Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHEOLOGIE CHRETIENNE

LE PETIT SCEAU D'ESTÈME COURET

(XIVe SIÈCLE)

La merveilleuse collection d'art de M. le comte Raoul de Rochebrune, une des plus magnifiques de France[1], contient un petit sceau en bronze, au nom d'Estème Couret, qui depuis longtemps a retenu mon attention.

Encore inédit, je l'ai signalé en 1917, aux lecteurs de la Revue du Bas-Poitou[2], parce qu'il a été recueilli en province poitevine, au bourg de Curzon (Vendée), par le célèbre graveur aquafortiste Octave de Rochebrune, père de l'érudit collectionneur qui le possède aujourd'hui. Il intéresse trop l'iconographie du culte rendu au Coeur divin dans la France médiévale pour qu'il n'ait pas sa place dans la somme de documents anciens, relatifs à cette partie de l'Archéologie sacrée, dont Regnabit se propose de recueillir et dégrouper les images.

Description du Sceau de Couret.

La forme générale de l'objet qui nous occupe est celle d'une sorte de cône hexagonal à pans infléchis, surmonté d'une boucle tréflée où passait une chaînette de suspension. Ce fut la forme ordinaire des petits sceaux, dits « signets », du XIIe siècle jusqu'au XVIe.

La partie gravée porte, dans une un double nimbe fait de deux cercles conjugués verticalement, un coeur figuré en dessin au trait, et surmonte d’une croix qui est plantée dans son sommet ; du pied de cette croix partent six rayons de gloire. Autour, se déroule le nom du titulaire du sceau : S' (sigillum) ESTEME COVRET.

La Date du Sceau de Couret.

La gravure de cet ensemble incisé dans le bronze est d'une fermeté d'exécution qui touche à la raideur, et ce caractère de rigidité m'avait paru, en 1917, se rapprocher de la facture de plusieurs autres sceaux du début du XVe siècle ; depuis, j'ai remarqué la même sécheresse de trait sur nombre d'autres dont les dates s'échelonnent entre le XIIe siècle et la fin du XIVe.

Elle ne peut donc être que le résultat de l'outillage employé pour inciser le métal du signet, ou dépendre de la « manière » personnelle de l'orfèvre graveur, qui, du reste, fait preuve en ce travail d'une absolue maîtrise de son outil.

Les lettres de l'inscription, de la forme dite « onciale», sont indiscutablement de la famille de celles qui furent communément employées sur les sceaux durant la première moitié du X IVe siècle ; elles furent abandonnées par les graveurs français, précise l'éminent sigillographe J. Roman, vers 1350, date où la minuscule gothique leur devient d'un usage habituel[3].

Pour attribuer au XVe siècle le sceau d'Estème Couret, il faut admettre cette hypothèse, exposée dans ma note de 1917, que le graveur ait employé pour écrire la légende de ce sceau, des poinçons beaucoup plus anciens que son temps — s'il s'est toutefois servi, comme c'était généralement l'usage, de poinçons d'acier pour frapper la lettre avant la retouche finale du burin. —

Assurément cette hypothèse ne sort pas du domaine des possibilités mais elle est si improbable qu'à moi-même qui ne l'ai jadis émise que par prudence, par souci d'exactitude chronologique, elle ne me paraît plus à retenir. D'érudits confrères en archéologie m'ont fait du reste judicieusement observer, qu'à la rigueur, on la pourrait appliquer à tous les sceaux du monde, sauf à ceux, assez rares, qui portent des millésimes, ou à ceux, plus nombreux, qui appartiennent à des personnages dont la date de vie est connue.

En dernier état de cause il apparaît que l'on peut, sans présomption, attribuer au XIVe siècle — première moitié, si le graveur a usé des lettres.de son temps ; seconde moitié, s'il s'est servi de caractères un peu désuets — le petit signet d'Estème Couret.

Le Sujet du Sceau de Couret.

Pourquoi un coeur sur le signet de Couret ?

Le nom patronymique Couret est le même que Coeuret, et si l'on applique à la lettre u de ce dernier nom le son latin ou, comme ce fut longtemps l'usage au Moyen-Age dans les pays de langue d'Oc, les noms Couret et Coeuret acquièrent une similitude de prononciation quasi totale ; étymologiquement, l'un et l'autre sont des diminutifs du substantif coeur.

En choisissant un coeur comme, motif emblématique de son sceau, Couret faisait simplement, comme on disait alors, usage de ces « armes parlantes » qui passèrent souvent dans les familles, de père en fils, durant des siècles, comme de vrais blasons populaires ; et le grand nombre d'armoiries nobles qui ont été «meublées» de cette façon nous montre combien au Moyen-Age, ce genre de symbolisme fut affectionné : les La Tour, comtes souverains d'Auvergne, les Créqui, les La Fare, les Mauléon, les Martel, les La Bourdonnaye, les Dupleix, pour ne citer au hasard, que ceux-là, n'ont pas blasonné autrement.

Mais qu'est, en réalité le coeur du signet d'Estème Couret ?

Deux suppositions seules sont admissibles : Ou c'est le coeur de Couret lui-même, ou bien, s'inclinant devant Celui qui régnait alors sur toutes les pratiques de la vie familiale — ; Christus regnat, Christus imperat, disaient en ce temps-là les monnaies royales de France — Couret voulut marquer son sceau du Coeur glorieux du Sauveur, le prenant tout à la fois comme un «emblème parlant » et comme un signe protecteur, ainsi qu'à ces mêmes titres la tête de saint Jean-Baptiste était figurée, dans un linge ou sur un blason, au milieu des signets de Jean Cloche (1414) et de Jean Crête (1385), et le gril de saint Laurent sur celui de Simon Laurent (XIV s.).

A la vérité, surtout vers la fin du XVe siècle, nombre d'artisans, notamment les premiers imprimeurs libraires, représentèrent souvent, sur leurs firmes et marques professionnelles diverses, leurs propres coeurs ; et quelquefois, tel Anthoine Vérard, imprimeur parisien, le Coeur de Jésus et le leur, l'un au-dessus de l'autre, mais avec des attributs propres à empêcher qu'ils soient confondus l'un avec l'autre.

Et ce caractère attributif me parait établi sur le petit sceau de Couret par ce fait que de l'endroit où la croix pénètre dans le coeur s'échappent des rayons.

On sait que, dans l'iconographie religieuse du Moyen-Age, les rayons furent le signe spécial et réservé de l'état glorieux ; or, sur l'objet qui nous occupe, ils ne se rapportent pas à la croix, mais au coeur. S'ils étaient la glorification de l'arbre rédempteur ce ne serait pas de son pied que l'artiste les aurait fait jaillir, mais de son centre, c'est-à-dire du point de croisement du tronc et de la branche transversale, comme ce fut toujours l'usage pour les croix rayonnantes. Assurément un artiste d'aujourd'hui ne les aurait pas superposées, mais concentrés davantage à leur point de naissance; le graveur d'alors parait surtout là s'être défié, non de son burin, qu'il maniait en maître, mais plutôt du métal qu'il travaillait et qu'il trouvait peut-être cassant.

Attribués d'autre part au coeur de Couret, les rayons ne s'expliquent en aucune- façon. Et s'ils ne sont applicables, en le cas présent, ni à la croix, ni au coeur du chrétien vivant qu'était Couret, c'est que Celui qui est là, si fermement gravé dans la chair inaltérable du bronze est bien le Cœur glorifié du Sauveur Jésus !

Cette conclusion que je donnais en 1917, j'ai eu la satisfaction de la voir acceptée par de savants confrères en archéologie et par d'érudits spécialistes de l'iconographie du Cœur divin, notamment par le R. P. jésuite J. V. Bainvel[4].

Le Coeur de Jésus figuré sur un sceau du XIVe siècle constitue-t-il un fait qui puisse être qualifié d'insolite ? Non, assurément, pas plus que la figuration de ce même Coeur sacré sur la gravure murale du donjon de Chinon que j'ai signalé dans Regnabit du mois dernier (janvier 1922).

Et précédemment l'article si documenté de M. Emile Hoffet, Le Sacré-Coeur au Moyen-Age en Allemagne et en France, ne prouve-t-il pas, mieux que je ne saurais le dire, combien les monuments littéraires du culte du Coeur divin nous sont restés nombreux de la piété du XIVe siècle en ces deux pays ? Une telle ferveur de pensée ne pouvait pas aller sans s'extérioriser en quelques monuments représentatifs.

Les documents d'art de cette même époque, insoupçonnés ou presque il y a quinze ans, alors qu'on ne citait guère que le coeur divin sculpté sur le crucifix de l'abbé Trémy, de Tarentaise[5], commencent à se montrer moins rares qu'on le croyait alors, les études actuelles et les recherches en cours.ne peuvent manquer d'accroître le nombre de ces précieux et vénérables témoins de la piété d'autrefois : Regnabit et ses amis y contribueront grandement, j'en ai la ferme espérance.

Loudun, décembre 1921. L. CHARBONNEAU-LASSAY.

 

[1] Au château de la Court-d'Aron, Saint-Cyr-en-Talmondais (Vendée).[2] Revue du Bas-Poitou, ann. 1917. IIIe livr.[3] J. Roman, correspondant de l'Institut : Manuel de sigillographie française, p. 226. Paris, Picard, 1912.[4] J. V. Bainvel : La dévotion au Sacré-Coeur de Jésus. Append. III, pages. 640-641. Paris, Beauchesne, 1921.[5]  Cf. L. Cloquet. Eléments d'Iconographie Chrétienne, ch. IV, p. 84. — (note) Lille, Desclée et de Brouwer, 1890.

 

Articles récents

Hébergé par Overblog