre 1785, le jugement du cardinal était enlevé à la juridiction des tribunaux ecclésiastiques et déféré à la Grand' Chambre assemblée par lettres pétantes où la volonté du roi s'exprimait ainsi:

« LOUIS, par la grâce de Dieu, roi de France et de Nayarre; à nos amés et féaux conseillers, les gens tenans notre Cour de Parlement, à Paris, SALUT. Ayant été informé que les nommés Boehrner et Bassange auroient vendu un collier au cardinal de Rohan, à l'insu de la Reine, notre très-chère épouse et compagne, lequel leur auroit dit être autorisé par elle à en faire l'acquisition, moyennant le prix de seize cent l'nille livres, payables en différents termes, et leur auroit fait voir, à cet effet, de prétendues propositions qu'il leur auroit exhibées comme approuvées et signées par la Reine; que ledit collier, ayant été livré par lesdits Bcehmer et Bassange audit cardinal, et le premier payement convenu entre eux n'ayant pas été effectué, ils auroient eu recours à la Reine. Nous n'avons pu voir sans une juste indignation que l'on ait osé emprunter un nom auguste et qui nous est cher a tant de titres, et violer, avec une témérité aussi inouïe, le respect dû a la Majesté royale.

Nous avons pensé qu'il etoit de notre justice de mander devant nous ledit cardinal, et, sur la déclaration qu'il nous a faite, qu'il avoit été trompé par une femme nommée La Motte de Valois, nous avons jugé qu'il étoit indispensable de nous assurer de sa personne et de celle de ladite dame de Valois, et de prendre les mesures que notre sagesse nous a suggérées pour découvrir tous ceux qui auroient pu être auteurs ou complices d'lm attentat de cette nature, et nous avons jugé a propos de vous en attribuer la connoissance pour être le procès par vous instruit, jugé, la Grand'Chambre assemblée. »

Le cardinal de Rohan se défendait et se justifiait comme il suit. Au mois de Septembre I78I, Mme de Boulainvilliers lui présentait une femme dont elle était la bienfaitrice, qu'elle avait recueillie et élevée, Mme de la Motte-Valois.

La misère de la protégée de Mme de Boulainvilliers, son nom, son rang, sa figure, son esprit, touchaient le cardinal. Il aidait Mme de la Motte de quelques louis. Mais que pouvait l'aumône contre le désordre de Mille de la Motte? Au mois d'Avril I784, elle obtenait d'aliéner la pension de I,500 livres accordée par la Cour à la descendante des Valois. Tout donne à croire que, vers ce temps, des relations s'étaient établies entre le cardinal et Mme de la Motte. Mme de la Motte était entrée dans des secrets échappés au cardinal, a l'imprudence de sa parole et a la légèreté de son caractère. Elle le savait las de sa position à la Cour, impatient des amertumes de sa disgrâce et des froideurs méprisantes de la reine, ambitieux et bouillant d'effacer son passé, prêt à tout) avec l'ardeur de la faiblesse, pour rentrer en grâce. Peu à peu, par degrés, autour du cardinal et par tous ses familiers, Mme de la Motte ébruitait doucement, discrètement, une protection auguste, une grande faveur, dont elle était honorée; confirmant elle-même les propos qu'elle semait, disant qu'elle avait un accès secret auprès de la reine, que des terres du chef de sa famille lui allaient être restituées, qu'elle allait avoir part aux grâces. Le cardinal, il ne faut pas l'oublier, s'il n'était ni un niais ni un sot, s'il avait tout le vernis d'un homme du monde et tout l'esprit d'un salon, le cardinal manquait absolument de ce sang-froid de la raison et de ce contrôle du bon sens qui est la conscience et la règle des actes de la vie. Aveuglé par son désir de rentrer en grâce, il s'abandonnait à Mme de la Motte, qui travaillait sans relâche sa confiance, nourrissait ses désirs, enhardissait ses illusions par toutes les ressources et toutes les audaces de l'intrigue et du mensonge. Un jour Mme de la Motte disait au cardinal: « - Je suis autorisée par la reine à vous demander par écrit la justification des torts qu'on vous impute. »

Cette apologie remise par le cardinal à Mme de la Motte, Mme de la Motte apportait, quelques jours après, ces lignes où elle faisait ainsi parler la reine au cardinal: « J'ai lu votre lettre, je suis charmée de ne plus vous trouver coupable; je ne puis encore vous accorder l'audience que vous désirez. Quand les circonstances le permettront, je vous en ferai prévenir; soyez discret. »

Et quels soupçons, quelles inquiétudes pouvaient rester au cardinal après cette impudente comédie d'Août I784, imaginée par Mme de la Motte, où une femme ayant la figure, l'air, le costume et la voix de la reine, lui apparaissait dans les jardins de Versailles et lui donnait à croire que le passé était oublié? De ce jour, le cardinal appartenait tout entier à Mme de la Motte. Les espérances insolentes qu'il osait concevoir de cette entrevue le livraient et le liaient à une crédulité sans réflexion, sans remords, sans bornes. Mme de la Motte pouvait dès lors en abuser à son gré, en faire l'instrument de sa fortune, le complice de ses intrigues. Elle pouvait tout demander au cardinal au nom de cette reine qui lui avait pardonné, non avec la dignité d'une reine, mais avec la grâce d'une femme. Et c'est dès ce mois d'Août une somme de 60,000 livres que Mme de la Motte tire du cardinal, pour des infortunés, dit-elle, auxquels la reine s'intéresse; et c'est, au mois de Novembre, une autre somme de IOO,OOO écus qu'elle obtient encore de lui, au nom de la reine, pour le même objet. Mais de telles sommes étaient loin de suffire aux besoins, aux dettes, aux goûts, au luxe, à la maison de Mme de la Motte. Tentée par l'occasion, elle songea à faire sa fortune, une grande fortune, d'un seul coup.

Bassange et Boehmer, qui entretenaient tout Paris de leur collier, et battaient toutes les influences pour forcer la main au roi ou à la reine, étaient tombés sur un sieur Delaporte, de la société de Mme de la Motte, qui leur avait parlé de Mme de la Motte comme d'une dame honorée des bontés de la reine. Bassange et Boehmer sollicitent aussitôt de Mme de la Motte la permission de lui faire voir le collier.

Elle y consent, et le collier lui est présenté le 29 Décembre 1784. Mme de la Motte, habile à cacher son jeu, parle aux joailliers de sa répugnance à se mêler de cette affaire, sans les désespérer toutefois. Au sortir de l'entrevue, elle se hâte d'expédier, par le baron de Planta, une nouvelle lettre au cardinal, alors à Strasbourg. Mme de la Motte y faisait dire à la reine:

« Le moment que je désire n'est pas encore venu, mais je hâte votre retour pour une négociation secrète qui m'intéresse personnellement et que je ne veux confier qu'à vous; la comtesse de la Motte vous dira de ma part le mot de l'énigme. »

 

Le 20 Janvier 1785, Mme de la Motte fait dire aux joailliers de se rendre chez elle le lendemain 21 ; et là, en présence du sieur Hachette, beau-père du sieur Delaporte, elle leur annonce que la reine désire le collier, et qu'un grand seigneur sera chargé de traiter cette négociation pour Sa Majesté. Le 24 Janvier, le comte et la comtesse de la Motte rendent visite aux joailliers, leur disent que le collier sera acheté par la reine, que le négociateur ne tardera pas à paraître, et qu'ils avisent à prendre leurs sûretés. L'affaire avait été engagée pendant l'absence du cardinal. Mme de la Motte lui apprenait à son retour de Saverne, le 5 Janvier, que la reine désirait acheter le collier des sieurs Boehmer et Bassange, et entendait le charger de suivre les détails et de régler les conditions de l'achat; elle appuyait son dire de lettres qui ne permettaient au cardinal qu'une soumission respectueuse.

Le 24 Janvier, le cardinal, à la suite d'une visite des époux de la Motte, entre chez les joailliers, se fait montrer le collier, et ne cache pas qu'il achète non pour lui-même, mais pour une personne qu'il ne nomme pas, mais qu'il obtiendra peut-être la permission de nommer. Quelques jours après, le' cardinal revoit les joailliers. Il leur montre des conditions écrites de sa main:

1° le collier sera estimé si le prix de 1,600,000 livres paraît excessif;

2° les payements se feront en deux ans, de six mois en six mois;

3° on pourra consentir des délégations; 4° ces conditions agréées par l'acquéreur, le collier devra être livré le 1er Février au plus tard. Les joailliers acceptent ces conditions, et signent l'écrit sans que la reine soit nommée. Cet écrit, revêtu de l'acceptation des joailliers, est remis à Mme de la Motte qui, deux jours après, le rend au cardinal, avec des approbations à chaque article, et au bas la signature: Marie Antoinette de France.

Aussitôt le cardinal, étourdi du succès de sa négociation, de la faveur dont il croit jouir, du mystère même dont la reine entoure sa confiance, écrit aux joailliers que le traité est conclu, et les prie d'apporter l'objet vendu.

Les joailliers, assurés que c'est à la reine qu'ils vendent, se rendent aux ordres du cardinal. Le collier reçu, le cardinal se rend à Versailles, arrive chez Mme de la Motte, lui remet l'écrin: « - La reine attend, dit Mme de la Motte, ce collier lui sera remis ce soir. » En ce moment paraît un homme qui se fait annoncer comme envoyé par la reine. Le cardinal se retire dans une alcôve; l'homme remet un billet; Mme de la Motte le fait attendre quelques instants, va montrer au cardinal le billet, portant ordre de remettre le collier au porteur. L'homme est appelé. Il reçoit l'écrin. Il part.

Le cardinal, convaincu que le collier est remis à la reine, donne ce jour même la première preuve de l'acquisition faite par la reine par cette lettre: «  Monsieur Boehmer, S. M. la reine m'a fait connaître que ses intentions étoient que les intérêts de ce qui sera dû après le premier payement, fin Août, courent et vous soient payés successivement avec les capitaux jusqu'a parfait acquittement. »

Ainsi le cardinal, enfoncé dans la confiance, n'a pas un doute. Le lendemain, il charge son heiduque Schreiber de voir s'il n'y aurait rien de nouveau dans la parure de la reine au dîner de Sa Majesté. Le 3 Février, rencontrant a Versailles le sieur et la dame Rassange, il leur reproche de n'avoir point fait encore leurs très humbles remercîments a la reine de ce qu'elle a bien voulu acheter leur collier. Il les pousse à la voir, a en chercher l'occasion, à la provoquer. Toutefois, le cardinal s'étonnait de ne pas voir la reine porter le collier, et il partit pour Saverne, ne soupçonnant rien encore, mais déjà moins hardi dans ses rêves, presque déçu. Mme de la Motte venait le retrouver a Saverne, et relevait sa confiance en lui promettant une audience de la reine a son retour. Le cardinal, revenu de Saverne, l'audience tardant, la reine continuant a ne pas porter le collier, le cardinal s'inquiétait. Il pressait Mme de la Motte. La reine trouvait le prix excessif, répondait Mme de la Motte, qui voulait gagner du temps; la reine demandait ou l'estimation ou la diminution de 200,000 livres. Jusque-là, ajoutait Mme de la Motte, la reine ne portera pas le collier. Les joailliers se soumettaient à la réduction, et Mme de la Motte faisait voir au cardinal une nouvelle lettre de la reine, dans laquelle la reine disait qu'elle gardait le collier, et qu'elle ferait payer 700,000 livres au lieu de 400,000 à l'époque de la première échéance, fixée au 3 l Juillet.

C'est alors que le cardinal, les joailliers ayant négligé de se présenter devant la reine pour la remercier, exigeait d'eux qu'ils lui écrivissent leurs remercîments. Malheureusement cette lettre de Boehmer, reçue par la reine, lue par elle, tout haut, devant ses femmes présentes; cette lettre, qui eût pu être une révélation, était considérée par la reine comme un nouvel acte de folie de ce marchand qui l'avait menacée de se jeter à l'eau. La reine n'y comprenant rien et n'y voyant cc qu'une énigme du Mercure, la jetait au feu. Et qui pourrait essayer de nier l'ignorance de la reine? Ne faudrait-il pas nier cette note écrite au moment où la fraude va être découverte, et trouvée dans le peu de papiers du cardinal échappés au feu allumé par l'abbé Georgel?

« Envoyé chercher une seconde fois B. (Boehmer). La tête lui tourne depuis que A. (la reine) lui a dit: Que veulent dire ces gens-là? Je crois qu'ils perdent la tête. »

Ceci se passait le 12 Juillet. Quelques jours après, Mme de la Motte avertissait le cardinal que les 700,000 livres, payables au 3 l Juillet, ne seraient pas payées, que la reine en avait disposé; mais que les intérêts seraient acquittés.

La préoccupation de ce payement qui manque, le souci de faire attendre les joailliers, troublent le cardinal. Il s'alarme.

A ce moment, il lui tombe sous les yeux de l'écriture de la reine. Il soupçonne. Il mande Mme de la Motte. Elle arrive tranquille, et le rassure. Elle n'a pas vu, dit-elle, écrire la reine; mais les approbations sont de sa main, il n'y a pas le moindre doute à avoir. Elle jure que les ordres qu'elle a transmis au cardinal lui viennent de la reine.

D'ailleurs, pour lui ôter toute inquiétude, elle va lui apporter 30,000 livres de la part de la reine pour les intérêts.

Et ces 30,000 livres, Mme de la Motte les apporte au cardinal.

Le cardinal ignore que Mme de la Motte les a empruntées sur des bijoux mis en gage chez son notaire, et tous ses soupçons tombent devant une pareille somme apportée par une femme qu'il nourrit de ses charités.

Le 3 Août, Boehmer voyait Mme Campan à sa maison de campagne, et tout se découvrait. Mme de la Motte faisait appeler le cardinal, dont l'aveuglement continuait sans que cette phrase de Bassange, du 4 Août, l'eût éclairé:

« Votre intermédiaire ne nous trompe-t-il pas tous les deux? »

Mme de la Motte se plaignait au cardinal d'inimitiés redoutables conjurées contre elle, lui demandait un asile, le compromettait par cette hospitalité, puis le quittait le 5, et se retirait à Bar-sur-Aube. Elle espérait que l'affaire se dénouerait sans éclat; elle comptait que le cardinal avait trop à risquer pour appeler sur son imprudence et sa témérité le bruit, la lumière, la justice. Compromis avec elle, le cardinal payerait et se tairait, pensait Mme de la Motte.

Toute cette affaire n'était donc qu'une escroquerie.

Encore l'idée n'en était-elle pas bien neuve. Le scandale n'était pas oublié d'une Mme de Cahouet de Villiers, qui par deux fois, en 1777, imitant l'écriture et la signature de Marie-Antoinette, s'était fait livrer d'importantes fournitures par la demoiselle Bertin; puis, réprimandée pour toute punition et pardonnée par la reine, fabriquait une nouvelle lettre signée Marie-Antoinette, au moyen de laquelle elle enlevait 200,000 livres au fermier général Béranger.

Une autre intrigue, moins ébruitée, presque inconnue du public même alors, n'avait-elle pas, quelques années après, annoncé l'affaire du collier, et montré la voie à l'imagination de Mme de la Motte? Une femme, en I782, s'était vantée, elle aussi, d'être honorée de la confiance et de l'intimité de la reine. Elle montrait des lettres de Mme de Polignac, qui la priait de se rendre à Trianon. Elle usait du cachet de la reine, surpris par elle sur la table du duc de Polignac. A l'entendre, elle disposait de la faveur de Mme de Lamballe; à l'entendre, elle avait, par son crédit sur la reine, désarmé le ressentiment de la princesse de Guémenée et de Mme de Chimay contre une dame de Roquefeuille.

Mêmes mensonges et mêmes dupes, c'est la même comédie, et, chose inconcevable, c'est le même nom: l'intrigante de I782 s'appelait, elle aussi, de la Motte!

Marie-Josephe-Françoise Waldburg-Frohberg, épouse de Stanislas-Henri-Pierre du Pont de la Motte, ci-devant administrateur et inspecteur du collège royal de la Flèche.

A l'appui de sa bonne foi de dupe, le cardinal de Rohan apportait la subite fortune et le soudain étalage de Mme de la Motte, ce mobilier énorme dont Chevalier avait fourni les bronzes, Sikes les cristaux, Adam les marbres; tout ce train, monté d'un coup de baguette, chevaux, équipage, livrée; tant de dépenses, l'achat d'une maison, d'une argenterie magnifique, d'un écrin de IOOOOO livres, tant d'argent jeté de tous les côtés aux caprices les plus ruineux, par exemple à un oiseau automate de 1,500 livres! La défense du cardinal rapprochait de ces dépenses les ventes successives de diamants faites par la femme la Motte, à partir du 1er Février, pour 27,000 livres, 16,000 livres, 36,000 livres, etc. ; les ventes de montures de bijoux pour 40 ou 50,000 livres; les ventes opérées en Angleterre par le mari de Mme de la Motte de diamants semblables à ceux du collier, d'après le dessin envoyé de France, pour 400,000 livres en argent, ou échangés contre d'autres bijoux, tels qu'un médaillon de diamants de 230 louis, des perles à broder pour 1,890 louis, etc.; tous échanges ou ventes certifiés par les tabellions royaux de Londres.

L'éclat de cette fortune et de ces dépenses, ajoutait la défense, avait été soigneusement dérobé au cardinal par Mme de la Motte. Elle le recevait dans un grenier lorsqu'il venait chez elle; et le 5 Août, lorsqu'elle le quittait pour aller h'3biter la maison qu'elle avait achetée à Bar-sur-Aube, elle lui disait se retirer chez une de ses parentes.

Mme de la Motte niait tout. Elle niait ses rapports avec les joailliers, ce bruit de faveur auprès de la reine répandu par elle, le récit fait par le cardinal de la remise du collier.

Ne voyant son salut que dans la perte du cardinal, elle imaginait cette fable d'une influence magnétique de Cagliostro sur le cardinal. C'était à Cagliostro, suivant elle, que le cardinal avait remis le collier. C'était Cagliostro qui avait fait prendre au cardinal le comte et la comtesse de la Motte pour agents en France et en Angleterre du dépècement et du changement de nature du collier. Les deux grands faits à sa charge, la fausse signature de la reine sur le marché, et la comédie de l'apparition de la reine au cardinal dans le parc de Versailles, Mme de la Motte les repoussait d'un ton léger. Suivant elle, « le cardinal ayant toujours gardé le plus grand secret sur cette négociation qu'il a conduite lui-même, elle ne connaît la négociation que comme le public, par les lettres patentes du mois de Septembre dernier et le réquisitoire en forme de plaintes du procureur général. »

Quant à la scène du parc de Versailles, elle s'écrie ironiquement dans son mémoire: « C'est le baron de Planta qui apparemment aura fait voir à M. de Rohan, ou lui aura fait croire qu'il voyait on ne sait quel fantôme à travers l'une de ces bouteilles d'eau limpide avec laquelle Cagliostro a fait voir notre auguste reine à la jeune demoiselle de la Tour » ; et raillant agréablement le cardinal:

« Dans ce rêve extravagant, M. de Rohan a-t-il donc reconnu le port majestueux, ces attitudes de tête qui n'appartiennent qu'à une reine, fille et soeur d'empereur? »

Une déposition inattendue venait faire justice du persiflage de Mme de la Motte. Un religieux minime déclarait avoir désiré prêcher à la Cour, pour obtenir le titre de prédicateur du roi. Refusé pour un de ses sermons soumis au grand aumônier de France, il avait été engagé à se présenter chez Mme de la Motte, qui, lui dit-on, gouvernait le cardinal, et lui obtiendrait cette faveur. Il avait suivi le conseil, réussi auprès de Mme de la Motte, prêché devant le roi. De là une grande reconnaissance du religieux, qui devenait l'ami de Mme de la Motte et son commensal habituel.

Un jour qu'il y dînait, il avait été frappé de la beauté d'une jeune personne et de sa ressemblance avec la reine.

Il se rappelait l'avoir vue reparaître le soir, après une seconde toilette, avec la coiffure habituelle de la reine.

Sur cette déposition, sur les recherches de la police, la demoiselle Oliva était arrêtée, le 17 Octobre, à Bruxelles, et amenée à la Bastille. Interrogée, elle confirmait la déposition du Père Loth. Un homme qui l'avait rencontrée au Palais-Royal, lui avait rendu plusieurs visites. Il lui parlait de protections puissantes qu'il voulait lui faire obtenir, puis lui annonçait la visite d'une dame de grande distinction qui s'intéressait à elle. Cette dame était Mme de la Motte. Elle se disait à la d'Oliva chargée par la reine de trouver une personne qui pût faire quelque chose qu'on lui expliquerait lorsqu'il en sera temps, et lui offrait 15,000 livres. La d'Oliva acceptait. C'était dans les premiers jours d'Août. Le comte et la comtesse de la Motte amenèrent la d'Oliva à Versailles. Ils sortent, puis reviennent, et lui annoncent que la reine attend avec la plus vive impatience le lendemain, pour voir comment la chose se passera. Le lendemain, c'est la comtesse qui s'occupe elle-même de la toilette de la d'Oliva. Elle lui met une robe de linon, une robe à l'enfant, ou une gaule, appelée plus communément une chemise, et la coiffe en demi-bonnet.

Quand elle est habillée, la comtesse lui dit: « - Je vous conduirai ce soir dans le parc, et vous remettrez cette lettre à un très grand seigneur que vous y rencontrerez. » Entre 11 heures et minuit, Mme de la Motte lui jetait un mantelet blanc sur les épaules, une thérèse sur la tête, et la conduisait au parc. En chemin, elle lui remettait une rose: « - Vous remettrez cette rose avec la lettre à la personne qui se présentera devant vous et vous lui direz seulement: Vous savez ce que cela veut dire. » Arrivée au parc, Mme de la Motte fait placer la d'Oliva dans une charmille, puis va chercher le grand seigneur, qui s'approche en s'inclinant.

La d'Oliva dit la phrase, remet la rose ..... « -Vite! vite! venez! » C'est Mme de la Motte qui accourt et l'entraîne.

Ce démenti, donné à toute la défense de Mme de la Motte, n'abattit point son impudence. Mais bientôt un autre démenti confondait ses mensonges. Rétaux de Villette, son confident, son secrétaire, arrêté à Genève, avouait qu'abusé par l'influence de Mme de la Motte, par l'espérance d'une fortune auprès du cardinal, il avait écrit, sous la dictée de Mme de la Motte, toutes les fausses lettres qui avaient trompé M. de Rohan. Il avouait qu'il avait tracé, sous ses ordres, les mots Approuvé en marge du traité de vente du collier, tracé au bas la signature Marie-Antoinette de France. (1)

Ainsi, « une intrigante, dit Mme Campan, avait tout ourdi. Elle avait trompé le cardinal et le joaillier, contrefait (ou fait contrefaire) la signature de la reine, et imaginé une rencontre entre la reine et le cardinal, le soir, dans les jardins de Versailles, où une fille nommée Oliva, qui ressemblait étrangement à Marie-Antoinette, se montra un instant et disparut dans les bosquets. Le cardinal fut dupe de cette ressemblance comme il l'avait été de tout le reste.

« Madame, belle-soeur du roi, avait été la seule protectrice de Mme de la Motte, qui se disait descendante de la maison de Valois, et cette protection s'était bornée à lui faire accorder une mince pension de 1200 ou 1500 francs. Son frère avait été placé dans la marine royale, où le marquis de Chabert, auquel il avait été recommandé, ne put jamais en faire un officier estimable.

« La reine chercha vainement à se rappeler les traits de cette femme, dont elle avait souvent entendu parler comme d'une intrigante qui venait souvent le dimanche dans la galerie de Versailles, où le public était admis comme dans le parc; et lorsqu'à l'approche où le procès du cardinal occupait toute la France, on mit en vente le portrait de la comtesse de la Motte-Valois, Sa Majesté me dit, un jour où j'allais à Paris, de lui acheter cette gravure que l'on disait assez ressemblante pour qu'elle vît si elle lui retrouvait une personne qu'elle devait avoir aperçue dans la galerie.

« Non seulement la reine, mais tout ce qui approchait Sa Majesté n'avait jamais eu la moindre relation avec cette intrigante; et, dans son procès, elle ne put indiquer qu'un nommé Duclos, garçon de la chambre de la reine, auquel elle prétendait avoir remis le collier de Bcehmer.

Ce Duclos était un fort honnête homme. Confronté avec la femme de la Motte, il fut prouvé qu'elle ne l'avait jamais vue accoucheur qu'une fois, chez la femme d'un chirurgien de Versailles, qui était la seule personne chez qui elle allait à la Cour, et qu'elle ne lui avait point remis le collier.

Mme de la Motte avait épousé un simple garde du corps de Monsieur; elle logeait à Versailles, dans un très médiocre hôtel garni, A la Belle-Image' et l'on ne peut concevoir comment une personne aussi obscure était parvenue à se faire croire amie de la reine, qui, malgré son extrême bonté, n'accordait d'audience que très rarement seulement aux personnes titrées.» (1)

 

(1) Histoire de Marie-Antoinette, par E. et J. DE GONCOURT

Il fut prouvé au procès :

 

1° Que le cardinal avait été persuadé qu'il achetait le collier pour la reine;

2° Que l'autorisation signée : Marie-Antoinette de France, était écrite de la main de Vilette, à l'instigation de la dame de la Motte;

3° Que le collier avait été livré à Mme de la Motte pour le faire remettre à la reine;

4° Que son mari l'avait porté dépecé Londres; qu'il en avait vendu pour son compte les pierres les plus précieuses.

 

1 Mme CAMPAN. Mémoires.

 

A suivre...

Le Roy de Sainte-Croix (Les Quatre Rohan).

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TROISIEME EXTRAIT

 

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LE CARDINAL AU BAPTÊME DU DAUPHIN

 

En 1781, la reine accoucha de celui qui devait mourir chez le cordonnier Simon. Voici cc que raconte Mme d'Oberkirch à l'occasion de cc pauvre dauphin:

« Pendant ma maladie, un grand événement eut lieu à Versailles: la reine était accouchée de M. le dauphin.

Il fut baptisé le lendemain de sa naissance par M. le cardinal-prince de Rohan, grand-aumônier, évêque de Strasbourg, et tenu sur les fonts au nom de l'empereur et de Mme de Piémont, par Monsieur frère du roi, et par Madame comtesse de Provence. La mode vint de porter des dauphins en or, ornés de brillants, comme on portait des jeannettes. » (1)

 

1 Mémoires de la baronne d'Oberkirch. T. Ier, p. 157

 

CAGLIOSTRO EN ALSACE

CHEZ LE CARDINAL DE ROHAN

 

« En arrivant à Strasbourg, à la fin de Novembre 1780, dit encore la baronne d'Oberkirch, nous trouvâmes toutes les têtes occupées d'un charlatan devenu célèbre, qui commençait alors, avec une rare adresse, les jongleries qui lui ont fait jouer un rôle si étrange. Je vais en dire ce que j'en ai vu, avec sincérité, laissant à mes lecteurs à juger ce que je n'ai pu comprendre ...... Un huissier, ouvrant les deux battants de la porte, annonça tout à coup: -

« S. Exc. M. le comte de cc Cagliostro! Je tournai promptement la tête. J'avais entendu parler de cet aventurier depuis mon arrivée à Strasbourg, n).ais je ne l'avais pas encore rencontré. Je restai stupéfaite de le voir entrer ainsi chez l'évêque, de l'entendre annoncer avec cette pompe, et plus stupéfaite encore de l'accueil qu'il reçut. Il était en Alsace depuis le mois de Septembre, et il y faisait un bruit incroyable, prétendant guérir toutes sortes de maladies. Comme il ne recevait pas d'argent, et qu'au contraire il en répandait beaucoup parmi les pauvres, il attirait la foule chez lui, malgré la non-réussite de sa panacée. Il ne guérissait que ceux qui se portaient bien, ou du moins ceux chez lesquels l'imagination était assez forte pour aider le remède. La police avait les yeux sur lui, elle le faisait épier d'assez près, et il affectait de la braver. On le disait Arabe; cependant, son accent était plutôt italien ou piémontais. J'ai su depuis qu'en effet il était de Naples. A cette époque, pour frapper l'esprit du vulgaire, il affectait des bizarreries. Il ne dormait que dans un fauteuil et ne mangeait que du fromage.

« Il n'était pas absolument beau, mais jamais physionomie plus remarquable ne s'était offerte à mon observation.

Il avait surtout un regard d'une profondeur presque surnaturelle; je ne saurais rendre l'expression de ses yeux; c'était en même temps de la flamme et de la glace, il attirait et il repoussait; il faisait peur et il inspirait une curiosité insurmontable. On traçait de lui deux portraits différents, ressemblants tous les deux et aussi dissemblables que possible. Il portait à sa chemise, aux chaînes de ses montres, à ses doigts, des diamants d'une grosseur et d'une eau admirables; si ce n'était pas du strass, cela valait la rançon d'un roi. Il prétendait les fabriquer lui-même.

Toute cette friperie sentait le charlatan d'une lieue.

« A peine le cardinal l'aperçut-il, qu'il courut au-devant de lui, et pendant qu'il saluait à la porte, il lui dit quelques mots que je ne cherchai pas à entendre. Tous les deux vinrent vers nous; je m'étais levée en même temps que l'évêque, mais je me hâtai de me rasseoir, ne voulant pas laisser croire à cet aventurier que je lui accordais quelque attention. Je fus bientôt contrainte à m'en occuper néanmoins, et j'avoue en toute humilité, aujourd'hui, que je n'eus pas à m'en repentir, ayant toujours beaucoup aimé l'extraordinaire.

« Son Éminence trouva le moyen, au bout de quelque cinq minutes, et quelque résistance que j'y fisse, ainsi que M. d'Oberkirch de nous mettre en conversation directe; elle eut le tact de ne je serais partie sur-le-champ, pas me nommer, sans quoi mais elle le mêla dans nos propos et nous dans les siens; il fallut bien se répondre.

Cagliostro ne cessait de me regarder; mon mari me fit signe de partir; je ne vis pas ce signe; mais je sentis ce regard entrant dans mon sein comme une vrille, je ne trouve pas d'autre expression. Tout à coup, il interrompit M. de Rohan, lequel, par parenthèse, s'en pâmait de joie, et me dit brusquement:

« - Madame, vous n'avez pas de mère, vous avez à cc peine connu la vôtre, et vous avez une fille. Vous êtes la « seule fille de votre famille et vous n'aurez pas d'autre cc enfant que celle que vous avez déjà.

« Je regardai autour de moi, si surprise, que je ne suis pas revenue encore d'une telle audace s'adressant à une femme de ma qualité. Je crus qu'il parlait à une autre, et je ne répondis pas.

« -.Répondez, Madame, reprit le cardinal d'un air suppliant.

« -. Monseigneur, Mme d'Oberkirch ne répond qu'à ceux qu'elle a l'honneur de connaître sur pareilles matières, répliqua mon mari d'un ton presque impertinent; je craignis qu'il ne manquât de respect à l'évêque.

« Il se leva et salua d'un air hautain; j'en fis de même.

Le cardinal, embarrassé, accoutumé à trouver partout des courtisans, ne sut quelle contenance tenir. Cependant, il s'approcha de M. d'Oberkirch, Cagliostro me regardait toujours) et lui adressa quelques mots d'une si excessive prévenance, qu'il n'y eut pas moyen de se montrer rebelle.

« - M. de Cagliostro est un savant qu'il ne faut pas traiter comme un homme ordinaire, ajouta-t-il;  demeurez quelques instants, mon cher baron; permettez à Mme d'Oberkirch de répondre; il n'y a là ni péché ni  inconvenance, je vous le promets, et d'ailleurs, n'ai-je  pas des absolutions toutes prêtes pour les cas réservés?

« - Je n'ai pas l'honneur d'être de vos ouailles, Mon seigneur, interrompit M. d'Oberkirch, avec un reste de mauvaise humeur.

« - Je ne le sais que trop, Monsieur, et j'en suis marri; vous feriez honneur à notre église. Mme la baronne, dites-nous si M. de Cagliostro s'est trompé, dites-nous le, je vous en supplie.

«- Il ne s'est point trompé dans ce qui concerne le passé, répliquai-je, entraînée par la vérité.

« - Et je ne me trompe pas davantage en ce qui concerne l'avenir répondit-il d'une voix si cuivrée, qu'elle retentissait comme une trompette voilée de crêpe.

« - Il faut bien que je l'avoue, j'eus en ce moment un irrésistible désir de consulter cet homme; et la crainte de contrarier M. d'Oberkirch, dont je savais l'éloignement pour ces sortes de mômeries, put seule m'en empêcher.

Le cardinal restait· bouche béante; il était visiblement subjugué par cet habile jongleur et ne ra que trop prouvé depuis. Ce jour-là restera irrévocablement gravé dans ma mémoire. J'eus de la peine à m'arracher à une fascination que je comprends difficilement aujourd'hui, bien que je ne puisse la nier.

« Je n'en ai pas : fini avec Cagliostro, et ce qui me reste à dire de lui est au moins aussi singulier et plus inconnu encore. Il prédit d'une manière certaine la mort de l'impératrice Marie-Thérèse, à l'heure même où elle rendait le dernier soupir. M. de Rohan me le dit le soir même, et la nouvelle n'arriva que cinq jours après.» (1)

L'année suivante, Mme d'Oberkirch était de nouveau établie à Strasbourg; un jour, on lui remet cc une lettre cachetée d'un sceau immense, par laquelle Mgr. le cardinal de Rohan l'invitait à dîner, ainsi que M. d'Oberkirch, trois jours après. Je ne compris rien à cette politesse, dit-elle, à laquelle nous n'étions point accoutumés.

« - Je gage, dit mon mari, qu'il veut nous mettre en face de son maudit sorcier, auquel je ferais volontiers un  mauvais parti.

 

1 Mémoires de la baronne d'Oberkirch, t. 1er, p. 135.

 

 

« - Il est à Paris, répliquai-je.

« - Il est ici depuis un mois, suivi par une douzaine de folles, auxquelles il a persuadé qu'il allait les guérir.

« C'est une frénésie, une rage; et des femmes de qualité, encore! voilà le plus triste. Elles ont abandonné Paris à  sa suite, elles sont ici parquées dans des cellules; tout leur est égal, pourvu qu'elles soient sous le regard du grand cophte, leur maître et leur médecin. Vit-on jamais pareille démence ?

« - Je croyais qu'il était allé soigner le prince de « Soubise?

« - Sans doute, mais il est revenu, et avec le cortège.

« Depuis son retour, il a guéri ici, d'une fièvre imaginaire, un officier de dragons qui passait pour gravement malade. C'est à qui, depuis lors, réclamera ses conseils.

« Il fait grandement les choses, je l'avoue, et c'est un philanthrope de la meilleure espèce. Ce mot, inventé depuis peu par le reste des encyclopédistes, me sembla au moins aussi étrange que ce qui précédait.  Nous hésitâmes assez longtemps avant de répondre au prince. M. d'Oberkirch avait grande envie de refuser, et moi, toujours au contraire, ce désir inconcevable de revoir le sorcier, ainsi que l'appelait mon mari. La crainte d'être impolis envers Son Eminence nous décida à accepter.

J'avoue que le coeur me battait au moment où j'entrai chez le cardinal; c'était une crainte indéfinissable et qui n'était pourtant pas sans charme. Nous ne nous étions pas trompés: Cagliostro était là.

« Jamais on ne se fera une idée de la fureur, de la passion avec laquelle tout le monde se jetait à sa tête; il faut l'avoir vu. On l'entourait, on l'obsédait; c'était à qui obtiendrait de lui un regard, une parole. Et ce n'était pas seulement dans notre province: à Paris, l'engouement était le même. M. d'Oberkirch n'avait rien exagéré. Une douzaine de femmes de qualité, plus deux comédiennes, l'avaient suivi pour ne pas interrompre leur traitement, et la cure de l'officier de dragons, feinte ou véritable, acheva de le diviniser. Je m'étais promise de ne me singulariser en rien, d'accepter comme les autres la science merveilleuse de l'adepte, ou du moins d'en avoir l'air, mais de ne jamais me livrer avec lui, ni de lui donner l'occasion d'étaler sa fatuité pédante, et surtout de ne point permettre qu'il franchît le seuil de notre porte.

« Dès qu'il m'aperçut, il me salua très respectueusement; je lui rendis son salut sans affectation de hauteur ni de bonne grâce. Je ne savais pourquoi le cardinal tenait à me gagner plus qu'une autre. Nous étions une quinzaine de personnes, et lui ne s'occupa que de moi. Il mit une coquetterie raffinée à m'amener à sa manière de voir. Il me plaça à sa droite, ne causa presque qu'avec moi, et tâcha, par tous les moyens possibles, de m'inculquer ses convictions. Je résistai doucement, mais fermement; il s'impatienta et en vint aux confidences en sortant de table.

Si je ne l'avais pas entendu, je ne supposerais jamais qu'un prince de l'Eglise romaine, un Rohan, un homme intelligent et honorable sous tant d'autres rapports, puisse se laisser subjuguer au point d'abjurer sa dignité, son libre arbitre, devant un chevalier d'industrie.

« - En vérité, Madame la baronne, vous êtes trop «difficile à convaincre. Quoi! ce qu'il vous a dit à vous « même, ce que je viens de vous raconter, ne vous a pas « persuadée! Il vous faut donc tout avouer; souvenez « vous au moins que je vais vous confier un secret d'importance. »

 « Je me trouvai fort embarrassée; je ne me souciais pas de son secret, et son inconséquence très connue dont il me donnait du reste une si grande preuve, me faisait craindre de partager l'honneur de sa confiance avec trop de gens, et avec des gens indignes de lui. J'allais me récuser, il le devina.

« - Ne dites pas non, interrompit-il, et écoutez-moi.

« Vous voyez bien ceci? »

« Il me montrait un gros solitaire qu'il portait au petit doigt et sur lequel étaient gravées les armes de la maison de Rohan; c'était une bague de 20,000 livres au moins.

« - C'est une belle pierre, Monseigneur, et je l'avais déjà admirée.

« - Eh bien! c'est lui qui l'a faite, entendez-vous; il « l'a créée avec rien; je l'ai vu, j'étais là, les yeux fixés « sur le creuset, et j'ai assisté à l'opération. Est-ce de la « science? Qu'en pensez-vous, Madame la baronne? On « ne dira pas qu'il me leurre, qu'il m'exploite; le joaillier et le graveur ont estimé le brillant à 25,000 livres. Vous  conviendrez au moins que c'est un étrange filou que celui qui fait de pareils cadeaux. »

« Je restai stupéfaite, je l'avoue; M. de Rohan s'en aperçut et continua, se croyant sûr de sa victoire:

« - Ce n'est pas tout: il fait de l'or; il m'en a composé devant moi, pour 5 ou 6,000 livres, là-haut, dans les combles du palais. J'en aurai davantage, j'en aurai beaucoup; il me rendra le prince le plus riche de l'Europe. Ce ne sont point des rêves, Madame, ce sont des preuves. Et ses prophéties toutes réalisées, et toutes les guérisons miraculeuses qu'il a opérées! Je vous dis que c'est l'homme le plus extraordinaire, le plus sublime et  dont le savoir n'a d'égal au monde que sa bonté. Que (c d'aumônes il répand que de bien il fait! cela passe toute imagination.

« - Quoi! Monseigneur, Votre Excellence ne lui a rien donné pour tout cela, pas la moindre avance, pas de  promesses, pas d'écrit qui vous compromette. Pardonnez  ma curiosité, puisque vous voulez bien me confier ces mystères, je ....

«- Vous avez raison, Madame, et je puis vous  assurer un fait, c'est qu'il n'a absolument rien demandé, qu'il n'a rien reçu de moi.

«  - Ah! Monseigneur! m'écriai-je, il faut que cet homme compte exiger de vous de bien dangereux sacrifices, pour acheter aussi cher votre confiance illimitée!

« A votre place, j'y prendrais garde; il vous conduira loin. Le cardinal ne me répondit que par un sourire d'incrédulité; mais je suis sûre que plus tard, dans l'affaire du collier, lorsque Cagliostro et Mme de la Motte l'eurent jeté au fond de l'abîme, il se rappela mes paroles.

« Nous causâmes ainsi presque toute la soirée; et je finis par découvrir le but de ses cajoleries; le pauvre prince n'agissait pas de lui-même. Cagliostro savait mon amitié intime avec la grande-duchesse, et il avait insisté auprès de son protecteur, pour qu'il me persuadât de son pouvoir occulte, afin d'arriver par moi à Son Altesse Impériale. Le plan n'était pas mal conçu, mais il échoua devant ma volonté; je ne dis pas ma raison, elle eût été insuffisante; je ne dis pas ma conviction, je la sentais ébranlée. Il est certain que si je n'avais pas dominé le penchant qui m'entraînait vers le merveilleux, je fusse devenue, moi aussi peut-être, la dupe de cet intrigant.

L'inconnu est si séduisant! Le prisme des découvertes et des sciences astrologiques a tant d'éclat! Ce que je ne puis dissimuler, c'est qu'il y avait en Cagliostro une puissance démoniaque; c'est qu'il fascinait l'esprit, c'est qu'il domptait la réflexion. Je ne me charge pas d'expliquer ce phénomène, je le raconte, laissant à de plus instruits que moi le soin d'en percer le mystère.

« Le cardinal de Rohan perdit plus tard des sommes immenses, prodigieuses, avec ce désintéressé. On assure pourtant qu'il est encore complètement aveuglé et qu'il n'en parle que les larmes aux yeux. Quelle tête que celle de ce prélat! Quelle position il a gâtée! Que de mal il a fait par sa faiblesse et son inconséquence! Il l'expie cruellement; mais il a été bien coupable!»

M. Ch. Asselineau publia en 1862, sous le titre de : Mélanges curieux et anecdotiques) chez Téchener, à Paris, une collection des autographes et des documents historiques appartenant à M. Fossé-Darcosse, un fort volume in-8°.

Dans le nombre des pièces se trouvait une lettre autographe signée par le prince-évêque de Strasbourg, Louis-René de Rohan. C'était pour recommander Cagliostro à Strasbourg.

Cette lettre de trois pages in-4°, datée de Versailles, le 13 Janvier 1783, et adressée au comte de .... , a pour objet de recommander la personne de M. de Cagliostro, qu'il seroit advantageux de fixer dans la ville de Strasbourg, en le détournant de l'idée de retourner à Bastia. Il a droit: « A toutes les nuances de votre bienfaisance sous le rapport de son honnesteté et de son attachement singulier à tout ce qui prend dans son esprit le caractère d'utilité pour l'homme souffrant. ... »!

 

1 Le Bibliographe alsacien. N° 7, 1863, p. 189.

 

A suivre...

Le Roy de Sainte-Croix (Les Quatre Rohan).

 

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L'ouvrage, dont voici la 1ère de couverture ainsi qu'un court extrait,  comprend 120 pages en forme d'éloge, de plaidoyer à la Monarchie. L'auteur, sur commande de ses pairs, relate les 200 ans de mensonges qui ont terni le Cycle du Lys puisque, dans son langage, c'est ainsi qu'il qualifie les 1296 ans de règne de la Monarchie en France. 13 siècles au service de Dieu, 13 siècles qui ont fait la grandeur de la France. Cet ouvrage paraîtra aux Editions LACOUR (Nîmes). 

 

  EXTRAIT

 

AVANT PROPOS.

 

Si toute la monarchie en l’occurrence et, fort heureusement du reste, ne se résume pas au seul ministère de Louis XVI, c’est du moins par ce Monarque, au zénith crépusculaire des Temps d'iniquité, dans un éclat sans pareil, une grandeur d’âme[1] et une générosité sans égales, aux roulements des tambours, aux acclamations de la foule vindicative et effrénée, le 21 janvier 1793, que se clôt le cycle du Lys qui perdura près de 13 siècles !!!

          

Le lecteur constatera que dans notre Eloge, le sens des Lys[2] diffère nettement, de par sa position, de celui représenté sur la première page du présent ouvrage. Ceux-ci sont de France dit : « D’azur, à trois fleurs de lys d’or, posées deux et un»

 

Cette dissemblance a bien évidement sa raison d’être. Nous allons par conséquent nous en expliquer. Mais à ce stade, l’appui du lecteur nous est d’une grande utilité,  il lui faut en effet convenir d’une mystique se rattachant, non seulement au symbole, mais également à l’implication de celui-ci dans notre Histoire et, plus essentiellement dans celle des Rois de France.

 

Le Blason de France évoque donc, en se laissant transporter par son imaginaire -mais le lecteur pourra tout de même constater de lui-même en visuel ce que nous  suggérons- un Triangle dont la pointe dirigée vers le bas s’exprime, dans le langage héraldique : posé « deux un ».

 

Pourquoi « deux un » ? Il y a bien évidement à cela une signification, et en ce sens, pour reprendre Gérard Sorval, il s’agit : du « reflet de la trinité dans l’homme, l’image divine au cœur de la nature humaine. » C’est ce que représentait dignement chaque Roi de France par et lors de son investiture. A ce jour, à la couronne dormante du Royaume de France, dont depuis la 3ième République, le Président assure la régence, nous voulons offrir l’opportunité de renaître de ses cendres, tel le Phoenix.

 

Conscients des efforts à fournir, mais surtout des vérités à rétablir, c’est donc modestement que nous apportons notre pierre à l’édifice. Pour cela, outre le Lys florentin à bourgeons évoquant une floraison -dans notre esprit une résurgence à venir- nous donnons à la monarchie un sursaut en usitant volontiers, tout au long de ces pages, du Triangle pointe vers le haut qui, en ce sens, et toujours pour citer Gérard de Sorval symbolise : « la Trinité Divine » !!! Il s’impose dès lors à notre regard en « un deux [3]».

 

Car en fait, sans anticiper sur nos conclusions, c’est bien d’une France sans Roi, donc sans Dieu, que les acteurs de 93, et des révolutions suivantes voulaient. Ils l’ont eu !!! Notre combat commence donc ici, avec les seules armes que nous avons : les mots pour lutter contre deux siècles de mensonges, d’obscurantisme et d’ignominies à l’égard de la mémoire de nos Monarques.

 

C’est à eux que nous pensons en premier lieu, c’est à eux également que nous dédions cet ouvrage, c’est pour eux enfin, que nous œuvrons.

 

Copyrigth. RHONAN DE BAR. 8 septembre 2011. 



Souscription possible auprès de l'auteur à :

 

rhonandebar@yahoo.fr 

 



[1]  Le 16 octobre, Marie-Antoinette devait montrer, non seulement la même force, mais également le même courage dans le martyr que son royal époux.

[2]  Il est indispensable de distinguer Lys et Lis. Le premier se référant exclusivement à la science héraldique en tant qu’élément stylisé dit « meubles ». Le second étant la fleur à proprement parler à la puissante fragrance.

[3] Notons, et ceci a toute son importance, que le seul Pontife –puisque Rome est indissociable du Cycle du Lys- à détenir un tel schéma sur ses Armoiries est Paul VI. Il est, comme tous depuis 1143, accompagné d’une Devise. Voici la sienne : FLOS FLORUM. Traduisez la Fleur des Fleurs.

 

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LIVRE SECOND.

TROISIEME EXTRAIT. SECTION PREMIERE.


…L’accession successive de tous les grands fiefs à la couronne, est une particularité qui n’a point échappé aux historiens ; mais ils n’en ont compris les conséquences, que relativement à la puissance ; ils n’ont pas vu l’influence déterminante et immédiate que cette circonstance a eue sur l’ordre de succession. Il était facile de la percevoir. La royauté, qui était élective, et la seigneurie universelle, qui était héréditaire, se cumulant sur la même tête, l’une ne pouvait manquer de prendre le caractère et les droits de l’autre. Notre histoire nous offre, sur cela, de grands exemples.

J’ai montré précédemment comment une quantité de seigneuries, s’étant attachées aux duchés et aux comtés, ces offices, qui étaient électifs, avaient pris le caractère de la seigneurie qui était héréditaire. Il en a été absolument de même de la royauté ; elle a échappe à l’élection des seigneurs, de la même manière que les comtés et les duchés avaient échappé à l’élection royale. Le roi électif de France étant devenu seigneur héréditaire de toute la France, le droit d’élection n’a pu se conserver. On peut se rappeler ce que nous avons vu, de nos jours, relativement à l’empereur d’Allemagne. Si ce prince, déjà héréditaire de Bohême, de Hongrie et d’Autriche, fut venu à réunir les autres électorats et tous les grands fiefs, il est facile de prévoir ce que serait devenu le droit d’élection.

C’est ce qui est arrivé sous Philippe-Auguste. On remarquera que ce prince, qui était déjà comte de Paris, d’Orléans, et duc de France ; venait encore de réunir successivement à la couronne la Normandie, l’Anjou, le Maine, la Touraine, le Poitou, l’Auvergne, le Vermandois et l’Artois : il se trouva ainsi seigneur héréditaire de presque tout le royaume. Dès lors la couronne ne pouvait plus demeurer un objet d’élection ; et cependant telle était l’antique impulsion des choses, que rien, à cet égard, ne s’opéra brusquement.

Avant Philippe-Auguste, le droit d’élection est toujours énoncé, dans les actes, nûment et franchement. Après Philippe-Auguste, le droit héréditaire commence à se montrer ; mais les anciennes formules du droit d’élection ne sont pas pour cela supprimées ; les unes et les autres se cumulent souvent dans le même acte, et offrent ainsi l’assemblage le plus bizarre. Je puis citer un monument très-curieux en ce genre ; c’est un ancien cérémonial du sacre.

L’archevêque dit d’abord dans son oraison : « Seigneur, multiplie les dons de tes bénédictions sur cettuy ton serviteur, lequel, par humble dévotion, élisons par ensemble au royaume. » Voilà pour le roi et le droit électif. L’archevêque s’adressant ensuite personnellement au prince, lui dit : « sois stable, et retiens long-temps l’Etat, lequel as tenu jusqu’à présent par la suggestion de ton père, de droit héréditaire. » Voilà pour le seigneur et pour la seigneurie héréditaire.

Dans les temps postérieurs, les traits du droit héréditaire deviennent plus saillans, et néanmoins ceux du droit ancien d’élection ne s’effacent pas totalement. On les retrouve jusque dans ces derniers temps.

Je n’ai parlé que du droit d’élection et du droit d’hérédité : toute la question n’est pas dans ces seuls points. On m’accordera que la seigneurie héréditaire a transmis sont caractère à la royauté. On me demandera comment il s’est fait que l’hérédité se soit composée, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture. Cette objection est d’autant plus raisonnable, que jamais les seigneuries n’ont été forcées de se transmettre ainsi. On voit les plus grands fiefs passer aux femmes. Au temps même de Philippe de Valois, où la question de succession au trône s’agitait avec plus de vivacité, l’Artois avait été adjugé à la comtesse Mahaud ; le duché de Bretagne avait passé de même à la femme de Charles de Blois, du vivant du comte de Montford, frère du dernier duc. Je vais tâcher de résoudre cette difficulté.

Il faut se souvenir que la couronne était originairement élective en France ; mais que cependant elle en pouvait se transmettre qu’à des mâles. D’après cela, comme la seigneurie était héréditaire, mais sans distinction de sexe ; d’un autre côté, comme la royauté était élective, mais seulement entre les mâles, on voit d’avance ce qui est arrivé. Au moment où la seigneurie générale et la royauté se sont rencontrées sur la même tête, elles ont dû prendre chacune et perdre réciproquement une partie de leur caractère. L’hérédité par ordre de primogéniture, qui était propre à la seigneurie, se sera jointe à la transmission de mâle en mâle, qui était la condition du droit électif ; et le tout réuni a composé l’ordre nouveau de succession tel qu’il s’est prononcé sous Philippe le Long et Philippe de Valois.

La cumulation sur la même tête, de la royauté et de la seigneurie universelle, et les conséquences qui en sont résultées relativement à l’ancien ordre de succession au trône, sont de très-grands événemens dans notre histoire : on va voir s’en produire de plus grands encore. Nous allons voir s’élever, au milieu de l’ancien état, un nouvel état ; au milieu de l’ancien peuple, un nouveau peuple double, au milieu des anciennes mœurs, des anciennes institutions et des anciennes lois, de nouvelles mœurs, de nouvelles institutions, de nouvelles lois. Nous allons voir un état double, un peuple double, un ordre social double, marcher pendant très long-temps parallèlement l’un à l’autre, s’attaquer ensuite, et se combattre avec acharnement. Telle es cette grande révolution, qui a été elle-même la source d’une multitude de révolutions ; qui, en se propageant dans toute l’Europe, l’a couverte de guerres et de troubles, a rempli l’empire d’Allemagne de ville impériales, l’Italie de républiques ; a répandu partout une multitude de droits nouveaux, d’états nouveaux, de doctrines et de constitutions nouvelles.

Cette révolution est trop importante pour n’être pas décrite avec soin. Je puis d’avance désigner à l’attention du lecteur l’affranchissement de la classe tributaire ; mais pour avoir une connaissance exacte de ce grand événement, il faut connaître une autre innovation importante qui l’a précédée, et qui, quoique lente et graduée, en a été le germe et lui a préparé en quelque sorte les voies. Je veux parler d’un événement presqu’inconnu de nos historiens, l’abolition de l’esclavage…

 

A suivre.

 

Comte de Montlosier (De la Monarchie Tome 1)

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LIVRE SECOND

DEUXIEME EXTRAIT SECTION PREMIERE.

 

...Sous la troisième race, c’est le même tableau. Les parlemens de barons cumulent, comme sous la seconde race, les fonctions législatives et judiciaires. C’est dans ces parlemens que se jugent, non seulement les grands crimes, mais encore toutes les contestations entre les grands vassaux. Ces dans ces parlemens que Philippe-Auguste obtient, pour la reine mère, la tutelle de son fils, et la garde du royaume pendant son voyage à la Terre-Sainte ; c’est dans ces parlemens que se rendent une grande ordonnance sur les fiefs, une autre ordonnance sur les Juifs, les établissmens de Saint6louis, et enfin le fameux règlement sur la succession du trône.

Il est vrai que cette assemblée, précédemment connue sous la titre de Magnates et de Proceres, s’appelle plus communément Parlement de Pairs ou de Barons. Mais cette dénomination ne peut faire soupçonner aucune institution nouvelle. Il suffit de faire attention que c’est l’époque où la langue romance commence à remplacer la langue latine. Les mêmes choses ayant quelquefois deux noms différens, si ceux de la langue vulgaire viennent à remplacer dans les chartres ceux de la langue latine, quelques personnes d’un esprit inattentif pourront croire qu’il y a nouveauté dans les choses, tandis qu’il n’y en a que dans les dénominations. C’est ainsi que les mots fiefs et bénéfice, vassus et miles, ont eu, pendant long-temps, dans les deux langues, une acception correspondante. En lisant les anciennes chartres, on n’a pas de peine à se convaincre de leur identité. Ici, on trouve ces paroles, le bénéfice, ce qui est VULGAIREMENT appelé fief ; ailleurs, on trouve que Charlemagne commit, dans l’Aquitaine, un grand nombre de ceux qu’on appelle VULGAIREMENT vassaux de la race des Francs.

La dénomination de Parlement de barons est dans ce cas. Le mot Baron, pris de la langue vulgaire, forme si peu une dignité nouvelle, qu’il est employé pour désigner les grands de l’Etat, même sous la seconde race. Les évêques de France, écrivant à Charles le Chauve, lui rappellent ce qu’il avait précédemment ordonné conjointemment avec ses sages barons.

Pendant toute cette période, notre ancien régime politique me parait s’être pleinement conservé. Je n’y vois qu’une seule innovation ; je veux parler des vassaux du duché de France, qui s’érigèrent en vassaux immédiats.

Lorsque, de vassal de la couronne, Hugues Capet dut devenu roi, il était assez naturel que ses vassaux suivissent sa fortune. Les pairs du duché de France devinrent ainsi pairs de la couronne. Le conseil accoutumé du duc de France entra dans le conseil d’état. Cet événement ne fut pas tout-à-fait sans opposition.

Il me reste à parler de la royauté.

Pendant un certain temps, l’accession du duché de France ne parta pas à la royauté autant d’appui qu’on pourrait naturellement s’y attendre. Quand le maire du palais s’était emparé de la couronne dans la personne de Pépin, il ne s’était plus trouvé à côté de lui de rival ou de personnage redoutable. Mais quand le duc de France se fut déclaré roi dans la personne de Hugues Capet, il se trouva en présence d’un grand nombre de seigneurs presque aussi puissans que lui, et envers lesquels il eut beaucoup de ménagemens à garder.

La troisième race présente en cela même une différence très-remarquable d’avec les précédentes. Celles-ci commencèrent avec éclat : elles déclinèrent insensiblement. La troisième race, qui était destinée à faire une grande fortune, s’établit d’abord avec modestie. Pendant dix ans, le duc de France n’osa porter la couronne. Au temps même de Philippe-Auguste, telle était la force des souvenirs, que le mariage de ce prince avec Isabelle de Hainault, issue du sang de Charlemagne, devint un sujet de réjouissance, dans la conviction où l’on était que ce mariage apportait à la race nouvelle des droits de la race précédente.

Du reste, comme toutes les parties de l’ancien ordre social étaient dans la même situation, les mêmes bornes étaient partout au-devant de l’autorité royale. C’était le même droit de législation dans sa terre, le même droit de guerre de canton à canton, de domaine à domaine, la même participation des grands aux affaires d’Etat, ainsi qu’aux emprises guerrières.

Philippe-Auguste ne porta aucune atteinte à ce droit public. Saint-Louis admit avec ses Etablissemens l’indépendance de chaque seigneurie. Il reconnut que le roi n’avait aucun ordre à donner dans la terre d’un baron, ni le baron dans la terre d’un vassal. Saint-Louis consacra le droit de guerre : il reconnut même que dans certains cas on pouvait la déclarer au roi. Enfin, le roi n’eut pendant long-temps ni une autre armée, ni d’autres finances que celles de ses domaines.

Les mêmes institutions, tant qu’elles durèrent, conservèrent la même royauté. Les mœurs concoururent, à cet égard, avec les institutions. Nous observerons que l’intérieur du palais était sur ce point comme l’intérieur du château. L’un et l’autre offraient en même temps que le spectacle de l’obéissance et du respect, celui d’une sorte d’intimité habituelle et de familiarité. Saint-Louis disait qu’il croirait manquer à ses devoirs, s’il faisait quelque disposition, même de famille, sans le consentement de ses barons. Jusqu’à François 1er, on a dit en France simplement, le roi. Ce sont les Espagnols qui nous ont apporté le titre de majesté. Les Italiens nous ont apporté, de leur côté, l’usage de demeurer la tête découverte. Auparavant, et même sous Charles VIII, on ne se découvrait que dans les cas suivans : en entrant dans l’appartement du roi, en lui parlant, où à table quand il buvait.

Les rangs étaient réglés sur les mêmes principes. Les vassaux de la couronne passaient immédiatement après le roi. Son fils aîné seul avait le pas sur eux, encore fallait-il qu’il fût sacré, ou revêtu d’une principauté, qui le mît au pair des grands vassaux. On voit dans une ordonnance de Philippe-Auguste, tous les ducs de France, et encore Guillaume de Ponthieu, quoiqu’il ne fût ni prince ni pair, nommées avant Robert de Dreux et Pierre de Bretagne, petit-fils de Louis le Gros. Pendant très-long-temps, ceux des seigneurs qui se trouvaient les plus anciens pairs, ont continué à précéder les princes du sang. Même en 1538, le duc de Guise précéda le duc de Montpensier. Henri III est le premier qui, en 1576, ait donné la préséance aux princes de sang.

Cet état des rangs et des mœurs étant connu, on ne doit pas être étonné des alliances qui ont pu survenir entre la maison royale et celles des simples seigneurs.

M. de Montmorency épousa la veuve de Louis le Gros. Hugues III, fils de Henri 1er, épousa la fille du comte de Vermandois ; Robert et Pierre, fils puînés de Louis le Gros, épousèrent, l’un l’héritière de Dreux, l’autre celle de Courtenay. Il faut remarquer que les fils de France prenaient, dans ce cas, le nom et les armes de la maison dans laquelle ils entraient. Philippe, fils puîné de Philippe-Auguste, ayant épousé l’héritière du comté de Boulogne, dont il porta le nom, fut le premier qui retint les armes de France chargées seulement d’un lambeau.

Tels sont, relativement à l’autorité royale, les points de conformité qui se trouvent entre le commencement de cette troisième race et les races précédentes ; je n’en excepterai pas même la succession au trône.

Charlemagne et Louis le Débonnaire avaient pris la précaution de faire élire leur fils de leur vivant. Les premiers princes Capétiens suivirent cet exemple. Hugues Capet convoqua une assemblée de grands dans l’Etat, dans laquelle Robert, son fils, fut associé à la couronne. Robert en usa de même envers Henri ; Henri, envers Philippe. L’histoire nous a conservé le discours de Henri. « le roi », disait Mézerai, « ayant remontré les services que son fils avait rendu à l’Etat, les pria tous en général, et chacun d’eux en particulier, de reconnaître Philippe, son fils aîné, pour son successeur, et de lui prêter serment : ce qu’ils firent tous d’une voix unanime. » Philippe demanda de même le consentement des barons pour Louis le Gros ; Louis le Gros pour Louis le Jeune ; Louis le Jeune pour Philippe-Auguste. Ce dernier prince est le premier qui ait négligé de faire élire et sacrer son fils de son vivant. Cette singularité est sûrement remarquable ; j’espère en donner une explication satisfaisante. Je montrerai par quelle suite de mouvemens tous les grands fiefs, qui étaient héréditaires, étant successivement se réunir à la couronne, un roi, qui n’était qu’électif, s’est vu tout à coup seigneur héréditaire de son royaume : circonstance qui a du emporter nécessairement le droit d’élection...


A suivre.

 

Comte de Montlosier (De la Monarchie Tome 1)

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LIVRE SECOND.

 

Je viens de parcourir les cinq premiers siècles de la monarchie française. J’espère avoir donné sur ces premiers siècles une idée suffisante de nos institutions anciennes et de nos lois. L’avantage de la France, pendant cette période, a été de développer, avec l’apparence d’un état nouveau, comme peuple, tout ce qui s’est trouvé de perfection dans les institutions de trois peuples antiques. Le tableau qui va suivre et qui embrassera les cinq ou six siècles suivans, sera comme le précédent, divisé en trois âges. Le premeir comprendra l’état de la France, depuis l’avènement de Hugues Capet jusqu’à la fin des Croisades. A quelques nuances près, cette période n’offrira guère que ce qu’on vient de voir sur les deux premières races. Je m’y arrêterai peu. Le second âge comprendra les innovations comme le plus grand événement qui soit connu parmi les peuples depuis l’origine du monde. Le troisième offrira le résultat qu’ont amené ces innovations.

 

LIVRE SECOND.

PREMIER EXTRAIT SECTION PREMIERE.

 

C’était, comme nous avons vu, un usage ordinaire et antique, que les hommes d’une condition libre disposaient à leur gré de leur indépendance. Cette pratique, qui était devenue générale au huitième et au neuvième siècle, se poursuit à l’époque que je décris. Ce n’est pas assez dire. Elle s’exagère avec excès. On avait vu les faibles rechercher la protection des hommes puissans ; on vit les hommes puissans rechercher eux-mêmes la protection qu’ils dispensaient au-dessous d’eux. Dans cette inquiétude générale, les églises se mirent sous la protection de laïcs ; les monastères se choisirent des avoués ; les évêques, des vidames. Ce mouvement pénétra dans l’intérieur des familles. Les pères, les enfans, les cousins se crurent plus assez engagés par les liens du sang. Ils cherchèrent à y joindre ceux de la féodalité.

Bientôt les propriétaires ordinaires, qui étaient toujours de part dans ces engagemens, ne purent suffire. On se mit à donner en fief de simples droits, tels que la gruerie des forêts, une part dans le péage ou rouage d’un lieu, la justice dans le palais du prince ou haut-seigneur. Les presbytères donnèrent en fief les droits paroissiens, tels que les offrandes, les baptêmes, les relèvemens des femmes accouchées, les bénédictions des fiançailles, les visites des malades, les dîmes. Les moines imitèrent les presbytères, ils convertirent en fief leurs offices claustraux. Les Célériers, à Clairvaux et à Citeaux, tenaient leurs offices en fief. On en vint jusqu'à donner de l’eau et de l’argent en fief. On trouve des fois et hommages pour de l’argent donné. Des princes étrangers furent ainsi gagnés à la France, sous les rois Jean et Philippe de Valois.

L’appui du Saint-Siège avait trop d’importance pour être négligé. Des seigneurs donnèrent des alleux au pape pour les reprendre ensuite à titre d’hommage. Les souverains en firent de même. Ce fut la ressource de Jean sans terre, lorsqu’il se vit sur le point d’être accablé par les forces de Philippe-Auguste. Louis XI eut une autre idée, qui fut de donner la France en fief à Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer.

La pratique des inféodations ayant saisi ainsi toutes les classes, un changement pu se remarquer dans l’ordre des propriétés. De même qu’autrefois l’état d’alleu avait formé l’ordre commun, l’état de fief, l’exception ; l’état d’alleu fut désormais l’exception ; l’état de fief, l’ordre commun.

Il restait déjà très peu d’alleux en France à l’avènement de Hugues Capet. Les inféodations s’étant multipliées, il semblerait que les alleux dussent avoir totalement disparu. Cependant j’en trouve encore dans des âges qui se rapprochent du nôtre. La terre de Châtel-Guyon, que Guy, comte d’Auvergne, donna au pape à la fin du treizième siècle, moyennant une once d’or à chaque mutation, était un alleu. Mon château de Mercoeur, que je ne tiens de personne : disait un seigneur d’auvergne, au quatorzième siècle. Ces paroles prouvent que ce qui a été connu dans la suite, sous le nom de duché de Mercoeur, était alors un alleu. La seigneurie de Boisbelle ainsi que celle d’Henrichemont, me paraissent s’être conservées également en état d’alleu, jusque dans le dix-septième siècle.

On voit en cela même la différence qui se trouve entre deux choses que le peuple savant ne cesse de confondre ; l’état de fief et l’état de seigneurie. Tous les alleux étaient anciennement des seigneuries en ce sens, qui formaient un grand territoire, qu’ils avaient un château fort, une grande population, une grande juridiction, et en général, toutes les attributions d’un grand domaine. Ils pouvaient même avoir, dans leurs enclaves, des fiefs. Ils n’étaient pas pour cela des fiefs, puisque, par le caractère même de leur titre d’alleu, ils n’étaient tenus à aucun devoir, ni soumis à aucune juridiction.

Au surplus, fief ou alleu, cela n’importait point au régime intérieur des terres. En vertu de l’inféodation, le chef de domaine perdait sans doute son indépendance, mais rien n’était changé dans la nature des droits domaniaux. Une maison principale avec un grand territoire, un certain nombre de chaumières ou de maisons subalternes, rangées autour de ce domaine et sous son gouvernement ; la justice administrée selon l’ancienne ; un tribut éventuel et régulier, appelé cens ; un autre tribut éventuel et irrégulier, appelé taille ; divers devoirs ou prestations, sous le nom de corvée : telle avait été, de toute antiquité, la suprématie des domaines, soit qu’ils fussent fiefs, soit qu’ils ne le fussent pas. Rien ne fut changé à cette condition.

L’ordre civil ne subit guère plus de changemens. Sous les deux premières races, chaque possesseur d’alleux ne ressortissait pas toujours directement au comte. Le territoire était distribué à des centeniers et à des vicaires dont il était justiciable dans les causes légères. Quand tous les alleux furent devenus fiefs, les seigneurs suzerains et les seigneurs dominans, se trouvèrent naturellement à la place des vicaires et des centeniers.

Je dois ajouter que, soit dans ces juridictions, soit dans les juridictions supérieures, les formes anciennes n’éprouvèrent aucune altération. Les jugmens continuèrent à se rendre en public, c'est-à-dire, dans la cour, et en présence des parties.

Dans tous les cas, ils durent être rendus par pairs. Cette loi fut tellement rigoureuse, que, dans les petits fiefs, lorsqu’il ne se trouvait pas un assez grand nombre de pairs pour le jugement d’un vassal, on était obligé d’en emprunter du seigneur suzerain. Cet ordre, c'est-à-dire, le jugement par pairs, fut regardé comme la première garantie de toute équité et de toute liberté. Mathieu Paris rapporte d’un des principaux sujets de plainte de la noblesse de France, fut de ce qu’on retenait enfermés et sans jugemens, les prisonniers faits à la bataille de Bouvines. On réclama de toutes parts, dit-il, l’ancienne coutume française, d’après laquelle personne, dans le royaume des Francs, ne doit être dépouillé de ces droits, sans le jugement de douze de ses pairs.

Si je recherche le régime politique, je n’y trouve pas plus d’altérations. C’est toujours l’ancien et même ordre de magnates, de principes, d’optimates, qui figure dans le conseil du roi et dans les assemblées de l’Etat. Il est vrai que ces assemblées sont plus communément appelées parlemens ; les membres de ces assemblées pairs ou barons. Quelques remarques à ce sujet me paraissent indispensables.

Des savans, trompés par la nouveauté de ces dénominations, ont vu, dans les parlemens de barons, une institution nouvelle ; mais on ne peut douter que ce ne soit la suite non interrompue de ces assemblées de grands qui figurent précédemment sous les noms de Conseil du Roi et d’assemblées d’Automne. Cela se prouve par l’identité des personnes, et par l’identité des fonctions.

Et d’abord l’identité des personnes peut, ce me semble, offrir de doute. De même que, dans les deux premières races, les mots magnates, optimates se trouvent spécifiés quelquefois d’une manière précise par le dénombrement des évêques, des ducs et des comtes ; la composition des parlemens de barons l’est souvent d’une manière aussi précise par la spécification des archevêques, évêques, ducs, comte et vassaux de la couronne, qui composent ces assemblées.

L’identité des fonctions n’est pas moins manifeste. Sous la première et la seconde race, les assemblées des grands n’exerçaient pas seulement des fonctions législatives ; elles fournissaient, avec le conseil du roi, une sorte de cour de révision. Elles composaient de même, pour les grandes affaires d’Etat, une sorte de haut-jury national. C’est dans une assemblée de ce genre qu’Astolphe, roi des Lombards, fut condamné à perdre le tiers de ses trésors, et à faire un nouveau serment de fidélité. C’est là que Tassilon, duc de Bavière, fut condamné à mort, ainsi que Bernard, roi d’Italie ; que les trois fils de Louis le Débonnaire consentirent à être jugés en cas de délits publics ; que l’empereur Lothaire fut privé de son partage en-deça des monts ; que Pépin perdit le royaume d’Aquitaine, et Charles le Gros lui-même sa couronne...

 

 

A suivre.

 

Comte de Montlosier (De la Monarchie Tome 1)

 

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SIXIEME EXTRAIT

  SECTION TROISIEME

 

…Voici la cause de cette singularité. Ce grand écrivain a eu le malheur de ne pas entendre, dans son vrai sens, le système important des recommandations. Il a cru que commendare, qu’on trouve fréquemment dans les anciennes chartres, voulait dire se recommander pour un fief. Une méprise de ce genre est d’autant plus incompréhensible, que Ducange a traité ce point de manière à ne laisser aucune équivoque. Il est bien connu aujourd’hui qu’on ne recommandait pas pour un fief, mais pour avoir de l’appui. Le plus souvent on donnait ses possessions, loin d’en recevoir. M. de Montesquieu ayant méconnu l’usage des recommandations, n’a pu se faire une juste idée des progrès du gouvernement féodal.

Il s’est trompé de même sur l’origine de la noblesse en la plaçant dans l’ordre des Antrusions. Il s’est fondé que ce que ces Antrusions avaient une composition triple de celle des autres Francs, Mais d’abord il paraît m’avoir point connu le véritable sens de ce mot Antrusion.

Le mot Antrusion signifie, comme nous l’expliquent les chartres elles-mêmes, un homme dans la confiance du roi : in truste dominica, in truste regis. Or, quelque éclat que donne la faveur du prince, c’est un accident trop précaire pour qu’il puisse en faire dériver un ordre de noblesse. Au contraire, les avantages du Franc tiennent à sa naissance. Ils se transmettent héréditairement. C’était dès lors dans l’ordre des Francs qu’il fallait chercher la noblesse, et non dans celui des Antrusions.

M. de Montesquieu s’est fondé sur la Triplicité de composition qui est accordée aux Antrusions. J’ose dire encore que M. de Montesqieu n’a pas connu le sens de cette loi.

Il faut savoir que, dans les lois anciennes, la composition triple est le partage uniforme, non de la haute naissance, mais de tout ce qui est attaché à la personne du prince qui habite son palais. On ne doit pas s’étonner que le Franc Antrusion ait une composition triple de celle du simple Franc ; le Gaulois, qui appartient directement au service du roi, a de même une composition triple de celle du simple gaulois, par cela seul qu’il fait partie de la cour, et qu’il mange à la table du roi. Il en est ainsi dans la loi des Allemands et dans celle des Bavarois, pour tous les délits qui se commettent contre des personnes attachées au prince, ou dans l’enceinte du palais[1].

M. de Montesquieu a bien jugé les justices seigneuriales ; il a fort bien reconnu leur légitimité, ainsi que leur antiquité. Je lui rendrai hommage à cet égard ; je me plaindrai toutefois qu’il ait touché cette question avec une sorte de timidité, comme s’il eût craint d’offenser les doctrines qui étaient alors en faveur. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’opinion de cet écrivain, qui était faite pour avoir tant de poids, n’a laissé aucune impression. L’opinion sur ce point a continué à divaguer après son livre comme auparavant. Certes, aucune question n’appartenait mieux à son sujet. Elle offrait une brillante carrière à ses recherches. La philosophie du temps eût été fort étonnée d’apprendre que ce droit, dont elle affectait de diffamer l’origine, avait été regardé de tout temps comme un apanage du droit de propriété.

J’ai pu, jusqu’à présent, rendre raison de quelques méprises ; il en est une qui me paraît tout-à-fait inexplicable. Ni M. de Montesquieu, ni M. le président Hénault, ni M. l’abbé du Bos, ni aucun de ceux qui se sont occupés le plus de notre antiquité, n’ont su voir qu’il existait, entre la liberté pleine, une classe intermédiaire : classe d’une grande importance pour le nombre, puisqu’elle composait la majeure partie de la population de l’Etat ; classe d’une grande importance aussi pour notre histoire, puisqu’elle a fermée d’abord les Francs des villes lors de l’établissement des communes ; ensuite les Francs des campagnes lors de l’affranchissement des serfs ; qu’elle s’est élevée au rang de troisième ordre aux Etats-Généraux, et qu’elle a été le principe de plusieurs révolutions, tant en France qu’en Europe.

On a oublié cette classe ; elle se trouve partout. En lisant les Commentaires de César, on y remarque un ordre de personnes qui n’est ni tout-à-fait esclave, ni tout-à-fait libre, et qui paie les tributs. Cette classe se retrouve dans la loi Salique ; elle forme le dernier degré dans l’échelle des compositions. Si on tuait un France, un barbare, ou un homme vivant sous la loi Salique, on payait deux cents sous, si c’était un tributaire, quarante-cinq sous.

On a confondu cette classe avec les esclaves ; mais très-certainement les tributaire n’était point esclave. Nous voyons, dans la loi des Ripuaires, qu’on élevait quelquefois son esclave à la condition de tributaire. Le clon ou serf de la glèbe n’était sûrement pas esclave ; il avait lui-même des esclaves. Il suffit de lire la formule VI de l’Appendix aux Formules de Marculfe ; elle est intitulée : Notice sur les esclaves acquis par les colons.

Je laisse avec plaisir ces débats, qui ont ralenti ma marche. En cherchant à rendre compte des causes qui ont pu occasionner tant dé méprises ; je voudrais les trouver toutes dans l’inattention, dans la légèreté, l’esprit de système, celui de caste ou de parti. Quelque cause que ce puisse être, il en est résulté un effet très-remarquable : c’est une ignorance complète relativement aux principaux points de notre histoire. Cette ignorance se présente à ma pensée comme quelque chose de si extraordinaire, qu’il m’est impossible de ne pas y arrêter un moment l’attention. Je crois d’abord qu’il faut compter pour beaucoup l’impression que fait au commun des hommes l’ordre actuel de notre civilisation.

Je ne chercherai point comment la servitude a pu se produire sur la terre. Adieu ne plaise que je me porte pour défenseur des institutions qui s’y rallient. J’ai dû affirmer seulement que les prétendues innovations, dont on a coutume d’accuser en ce genre une époque et une caste, n’appartiennent, ni à cette époque, ni à cette caste. Notre état actuel nous est si familier, que, pour comprendre qu’il est pu un jour ne pas exister, notre imagination a besoin de supposer quelque cause bien merveilleuse et bien violente. Le mot féodalité a été, pour le peuple des savans, ce que le mot aristocratie a été pour le peuple de la révolution. Il a d’autant mieux rendu raison de tout, que personne ne l’a entendu. Encore aujourd’hui, si on vient à trouver des colons quelque part, ou des serfs de la glèbe, comme en Pologne, comme en Russie, ou dans quelque contrée, on ne manque pas de dire que ce sont des restes de la féodalité. Ce qu’il y a de singulier, c’est que les personnes qi commettent ces méprises, ne laissent pas d’être familiarisés souvent avec les mœurs romaines et les lois romaines. Mais on a beau voir, à Rome, des colons et des serfs de la glèbe, on a beau savoir que les Grecs et les Carthaginois vivaient avec le même attirail d’esclaves, de serfs et de colons, cela n’empêche pas que l’on continue à imputer à nos pères seuls et à la féodalité un état de choses, qui a été celui de tous les temps, de tous les pays et de tous les peuples. Veut-on savoir quel est l’état vraiment merveilleux et extraordinaire ? Ce n’est pas la féodalité, c’est notre état actuel. Oh, s’il était donné à un ancien Athénien, ou à un ancien Romain de se trouver un moment parmi nous, comme ils se trouveraient extraordinaire l’un et l’autre cette espèce d’ordre social ; qui nous paraît à nous si simple et si naturel.

Cette prévention générale en faveur d’un ordre de choses qui est là tout établi ; et auquel toutes les habitudes sont faites, est sans doute une des grandes causes du dédain et de la légèreté avec laquelle ont été traitées constamment nos coutumes antiques. Elle n’est pas la seule.

Il y a d’abord une chose qu’on aura pu remarquer : c’est que l’histoire grecque et l’histoire romaine nous étaient plus familières que la nôtre. Un homme d’un grand talent a pu, dans un ouvrage aussi admirable par la beauté des formes que par l’étendue de l’instruction, nous transporter dans un panorama au milieu de la Grèce, et nous charmer par les détails des mœurs d’un peuple qui devait nous intéresser peu. Il se fût bien gardé de faire une entreprise semblable, relativement à nos mœurs antiques. Ces mœurs semblaient nous être aussi indifférentes que celles des Iroquois, et aussi étrangères que celles de la Chine. Etait-ce manque de couleur ? était-ce défaut d’intérêt ? Non, sûrement : mais il faut le dire, cet intérêt ne paraissait jamais positivement que celui d’une caste. D’anciennes et héréditaires vanités avaient cultivé avec soin un fond d’irritation qui rendait un peu plus qu’indifférens les détails, quels qu’ils fussent, de nos mœurs antiques. La France entière n’avait nullement envie de se connaître comme peuple, car elle ne s’aimait pas comme peuple.

J’aurai soin, dans la suite de cet ouvrage, de rendre compte de ce dégoût de nous-mêmes, précurseur de ce grand et terrible suicide qu’on a appelé révolution. En attendant, je me réduirai à prouver que ce n’est pas à cause de leur extrême obscurité, ni à cause de leur extrême antiquité, que nos mœurs n’étaient pas comprises. Rien ne manque du côté des monumens littéraires ; ils sont en abondance, ainsi que de la plus grande clarté. Je pourrais affirmer que le moindre tribunal de province juge par an cinquante questions de droit plus difficiles en soi qu’aucune de celles que je viens de traiter.

Relativement à l’antiquité, mon intention est de prouver de même que ce n’est nullement par cette raison que notre histoire présente des difficultés. Je choisirai, à cet effet, des exemples, non dans les temps de Clovis et de Charlemagne, mais dans des âges très-rapprochés de nous, et je les prendrai de préférence dans tout ce qu’il y a de plus familier dans les habituelles de la vie.

Et d’abord est-il beaucoup de mes lecteurs qui sachent que le titre de valet a té quelquefois une qualification illustre, et pourquoi il l’était ? Il est vrai que je touche là aux règnes de Charles VI et de Charles VII. Je vais me rapprocher.

Est-il beaucoup de mes lecteurs qui sachent que le mot domestique a eu un sens noble, et pourquoi ce mot s’est dégradé, ainsi que le précédent ? On ne se plaindra pas de la trop grande antiquité : ceci date du règne de Louis XIV. Je vais encore me rapprocher.

On sait, immédiatement avant la révolution, à quel point la qualité de laquais et d’homme de livrée était avilie. Il n’est personne qui n’ait vu écrit à la porte des lieux publics et des spectacles la défense d’entrée aux gens de livrée : cependant il se trouve que, dans notre jurisprudence, telle qu’elle était établie jusque dans ces derniers temps, la qualité de valet-de-chambre et même celle de marchand dérogent et font perdre la qualité de noble. Celles de laquais et d’homme de livrée, au contraire, ne dérogent pas. La profession que nos nouvelles mœurs avaient le plus avilies, était, d’après nos lois, compatible avec la profession noble. Est-il beaucoup de mes lecteurs qui sachent la raison de ce contraste bizarre ?

Je la dirai bientôt. Je dirai comment les mœurs franques, qui avaient anciennement soumis et annobli les mœurs romaines, ont été ensuite reprises par celles-ci, soumises et avilies par elles. Ici je me contenterai de remarquer, comment des usages même actuels se trouvent inexplicables, lorsque la nation qui les conserve, non seulement ne conserve plus ses anciennes mœurs, mais est arrivée au point d’en avoir perdu jusqu’à la trace. Soyons étonnés après cela que nos grands écrivains aient si mal connu le sens de nos usages antiques ; nous qui ne connaissons pas même celui de nos usages modernes ! Soyons étonnés que nos savans n’aient pas voulu prendre beaucoup de peine, pour écrire convenablement une histoire que personne ne s’embarrassait de savoir !

 

 

FIN DU LIVRE PREMIER

 

A suivre

 Comte de Montlosier (De la Monarchie Tome 1)

 



[1] Voy. Supplément.

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