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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

L'ICONOGRAPHIE DU CŒUR DE JÉSUS

LE CŒUR : " FONTAINE DE VIE & DE SAINTETÉ ".

La Société des Antiquaires de l'Ouest possède dans un de ses musées de Poitiers, celui des Augustins, un vase du XVIIe siècle dont la décoration entre dans le cadre des études de Regnabit. C'est une grande hydrie ou buire, fontaine à eau, d'environ 35 centimètres de hauteur, pansue comme une jarre provençale et munie de deux anses à la façon des amphores antiques.

Faite de terre cuite, elle est recouverte d'un glacé de couleur vert-grisâtre ; son large col était jadis fermé par un chapeau de même nature dont le centre proéminent devait se terminer par un bouton de préhension plus ou moins ornementé.

Comme toute décoration ce vase porte, à son col, le visage radieux du soleil et, à sa base, le Cœur de Jésus dont l'extrémité inférieure se prolonge en tube d’écoulement pour conduire au dehors le liquide du dedans. Ce Cœur est surmonté d'une croix placée entre deux flammes rigides, sèchement infléchies en crosses ; c'est donc bien l'image incontestable du Cœur de Jésus-Christ.

A première vue, la transformation du Cœur Sacré en vulgaire robinet de fontaine-lavabo paraît d'une hardiesse peu heureuse, pour ne pas dire absolument irrespectueuse ; pourtant, si peu enthousiaste que je sois de la symbolique du XVIIe siècle, descendante anémiée souvent de celle du Moyen-Age, il me semble qu'elle a atteint, cette fois, une droiture et une plénitude de sens inaccoutumés, parce qu'elle s'est inspirée là, directement des Livres-sacrés, et non du mièvre sentimentalisme qui presque toujours la sert mal.

Buire-fontaine du musée des Augustins, à Poitiers.

Et c'est la margelle d'un puits, plus ancien qu'elle, qui va nous donner, j'ose croire, le mot de l'énigme du Cœur de la buire-fontaine de Poitiers : Dans la cour d'honneur du château du Bois-Rogues, près de Loudun, où jadis  François 1er fit conduire, pour une captivité fort relative et toute seigneuriale, Maximilien Sforza, duc de Milan, se trouvait encore, au XIXe siècle, un puits d'époque Renaissance où l'on voyait, sous le monogramme du nom de Jésus chargé d'une croix dont la hampe portait le Coeur sacré, l'inscription suivante: Haurietis aquas in gaudio de fontibus salvatoris. « Vous puiserez dans la joie les eaux des fontaines du salut. »

Ce puits n'existe plus, et l'inscription que je reproduis ici[1]  ne nous est conservée que par la copie qu'en fit, le 23 juillet 1863 le savant archéologue loudunais Joseph Moreau de la Ronde comme terme de comparaison avec l'inscription ciselée sur le puits de sa propre demeure patrimoniale de La Ronde, près Loudun, qui portait aussi, mais en lettres du XVIIe siècle : Haurietis aquas in gaudio de fontibus salvatoris. Isayae II.

 

Inscription d'un puits du XVI" siècle' Château du Bois-Rogues. près Loudun ( Vienne)

Le puits de la Ronde, comme celui du Bois-Rogues, a été rasé et comblé; mais, à la démolition de sa margelle, la pierre chargée de l'inscription a été encastrée au-dessus de la porte d'un pavillon du jardin où elle est encore.

HAVRIETIS AQVAS

IN GAVDIO DE FONTI

BVS SALVATORIS ISAYAE II

Inscription du puits du château de la Ronde, près Loudun (Vienne)

La référence qu'elle donne des paroles bibliques n'est pas absolument exacte : elles sont bien du prophète Isaie, non en son chapitre IIe, mais au XIIe, verset 3e, où elles commencent le magnifique passage que voici :

3)- Vous puiserez avec allégresse les eaux des fontaines de salut.

4)-Et vous chanterez ce jour-là: Rendez-grâce au Seigneur d'Israël, invoquez son nom, publiez devant  les peuples ses merveilles et proclamez qu'il est un asile assuré »

Ainsi donc, pour la pensée qui a présidé, durant la première moitié du XVIe siècle, à l'épigraphie du puits du Bois-Rogues, il n'y avait aucun doute, aucune hésitation : la « source du salut », la « fontaine du Sauveur » selon la traduction de saint Bernard, la « font salvatrice » auraient dit alors nos pères du Poitou, c'est le Coeur même du Sauveur Jésus, le Coeur qui sur la pierre du puits, fait corps avec la croix rédemptrice, avec le nom de Jésus, i H s ; et c'est devant lui, en relation immédiate avec lui, que s'aligne l’Haurietis aquas d'Isaïe.

Et pour qui veut aller plus loin que la matérialité apparente et superficielle des mots, l'eau limpide du puits, vivifiante et purificatrice, n'est plus que la matérielle image, que la figure emblématique de l'invisible don divin jailli du Coeur et fluant pour redonner aux âmes, dans la joie salutaire, la purification et la vie de justice.

Impossible me semble-t-il, de donner en dehors de cette interprétation, aucun sens vraisemblable et solide, à la compénétration, à la juxtaposition du Coeur, de la Croix, du monogramme et du texte biblique.

Et cette même pensée, cette proclamation que le Coeur du Sauveur est bien la source de notre rédemption par l'effacement, disons le mot vulgaire, par le « lavage » des humaines culpabilités, cette pensée, pour être moins ostensiblement écrite, me paraît aussi nettement exprimée sur la buire-fontaine de Poitiers. Là, nulle inscription ne nous en dit le consolant secret, mais le fait de faire découler du Coeur divin lui-même le liquide bienfaisant, n'est-il point un éloquent langage ? La main du potier qui l'a ainsi stabilisé dans son charitable office ne semble-t-elle pas avoir voulu lui faire crier à tous : Ô vous qui êtes souillés, venez à moi qui suis la source et le moyen de toute purification et vous retrouverez ainsi la vivante splendeur de vos âmes... ?

Et, d'elles-mêmes, les paroles des actuelles Litanies du Sacré-Coeur viennent en l'esprit :

Cor Jesu, fons vitae et sanctitatis.

Coeur de Jésus, vous êtes la fontaine de la Vie et de la Sainteté.

Et plus loin, quand le même texte liturgique le salue du titre de « Fontaine de toute consolation », la pensée ne rejaillit-elle pas vers l'« ingaudio » du livre d'Isaïe ?

Certes, en appliquant au Coeur de Jésus l’Haurietis aquas du prophète, l'inspirateur de la sculpture du Bois-Rogues n'était point un inventeur, il arrivait après trop d'autres.

En étudiant magnifiquement, dans le dernier fascicule de Regnabit, le Sermon de saint Bernard pour la Nativité du Seigneur » Dom P. Séjourné en a reproduit les passages par lesquels le grand Abbé montrait à ses moines du XIIe siècle «les sources du Sauveur » : la « source de miséricorde » qui purifie ; la « source de sagesse» qui satisfait l'âme ; « la source de grâce » qui l'arrose et la fait croître; la «source de zèle » où le coeur du chrétien va puiser ses ardeurs. Et le grand mystique d'ajouter : « Voyez si ce ne seraient point là les fontaines dont Isaïe par avance aurait dit : « Vous puiserez avec joie les eaux des sources du Sauveur ». Puis, ayant contemplé ces quatre sources qu'il apparente avec les plaies des quatre membres de Jésus crucifié, le saint se recueille, et tournant ses regards vers la plaie béante du Coeur, la désigne comme la source suprême, celle même de la vie, de la vie véritable qui commence pour l'homme à l'émission du dernier soupir de Sa poitrine. C'est pourquoi je tiens pour certain que si le grand abbé de Citeaux avait vu le potier poitevin modeler dans la glaise le coeur-fontaine qui décore l'hydrie des Antiquaires de l'Ouest, il se serait incliné devant cette image évocatrice en murmurant l’Haurietis aquas d'Isaïe.

* * *

J'ose même aller plus loin dans ce même sillon du domaine de l'interprétation iconographique, au sujet d'un autre vase à eau, sur lequel l'incomparable artiste qui l'a conçu me semble avoir obéi à une inspiration mystique assez voisine de celle qui guida le céramiste de la buire-fontaine de Poitiers.

A trois lieues de Loudun et de ce château du Bois-Rogues où le Coeur de Jésus surmontait l'inscription du puits, à l'époque même où la parole biblique y fut gravée, les Gouffier d'Oiron, ducs de Roannais, demeuraient en leur princière résidence d'Oiron dont ils faisaient un foyer où les arts — tous les arts — recevaient un culte fervent. Hélène de riangest, duchesse de Roannais, faisait alors modeler dans les ateliers voisins de Saint-Porchaire, ces merveilleuses faïences, dites d'Oiron, qui sont les plus purs, les plus splendides joyaux de notre céramique française et dont les moindres débris sont aujourd'hui prisés, littéralement, bien plus que leur poids d'or [2].

 

[1]  J’ai déjà cité ce document, dans l'Echo de Saint Gabriel ; ann. 1904, p. 8. [2]  On ne connaît que six ou sept pièces entières des faïences d'Oiron qui ont été classées dans la collection Rothschild et dans les anciennes collections Sauvageo et Dutuit, lesquelles sont au Louvre. Le seul chandelier de faïence émaillée au chiffre de Henri II, fut acheté par Dutuit, à la fin du XIX e siècle, 91.000 fr, sans les frais. C'est dire la magnificence dd ces pièces et leur insensée valeur actuelle  (Cf. Les Arts, ann. 1902, n° 18, p. 3.).

L'ancienne collection Dutuit possédait trois pièces d'Oiron ; l'une d'elle, une buire à eau, porte à la courbure de sa panse, sur un fond blanc laiteux et dans la magie d'un décor fou d'entrelacs et d'arabesques de couleurs varices, un cartouche unicolore sur lequel un emblématique pélican s'ouvre la poitrine pour, par l'ablution de son sang,  rendre la vie à sa couvée.

Cette source empourprée ouverte au coeur de l'oiseau qui, par son moyen, redonne l'existence à des êtres morts, est-elle d’une conception bien différente de la cinquième source ouverte au flanc divin, dont parle saint Bernard ? Car, ne l'oublions pas, dans l'iconographie chrétienne du Moyen-Age, du Xe siècle à la Renaissance, le Pélican se frappant au coeur, « s'acorant », est un emblème de la Rédemption revivifiante et non de l'Eucharistie.

Écoutons Guillaume de Normandie, l'un des maîtres les plus sûrs de la symbolique au XIIe siècle, et qui, dans son Bestiaire divin, nous dit :

« Les petits du Pélican devenus grands frappent leur père de leurs becs et celui-ci dans sa juste colère les tue ; mais trois jours après il revient vers eux, se perce le flanc, et son sang répandu sur eux, les rappelle à la vie ». Puis Guillaume fait l'application de cette fiction touchante au Sauveur Jésus. Tout cela est développé dans quatre-vingt-quinze vers romans dont la reproduction serait trop longue ici[1] .

Le Pélican sur une faïence d'Oirons XVIe.

Albert le Grand, Vincent de Beauvais, Hugues de saint-Victor ont expliqué le symbole du Pélican par le même fabuleux récit ; chez eux, tous les oisillons révoltés et châtiés à mort sont purifiés, lavés, pardonnes et rendus à la vie par la seule ablution du sang paternel, et non par son incorporation en tant que nourriture. Les morts ne sauraient être alimentés. Et si saint Augustin, commentant le Psaume 101, pressentit que le Pélican deviendrait un emblème eucharistique, sa pensée n'a point trouvé d'écho dans l'iconographie médiévale.

C'est pourquoi, quand saint Thomas d'Aquin, dans l'hymne Adoro te de son Office du Saint Sacrement, à son tour appliquera la figure du Pélican au Sauveur, il n'exprimera lui aussi que l'idée du rachat de l'âme humaine par l'ablution purificatrice du sang divin, et non par l'acte de nutrition eucharistique :

Pie Pellicane, Jesu Domine Me immundum manda tuo sanguine,

Cujus una stilla salvum facere Totum mundum quit ab omni scelere.

Pélican plein de bonté, Lavez dans votre sang nos souillures : une goutte suffit pour effacer tous les péchés du monde.

Au temps même où le génial céramiste de la duchesse de Roannais pliait les courbes molles des anses et décorait les contours de sa buire, du Bartras [2], en son style de l'école de Ronsard, donnait au Pélican symbolique le même sens mystique que les auteurs des siècles précédents. Ce n'est qu'après eux tous, par altération, par nescience de la pensée les grands siècles d'intellectualisme chrétien, que le Pélican devint l'un de symboles tardifs de l'Eucharistie. Voilà pourquoi les artistes, sculpteurs, peintres et ciseleurs du Moyen-Age le plaçaient quasi toujours au sommet de la croix ou dans le branchage de « l'Arbre de Vie ».

Sur une buire ancienne, je vois le Pélican en rapport direct d'idée avec la fiction qui le montre purifiant, ressuscitant et revivifiant à la source de son coeur, et par toute la sève de son coeur, sang et eau, ses enfants coupables et mortellement châtiés. N'est point vraiment là, dans le plus chaud symbole de son effusion, cette Eau que saint Jean vit, en l'île de Pathmos, « sortir du côté droit du Temple », et « qui sauve tous ceux qui en sont touchés », cette source purificatrice sur laquelle toute l'âme mystique du Moyen-Age s'est penchée avec la joie « du cerf altéré sur l'eau des fontaines, selon l'expression du Psaume 41, et qu'elle a magnifiée de tant de façons ?[3]

Suis-je donc trop osé en accordant au Pélican, sur la buire d'Oiron, une valeur anagogique quasi égale à celle du Cœur-fontaine de la buire de Poitiers, et quasi aussi la même signification ? Pour les deux inspirateurs de ces vases, comme pour la pensée qui a décoré le puits du Bois Rogues, l'eau qui fluait des uns et de l'autre apportait aux corps revivification et purification physique et matérielle, et, du Coeur ouvert du Sauveur, représenté dans sa forme ou figuré par le Pélican blessé, coulait, pour les âmes, « la source de vie et de toute sainteté ».

Et pour qu'on ne s'illusionne pas au point de croire réservé jadis exclusivement à l'élite intellectuelle des fidèles, ce symbolisme à la hauteur duquel la j-piété peut cependant hausser les simples, descendant l'échelle des temps et, jusqu'à l'extrême, l'étiage des arts, je veux graver en terminant l'image d'un bénitier tout populaire de mon voisinage; un de ces pauvres bénitiers de chevet où se signaient ceux de nos anciens qui portaient la veste de bure ou la blouse de toile, et nos grand'mères en robes de droguet ou de futaine. Il est fait de la plus grossière faïence du XVIIe siècle ou du XVIIIe, comme les vieilles assiettes des foyers campagnards, et son ornementation polychrome est de la naïveté la plus enfantine.

Or, sa vasque même, la vasque où repose l'eau sacramentale et bénite est faite du Coeur même de Jésus. C'est donc jusqu'en Lui-même, que le doigt du chrétien allait puiser l'eau salutaire, exorcisante et protectrice. Là aussi, on aurait pu écrire : Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris.

Bénitier campagnard loudunais, XVIIe ou XVIIIe s.

Loudun (Vienne)

CHARBONNEAU-LASSAY

 


[1]  Cf. C. Hippeau : Le Bestiaire Divin de Guillaume, Clerc de Normandie, VI, p. 93 et 207. Caen, Hardel 1852. [2] Cf. Hippeau : ouvrage cité, p. 96. [3] C'est la même idée de purification par l'ablution, par le bain, qui a présidé à la composition des " Fontaines de vie " par lesquelles le XVe siècle à glorifié l'action rédemptrice du Saint Sang, et qui ont inspiré à l'éminent maître Emile Mâle des pages qui sont de la belle et pure lumière d'archéologie sacrée (L'art religieux à la fin du Moyen-Age en France - Paris, Colin 1922 - p. 110 et suivantes.) Le thème ordinaire de ces " fontaines de vie " est ainsi réalisé : La croix ou expire Jésus crucifié s'élève d'une vasque dans laquelle le sang pleut de ses cinq plaies et surtout de celle du coeur, comme de cinq sources, en telle abondance que la vasque en est toute pleine ; et les pécheurs s'y viennent efficacement laver et baigner complètement. C'est " la fontaine du Sauveur ".., " le bain de vie " ".., la fontaine de pureté " selon les termes mêmes des hymnes liturgiques contemporains que cite Émile Mâle.

 

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