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L'Avènement du Grand Monarque

L'Avènement du Grand Monarque

Révéler la Mission divine et royale de la France à travers les textes anciens.

Publié le par Rhonan de Bar
Publié dans : #ARCHITECTURE.

ESSAI SUR L'ARCHITECTURE MILITAIRE

PAR M. VIOLLET-LE-DUC ARCHITECTE DU GOUVERNEMENT

INSPECTEUR―GÉNÉRAL DES ÉDIFICES DIOCÉSAINS

EXTRAIT DU DICTIONNAIRE RAISONNÉ DE L'ARCHITECTURE FRANÇAISE DU XIe AU XVIe SIÈCLE.

ESSAI SUR L'ARCHITECTURE MILITAIRE DU MOYEN AGE

Écrire une histoire générale de l'art de la fortification depuis l'antiquité jusqu'à nos jours est un des beaux sujets livrés aux recherches des archéologues, et nous ne devons pas désespérer de le voir entreprendre mais on doit convenir qu'un pareil sujet exigerait des connaissances très-variées, car il faudrait réunir à la science de l'historien la pratique de l'art de l'architecte et de l'ingénieur militaire. Il est difficile de se rendre un compte exact d'un art oublié quand on ignore l'art pratiqué dans le temps présent et pour qu'un ouvrage de la nature de celui que nous espérons voir entreprendre fût complet, il faudrait qu'il fût fait par un homme à la fois versé dans l'art moderne de la défense des places, architecte et archéologue. Nous ne sommes point ingénieur militaire, à peine archéologue, ce serait donc une grande présomption de notre part de vouloir donner ce résumé autrement que comme un essai, une étude de l'une des phases de l'art de la fortification, comprise entre l'établissement du pouvoir féodal et l'adoption du système de la fortification régulière opposée à l'artillerie à feu. Peut-être cet essai, en soulevant le voile qui couvre encore une des branches de l'art de l'architecture du moyen âge, déterminera-t-il quelques-uns de nos jeunes officiers du génie militaire à se livrer à une étude qui ne pourrait manquer d'avoir un grand intérêt, peut-être même un résultat utile et pratique car il y a toujours quelque chose à gagner à connaître les efforts tentés par ceux qui nous ont précédés dans la voie, à suivre la marche du travail de l'homme depuis ses premiers et informes essais jusqu'aux plus remarquables développements de son intelligence et de son génie. Voir comment les autres ont vaincu avant nous les difficultés dont ils étaient entourés, est un moyen d'apprendre à vaincre celles qui se présentent chaque jour et dans l'art de la fortification où tout est problème à résoudre, calcul, prévision, où il ne s'agit pas seulement de lutter avec les éléments et la main du temps comme dans les autres branches de l'architecture, mais de se prémunir contre la destruction intelligente et combinée de l'homme, il est bon, nous le croyons, de savoir comment, dans les temps antérieurs, les uns ont appliqué toutes les forces de leur esprit, leur puissance matérielle à détruire, les autres à préserver. Lorsque les barbares firent irruption dans les Gaules, beaucoup de villes possédaient encore leurs fortifications gallo-romaines; celles qui n'en étaient point pourvues se hâtèrent d'en élever avec les débris des monuments civils. Ces enceintes successivement forcées et réparées, furent longtemps les seules défenses des cités, et il est probable qu'elles n'étaient point soumises à des dispositions régulières et systématiques, mais qu'elles étaient construites fort diversement, suivant la nature des lieux, des matériaux, ou d'après certaines traditions locales que nous ne pouvons apprécier aujourd'hui, car de ces enceintes il ne nous reste que des débris, des soubassements modifiés par des adjonctions successives.

Les Visigoths s'emparèrent, pendant le v' siècle, d'une grande partie des Gaules leur domination s'étendit sous Vallia de la Narbonnaise à la Loire. Toulouse demeura quatre-vingt-neuf ans la capitale de ce royaume, et pendant ce temps la plupart des villes de la Septimanie furent fortifiées avec grand soin, et eurent à subir des sièges fréquents. Narbonne, Béziers, Agde, Carcassonne, Toulouse furent entourées de remparts formidables, construits d'après les traditions romaines des bas temps, si l'on en juge par les portions importantes d'enceintes qui entourent encore la cité de Carcassonne. Les Visigoths, alliés des Romains, ne faisaient que perpétuer les arts de l'empire, et cela avec un certain succès. Quant aux Francs, ils avaient conservé les habitudes germaines, et leurs établissements militaires devaient ressembler à des camps fortifiés, entourés de palissades, de fossés et de quelques talus de terre. Le bois joue un grand rôle dans les fortifications des premiers temps du moyen âge. Et si les races germaines, qui occupèrent les Gaules, laissèrent aux Gallo-Romains le soin d'élever des églises, des monastères, des palais et des édifices publics, ils durent conserver leurs usages militaires en face du peuple conquis. Les Romains eux-mêmes, lorsqu'ils faisaient la guerre sur des territoires couverts de forêts, comme la Germanie et la Gaule, élevaient souvent des remparts de bois, sortes de logis avancés en dehors des camps, ainsi qu'on peut le voir dans les bas-reliefs de la colonne Trajane (FIG 1). Dès l'époque de César, les Celtes, lorsqu'ils ne pouvaient tenir la campagne, mettaient les femmes, les enfants et ce qu'ils possédaient de plus précieux à l'abri des attaques de l'ennemi, derrière des fortifications faites de bois, de terre et de pierre. « Ils se servent, dit César dans ses Commentaires, de pièces de bois droites dans toute leur longueur, les couchent à terre parallèlement, les placent à une distance de deux pieds l'une de l'autre, les fixent transversalement par des troncs d'arbre, et remplissent « de terre les vides. Sur cette première assiette ils posent une  assise de gros fragments de rochers formant parement extérieur, et lorsque ceux-ci sont bien joints, ils établissent un nouveau radier de bois disposé comme le premier, de façon que les rangs de bois ne se touchent point et ne portent que sur les assises de rochers interposées. L'ouvrage est ainsi  monté à hauteur convenable. Cette construction, par la « variété de ses matériaux, composée de bois et de pierres formant des assises régulières, est bonne pour le service et la défense des places, car les pierres qui la composent empêchent les bois de brûler, et les arbres ayant environ quarante pieds de long, liés entre eux dans l'épaisseur de la muraille, résistent aux efforts du bélier et ne peuvent être rompus ou « désassemblés que très-difficilement[1]. »

César rend justice à la façon industrieuse dont les Gaulois de son temps établissaient leurs défenses et savaient déjouer les efforts des assaillants lorsqu'il fait le siège d'Avarique (Bourges). « Les Gaulois, dit-il, opposaient toutes sortes de ruses à la merveilleuse constance de nos soldats l'industrie de cette nation imite parfaitement tout ce qu'elle voit faire. Ils détournaient nos faux avec des lacets, et lorsqu'ils les avaient accrochées, ils les tiraient en dedans de leurs murs avec des machines. Ils faisaient effondrer nos chaussées (de contrevallation) par les mines qu'ils conduisaient au-dessous d'elles ; travail qui leur est familier, à cause des nombreuses mines de fer dont leur pays abonde. Ils avaient de tous côtés garni leurs murailles, de tours recouvertes de cuir. Nuit et jour ils faisaient des  sorties, mettaient le feu à nos ouvrages, ou attaquaient nos travailleurs. A mesure que nos tours s'élevaient avec nos remparts, ils élevaient les leurs au même niveau, au moyen de poutres qu'ils liaient entre elles.[2] »

Les Germains établissaient aussi des remparts de bois couronnés de parapets d'osier. La colonne Antonine, à Rome, nous donne un curieux exemple de ces sortes de redoutes de campagnes  (FIG 2).

Mais ce n'étaient la probablement que des ouvrages faits à la hâte. On voit ici l'attaque de ce fort par les soldats romains. Les fantassins, pour pouvoir s'approcher du rempart, se couvrent de leurs boucliers et forment ce que l'on appelait la tortue appuyant le sommet de ces boucliers contre le rempart, ils pouvaient saper sa base ou y mettre le feu à l'abri des projectiles [3]. Les assiégés jettent des pierres, des roues, des épées, des torches, des pots à feu sur la tortue, et des soldats romains, tenant des tisons enflammés, semblent attendre que la tortue se soit approchée complétement du rempart pour passer sous les boucliers et incendier le fort. Dans leurs camps retranchés, les Romains, outre quelques ouvrages avancés construits en bois, plaçaient souvent, le long des remparts, de distance en distance, des échafaudages de charpente qui servaient soit à placer des machines destinées à lancer des projectiles, soit de tours de guet pour reconnaître les approches de l'ennemi. Les bas-reliefs de la colonne Trajane présentent de nombreux exemples de ces sortes de constructions ( FIG 3).

Ces camps étaient de deux sortes il y avait les camps d'été, castra aestiva, logis purement provisoires, que l'on élevait pour protéger les haltes pendant le cours de la campagne, et qui ne se composaient que d'un fossé peu profond et d'un rang de palissades plantées sur une petite escarpe; puis les camps d'hiver ou fixes, castra hiberna, castra stativa, qui étaient défendus par un fossé large et profond, par un rempart de terre gazonnée ou de pierre flanqué de tours le tout était couronné de parapets crénelés ou de pieux reliés entre eux par des longrines ou des liens d'osier. L'emploi des tours rondes ou carrées dans les enceintes fixes des Romains était général, car, comme le dit Végèce, « les anciens trouvèrent que l'enceinte d'une place ne devait point être sur une même ligne continue, à cause des béliers qui battraient trop aisément en brèche; mais par le moyen des tours placées dans le rempart assez près les unes des autres leurs murailles présentaient des parties saillantes et rentrantes. Si les ennemis veulent appliquer des échelles, ou approcher des machines contre une muraille de cette construction, on les voit de front, de revers et presque par derrière; ils sont comme enfermés au milieu des batteries de la place qui les foudroient.» Dès la plus haute antiquité, l'utilité des tours avait été reconnue afin de permettre de prendre les assiégeants en flanc lorsqu'ils voulaient battre les courtines. Les camps fixes des Romains étaient généralement quadrangulaires, avec quatre portes percées dans le milieu de chacune des faces; la porte principale avait nom prétorienne, parce qu'elle s'ouvrait en face du prœtorium, demeure du général en chef; celle en face s'appelait décumane; les deux latérales étaient désignées ainsi principalis dextra et principalis sinistra. Des ouvrages avancés, appelés antemuralia, procastria, défendaient ces portes[4]'. Les officiers et les soldats logeaient dans des huttes en terre, en brique ou en bois, recouvertes de chaume ou de tuiles. Les tours étaient munies de machines propres à lancer des traits ou des pierres. La situation des lieux modifiait souvent cette disposition quadrangulaire, car, comme l'observe judicieusement Vitruve à propos des machines de guerre (chap. XXII) : « Pour ce qui est des moyens que les assiégés peuvent employer pour se défendre, cela ne se peut écrire. »

La station militaire de Famars, en Belgique (Fanum Martis), donnée dans l'Histoire de l'architecture en Belgique, et dont nous reproduisons ici le plan (FIG 4), présente une enceinte dont la disposition ne se rapporte pas aux plans ordinaires des camps romains il est vrai que cette fortification ne saurait être antérieure au IIIe siècle[5]

Quant au mode adopté par les Romains dans la construction de leurs fortifications de villes, il consistait en deux forts parements de maçonnerie séparés par un intervalle de vingt pieds le milieu était rempli de terre provenant des fossés et de blocaille bien pilonnées, et formant un chemin de ronde légèrement incliné du côté de la ville pour l'écoulement des eaux la paroi extérieure s'élevait au-dessus du chemin de ronde, était épaisse et percée de créneaux; celle intérieure était peu élevée au-dessus du sol de la place, de manière à rendre l'accès des remparts facile au moyen d'emmarchements ou de pentes douces[6] ( FIG 5).

 


[1] Cæs. De Bello gall., lib. VII, cap. XXIII[2] Cæs. De Bello gall., lib. VII, cap. XXII[3] Ces boucliers, en forme de portion de cylindre, étaient réserves pour ce genre d'attaque. [4] Godesc. Stewechii Conject. ad Sexti Jul. Frontini lib. Stragem. Lugd. Batav., 1592, in-12, p. 465. [5] Voy. Hist. de l'archit. en Belgique, par A. G. B. Schayes, t I, p. 203 Bruxelles).[6] Végèce, Jib. IV, cap. m, tit. Qnemadmodum muris terra jungatur egesta.

L'enceinte visigothe de la cité de Carcassonne nous a conservé des dispositions analogues et qui rappellent celles décrites par Végèce. Le sol de la ville est beaucoup plus élevé que celui du dehors et presque au niveau des chemins de ronde. Les courtines, fort épaisses, sont composées de deux parements de petit appareil cubique, avec assises alternées de brique le milieu est rempli non de terre, mais de blocage façonné à la chaux. Les tours s'élevaient au-dessus des courtines et leur communication avec celles-ci pouvait être coupée, de manière à faire de chaque tour un petit fort indépendant; à l'extérieur ces tours sont cylindriques, et du côté de la ville elles sont carrées leur souche porte également du côté de la campagne sur une base cubique. Nous donnons ici (FIG 6) le plan d'une de ces tours avec les courtines A est le plan du rez-de-chaussée, B le plan du premier étage au niveau des chemins de ronde.

On voit en C et en D les deux fosses pratiquées en avant des portes de la tour afin d'intercepter, lorsqu'on enlevait les ponts de bois, la communication entre la ville ou les chemins de ronde et les étages des tours. On accédait du premier étage à la partie supérieure crénelée de la tour par un escalier en bois intérieur posé le long du mur plat. Le sol extérieur étant beaucoup plus bas que celui de la ville, le rez-de-chaussée de la tour était en contre-bas du terre-plein de la cité, et on y descendait par un emmarchement de dix à quinze marches. La figure (6 bis) fait voir la tour et ses deux courtines du côté de la ville, les ponts de communication sont supposés enlevés. L'étage supérieur crénelé est couvert par un comble et ouvert du côté de la ville, afin de permettre aux défenseurs de la tour de voir ce qui s'y passe, et aussi pour permettre de monter des pierres et toutes sortes de projectiles au moyen d'une corde et d'une poulie[8].

La figure (FIG 6 ter) montre cette même tour du côté de la campagne nous y avons joint une poterne[9] dont le seuil est assez élevé au-dessus du sol pour qu'il faille un escalier volant ou une échelle pour y accéder. La poterne se trouve défendue, suivant l'usage, par une palissade ou barrière chaque porte ou poterne était munie de ces sortes d'ouvrages.

Conformément à la tradition du camp fixe romain, l'enceinte des villes du moyen âge renfermait un château ou au moins un réduit qui commandait les murailles; le château lui-même contenait une défense isolée plus forte que toutes les autres qui prit le nom de Donjon. Souvent les villes du moyen âge étaient protégées par plusieurs enceintes, ou bien il y avait la cité qui, située sur le point culminant, était entourée de fortes murailles et, autour, des faubourgs défendus par des tours et courtines ou de simples ouvrages en terre ou en bois avec fossés. Lorsque les Romains fondaient une ville, ils avaient le soin, autant que faire se pouvait, de choisir un terrain incliné le long d'un fleuve ou d'une rivière. Quand l'inclinaison du terrain se terminait par un escarpement du côté opposé au cours d'eau, la situation remplissait toutes les conditions désirables et pour nous faire mieux comprendre par une figure, voici (FIG 7) le plan cavalier d'une assiette de ville romaine conforme à ces données.

A était la ville avec ses murs bordés d'un côté par la rivière; souvent un pont, défendu par des ouvrages avancés, communiquait à la rive opposée. En B était l'escarpement qui rendait l'accès de la ville difficile sur le point où une armée ennemie devait tenter de l'investir D le château dominant tout le système de défense, et le refuge de la garnison dans le cas où la ville tombait aux mains des ennemis. Les points les plus faibles étaient alors les deux fronts CC, et c'est là que les murailles étaient hautes, bien flanquées de tours et protégées par des fossés larges et profonds, quelquefois aussi par des palissades, particulièrement en avant des portes. La position des assiégeants, en face de ces deux fronts, n'était pas très-bonne d'ailleurs, car une sortie les prenant de flanc, pour peu que la garnison fut brave et nombreuse, pouvait les culbuter dans le fleuve. Dans 'le but de reconnaître les dispositions des assiégeants, aux angles EE étaient construites des tours fort élevées, qui permettaient de découvrir au loin les rives du fleuve en aval et en amont, et les deux fronts CC. C'est suivant ces données que les villes d'Autun, de Cahors, d'Auxerre, de Poitiers, de Bordeaux, de Langres, etc., avaient été fortifiées à l'époque romaine. Lorsqu'un pont réunissait, en face le front des murailles, les deux rives du fleuve, alors ce pont était défendu par une tête de pont G du côté opposé à la ville ces têtes de pont prirent plus ou moins d'importance elles enveloppèrent des faubourgs tout entiers, ou ne furent que des châtelets, ou de simples barbacanes. Des estacades et des tours en regard, bâties des deux côtés du fleuve en amont, permettaient de barrer le passage et d'intercepter la navigation en tendant, d'une tour à l'autre, des chaînes ou des pièces de bois attachées bout à bout par des anneaux de fer. Si, comme à Rome même, dans le voisinage d'un fleuve, il se trouvait une réunion de mamelons, on avait le soin, non d'envelopper ces mamelons, mais de faire passer les murs de défense sur leurs sommets, en fortifiant avec soin les intervalles qui, se trouvant dominés des deux côtés par des fronts, ne pouvaient être attaqués sans de grands risques. A cet effet, entre les mamelons, la ligne des murailles était presque toujours infléchie et concave, ainsi que l'indique le plan cavalier [10] (FIG 8) de manière à flanquer les vallons.

 

Mais si la ville occupait un plateau (et alors elle n'était généralement que d'une médiocre importance) on profitait de toutes les saillies du terrain en suivant ses sinuosités, afin de ne pas permettre aux assiégeants de s'établir au niveau du pied des murs, ainsi qu'on peut le voir à Langres et à Carcassonne, dont nous donnons ici (FIG 9) l'enceinte visigothe, nous pourrions dire romaine, puisque quelques-unes de ses tours sont établies sur des souches romaines. Dans les villes antiques, comme dans la plupart de celles élevées pendant le moyen âge, et comme aujourd'hui encore, le château, castellum[11], était bâti non-seulement sur le point le plus élevé, mais encore touchait toujours à un côté de l'enceinte, afin de ménager à la garnison les moyens de recevoir des secours du dehors si la ville était prise.

Les entrées du château étaient protégées par des ouvrages avancés qui s'étendaient souvent assez loin dans la campagne, de façon à laisser entre les premières barrières et les murs du château un espace libre, sorte de place d'armes qui permettait à un corps de troupes de camper en dehors des enceintes fixes, et de soutenir les premières attaques. Ces retranchements avancés étaient généralement élevés en demi-cercles composés de fossés et de palissades les portes étaient alors ouvertes latéralement, de manière à obliger l'ennemi qui voulait les forcer de se présenter de flanc devant les murs de la place. Si du IVe au Xe siècle le système défensif de la fortification romaine s'était peu modifié, les moyens d'attaque avaient nécessairement perdu de leur valeur; la mécanique jouait un grand rôle dans les sièges des places, et cet art n'avait pu se perfectionner ni même se maintenir, sous la domination des conquérants barbares, au niveau où les Romains l'avaient placé. Les Romains étaient fort habiles dans l'art d'attaquer les places, et ils déployaient dans ces circonstances, comme en toutes choses, une puissance de moyens dont nous avons de la peine à nous faire une idée. Leur organisation militaire était d'ailleurs on ne peut plus favorable à la guerre de sièges toutes leurs troupes pouvaient au besoin être converties en pionniers, terrassiers, mineurs, charpentiers, maçons, etc., et une armée assiégeante travaillait en masse aux approches, aux terrassements, aux murs de contrevallation, en même temps qu'elle se gardait et attaquait. Cela explique comment des armées romaines, comparativement peu nombreuses, menaient à fin des sièges pendant lesquels il avait fallu faire de gigantesques travaux. Lorsque le lieutenant C. Trébonius fut laissé par César au siège de Marseille, les Romains durent élever des ouvrages considérables pour réduire la ville qui était forte et bien munie. L'un de leurs travaux d'approches est d'une grande importance nous donnons ici la traduction du passage des Mémoires de César qui le décrit, en essayant de la rendre aussi claire que possible. « Les légionnaires, qui dirigeaient la droite des travaux, jugèrent qu'une tour de briques, élevée au pied de la muraille (de la ville), pourrait leur être d'un grand secours contre les fréquentes sorties des ennemis, s'ils parvenaient à en faire une bastille ou un réduit. Celle qu'ils avaient faite d'abord était petite, basse elle leur servait cependant de retraite. Ils s'y défendaient contre des forces supérieures, ou en sortaient pour repousser et pour suivre l'ennemi. Cet ouvrage avait trente pieds sur chaque côté, et l'épaisseur des murs était de cinq pieds on reconnut bientôt (car l'expérience est un grand maître) qu'on pourrait au moyen de quelques combinaisons tirer un grand parti de cette construction, si on lui donnait l'élévation d'une tour. Lorsque la bastille eut été élevée à la hauteur d'un étage, ils (les Romains) placèrent un plancher composé de solives -dont les extrémités étaient masquées par le parement extérieur de la maçonnerie, afin que le feu lancé par les ennemis ne pût s'attacher à aucune partie saillante de la charpente. Au-dessus de ce plancher ils surélevèrent les murailles de brique autant que le permirent les parapets et les mantelets sous lesquels ils étaient à couvert alors à peu de distance de la crête des  murs ils posèrent deux poutres en diagonale pour y placer le plancher destiné à devenir le comble de la tour. Sur ces deux poutres ils assemblèrent des solives transversales comme une enrayure, et dont les extrémités dépassaient un peu le parement extérieur de la tour, pour pouvoir suspendre en dehors des gardes destinées à garantir les ouvriers occupés à la construction du mur. Ils couvrirent ce plancher de briques et d'argile pour qu'il fût à l'épreuve du feu, et étendirent dessus des couvertures grossières, de peur que le comble ne fût brisé par les projectiles lancés par les machines, ou que les pierres envoyées par les catapultes ne pussent fracasser les briques. Ils façonnèrent ensuite trois nattes avec des câbles servant aux ancres des vaisseaux, de la longueur de chacun des côtés de la tour et de la hauteur de quatre pieds, et les attachèrent aux extrémités extérieures des solives (du comble), le long des murs, sur les trois côtés battus par les ennemis. Les soldats avaient souvent éprouvé, en d'autres circonstances, que cette sorte de garde était la seule qui offrît un obstacle impénétrable aux traits et aux projectiles lancés par les machines. Une partie de la tour étant achevée et mise à l'abri de toute insulte, ils transportèrent les mantelets dont ils s'étaient servis sur d'autres points des ouvrages d'attaque. Alors, s'étayant sur le premier plancher, ils commencèrent à soulever le toit entier, tout d'une pièce, et l'enlevèrent fi une hauteur suffisante pour que les nattes de câbles pussent encore masquer les travailleurs. Cachés derrière cette garde, ils construisaient les murs en brique, puis élevaient encore le toit, et se donnaient ainsi l'espace nécessaire pour monter peu à peu leur construction. Quand ils avaient atteint la hauteur d'un nouvel étage, ils faisaient un  nouveau plancher avec des solives dont les portées étaient toujours masquées par la maçonnerie extérieure et de là ils continuaient à soulever le comble avec ses nattes. C'est ainsi que, sans courir de dangers, sans s'exposer a aucune « blessure, ils élevèrent successivement six étages. On laissa des meurtrières aux endroits convenables pour y placer des machines de guerre.

«Lorsqu'ils furent assurés que de cette tour ils pouvaient défendre les ouvrages qui en étaient voisins, ils commencèrent à construire un rat (musculus[12]), long de soixante pieds, avec des poutres de deux pieds d'équarrissage, qui du rez-de-chaussée de la tour les conduiraient à celle des ennemis et aux murailles. On posa d'abord sur le sol deux sablières d'égale longueur, distantes l'une de l'autre de quatre pieds on assembla dans des mortaises faites dans ces poutres des poteaux de cinq pieds de hauteur. On réunit ces poteaux par des traverses en forme de frontons peu aigus pour y placer les pannes destinées à soutenir la couverture du rat. Par-dessus on posa des chevrons de deux pieds d'équarrissage, reliés avec des chevilles et des bandes de fer. Sur ces chevrons on cloua des lattes de quatre doigts d'équarrissage, pour soutenir les briques formant couverture. Cette charpente ainsi ordonnée, et les sablières portant sur des traverses, le tout fut recouvert de brique et a d'argile détrempée, pour n'avoir point à craindre le feu qui serait lancé des murailles. Sur ces briques on étendit des cuirs, afin d'éviter que l'eau dirigée dans des canaux par les assiégés ne vînt à détremper l'argile pour que les cuirs ne pussent être altérés par le feu ou les pierres, on les couvrit de matelas de laine. Tout cet ouvrage se fit au pied de la tour, à l'abri des mantelets, et tout à coup, lorsque les Marseillais s'y attendaient le moins, à l'aide de rouleaux usités dans la marine, le rat fut poussé contre la tour de la ville, de manière à joindre son pied.

 

[7] Annales de la ville de Toulouse, Paris, 1771, t. I, p. 436. [8] Ces tours ont été dénaturées.eu partie au commencement du XIIe siècle et après la prise de Carcassonne par l'armée de saint Louis. Ou retrouve cependant sur divers points les traces de ces interruptions entre la courtine et les portes des tours.[9] Cette poterne existe encore placée ainsi à côté d'une des tours et protégée par son flanc.[10] 1 Voir le plan de Rome. [11] Capdhol, capitol, en langue d'oc. [12] 1 Isidorus, libro duodevigesimo Etymologiarum, capite de Ariete Mus― culus, inquit, cuniczelo similis sit, gmo murus perfoditur ex quo et appellatur, quasi marusculus. (Godeso. Stewec. comm. ad lib. IV Veget. 1492.

Le château Narbonnais de Toulouse, qui joue un si grand rôle dans l'histoire de cette ville depuis la domination des Visigoths jusqu'au XIVe siècle, paraît avoir été construit d'après ces données antiques il se composait « de deux grosses tours, l'une au midi, l'autre au septentrion, bâties de terre cuite et de cailloux avec de la chaux; le tout entouré de grandes pierres sans mortier, mais cramponnées avec des lames de fer scellées de plomb. Le château était élevé sur terre de plus de trente brasses, ayant vers le midi deux portails de suite, deux voûtes de pierres de taille jusqu'au sommet il y en avait deux autres de suite au septentrion et sur la place du Salin. Par le dernier « de ces portails, on entrait dans la ville, dont le terrain a été « haussé de plus de douze pieds. On voyait une tour carrée « entre ces deux tours ou plates-formes de défense car elles « étaient terrassées et remplies de terre, suivant Guillaume de Puilaurens, puisque Simon de Montfort en fit enlever toutes les terres qui s'élevaient jusqu'au comble[7]. »

« Les assiégés, effrayés de cette manœuvre rapide, font avancer, à force de leviers, les plus grosses pierres qu'ils peuvent trouver, et les précipitent du haut de la muraille sur le rat. Mais la charpente résiste par sa solidité, et tout ce qui est jeté sur le comble est écarté par ses pentes. A cette vue, les assiégés changent de dessein, mettent le feu à des tonneaux remplis de poix et de goudron et les jettent du haut des parapets. Ces tonneaux roulent, tombent à terre de chaque côté du rat et sont éloignés avec des perches et des fourches. Cependant nos soldats à couvert sous le rat ébranlent avec des leviers les pierres des fondations de la tour des ennemis. D'ailleurs le rat est défendu par les traits lancés du haut de notre tour de « briques les assiégés sont écartés des parapets de leurs tours et de leurs courtines on ne leur laisse pas le temps de s'y montrer pour les défendre. Déjà une grande quantité des pierres des soubassements sont enlevées, une partie de la tour s'écroule tout à coup[13] . » Afin d'éclaircir ce passage nous donnons (fig. 9') une coupe perspective de la tour ou bastille décrite ci-dessus par César, au moment où les soldats romains sont occupés à la surélever à couvert sous le comble mobile.

Celui-ci est soulevé aux quatre angles au moyen de vis de charpente, dont le pas s'engage successivement dans de gros écrous assemblés en deux pièces et maintenus par les premières solives latérales de chacun des étages, et dans les angles de la tour de cette façon ces vis sont sans fin car lorsqu'elles quittent les écrous d'un étage inférieur, elles sont déjà engagées dans les écrous du dernier étage posé des trous percés dans le corps de ces vis permettent à six hommes au moins de virer à chacune d'elles au moyen de barres, comme à un cabestan. Au fur et à mesure que le comble s'élève, les maçons le calent sur plusieurs points et s'arasent. Aux extrémités des solives du comble sont suspendues les nattes de câbles pour abriter les travailleurs. Quant au rat ou galerie destinée à permette aux pionniers de saper à couvert le pied des murailles des assiégés, sa description est assez claire et détaillée pour n'avoir pas besoin de commentaires.

Si les sièges entrepris par les Romains dénotent chez ce peuple une grande expérience, une méthode suivie, un art militaire poussé fort loin, l'emploi de moyens irrésistibles, un ordre parfait dans les opérations, il n'en est pas de même chez les barbares qui envahirent l'Occident, et si les peuplades germaines de l'Est et du Nord pénétrèrent facilement dans les Gaules, cela tient plutôt à la faiblesse de la défense des places qu'à l'habileté de l'attaque les errements romains étaient à peine connus des barbares. Le peu de documents qui nous restent sur les sièges entrepris par les peuplades qui envahirent les Gaules accusent une grande inexpérience de la part des assaillants.

L'attaque exige plus d'ordre, plus de régularité que la défense, et si les peuplades germaines avaient quelqu'idée de la fortification défensive, il leur était difficile de tenir des armées irrégulières et mal disciplinées devant une ville qui résistait quelque temps; quand les sièges traînaient en longueur, l'assaillant était presque certain de voir ses troupes se débander pour aller piller la campagne. L'organisation militaire des peuples germains ne se prêtait pas à la guerre de sièges. Chaque chef conservant une sorte d'indépendance, il n'était pas possible d'astreindre une armée composée d'éléments divers à ces travaux manuels auxquels les armées romaines étaient habituées. Le soldat germain n'eût pas daigné prendre la pioche et la pelle pour faire une tranchée ou élever un terrassement, et il n'est pas douteux que si les villes gallo-romaines eussent été bien munies et défendues, les efforts des barbares se fussent brisés devant leurs murailles, car en considérant les moyens offensifs dont leurs troupes pouvaient disposer, les traditions de la défense romaine l'emportaient sur l'attaque. Mais après les premières invasions les Gallo-Romains comprirent la nécessité de se défendre et de fortifier leurs villes démantelées par suite d'une longue paix les troupes barbares acquirent de leur côté une plus grande expérience et ne tardèrent pas à employer avec moins d'ordre, mais aussi avec plus de furie et en sacrifiant plus de monde, la plupart des moyens d'attaque qui avaient été pratiqués par les Romains. Une fois maîtres du sol, les nouveaux conquérants employèrent leur génie guerrier à perfectionner la défense et l'attaque des villes; sans cesse en guerre entre eux, ils ne manquaient pas d'occasions de reprendre dans les traditions romaines les restes de l'art militaire et de les appliquer, car l'ambition des chefs francs jusqu'à Charlemagne était toujours de conquérir cette antique prépondérance de Rome, de s'appuyer sur cette civilisation au milieu de laquelle ils s'étaient rués, de la faire revivre à leur profit.

Tous les sièges entrepris pendant les périodes mérovingienne et carlovingienne rappellent grossièrement les sièges faits par les Romains. Lorsqu'on voulait investir une place, on établissait d'abord deux lignes de remparts de terre ou de bois, munis de fossés, l'une du côté de la place, pour se prémunir contre les sorties des assiégés et leur ôter toute communication avec le dehors, qui est la ligne de contrevallation; l'autre du côté de la campagne, pour se garder contre les secours extérieurs, qui est la ligne de circonvallation. A l'imitation des armées romaines, on opposait aux tours des remparts attaqués des tours mobiles en bois plus élevées, qui commandaient les remparts des assiégés, et qui permettaient de jeter sur les murailles, au moyen de ponts volants, de nombreux assaillants. Les tours mobiles avaient cet avantage de pouvoir être placées en face les points faibles de la défense, contre des courtines munies de chemins de ronde peu épais, et par conséquent n'opposant qu'une ligne de soldats contre une colonne d'attaque profonde, se précipitant sur les murailles de haut en bas. On perfectionna le travail du mineur et tous les engins propres à battre les murailles; dès lors l'attaque l'emporta sur la défense. Des machines de guerre des Romains, les armées des premiers siècles du moyen âge avaient conservé le bélier (mouton en langue d'oil, bosson en langue d'oc). Ce fait a quelquefois été révoqué en doute, mais nous possédons les preuves de l'emploi, pendant les Xe, XIe, XIIe, XIVe XVe et même XVIe siècles, de cet engin propre à battre les murailles. Voici les copies de vignettes tirées de manuscrits de la bibliothèque Impériale, qui ne peuvent laisser la moindre incertitude sur l'emploi du bélier. La première (9 bis) représente l'attaque des palissades ou des lices entourant une fortification de pierre[14]. On y distingue parfaitement le bélier, porté sur deux roues et poussé par trois hommes qui se couvrent de leurs targes un quatrième assaillant tient une arbalète à pied de-biche.

 

La seconde (FIG 9 Ter) représente l'une des visions d'Ezéchiel[15] trois béliers munis de roues entourent le prophète[16].

Dans le siège du château de Beaucaire par les habitants de cette ville, le bosson est employé (voir plus loin le passage dans lequel il est question de cet engin). Enfin, dans les Chroniques de Froissard, et, plus tard encore, au siège de Pavie, sous François Ier, il est question du bélier. Mais après les premières croisades, les ingénieurs occidentaux qui avaient été en Orient à la suite des armées apportèrent en France, en Italie, en Angleterre et en Allemagne, quelques perfectionnements à l'art de la fortification le système féodal organisé mettait eu pratique les nouvelles méthodes, et les améliorait sans cesse, par suite de son état permanent de guerre. A partir de la fin du XIIe siècle jusque vers le milieu du XIIIe, la défense l'emporta sur l'attaque, et cette situation ne changea que lorsqu'on fit usage de la poudre à canon dans l'artillerie. Depuis lors, l'attaque ne cessa pas d'être supérieure à la défense.

[13] 1 Cæs., De Bello civ., lib. II, cap. VIII, IX, X,XI[14] Haimonis Comment. in, Ezech. Bibl. Imp manusc du Xe siècle, F. de Saint-Germain, latin. 303.[15] Bible, n° 6, t. III, Bibl. Imp., ancien F. latin, manusc. du xe au XIe siècle. [16] « « Figurez un siège en forme contre elle, des forts des levées de terre, une armée qui l'environne, et des machines de guerre autour de ses murs. Prenez aussi une plaque de fer, et vous la mettrez comme un mur de fer entre vous et la ville puis regardez la ville d'un visage ferme.» etc. (Ezéchiel, chap. iv,vers. 2 et 3. ) Ézéchiel tient en effet la plaque de fer, et autour de lui sont des béliers.

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